Lundi 10 janvier 2011
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Sans aucun retard, il faut que je vous raconte l’événement extraordinaire au centre duquel je me suis retrouvé la nuit dernière… car c’est vraiment quelque chose de prodigieux qu’il m’a été donné de vivre.
La magnifique fête de ce dimanche 9 janvier était achevée : un dimanche pas tout à fait comme les autres, puisque c’était celui de la solennité reportée de l’Epiphanie (voir ce que j’ai écrit, au bas de la page où je vous livrais la recette du gâteau des Rois, au sujet de la date de célébration de cette très grande fête > ici).
A la fin de la Messe, frère Maximilien-Marie avait demandé à Monsieur l’Abbé de bénir la craie, conformément à ce qui est prévu dans le rituel romain, et il a ramené chez nous cette craie bénite avec laquelle nous avons marqué toutes les portes de la maison.
Malheureusement (j’avais déjà eu l’occasion d’exprimer ici mes regrets à ce sujet > ici), beaucoup trop de fidèles et – ce qui est plus grave – de prêtres, n’apportent pas au rituel et aux sacramentaux l’attention et l’importance qui conviendrait, alors qu’il y a là un trésor de l’Eglise dans lequel les âmes devraient pouvoir largement puiser afin de profiter de tous les canaux de la grâce et de la protection divines…
Bref, pour ceux qui ignoraient jusqu’ici cette tradition, voici un extrait de la traduction de la formule de bénédiction de la craie : « Bénissez, ô Seigneur notre Dieu, cette craie, votre créature, afin qu’elle devienne salutaire au genre humain ; et accordez par l’invocation de votre Nom très saint que tous ceux qui l’emporteront ou qui écriront avec elle sur leurs portes les noms de vos Saints Gaspard, Melchior et Balthazar, reçoivent par leur intercession et leurs mérites la santé du corps et la protection de l’âme… » (pour voir la totalité de cette bénédiction > ici).
L’usage veut donc qu’avec elle on écrive en haut des portes les initiales des Saints Rois Mages, avec les chiffres de l’année qui vient de commencer, ceux-ci divisés en deux séries de manière à encadrer les lettres, comme vous pouvez le voir sur la photo publiée ci dessus.
Mais revenons à mon propos !
Avant d’ouvrir cette parenthèse, je vous disais donc que notre journée du dimanche était achevée : Frère Maximilien-Marie était allé se coucher ; notre Mesnil-Marie, malgré les bourrasques du vent qui mugissait, était paisiblement enveloppé par le recueillement de la nuit, et moi j’étais à méditer dans mon panier près de la cheminée…
… quand il m’a semblé entendre un bruit confus sur notre terrasse. Frère Maximilien-Marie était dans son premier sommeil, phase durant laquelle je crois que les volcans qui nous entourent pourraient se réveiller sans qu’il s’en rende compte ; et puis, vous le savez, nous autres chats avons l’ouïe infiniment plus fine que l’oreille humaine !
Bref, je suis allé en tapinois jusqu’à la petite fenêtre de laquelle je peux, sans être vu, tout voir de ce qui se passe sur notre terrasse, et là… j’ai dû me pincer pour être bien certain de ne pas rêver !
Me croirez-vous si je vous l’écris ?
N’allez-vous pas penser que je délire ?
Je doute en effet que vous le trouviez par vous-mêmes car – « je vous le donne en cent, je vous le donne en mille » comme l’écrivait l’illustre marquise dont la lecture des lettres m’est toujours un enchantement – j’ai vu – j’en suis encore tout ébaubi !-, j’ai vu, vous dis-je, bien distinctement vu malgré la pénombre… un éléphant, quelques chevaux et une caravane de chameaux (oui, oui, de vrais chameaux avec deux bosses et quatre pattes, et non des spécimens de chameaux à deux pattes qui pourrissent les rapports humains). Des silhouettes enturbannées s’affairaient autour d’eux, les ayant attachés par de grandes longes aux arbustes qui croissent le long du ruisseau, tandis que, sur notre terrasse même, trois hauts personnages secouaient les grandes capes ruisselantes dans lesquelles ils avaient auparavant été enveloppés.
Je n’eus aucune hésitation : c’étaient bien eux, Gaspard, Melchior et Balthazar. C’étaient bien eux, les Saints Rois Mages envers lesquels Frère Maximilien-Marie m’a inspiré une très grande dévotion. Ils étaient là, présents, vivants, réels, à la porte du Mesnil-Marie.
Je ne sais pas comment j’ai fait mais, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’avais sauté à terre et couru à la porte, j’en avais tiré les verrous et fait entrer chez nous les Saints Rois !
Tout se passait sans aucun bruit, et ce silence était plénitude ; tout était baigné d’une mystérieuse lumière qui rendait inutile lampes et bougies : cette lumière venait de l’intérieur même de l’être et donnait consistance et relief à tout ce qui était là…
Gaspard, Melchior et Balthazar s’étaient assis sans façon sur nos tabourets, près de la cheminée, leurs capes étalées sur les chaises faisaient, en séchant, monter une vapeur moite, et sans que j’eusse eu besoin de lui indiquer où se trouvaient les choses, un page silencieux avait préparé du thé que les Rois savouraient à petites gorgées réconfortantes. Dehors les serviteurs avaient aussi allumé un petit feu et s’affairaient l’un à bouchonner les chevaux, l’autre à faire boire l’éléphant dans notre béalière, un autre encore à faire prendre un peu de repos aux chameaux…
Les Saint Rois m’expliquèrent comment chaque année – puisque la liturgie de la Sainte Eglise n’est pas une commémoration d’événements définitivement révolus, mais opère une mystique ré-actualisation des mystères sacrés qu’elle célèbre - ils refont leur merveilleux voyage à la suite de l’Etoile pour arriver le 6 janvier à la Crèche. Ils me dirent aussi que, devant rentrer chez eux par un autre chemin, ils changeaient tous les ans leur itinéraire de retour. Ils m’ont enfin raconté comment, cette année, ils avaient décidé de retourner à Cologne (puisque c’est désormais là qu’ils résident depuis qu’au XIIème siècle leurs précieuses reliques y ont été apportées) en parcourant les Monts du Vivarais.
Ce soir, à la tombée de la nuit, ils avaient été pris dans des bourrasques de neige et s’étaient égarés sur les pentes du Mézenc…
Les roches de Cuzet le 9 janvier 2011
Déjà exténués d’avoir dû gravir les pentes escarpées de ces montagnes, leurs chevaux, leurs chameaux et l’éléphant étaient proches de l’hypothermie. Tout exercés qu’ils étaient à s’orienter sur les étoiles, les Mages ne pouvaient déceler aucun signe dans un ciel sombrement laiteux et bas, tandis que de lourds flocons tournoyants les empêchaient de distinguer la route à seulement deux mètres devant leurs montures. C’est alors que l’ange qui se cache habituellement derrière l’Etoile qui les conduit chaque année à la crèche (car ce qu’ils ont suivi n’a rien à voir avec une comète ou un quelconque autre phénomène naturel : c’est un signe miraculeux et divin conduit par un ange), avait décidé de descendre jusqu’à eux et de les diriger vers le Mesnil-Marie.
Gaspard, Melchior et Balthazar m’exprimèrent leur vive satisfaction en voyant que nous avions marqué les portes avec leurs initiales pour que leur bénédiction soit sur nous. Ils étaient très en confiance avec moi et me livrèrent quelques réflexions : « Sais-tu, Lully, que nous n’oserions pas, à l’heure actuelle, frapper à la porte de certains presbytères ou de certains évêchés lorsque nous avons besoin d’une halte réparatrice? Il est en effet des prêtres et des évêques qui nous ont relégués au rang de purs mythes ou qui, encore infestés par des idées marxistes pourtant totalement dépassées, contestent notre dignité royale malgré les assertions des prophéties », déclara Gaspard.
« C’est à se demander parfois, ajouta Balthazar, s’ils ne font pas davantage confiance à la pseudo révélation mahométane, plutôt qu’à l’inspiration de la Sainte Bible! »
Melchior dit alors d’une voix grave : « La race des prêtres qui sont instruits de la vérité mais qui n’en vivent pas, ne s’est pas éteinte avec la disparition de ceux qui furent capables de dire à Hérode où devait naître le Messie, mais qui n’ont pas fait un pas pour aller L’adorer! Ils ne sont certes pas tous ainsi, mais il y en a encore, et encore beaucoup trop, dont la science est stérile parce qu’elle n’est qu’intellectuelle et ne porte pas de fruits de sainteté : ils sont devenus les ternes fonctionnaires d’un certain moralisme terrestre, mais ils ne sont plus les ministres humblement zélés de la grâce surnaturelle pour le salut éternel des âmes…»
Le fougueux Gaspard reprit : « Sans parler des Hérodes modernes ! Hérodes tous ceux qui voient dans le Christ Sauveur et dans l’influence de l’Eglise une menace pour leur pouvoir ; Hérodes tous les députés, sénateurs et chefs d’états qui multiplient les lois iniques et veulent être les décideurs du bien et du mal ; Hérodes ceux qui érigent en norme sociale ce qui est contraire à la loi naturelle ; Hérodes ceux qui nient que la civilisation européenne soit fondée sur l’héritage judéo-chrétien ; Hérodes ceux qui favorisent par mille démissions et compromissions l’anti-christianisme et qui se taisent quand les églises et les cimetières sont attaqués ou profanés ; Hérodes les sectes anti-chrétiennes et les sociétés secrètes qui tirent les ficelles des institutions étatiques ; Hérodes tous ces journalistes et hommes politiques qui se posent en « pères la vertu » et profitent de toutes les occasions, à grand renfort de mensonges, pour critiquer le Souverain Pontife ; Hérodes aussi ces hommes d’Eglise qui sont devenus des hommes de pouvoir, des calculateurs, des manipulateurs et se servent de leurs fonctions pour sournoisement imposer aux esprits des comportements erronés ou des idéologies étrangères à la doctrine de l’Eglise du Christ… Et complices d’Hérodes enfin tous ceux qui par amour de leur propre tranquillité, tous ceux qui pour ne pas avoir d’histoires, se taisent, se laissent passivement porter par le courant dominant ou s’enfouissent la tête dans le sable! »
J’opinais en silence, parce que les paroles fortes du Roi Gaspard faisaient défiler dans ma tête tant de faits contemporains très précis et concrets dont j’ai lu les récits ou dont je me suis entretenu avec Frère Maximilien-Marie.
Melchior ajouta encore : « Nous étions stupéfaits, il y a 2010 ans, lorsque nous nous sommes rendus compte que Jérusalem et le peuple élu ne savaient rien de la naissance de son Messie, et nous sommes encore davantage et douloureusement surpris en constatant que le divin Roi de paix et d’amour est encore toujours, sinon plus, méconnu ici, après tant de siècles! Les ténèbres recouvrent encore la terre et les peuples sont encore plongés dans la nuit (cf. Isaïe 60,2 ); ils sont dans l’attente de nouveaux et véritables évangélisateurs qui leur permettront de marcher vers la Lumière et d’orienter leurs chefs vers la splendeur de l’aurore du Seigneur ! »
Il y eut un silence, puis Balthazar se leva. Sa longue barbe blanche m’impressionnait mais je le fus plus encore par la solennité de son ton : « Lully, tu le sais bien, nous offrons de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Nous les avons offerts matériellement à l’Enfant-Jésus dans sa crèche pour représenter ce qu’Il est en vérité malgré la faible apparence du Nouveau-Né. En revenant de la crèche nos cassettes sont vides, mais nous pouvons les offrir d’une autre manière : avant de reprendre la route, nous allons aussi laisser au « Mesnil-Marie » de l’or, de l’encens et de la myrrhe. »
Les trois Saints Rois se mirent à genoux devant l’icône de la Compassion de Notre-Dame et prièrent intensément. Je n’entendis point de paroles mais je comprenais dans mon coeur des choses que les mots ne peuvent que difficilement exprimer et qui m’apparaissaient avec une force et une réalité supérieures à tout ce qui est sur la terre. Je vis par l’esprit qu’ils demandaient au Roi des rois pour notre Mesnil-Marie l’encens spirituel, par le don de l’esprit de recueillement, d’adoration, d’attention à Dieu et de prière en toutes choses, l’or spirituel, par le don d’une sagesse inspirée par la charité surnaturelle, infiniment supérieure à toute prudence humaine, et la myrrhe spirituelle, par le don de la compassion profonde, qui est union à la Passion du Christ et de sa Sainte Mère, en toutes sortes de médisances et de calomnies, toutes sortes de critiques et de suspicions, toutes sortes de mépris et de contradictions, par lesquelles on devient en vérité disciple de Celui qui n’a pas indiqué à ceux qui voulaient Le suivre d’autre voie que celle de la Sainte Croix…
Les Saints Rois entrevus en songe
Ensuite tout se passa très vite. Déjà les Saints Rois étaient en selle et leur caravane s’ébranlait. Les nuages s’étaient dissipés, le vent ne soufflait plus, les étoiles brillaient d’un éclat incomparable. Se tournant vers moi, Gaspard, Melchior et Balthazar me bénirent en souriant, et leur cortège disparut dans la nuit…
Je ne suis pas retourné dans mon panier, je suis monté auprès de Frère Maximilien-Marie et me suis roulé en boule contre son cœur. Il ne soupçonnait rien de ce qui s’était passé pendant son repos, mais je sentais que la bénédiction des Saints Rois Mages l’enveloppait, comme elle imprégnait tout notre Mesnil-Marie, et je me mis à ronronner avec volupté en méditant sur la merveilleuse visite.
Lully.