Archive pour la catégorie 'De liturgia'

2024-162. Pitié pour le « Salve, Regina » !

5 août,
Fête de la dédicace de la Basilique de Sainte-Marie aux Neiges (cf. > ici, et > ici) ;
Anniversaire du martyre du Père Rouville et de ses compagnons (5 août 1794 – cf. > ici et suivants).

Mater misericordiae - blogue

Salve, Regina, Mater misericordiae…

       Pendant le temps après la Pentecôte, c’est-à-dire après l’office de nones du samedi des Quatre-Temps d’été jusqu’à celui de nones du samedi qui précède le premier dimanche de l’Avent, dans le rite romain, vous le savez, l’antienne mariale est le « Salve, Regina », dont la tradition du Puy attribue la composition à l’évêque Adhémar de Monteil (+ 1er août 1098) qui laissa son diocèse pour accompagner la Première Croisade en qualité de légat pontifical du Bienheureux Urbain II.

   Toutefois, toujours selon la tradition immémoriale, les invocations finales « O clemens ! O pia ! O dulcis Virgo Maria ! » auraient été ajoutées au XIIème siècle par Saint Bernard de Clairvaux (cf. > ici) dans une sorte d’élan extatique, plein d’aimante et fervente vénération.

   Comme nous l’aimons, ce « Salve, Regina » !
Comme il est chargé d’émotion spirituelle et de filiale dévotion !
Combien nous avons du plaisir à l’entonner à la fin de la Sainte Messe dominicale, à la fin de l’office divin, ou encore lors de nos pieuses visites à la Sainte Vierge, dans nos églises et chapelles !
Et nous avons bien raison de l’aimer !…

   Mais alors, pourquoi est-il si mal chanté ?
Souvent.
Trop souvent !

   Il me semble que c’est en raison de l’habitude, génératrice de routine.
Je partage pleinement l’opinion de cet auteur qui a écrit quelque chose comme : « Ce qui est le plus contraire à la sainteté, ce n’est pas le péché : c’est l’habitude ! »
Cette habitude, ou plus exactement routine, qui fait que l’on répète – avec une certaine piété, je veux bien le croire, mais sans vraiment penser aux paroles et sans une forte détermination présente à chaque mot - des formules et des mélodies, sans plus percevoir leur intensité quasi dramatique, leur acuité spirituelle, la profondeur de leur actualité.
Mortelle routine !

   Et que l’on ne me dise pas : « C’est du latin, or je ne suis pas latiniste… », car ce pseudo argument est véritablement idiot.
Il est en effet à la portée de tout fidèle d’ouvrir son propre missel, ou bien le carnet de chant mis à disposition dans son église ou sa chapelle, pour y trouver le texte latin du « Salve, Regina » avec sa traduction.
Il n’est donc pas du tout compliqué de faire en sorte que la manière avec laquelle on chante donne une idée du sens des mots que l’on prononce, montre que l’on comprend ce que l’on chante.

   Ajoutons ici que le respect de la ponctuation – puisque la ponctuation est une merveilleuse invention au service de la compréhension et de l’expression d’un texte -, doit être pratiqué lorsqu’on chante.

   Le « Salve, Regina », n’est pas une comptine enfantine sur laquelle on sautille en faisant la ronde !
C’est un appel au secours. L’appel au secours d’enfants en détresse, affrontés aux vexations du monde, aux tentations du démon, et aux pièges intérieurs que leur tend leur propre nature blessée par le péché : les termes employés, le rythme de la phrase latine, les incises, les apostrophes (qui en outre permettent de reprendre sa respiration), procèdent de l’expression dramatique de notre pauvre condition d’enfants qui appellent à l’aide leur Reine secourable et puissante, leur Mère aimante et compatissante.
On doit donc les entendre, dans le chant.
Et c’est pour cela qu’on ne le chante pas comme s’il s’agissait de « il était un petit navire » !
Et c’est pour cela qu’on ne le chante pas sans y mettre l’expression qui convient !

   Obligez-vous vous-même, une prochaine fois, à vous taire et à écouter avec attention – au besoin en suivant dans un livre le texte et sa ponctuation -, comment la plupart des groupes exécutent (dans tous les sens de ce verbe) ce « Salve, Regina », et demandez-vous si ce que vous entendez est bien cohérent avec le sens des mots lors même que ceux-ci disent « fils d’Eve, exilés, nous soupirons vers vous, gémissant et pleurant, dans cette vallée de larmes », tandis que le rythme du chant s’emballe de manière incompréhensible, et devient dansant comme si l’on était dans une guinguette.

   Voilà pourquoi j’ai envie de crier : Pitié pour le « Salve, Regina » !
Voilà pourquoi je supplie avec insistance : dans nos familles, dans nos chapelles, dans nos paroisses, redonnons tout son sens et toute sa vigueur au chant du « Salve, Regina » !

   Car l’on ne chante pas « ad-te-cla-ma-mus-e-xu-les-fi-li-i-E-vae-ad-te-sus-pi-ra-mus-ge-men-tes-et-flen-tes-in-hac-la-cry-ma-rum-va-lle », comme si on enchaînait des « la-la-la-la-la-la-la » sans respirer, ou en ânonnant à la manière d’un enfant qui apprend à lire.

   Pour l’amour de Dieu et de Sa Très Sainte Mère, faites comprendre à tous la supplication de votre âme aux prises avec les vexations du monde et du démon, afin que l’on n’entende pas « E-ia-er-go-ad-vo-ca-ta-nos-tra-il-los-tu-os-mi-se-ri-cor-des-o-cu-los-ad-nos-con-ver-er-te » avec un rythme et des intonations qui pourraient évoquer ceux de « La Madelon » !
Non ! Vous implorez, vous êtes à bout, la détresse vous étreint, vous criez : « Mère, au secours ! Si vous ne me venez pas en aide, je suis perdu ! »

   Puissent, enfin, les invocations finales – avec leurs extatiques vocalises sur ces « O » qui intensifient la supplication en même temps qu’ils expriment l’admiration et l’émerveillement devant la clémence, la miséricorde et la douceur de la Très Sainte Vierge Marie -, s’épanouir en efflorescence contemplative et non sur des accélérations de clique municipale pressée d’en finir...

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur

ad te suspiramus gementes et flentes in hac lacrymarum valle

« Ad te clamamus, exsules filii Evae,
ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrymarum valle… »

2024-161. Celui qui prie se sauve ; celui qui ne prie pas se damne !

2 août,
Fête de Saint Alphonse-Marie de Liguori, évêque et confesseur, docteur de l’Eglise (cf. > ici) ;
Dans l’Ordre de Saint Augustin, mémoire du Bienheureux Jean de Rieti, confesseur ;
Dans l’Ordre séraphique, fête de Notre-Dame des Anges (indulgence de la Portioncule – cf. > ici) ;
Mémoire de Saint Etienne 1er, pape et martyr ;
Commencement de la neuvaine préparatoire à la fête de Sainte Philomène (cf. > ici).

Mains jointes en prière - blogue

    Cinq phrases « choc » de Saint Alphonse-Marie pour nous ramener vers l’essentiel :

Celui qui prie se sauve certainement ;
celui qui ne prie pas se 
damne certainement.

Tous les élus du ciel, en dehors des enfants,
se sont 
sauvés par la prière.

Tous les damnés se sont perdus pour n’avoir pas prié.

S’ils avaient prié, ils ne se seraient pas perdus.

C’est et ce sera toujours leur plus grand désespoir dans l’enfer :
avoir pu se sauver avec tant de facilité
en 
demandant à Dieu Ses grâces
et n’être plus à même, les pauvres malheureux, 
de le faire maintenant !

Saint Alphonse-Marie de Liguori,
in « Le grand moyen de la prière » (1ère partie, chap. 1 – conclusion)

St Alphonse-Marie de Liguori - vitrail de la cathédrale de Carlow

Prière pour consacrer le Royaume de France au Cœur Immaculé de Marie

1er août,
Commencement du mois dédié au Cœur immaculé de Marie ;
Fête de Saint Pierre aux Liens (double majeur) ;
Mémoire de Saint Paul, apôtre ;
Mémoire des Saints Frères Macchabées, martyrs ;
Mémoire de Saint Pierre-Julien Eymard, confesseur ;
Anniversaire de la mort d’Adhémar de Monteil, évêque du Puy (+ 1er août 1098) ;
Deuxième jour du carême de la Dormition de la Mère de Dieu (cf. > ici).

Monogramme de la Vierge Marie - vignette blogue

       Dans un certain nombre de pieux ouvrages, il est écrit que le mois d’août est particulièrement dédié à la dévotion au Cœur immaculé de Marie (probablement en raison de l’institution de la fête du Cœur immaculé de Marie instituée par le Vénérable Pie XII au jour octave de l’Assomption, le 22 août, ce qui laisse à penser que la dédicace de ce mois au Cœur immaculé de Marie est relativement récente, dans un esprit de développement de cette dévotion explicitement demandée par la Très Sainte Vierge Marie elle-même à l’occasion de ses apparitions à Fatima).

   Pour nous, Français, cette dévotion au Cœur douloureux et immaculé de notre Mère céleste et spéciale Reine et protectrice du Royaume de France, prend une intensité encore plus forte du fait que le 15 août, fête de l’Assomption, est la principale fête patronale de notre pays, en vertu du vœu de Louis XIII.

   On nous a communiqué la prière suivante en nous assurant qu’elle était de Madame Elisabeth de France (+ 10 mai 1794) : cela m’a un peu surpris parce que je ne l’avais jamais trouvée dans aucun ouvrage consacré à cette pieuse Princesse… mais je ne prétends en aucune manière tout connaître de ses écrits !
Cette prière ne manque – malheureusement ! – pas d’actualité, et chacun de nos amis et lecteurs ne disconviendra pas qu’elle se prête parfaitement à être une espèce de « fil conducteur » de notre dévotion mariale et de piété filiale envers le Royaume des Lys, chaque jour de ce mois d’août.

Reine de France priez pour nous

   O Vierge Sainte !
Vous avez toujours si spécialement protégé la France : t
ant de monuments nous attestent combien elle vous a toujours été chère !
Et à présent qu’elle est malheureuse, et plus malheureuse que jamais, elle semble vous être devenue étrangère !

   Il est vrai qu’elle est bien coupable,
Mais tant d’autres fois, elle le fut aussi et vous lui obtîntes son pardon.
D’où vient donc qu’aujourd’hui vous ne parlez plus en sa faveur ?
Car si vous disiez seulement à votre Divin Fils : « Ils sont accablés de maux », bientôt nous cesserions de l’être…
Qu’attendez-vous donc, ô Vierge Sainte ?
Qu’attendez-vous pour faire changer notre malheureux sort ?

   Ah ! Dieu veut peut-être qu’il soit renouvelé par nous, le vœu que fit un de nos Rois pour vous consacrer la France ?
Eh bien ! O Marie, ô très Sainte Mère de Jésus-Christ, nous vous la vouons, nous vous la consacrons à nouveau !

   Si cet acte particulier pouvait être le prélude d’un renouvellement plus solennel et public…
Ou si, plutôt, elle pouvait retentir depuis le trône jusqu’aux extrémités du royaume, cette parole qui lui a attiré tant de bénédictions.

   Vierge Sainte, nous nous vouons tous à vous, mais le désir que nous en avons ne peut-il pas y suppléer ?
Mais les liens sacrés qui nous unissent à tous les habitants de ce royaume comme à nos frères, mais la charité qui étend nos vues et dilate nos coeurs pour les comprendre tous dans notre offrande, ne peut-elle pas donner à une consécration particulière le mérite de l’efficacité d’une consécration générale ?

   Nous vous en prions, ô Vierge Sainte, nous vous en conjurons,
Nous l’espérons et, dans cette confiance, nous vous offrons notre Roi, notre Reine et sa famille ;
Nous vous offrons nos Princes ; nous vous offrons nos armées et ceux qui les commandent ; nous vous offrons nos magistrats ; nous vous offrons toutes les conditions et tous les états ; nous vous offrons surtout ceux qui sont chargés du maintien de la religion et des mœurs.

   Enfin, nous vous rendons la France toute entière.
Reprenez, ô Vierge Sainte, vos premiers droits sur elle :
Rendez-lui la Foi ; rendez-lui votre ancienne protection ; rendez-lui la paix.
Rendez-lui, rendez-lui Jésus-Christ qu’elle semble avoir perdu.
Enfin que ce Royaume, de nouveau adopté par vous, redevienne tout entier le Royaume de Jésus-Christ.

Ainsi soit-il.

Ingres : le voeu de Louis XIII

Jean-Dominique Ingres : le vœu de Louis XIII

2024-158. La « Sainte Parenté » de l’église Notre-Dame la Grande à Poitiers.

26 juillet,
Fête de Sainte Anne, mère de la Bienheureuse Vierge Marie
(cf. iciici, ou bien ici).

Poitiers église Notre-Dame la Grande

Poitiers : église Notre-Dame la Grande

       Mon papa-moine, qui a résidé pendant une période à côté de Poitiers, après m’avoir raconté la belle vie de Sainte Anne, que nous vénérons avec une joyeuse ferveur en ce 26 juillet, m’a expliqué que lorsqu’on entre dans l’extraordinaire collégiale Notre-Dame-la-Grande, merveille de l’art roman poitevin, on remarque vite, contre le premier pilier gauche de la nef, un groupe sculpté polychrome qui peut dater de la fin du XVème ou du début du XVIème siècle.

   L’ensemble est particulièrement harmonieux, les personnages sont gracieux, les couleurs relativement vives, les attitudes bien étudiées, et cependant une certaine sobriété, dans les drapés et les attitudes, donne envie de dire que l’on se trouve bien loin de l’espèce de maniérisme qui préside souvent à la sculpture du dernier gothique…

Sculpture de la Sainte Parenté - Poitiers collégiale Notre-Dame la Grande

   Ce groupe sculpté représente ce que l’on appelle « la Sainte Parenté » : à ma connaissance le sujet est davantage représenté en peinture qu’en sculpture.
On trouve en effet relativement souvent des statues dites « Sainte Anne trinitaire », où l’on voit Sainte Anne avec sa fille, la Bienheureuse Vierge Marie, et son petit-fils, le Saint Enfant Jésus, mais il est plutôt rare de trouver des œuvres sculptées où l’on retrouve la totalité de la sainte descendance de la bonne Sainte Anne.

   Sur cette sculpture figure donc comme personnage principal – en conséquence la plus grande en taille – Sainte Anne : elle tient sur son bras droit la Très Sainte Vierge Marie, sa fille, portant couronne, et représentée non pas comme une enfant mais plus exactement comme une jeune femme à laquelle on a donné la taille d’une enfant en bas âge ; et cette dernière porte dans ses bras le Saint Enfant Jésus emmailloté.

Sainte Parenté de Poitiers détail 1

   Debout aux pieds de Sainte Anne, sont sculptées les deux filles nées de ses autres mariages (ainsi que cela est expliqué dans la « Légende dorée » – cf. > ici) : Marie Salomé et Marie de Cléophas, qui présentent chacune leurs enfants, puisque

   « Anne eut, dit-on, trois maris, savoir : Joachim, Cléophas et Salomé.
De son premier mari, c’est-à-dire de Joachim, elle eut une fille qui était Marie, la mère de Jésus-Christ, qu’elle donna en mariage à Joseph, et Marie engendra et mit au monde Notre-Seigneur Jésus-Christ.
A la mort de Joachim, elle épousa Cléophas, frère de Joseph, et elle en eut une autre fille qu’elle appela Marie, comme la première, et qu’elle maria dans la suite avec Alphée. Marie, cette seconde fille, engendra d’Alphée, son mari, quatre fils, qui sont Jacques le mineur, Joseph le juste qui est le même que Barsabas, Simon et Jude.
Anne, après la mort de son second mari, en prit un troisième ; c’était Salomé, de qui elle engendra une autre fille qu’elle appela encore Marie et qu’elle maria à Zébédée. Or, cette Marie engendra de ce Zébédée deux fils, savoir : Jacques le Majeur et Jean l’Evangéliste… »

    Signalons aussi qu’en 1406, Sainte Colette de Corbie (cf. > ici) eut une vision de Sainte Anne accompagnée de ses trois filles et de leurs enfants : cet événement mystique contribua au développement des représentations de la « Sainte Parenté » dans l’art.

Sainte Parenté de Poitiers détail 2

   C’est – n’ayons pas peur au passage de le mettre en évidence, pour montrer à ces détracteurs de l’Eglise qui l’accusent d’être misogyne que c’est évidemment faux – une très belle manière de manifester que, dans le mystère de l’Incarnation, un rôle essentiel est départi aux femmes et à la maternité.

Sainte Parenté de Poitiers détail 3

Sainte Marie de Cléophas, épouse d’Alphée,
avec ses quatre fils : Saint Jacques le Mineur, Saint Joseph le juste dit Barsabas,
et les Saints apôtres Simon et Jude

   Cette manière de représenter Sainte Anne, avec ses trois filles et ses petits-enfants est également une évocation particulière du mystère du Salut : Marie Salomé, Marie de Cléophas et leurs enfants – parmi lesquels il y en aura cinq appelés dans le Collège apostolique – sont les symboles de tous ceux qui, à l’intérieur du peuple israélite, s’étaient préservés des contaminations du monde païen, avaient évité les écueils du pharisaïsme et des autres courants déviants à l’intérieur du judaïsme, mais qui, au contraire, « cherchaient Dieu » dans la sincérité de leurs cœurs et la fidélité, scrutaient les Saintes Ecritures avec une âme disponible et généreuse, et se trouvaient prêts à accueillir le Messie promis à leurs pères.
C’est la raison pour laquelle, tous tiennent des livres à la main.
Seules la Très Sainte Vierge Marie et Sainte Anne n’ont pas besoin de livres, puisqu’elles portent dans leurs bras l’Enfant Jésus, le Verbe incarnée, « Parole vivante de Dieu » qui S’est fait chair : Jésus, en lequel s’accomplissent toutes les prophéties des Saintes Ecritures.

   Les regards de Marie Salomé et Marie de Cléophas, ainsi que ceux de leurs enfants sur lesquelles elles sont penchées, ont peu d’expression, paraissent presque vides et, à eux tous, ils semblent chercher dans toutes les directions Celui qu’ils n’ont pas encore trouvé et qui ne leur sera révélé qu’à partir du début de Sa vie publique ; puis que, jusqu’à la Résurrection, ils peineront encore à reconnaître pleinement comme le Sauveur, vrai Dieu et vrai homme.

   Les regards de la Vierge et de Sainte Anne sont, eux, graves, parce qu’ils sont orientés vers Jésus, et qu’elles ont déjà la connaissance de ce par quoi s’accomplira la Rédemption : la Croix.
Elles semblent donc nous dire : Tournez vos yeux vers Celui qui vient sauver les hommes et ne cherchez pas au loin Celui qui est au milieu de vous.

Tolbiac

Sculpture de la Sainte Parenté - Poitiers collégiale Notre-Dame la Grande - détail 4

2024-157. « C’est pas dans l’Evangile », objectent-ils…

25 juillet,
Fête de Saint Jacques le Majeur, apôtre (cf. > ici) ;
Anniversaire de l’abjuration d’Henri IV (cf. > ici).

Ange portant une Bible ouverte - blogue

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Parmi les prétendus arguments sortant de la bouche de ceux que, pour simplifier, j’appellerai des moderno-progressistes, pour justifier la relégation de nombreux usages traditionnels, de non moins nombreuses pratiques liturgiques ou dévotionnelles, des pans entiers de la discipline ecclésiastique voire même de la doctrine, sans parler des usages ascétiques et pénitentiels pratiqués pendant des siècles, il en est un – mille et mille fois entendu par mon papa-moine depuis son enfance – qui se résume à cette locution, assénée la plupart du temps avec un ton assez péremptoire auquel s’ajoutent, selon les circonstances, des nuances d’agacement ou de pitié, voire de mépris : « C’est pas dans l’Evangile ! » 

   Sans prétendre à l’exhaustivité, je vous puis remémorer (j’écris remémorer parce que je pense que beaucoup de mes lecteurs qui, comme Frère Maximilien-Marie, ont été les contemporains de toutes ces « remises en question » et autres formes du prétendu « aggiornamento » conciliaire et de ses réformes subséquentes, les ont eux aussi entendu) certaines de ces assertions, souvent bien hasardeuses, avec lesquelles les fidèles ont été véritablement méprisés par ces évêques, prêtres ou religieux, qui faisaient table rase du passé et prétendaient imposer un « nouveau style » à l’Eglise, aux églises, à l’enseignement religieux, aux célébrations liturgiques ou pratiques dévotionnelles.
Ainsi, voici quelques uns de ces propos d’ecclésiastiques (je n’invente pas, tout est rigoureusement exact) entendus par notre Frère pendant son adolescence lorsqu’il parlait avec eux et leur exprimait des réticences ou son désaccord concernant leurs façons de faire qui évacuaient les usages hérités de siècles de Tradition :

- La soutane (ou l’habit religieux) : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- La messe célébrée en latin : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- L’agenouillement : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- Le célibat sacerdotal : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- La réception de la sainte communion sur les lèvres : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- Les statues des saints dans les églises : « C’est pas dans l’Evangile ! »
- Les bénédictions d’objets : « C’est pas dans l’Evangile ! »
… etc. … etc.

   Outre le fait qu’il est assez affligeant que des clercs, qui ont en principe un minimum d’éducation humaine, s’autorisent à mutiler notre belle langue française en omettant une partie de la négation, je vous dirai tout de go que cette prétendue argumentation est absolument idiote : en réalité elle ne prouve rien du tout. Ou, à la limite, c’est la seule crétinerie de ceux qui y ont recours ainsi que l’indigence de leur capacité de raisonnement et leur inculture, dont elle est l’unique attestation.
D’abord parce qu’il n’est ni exact ni conforme à la justice de se servir de l’Evangile à sa convenance pour justifier des comportements abusifs ; et ensuite parce que beaucoup de ces points sur lesquels les modernichons et progressouillards ont exercé leur fureur destructrice, même s’ils ne sont pas écrits de manière primaire et immédiate dans la lettre de l’Evangile, y trouvent toutefois, en réalité, leur source et leur justification.

   Depuis ces ténébreuses années postconciliaires, un certain nombre de « laïcs engagés » se sont eux aussi engouffrés dans la stupidité de cette fausse argumentation.
Mon papa-moine, ces dernières années encore, à l’occasion de quelques rencontres avec certains d’entre eux, s’est vu opposer, comme par les prêtres des années 70 du précédent siècle, les mêmes contestations éculées des usages et des formes traditionnels par ce « c’est pas dans l’Evangile ! »

   Je compte bien revenir, à l’occasion de prochaines publications, sur la manière raisonnable et  doctrinale de répondre à cette hérésie inspirée par les égarements des prétendus réformateurs (Lutin et Calver, comme aime à dire malicieusement Frère Maximilien-Marie en feignant un lapsus), mais la plupart du temps – me faisait encore remarquer mon papa-moine -, ceux qui vous « balancent » cette objection à la tête ne donnent pas l’impression d’être « les couteaux les plus affutés du tiroir », pour reprendre une image qui m’amuse beaucoup.

   Ce « c’est pas dans l’Evangile » n’est, de fait, même pas un argument de bon sens populaire tel qu’on en peut entendre dans les conversations devant le zinc du « Café du commerce ».

   Pourtant, bien souvent, plutôt que de se lancer dans une discussion faisant appel aux explications raisonnées et pleines de sagesse héritées de la Tradition, mais auxquelles ce type d’interlocuteur est devenu totalement imperméable, est-il en définitive tout aussi judicieux et efficace de répondre dans le même registre…
Vous voulez jouer au « Cépadanlévangile » ? Alors allons-y :

- Les « équipes d’animation pastorale » : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les « équipes liturgiques » qui imposent aux prêtres telle ou telle manière de célébrer : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les paroissiennes qui tutoient les prêtres et les appellent par leurs prénoms : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les bénévoles de la permanence au secrétariat paroissial qui font barrage aux personnes qui désirent rencontrer un prêtre pour un entretien personnel ou une confession : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les « dames caté » qui refusent d’enseigner aux enfants les prières usuelles et les commandements de Dieu et de l’Eglise : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les laïcs de la « pastorale des funérailles » qui s’opposent à ce qu’un prêtre accompagne un défunt au cimetière pour y diriger les prières traditionnelles de l’inhumation : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les cantiques (ou prétendus tels) cucul-la-praline aux musiques débiles et aux paroles indigentes : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- L’exclusion des paroisses de la Sainte Messe latine traditionnelle et le rejet des fidèles qui la demandent : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Le refus de donner la sainte communion sur la langue aux fidèles qui ne tendent pas les mains : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Le militantisme de type marxiste favorisant l’invasion de la Chrétienté par des païens venus de loin, à la place de la charité envers le vrai prochain : Ce n’est pas dans l’Evangile !
- Les vertus chrétiennes remplacées par l’humanisme de type maçonnique : Ce n’est pas dans l’Evangile !
… etc. … etc.

   Là encore, la liste est très loin d’être complète de ce que l’on peut – encore de nos jours – entendre ou voir dans les paroisses ordinaires de nos provinces et de nos campagnes, jadis profondément chrétiennes mais aujourd’hui sinistrées par le modernisme et par les pratiques décadentes de soixante années de progressisme.

   Bien chers Amis, il ne faut pas se laisser intimider par l’outrecuidance et la morgue de ces clercs ou de ces laïcs qui continuent le travail de sape et de ruine spirituelle et doctrinale de ce qui subsiste encore de la Chrétienté, car laisser agir la main, le pied ou l’œil qui scandalisent au point d’entraîner vers la perdition, sans qu’on les arrache et les rejette loin de soi (cf. Matth. XVIII, 8-9) : Ce n’est pas dans l’Evangile !!!

pattes de chat  Tolbiac.

missel et colombe - vignette

2024-155. Leçons du deuxième nocturne des matines pour la fête de Saint Jacques le Majeur.

25 juillet,
Fête de Saint Jacques le Majeur, apôtre ;
Mémoire de Saint Christophe, martyr ;
Anniversaire de l’abjuration d’Henri IV (25 juillet 1593 – cf. > ici) ;
Anniversaire de la mort de Louis-Célestin Sapinaud, chevalier de La Verrie (+ 25 juillet 1793).

       Vous trouverez ci-dessous la traduction des leçons (c’est-à-dire des lectures) du deuxième nocturne des matines de la fête de l’apôtre Saint Jacques le Majeur, telles qu’on les trouve dans le Bréviaire romain traditionnel : il faut se souvenir que les leçons du deuxième nocturne des fêtes des saints sont dites hagiographiques parce qu’elles rappellent un résumé de la vie de celui dont on célèbre la fête, résumé qui constitue, pour la Sainte Eglise catholique, une sorte de « version officielle » de sa biographie authentifiée par la Tradition.

Atelier de Georges de La Tour - Saint Jacques le Majeur

Saint Jacques le Majeur (atelier de Georges de la Tour, vers 1640 – collection privée)

Quatrième leçon :

   Jacques, fils de Zébédée et frère de l’Apôtre Jean, était Galiléen. Appelé, ainsi que son frère, à prendre rang parmi les premiers Apôtres, il quitta son père et ses filets et suivit le Seigneur.
Jacques et Jean furent appelés par Jésus Lui-même Boanergès, c’est-à-dire « fils du tonnerre ». Jacques fut l’un des trois Apôtres que le Sauveur aima le plus, qu’Il choisit pour témoins de Sa transfiguration, et de la résurrection de la fille du chef de la synagogue, et qui L’accompagnèrent le jour où Il Se retira sur le mont des Oliviers pour y prier Son Père, quelques heures avant de tomber aux mains des Juifs.

Georges de la Tour - Saint Jacques le Majeur

Georges de la Tour (1593-1652) : Saint Jacques le Majeur (collection privée)

Cinquième leçon :

   Après l’Ascension de Jésus-Christ au ciel, Jacques prêcha Sa divinité dans la Judée et la Samarie, et détermina beaucoup d’hommes à embrasser la foi chrétienne.
Il partit bientôt pour l’Espagne, et y convertit quelques personnes au Christ. De ce nombre, il y en eut sept que Saint Pierre ordonna évêques dans la suite et qui furent envoyés les premiers en Espagne.
Jacques étant revenu à Jérusalem, le magicien Hermogène fut un de ceux auxquels il inculqua les vérités de la foi.
Comme l’Apôtre proclamait librement la divinité de Jésus-Christ, Hérode Agrippa, élevé à la royauté sous l’empereur Claude et désireux de se concilier les Juifs, le condamna à la peine capitale. Celui qui l’avait conduit au tribunal ayant vu son courage pour le martyre, déclara sur-le-champ que lui aussi était chrétien.

Saint Jacques le Majeur, conduit au supplice, guérit un paralytique et embrasse son accusateur

Noël Coypel (1628-1707) :
Saint Jacques le Majeur, conduit au supplice, guérit un paralytique et embrasse son accusateur (1661)
[musée du Louvre]

Sixième leçon :

   Tandis qu’on les emmenait au supplice, le nouveau chrétien demanda pardon à Saint Jacques : « Que la paix soit avec toi » lui répondit celui-ci en l’embrassant. Ils furent tous deux frappés de la hache ; l’Apôtre avait, un moment auparavant, guéri un paralytique.
Le corps du Saint a été plus tard transporté à Compostelle, où son culte est en très grand honneur, et où se rassemblent des pèlerins amenés de tous les points du monde par leur piété et leurs vœux.
Pour célébrer la mémoire de la naissance du saint Apôtre à la vie du ciel, l’Eglise a pris le jour qui est celui de la translation de son corps ; car c’est aux environs de la fête de Pâques, que, le premier d’entre les Apôtres, il a rendu témoignage à Jésus-Christ par l’effusion de son sang, dans la ville de Jérusalem.

Tombe de l'apôtre Saint Jacques - cathédrale Saint-Jacques de Compostelle

Tombe de l’Apôtre Saint Jacques le Majeur
(cathédrale Saint-Jacques, Compostelle)

2024-154. De Saint Jean Cassien, choisi par Dieu pour apporter en Occident l’illumination du monachisme oriental.

23 juillet,
Fête de Saint Jean Cassien, abbé et confesseur, Père de l’Eglise ;
Mémoire de Saint Apollinaire de Ravenne, évêque et martyr ;
Mémoire de Saint Liboire du Mans, évêque et confesseur.

Saint Jean Cassien - icône russe vers 1800

Saint Jean Cassien
(icône russe, vers 1800)

       Les moines byzantins l’appellent « notre père Cassien, choisi par Dieu pour apporter en Occident l’illumination du monachisme oriental ». Mais,  malheureusement, aujourd’hui en Occident, en dehors des milieux monastiques sérieux, où ses écrits sont toujours étudiés et médités comme des textes de référence, et en dehors de Marseille, où son tombeau et ses reliques sont vénérés à l’abbaye Saint-Victor qu’il a fondée, Saint Jean Cassien n’est pas assez connu, prié et suivi.

   Ce défaut de popularité de Saint Jean Cassien chez les Latins s’explique en partie par les polémiques et controverses sur la grâce qui, à la fin du IVème siècle et au Vème siècle, ont divisé – parfois de manière assez virulente – la Sainte Eglise et – hélas ! – contribué à creuser le fossé entre Rome et Constantinople.
En évoquant la figure de Saint Prosper d’Aquitaine (cf. > ici), nous avons évoqué ces luttes doctrinales, conséquentes aux erreurs répandues par le moine Pélage, que nous ne détaillerons pas davantage ici. Nous dirons seulement que certains disciples de Saint Augustin, tout comme certains disciples de Saint Jean Cassien - lequel, au chapitre XIII de ses conférences, mettait en garde contre certains excès de la doctrine augustinienne, ou plus exactement contre les durcissements de la doctrine du grand Docteur d’Hippone opérés par certains de ses disciples -, par leur manque de nuances et – souvent aussi – d’esprit surnaturel et de charité, n’ont pas toujours œuvré pour quelque chose de constructif ni pour l’apaisement, alors que, cependant, disciples de Saint Augustin et disciples de Saint Jean Cassien (et de Saint Vincent de Lérins) combattaient tous le pélagianisme !

   C’est une tendance en effet de beaucoup de disciples, qui, malgré leur bonne volonté, n’ont pas les mêmes envergure, largeur et profondeur de pensée que celui dont ils se réclament, de bien souvent interpréter et diffuser sans les nuances nécessaires les enseignements du maître sur l’autorité duquel ils se fondent : en ce qui concerne ces controverses sur la grâce, cela se reproduira au XVIIème siècle avec les jansénistes qui prétendaient s’appuyer sur Saint Augustin, et sur d’autres sujets on le constate aussi chez certains thomistes dont la raideur et l’étroitesse d’esprit caricaturent, plus qu’ils ne les servent, les enseignements de l’Aquinate. 

Châsse de Saint Jean Cassien - abbaye Saint-Victor

Châsse du chef de Saint Jean Cassien
(Marseille, abbatiale Saint-Victor)

   Saint Jean Cassien, selon l’opinion la plus répandue parce que la plus vraisemblable, naquit vers 360, en Scythie, c’est-à-dire dans la région des bouches du Danube, dans l’actuelle province de Dobrodgea (Roumanie).
Certains toutefois le feraient naître en Provence et d’autres en Arménie.
Il était issu d’une famille chrétienne probablement assez aisée, parce qu’il a reçu une excellente éducation classique et parlait bien le grec et le latin.
Certains savants, remarquant que le nom de Kassianos (latin : Cassianus, et pour nous Cassien) se retrouve assez fréquemment dans l’épigraphie de la région des bouches du Danube, ont suggéré que c’était son nom de baptême, et qu’il y aurait ajouté plus tard celui de Jean, en référence à Saint Jean Chrysostome dont il fut un proche et fervent disciple.

   Assoiffé de perfection, vers l’âge de 20 ans, accompagné de Germain, son ami d’enfance et compatriote (qui l’accompagna une grande partie de sa vie), il se rendit en Terre Sainte et entra dans un monastère à Bethléem.
Après avoir vécu la vie monastique palestinienne pendant plusieurs années, désireux de mieux connaître les traditions du monachisme primitif sur les lieux mêmes où il avait éclos et s’était développé, toujours accompagné de Germain, vers 390, il fut autorisé à aller visiter les Pères du Désert en Égypte.
Ils demeurèrent plusieurs années au désert de Scété, fondé par Saint Macaire, allant nu-pieds comme les moines du pays, pauvrement vêtus et vivant du travail de leurs mains. Ils y furent initiés à la vie contemplative et au combat ascétique contre les passions, et ils recueillirent tout l’enseignement de ces Pères du désert, au contact du saint Abbé Moïse, de Saint Paphnuce et d’autres pères renommés : Sérapion, Théonas et Isaac… etc.

   Ces longues années d’ascèse et de contemplation furent des années de luttes spirituelles intenses : expérience personnelle précieuse et irremplaçable grâce à laquelle Saint Jean Cassien, divinement inspiré, a développé une doctrine du combat spirituel qu’il sera ensuite capable de synthétiser et de transmettre.
Quelques commentateurs de son œuvre affirment qu’il est le premier a avoir défini les huit passions principales : gourmandise, fornication, cupidité, colère, tristesse, acédie, vaine gloire et fierté.

Saint Jean Chrysostome fustigeant les scandales de la cour devant l'impératrice Eudoxie - Joseph Wencker

Saint Jean Chrysostome fustigeant les scandales de la cour impériale devant l’impératrice Eudoxie
(tableau de Joseph Wencker, au musée Crozatier – le Puy-en-Velay)

   Mais c’était aussi un temps où, dans l’Eglise d’Alexandrie, les luttes doctrinales autour de l’héritage d’Origène entrainèrent l’expulsion des moines qualifiés d’ « origénistes ».
Cassien, toujours accompagné de son ami Germain, dut quitter l’Egypte et, vers 399, ils vinrent à Constantinople et se placèrent sous la direction spirituelle du grand et saint archevêque Jean Chrysostome.
C’est par ce dernier que Jean Cassien fut ordonné diacre au service de l’Eglise constantinopolitaine (très probablement en 400) : il semblerait qu’il y fut commis à la garde du trésor de la cathédrale.
Fervent disciple et défenseur de Saint Jean Chrysostome, il dut fuir lorsque, en 403, le saint archevêque persécuté fut déposé par un concile impie, et exilé.

   Cassien partit alors pour Rome où il alla plaider la cause de Saint Jean Chrysostome auprès du pape Innocent 1er (mais en vain, parce que ledit pontife n’avait pas vraiment de pouvoir sur les affaires de Constantinople, rendues très compliquées par les ingérences impériales).
A partir de ce moment, Saint Jean Cassien ne quittera plus l’Occident : c’était providentiel pour le christianisme occidental, puisque Saint Jean Cassien lui apporta les trésors de la spiritualité du désert.

   Il reste à Rome pendant une dizaine d’années, protégé du pape Innocent 1er (+ 12 mars 417) : au cours de ce séjour, il devient ami – et même conseiller – du jeune Léon, futur Saint Léon 1er le Grand (mais qui n’était alors pas encore archidiacre de Rome). Pour certains historiens, c’est à Rome qu’il a été ordonné prêtre, tandis que pour d’autres ce sera seulement à Marseille.

   Car, quittant Rome, Jean vint s’établir à Marseille, où, en 414 ou 415, encouragé par l’évêque du lieu, il fonda deux monastères :
- un pour les hommes, au-dessus des grottes où étaient conservées les reliques de Saint Lazare le ressuscité, fondateur de la Chrétienté massaliote, et de Saint Victor, martyr ;
- et un pour les femmes, sous le vocable du Saint-Sauveur.

Marseille abbaye Saint-Victor - gravure ancienne montrant des bâtiments aujourd'hui détruits

Marseille, l’abbaye Saint-Victor au XVIIIème siècle
(cette gravure montre des bâtiments aujourd’hui détruits)

   En ascète éprouvé et en père plein de sage discernement, Jean Cassien aménagea, pour ses nombreux moines (on rapporte qu’ils furent rapidement 5000 !) et moniales, l’authentique tradition qu’il avait reçue et expérimentée en Orient, tout en tenant compte des conditions propres à la Gaule, de son climat et du caractère de ses habitants.
C’est ce qui l’amena à rédiger plusieurs ouvrages dans un style clair et persuasif :

  • « Les Institutions Cénobitiques », en douze livres : les quatre premiers décrivent la manière de vivre des moines d’Egypte, l’austérité de leur mise vestimentaire, de leur nourriture et de leurs exercices ascétiques ; mais Saint Jean Cassien en modère la rigueur pour l’adapter à la vie des moines gaulois, car les austérités extraordinaires des moines orientaux n’étaient pas praticables en Occident. Il traite dans les huit derniers livres des huit passions fondamentales, en indique les remèdes, et explique les vertus à leur opposer.
  • « Les Conférences », dans lesquelles il expose, à l’intention des ermites qui vivaient en Provence, et notamment à Lérins, les étapes supérieures du combat pour la pureté du cœur et la contemplation.

    Au siècle suivant, Saint Benoît reprendra et citera dans sa Règle les « Institutions », et stipulera que les « Conférences » soient lues dans tous ses monastères (Règle 42,3), et plus tard encore ses écrits constitueront la nourriture spirituelle, entre autres, d’un Saint Thomas d’Aquin et d’un Saint Ignace de Loyola.

   Saint Jean Cassien a insisté sur l’origine apostolique de la vie monastique, fondée sur la pratique de l’Eglise telle qu’elle nous est présentée dans les Actes des Apôtres. Il affirme la supériorité théorique de la vie érémitique, mais préfère dissuader quiconque n’est pas convenablement formé pour l’entreprendre.

Sarcophage de Saint Jean Cassien à l'abbaye Saint-Victor

Sarcophage de Saint Jean Cassien
dans les cryptes de l’abbatiale Saint-Victor à Marseille

   Il y a un troisième ouvrage important qui a été rédigé par Saint Jean Cassien, mais il ne traite pas de la vie monastique : c’est le « Traité de l’Incarnation contre Nestorius » (De incarnatione Domini contra Nestorium), ouvrage théologique qui lui a été commandé par l’archidiacre du pape Célestin 1er, Léon, futur pape Saint Léon 1er le Grand, qui, plus tard, se servira de ce traité pour écrire son « Tome à Flavien », qui fut applaudi au concile de Chalcédoine.
Ainsi donc, indirectement, à travers Saint Léon le Grand, c’est Saint Jean Cassien que les Pères du concile de Chalcédoine ont applaudi !
Saint Jean Cassien, dans ce ouvrage rigoureux a analysé toutes les idées de Nestorius, les a démontées l’une après l’autre de manière méthodique, en s’appuyant sur un « dossier patristique » où il a cité toute une série de Pères contemporains ou antérieurs, prouvant au passage sa large et solide culture théologique et patristique.

   Saint Jean Cassien s’endormit dans la paix de son Seigneur en 435, selon la date la plus communément reçue, ou bien en 440 ou encore 458, selon d’autres historiens. On a des témoignages montrant que dès 470 il était honoré comme un saint, et ce qui subsiste de ses reliques se trouve principalement à l’abbaye Saint-Victor, ainsi que nous l’écrivions en commençant.
Le Martyrologe des Gaules le mentionne à la date du 23 juillet, tandis que l’Orthodoxie célèbre sa fête le 29 février.

Reliques de Saint Jean Cassien à l'abbaye Saint-Victor à Marseille

Litanies de Sainte Marie-Magdeleine.

Reliquaire du "chef" de Sainte Marie-Magdeleine dans la crypte de la basilique royale de Saint-Maximin

Basilique royale de Saint-Maximin :
reliquaire du Chef de Sainte Marie-Magdeleine

Vignette Sacré-Cœur - blogue

   Dans les anciens livres de piété, on peut trouver plusieurs sortes de litanies en l’honneur de Sainte Marie-Magdeleine, celles qui suivent ont eu notre préférence parce qu’elles nous ont paru les plus complètes.

Litanies de Sainte Marie-Magdeleine

Seigneur, ayez pitié de nous.
Christ, ayez pitié de nous.
Seigneur, ayez pitié de nous.

Jésus-Christ, écoutez-nous.
Jésus-Christ, exaucez-nous.

Père Céleste, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Fils, Rédempteur du monde, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Esprit Saint, qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Trinité Sainte, qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous. 

Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, modèle de pénitence, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez sacrifié à Jésus de riches parfums, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, à laquelle beaucoup de péchés ont été remis, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, diamant sorti de la fange pour être rendu à la Lumière, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, réceptacle de la miséricorde, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, en laquelle éclate la gloire du salut, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, perle étincelante, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, lumière pour les pauvres pécheurs, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, embrasée des ardeurs de la divine charité, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, très chère au Cœur de Jésus, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez choisi la meilleur part, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez obtenu la résurrection de votre frère Lazare, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui êtes restée fidèle quand tous abandonnait Jésus, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui vous êtes tenue auprès du Christ en Croix, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, qui, avec la Vierge Marie, avez reçu le corps du divin Crucifié, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez participé à Son ensevelissement, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui êtes demeurée en face du tombeau scellé pour veiller et méditer, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, qui, la première d’entre les disciples, avez mérité de voir le Christ ressuscité, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, apôtre des apôtres, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, objet de la vindicte des ennemis du Christ, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, conduite miraculeusement aux rives de Provence, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez secondé l’apostolat de votre frère Lazare, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez été appelée à la bienheureuse solitude, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez vécu de nombreuses années dans la pénitence et la réparation, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, élevée aux sommets de la contemplation, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, associée dès ici-bas à la louange des anges, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, incomparable épouse du Roi de Gloire, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, qui avez expiré dans un acte de pur amour, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, au tombeau de laquelle princes et rois sont venus s’incliner, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, que tant de saints sont venus vénérer et supplier, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, céleste patronne de la Provence, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, protectrice de la France, priez pour nous.

Sainte Marie-Magdeleine, douce avocate pour ceux qui se recommandent à vous, priez pour nous.
Sainte Marie-Magdeleine, que l’on invoque jamais en vain, priez pour nous.

Afin que nous nous détournions des voies du péché, priez pour nous.
Afin que nous soyons éclairés quand les ténèbres nous environnent, priez pour nous.
Afin que nous nous repentions lorsque nous avons péché, priez pour nous.
Afin que nous nous relevions promptement lorsque nous sommes tombés, priez pour nous.
Afin que nous nous humilions pour être pardonnés, priez pour nous.
Afin que nous ne désespérions jamais de la miséricorde de Dieu, priez pour nous.
Afin que le précieux don des larmes nous soit accordé, priez pour nous.
Afin que le ferme propos soit enraciné en nos âmes, priez pour nous.
Afin que la pénitence nous soit une joie, priez pour nous.
Afin que l’esprit de réparation anime nos cœurs, priez pour nous.
Afin qu’il nous soit beaucoup pardonné en aimant toujours davantage, priez pour nous.
Afin que nous ne fuyons pas lorsque se présente la Croix, priez pour nous.
Afin que nous demeurions fidèles dans les épreuves, priez pour nous.
Afin que nous sachions veiller et prier ainsi que Jésus nous l’a commandé, priez pour nous.
Afin que nous sachions nous tenir silencieux et attentifs aux paroles du Seigneur, priez pour nous.
Afin que nous apprenions de votre exemple les voies de la contemplation, priez pour nous.
Afin que nous soyons à tout moment attentifs à la sainte présence de Dieu, priez pour nous.
Afin que nous ayons la grâce de recevoir les derniers sacrements avant de trépasser, priez pour nous.
Afin que nous expirions dans la persévérance et l’amour, priez pour nous.
Afin que vous nous accueilliez un jour au royaume de Paradis, priez pour nous.

Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous, Seigneur.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, exaucez-nous, Seigneur.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous, Seigneur. 

V./ : Priez pour nous, ô Sainte Marie-Magdeleine,
R./ : Afin que nous soyons rendus dignes des promesses de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Prions :

   Nous Vous en supplions, Père très Miséricordieux, répandez largement sur nous Vos Dons, pour que par l’intercession de la bienheureuse Marie-Magdeleine, qui en aimant Notre-Seigneur Jésus-Christ par dessus tout a obtenu le pardon de ses péchés et d’accéder aux plus hautes cimes de la sainteté, nous obtenions nous aussi de Votre Miséricorde l’éternelle béatitude. Par Jésus, le Christ, Notre-Seigneur.

Ainsi soit-il.

Le ravissement de Sainte Marie-Magdeleine - Paris église de la Madeleine

Le ravissement de Sainte Marie-Magdeleine
groupe sculpté de Carlo Marochetti (1805-1867)
ornant le maître-autel de l’église Sainte-Marie-Magdeleine, dite « la Madeleine », à Paris

2024-152. De la sainte montagne du Carmel et de la vision prophétique de Saint Elie annonçant la Très Sainte Vierge, ses vertus et ses prérogatives.

16 juillet,
Fête de Notre-Dame du Mont Carmel (cf. > ici) ;
Anniversaire de la mort de Dom Augustin de Lestrange (16 juillet 1827).

Notre-Dame du Mont-Carmel

Notre-Dame du Mont-Carmel

       « [...] Le Carmel est une montagne assise en Palestine, dans le partage de la tribu d’Issachar, ayant les monts de Nazareth au levant, et la mer Méditerranée au couchant. L’Ecriture Sainte en parle toujours comme d’un lieu souverainement fertile et agréable.
Nabal, mari d’Abigaïl, laquelle fut depuis femme de David, n’était riche que par les belles terres et les excellent pâturages qu’il y possédait. Quand l’Epoux du Cantique des cantiques veut relever les grâces de son Epouse, il lui dit que sa tête est florissante comme le Carmel : Caput tuum ut Carmelus. Et quand le prophète Isaïe nous veut représenter avec de vives couleurs l’éclat et la majesté du Messie qu’il voyait en esprit, comme s’il eût déjà été dans le monde, il nous assure que « la gloire du Liban lui a été donnée », et qu’on l’a revêtu des beautés du Carmel et de Saron : Gloria Libani data est ei, decor Carmeli et Saron.
Au contraire lorsque les prophètes nous veulent faire paraître une grande désolation et un dégât universel, ils disent que le Carmel a été changé en désert, que ses arbres, qui avaient coutume d’être toujours verts, se sont desséchés ; que la joie et les divertissements en ont été bannis, et que, tout ferme et immobile qu’il paraisse, il a été secoué et ébranlé.

Paysage du Mont Carmel

Paysage du Mont-Carmel

   Sur cette montagne, le prophète Elie, remporta, contre les 850 prêtres de l’idole de Baal, l’illustre victoire si admirablement décrite au troisième Livre des Rois, chapitre XVIII. Sur cette montagne, un de ses disciples, qu’il envoya sept fois vers la mer, vit à la septième fois une nuée mystérieuse se fondre en pluie et changer en une heureuse fertilité la stérilité des campagnes, qui avait duré trois ans et demi, pour punir les crimes d’Achab et de Jézabel. Plus tard, ce divin prophète y établit sa demeure, avec le grand Elisée, le premier et le plus célèbre de tous ses enfants spirituels, et y assembla une compagnie de saints personnages, qui furent appelés les Enfants des Prophètes ; il leur prescrivit certaines règles d’abstinence, de jeûnes, de prières et autres exercices de piété, qui les distinguaient du commun des Juifs.

Gustave Doré - le prophète Elie fait périr les prophètes de Baal

Gustave Doré : le prophète Elie fait périr les prêtres et prophètes de Baal

   Plusieurs auteurs ont écrit que ces religieux de l’Ancien Testament se sont perpétués jusqu’au temps de la venue du Sauveur, autant que la longue domination des rois de Babylone, de Perse, de Syrie, d’Egypte, et les guerres des princes Ammonites le leur pouvaient permettre; que Notre-Seigneur, la Sainte Vierge et Saint Jean-Baptiste les y honorèrent de leur visite ; qu’après la Passion et la Résurrection du Fils de Dieu, quelques uns des nouveaux chrétiens s’y retirèrent aussi et y continuèrent la vie solitaire de ces illustres disciples d’Elie et Elisée, et qu’enfin, dans tout le temps qui s’est écoulé depuis l’établissement de la religion chrétienne jusqu’à Berthold, premier général latin de l’Ordre des Carmes, c’est-à-dire jusqu’au XIIème siècle, cette sainte montagne a toujours été habitée par quelques ermites, qui, demeurant dans les cavernes qui y sont en grand nombre, ou en des cellules qu’ils bâtissaient de terre et de branches d’arbres, y ont conservé l’esprit de religion que les anciens prophètes, et ensuite ces premiers chrétiens y avaient établi.
Ils en interfèrent que l’institut de Notre-Dame du Mont-Carmel a le grand Elie pour chef et premier fondateur, et qu’ils n’embrasse  pas seulement les dix-huit siècles de la loi de la grâce, qui se sont écoulés jusqu’à nos jours, mais aussi près de neuf siècles de la loi écrite, savoir depuis Elie jusqu’à la naissance du Sauveur du monde.

Statue de Saint Elie fondateur de l'Ordre des Carmes - basilique Saint-Pierre au Vatican

Le Saint Prophète Elie
explicitement nommé comme fondateur de l’Ordre des Carmes
statue dans la basilique vaticane

   Cette succession, sans interruption notable, a été combattue par d’autres célèbres auteurs, principalement par Baronius (en l’année 444 de ses Annales) ; mais les preuves sur lesquelles elle est établie, quoiqu’elles ne soient pas tout-à-fait convaincantes, sont néanmoins fort vraisemblables : un grand nombre de papes, de cardinaux, d’évêques l’ont autorisée, en approuvant les offices ecclésiastiques où elle est rapportée ; Sainte Madeleine de Pazzi, Sainte Thérèse, le Bienheureux Jean de la Croix et beaucoup d’autres saints et saintes de cet Ordre, à qui Dieu a révélé de grands secrets, n’en ont jamais douté : ils ont, au contraire,  fondé plusieurs de leurs dévotions sur cette tradition ; nous ne faisons pas non plus difficulté d’y souscrire ; nous sommes persuadé que Dieu a donné, dans tous les âges du monde, une inclination pour la vie retirée et solitaire, qui, en séparant les hommes du commerce du monde, les rend intérieurs et spirituels et les fait approcher de la pureté des anges ; et que les déserts du Mont-Carmel et des environs étant des lieux fort propres à cette vie, il y a bien de l’apparence qu’après le séjour des Prophètes, ils n’ont guère été sans quelques saints habitants qui aient voulu être les héritiers de leurs cellules aussi bien que de leur zèle.

Notre-Dame du Mont-Carmel monastère stella Maris - blogue

Statue de Notre-Dame du Mont-Carmel
au monastère Stella Maris, à Haïfa, sur les pentes du Mont Carmel
au-dessus de la grotte du prophète Elie

   Beaucoup de raisons ont fait donner à la Sainte Vierge le surnom de cette montagne sainte : ces raisons se trouvent marquées en ce jour dans les leçons de son office. La première est qu’elle y a été figurée, reconnue et honorée dès le temps des anciens Prophètes, et près de neuf cents ans avant sa naissance.
En effet on ne peut douter que la nuée que le prophète Elie aperçut en ce lieu  après son disciple, et qu’il avait lui-même attirée par la sainte opportunité de ses prières, ne fût le symbole et la figure de cette auguste Mère de Dieu.
L’Ecriture dit qu’elle était comme la trace du pied d’un homme ; que, sortant de la mer, elle s’éleva au milieu de l’air, et que, s’étant ensuite répandue de tous les côtés, elle donna une pluie abondante qui délivra la terre de la sécheresse et de la stérilité dont elle était affligée. Nous avons, dans cette description, une image des vertus et des prérogatives de Marie : elle a été comme la trace du pied d’un homme par son humilité, parce que, comme dit Saint Bernard, elle s’est humiliée au-dessous de toutes les créatures. Elle s’est élevée au-dessus de la mer par sa pureté, parce qu’elle est tellement sortie du sein de notre nature corrompue par la voie d’une génération ordinaire, qu’elle n’a rien contracté de sa pesanteur ni de son amertume, et que son innocence et sa sainteté ordinaire l’ont distinguée de tous les autres enfants d’Adam. Enfin, elle a donné une pluie abondante et salutaire par sa fécondité, parce qu’elle a mis au monde Celui que les Prophètes et tout l’Ancien Testament nous avaient si souvent promis sous les noms de rosée et de pluie.

grotte d'Elie dans la basilique du monastère stella maris à Haïfa

La grotte du Saint Prophète Elie, depuis laquelle il vit la nuée miraculeuse annonçant la Vierge Marie,
aujourd’hui englobée dans la basilique du monastère Stella Maris à Haïfa

     Ce mystère ne fut pas caché au divin Elie ; Dieu lui ouvrit les yeux de l’âme pour reconnaître que cette petite nuée, qui était si salutaire au peuple d’Israël, était la figure d’une Vierge incomparable, qui devait être la source du bonheur de toutes les nations ; il en informa Saint Elisée et ses autres disciples : ce qui fit qu’ils eurent dès lors beaucoup de respect et une affection singulière pour elle. Et, certes, si les druides, parmi les Gaulois, tout païens et idolâtres qu’ils étaient, n’ont pas laissé de lui dédier un autel, longtemps avant sa naissance, avec cette inscription : Virgini pariturae, « à la Vierge qui enfantera », pourquoi douterons-nous que ces saints solitaires, qui vivaient sur le Carmel avec tant d’innocence et de pureté, et qui, outre la lumière de la foi, possédaient excellement le don de prophétie et avaient une parfaite intelligence des Saintes Ecritures, où les mérites de la glorieuse Vierge avaient déjà été marquées en divers endroits, pourquoi douterons-nous qu’ils ne se soient dévoués à son service, et ne l’aient par avance adorée et bénie comme la Mère de leur Rédempteur ?
Ainsi, nous pouvons dire qu’elle était, dès ce temps-là, la Dame et la Souveraine du Mont-Carmel, et que, cette montagne sainte lui appartenant comme son héritage, elle en pouvait légitimement porter le nom. »

Monseigneur Paul Guérin,
in « Les Petits Bollandistes » tome VIII pp. 375-377

Statue de Saint Elie dans la sainte grotte du monastère Stella Maris

Statue de Saint Elie sur l’autel érigé dans la grotte où il eut la vision de la nuée prophétisant la Vierge Marie,
dans la basilique du monastère Stella Maris à Haïfa

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