2024-193. De Notre-Dame de Pramailhet.
8 septembre,
Fête de la Nativité de Notre-Dame (double de 2ème classe) ;
Mémoire de Saint Hadrien de Nicomédie, martyr.
Avant que ne s’achève cette journée, je voudrais vous parler d’un pèlerinage vivarois auquel Frère Maximilien-Marie est très attaché : celui qui se fait à la chapelle de Notre-Dame de Pramailhet (pèlerinage que feu le Maître-Chat Lully, mon prédécesseur, avait brièvement évoqué dans sa chronique de l’été 2009 > ici).
Statue de Notre-Dame de Pramailhet (état actuel)
Traditionnellement, la grande journée de pèlerinage avait lieu le 8 septembre même, pour célébrer la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu.
En notre France encore à majorité rurale et catholique des « années soixante » du précédent siècle, dans les populations catholiques villageoises de nos contrées, ce jour était considéré pratiquement comme un jour férié où l’on se faisait un quasi devoir de se rendre en pèlerinage en quelque sanctuaire local ou régional dédié à la Très Sainte Vierge.
La petite route qui conduit à la chapelle de Pramailhet
Lorsqu’il était enfant, heureux temps où la rentrée scolaire n’arrivait que vers la mi-septembre, Frère Maximilien-Marie, s’était rendu à plusieurs reprises, à pied, par les chemins ancestraux (des « drailles » en langue d’Oc), avec des cousines et quelques villageois de Saint-Priest (paroisse de laquelle est issue une partie de sa famille, et qui se trouve à environ une lieue et demi à vol d’oiseau de la chapelle de Pramailhet, ce qui représente environ deux heures et demi de marche puisque, en Vivarais, les chemins ne sont pas rectilignes mais doivent se conformer à un relief tourmenté).
Je vous invite d’ailleurs à vous rendre sur quelque carte géographique en ligne pour vous rendre compte par vous-mêmes de la position de cette chapelle qui se trouve aux coordonnées suivantes : 44.684148, 4.492325.
En procédant à des agrandissements ou bien à des visions de recul, vous pourrez vous faire une idée de sa situation, de son isolement, et du relief alentour, puisqu’elle se trouve presque en bordure d’un plateau surélevé duquel on bénéficie de panoramas saisissants sur nombre de villages du bas-Vivarais.
Ce plateau se nomme le Coiron. La chapelle se trouve à 800 mètres au sud du hameau de Pramailhet, au lieu-dit Combemale (ou Combe Male) : une « combe » désigne un vallon, l’adjectif « male » signifie mauvais ; Combemale veut donc dire « vallon mauvais » ou même « vallon maudit » ; nous reviendrons plus loin sur cette appellation.
Paysage des vallées qui s’ouvrent vers le bas Vivarais que l’on peut contempler
depuis la route du Coiron qui conduit à la chapelle de Pramailhet
De nos jours, compte-tenu du fait que les conditions de vie ont bien changé, et que les fidèles qui subsistent auraient bien des difficultés à chômer le 8 septembre pour se rendre en pèlerinage à Pramailhet, le clergé a décidé de transférer le pèlerinage annuel au premier dimanche de septembre, et tente, ce jour-là, de redonner vie à la tradition des pèlerins venant à pied vers le petit sanctuaire.
Le pèlerinage survit donc, mais on est bien loin des foules qu’il attira dans la seconde moitié du XIXème siècle, dans le contexte du sursaut religieux très marqué, ici comme dans le reste du Royaume.
La Restauration (1814-1830) avait favorisé de tout son pouvoir la reprise ou la fondation des écoles catholiques, des petits et grands séminaires, le renouveau des congrégations religieuses, encouragé les missions diocésaines, si bien que c’est véritablement à partir de 1850 que l’on commence à constater la fécondité spirituelle de ces vocations zélées, et à cueillir les fruits du zèle apostolique de ces jeunes prêtres ou religieux, généralement bien formés, qui se sont dépensés à la ré-évangélisation des paroisses et des campagnes, soutenus par les manifestations surnaturelles de la Madone à la rue du Bac (1830), à Notre-Dame des Victoires (1836), à La Salette (1846) et bientôt à Lourdes (1858).
Aux alentours de 1872, un digne ecclésiastique témoin de la ferveur qui entoure alors le pèlerinage de Pramailhet avance le chiffre de 6000 pèlerins, et l’historien local Albin Mazon, alias le Docteur Francus, évoque des Messes célébrées toutes les semaines, en présence de nombreux fidèles, même en dehors des jours de fêtes mariales.
Des pèlerins à la chapelle de Pramailhet vers 1900
Selon les traditions qui se racontaient à la veillée jadis, le nom de Combemale donné à ce vallon à 800 mètres au sud du hameau de Pramailhet serait lié à la mort tragique d’une jeune fille – une bergère ? – qui y aurait été sauvagement agressée, ou peut-être dévorée par des bêtes sauvages.
A quelle époque ? Nul ne le dit…
Ces mêmes traditions locales, rapportent qu’il y aurait eu une sorte d’ermitage dans les parages : le nom de « Solitari » donné à un lieu-dit relativement proche en serait la survivance toponymique.
Il ne subsiste néanmoins rien de cet ermitage dont témoignent les traditions et nul ne peut dire à quelle période il fut habité, ni quand il aurait cessé d’exister. Aurait-ce été par simple abandon ? ou bien lors de dévastations, comme il y en eut lors des passages des grandes compagnies pendant la guerre de Cent Ans ? ou encore cela nous renvoie-t-il à des événements beaucoup plus anciens à la fin de l’Antiquité ou au début du Moyen-Age ?
Dans l’état actuel de nos connaissances, nous n’avons aucun élément de réponse.
Nous savons seulement, et encore avec beaucoup d’imprécisions, que vers 1851, des travaux de terrassement effectués pour une restauration de la chapelle, ont permis de découvrir des vestiges de bâti ancien : mais cela n’a évidemment pas été étudié de manière rigoureuse et scientifique.
Chapelle de Pramailhet, état actuel
Les données parcellaires en notre possession attestent néanmoins de la reconstruction, en 1648, d’une chapelle détruite.
Il est bien question de reconstruction, ce qui signifie, en toute logique, qu’il y avait un édifice antérieur, dont on peut raisonnablement penser qu’il avait été ruiné par les sectateurs de Calvin, dont les ravages et destructions furent très nombreux dans toute cette partie du diocèse de Viviers.
La chapelle de 1648 fut agrandie en 1781, ce dont témoigne la clef de voûte de la porte latérale.
Dans la deuxième partie de la grande révolution (après la terreur robespierriste), lors même que le triste évêque parjure et jureur de Viviers – Monseigneur Charles de La Font de Savines – avait abandonné le diocèse, et que la persécution s’acharnait aussi bien sur les prêtres insermentés que sur les assermentés, des prêtres constitutionnels fanatiques s’établirent à Pramailhet et firent de la chapelle leur « cathédrale » (sic).
Les désordres se multiplièrent autour de cet avorton d’ « Eglise » schismatique : si le concordat de 1801 vint mettre fin à l’existence de cette petite communauté d’obstinés, le lieu resta pendant plusieurs années entouré de suspicions si bien que le pèlerinage finit par être interdit par l’autorité ecclésiastique, d’autant qu’un incendie, causé par la foudre, avait encore une fois ruiné la chapelle autour de laquelle se produisirent plusieurs scandales.
La chapelle sera finalement relevée en 1851, agrandie en 1872, et, sous l’impulsion de prêtres zélés et équilibrés dûment autorisés par Monseigneur l’évêque de Viviers, le pèlerinage reprit son essor.
La chapelle actuelle, qui est celle achevée en 1872, est de proportions modestes : 17 mètres de long et 8 de large ; elle est de style néo-roman. La nef comporte trois travées soulignées par des arcs-doubleaux ; l’abside à pans coupés comporte trois baies (dont l’une a été maçonnée pour la transformer en niche pour une statue de la Vierge à l’Enfant) ; à l’ouest – c’est-à-dire du côté de l’Evangile, car la chapelle n’est pas orientée (le chevet est au nord) – se trouve une chapelle latérale, qui formerait un transept si elle avait son pendant.
Dans les années qui ont suivi le concile vaticandeux, la table de communion et le marchepied du maître-autel ont été misérablement retirés pour disposer un « autel face au peuple » sans style, aussi pitoyable qu’insignifiant.
Intérieur de la chapelle de Pramailhet
(photo prise par Frère Maximilien-Marie en 2009)
Statue de la Madone à l’Enfant
à laquelle est donné le vocable de Notre-Dame de l’Espérance
placée dans la niche (ancienne baie) du fond du sanctuaire
Même si une grande statue dorée de belle facture, appelée Notre-Dame de l’Espérance, a été placée dans la baie centrale (murée) de l’abside, ce n’est pas elle qui fait l’objet du pèlerinage de Pramailhet, lequel se concrétise, de fait, autour d’une ancienne statue de pierre (il s’agit d’une pierre de grès), d’une quarantaine de centimètres de haut, pesant 15,400 kg.
A cette statue se rattache la principale tradition liée à ce lieu : elle aurait été découverte, miraculeusement par un laboureur dont les bœufs refusaient de piétiner la place où elle était enfouie.
D’aucuns ajoutent que, aiguillonnés par le paysan qui voulait à tout prix les faire avancer, les bœufs se seraient agenouillés et auraient incliné la tête, désignant par là l’endroit au dessous duquel la statue attendait qu’on la tirât de l’oubli et qu’on la vénérât à nouveau.
Nous nous trouvons donc en présence d’une « statue trouvée ».
Des légendes analogues (mot qui ne signifie pas que ce soit une pure affabulation) existent en plusieurs autres lieux de pèlerinage (ce qui ne signifie pas non plus qu’il s’agisse d’une sorte de « figure de style » hagiographique sans consistante réelle).
Le chanoine Saunier, docte prêtre du diocèse de Viviers qui, dans la seconde moitié du XIXème siècle, a essayé de donner quelques explications sur cette statue, est selon toute vraisemblance dans la vérité lorsqu’il écrit que nous nous trouvons en réalité en présence d’ « un tronçon de colonne de forme hexagonale, à pans inégaux, percé des deux côtés, dans le sens de la longueur, de manière à reposer sur une douille et à s’ajuster ainsi sur le fût d’une colonne ». Ce qui amène spontanément à penser quelle était originellement un élément d’une « croix de pierre à double face », comme on en produisit aux XIVème et XVème siècles dans nos contrées. Le style de la sculpture irait d’ailleurs dans le sens d’une telle datation.
Quant à la polychromie qu’on observe sur cette statue, en l’absence d’une étude poussée sur les pigments et leur facture, on ne peut présentement dire s’ils sont d’origine ou s’ils sont le résultat, plus ou moins heureux, d’une intervention postérieure.
Enfin, de toute évidence, la tête de la Vierge a été coupée et recollée : s’agit-il d’un « banal » accident (par exemple une chute) ? ou bien fut-ce le résultat du vandalisme huguenot ou révolutionnaire ? Là encore, nous n’avons aucun élément qui nous permette la moindre affirmation.
L’arrière de ce tronçon semble indiquer qu’un élément y a été détruit ou martelé, mais encore une fois les constatations que nous pouvons aujourd’hui faire nous fournissent davantage d’éléments d’interrogations que des réponses.
Cette statue, qui figure sur la liste des objets inscrits aux Monuments Historiques, est habituellement conservée, bien en sécurité, dans l’église de Saint-Etienne de Boulogne, et elle est apportée dans la chapelle solitaire le jour du pèlerinage.
La tradition de sa découverte miraculeuse est-elle absolument conforme à la réalité ? Rien ne permet de l’infirmer de manière catégorique, comme rien ne nous permet de l’affirmer de manière « scientifique ».
Et rien non plus ne nous permet de proposer une date pour cette « découverte ».
Serait-ce elle qui, dans le contexte de la rechristianisation postérieure aux dévastations huguenotes et après la pacification apportée par l’intervention de Sa Majesté le Roi Louis XIII (siège de Privas et paix d’Alès en 1629), aurait suscité la reconstruction de 1648 ?
En revanche il est indubitable qu’elle a contribué – et contribue encore – à faire venir des pèlerins, jadis très nombreux et en nombre plus réduit de nos jours, vers ce « coin perdu » du plateau du Coiron, où les ex-voto fixés aux murs de la chapelle montrent à l’évidence que la Vierge Marie se plaît à accorder ses grâces.
Je suis très heureux d’avoir pu vous présenter ce lieu de pèlerinage ancien, qui a connu bien des vicissitudes, vous l’avez lu, et contre lequel, de toute évidence, le démon s’est acharné, suscitant de manière récurrente des destructions, troubles et scandales, afin d’en éloigner les âmes ; lieu autour duquel plane toujours, en quelque manière, un véritable mystère, en raison des nombreuses zones d’ombre laissées par notre connaissance très lacunaire de ses origines comme de pans entiers de son histoire.
Frère Maximilien-Marie, qui a pu, à plusieurs reprises, s’y rendre en dehors du jour officiel du pèlerinage, souvent tout seul, m’a expliqué qu’il règne en ce lieu une atmosphère très particulière de plénitude silencieuse qui rend quasi palpable la présence du monde invisible, et la réalité des combats entre les forces surnaturelles du Bien et les puissances infernales.
Je vous souhaite, un jour d’avoir l’occasion de vous y rendre en pèlerinage, pour vous y placer sous le manteau maternel de Notre-Dame de Pramailhet, Notre-Dame de l’Espérance, victorieuse du serpent des origines et médiatrice des grâces divines…