Archive pour la catégorie 'De liturgia'

2025-77. Des Bienheureux Clément d’Osimo et Augustin Novello que nous fêtons le 8 avril.

8 avril,
Fête des Bienheureux Clément d’Osimo et Augustin Novello, prêtres et confesseurs de l’Ordre des Ermites de Saint Augustin ;
En Carême, mémoire de la férie.

vignette augustinienne

Martyrologe propre des Ermites de Saint Augustin :

   « A Orvieto, le Bienheureux Clément de Saint-Elpide, vulgairement dit d’Osimo, confesseur de notre Ordre, personnage d’une grande clémence et d’une grande piété : après avoir rempli plusieurs fois avec éclat les fonctions de supérieur général, il refondit et augmenta les règles de l’Institut de Saint Augustin pour remettre en vigueur la discipline régulière, et il en est regardé comme le second fondateur ; il reposa en paix plein de jours et de vertus ».

   « A Sienne, en Toscane, le Bienheureux Augustin Novello, confesseur de notre Ordre, dont l’humilité fut si grande que, abandonnant, après deux ans, la direction générale de l’Ordre qu’il n’avait acceptée que sur l’ordre du Souverain Pontife, il se retira dans l’ermitage de Saint Léonard, où comblé de vertus, il s’endormit dans le Seigneur ».

Bienheureux Clément d'Osimo - Saint-Augustin Rome - blogue

Le Bienheureux Clément de Saint-Elpide, ou d’Osimo,
fresque de la chapelle du Saint-Sacrement
dans la basilique de Saint-Augustin au Champ de Mars, à Rome

       On ne sait ni à quelle date précise ni exactement en quelle ville de la Marche d’Ancône et né le Bienheureux Clément d’Osimo on peut simplement dire que ce fut au début du XIIIème siècle et que deux cités revendiquent d’avoir été sa patrie terrestre, Sant’Elpidio al Mare (près d’Ancône) et Osimo. A l’heure actuelle cependant, les historiens de l’Ordre inclinent plutôt à penser qu’il serait né à Sant’Elpidio et qu’il aurait passé ensuite plusieurs années à Osimo.

   On n’en sait pas davantage sur ses origines, sa famille, sa formation originelle, la maturation de sa vocation et la date exacte de son entrée dans la vie religieuse ; on n’en sait pas beaucoup plus sur sa carrière dans l’Ordre avant son élection comme Prieur général, si ce n’est qu’il appartenait originellement à une congrégation, dite des Ermites de Brettino (voir la note 1), laquelle, en 1255-1256, fusionna avec la première réunion d’Ermites augustiniens – au départ dans les provinces d’Ombrie et du Latium – qui, à partir de 1243, avaient commencé la constitution d’un Ordre religieux mendiant sous la direction du pape Innocent IV (+ 1254).

   Le 9 avril 1256, la bulle Licet Ecclesiæ Catholicæ consacra cette fusion de plusieurs anciennes communautés d’ermites vivant sous la Règle de Saint Augustin en Ordre des Ermites de Saint Augustin.
Le Père Clément d’Osimo fut rapidement remarqué parce qu’il était doté d’un remarquable bagage de culture et de spiritualité : d’abord élu provincial pour la Province d’Ancône, en 1269, il fut, en 1271, choisi par le chapitre général pour devenir Prieur général de l’Ordre.
Il occupa cette charge pendant trois années, au terme desquelles il retourna à la vie retirée dont il était épris.
Mais, en 1284, il fut réélu à l’unanimité, et reconduit en 1287 et 1290.
Il s’éteignit saintement au couvent des Augustins d’Orvieto le 8 avril 1291, quelques mois après le début de son quatrième mandat.

Orvieto - portail de l'église Saint-Augustin

Orvieto : portail de l’église du couvent des Augustins
qu’a connue me Bienheureux Clément d’Osimo et dans laquelle il fut inhumé en 1291
[actuellement cette église est transformée en espace d'exposition].

   Les historiens de l’Ordre ont souligné ses qualités dans le gouvernement : prudence, prévenance, bienveillance paternelle, sollicitude, travail inlassable. Tous s’accordent à affirmer que Clément fut indubitablement le plus grand des prieurs généraux des premiers temps de l’Ordre.
Ce n’est pas un hasard s’il lui a été confié la tâche de reformuler et de promulguer les Constitutions de l’Ordre (dites « Constitutions de Ratisbonne », parce que c’est à ce chapitre général qu’elles furent définitivement adoptées et promulguées), une œuvre monumentale à laquelle il s’est consacré inlassablement aidé de son frère d’âme et ami le Bienheureux Augustin Novello, dont il est question ci-dessous.
Outre son rôle de promoteur déterminé et efficace de l’unité de l’Ordre, par la promulgation des premières Constitutions, il prit soin d’enraciner profondément la formation des novices dans la spiritualité augustinienne, imposa une liturgie unique pour tout l’Ordre, ouvrit des maisons d’études dans les grands centres intellectuels de l’époque : Paris, Rome, Bologne, Padoue et Naples. C’est sous son priorat que commença la fondation de maisons de moniales augustiniennes.
Animé lui-même par une profonde dévotion mariale il en fit une tradition de l’Ordre.

   Ses biographes ont mentionné plusieurs miracles qu’il accomplit de son vivant (comme de l’eau changée en vin).
A ses derniers moments, assistèrent le pape Nicolas IV (pape de 1288 à 1292), qui résidait à Orvieto, ainsi que la Curie. Sa mort fut aussitôt suivie de nombreux miracles, si bien que le Souverain Pontife, affirmant qu’il était indigne que la terre de cachât un corps d’une telle sainteté, ordonna que l’on différât sa sépulture de plusieurs semaines, pendant lesquelles il ne montra aucun signe de corruption.
Il y avait même une telle foule qui se pressait pour vénérer cette dépouille mortelle que la municipalité d’Orvieto ordonna de démolir plusieurs maisons afin d’élargir la rue qui conduisait au couvent des Augustins et d’en faciliter l’accès.
Le cardinal Benedetto Caetani, qui avait le Père Clément d’Osimo pour confesseur et qui – malgré cela – devint plus tard le terrible pape Boniface VIII, a témoigné de l’exquise odeur céleste que répandait le corps du saint religieux au lieu de l’habituelle odeur de putréfaction.   

   En 1761, le pape Clément XIII confirma le culte « ab immemorabili » du Bienheureux Clément d’Osimo.
D’abord inhumé dans l’église du couvent d’Orvieto, son corps fut translaté au XVIIIème siècle dans la basilique de Saint Augustin au Champ de Mars, à Rome, puis a été transféré le 4 mai 1970 dans la chapelle de la Curie généralice de l’Ordre.

vignette augustinienne

Bienheureux Augustin Novello

Sienne : statue du Bienheureux Augustin Novello (vers 1755)
attribuée à Giuseppe Silini (1724-1814)

       Cet autre bienheureux de l’Ordre des Ermites de Saint Augustin est né vers 1240. Sa ville de naissance est incertaine : on l’appelle parfois Augustin de Tarano ou Augustin de Terranova, deux villes de la province de Rieti qui revendiquent d’être celle de sa naissance, mais il y a aussi plusieurs cités de Sicile qui le réclament pour l’un des leurs : Termini Imerese, Trapani, Taormina ou même Palerme.
Au saint baptême il avait reçu le prénom de Matteo (Matthieu). Certains auteurs prétendent qu’il était issu d’une famille noble de Catalogne, mais cela semble plus hypothétique que certain.

   Ce dont nous sommes sûrs, en revanche, c’est qu’il fit des études de droit à l’université de Bologne, où il fut reçu docteur « in utroque jure » (littéralement : « en l’un et l’autre droits », c’est-à-dire en droit canonique et en droit civil).
Il semble qu’il enseigna quelque temps, puis il fut embauché à la chancellerie du royaume de Sicile, à la cour du roi Manfred de Hohenstaufen (voir la note 2).

   Grièvement blessé lors de la bataille de Bénévent (26 février 1266) au cours de laquelle le roi Manfred fut défait et perdit la vie, Matteo avait été laissé pour mort sur le champ de bataille.
Cette « opportunité » lui permit de changer radicalement de vie car, revenu à la santé mais surtout touché par une grâce de conversion, ayant quitté la Sicile, il se présenta à l’ermitage augustinien de Sainte-Lucie, au hameau de Rosia, sur le territoire de la petite ville de Sovicille, près de Sienne, pour y mener la vie de consécration et de service d’un simple frère convers, sous le nom d’Augustin.
Il pouvait être certain que personne ne le rechercherait, puisqu’on le croyait mort, et que nulle attache humaine ne viendrait le tirer de sa thébaïde.

Ruines de l'ermitage de Sainte-Lucie à Rosia

Ruines de l’ermitage augustinien de Sainte-Lucie, au hameau de Rosia,
commune de Sovicille, près de Sienne (état actuel).

   En une occurrence où les droits du couvent furent attaqués, l’humble frère Augustin s’autorisa de faire connaître ses compétences de juriste pour se mettre au service de la défense de la communauté : c’est à cette occasion que sa véritable identité fut découverte.

   Le Prieur général de l’Ordre, qui n’était autre que le Bienheureux Clement d’Osimo, prenant conscience de ses aptitudes et de sa science, qui étaient en outre étayées par de solides vertus, le transféra à Rome, où, désormais connu sous le nom de « Agostino Novello » (nouvel Augustin), il lui fit recevoir le sacerdoce.
Peu de temps après, le pape Nicolas IV (pape de 1288 à 1292) le choisit pour confesseur et le nomma pénitencier apostolique (voir la note 3), fonction qu’il exerça pendant une dizaine d’années, puisqu’il le fut également sous les pontificats de Saint Pierre Célestin V et de Boniface VIII.
Durant la même période, il collabora à la rédaction des Constitutions de Ratisbonne de 1290.

   En mai 1298, les capitulaires réunis à Milan pour le Chapitre général de l’Ordre, bien qu’il n’y fût pas présent et sans lui demander son consentement, l’élurent Prieur général. Boniface VIII lui donna l’ordre d’accepter cette charge : le Père Augustin se soumit humblement, par pure obéissance.
Toutefois, au bout de deux ans, durant lesquels il gouverna l’Ordre avec une grande humanité et beaucoup de sagesse, il convoqua de manière anticipée, à Naples, le Chapitre général au cours duquel il résilia sa charge. Les capitulaires ne parvinrent pas à le faire changer d’avis. 

Monteriggioni près de Sienne - Ermitage Saint Léonard - état actuel

Ermitage Saint-Léonard, sur la commune de Monteriggioni, près de Sienne :
c’est là que le Bienheureux Augustin Novello passa les dernières années de sa vie (de 1300 à 1309)

   Le législateur le plus prestigieux de l’Ordre se retira dans l’ermitage de Saint-Léonard au bord du lac (San-Leonardo al Lago), à Monteriggioni, près de Sienne, « se reposant à l’ombre de la contemplation divine » comme l’a magnifiquement écrit l’un de ses biographes, il ne se consacra plus qu’à la prière et aux œuvres de charité (il soutint la fondation de l’hôpital Santa-Maria della Scala situé en face de la cathédrale de Sienne, et lui donna ses premiers statuts juridiques).

   Il mourut en 1309, âgé d’environ 69 ans, peut-être à la date du 19 mai (qui était le lundi de Pentecôte) mais ce n’est pas absolument certain).

   Comme de nombreux miracles se produisirent sur sa tombe, l’évêque de Sienne fit transférer son corps dans l’église de Saint-Augustin à Sienne.
Entre 1324 et 1328, le célèbre peintre Simone Martini (1284-1344) réalisa un retable (à la tempera sur bois) pour l’église des Augustins de Sienne représentant le Bienheureux Augustin Novello et les miracles qu’il accomplit : notre B
ienheureux y est représenté avec un ange qui lui murmure à l’oreille. Dès lors « l’ange chuchoteur » – symbole de l’inspiration divine – sera une constante dans l’iconographie du Bienheureux Augustin Novello.

Le Bienheureux Augustin Novello et l'ange chuchoteur - Simone Martini, détail du triptyque

Le Bienheureux Augustin Novello avec « l’ange chuchoteur »
détail du « Triptyque de Saint Augustin » de Simone Martini (1284-1344)
[Pinacothèque nationale de Sienne]

   En 1759, le pape Clément XIII approuva son culte immémorial, et l’inscrivit au catalogue des bienheureux.
En 1620, accédant à la demande des fidèles de Termini Imerese, en Sicile, qui assuraient qu’il était né chez eux, le Grand Duc de Toscane avait fait don à la cathédrale de cette ville des ossements de l’un des bras du Bienheureux Augustin ; puis, en 1977, ce fut le corps tout entier qui y fut translaté, et qui s’y trouve désormais, entouré d’une très grande piété populaire.

Chapelle du Bienheureux Augustin Novello dans la cathédrale de Termini Imerese en Sicile

Chapelle du Bienheureux Augustin Novello
dans la cathédrale de Termini Imerese, en Sicile :
les restes mortels du Bienheureux se trouvent enfermés à l’intérieur d’un gisant
et sont au centre d’une grand mouvement de ferveur populaire.

vignette augustinienne

Note 1 :
Les ermites de Brettino : Brettino était un endroit solitaire à environ une lieue et demi de Fano (région des Marches). Au début du XIIIème siècle, quelques hommes pieux se réunirent autour d’une petite église dédiée à saint Blaise, afin d’y mener une vie de prière et de pénitence. En 1227, cette petite congrégation reçut la protection du pape. La vie des ermites de Brettino était très austère, la pauvreté y était très rigoureuse et les jeûnes plus nombreux que ceux imposés de manière générale aux fidèles par l’Eglise. Le pape Innocent IV favorisa leur essaimage en de nouvelles fondations et les protégea des ingérences ecclésiastiques locales.
Après la réunion des différentes communautés d’ermites d’Ombrie et du Latium, en 1243, en un début d’Ordre constitué, les ermites de Brettino furent pressentis en 1255 pour rejoindre ce qui allait devenir l’Ordre des Ermites de Saint Augustin, ce qui fut accompli par la bulle pontificale du 9 avril 1256.

Note 2 :
Manfred de Hohenstaufen : né en 1232, ce fils adultérin de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen fut légitimé lorsque l’empereur, veuf, épousa sa maîtresse. Il étudia à Paris et à Bologne, fut, à la mort de son père (1250), régent de Sicile pour son frère Conrad IV puis du fils de ce dernier, à la mort duquel il s’empara du royaume de Sicile. Chef du parti gibelin, il eut de nombreux démêlés avec les Pontifes romains et fut excommunié. Les papes qui se succédèrent en ces temps troublaient étaient hostiles à la Maison de Souabe et soutenaient la Maison d’Anjou pour le trône de Sicile. Manfred fut tué à la bataille de Bénévent, le 26 février 1266, et Charles Ier d’Anjou, frère puiné de Saint Louis, devint roi de Sicile, jusqu’à son expulsion en 1282 à la suite des « Vêpres siciliennes ».

Note 3 :
Pénitencier apostolique : fondée vers 1200, la Pénitencerie apostolique est à l’origine un organisme présidé par un cardinal (le Pénitencier majeur) assisté de Pénitenciers mineurs qui reçoivent les confessions au nom du pape (et ont donc le pouvoir d’absoudre les péchés dont l’absolution est réservée au Saint Siège Apostolique). Au XIIIème siècle les Pénitenciers apostoliques étaient préposés à entendre les confessions dans les basiliques majeures à Rome et à répondre par écrit, au nom du Souverain Pontife, aux suppliques adressées à ce dernier.
La Pénitencerie apostolique a été réorganisée à plusieurs reprises depuis lors, et elle constitue aujourd’hui le premier des trois tribunaux de la Curie romaine. 

Les Bienheureux Clément d'Osimo et Augustin Novello

Composition contemporaine réunissant sur une même image les
Bienheureux Clément d’Osimo (à droite) et Augustin Novello (à gauche)

2025-76. « Nous entrons dans les jours de deuil où nous pleurons l’Epoux divin ».

Samedi de la 4ème semaine de Carême.

 Avertissement préalable :

   Nous reproduisons ci-dessous une texte de Dom Pius Parsch (1884-1954), chanoine régulier de Saint Augustin de l’abbaye de Klosterneuburg, en Basse Autriche.
La citation que nous faisons aujourd’hui ne signifie pas que nous adhérons à toutes les idées et hypothèses développées par ce Révérend Père dans le cours de son ministère : nous savons bien, en effet, que l’on trouve en germe – voire parfois mises en pratique – chez cet auteur, acteur du « mouvement liturgique » de la première moitié du XXème siècle, des théories qui exerceront une influence pernicieuse quelques décennies plus tard (cf. l’article qui lui a été consacré sur le site de la FSSPX > ici).
Néanmoins, le passage que nous publions ci-dessous est juste, et il présente un réel intérêt parce qu’il éveille les fidèles à une compréhension spirituelle authentiquement propre à leur permettre de mieux vivre le temps de la Passion : c’est cela qui importe.

Diptyque ivoire 1ère moitié du XVe siècle - Musée métropolitain de New-York - crucifixion - blogue

Diptyque d’ivoire de la première moitié du XVème siècle (France ou Pays-Bas) :
Crucifixion
[Musée métropolitain d'art de New-York]

croix et couronne d'épines - vignette

Nous entrons dans les jours de deuil

où nous pleurons l’Epoux divin

       « Au terme de la quatrième semaine du carême, avec la célébration des premières vêpres du premier dimanche de la Passion, nous entrons dans les jours de deuil où nous pleurons l’Epoux divin. L’Eglise prend ses voiles de veuve.

   Le temps de la Passion est la troisième et dernière étape de la préparation pascale : l’avant Carême, temps de la Septuagésime (voir > ici), nous faisait entrer dans les dispositions du Carême ; le Carême a été le temps de la conversion et du renouvellement de la vie spirituelle ; le temps de la Passion est spécialement consacré au souvenir des souffrances du Christ.

   Ce souvenir est exprimé de manières différentes dans la liturgie :

a) Dans l’église, les croix et les statues sont voilées. Par cet usage séculaire, l’Eglise veut manifester son deuil. Les croix ornées de pierres précieuses et de métal précieux doivent voiler leur éclat (autrefois les croix ne portaient pas l’image du crucifié) ; les images et les statues doivent disparaître pour ne pas nous distraire de la pensée de la Passion du Christ.

b) Les derniers chants joyeux cessent de se faire entendre : le « Gloria Patri » disparaît à l’Introït, au Lavabo et dans les répons de l’Office divin.

c) De même, le psaume 42 des prières au bas de l’autel n’est plus récité jusqu’à Pâques. On voit dans cette omission une expression de deuil, comme pour la messe des morts (le véritable motif, c’est que ce psaume est chanté à l’Introït et que la liturgie évite ces répétitions).

   Cependant, plus encore que par ces signes extérieurs, la liturgie exprime son deuil par son contenu même, en parlant de la Passion du Seigneur : dans les leçons des nocturnes (aux matines), nous prenons congé des livres de Moïse pour entendre la voix du Prophète Jérémie, l’une des plus importantes parmi les figures du Messie souffrant. Le thème de la Passion, qui déjà, dans les dernières semaines, était de plus en plus accentué, domine désormais seul.

   Cette transformation se remarque surtout dans les chants psalmodiques de la messe et les répons du bréviaire. On n’entend plus parler autant la communauté des pénitents et des catéchumènes ; le Christ souffrant prend lui-même la parole.

   Ce qui mérite une attention particulière, c’est l’ordinaire du temps de la Passion, c’est-à-dire les prières communes des Heures (les offices du Bréviaire), comme les hymnes, les capitules, les répons, les antiennes ; c’est dans ces morceaux que l’Eglise exprime de la manière la plus précise ses pensées sur le temps de la Passion. Elle y a rassemblé les plus beaux textes scripturaires sur la Passion du Seigneur.

   Voici les pensées principales de la semaine qui va commencer.

1) La liturgie s’entend magistralement à mêler le thème de la Passion avec celui du Baptême. On le voit surtout dans les trois messes anciennes :
Lundi : C’est encore le contraste, si goûté, entre les Ninivites (les catéchumènes) qui font pénitence et les Juifs qui veulent tuer le Christ. « Que celui qui a soif vienne à moi et boive ! »
Mercredi : C’est le jour d’examen, pour les catéchumènes, sur les commandements qu’ils ont reçus quinze jours auparavant. Les loups entourent l’Agneau de Dieu, qui, par sa mort, va donner « la vie éternelle » aux brebis. -
Vendredi : Jérémie, la figure du Christ, se lamente sur les Juifs qui ont « perfidement abandonné le Seigneur, la source d’eau vive ». « Jésus meurt pour le peuple et les enfants de Dieu dispersés, qu’il rassemble et réunit ».
Mardi : C’est encore le thème des mardis précédents : la leçon nous donne une image de l’activité de la charité. Le thème de la Passion parcourt toute la messe. -
Jeudi : C’est la dernière messe de pénitence, avec les images de la captivité de Babylone et de la Pécheresse.
Le Samedi est une vigile du dimanche des Rameaux.

2) Aujourd’hui, l’Église commence à rappeler, d’une manière plus accentuée, à ses enfants, la mort rédemptrice du Christ.
D’une manière plus accentuée. En effet, à proprement parler, le souvenir de la mort du Christ est l’objet principal du culte chrétien. Saint Paul ne dit-il pas : « Toutes les fois que vous mangerez de ce pain et boirez de ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » ? Le saint sacrifice de la messe est donc l’annonce de la mort du Christ. Toutes les fois que nous venons à la messe, nous annonçons notre foi : Le Christ est mort pour nous et le sang de son sacrifice coule encore aujourd’hui pour nos âmes, et la chair de son sacrifice est notre nourriture pour notre vie éternelle.

   D’une manière plus accentuée. En effet, pendant le Carême, le thème de la Passion s’est maintes fois fait entendre. Sans doute la liturgie diffère ici entièrement de notre piété courante. Il s’agit du combat du Christ contre l’enfer. Il lutte contre le diable pour conquérir les âmes que son Père lui a données. C’est là une des pensées principales que nous rencontrons à travers toute la sainte quarantaine.

   Examinons les trois dimanches principaux qui sont comme les piliers du Carême :
- Ier Dimanche : Le Christ et le diable, le Christ est sur la défensive ;
- IIIème Dimanche : le fort et le plus fort ; le Christ passe à l’offensive ;
- Dimanche des Rameaux : Le Christ vainqueur et Roi dans sa Passion. Songeons aussi qu’il ne s’agit pas seulement d’une bataille livrée il y a 1900 ans, cette bataille se continue dans tous les temps. Le Christ qui lutte, combat et triomphe est le Christ mystique dans son corps, l’Eglise, et dans ses membres, les chrétiens.

   Le temps de Carême est donc un « noble tournoi » dans lequel nous ne sommes pas de pieux spectateurs, mais des chevaliers qui entrent dans la lice. Dans ce sens, le Carême est donc aussi le temps où nous nous souvenons de la mort du Christ.

Diptyque ivoire de la Passion - blogue

Diptyque d’ivoire de la première moitié du XVème siècle (France ou Pays-Bas) :
[Musée métropolitain d'art de New-York]

   Aujourd’hui, nous entrons dans le temps de la Passion, nous penserons davantage aux souffrances du Christ. C’est le temps dont Jésus a dit : « Quand l’Epoux leur sera enlevé, alors ils jeûneront «  (Matth. IX, 15). Que doit donc être ce souvenir de la Passion ?

   Il importe de nous rappeler la profonde différence entre les sentiments des anciens chrétiens et ceux des chrétiens d’aujourd’hui. Comment la piété populaire pense-t-elle à la Passion du Christ ? Elle s’en tient aux souffrances historiques du Seigneur, elle essaie de se représenter d’une manière imagée les scènes particulières des « amères souffrances », elle analyse les sentiments et les pensées du Sauveur souffrant, elle a compassion et elle pleure. Elle se demande quelles vertus le Seigneur a exercées à chaque phase de sa Passion. Comment l’imiter ? Que devons-nous apprendre de lui ? C’est pour elle la question la plus importante. Elle fait enfin de la Passion le principal motif du changement de vie : « Il est mort pour moi sur la Croix et moi, je l’ai si gravement offensé ! »

   Telles sont les pensées de la piété populaire au sujet du Seigneur souffrant. 
Quelles étaient les pensées de l’antique piété chrétienne que la liturgie nous a conservée ?
Elle prenait de tout autres chemins. Sans doute, elle place, au centre, la Passion historique du Christ, mais elle ne s’y arrête pas ; elle s’attache davantage à l’idée et au but de la Passion et ne place le revêtement historique qu’au second plan. Le Christ nous a rachetés par ses souffrances, il a fait de nous des enfants de Dieu. C’est là le fait le plus heureux du christianisme.
C’est pourquoi la piété liturgique verse moins de larmes amères ; elle peut même se réjouir. Au moment qui est apparemment le plus triste de l’année, le Vendredi-Saint, quand on adore la Croix, elle va jusqu’à chanter une hymne de jubilation : « Voici que par le bois est venue la joie dans le monde entier ».
C’est pourquoi la liturgie ne parle pas volontiers des souffrances amères, mais de la Beata Passio, de la Passion heureuse ou qui rend heureux…
Elle voit moins le côté humain que le but de la Passion, notre salut. C’est pourquoi l’art chrétien antique ne s’est guère occupé de l’aspect douloureux, mais a exprimé surtout les pensées de la Rédemption.
Depuis le Moyen-Age, on représente de préférence Jésus attaché à la colonne de la flagellation ou bien cloué sur la Croix, le corps tordu par les angoisses de la mort. Il n’en était pas de même dans l’Eglise ancienne : on élevait la Croix comme un signe de victoire et de Rédemption. C’était la crux gemmata, la croix de métal précieux, ornée de pierreries.
Cette Croix ne portait pas de crucifix. Ces deux croix sont justement devenues les symboles des deux conceptions de la Passion et des deux types de piété.

   Quand nous entrons aujourd’hui dans l’Eglise, nous voyons la Croix voilée. Nous cherchons en vain quel peut être le motif de cette manière de faire. Pourquoi, au moment même où l’on pense davantage à la mort du Christ, doit-on voiler l’image de la Croix ?
On comprendrait mieux le procédé contraire : la Croix voilée pendant le reste de l’année et découverte au temps de la Passion. Or ce que nous faisons maintenant sans le comprendre est un écho de l’antique piété. Quand la Croix était encore sans crucifix et brillait d’or et de pierres précieuses, il convenait d’en voiler l’éclat à l’époque où l’Epoux est enlevé. L’Eglise revêt ses voiles de veuve. Et c’est là un souvenir plus délicat de la Passion que l’image d’un corps torturé et suspendu à la Croix.
En tout cas, la première conception correspond mieux à la noble attitude des anciens.

   On le voit donc, la piété objective porte, elle aussi, le deuil de la Passion, mais d’une autre manière. Creusons encore la différence entre la piété populaire et la piété liturgique.
La première est doctrinale et sentimentale ; la seconde vise à l’action. Elle se demande moins quelles vertus et quelles doctrines doit nous enseigner la méditation de la flagellation, mais elle nous fait sentir que nous sommes les membres du corps du Christ et, dans nos épreuves terrestres, nous fait voir une participation à sa Passion.
Que dit saint Paul, le docteur de la piété objective ? « De même que les souffrances du Christ abondent en nous, de même aussi, par le Christ, abonde notre consolation » (2 Cor. I, 5). Il va même jusqu’à voir dans ses propres souffrances un complément de la Passion du Christ (Col. I, 24). C’est là une magnifique conception de la Passion. Toute la vie des chrétiens est unie au Christ ; nos souffrances et nos joies sont les souffrances et les joies du Christ.
Aujourd’hui, au moment où j’écris ces lignes, nous célébrons la fête des saintes Perpétue et Félicité et je lis dans leurs Actes : « Dans la prison, Félicité était sur le point de mettre au monde un enfant. Comme elle souffrait les douleurs de l’enfantement, un soldat lui dit en raillant : « Si tu souffres tant maintenant, que feras-tu donc quand tu seras jetée devant les bêtes sauvages ? » – « Maintenant », répondit-elle, « c’est moi qui souffre, mais alors un autre sera en moi qui souffrira pour moi, parce que, moi aussi, je dois, souffrir pour lui ».

   Saint Paul pousse ce cri de joie : « Avec le Christ je suis attaché à la Croix : aussi ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi. Tant que je vis encore dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi ».
La piété objective n’est donc pas dépourvue de sentiments, elle connaît même une puissante mystique de la Passion, parce qu’elle se sait en union avec le Christ.

   Et maintenant que devons-nous faire ? Faut-il abandonner nos méditations sur la Passion auxquelles nous sommes habitués depuis notre jeunesse, pour nous tourner vers la piété objective ? Cela n’est pas nécessaire. Approfondissons plutôt nos exercices précédents, en nous inspirant des conceptions de la Passion qu’avait la primitive Eglise. « Eprouvez tout et gardez ce qui est bon », dit l’Apôtre (1 Thess. V, 27).
Dans l’Eglise, les deux conceptions sont en usage et, par conséquent, recommandables. Mon intention était de marquer les différences, non pas pour critiquer une conception, mais pour mieux faire comprendre le point de vue liturgique.

   Lorsque, vendredi prochain, nous célébrerons la fête des Sept Douleurs de la Sainte Vierge et chanterons le beau Stabat Mater, nous nous rendrons compte immédiatement que nous sommes en face de pensées de la piété subjective. Mais quand, aujourd’hui, à la messe, nous voyons, à l’Epître, le divin Grand Prêtre, revêtu de ses ornements, entrer dans le Saint des saints du ciel avec son propre sang et accomplir la Rédemption éternelle, nous savons que la liturgie nous présente une méditation objective de la Passion.
L’Eglise est semblable au père de famille de l’Evangile qui tire de son trésor « de l’ancien et du nouveau ». Encore une fois, « examinez tout et gardez le bon ».

Dom Pius Parsch (1884-1954)
in « Le guide dans l’année liturgique »

Diptyque ivoire 1ère moitié du XVe siècle - Musée métropolitain de New-York - mise au tombeau - blogue

Diptyque d’ivoire de la première moitié du XVème siècle (France ou Pays-Bas) :
Mise au tombeau

[Musée métropolitain d'art de New-York]

2025-75. De Sainte Catherine Thomas, chanoinesse régulière de Saint Augustin à Palma de Majorque.

1er avril,
Fête de Sainte Catherine Thomas, vierge, chanoinesse de Saint Augustin ;
Fête du Bienheureux Charles 1er de Habsbourg-Lorraine, empereur et roi, confesseur ;
Au diocèse de Viviers, fête de Saint Hugues de Châteauneuf, évêque de Grenoble et confesseur ;
En Carême ou dans la semaine de la Passion, mémoire de la férie.

Martyrologe propre de l’Ordre des Ermites de Saint Augustin :

   « A Palma, dans l’île de Majorque des Baléares, la Bienheureuse Catherine Thomas, vierge, de l’Ordre des Chanoinesses Régulières de notre Père Saint Augustin, qui, comblée de mérites, s’envola vers son céleste Epoux ».

Sainte Catherine Thomas - retable dans l'église ND du Secours à Palma de Majorque

Sainte Catherine Thomas :
retable dans l’église Notre-Dame du Secours, du couvent des Augustins,
à Palma de Majorque 

       Catherine Thomas (Catalina Tomas i Gallard) est née le 1er mai 1531 dans la paroisse de Valldemossa, un village de l’île de Majorque.
Sixième des sept enfants d’une famille paysanne dont les deux parents décédèrent alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, elle fut recueillie et éduquée par ses grands-parents qui assurèrent sa première formation. Puis, à l’âge de dix ans, elle partit chez un oncle paternel, propriétaires d’un domaine où elle aidait les ouvriers agricoles et gardait le troupeau.
Sa profonde spiritualité fit croître en son âme le désir de la vie religieuse, mais ce n’était pas conforme aux projets que sa famille nourrissait pour son avenir : pendant plusieurs années, elle subit, à cause de cela, des vexations et des tribulations. Elle était soutenue par les encouragements de Saint Bruno de Cologne, de Sainte Catherine d’Alexandrie – sa sainte patronne – et de Saint Antoine le Grand qui lui apparaissaient et la réconfortaient.

   Finalement, en 1550, elle put accomplir une première étape : quitter sa famille et travailler comme domestique dans une famille aisée de Palma, chez laquelle elle put apprendre à lire et écrire avec aisance, ainsi que se perfectionner dans les voies spirituelles grâce à de bons livres spirituels.
Le 13 novembre 1552, âgée de 21 ans et demi donc, elle fut admise au couvent Sainte Marie-Madeleine de Palma, où vivait une communauté de chanoinesses régulières de Saint Augustin.

Procession avec la statue de Sainte Catherine Thomas

Procession populaire avec la statue de Sainte Catherine Thomas :
son culte est toujours très vivant à Majorque, dont elle est l’un des saints protecteurs.

   Durant toute sa vie religieuse, Mère Catherine va de plus en plus être sous l’emprise directe du divin, avec des expériences mystiques extraordinaires : apparitions d’anges, et de saints (toujours sa sainte patronne, Sainte Catherine d’Alexandrie, mais aussi Saint Antoine de Padoue et de nombreux autres), mais aussi des manifestations diaboliques, qui, à plusieurs reprises, lui occasionnèrent des blessures et des plaies physiques, guéries par l’intercession des Saints Côme et Damien.
Les extases de Mère Catherine peuvent durer plusieurs jours.

   Elle est également gratifiée du don de prophétie et supérieurement animée par le don de Conseil, si bien que de nombreuses personnes – grands personnages et pauvres – viennent au parloir pour solliciter ses avis et se faire aider de ses lumières, qu’elle communique avec humilité.
La ville de Palma tout entière finit par la considérer comme une grande sainte.

   Mère Catherine Thomas a passé les dernières années de sa vie, dans des extases quasi continues.
Elle reçoit, au cours de l’une d’elle, la prédiction de la date de sa mort, qui arriva, conformément à ce qu’elle avait annoncé, le lundi saint 5 avril 1574, dans la vingt-deuxième année de sa vie religieuse. 

Gravure de Sainte Catherine Thomas éditée après sa béatification

Gravure de Sainte Catherine Thomas éditée après sa béatification.

   Dès 1577, elle était honorée d’un culte public à Palma de Majorque, et cela dura une cinquantaine d’années, jusqu’à ce que le célèbre décret d’Urbain VIII vînt y mettre fin, au grand mécontentement des Majorquins.
Le clergé reprit alors les choses dans l’ordre voulut par le Saint-Siège, et sa béatification fut célébrée le 12 août 1792 par le pape Pie VI, qui fixa la date de sa fête au 1er avril.
Le 22 juin 1930, le pape Pie XI la canonisa.

   Les écrits de Sainte Catherine Thomas sont peu connus (et d’ailleurs assez difficiles à trouver en langue française) – malheureusement ! – : cette contemporaine du Père Louis de Léon, augustin, de Sainte Thérèse d’Avila, de Saint Jean de la Croix, de Saint Pierre d’Alcantara, est une mystique de la même trempe dont les lettres et les enseignements spirituels sont des plus profitables à ceux qui peuvent s’en nourrir.

   Son corps, intact, est présenté à la vénération des fidèles dans une châsse exposée dans l’église du couvent où elle a vécu, à Palma de Majorque.

Châsse de Sainte Catherine Thomas

Châsse dans laquelle est exposée le corps intact de Sainte Catherine Thomas
dans l’église Sainte Marie-Madeleine à Palma de Majorque.

2025-73. Marie, protectrice de la France royale.

Fête de l’Annonciation de Notre-Dame.
Célébrée 25 mars, ou bien, en cas d’occurrence avec la Semaine Sainte, le premier jour libre après l’octave de Pâques.

       Le texte qui suit constitue la lettre mensuelle du mois de mars 2025, adressée aux membres et amis de la Confrérie Royale, à l’occasion de la fête de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie.

   Il est bon de rappeler, encore une fois, que, sous l’Ancien Régime, la fête de l’Annonciation était une fête chômée au Royaume de France, et que donc l’accomplissement des tâches serviles y était rigoureusement interdit (d’où, en particulier, le miracle de l’osier sanglant – cf. > ici -, le 25 mars 1649, en Dauphiné, pour donner une leçon mémorable à ce huguenot fanatique qui travaillait ce jour-là nonobstant l’interdiction légale).
Sanctifions donc du mieux que nous le pouvons sous ce régime de prétendue laïcité qui n’est en réalité que le règne de l’impiété, cette fête si chère aux âmes fidèles.

Annonciation - Philippe de Champaigne 1644

Philippe de Champaigne (1602-1674) : Annonciation (1644)
[Musée métropolitain d'Art, New-York]

fleur de lys gif2

Marie, protectrice de la France royale

            En cette fête de l’Annonciation, nous commémorons la plus belle annonce faite par Dieu à l’humanité tout entière. Enfin, en ce jour béni, s’est concrétisée la promesse multiséculaire reçue par les prophètes et communiquée au Peuple élu de l’Ancienne Alliance : Dieu vient habiter parmi les hommes en prenant chair de la plus belle et la plus sainte de toutes les créatures, la Vierge Marie. Neuf mois plus tard, le plus beau des enfants des hommes, l’Emmanuel, « Dieu avec nous », apparaîtra aux yeux des pasteurs de Judée, dans la pauvre mangeoire de Bethléem.

            L’Annonciation a longtemps été une fête majeure de la France royale. Ainsi, jusqu’au règne de Charles IX, le premier jour de l’année était fixé à cette date. C’était d’ailleurs la coutume dans la plupart des pays de la Chrétienté. Pour la plupart des auteurs chrétiens, il convenait tout à fait que chaque nouvelle année commençât le jour où le Christ, Sauveur de l’humanité, qui a récapitulé toute l’histoire du monde, est entré dans l’histoire des hommes. Ce n’est qu’après la promulgation du calendrier grégorien, par le pape Grégoire XIII, que la date du 1er janvier s’est progressivement imposée en Europe, sauf dans les pays protestants qui ont longtemps refusé d’accepter un calendrier émanant de l’autorité pontificale.

            La fête de l’Annonciation, disions-nous, était particulièrement fêtée par les princes de la dynastie capétienne. N’est-ce pas ce jour-là, en 1252, que le grand saint Louis, approchant de la ville de Nazareth, lors de la septième croisade, « descendit de cheval, se mit à genoux pour adorer de loin ce saint lieu où s’était opéré le mystère de notre rédemption [1] ». Le 25 mars 1267, comme le rappelait le grand historien Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont, le saint roi, la sainte couronne d’épines entre les mains, exhorta les chevaliers à prendre la croix à l’occasion de la huitième croisade. N’est-ce pas aussi en l’honneur de cet épisode fondamental du mystère de la Rédemption, que sainte Jeanne de Valois, reine de France, fille de Louis XI et épouse de Louis XII, institua, en 1501, une communauté de religieuses – l’ordre des Annonciades – qui fut si florissante dans le royaume des lys ? Le roi Henri III, en 1583, n’a-t-il pas fondé une confrérie, la « Congrégation des pénitents blancs de l’Annonciation Notre-Dame », et sollicité du pape son approbation et des indulgences ? Le juste Louis XIII ne fit-il pas ce jour-là, en 1643, son ultime confession générale avant de mourir, le 14 mai suivant ?

            Un bel évènement eut lieu aussi sous le règne du jeune Louis XIV. Le 25 mars 1650, étant reçu en la ville de Dijon, il renouvela le vœu de son père « à l’honneur de cette Souveraine Dame de l’Univers, par une nouvelle déclaration qu’il en fit, où il confessa être redevable à ses intercessions, des faveurs et bénédictions du Ciel […], et confirma par cette déclaration celle de son père, y témoigna les mêmes reconnaissances, et y fit une pareille soumission et offrande de sa Personne, de sa Couronne et de ses Sujets à la Reine des Anges, ordonnant de continuer la même dévotion et procession générale et très solennelle le jour de l’Assomption, et de faire exhorter tous ses sujets d’avoir une dévotion particulière à la sainte Vierge, d’implorer à ce jour sa protection, et de redoubler l’ardeur de leurs prières pour impétrer par son intercession la continuation des faveurs et bénédictions célestes sur sa Personne et sur son Royaume [2]. » Certes, cet acte royal rappelle que la grande fête mariale du royaume est l’Assomption, mais le choix du jour de l’Annonciation indique que la piété mariale des princes de France s’étend à toutes les fêtes célébrées en l’honneur de la Vierge Marie, et particulièrement ce jour où elle reçut en son sein le Verbe divin.

            Aux marges du royaume, nous ne pouvons pas ne pas mentionner la création, par le duc Charles III de Savoie, en 1518, de l’Ordre suprême de la Très Sainte Annonciade [3], principal ordre chevaleresque de la Maison de Savoie, dont le prestige immense l’équipara, pendant plusieurs siècles, aux ordres de la Jarretière, de la Toison d’or et du Saint-Esprit. Les chevaliers de l’Annonciade, consacrés à Marie, étaient invités à méditer les mystères du Rosaire – à l’origine, d’ailleurs, il n’y avait que quinze chevaliers, le duc-grand-maître compris, pour rappeler les quinze mystères du Rosaire [4].

            Cette grande fête de l’Annonciation était ainsi solennellement célébrée par la plupart des princes chrétiens d’Europe. Nous aussi, à quelques siècles de distance, fidèles à notre foi et à notre pays, nous avons le devoir de rendre hommage à la Reine du Ciel et d’implorer son assistance dans les tribulations que connaît la pauvre France, en ces temps bien tragiques de violence et d’apostasie. Marchons dans les traces des pieux princes qui ont gouverné ce grand royaume. En ce même jour du 25 mars, la Providence a permis que fût fondée la Confrérie royale, dont nous célébrons, cette année, le 10e anniversaire. Dix ans de grâces pour tous ses membres. Dix ans de fidélité à nos engagements spirituels de prier pour la France et pour le retour de sa grandeur et de son prestige. Dix ans de soutien à la Couronne multiséculaire et à son héritage porté, depuis plus de 35 années, par S. A. R. Mgr le duc d’Anjou, de jure S. M. le roi Louis XX. Ayons donc bien à cœur, en cette Année jubilaire, de renouveler nos engagements, nos motivations, nos convictions, au service de cette belle œuvre. Profitons bien de ces grandes fêtes de l’année liturgiques, en particulier les « fêtes royales », comme en ce jour de l’Annonciation, pour puiser les grâces nécessaires pour maintenir intacte notre foi, au milieu des tempêtes, et garantir notre fidélité aux principes et aux valeurs communiqués par la Confrérie royale.

Que la Vierge sainte de Nazareth
nous garde sous sa puissante protection !

   + Mathias Balticensis


[1] Richard Girard de Bury, Histoire de Saint Louis, Roi de France, Paris, Audot, 1817, p. 232. L’historien d’ajouter ce commentaire édifiant : « Il y communia de la main du légat, qui y fit à cette occasion un sermon fort touchant : de sorte que, suivant la réflexion que fait le confesseur de ce saint prince, dans un écrit qui nous apprend ce détail, on pouvait dire que, depuis que le mystère de l’Incarnation s’était accompli à Nazareth, jamais Dieu n’y avait été honoré avec plus d’édification et de dévotion qu’il le fut ce jour-là. »
[2] R. P. Balthazar de Riez, Suite de l’incomparable piété des très-chrétiens Rois de France de la Race de S. Louis, Aix, Charles David, 1674, l. II, p. 810.
[3] Cet ordre succédait à l’ancien ordre du Collier, fondé en 1364 par le comte Amédée VI.
[4] Les statuts de l’Ordre leur demandaient de réciter, chaque matin, quinze Pater Noster et quinze Ave Maria, sous peine de devoir payer « quinze sols pour être distribués pour l’honneur de Dieu ».

Trois lys blancs

2025-72. Le 22 mars nous fêtons Saint Paul-Serge, premier évêque de Narbonne.

22 mars,
Fête de Saint Paul-Serge de Narbonne, évêque et confesseur ;
Chez les Ermites de Saint Augustin, fête du Bienheureux Hugolin de Cortone (cf. > ici) ;
Mémoire de la férie de Carême ;
Anniversaire de la mort de Jean-Baptiste de Lully (+ 22 mars 1687).

Au martyrologe romain :

   « A Narbonne, dans la Gaule, la naissance au ciel de saint Paul, évêque, disciple des Apôtres, que l’on regarde comme étant le même que Serge-Paul, proconsul, qui fut baptisé par l’apôtre Saint Paul : cet Apôtre, se rendant en Espagne, le laissa à Narbonne, avec la dignité épiscopale. Il s’acquitta avec activité du ministère de la prédication, et s’envola au ciel, éclatant de la gloire de ses miracles ».

Prédication de Saint Paul devant le proconsul Sergius Paulus

Prédication de Saint Paul devant le proconsul Sergius Paulus

       D’après les anciennes traditions des Eglises de France, d’Italie, d’Espagne et du monde catholique, Saint Paul, premier évêque de Narbonne, est le même que Paul-Serge (Sergius Paulus), proconsul, converti par l’apôtre Saint Paul, dans l’île de Chypre (voir Actes des Apôtres XIII, 6-13).
De savants hommes, il est vrai, l’ont contesté dans le dernier siècle : néanmoins, comme c’est le témoignage de plusieurs siècles, que beaucoup de martyrologes, et surtout le romain, n’ont pas fait difficulté d’y souscrire, et que, d’ailleurs, si l’opinion contraire a quelques preuves pour s’appuyer, l’on n’a pas manqué d’y répondre fort solidement, nous avons cru que, sans entrer plus avant dans la discussion, nous pouvions sûrement nous arrêter à l’ancienne tradition.

   Le Paul dont nous parlons était des plus illustres familles de Rome, et avait passé par les charges les plus considérables de la République : envoyé proconsul en Chypre, pour la gouverner au nom de l’empereur et du Sénat, il souhaita d’entendre Saint Paul qui prêchait l’Evangile de Jésus-Christ dans cette île, avec une grande réputation ; car sa prédication était soutenue par une admirable sainteté de vie, et par des miracles si fréquents et si inouïs, qu’il faisait bien voir que Dieu autorisait Lui-même sa doctrine.
Notre Saint résidait alors à Paphos ; et comme l’Apôtre y vint aussi, il lui fit témoigner le désir qu’il avait de le voir. Ce n’était pas, néanmoins, sans difficultés : car il avait auprès de lui un juif, magicien, nommé Elymas, ou Barjésu, qui, faisant le prophète, le détournait de tout son possible d’écouter ce nouveau Docteur et d’embrasser la religion qu’il annonçait ; mais la grâce naissante fut plus forte en lui que la suggestion de cet instrument du démon. L’Apôtre le vint donc trouver, accompagné de Saint Barnabé, qui était son collègue dans la prédication de l’Evangile ; il lui remontra la fausseté de la religion païenne, qui, en reconnaissant plusieurs dieux, n’en reconnaissait aucun véritable ; et la solidité de la religion chrétienne, qui n’adorait point d’autre Dieu que le Créateur du ciel et de la terre, avec Son Fils Jésus-Christ, venu au monde pour tirer les hommes des ténèbres de leur ignorance.
Elymas, présent à cette instruction, prit plaisir à contredire ce que disait le saint Apôtre, de peur que, le proconsul se convertissant, il ne perdît tout le crédit qu’il avait auprès de lui. Mais Saint Paul, le regardant d’un œil indigné et d’un visage sévère, lui dit, par un mouvement subit du Saint-Esprit :

   « O méchant séducteur ! Enfant du démon, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu donc jamais de traverser les voies droites du Seigneur ? Sache que la main de Dieu va s’appesantir sur toi, et que tu demeureras aveugle sans voir le soleil jusqu’à un certain temps que Sa justice a marqué ».

   Cette terrible sentence fut incontinent exécutée : le magicien perdit la vue, et fut contraint de demander quelqu’un qui le menât par la main.
Pour le proconsul, il en tira un fruit merveilleux ; et, admirant tout ensemble le bras de Dieu et la sainteté de sa doctrine, il crut en Jésus-Christ, et se fit gloire d’être le disciple de Saint Paul. On dit que ce fut de lui que l’Apôtre emprunta ce nom de Paul, car, auparavant, il n’est appelé, dans les Actes des Apôtres, que Saul, et c’est seulement après cette conversion qu’on commence à l’appeler Paul.

   C’est tout ce que le texte sacré nous apprend de Paul-Serge ; de sorte qu’il faut tirer, de la tradition de l’Eglise et des auteurs ecclésiastiques, le reste que nous avons à dire de sa vie.

Néron à Baïes - Jean Styka - blogue

Jean Styka (1858–1925) : Néron à Baïes (vers 1900)
collection privée

   Le nouveau néophyte, amené à la foi d’une manière si miraculeuse, n’hésita pas un instant à faire à ses convictions les sacrifices les plus pénibles. Fidèle à la voix de Dieu qui l’appelait à l’apostolat, il mit ordre aux affaires de son gouvernement, et suivit à Rome ceux dont il avait reçu le bienfait de la religion, voulant partager leurs travaux et leurs destinées. C’était courir au-devant de, plus grands dangers. En effet, à Claude avait succédé l’empereur Néron, trop connu par sa cruauté, pour que nos saints apôtres ignorassent qu’en se rendant à la ville des Césars, ils s’exposaient aux tourments et au martyre. Cette considération ne les arrêta pas ; peut-être même fut-elle pour eux un motif d’entreprendre ce voyage, tant était grand leur désir de souffrir pour le nom de Jésus-Christ.

   Ils ne furent pas plus tôt arrivés à Rome que le tyran donna l’ordre d’arrêter Saint Paul et de le jeter en prison.
Paul-Serge fut également saisi de son côté, et menacé des plus horribles supplices, s’il refusait de renier sa foi et de retourner au culte des idoles. Mais il refusa généreusement d’obéir à des ordres impies et confessa Jésus-Christ avec un courage admirable au milieu des plus cruelles tortures.

   « Dans le temps, dit l’auteur des Actes du saint, qu’un prince sacrilège poursuivait avec fureur les chrétiens et mettait leurs corps en pièces, on remarqua entre les généreux confesseurs notre évêque Paul, vaillant soldat de Jésus-Christ, courant au combat, ceint de l’épée de la religion, couvert du bouclier du dévouement, de la cuirasse de la foi et du casque de la confession. Il rendit gloire à Jésus-Christ, notre chef, devant la multitude, sans en craindre les menaces. Rien ne put ébranler le courageux athlète, ni la faim, ni les mépris, ni les tourments les plus affreux. Le démon irrité, en quelque sorte, par son héroïsme, inventa de nouveaux genres de supplices jusque-là inouïs. On déchira son corps, on lui arracha les ongles des doigts et on le meurtrit de coups. Mais ce raffinement de cruauté ne servit qu’à lui faire remporter une victoire plus éclatante sur les ennemis de la religion. Une foule de confesseurs cueillirent la palme du martyre, sans avoir souffert autant que Saint Paul. Dieu voulait, sans doute, lui conserver miraculeusement la vie pour qu’il devînt la lumière de nos contrées et procurât à nous et à nos descendants les bienfaits de la vocation à la foi. »

   En effet, l’Apôtre des nations, rendu à la liberté après une captivité de deux ans, songea sérieusement à exécuter le dessein qu’il avait formé d’aller évangéliser l’Espagne. Il partit avec plusieurs disciples parmi lesquels se trouvaient Saint Crescent (note : il sera par la suite le premier évêque de Vienne, en Dauphiné) et Saint Paul-Serge, traversa les Gaules en prêchant l’Evangile, et pour achever de gagner à Jésus-Christ ces belles contrées, vaincues par les armes romaines, il laissa au milieu d’elles quelques-uns des zélés missionnaires qui l’accompagnaient.

   Saint Paul-Serge s’arrêta d’abord à Béziers, qui se trouve sur la route de Narbonne et de l’Espagne. II y prêcha avec un grand succès et construisit plusieurs oratoires pour y célébrer les saints mystères. Le bruit des merveilles qu’il y opérait s’étant répandu jusqu’à Narbonne, où le culte des divinités païennes était en grand honneur, les habitants le firent prier de venir au milieu d’eux pour les instruire de la nouvelle religion qu’il annonçait. Le saint se rendit à leurs prières, ne croyant pas devoir laisser échapper une occasion si favorable d’étendre le Royaume de Dieu ; et après avoir ordonné évêque Saint Aphrodisius, dont il connaissait le mérite, il lui confia le gouvernement de l’Eglise de Béziers, et alla à Narbonne, où il fut reçu comme un père au milieu de ses enfants.
Bientôt la ville changea de face : les temples des faux dieux furent abandonnés, et sur leurs ruines s’élevèrent plusieurs églises ; les superstitions anciennes disparurent, et la vérité, annoncée avec le zèle dont notre Apôtre, était animé, fit chaque jour de nouvelles conquêtes, malgré les obstacles qu’elle rencontrait dans les passions et les préjugés de ce peuple idolâtre, fortement attaché à ses erreurs.
Ce séjour et ces prédications de Paul-Serge à Béziers paraissent d’autant plus vraisemblables que cette ville se trouve sur la route qu’il devait suivre pour aller à Narbonne.

Saint Paul envoyant des disciples en mission - blogue

L’apôtre Saint Paul envoyant deux de ses disciples en mission.

   Les Espagnols veulent aussi qu’il ait été leur Apôtre, et qu’en ayant reçu la mission de Saint Paul, il ait parcouru leurs plus belles provinces pour y propager l’Evangile. Le peu de distance qu’il y a de Narbonne en Espagne rend cette opinion assez probable ; d’ailleurs, comme nous le voyons par cent exemples, les premiers prédicateurs du christianisme ne s’attachaient point tant à une Eglise qu’ils ne portassent la foi en d’autres provinces, et même dans les lieux les plus éloignés [...].
Il est naturel de penser qu’étant parti de Rome avec l’apôtre Saint Paul, et l’ayant accompagné dans le midi de la Gaule, il eut le désir de le suivre dans cette contrée, où, selon les témoignages les plus graves, il annonça la Parole sainte avec de si grands fruits de salut, que les autorités païennes s’en émurent et prirent la résolution de chasser du pays tous les ouvriers évangéliques.

   Cette mission, attestée par une foule d’écrivains respectables, trouve une preuve d’une grande force dans une inscription qui semble faite pour en conserver le souvenir, et que les historiens nous rapportent en ces termes :

« A Néron, César Auguste, pour avoir purgé la province de brigands et de ceux qui enseignaient aux hommes une nouvelle superstition ».

   Ainsi, du temps de l’empereur Néron, le christianisme avait été prêché en Espagne, puisqu’on le félicite d’en avoir expulsé les missionnaires apostoliques, si visiblement désignés par « ceux qui enseignaient une nouvelle superstition ».

   Mais quels sont les missionnaires qui, à cette époque, ont répandu la bonne nouvelle dans cette contrée ?
Les traditions les plus anciennes et les plus universellement accréditées ne nous parlent-elles pas de l’apôtre Saint Paul et de Saint Paul-Serge, évêque de Narbonne ? De là la popularité dont le nom de ce saint prélat était entouré en Espagne, dès les temps apostoliques, et la vénération profonde qu’on y a conservée pour lui, au point de lui attribuer les premiers succès de la prédication évangélique dans ces diverses provinces et de l’en regarder comme l’Apôtre.

Cette tradition s’est perpétuée de siècle en siècle, et au témoignage des auteurs du Gallia Christiana, elle était encore tellement vivace au XVIIème qu’on voyait à certains temps de l’année une foule prodigieuse de fidèles accourir de toutes les parties de ce royaume aux lieux où reposent ses restes mortels.

   Tamaius Salazar, dans son martyrologe des saints d’Espagne, confirme cette croyance générale en ces termes :

« Saint Paul-Serge, disciple des Apôtres, vint en Espagne avec l’apôtre saint Paul et annonça l’évangile à Cordoue, à Barcelone et dans la plupart des villes de la province ».

   La prédication de saint Paul-Serge dans plusieurs parties de cette contrée paraît donc un fait acquis à l’histoire.
Plusieurs auteurs même prétendent qu’il y vint à deux époques différentes, et ils disent qu’après avoir quitté l’Espagne au moment où les missionnaires en furent expulsés, comme on l’a vu plus haut, il y retourna par suite d’un avertissement qu’il reçut du ciel.
Voici ce que rapporte à ce sujet Pierre Mulard, prêtre de l’église de Saint Paul de Narbonne, qui composa en 1364 la vie de ce saint évêque sur des manuscrits anciens :

   « L’apôtre Saint Paul, après son glorieux martyre sous l’empereur Néron, apparut miraculeusement à Saint Paul-Serge et lui ordonna d’aller à Narbonne et en Espagne pour y prêcher de nouveau le royaume de Dieu ».

   « Au retour de cette mission, où il fit des conversions nombreuses, il revint à Narbonne qu’il eut le bonheur d’amener tout entière à la foi. Ayant appris par trois apparitions successives de l’apôtre Saint Paul que sa fin approchait, il consacra évêques le diacre Etienne et le prêtre Rufus, désignant le premier pour son successeur à Narbonne, et le second pour occuper le siège d’Avignon. Ce fut le dernier acte de sa vie ; car bientôt après il rendit doucement son âme à son créateur dans son église même, où il était en prière, et où il fut inhumé au milieu des larmes de ses diocésains » (vie abrégée de Saint Paul de Narbonne par Pierre de Natalibus, contemporain de l’auteur précédent).

   Quelques auteurs ont écrit que Paul-Serge avait versé son sang pour la foi et cueilli la palme du martyre. Mais cette opinion ne paraît pas avoir d’autre fondement que les horribles supplices qu’il eut à souffrir à Rome, et qui devaient le conduire à la mort, s’il n’avait été conservé miraculeusement.

   Saint Paul a légué à la ville de Narbonne une gloire impérissable. Cette pensée est comme l’écho des siècles ; car déjà de son temps, Prudence l’avait exprimée dans ses poésies diverses où l’on trouve ces vers :

« Surget et Paulo pretiosa Narbo »,

que l’on a traduit par ces deux vers français plus fidèles qu’élégants :

   « Narbonne par son Paul illustre et précieuse,
Des plus grandes cités n’est pas la moins fameuse ».

   La métropole de Narbonne a toujours tenu un rang très distingué parmi celles des Gaules et même parmi les Eglises d’Espagne, au temps où Narbonne était placée sous la domination des Goths.

D’après Monseigneur Paul Guérin,
in « Les Petits Bollandistes », tome III pp. 593-597

Maître-autel de la basilique Saint-Paul à Narbonne

Maître-autel de la basilique Saint-Paul, à Narbonne,
où sont conservées les reliques de Saint Serge-Paul.

2025-71. Commentaire de Saint Augustin sur la parabole du « fils prodigue ».

Samedi de la 2ème semaine de Carême.

       La parabole de « l’enfant prodigue » que la liturgie traditionnelle nous fait approfondir et méditer au samedi de la deuxième semaine de Carême, a été commentée des centaines de milliers de fois : la plupart des prédicateurs profitent le plus souvent de cette péricope évangélique pour insister sur l’aspect personnel de la conversion et sur la confiance en la miséricorde de Dieu qu’elle nous doit inspirer, ce qui n’est évidemment pas faux.
Notre Bienheureux Père Saint Augustin, lui, dans son ouvrage « Questions sur les Evangiles », a adopté une approche bien différente cependant : il développe un commentaire moral dont le pivot est l’histoire du salut et où les deux fils symbolisent d’une part le peuple des païens, infidèles, et le peuple israélite, qui a gardé la foi au vrai Dieu mais qui a lui aussi besoin d’une conversion profonde.

Saint Augustin méditant les Ecritures - style impressionniste Fr.Mx.M. - blogue

Saint Augustin méditant les Saintes Ecritures

frise

Commentaires de

notre Bienheureux Père Saint Augustin

sur la parabole de L’enfant prodigue 

(Luc, XV, 11 -32)

[in "Questions sur les Evangiles" livre II, § XXXIII]

       Cet homme qui a deux fils, c’est Dieu, père de deux peuples qui sont comme les deux branches de la race humaine, le peuple des hommes demeurés fidèles au culte d’un seul Dieu, et le peuple des idolâtres, qui abandonnèrent le Seigneur. Mais il faut remonter à l’origine de la création de l’homme pour approfondir cette histoire.

1 - James Tissot départ du fils prodigue

James Tissot (1836-1902) : le départ du fils prodigue (vers 1880)
[musée des Beaux-Arts de Nantes]

- Saint Augustin va faire un commentaire moral de la parabole et il détaille le sens qu’ont tous les détails donnés par le texte évangélique :

   Le fils aîné est le type de la fidélité au culte du vrai Dieu.
L
e plus jeune part pour une contrée lointaine. Il a demandé à son père la portion d’héritage qui lui revient. Telle est l’âme que la jouissance de son pouvoir a séduite. Son patrimoine, c’est-à-dire la vie, l’intelligence, la mémoire, la sublimité et la promptitude du génie, tous ces dons de la munificence divine sont mis à sa disposition par le libre arbitre ; c’est pourquoi « le père distribua son bien à ses enfants ».
Le plus jeune partit pour un pays lointain. Il abusa des dons naturels, il abandonna son père, délaissant le Créateur pour se livrer à la jouissance des créatures. Il est représenté, « peu de jours après rassemblant tout ses biens, et s’en allant dans une contrée lointaine ».
C’est qu’en effet, peu de jours après la création du genre humain, l’âme, cette créature raisonnable, voulut être, par son libre arbitre, maîtresse absolue d’elle-même et de ses facultés, et se détacher de son Créateur pour s’appuyer sur ses propres forces. Mais plus elle s’éloigna de Celui qui était la source de sa vie, plus elle fut promptement épuisée. C’est pourquoi l’Evangile appelle une vie de débauche et d’excès la vie répandue et dissipée dans les pompes extérieures et vide au dedans : l’homme qui s’y livre poursuit 
les vanités qu’elle enfante, et abandonne Dieu qui est au dedans de lui.
Cette région lointaine, c’est donc l’oubli de Dieu. La famine survenue dans ce pays, c’est la privation de la parole de vérité. L’habitant de la contrée désigne quelque prince de l’air, faisant partie de la milice de Satan. Sa maison de campagne figure le genre de pouvoir qu’il exerce, et les pourceaux les esprits immondes qui sont au-dessous de lui. Les cosses dont il nourrissait les pourceaux figurent les maximes du siècle, vides et sonores, dont retentissent les poèmes et les divers discours consacrés à la louange des idoles ou aux fables des dieux des Gentils, et qui font la joie des démons. C’est pourquoi ce jeune homme voulant se rassasier cherchait dans cette vile pâture un aliment qui fût substantiel et sain, et qui procurât le bonheur, et il ne le trouvait pas. De là cette parole : « Et personne ne lui en donnait ».

- Il analyse maintenant la démarche intérieure de la conversion du prodigue :

   « Mais étant rentré en lui-même », c’est-à-dire s’arrachant aux trompeuses illusions et aux entraînements des vanités du monde extérieur et recueillant ses pensées dans l’intérieur de sa conscience, « combien de mercenaires, s’écrie-t-il, ont du pain en abondance dans la maison de mon père ». Comment ceci pourrait-il être connu de l’homme plongé, comme les idolâtres l’étaient, dans un si grand oubli de Dieu ? Ces paroles ne désigneraient-elles point le réveil de l’âme à la prédication de l’Evangile ?
On vit alors en effet de nombreux prédicateurs de la vérité, parmi lesquels plusieurs étaient guidés, non par l’amour de la vérité elle-même, mais par le désir des avantages terrestres. C’est d’eux que l’Apôtre disait : Que plusieurs qui annoncent l’Evangile, ne le font pas avec pureté (cf. Philip.1, 17), faisant de la piété un trafic (1 Tim. VI, 5). Ils ne prêchaient pas un autre Evangile comme les hérétiques, ils prêchaient l’Evangile de Paul, mais dans un autre esprit que celui de cet Apôtre. C’est pourquoi ils sont très justement appelés des mercenaires. Ils dispensent le même pain de la parole et dans la même maison, toutefois ils ne dont point appelés au céleste héritage, mais ils travaillent pour une récompense temporelle. C’est d’eux qu’il est dit : « En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » (Matt. VI, 2).
Il s’écrie donc : « Je me lèverai » - car il était étendu dans un état de prostration -, « et j’irai » - il était en effet 
bien éloigné -, « vers mon père », il était devenu le serviteur de celui à qui appartenaient les pourceaux.
Les autres paroles indiquent la disposition d’un âme qui se prépare à la pénitence par l’aveu de ses péchés, mais qui ne la fait pas encore. Il ne s’ouvre pas encore à son père, mais il promet de s’ouvrir à lui, quand il le reverra.
Comprenez donc maintenant ce que signifie venir vers son père : c’est être établi dans l’Eglise par la foi, et pouvoir y trouver, dans la confession de ses fautes, l’accomplissement du devoir et la récompense qui en est le fruit.

   Qu’est-ce donc qu’il se propose de dire à son père ? « Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre fils : traitez-moi comme l’un de vos mercenaires ».

   « J’ai péché contre le ciel » : ce mot a-t-il la même signification que « j’ai péché contre vous » ? Alors il faudrait entendre par « le ciel » la souveraine majesté du Père : c’est en ce sens que le Psalmiste a dit : « Il s’élance des hauteurs du ciel » (Ps. XVIII, 7), c’est-à-dire du sein du Père Lui-même.
Ou plutôt « j’ai péché contre le ciel » ne veut-il pas dire : en présence des âmes saintes, qui sont le trône de Dieu ; « et contre vous » : jusque dans le sanctuaire intime de la conscience ?

2 - James Tissot le fils prodique en pays étranger

James Tissot (1836-1902) : le fils prodigue en pays étranger (vers 1880)
[musée des Beaux-Arts de Nantes]

- Attitude du père et évolution de la contrition du fils prodigue :

« Et se levant, il vint vers son père. Et lorsqu’il était encore bien loin » - avant qu’il eût de Dieu une véritable idée, mais néanmoins dans le moment où il Le cherchait déjà de bonne foi -, « son père le vit ».
L’expression est donc juste, quand on dit de Dieu qu’Il ne voit pas les impies et les superbes, qu’Il ne les a pas en quelque sorte devant les yeux : car être devant les yeux, ne s’entend d’ordinaire que des personnes aimées.
« Et il fut touché de compassion : et courant à lui, il se jeta à son cou » : le Père n’a pas quitté Son Fils unique, par qui Il a fait cette course lointaine et S’est abaissé jusqu’à nous ; car Dieu était dans le Christ « se réconciliant le monde » (cf. 2 Cor. V, 19) ; et le Seigneur l’a déclaré Lui-même : « Mon Père, qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que Je fais » (Jean, XIV 10).
Or, que signifie « se jeter à son cou », si ce n’est incliner et abaisser son bras pour l’étreindre ? « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ?» (Is. LIII, 1). Ce bras n’est autre assurément que Notre-Seigneur Jésus-Christ.

   « Et il lui donna un baiser » : Etre consolé par la parole de la grâce divine, qui fait naître l’espérance du pardon des péchés, c’est obtenir du Père, au retour de longs égarements, le baiser de charité.
Alors commence pour celui qui est établi dans l’Eglise la confession de ses péchés. Le prodigue ne dit pas tout ce qu’il s’était promis de dire ; il va seulement jusqu’à ces paroles : « Je ne suis pas digne d’être appelé votre fils », car Dieu veut opérer par la grâce ce dont il se reconnaît indigne à cause de ses fautes. Il n’ajoute pas ce qu’il s’était proposé d’abord dans sa première résolution : « Traitez-moi comme l’un de vos mercenaires ». Quand il était privé de pain, il allait jusqu’à souhaiter la condition de mercenaire ; mais après que son père l’a embrassé, il n’a plus pour elle qu’un noble et généreux dédain.

- Le sens mystique de détails qui marquent la réconciliation avec Dieu :

   La première robe symbolise la dignité perdue par Adam ; les serviteurs qui l’apportent sont les prédicateurs du pardon. L’anneau placé au doigt de la main, gage du Saint-Esprit, figure bien la participation à la grâce. Les chaussures aux pieds marquent la préparation à la prédication de l’Evangile par le détachement des biens de la terre. Le veau gras, c’est le Seigneur Lui-même, mais rassasié d’opprobres selon la chair. L’ordre est donné d’amener le veau gras : qu’est-ce à dire, sinon qu’il faut annoncer le Seigneur, et en L’annonçant, Le faire entrer dans les entrailles du fils exténué par la faim ?
L’ordre est donné aussi d’immoler la victime, de répandre le souvenir de la mort du Sauveur : or, Il est immolé réellement pour chacun de nous, lorsque nous croyons que pour nous Il est mort.

   « Et réjouissons-nous », ajoute le texte sacré ; ceci a trait aux motifs d’allégresse qui vont être allégués : « Parce que mon fils que voici était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé ».
Et maintenant ce festin et cette fête se célèbrent dans tout l’univers, où l’Eglise est répandue et disséminée. Car ce veau gras figure le Corps et le Sang du Seigneur qui S’offre au Père céleste et nourrit toute Sa famille.

- Le fils aîné est la figure d’Israël qui, d’une autre manière que le prodigue, s’est aussi éloigné de la miséricorde de Dieu :

   Le fils aîné, qui n’est pas parti pour une région lointaine, mais qui n’est pas néanmoins dans la maison, c’est le peuple d’Israël selon la chair. Il est aux champs, c’est-à-dire, qu’au sein même de l’héritage et des richesses de la Loi et des Prophètes, il se livre de préférence aux œuvres de la terre et à toutes sortes d’observations judaïques. Il s’est trouvé parmi eux un grand nombre d’hommes animés de ces sentiments, et souvent encore on en rencontre de semblables.
Revenant des champs, il s’approche de la maison : en d’autres termes, occupé sans amour d’un travail tout terrestre, il considère d’après les Saintes Ecritures la liberté faite à l’Eglise. Il entend la musique et la danse, c’est-à-dire, les hommes remplis de l’Esprit-Saint, qui annoncent l’Evangile d’une commune voix, suivant la recommandation de l’Apôtre : « Je vous a conjure, mes frères, leur dit-il, par le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, de faire en sorte que vous n’ayez qu’un même langage » (1 Cor. I, 10).
Il entend aussi les concerts de louanges qui s’élèvent vers Dieu, comme d’un seul cœur et d’une seule âme. Il appelle un des serviteurs et lui demande ce qui se passe, en d’autres termes il ouvre un des livres des Prophètes, et, le compulsant, il l’interroge en quelque sorte pour savoir ce que signifient les fêtes qu’on célèbre dans cette Eglise, en dehors de laquelle il se trouve placé.
Le serviteur de son père – le prophète – lui répond : « Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré en santé ». Votre frère était, en effet, aux extrémités de la terre. Mais ce qui augmente l’allégresse de ceux qui chantent au Seigneur un cantique nouveau, c’est que ses louanges viennent des extrémités du monde (Is. XLII, 10) ; et, pour célébrer le retour de celui qui était absent, on a mis à mort l’homme de douleur et sachant l’infirmité (Is. LIII, 3) ; et ceux auxquels Il n’avait point été annoncé, L’ont vu ; et ceux qui n’ont point entendu parler de Lui, L’ont contemplé (Is. LII, 15).
Et maintenant encore Israël s’indigne et refuse d’entrer. Lors donc que la plénitude des nations sera entrée, son Père sortira au moment opportun, afin que tout Israël soit sauvé ; ce peuple est tombé en partie dans l’aveuglement, que figure l’absence du fils aîné à la campagne, jusqu’à ce que la plénitude du plus jeune revienne de son long égarement au milieu de l’idolâtrie des nations, pour manger le veau gras dans la maison paternelle (Rom. XI, 25). Car, un jour, la vocation des Juifs au salut, qui vient de l’Evangile, sera manifestée. Or, c’est ce que signifie la démarche du père pour appeler son fils aîné.

3 - James Tissot le retour du prodigue

James Tissot (1836-1902) : le retour du prodigue (vers 1880)
[musée des Beaux-Arts de Nantes]

- Israël, symbolisé par le fils aîné, n’est pont tombé dans l’idolâtrie, mais cependant il n’est plus dans une communion aux dispositions du cœur de Dieu :

   La réponse de ce dernier, fait naître deux questions : Comment peut-on dire du peuple Juif qu’il n’a jamais transgressé les ordres de Dieu ? et qu’est-ce à dire qu’il n’a jamais reçu de chevreau, pour se réjouir avec ses amis ?
En ce qui concerne le premier point, on devine facilement qu’il n’est pas question de tous les commandements, 
mais seulement de celui qui est le plus nécessaire, je veux parler, de celui qui défend d’adorer aucun autre Dieu que le souverain Créateur de toutes choses (Ex. XX, 3) : on comprend d’ailleurs que ce fils ne personnifie pas tous les Israélites indistinctement, mais ceux d’entre eux qui n’ont jamais quitté le culte du vrai Dieu pour celui des idoles. En effet, quoique ce fils, en quelque sorte placé aux champs, désirât les choses terrestres, cependant c’est du Dieu unique qu’il attendait ces biens, qui lui étaient communs avec les animaux.
Aussi la synagogue est-elle bien personnifiée dans ce psaume d’Asaph : « Je suis devant vous comme une bête ; mais néanmoins je suis toujours vous » (Ps. LXXII, 23). C’est ce que corrobore également le témoignage du père lui-même, formulé en ces termes : « Vous êtes toujours avec moi ».
Il ne reproche pas à son fils une sorte de mensonge, mais faisant l’éloge de sa persévérance à demeurer avec lui, il l’invite par là même à prendre une part plus grande et plus parfaite à la joie.

- Saint Augustin essaie de comprendre ce que symbolisent le chevreau et les reproches du fils aîné au père :

   Quel est maintenant ce chevreau, qu’il n’a jamais eu pour faire un festin ?
Il est certain d’abord que le chevreau est ordinairement le symbole du pécheur. Mais loin de moi de reconnaître ici l’Antéchrist. Car je ne vois pas comment on pourrait appliquer jusqu’au bout cette interprétation. Il serait trop absurde que le fils, à qui il est donné d’entendre ces paroles : « Vous êtes toujours avec moi », eût exprimé à son père le désir de croire à l’Antéchrist.
Il n’est pas non plus permis de voir dans ce fils la personnification de ceux d’entre les Juifs qui croiront à l’Antéchrist. Dans l’hypothèse où ce chevreau serait la figure de l’Antéchrist, comment ce fils pourrait-il en manger puis qu’il ne mettrait pas en lui sa foi ? Ou bien, si manger du chevreau ne signifie rien autre chose que la joie causée par la perte de l’Antéchrist, comment le fils, que le père accueille si bien, dit-il que cette joie ne lui a pas été accordée, tandis que tous les enfants de Dieu applaudiront à la condamnation de son adversaire ?

   A mon sens (et ce que je vais dire, dans une matière aussi obscure, ne doit pas empêcher un examen plus attentif,) il se plaint donc de ce que le Seigneur Lui-même lui a été refusé pour son festin, attendu que le Seigneur est un pécheur à ses yeux.
Ce peuple considérant le Sauveur comme un chevreau, 
en d’autres termes, voyant en Lui un violateur du sabbat et un profanateur de la Loi, n’a pas mérité de prendre part à Ses joies ; ainsi : « Vous ne m’avez jamais donné un chevreau pour en manger avec mes amis », reviendrait à dire : celui qui était à mes yeux un chevreau, vous ne me l’avez jamais donné pour me réjouir, et vous ne me l’avez point accordé, précisément parce que je le considérais comme un chevreau.
« Avec mes amis », s’entend des chefs en union avec le peuple, ou du peuple de Jérusalem assemblé avec les autres peuples de Juda.
Quant aux femmes perdues, avec lesquelles le plus jeune fils est accusé d’avoir dissipé son patrimoine, elles désignent très bien les passions honteuses, qui ont fait abandonner l’alliance unique et légitime du vrai Dieu, pour rechercher dans les superstitions païennes l’union adultère avec la foule des démons.

- Saint Augustin s’interroge sur ce « tout » dont le père dit qu’il est au fils aîné :

D’où vient ensuite que le père, après avoir dit : « Vous êtes toujours avec moi », — paroles expliquées, — continue en ces termes : « Et tout ce qui est à moi est à vous » ?
Gardez-vous d’abord de croire que ces mots : « Tout ce qui est à moi est à vous », signifient que le frère n’y a point de part, comme vous vous demanderiez avec anxiété, pour un héritage de ce monde, comment l’aîné pourrait avoir tout, dans le cas où le plus jeune aurait sa part.
Les enfants parfaits, d’une pureté très grande et déjà dignes du ciel, possèdent tout, de façon que chaque chose est à tous, et que tout est à chacun. Car la charité ignore les angoisses inséparables de la cupidité.

   Mais comment ce fils possède-t-il tout ?
Est-ce que Dieu – dira quelqu’un – met au-dessous de lui et les Anges, et les Vertus sublimes, et les puissances, et tous les esprits célestes, exécuteurs de ses volontés ?
Si l’on entend possesseur, dans le sens de maître, il est évident que Dieu ne lui a pas donné tout. Car ceux dont il est dit : « Ils seront comme les Anges de Dieu » (Matt. XXII, 30), ne seront point les maîtres, mais plutôt les cohéritiers des Anges. Que si la possession s’entend dans le sens, d’ailleurs légitime, attaché à cette phrase : les âmes en possession de la vérité, je ne vois pas pour quel motif nous ne pourrions pas admettre ici le mot tout, dans son sens vrai, propre et absolu. En effet, quand nous disons des âmes qu’elles sont en possession de la vérité, notre intention n’est pas d’affirmer qu’elles en sont les maîtresses.
Enfin, s’il nous est 
interdit d’entendre la possession en ce sens, mettons encore cela de côté. Car le père ne dit pas : Je vous donnerai tout en possession, ou : Vous possédez, vous possèderez tous mes biens ; mais : « Tout ce qui est à moi est à vous ». Tout cela cependant n’est pas à lui comme à Dieu.
En effet ce qui est dans notre bourse peut servir pour la nourriture ou le vêtement de notre famille, ou pour tout autre usage analogue. Et certes, comme il était en droit de l’appeler son père, je ne vois pas ce qu’il n’aurait pu appeler sien, dans ce qui appartenait à ce père, puisque c’était à lui mais à des titres différents.
Car quand nous aurons obtenu l’éternelle félicité, les choses élevées au dessus de nous seront à nous pour les voir ; nous vivrons avec ce qui sera près de nous, et ce qui sera au dessous nous appartiendra aussi pour le dominer. Que le frère aîné prenne donc part à la joie dans une sécurité parfaite, « parce que son frère était mort, et qu’il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé ».

4 - James Tissot - le veau gras

James Tissot (1836-1902) : le veau gras (vers 1880)
[musée des Beaux-Arts de Nantes]

2025-70. Litanies de Saint Benoît de Nursie.

21 mars,
Fête de Saint Benoît de Nursie, abbé et confesseur, co-patron de l’Europe ;
Mémoire de Saint Nicolas de Flüe, confesseur ;
Mémoire de la férie de Carême ;
Anniversaire de l’assassinat du Duc d’Enghien (cf. > ici) ;
Anniversaire de la mort de Sœur Marie Marthe Chambon (cf. > ici).

Saint Benoît de Nursie - blogue

Litanies de Saint Benoît de Nursie

(pour la récitation privée)

Seigneur, ayez pitié de nous.
Jésus Christ, ayez pitié de nous.
Seigneur, ayez pitié de nous

Jésus-Christ, écoutez-nous.
Jésus-Christ, exaucez-nous.

Dieu le Père, ayez pitié de nous.
Dieu le Fils, rédempteur du monde, ayez pitié de nous.
Dieu, Saint-Esprit, ayez pitié de nous.
Trinite Sainte, qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.

Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous.

Saint Benoît, priez pour nous.
Saint Benoît, homme de Dieu, priez pour nous.
Saint Benoît, serviteur de Jésus-Christ, priez pour nous.
Saint Benoît, rempli de l’Esprit-Saint, priez pour nous.
Saint Benoît rempli de l’esprit de tous les justes, priez pour nous.
Saint Benoît sage législateur, priez pour nous.
Saint Benoît, patriarche des moines d’occident, priez pour nous.
Saint Benoît, père d’un grand nombre de saints, priez pour nous.
Saint Benoît, maître de vie spirituelle, priez pour nous?
Saint Benoit, invincible dans la foi, priez pour nous.

Saint Benoît, inébranlable dans l’espérance, priez pour nous.
Saint Benoît, animé de l’amour de Dieu, priez pour nous.
Saint Benoît, ferme appui des malheureux, priez pour nous.
Saint Benoît, toujours prêt à secourir, priez pour nous.
Saint Benoît, très bon pour les pauvres, priez pour nous.
Saint Benoît, très bon pour les malades, priez pour nous.
Saint Benoît, très bon pour les enfants, priez pour nous.
Saint Benoît, modèle de pureté, priez pour nous.
Saint Benoît, modèle d’humilité, priez pour nous.
Saint Benoît, modèle de charité, priez pour nous.
Saint Benoît, modèle de piété, priez pour nous.
Saint Benoît, vertueux dès la jeunesse, priez pour nous.
Saint Benoît, vainqueur du démon, priez pour nous.
Saint Benoît, doué du don des miracles, priez pour nous.
Saint Benoît, fidèle à recevoir les sacrements, priez pour nous.
Saint Benoît, mort debout dans l’église, priez pour nous.
Saint Benoît, retourné à Dieu en priant, priez pour nous.
Saint Benoît, protecteur de ceux qui vous invoquent, priez pour nous.
Saint Benoît, patron céleste de l’Europe, priez pour nous.

Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous Seigneur.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, exaucez-nous Seigneur.
Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous Seigneur.

V./: Priez pour nous saint Benoît.
R./: Afin que nous soyons dignes des promesses de Jésus-Christ.

Prions :

Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, qui avez façonné le cœur de saint Benoît à votre image et à votre ressemblance, envoyez votre Saint-Esprit et créez en nous un cœur pur selon le cœur de votre fils Jésus-Christ.

Ainsi soit-il.

Revers de la médaille de Saint Benoît

2025-69. Prière à Saint Joseph, développée à partir de celle de Saint François de Sales.

       Vous trouverez ci-dessous le texte de la prière à Saint Joseph qui a été récitée le 19 mars 2025 - dans l’Oratoire du Mesnil-Mariedevant la statue de Saint Joseph après qu’elle a été couronnée : elle reprend, mais en la développant, la prière de Saint François de Sales (que l’on trouve déjà dans les pages de ce blogue, en deuxième position > ici).

Textes relatifs à la statue de Saint Joseph au Mesnil-Marie :
- Appel pour l’acquisition de la statue > ici
- Remerciements aux bienfaiteurs après l’installation de la statue > ici
- Présentation de la couronne de Saint Joseph > ici

Saint Joseph couronné au Mesnil-Marie

La statue de Saint Joseph couronnée
dans l’oratoire du Mesnil-Marie

Prière à Saint Joseph

(développée à partir de celle de Saint François de Sales)

       Glorieux Saint Joseph, époux de Marie, accordez-nous votre protection paternelle, nous vous en supplions par le Sacré-Cœur de Jésus et le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie. 

   O vous dont la puissance s’étend à toutes nos nécessités et qui savez rendre possibles les choses les plus impossibles, ouvrez vos yeux de père sur les intérêts de vos enfants.
Lorsque l’embarras et la peine nous presseront, nous recourrons à vous avec confiance ; daignez dès à présent prendre sous votre charitable conduite toutes nos affaires, de quelque importance qu’elles soient, et quelque difficiles qu’elles puissent être : nous ne voulons plus nous en inquiéter ni les laisser instaurer le moindre trouble dans nos âmes, certains de votre sollicitude et de votre puissance d’intercession.
Nous vous demandons seulement qu’en toutes occurrences, leur issue concoure à la gloire de Dieu et au bien de ses dévoués serviteurs.

   O vous que l’on n’a jamais invoqué en vain, aimable saint Joseph ! Vous dont le crédit est si puissant auprès de Dieu qu’on a pu dire : Au ciel, Joseph commande plutôt quil ne supplie ; vous, notre Patriarche plein de tendresse, priez pour nous Jésus, priez pour nous Marie.
Soyez notre avocat auprès de ce divin Fils dont vous fûtes ici-bas le père nourricier si attentif, si chérissant et le protecteur fidèle.
Soyez notre avocat auprès de Marie dont vous fûtes l’époux si aimant et si tendrement aimé.
Ajoutez à toutes vos gloires celle de gagner les causes et les intentions que nous vous confions [ici on peut citer les grâces particulières que l'on sollicite de l'intercession de Saint Joseph].

   Nous croyons, oui, nous croyons que vous pouvez exaucer nos vœux en nous délivrant des peines qui nous accablent et des amertumes dont notre âme est abreuvée ; nous avons, de plus, la ferme confiance que vous ne négligerez rien en faveur des affligés qui vous implorent.
Humblement prosternés à vos pieds, bon Saint Joseph, nous vous en conjurons, ayez pitié de nos gémissements et de nos larmes ; couvrez-nous du manteau de vos miséricordes et bénissez-nous.

Ainsi soit-il.

Toutes les publications de ce blogue relatives à Saint Joseph > ici

Monogramme Saint Joseph vignette

2025-68. Des Bienheureux Evangéliste et Pérégrin de Vérone, prêtres ermites de Saint Augustin.

20 mars,
Fête des Bienheureux Evangéliste et Pérégrin, prêtres de notre Ordre et confesseurs (double) ;
Mémoire de la férie de Carême.

vignette avec symboles augustiniens - blogue

Martyrologe propre des Ermites de Saint Augustin pour le 20 mars :

   « A Vérone, la naissance au ciel des Bienheureux Evangéliste et Pérégrin, confesseurs de notre Ordre, qui furent célèbres par leurs vertus, surtout par l’obéissance, l’humilité et le don des miracles, avant et après leur mort ».

Bienheureux Evangéliste et Pérégrin de Vérone - blogue

       La vie des Bienheureux Evangéliste et Pérégrin de Vérone fut publiée en 1636 par Francesco Pona (1595-1655), médecin et homme de lettres véronais, c’est-à-dire quatre siècles après les événements qu’elle raconte, et, à cause de cela, elle est aujourd’hui tenue en suspicion par les tenants d’un certain rationalisme et du modernisme, qui ne veulent pas admettre que des traditions fort anciennes aient pu être transmises pendant quelque quatre-cents ans sans avoir été altérées par de pieuses exagérations et sans avoir été mêlées de légendes fantaisistes. C’est, à mon avis, faire peu de cas, d’une part, du caractère rigoureux et scientifique de l’auteur, avéré en d’autres publications, et d’autre part de l’examen du Saint-Siège lorsque celui-ci a officiellement approuvé le culte de ces deux prêtres de l’Ordre des Ermites de Saint Augustin.

   Ils seraient nés l’un et l’autre dans des familles nobles de Vérone, dans le deuxième quart du XIIIème siècle (à l’époque du tyran Ezzelino da Romano, soit entre 1226 et 1259).
Naturellement enclins dès leur plus jeune âge à la piété et à la méditation, dès leur rencontre, pendant leurs études, ils se lièrent d’une profonde amitié, s’encourageant l’un l’autre dans leur désir de se donner entièrement à Dieu. Ils fréquentaient avec une grande dévotion l’église de Santa Maria di Montorio, à moins de deux lieues de la ville, desservie par les Ermites de Saint Augustin.
Une nuit, dans un songe, la Très Sainte Vierge leur présenta la ceinture caractéristique des Augustins (cf. > ici), les invitant à embrasser cet Ordre : novices fervents et exemplaires, puis profès et élevés aux Ordres sacrés, en s’encourageant et se soutenant toujours mutuellement, ils s’adonnèrent à de sévères 
pénitences et surmontèrent les terribles tentations du diable et les séductions du monde.

   Ils préféraient prier en plein air, les genoux à même la terre, nonobstant les rigueurs de l’hiver ; lorsque le prieur leur en demanda la raison, ils avouèrent qu’ils y étaient attirés par la vision fréquente de la Bienheureuse Vierge, tenant son divin Fils, souvent accompagnée de Sainte Anne, telle qu’ils l’avaient vue auparavant, en songe.
Ces grâces de prière étaient accompagnées du don de miracles, qui attiraient des foules de nécessiteux autour des deux moines.
Bien qu’ils eussent reçu le sacerdoce, ils réclamaient pour eux-mêmes les services les plus humbles du monastère, ceux habituellement laissés aux frères lais.

   Le Père Evangéliste fut averti par un ange qu’il allait bientôt être appelé à la céleste patrie, et, au jour qui lui avait été indiqué, alors qu’il se trouvait à chanter l’office divin au chœur, il s’agenouilla soudain et rendit sereinement le dernier soupir.
Le Père Pérégrin fut très affligé de la séparation d’avec son frère d’âme, mais à peu de temps de là le Père Evangéliste lui apparut, resplendissant d’une lumière céleste, pour lui annoncer qu’il allait lui aussi bientôt terminer son pèlerinage terrestre, ce qui arriva effectivement.
On les ensevelit dans le même tombeau, et les fidèles ne tardèrent pas à venir prier auprès de lui pour se recommander à leur intercession et à revenir pour remercier des grâces qu’ils avaient reçues.

   Le catalogue des Saints et Bienheureux de l’Ordre des Augustins annexé aux Constitutions du même Ordre promulguées par le Cardinal Gerolamo Seripando en 1543, mentionne les Bienheureux Evangéliste et Pérégrin de Vérone.
Lorsque les Augustins de Santa Maria di Montorio s’installèrent à l’intérieur des murailles de Vérone, en 1262, à l’église de Sainte Euphémie (Sant’Eufemia), ils amenèrent avec eux les restes de leurs deux saints frères qu’ils placèrent initialement sous l’autel de Sainte Anne.
Il y eut une reconnaissance des restes, en 1637, à la suite de laquelle ils furent déposés près de celui de Saint Augustin où ils demeurèrent jusqu’en 1796, date à laquelle l’église fut réquisitionnée pour un usage profane par les troupes du général Buonaparte qui transformèrent le couvent en hôpital militaire.
En 1807, les reliques furent rapportées dans l’église et placées dans la chapelle des Saints Anges, jusqu’à ce qu’enfin, le 20 mars 1836, elles fusent déposées sous la table du maître-autel, où elles se trouvent encore aujourd’hui.

   Le 17 novembre 1837, le pape Grégoire XVI, par décret, reconnut leur culte immémorial et les déclara officiellement bienheureux. A cette occasion, ils furent proclamés protecteurs de la noblesse véronaise.
La ville de Vérone les fête de nos jours à la date du 27 juillet, mais avant la réforme liturgiques ils étaient célébrés à cette date du 20 mars, sous le rit double, comme dans le martyrologe propre des Ermites de Saint Augustin.

Eglise Sainte-Euphémie à Vérone

Vérone, église Sainte-Euphémie (état actuel),
ancienne église du couvent des Ermites de Saint Augustin
sous le maître-autel de laquelle se trouvent les corps des
Bienheureux Evangéliste et Pérégrin.

12345...146

A tempo di Blog |
Cehl Meeah |
le monde selon Darwicha |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | mythologie
| jamaa
| iletaitunefoi