2015-74. « La lèpre est la figure de la fausse doctrine ».
Les explications de
notre glorieux Père Saint Augustin
sur
l’Evangile de la guérison des dix lépreux (Luc XVII, 11-19)
que nous entendons au
treizième dimanche après la Pentecôte (1).
La guérison des dix lépreux
Codex Aureus d’Echternach, vers 1030 – Musée national allemand de Nuremberg
A – Saint Augustin circonscrit et précise les questions qui se posent à l’intelligence du lecteur à propos de cette péricope évangélique :
On peut, à propos des dix lépreux que le Seigneur guérit, en leur disant : « Allez vous montrer aux prêtres », poser un grand nombre de questions qui présentent un intérêt véritable.
Je ne parle pas seulement de la signification attachée au nombre dix, et de cette circonstance particulière qu’il n’y en eut qu’un seul pour rendre grâces : car ce sont là des questions libres, et qui même n’étant pas approfondies, ne retardent que peu ou point l’attention des lecteurs ; mais ce qu’il est le plus important de savoir, c’est le motif pour lequel Il les envoya aux prêtres, pour qu’ils fussent guéris en y allant.
On ne voit pas, en effet, parmi tous ceux qui Lui durent la guérison corporelle, qu’Il en ait envoyé aux prêtres d’autres que des lépreux. Déjà, c’était à un lépreux, guéri par Sa bonté, qu’Il avait dit : « Va te montrer au prêtre, et offre pour toi le sacrifice ordonné par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage » (Luc V 13-14).
Ensuite quelle guérison spirituelle peut-on supposer dans ceux à qui Il fait un reproche de leur ingratitude ? Car il est facile de voir qu’un homme peut n’être pas affligé de la lèpre corporelle, sans avoir pour cela un bon coeur ; mais quand on veut approfondir la signification de ce miracle, on se demande avec émotion. comment on peut dire d’un ingrat qu’il est guéri.
B – La lèpre est la figure symbolique des fausses doctrines religieuses :
Voyons donc de quoi la lèpre elle-même est la figure.
L’Evangile ne dit pas de ceux qui en ont été délivrés, qu’ils sont guéris, mais purifiés.
La lèpre est en effet un défaut de couleur, et non la privation de la santé ou de l’intégrité des nerfs et des membres. Il est donc permis de voir dans les lépreux le symbole de ces hommes qui, n’ayant pas la science de la vraie foi, professent ouvertement les divers enseignements contradictoires de l’erreur. Car ils ne voilent pas même leur inhabileté, mais ils font tous leurs efforts pour produire l’erreur au grand jour et mettent à son service toute la pompe de leurs discours.
Or, il n’est pas de fausse doctrine qui ne renferme quelque mélange de vérité. Les vérités qui apparaissent dans la discussion ou la conversation d’un homme, mélangées sans aucun ordre avec l’erreur, comme des taches sur un corps, représentent donc la lèpre, qui couvre et macule le corps de l’homme de couleurs vraies et de couleurs fausses.
Or, il faut que l’Église évite de tels hommes, afin, s’il est possible, qu’ils, élèvent du plus loin qu’ils sont un grand cri vers le Christ, comme les dix lépreux, qui s’arrêtèrent loin de Lui, et élevèrent la voix, disant : « Jésus, notre précepteur, ayez pitié de nous ! ».
Ce nom qu’ils donnent au Sauveur, et qu’aucun malade, que je sache, n’a employé pour Lui demander la guérison du corps, me donne assez lieu de croire que la lèpre est la figure de la fausse doctrine, que le bon Maître guérit.
C – Le sacerdoce judaïque était la figure du sacerdoce chrétien et Notre-Seigneur voulait ainsi montrer que c’est l’Eglise, dont les prêtres sont les représentants, qui est l’autorité voulue par Lui pour authentifier la doctrine de vérité :
Quant au sacerdoce judaïque, il n’est presque pas de fidèles qui ne sache qu’il était le type du futur et royal sacerdoce qui est dans l’Église, et qui consacre tous ceux qui appartiennent au corps du Christ, le véritable chef et le premier de tous les prêtres.
Aujourd’hui, en effet, ils ont tous en partage l’onction, qui était alors le privilège exclusif du sacerdoce et de la royauté ; et quand saint Pierre, écrivant au peuple chrétien, lui donne le nom de « sacerdoce royal » (1 Pierre, II, 9), il proclame par là que ce double nom convenait au peuple, à qui était réservée cette onction.
Ainsi, pour les défauts de santé de l’âme, et en quelque sorte de ses membres et de ses sens, le Seigneur les guérit et les corrige par Lui-même intérieurement dans la conscience et dans l’esprit ; mais à l’Église il appartient proprement, soit de pénétrer les âmes de sa doctrine par les Sacrements, soit de les catéchiser par des discours publics ou des lectures, où l’on découvre en quelque sorte la couleur de la vérité et de la sincérité, parce qu’elle est à la portée de tous, et parfaitement mise en évidence, car cela se fait, non dans le secret des pensées, mais par des manifestations extérieures.
Aussi même après avoir entendu ces paroles du Seigneur : « Pourquoi me persécutes-tu ? » et : « Je suis ce Jésus, que tu persécutes », Paul fut-il envoyé vers Ananie, pour recevoir, du sacerdoce établi dans l’Église, le mystère de la doctrine de la foi, et être reconnu comme un véritable docteur (Act. IX, 4-19). Ce n’est pas que le Seigneur ne puisse tout faire par Lui-même : car, même dans l’Église, quel autre que Lui fait toutes ces choses ? Mais il arrive ainsi que par cette approbation et communication réciproque de la vraie doctrine, observée dans la prédication de la parole et dans la confection des Sacrements, la société des fidèles conserve aux yeux de tous le cachet de l’unité dans la vérité.
Ce que dit le même Apôtre, trouve bien encore ici sa place : « Quatorze ans après, je montai à Jérusalem avec Barnabé, ayant pris aussi Tite avec moi. Or, j’y allai suivant une révélation ; et de peur de courir ou d’avoir couru en vain, j’exposai à ceux de cette Eglise, et en particulier à ceux qui étaient les plus considérables, l’Evangile que je prêche parmi les Gentils ». Et un peu plus loin : « Ceux, dit-il, qui étaient reconnus comme les colonnes de l’Eglise, Jacques, Pierre et Jean, ayant reconnu la grâce qui m’avait été communiquée, nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d’union » (Gal. II, 1, 2, 9 ). Cette entente des Apôtres faisait voir l’unité de leur doctrine, dont toute divergence était exclue.
A ce propos, l’Apôtre donne encore aux Corinthiens cet avis salutaire : « Je vous conjure, mes frères, leur dit-il, par le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de faire en sorte que vous n’ayez tous qu’un même langage » (I Cor. I, 10 ).
Quoique Corneille eût appris d’un Ange que ses aumônes avaient été reçues et ses prières agréées, cependant pour conserver l’unité de la doctrine et des sacrements, il reçoit lui aussi l’ordre d’envoyer vers Pierre ; c’est comme si on lui avait dit, à lui et aux siens : « Allez, et montrez-vous aux prêtres ». Et ils furent, eux aussi, guéris en faisant cette démarche. Car déjà Pierre était venu vers eux ; mais comme ils n’avaient pas encore reçu le sacrement de Baptême, ils ne s’étaient pas encore présentés spirituellement aux prêtres ; et cependant leur guérison avait été rendue manifeste par la descente du Saint-Esprit et par le don des langues (Act, X, 44).
D – Le sens symbolique des nombres neuf et dix dans ce récit :
Les choses étant ainsi, il est facile de voir qu’on peut suivre dans la société de l’Eglise la pure et véritable doctrine, expliquer tout suivant là règle de la foi catholique, distinguer la créature du Créateur, et montrer par là qu’on a échappé à cette sorte de lèpre qui est le mensonge avec ses variétés ; et cependant qu’on peut aussi être ingrat envers le Seigneur Dieu, à qui l’on doit d’en être préservé, parce qu’on ne veut pas abaisser son propre orgueil dans l’humilité de l’action de grâces, et qu’on devient alors semblable à ces hommes dont parle l’Apôtre : « Qui, ayant connu Dieu, ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces » (Rom. I, 21). En disant qu’ils ont connu Dieu, l’Apôtre montre, il est vrai, qu’ils ont été guéris de la lèpre, mais néanmoins il leur reproche aussitôt leur ingratitude.
Aussi de tels hommes demeureront dans le nombre neuf, à raison de leur imperfection. Car ajoutez un à neuf, et l’image de l’unité est parfaite ; il y a là quelque chose de si complet, que les nombres ne vont pas plus loin, à moins qu’on ne revienne à un ; et cette règle doit être observée jusqu’à l’infini. Neuf veut donc un, pour former avec lui dix, symbole de l’unité ; et pour garder l’unité, un n’a pas besoin de neuf.
Aussi de même que les neuf lépreux qui n’ont pas rendu grâces furent réprouvés pour leur conduite, et exclus du concert de l’unité ; ainsi celui qui fut le seul pour témoigner sa reconnaissance, a été loué et approuvé comme un type frappant de l’unité de l’Eglise.
Et comme ceux-là étaient des Juifs, ils ont été déclarés déchus par leur orgueil du Royaume des cieux, où l’unité se conserve dans les conditions les plus parfaites ; quant à celui-ci, qui était samaritain, c’est-à-dire gardien fidèle, attribuant à son bienfaiteur ce qu’il tenait de Lui, et chantant en quelque sorte ce verset du psalmiste : « Je garderai ma force auprès de vous » (Ps. XVIII, 10), il s’est soumis au Roi par sa reconnaissance, et par son humble dévouement il a conservé le privilège de l’unité.
(1) : Saint Augustin, « Questions sur les Evangiles », livre second : « Questions sur l’Evangile selon Saint Luc », § XL ; les divisions et les sous-titres du texte sont de notre chef, afin d’en faciliter la lecture et la compréhension.