2025-13. L’expérience du refus.
18 janvier,
Fête de la Chaire de Saint Pierre à Rome ;
Mémoire de Saint Paul apôtre ;
Mémoire de Sainte Prisque, vierge et martyre ;
Anniversaire du rappel à Dieu de Monsieur l’abbé Raymond Dulac (cf. > ici).
A l’occasion de l’anniversaire de la pieuse mort de Monsieur l’abbé Raymond Dulac (+ 18 janvier 1987), il y a un certain intérêt à se replonger dans la lecture de certains de ses textes, qui, comme ceux d’autres personnages éminents de la lutte pour l’intégrité et l’intégralité de notre foi catholique dans les années qui ont immédiatement suivi le concile vaticandeux, nous permettent de retremper notre propre détermination et nous affermir dans les convictions qui motivent notre combat, toujours actuel, pour la liturgie catholique traditionnelle.
Lorsque j’ai recopié les lignes qui suivent, et que je livre à votre propre réflexion en ce jour, j’ai eu le tord de ne pas en noter, dans mes carnets personnels, la provenance ni l’année exacte : peut-être l’un de mes lecteurs connaît-il la référence exacte et voudra-t-il bien me la communiquer ?
Dans ce texte, Monsieur l’abbé Dulac exposait le cas – véritable cas de conscience – des prêtres et des fidèles aimant profondément la Sainte Eglise catholique, qui, par respect des autorités légitimes, ont longtemps plié l’échine et attendu, afin de ne pas pécher contre l’obéissance due aux chefs religieux, mais qui, à un moment, sans cesser d’être profondément respectueux des fonctions hiérarchiques, doivent s’opposer aux déviations graves des personnes qui les occupent…
L’expérience du refus :
« Comment selon la mesure de nos faibles forces et de nos pauvres moyens, pouvons nous faire face à l’épouvantable « auto démolition » de l’Eglise, dénoncée par Paul VI, le 7 décembre 1968 ?
Non seulement la Cité de Dieu apparaît désormais comme investie de tous cotés, mais il n’est pas de semaine qui ne nous apporte l’annonce d’un nouvel éboulement du rempart. Il faudrait courir sans cesse d’une brèche à l’autre.
Comme nous voudrions pouvoir faire lire à nos évêques les appels que nous recevons de lecteurs ! Ils nous demandent, avec un accent quelquefois bouleversant : « Que faut-il penser ? – Que dois-je faire ? ».
(…) Il s’agit, dans ces appels angoissés, du sacerdoce, de sa fonction véritable, de ses obligations (soumises, on le sait, à la plus folle, à la plus lâche, à la plus hypocrite des « consultations populaires »). Il s’agit de la perturbation de l’apostolat catholique, dissimulée sous le masque de la suppression des paroisses et des curés ou sous l’appellation fallacieuse de « la mission ». Il s’agit du réformisme liturgique…
Comment répondre à tout, et par où commencer ?
Eh bien ! Nous allons commencer par la Messe. La foi catholique tout entière gravite autour de l’idée qu’on s’en fait. Et, d’abord, le Sacerdoce.
L’opinion de la populace baptisée « Peuple de Dieu », ne changera rien à cette donnée divine fondamentale : La Messe est un vrai Sacrifice : c’est-à-dire une oblation réelle et actuelle, par un homme consacré, le Prêtre, d’une Victime rendue réellement présente sur l’autel, par la transsubstantiation du pain et du vin.
Toutes les atténuations qu’on apportera à ce dogme, en pensée, en paroles ou en rites, ruineront, à la base, non seulement le caractère du sacerdoce, mais aussi tout le catholicisme.
(…) Nous prions nos lecteurs de faire une réflexion personnelle sur ce sujet : qu’ils rapportent à ce dogme de la Messe-sacrifice tous les autres dogmes de leur foi ; ils verront qu’ils sont, un par un, ébranlés par la moindre fissure faite au premier.
Le système protestant tout entier s’est construit à partir de la négation de la « Messe romaniste», comme disaient ses premiers sectateurs. Leur idée, pourtant fondamentale, de « la justification par la seule Foi » est, en effet, suspendue elle-même à une autre, préalable : que l’œuvre de notre rédemption n’est point exercée, perpétuée, renouvelée, à la Messe, par l’Action personnelle du prêtre.
D’un mot : le Protestantisme, autant que peuvent être réduites à l’unité ses formes innombrables, est une religion (?) laïque. Et, si nous voulons être objectifs, au risque de paraître cruels, nous devons ajouter : cette religion laïque a été, à l’origine, une religion de défroqués, conçue à la mesure de leur désertion, pour se donner à eux-mêmes et au monde une justification honorable de leur apostasie.
Ils changeaient la Messe, pour n’être point forcés d’avouer qu’ils avaient changé eux-mêmes.
Pénétrés de cette conviction, il est temps, désormais, de dire clairement, sur le réformisme liturgique, ce qu’on pouvait, depuis quatre ans (note : ces lignes ont été écrites à la fin de l’année 1969 ou au tout début de 1970, après la publication du nouvel « Ordo Missae »), hésiter à dire, soit parce que, suivant la parabole évangélique, l’erreur-ivraie n’avait pas encore atteint ce point de croissance qui permet infailliblement de la reconnaître, soit parce qu’il fallait laisser au magistère hiérarchique le temps d’exercer sa fonction.
Nous avons donc attendu.
Des milliers de prêtres, des centaines de milliers de fidèles ont attendu.
Ils ont demandé, mendié le bon pain de la certitude. Nous ne dirons pas qu’on leur a donné, à la place, une pierre. On leur a donné du vent.
Car des paroles contredites sans cesse par des actes ne sont pas autre chose qu’un flatus vocis (note : expression latine désignant des paroles vides de sens, insignifiantes), comme disaient les nominalistes médiévaux.
Quand tous les recours à l’autorité légitime se sont avérés inutiles et vains, il ne reste plus qu’un moyen au fidèle de se manifester : un moyen extrême, grave, déplorable. Le refus.
Puisque la règle de M. Annibale Bugnini (note : Annibale Bugnini (1912-1982), lazariste, protégé du Cardinal Bea, fut déjà à la manœuvre sous le pontificat de Pie XII pour opérer la réforme de la liturgie romaine traditionnelle et déploya un zèle dévastateur à cette tâche après le concile vaticandeux ; selon Yves Chiron, il est l’ « un des personnages les plus controversés de l’histoire de l’Église contemporaine », et, malgré les démentis du Saint-Siège, des soupçons d’appartenance à la maçonnerie sont attachés à sa personne) et de ses carthaginois est de faire des « expériences », pourquoi ne pas leur offrir une expérience qu’ils n’ont jamais faite jusqu’ici : celle de la Résistance des Dociles ?
Ces messieurs veillaient soigneusement à se couvrir uniquement sur leur gauche, persuadés que les « fidèles de la Tradition » n’oseraient jamais résister à une révolution, dès lors qu’elle était légalisée par « l’autorité ». Et puis, qui donc oserait s’exposer aux épithètes d’intégriste, d’immobiliste ? Qui donc oserait refuser de paraître « jeune » ?
Nous pensons ici au mot terrible du Cardinal Ottaviani à l’endroit des novateurs de son ordre : « Ils ont peur de paraître vieux ».
Nous n’avions, quant à nous, jamais été impressionnés par ces épouvantails-à-moineaux. Mais notre dévotion à l’Eglise de Rome nous tenait silencieux.
Eh bien ! La même dévotion nous ordonne aujourd’hui de parler.
Il est tard ; mais pas trop tard pour ceux qui veulent se placer au-dessus du temps… »
Abbé Raymond Dulac (1903-1987)