Archive pour la catégorie 'Textes spirituels'

2015-15. « L’homme n’est pas libre dans la mesure où il ne dépend de rien ni de personne : il est libre dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il aime… »

2001 – 19 janvier – 2015
Quatorzième anniversaire du rappel à Dieu
de
Gustave Thibon

       Une fois encore, la date du 19 janvier ramène l’anniversaire du rappel à Dieu de ce « Maître ès intelligence & profondeur spirituelle » que fut notre grand, notre incomparable, notre unique et insurpassable Gustave Thibonnotre Gustave !

   2001 – 2015 : quatorze ans que son âme a quitté cette terre pour – j’en ai la conviction intime – se laisser enfin embrasser par cette infinie et paisible Lumière à laquelle elle aspirait de toutes ses forces.
Quatorze ans ! Et cependant, je n’ai pas l’impression d’un éloignement ou d’une absence car Gustave Thibon m’est présent tous les jours.
Peut-être même plus proche de jour en jour.

Il ne m’est pas seulement présent par ses écrits : il est d’une certaine manière présent et vivant à l’intérieur de moi même, tant je lui dois, tant je ne serais pas aujourd’hui ce que je suis si je ne l’avais pas rencontré et s’il n’avait pas contribué à la formation et à l’épanouissement de mon intelligence et de ma spiritualité.

   En ces jours-ci, ces jours de janvier 2015 d’une manière très particulière, comme il est bon et salutaire de prendre du recul pour regarder les événements contemporains avec Gustave Thibon !
En ces jours-ci, ces jours de janvier 2015, où le mot « liberté » sert une fois encore de miroir aux alouettes, pour faire tomber les peuples dans les filets de manipulations de grande envergure tendus par les suppôts de satan à l’oeuvre en ce monde, la lucidité de Thibon est un puissant antidote aux poisons distillés par les politiques et les médias.
Voilà pourquoi il m’a paru particulièrement adapté à ces jours, ces jours-ci, de marquer ce quatorzième anniversaire de la mort de Gustave Thibon en vous donnant à lire et à relire ces lignes publiées en 1943.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.    

frise avec lys naturel

G. Thibon

Dépendance et liberté.

   « Les fausses mystiques qui dévorent l’âme moderne répugnent instinctivement à définir leur objet : c’est qu’elles pressentent que leur idole, une fois définie (c’est-à-dire ramenée à son humble mesure et à ses proportions relatives), ne pourra plus être adorée.

   Il en est ainsi de la liberté. Depuis un siècle et demi, bien des hommes sont morts pour ce mot, qui n’ont jamais cherché à en préciser le sens. Tout au plus l’idée de liberté flottait-elle en eux comme un vague mirage d’indépendance absolue et de plénitude divine.

   Allumons notre lanterne. Définir la liberté par l’indépendance recouvre une dangereuse équivoque. Il n’existe pas pour l’homme d’indépendance absolue (un être fini qui ne dépendrait de rien serait un être séparé de tout, c’est-à-dire éliminé de l’existence). Mais il existe une dépendance morte qui l’opprime et une dépendance vivante qui l’épanouit.
La première de ces dépendances est servitude, la seconde est liberté.

   Un forçat dépend de ses chaînes, un laboureur dépend de la terre et des saisons : ces deux expressions désignent des réalités bien différentes.
– Revenons aux comparaisons biologiques qui sont toujours les plus éclairantes. Qu’est-ce que « respirer librement » ? Serait-ce le fait de poumons absolument « indépendants » ? Tout au contraire : les poumons respirent d’autant plus librement qu’ils sont plus solidement, plus intimement liés aux autres organes du corps. Si ce lien se relâche, la respiration devient de moins en moins libre, et, à la limite, elle s’arrête. La liberté est fonction de la solidarité vitale.

   Mais dans le monde des âmes, cette solidarité vitale porte un autre nom : elle s’appelle l’amour.
Suivant notre attitude à leur égard, les mêmes liens peuvent être acceptés comme des attaches vivantes ou repoussés comme des chaînes, les mêmes murs peuvent avoir la dureté oppressive de la prison ou la douceur intime du refuge. L’enfant studieux court librement à l’école, le vrai soldat s’adapte amoureusement à la discipline, les époux qui s’aiment s’épanouissent dans les « liens » du mariage. Mais l’école, la caserne et le ménage sont d’affreuses geôles pour l’écolier, le soldat ou les époux sans vocation.

L’homme n’est pas libre dans la mesure où il ne dépend de rien ni de personne : il est libre dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il aime, et il est captif dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il ne peut aimer.

   Ainsi le problème de la liberté ne se pose pas en termes d’indépendance. Il se pose en termes d’amour. Notre puissance d’attachement détermine notre capacité de liberté. Si terrible que soit son destin, celui qui peut tout aimer est toujours parfaitement libre, et c’est dans ce sens qu’il est parlé de la liberté des saints.
A l’extrême opposé, ceux qui n’aiment rien ont beau briser des chaînes et faire des révolutions : ils restent toujours captifs. Tout au plus arrivent-ils à changer de servitude, comme un malade incurable qui se retourne sur son lit.

   Est-ce à dire qu’on doive accepter indifféremment toutes les contraintes et s’efforcer d’aimer tous les jougs ? Cette voie des saints ne saurait être proposée comme un idéal social. Tant que le mal et l’oppression seront de ce monde, il y aura des jougs et des chaînes à briser.
Mais ce travail révolutionnaire ne peut pas être une fin en soi : la rupture d’une attache morte doit aboutir à la consolidation d’un lien vivant.
Il ne s’agit pas d’investir chaque individu d’une indépendance illusoire : il s’agit de créer un climat où chaque individu puisse aimer les êtres et les choses dont il dépend. Si notre volonté d’indépendance n’est pas dominée et dirigée par ce désir d’unité, nous sommes mûrs pour la pire servitude.
Je le répète : l’homme n’a pas le choix entre la dépendance et l’indépendance ; il n’a le choix qu’entre l’esclavage qui étouffe et la communion qui délivre.
L’individualisme – nous ne l’avons que trop vu – n’est qu’un refuge provisoire ; nous ne sommes pas seuls ; nous ne pouvons pas nous abstraire les uns des autres, et, bien avant l’égalité suprême de la mort, le même destin nous emporte.
il dépend de nous seuls de faire ce destin commun favorable ou néfaste. Si nous ne vivons pas ensemble comme les organes d’un même corps, nous nous flétrirons et nous pourrirons ensemble comme ces feuilles sans sève, si indépendantes les unes des autres, si individualistes, mais que le même vent d’automne arrache et roule à son gré. Ou plutôt – car la France aussi ne peut pas s’abstraire du reste du monde – une force étrangère nous imposera du dehors cette unité que nous n’avons pas voulu créer du dedans.
L’alternative est claire : ou nous serons unis aujourd’hui dans le même amour ou courbés demain sous le même joug. »

« Retour au réel » - Première partie. § VI : « Dépendance et liberté » (pp. 157-161) - 1943.

frise avec lys naturel

Autres publications consacrées à Gustave Thibon dans les pages de ce blogue :
- « In memoriam : Gustave Thibon » (2008) > ici
- « Gustave Thibon : dix ans déjà ! » (2011) > ici
- « Eloignement et connaissance » (extrait de « Retour au réel ») > ici
- Le message de ND de La Salette au monde paysan > ici
- « Le goût de l’aliment éternel » > ici
- « Libertés » (extrait de « Diagnostics ») > ici
- « Eglise et politique » (in « Entretiens avec C. Chabanis ») > ici
- Le sport dans la société moderne > ici
- « Vertu c’espérance et optimisme » (in « l’Equilibre et l’harmonie ») ici
- Critique de la « démocratie » (in « Entretiens avec C. Chabanis ») ici
- Gustave Thibon : « La leçon du silence » > ici

2015-11. Au Ciel, il n’y a pas de « malgré-nous »…

15 janvier,
fête de Saint Paul, premier ermite (cf. > ici) ;
mémoire de Saint Maur, abbé et confesseur ;
mémoire de Sainte Tarcisse (ou Tarsitie), vierge et ermite (cf. > ici).

Détail du tympan du portail sud de la cathédrale de Chartres

Détail du tympan du Jugement dernier au portail sud de la cathédrale de Chartres :
les damnés précipités en enfer

frise

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Je pense que la plupart d’entre vous savent qui l’on désigne sous l’expression de « malgré-nous » ; toutefois, pour le cas où quelques uns l’ignoreraient, je vais le redire : on désigne par cette expression de « malgré-nous » les Français d’Alsace et de Moselle qui, considérés par les autorités du troisième Reich comme Allemands, furent enrolés de force dans l’armée allemande au cours de la seconde guerre mondiale et furent contraints à combattre malgré eux avec les ennemis de la France.
Qu’on me permette aujourd’hui de reprendre la même expression pour vous entretenir de la question du salut éternel et du Ciel.

   En nos temps de confusion et d’approximation, où l’émotion et le sentiment se substituent si souvent à la raison, et se substituent même aux vérités révélées dans l’esprit de certains chrétiens, il me paraît en effet important de rappeler que la chanson idiote de Monsieur Polnareff « on ira tous au paradis » non seulement n’est pas un dogme, mais qu’elle est aussi absolument contraire à l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Non ! tous les hommes n’iront pas au Paradis.
Car personne ne va au Ciel malgré lui.
Au Ciel, il n’y a pas de « malgré-nous » !

   En conformité avec l’enseignement des Saintes Ecritures, les chrétiens doivent – c’est évident ! – avoir le désir du salut de tous, parce que c’est la volonté même de Dieu : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée II, 4).
Mais ce n’est pas parce que Dieu voudrait qu’il en soit ainsi qu’il en est ainsi dans les faits.
Et ce n’est pas parce que les chrétiens doivent eux aussi en avoir le désir ardent qu’ils doivent pour autant prendre leurs désirs pour la réalité.

   Le Bon Dieu a fait aux hommes le don de la liberté, et Il respecte cette liberté qu’Il a donnée aux hommes, même lorsque ces hommes choisissent de se détourner de Lui…
Ce n’est pas parce qu’Il voudrait n’en perdre aucun, qu’il n’y a pas de damnés : Dieu n’impose pas Son salut à des personnes qui n’en veulent pas.

Personne ne va au Ciel malgré lui.
Au Ciel, il n’y a pas de « malgré-nous ».

   Nous savons, bien sûr, qu’il y a un Saint Bon Larron. Et parce que Notre-Seigneur a promis à celui qui se tournait vers Lui in extremis en implorant Sa miséricorde qu’il serait avec Lui en paradis, nous espérons qu’à d’autres âmes, touchées par la grâce à la dernière seconde, seront aussi ouvertes les portes du salut.
Parce que le saint curé d’Ars a pu, divinement éclairé, affirmer à l’épouse d’un suicidé, tourmentée par la crainte que son mari ne fût damné, qu’entre le pont et l’eau il avait eu le temps de se repentir et de demander pardon, nous prions ardemment pour que la miséricorde du Coeur de Jésus se fraye un chemin dans le cœur de ceux qui franchissent le seuil terrible et mystérieux de la mort.
Parce que le Saint Evangile nous rapporte qu’il y aura des « ouvriers de la onzième heure », nous avons une ferme confiance dans la puissance infinie de la miséricorde du Maître de la vigne.
Mais tout cela nous montre aussi que la miséricorde de Dieu ne peut se déployer que si l’homme s’ouvre à elle et se repent de ses voies mauvaises.
C’est pour cela qu’il ne peut pas y avoir et qu’il n’y a pas au Ciel de « malgré-nous ».

   Ceux qui auront refusé d’aimer et de servir Dieu, ceux qui auront méprisé le salut qu’Il leur offrait, s’ils ne se sont pas convertis, ne seront pas sauvés malgré eux, n’iront pas au Ciel malgré eux !

   Un vrai chrétien a le devoir pressant de prier pour le salut des âmes ; un vrai chrétien a le devoir impérieux d’offrir des sacrifices et des pénitences unis à la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour obtenir la conversion et le salut des âmes ; un vrai chrétien doit témoigner de l’Evangile du salut par les exemples de sa vie – plus encore que par des paroles – afin d’inspirer à ceux qui le voient vivre le désir de connaître et d’aimer Dieu, afin de Lui gagner des âmes…

   Mais un vrai chrétien est aussi sans illusion : l’enfer existe, l’enfer n’est pas vide, et il y a des hommes qui le préfèrent et qui en font le choix libre et responsable.

   De quelque bonne volonté et de quelque zèle qu’ils soient animés pour le salut des âmes – de toutes les âmes – , les chrétiens ne peuvent néanmoins pas décider du salut de ces âmes à leur place : on n’impose pas le salut à des personnes qui n’en veulent pas !

Au Ciel, il n’y a pas de « malgré-nous » !

   Pour aller au Ciel, il faut avoir un minimum d’amour de Dieu.
Et comment manifeste-t-on son amour pour Dieu ? En observant Ses commandements : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le Royaume des cieux ; mais celui qui fait la volonté de Mon Père qui est aux cieux, celui-là entrera dans le Royaume des cieux » (Matth. VII, 21).

   Celui donc qui, ayant eu la connaissance de la volonté de Dieu, n’en aura pas tenu compte ; celui qui aura agi dans sa vie en la tenant pour nulle, comme si elle n’existait pas ; celui qui l’aura méprisée ; celui qui se sera moqué des commandements de vie et des voies du salut révélés par Dieu, s’il ne se convertit pas et ne demande pas pardon, ne peut accéder au salut :  « Celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc XVI, 16 b).

Au Ciel, il n’y a pas de « malgré-nous » !

   C’est donc faire preuve d’une forme de faux zèle particulièrement contraire à l’enseignement des Saintes Ecritures, et c’est manquer totalement de respect pour la liberté d’autrui que de vouloir – à tout prix et à n’importe quel prix – envoyer pour l’éternité tenir compagnie au Bon Dieu et à ses saints, des personnes qui ont librement choisi ici-bas de ne pas L’aimer !

   Oui, lorsque des personnes qui, sur cette terre, n’avaient absolument pas du tout envie d’aimer Dieu et de Le servir, passent de vie à trépas, il n’appartient à personne ici-bas de décréter de son propre chef que ces personnes sont allées au Ciel !
Pourquoi ces chrétiens-là – fussent-ils prêtres ou évêques – ne veulent-ils pas respecter la liberté de ces personnes et voudraient-ils leur infliger de passer toute leur éternité avec le Bon Dieu qu’elles avaient librement choisi de ne pas aimer et de ne pas servir ?

   Que ceux qui prétendent servir Dieu se gardent donc bien de dire, si Dieu ne le fait pas Lui-même savoir (par une révélation spéciale ou par un acte solennel du magistère de Son Eglise) que tel ou tel est au Ciel ou qu’il est en enfer…
Cela, c’est le mystère de Dieu : et, sur ce point en particulier, Dieu ne nous doit rien.
Dire « tel homme est au ciel » ou « tel autre est en enfer », si Dieu ne l’a pas Lui-même fait savoir, c’est se placer au-dessus de Dieu et présumer gravement de Ses jugements insondables qui n’appartiennent qu’à Lui.

Lully.

Publications connexes :
– Le petit nombre des sauvés (Saint Augustin) > ici
– Sermon de Saint Augustin sur le bon Larron > ici
– Au sujet de l’enfer : « Personne n’en est jamais revenu… » > ici
– Bande dessinée « les autruches » > ici

H. Memling triptyque du jugement dernier

Hans Memling : triptyque du jugement

2015-10. Métaphysique des vœux (6ème partie).

6ème partie :
Le problème serait-il insoluble ?
Peut-on « souhaiter la bonne année » en vérité ?

frise

Lully au parapluie rouge

Mercredi 14 janvier 2015,
Fête de Saint Hilaire de Poitiers
(cf. la catéchèse que Sa Sainteté le Pape Benoît XVI lui a consacrée > ici).

       Nous avons achevé hier l’octave de l’Epiphanie, et ce jour – 14 janvier dans le calendrier grégorien – se trouve être le 1er janvier selon le calendrier julien : quelle bonne occasion de continuer nos questionnements et réflexions dans cette « métaphysique des voeux » à laquelle je vous ai invités depuis une dizaine de jours !

   Nous l’avons vu, même si la formule est bien séduisante, souhaiter à quelqu’un « le meilleur » peut avoir des conséquences, insoupçonnées au premier abord, qui pourraient se révéler en réalité tout autre chose que le meilleur, tant pour cette personne elle-même que pour un certain nombre d’autres par contre-coup.

   Souhaiter à quelqu’un que tous ses projets se réalisent peut également être dangereux : je ne peux pas être certain, en effet, que tous ses projets soient honnêtes et bons !

   Alors présenterai-je mes voeux en disant : « Je vous souhaite une bonne année mais, ce faisant,  je souhaite que seuls vos projets généreux, bons et honnêtes se réalisent » ?
Ce pourrait être amusant, en effet, parce que mon interlocuteur ferait probablement une drôle de bouille ; mais il se demanderait sans aucun doute si je ne suis pas en train de le soupçonner de nourrir quelque projet malveillant, et il pourrait finalement assez mal le prendre, puis me faire la tête pour toute l’année à venir (au moins).

   D’ailleurs qui détermine ce qui est généreux, bon et honnête ?
En l’occurrence, c’est la conscience (ou peut-être simplement l’habitude) de celui qui formule les voeux : nos voeux sont dépendants de notre conception personnelle du bien et du mal.
Du coup cela ne revient-il pas à dire à l’autre – je l’avais déjà évoqué – : « Je vous présente mes meilleurs voeux, c’est-à-dire que je souhaite que ma propre vision du bien s’accomplisse dans votre vie » ? Bien sûr, c’est comme si l’on disait : « Je vous souhaite que mes voeux soient exaucés », ou bien : « Bonne année : que tous mes projets vous concernant se réalisent » !

Cela sonne de curieuse manière, je n’en disconviens pas, et je ne suis pas du tout sûr que celui auquel je m’adresse en ces termes en éprouve beaucoup de plaisir.

   Bon ! Alors cherchons un compromis : « Bonne année ! Je souhaite que tu souhaites les mêmes choses que moi, de sorte que je puisse te souhaiter – sans arrière-pensée et du plus profond du coeur – que tous tes souhaits, ainsi conformes aux miens, puissent s’accomplir ! »
Pourquoi me dites-vous que c’est trop compliqué ?
Ceci vous conviendrait-il davantage : « Je te souhaite de vouloir ce que je veux qui est la seule façon pour moi de souhaiter que tes voeux se réalisent… » ?
Ah ! Cela ne vous semble pas très élégant et manifester surtout de l’égocentrisme… Cependant n’est-ce pas tellement proche de la réalité cachée ?

   Si, en outre, on veut souhaiter « le meilleur » à un grand nombre de personnes, on arrive fatalement aussi à un grand nombre de situations conflictuelles.
En effet, on ne peut pas, sans contradiction, souhaiter à tout le monde la réalisation de tous ses voeux puisque ce qui est bon pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre, et puisque, même à de très petites échelles, la société humaine est tissée d’une incroyable complexité de compétitions, rivalités, intérêts divergents, aspirations contraires… etc.

   Problème insoluble ?
Que faire ? Que dire ?
Ne pourrait-on pas, malgré tout, imaginer que tous les hommes s’accordent sur des vœux, désirables par tous et bons pour tous ?
Cela pourrait donner quelque chose comme : « Je te souhaite que tes souhaits humanistes, universels et valables pour le bien de tous les êtres humains, se réalisent ».

   Je ne sais pas si, pour ce qui vous concerne, vous vous voyez prononcer de semblables formules aux personnes que vous rencontrez dans la rue au matin des premiers jours de l’année, sur le marché ou en arrivant au bureau…
Non seulement cela fait un peu pompeux ; mais en outre cela peut donner l’impression que l’on veut donner des leçons.

   Et puis, c’est tout de même bien vague : qu’est-ce qui, dans les faits, est universellement souhaitable ?

   Beaucoup diraient spontanément que ce n’est quand même pas difficile à trouver : la paix internationale ; la fin de tous les conflits sociaux ; la cessation des famines ; la sortie de la crise économique ; la solution au chômage ; la justice universelle ; la résolution des épidémies ; l’équilibre écologique… etc.

   Ben, voyons !
Si c’était vraiment facile, comment donc se fait-il que ce ne soit pas encore réalisé ?
Des années et des années se sont succédées, constituant des siècles et des millénaires : chacune a commencé par un jour de l’an ; chacune a apporté son sympathique cortège de vœux ; chacune a vu l’envoi d’une multitude de jolies cartes avec de belles paroles de ce style ; chacune a eu droit à sa ribambelle de « meilleurs vœux »
Et pas seulement des voeux privés : des voeux officiels, émis de la manière la plus sérieuse et la plus solennelle à tous les échelons de l’Etat…
Et aussi des voeux très officiels entre Etats, présentés par des services diplomatiques, cabinets ministériels et autres services d’ambassades tous plus sérieux, tous plus sincères, tous plus urbains les uns que les autres. De chefs d’Etat à chefs d’Etat, de Présidents à Rois, d’Altesses à Chanceliers, de Sérénissimes à Excellences, de directeurs à commandants, de Saintetés à Béatitudes… Tous ces vœux ! Exprimés en un langage si beau, en un discours porteur de tant de promesses, en une langue se référant à tant de valeurs humanistes : une langue faite d’un bois tellement pourri que tout cela n’est plus qu’insignifiance !
Un vrai feu d’artifice mondial de fumée : « Vanité des vanités, disait l’Ecclésiaste ; vanité des vanités, et tout est vanité » (Eccl. I, 2).

   Nous découragerons-nous ?
Allons ! Essayons encore…
En prenant du recul (ou de l’altitude), n’est-il pas envisageable de dire : « je vous souhaite une année de réflexion et de questionnement » ?
Cela vous semble trop pédant ?
Alors plutôt peut-être : « Je vous souhaite les vrais accomplissements de ce qu’il y a de plus spirituel dans vos vies » ?
Ah ! Vous trouvez que ça fait trop « curé »…
Certes en entendant de tels voeux, votre voisine de palier risque 1) de se demander si vous n’êtes pas entré dans une secte et 2) d’oublier de vous tendre la boite de chocolats qu’elle avait pourtant dans les mains  !

   « Je vous souhaite une année d’intensité en tout ce que vous entreprendrez… »
Trop « marketing » !…
« Que cette année soit pleine de beauté profonde et d’expériences d’authenticité… »
Un peu « new age »…
Et ceci : « Que l’aventure soit au rendez-vous de chacun des jours de cette nouvelle année » ?
Oui, je sais, ce n’est peut-être pas le plus adapté pour vos vieux oncles et tantes perclus de rhumatismes qui ne se sentent plus l’âme et l’entrain d’Indiana Jones…

   Que faut-il faire alors ?
Se contenter du très très très usé : « Bonne année ! Bonne santé ! » ?
Mais certaines personnes peuvent se révéler très dangereuses en bonne santé : un menteur – pour ne prendre qu’un seul exemple – répand ses mensonges avec bien plus d’assurance et de force de persuasion quand il est au mieux de sa forme !
C’est là toute la problématique du « bon couteau » soulevée par Platon. Un « bon couteau » est celui qui coupe bien, voire très bien. Néanmoins, dans la main d’un assassin, quel est vraiment le « bon couteau » : celui qui coupe ou bien celui qui ne coupe pas – à savoir un mauvais, voire très mauvais couteau – ?

   Alors ? S’abstenir de présenter ses vœux ?
Passer son tour et attendre l’année prochaine ?

   Mais le problème se représentera tel quel dans un an… et il faudra bien recommencer, tout comme l’année recommence.
Année nouvelle et nouvelle avalanche de vœux pieux sans effets réels ?
Problème sans solution ?
Laisserons-nous tomber ?

   Non ! Il doit tout de même bien exister un moyen d’offrir des voeux qui soient vraiment positifs, ni trop vagues ni trop étroits, ni trop généraux ni banals, ni pédants ni cucul la praline !!!

pattes de chatLully.

(à suivre ici > 7ème et dernière partie)

bonne année chats

2015-8. Métaphysique des vœux (5ème partie).

5ème partie :
Souhaiter du bien… Oui, mais de quel bien s’agit-il ?
Le bien tel que je le conçois ?
Le bien tel que l’autre le conçoit ?
Ou un bien véritablement objectif ?

frise

Jeudi 8 janvier 2015.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       J’avais bien prévu que les précédents paragraphes de ma « métaphysique des vœux » laisseraient indifférent un grand nombre de lecteurs (ou de « renonçants-à-lire ») qui ne verraient dans mes questions que les vaines arguties d’un chat qu’ils jugent trop oisif, mais j’étais loin d’imaginer que, chez certaines autres personnes, mes réflexions susciteraient des réactions si vives que ces personnes en arriveraient alors à éprouver le besoin de se justifier.
Faut-il en conclure que j’ai posé la griffe sur un endroit particulièrement sensible ?

   Nonobstant l’indifférence des uns et les susceptibilités des autres, j’irai jusqu’au bout de mon questionnement, quelque dérangeant qu’il puisse paraître.
Je pense même d’autant plus devoir le poursuivre qu’il peut davantage bousculer et déranger.

Maître-Chat Lully 6 janvier 2015

- « Je vous assure, cher Lully, que lorsque j’adresse mes vœux à quelqu’un, ils sont sincères ! »
- Certes ! Mais même lorsqu’ils sont « sincères », les vœux n’en sont pas moins ambigus.

   D’abord parce que la sincérité des sentiments ou des convictions d’une personne n’est absolument pas l’assurance que ces sentiments et ces convictions sont justes et bons.
Dans l’usage courant, l’adjectif sincère semble chargé d’une valeur morale, puisqu’il sert à exprimer « ce qui est réellement pensé ou senti ». Mais Don José était vraiment « sincère » dans son amour pour Carmen et c’est justement cela qui l’a poussé à la poignarder !
Je prendrai même un exemple extrême : Hitler, de toute évidence, était absolument « sincère » dans la profession de ses théories politiques et sociales ; cela ne les rend pas bonnes pour autant !
On peut être « sincère » et monstrueux : l’actualité nous en fournit tous les jours de tristes exemples. La sincérité est subjective ; ce qui est pensé ou exprimé par la personne « sincère » n’est pas, par le fait même de cette « sincérité », rendu conforme au bien véritable, à la vérité et à la justice !
Des vœux, aussi « sincères » qu’ils puissent être, n’en sont donc pas pour autant exemptés de certaines illusions ou de l’erreur.

   - « Je forme des vœux pour que TU… », ou bien «  Je VOUS souhaite… »

   Si l’on est bien attentif à ces formules, le vœu n’est pas seulement l’expression d’un désir ; c’est plus complexe que l’apparence ne veut bien le laisser paraître.

   Un vœu est ce que l’on déclare souhaiter pour autrui. Ce n’est pas seulement « je souhaite » mais c’est « je TE souhaite… ».
Le vœu exprime des souhaits que l’on peut qualifier de « transitifs ». Souhaits transitifs, c’est-à-dire qu’ils expriment que le sujet prend la personne à laquelle il s’adresse comme objet de ses souhaits. On ne souhaite pas seulement à quelqu’un d’autre, mais on souhaite pour quelqu’un d’autre : lorsque je TE souhaite, cela signifie que, d’une certaine manière, MA propre volonté se substitue à la tienne pour exprimer le bien qu’il ME semble à MOI être désirable pour toi.
Cela peut arriver au point que certains, dans leur assurance de savoir quasi mieux que leur interlocuteur ce qui est bon pour lui, souhaitent
A LA PLACE de l’autre ou en son nom.
Je pense à tel parent, tel éducateur, tel responsable… etc. qui, à l’occasion de la nouvelle année – et parce qu’ils estiment que leur enfant, leur élève ou leur subordonné ne correspond pas à ce qu’ils pensent « être en droit d’en attendre » – , diront : « je te souhaite de te ressaisir », « je te souhaite d’être meilleur en ceci ou en cela », voire « je te souhaite de prendre ton travail au sérieux » …etc. Cette forme de vœu est supposée faire réagir l’autre, « pour son bien », mais elle est très humiliante en raison de tout le jugement négatif dont elle est chargée !

   Le vœu, dans la conscience de celui qui le formule, exprime le désir de voir se réaliser « le meilleur » pour l’autre.
Vous me direz peut-être que cela correspond à la définition de l’amitié posée par Aristote : l’ami désire du bien à son ami en vue de cet ami même (Ethique à Nicomaque, livre VIII, ch. 9 et 10).
A priori les vœux entre des personnes unies par l’amour ou l’amitié sont chargés de cette volonté du « meilleur » pour l’autre.

   J’ai bien écrit « a priori » parce que, en réalité, dans les faits, comment puis-je être certain que ce qui ME – c’est-à-dire à moi qui le lui souhaite – semble « le meilleur » pour mon ami, soit vraiment bien et bon pour lui, soit ce qui objectivement puisse lui arriver de mieux, soit en vérité « le meilleur » ?

   Ce « bien », ce « mieux », ce « meilleur », est-ce d’après moi ou d’après lui ?
Est-ce : « je souhaite que ce qui ME semble le meilleur pour toi se réalise, même si tu ne l’envisages pas de la même manière que moi, voire malgré toi » ? Ou bien : « je souhaite que ce qui TE semble le meilleur s’accomplisse, même si cela ne me paraît pas, à moi qui te le souhaite, ce qui te conviendrait le mieux » ?

   Et même si je forme des vœux pour que les désirs, projets, volontés de l’autre se réalisent d’une manière totalement indépendante de mon propre ressenti au sujet de ces désirs, projets et volontés, comment puis-je être absolument certain que mon interlocuteur veut des bonnes choses, ne veut que des bonnes choses, ne poursuit que de louables desseins, est irréprochable dans les projets qu’il entreprend ?

   Même si ma vision de ce qui semble « le meilleur » pour mon ami coïncide parfaitement à ce qui lui semble aussi « le meilleur », nous restons malgré tout dans une perception subjective du bien souhaité : pouvons-nous être certains que ce soit aussi objectivement « le meilleur » ?

   Il y a, en effet, des cas où ce qui semble le meilleur pour un individu donné peut être une catastrophe pour un ou plusieurs autres.
Prenons encore un exemple : si je te souhaite une promotion au travail, cela semble sans doute le meilleur pour toi parce que cela améliorera ton quotidien et celui de ta famille. Mais si cette promotion fait que, du même coup, l’un de tes collègues – plus méritant que toi ou plus ancien dans la boite – ne bénéficie pas d’une augmentation de salaire et que cela nuise à sa vie de famille ou aux études de ses enfants, puis-je être certain que je t’ai vraiment souhaité « le meilleur » ? ou si cette amélioration de ton salaire fait que tu vas profiter de cette aisance matérielle pour acheter des choses nuisibles à ta santé – physique ou morale – et progressivement détruire ton foyer, t’aurais-je vraiment souhaité « le meilleur » lorsque je t’aurais souhaité cette réussite professionnelle ?

   Allons plus loin encore : présenter des vœux de réussite à un candidat – qui est mon ami – à un poste politique, semblera peut-être le meilleur pour lui, qui verra sa carrière décoller, mais si ce succès aux élections a pour conséquence une gestion désastreuse (même sans mauvaise volonté) du bien public, ce qui semblait le meilleur pour lui sera loin d’être le meilleur pour la collectivité !

   Et si je connais deux personnes, pour lesquelles j’ai une estime égale en raison de leur heureux caractère et de leurs réelles qualités, qui se présentent l’une contre l’autre à la même élection, ce « meilleur » que je souhaite à l’un au début de l’année sera-t-il l’éviction de son concurrent auquel je présente également mes « meilleurs voeux » ?

   On pourrait multiplier les exemples à l’infini…

   Les questions que je pose sont donc celles-ci : les vœux ne seraient-ils pas une façon de suggérer ou d’imposer à l’autre ma propre vision du bien ? Et qu’est-ce qui me garantit que le bien que je souhaite à la personne pour laquelle j’ai de l’estime, ou le bien que lui-même souhaite sont finalement un véritable bien, dans l’absolu et pour tous, et dans toutes leurs conséquences ?

Patte de chat Lully.

(à suivre > 6ème partie)

carte de voeux vintage avec chats dans la neige

2015-6. Métaphysique des vœux (4ème partie)

4ème partie :
Les chats et les philosophes ont vraiment l’art de poser des questions qui dérangent…

frise

Lully le vigilant

Lully, le vigilant poseur de questions dérangeantes.

Dimanche 4 janvier 2015,
Fête du Très Saint Nom de Jésus
[si ce n’était pas un dimanche on célèbrerait la fête de Sainte Angèle de Foligno – cf. > ici].

       Les approfondissements que je publie ici, je le sais, demandent un certain effort d’attention, de concentration et de réflexion à mes lecteurs ; ils peuvent faire penser à certains que je coupe les cheveux de puce en quatre ; ils risquent aussi d’être mal compris par d’autres, comme en témoignent quelques messages que j’ai reçus, me disant en résumé : « Ainsi donc, Lully, vous êtes contre les vœux du nouvel an ? »

   Dois-je donc préciser que je ne suis pas « contre les vœux du nouvel an », mais que j’ai essayé d’engager une « démarche métaphysique » à leur sujet.
La métaphysique est une partie de la philosophie qui recherche les causes, les premiers principes de l’univers, de la nature, de la connaissance, des actions humaines… etc. Elle s’efforce d’aller au-delà des apparences pour tenter de trouver et de comprendre la réalité cachée.

   En publiant ici mes propres réflexions, inspirées par mes observations du monde des hommes, je sais très bien que je peux déranger ceux qui préfèrent justement ne pas se poser de questions et suivre le mouvement sans état d’âme, puisque « tout le monde fait comme ça », puisque « c’est la tradition », et puisque « il ne faut pas se singulariser », …etc.
Or justement les chats et les philosophes n’aiment pas, ne savent pas « faire comme tout le monde » juste pour « faire comme tout le monde » ou « parce que c’est la tradition » s’ils n’ont pas compris les raisons de cette tradition. Ils aiment comprendre le « pourquoi ? » et les « pour quoi ? » de leurs actes.
En cela ils sont plutôt du genre « poil à gratter » ; ils dérangent ; ils suscitent des démangeaisons intellectuelles ou spirituelles.
Ont-ils tort toutefois d’estimer que celui qui ne réfléchit pas au sens des gestes qu’il pose n’est pas un homme mais un mouton de Panurge ?
Les chats et les philosophes ont aussi la certitude qu’un usage vénérable gagne toujours à être mieux compris, et qu’une tradition tire toujours un grand profit à être pratiquée avec intelligence.

   « Meilleurs vœux ! », « Bonne année et bonne santé ! », « Que cette année te soit favorable, à toi et à tous les tiens ! », « Je te souhaite ce qu’il y a de meilleur ! »« Je souhaite que tous vos projets se réalisent ! », « Que cette nouvelle année permette l’accomplissement de vos plus chers désirs ! »,  … etc.
Les formules sont multiples, et, comme je l’écrivais en tout début de la première partie de ces réflexions, elles sont un moyen évident de resserrer certains liens qui, sinon, auraient tendance à se distendre : les voeux de « bonne année » permettent de renouer des contacts, ils témoignent d’une forme de sollicitude, ils constituent aussi un moyen de dire à celui auquel on les adresse : « Même si je ne donne pas toujours de mes nouvelles, tu comptes toujours pour moi et j’espère que toi non plus tu ne m’as pas oublié… »

   Tout cela est vrai, mais en l’énonçant je n’ai toutefois pas répondu à la question fondamentale : j’ai énuméré une partie des motifs ou des effets de ces voeux, je n’ai toujours pas dit ce qu’ils sont.

   Que sont fondamentalement « les vœux de nouvel an » ?
Quel est leur sens profond ? 

   « Je présente mes vœux à mes proches et à ceux que j’aime pour leur témoigner de mon affection ».
- Je l’entends bien, et je ne remets pas en cause la sincérité de votre amitié ou la profondeur de votre affection. Mais il existe de nombreux autres moyens de manifester son attention, sa sollicitude et son affection à quelqu’un, alors pourquoi choisir justement le vœu ? On peut témoigner de son amitié par des gestes ; certains regards parfois en disent bien plus long que les paroles.

   Serait-ce donc que le fait de formuler quelque chose de bon, sous forme de souhait ou de vœu, ajouterait quelque chose de plus à l’affection ?
Ou bien, n’y aurait-il pas l’idée, plus ou moins consciente, que cette formulation peut influer sur le cours des événements à venir ?
Est-ce que le fait d’énoncer un vœu peut éloigner le mal de la personne pour laquelle on le prononce ?
Est-ce que que le fait de souhaiter du bien à quelqu’un fera que ce bien se produira ?
Ne sommes-nous pas alors dans une sorte de démarche « magique » ? Le vœu serait-il une formule de conjuration de ce que les anciens romains nommaient le « fatum » : la fatalité, le destin ?

   Les mots humains influraient-ils donc sur les évènements à venir ?
La formulation d’un vœu peut-elle changer quelque chose au devenir de la personne pour laquelle on le profère ?
Si je crois que cela peut avoir une influence, je suis cohérent en émettant des voeux ; mais si, comme me l’a écrit quelqu’un, « on sait bien que ça ne change pas grand chose », même si « c’est malgré tout agréable à entendre », pourquoi formulerai-je des voeux en sachant pertinemment qu’ils sont inefficaces et n’auront aucun effet positif en faveur de ceux que j’aime ?
N’est-ce pas alors pratiquer une forme de tromperie ou de mensonge ?
Si celui pour lequel je prononce des voeux est lui aussi convaincu que « ça ne change pas grand chose, mais c’est toujours agréable à entendre », quelle utilité y a-t-il à cette formulation de voeux qui ressemble à un jeu de dupes dont personne n’est dupe, puisque ni l’émetteur ni le récepteur n’y croient ?

   S’il s’agit juste de faire entendre quelque chose d’« agréable », pourquoi alors choisir le moyen du vœu, dont on est certain qu’il « ne changera rien » ?
On pourrait plutôt, dans ce cas, formuler un tas d’autres choses tout aussi « agréables à entendre », comme le sont par exemple : « J’aime votre compagnie », ou « Je te trouve très beau », ou encore « Ton intelligence me ravit », ou bien « Je trouve que vous êtes une personne exceptionnelle », ou tout simplement « Je vous aime ».
Les idées ne manquent pas en ce domaine : quand on partage quelque chose de fort et de beau avec quelqu’un on n’a pas vraiment besoin de « voeux » pour lui manifester son affection, sa tendresse, sa sollicitude, on dispose d’un tas de mots, d’expressions, de gestes et d’attitudes pour le lui signifier…

   C’est pourquoi, j’en reviens toujours à mes questions : pourquoi le vœu ? à quoi sert-il vraiment ?
Je le confesse : en vous titillant de la sorte, pour vous obliger à réfléchir et à vous interroger sur votre coutume des voeux du nouvel an, je joue un peu de la même manière que je le fais lorsque j’ai attrapé une souris…

pattes de chatLully.

(à suivre, ici > 5ème partie)

chat et souris de noël

2015-5. Métaphysique des vœux (3ème partie).

3ème partie :
De nouveaux rites pour conjurer la peur ou l’angoisse
suscitées par la perspective du cycle inconnu qui commence…

frise

Maître-Chat Lully au divan

Maître-Chat Lully scrutateur et analyste des agirs humains.

Samedi 3 janvier 2015,
fête de Sainte Geneviève (cf. > ici).

   Je concluais la deuxième partie de mes réflexions (cf. > ici) en évoquant l’instant fugace où la jonction de deux cycles rend plus présents à la conscience le passé et l’avenir.
Or il se trouve que pour certains, cette quasi obligation de réfléchir suscitée par cet instant produit une espèce de peur, voire d’angoisse.

   Dans notre société sécularisée, dans ce monde devenu anti-chrétien dont les meneurs nient, combattent et veulent effacer jusqu’au souvenir des racines chrétiennes de notre civilisation, la période des célébrations de la Nativité du Sauveur a été renommée « fêtes de fin d’année ».
Le laïcisme militant, au travers des expressions qu’il impose, révèle quelque chose de bien profond.

   Pour la Chrétienté vivante, Noël portait en ses deux syllabes l’évocation de la vie nouvelle accueillie et reçue, révélée et communiquée, car le mot Noël vient du mot latin « natalis » qui veut dire « naissance » : la naissance du Verbe de Dieu incarné venu nous arracher à la mort spirituelle.

   Pour la Chrétienté vivante, le chiffre huit porte en lui une notion de plénitude et d’accomplissement.
C’est pourquoi, aux siècles de foi, la fête de Noël durait bien concrètement huit jours : l’octave de la Nativité. Un octave qui n’était pas seulement célébré par des moines coupés du peuple par les murs épais de leurs cloîtres et de leurs abbayes, mais célébré par toute la société civile et dans toutes les couches de la population.
Quand arrivait le huitième jour après la naissance de l’Enfant, jour où Il avait été circoncis en application des rites de la Loi de Moïse, la plénitude du mystère de cette naissance était révélée : ce n’est pas simplement d’une joie naturelle que nous réjouit cette naissance, c’est parce qu’elle est le prélude nécessaire à notre Rédemption et en constitue en quelque sorte les arrhes.
Le sang versé par le Fils de Dieu incarné lors de Sa Circoncision annonce celui qu’Il répandra en abondance dans Sa Passion : dès le huitième jour, en Se soumettant aux rites de la Loi judaïque et en recevant le nom de Jésus – qui signifie « Dieu sauve » – , au moment-même où sont répandues les premières gouttes de Son sang, la clef de compréhension de tout le mystère du Salut de l’humanité nous est livrée.
Sans nul doute est-ce la raison profonde, la raison théologique, qui a fait que l’Eglise a préféré que l’année commençât au jour où s’accomplit l’Octave de la Nativité plutôt qu’au jour de Noël, au jour de la Circoncision plutôt qu’au jour de la Naissance : nous sommes désormais dans le temps de la Rédemption, le temps où notre rachat a été accompli par le Sang versé ; nous sommes dans le temps de la grâce.
Voilà pourquoi encore, aux siècles de foi, l’année était appelée « an de grâce » ou « an du salut ». Le calendrier hérité de la Chrétienté vivante est profondément théologique : on comprend sans peine que la révolution anti-chrétienne ait voulu l’abolir.
Mais aujourd’hui qui s’en souvient encore ?
Même les clercs de nos temps de décadence, aveuglés par le naturalisme, ont perdu la compréhension du mystère du huitième jour après la naissance, et ne veulent plus de la fête de la Circoncision au 1er janvier !

J’ai fait, semble-t-il, une longue digression, mais en réalité ce n’en est pas une ; ce développement était nécessaire pour comprendre en vérité le sens de ce que je vous écrivais lorsque, ci-dessus, j’évoquais les changements sémantiques accomplis par la sécularisation et le laïcisme.

   On ne veut plus parler des « fêtes de la Nativité » ; on veut Noël sans la Naissance du Fils de Dieu ; on veut substituer des « fêtes de fin d’année » aux fêtes par lesquelles l’Eglise célèbre le commencement de l’oeuvre rédemptrice : à la célébration du commencement du Salut, le monde oppose celle de la fin de l’année.
A la Naissance salvatrice présentée par l’Eglise, le monde oppose la vision de la mort que figure toute fin de cycle.
Oui, le changement du nom de cette période révèle quelque chose de bien profond !

   Aux âges de foi, aux temps de la Chrétienté vivante, quand arrivaient les dernières heures de l’année les fidèles prenaient du temps pour le recueillement et la prière : ils demandaient à Dieu pardon pour les fautes qu’ils avaient commises durant l’année écoulée, et ils Le remerciaient des grâces qu’Il leur avait octroyées dans le même temps, afin d’entrer avec un coeur renouvelé dans le nouvel an et de poursuivre le travail de leur sanctification, en marche vers le Royaume des Cieux.
Pas d’excitation ni de vacarme, mais l’intériorité et la sérénité de l’authentique vie spirituelle, dans la tranquille simplicité du rapport de l’enfant à son père.
La fête extérieure, car on ne boudait pas la fête, n’était que le débordement du trop plein de l’âme ; elle en gardait la sobriété et la mesure ; elle n’avait pas besoin de recourir à des artifices, ni à une surabondance de subterfuges superficiels et de biens de consommation.

   L’éviction de la foi et la lutte contre les mœurs chrétiennes s’accompagnent d’un retour aux usages païens.
A la tranquille espérance chrétienne reviennent se substituer les incertitudes et les angoisses existentielles des vieux paganismes.

   Le rite néo-païen qui consiste à attendre l’heure de minuit, à la jonction du 31 décembre et du 1er janvier, afin de se souhaiter, à ce moment précis, une « bonne année », en se congratulant, s’embrassant, se témoignant de l’affection et en manifestant bruyamment une chaleur humaine sensible, ne peut-il pas être perçu comme une manière de conjurer la peur de l’inconnu ?
Toute année nouvelle, en effet, à l’instant précis où elle s’ouvre ne donne-t-elle pas à celui dont le coeur n’est pas habité par l’espérance chrétienne l’impression d’un abîme vertigineux ? Une sorte de grand vide qu’il faut vite combler – d’une manière ou d’une autre – pour échapper à l’inquiétude qu’il fait naître.

   Les danses étourdissantes, les bruyantes accolades, les boissons et l’ivresse dont elles sont la cause, l’abondance des mets et la satiété qu’elle engendre, la joie que l’on s’impose de manifester au risque de forcer la note, ne constituent-ils pas eux aussi des sortes de rites destinés à masquer pendant un moment quelque réalité à laquelle on voudrait échapper ?

   Les pétards et les feux d’artifice ne sont-ils pas les formes contemporaines de ces feux purificateurs dont les sociétés les plus archaïques avaient déjà l’usage, et n’évoquent-ils pas le vacarme des anciennes lupercales, saturnales ou bacchanales dont les codes, venus du fond des âges, procédaient tout à la fois de rites de protection, de rites de purification, de rites de fécondité, de rites permettant pour un laps de temps l’exutoire de tout l’incontrôlable qui couve dans le cœur de l’homme, et finalement de l’appel à quelque chose de nouveau, craint et désiré en même temps ?

   Et les vœux dans tout cela ?
Quel est leur rôle ? De quoi procèdent-ils ?
Ne sont-ils qu’une sympathique coutume sociale, où sont-ils les révélateurs d’autre chose ?
Si, pour enfin me pencher sur la « métaphysique des voeux » j’ai dû longuement m’attarder – au risque de donner l’impression de m’y perdre – sur le contexte dans lequel ils sont émis, je ne les oublie pas : ils feront bien l’objet de la suite de mon propos.

Lully.

(à suivre, ici > 4ème partie)

fête de fin d'année

2015-4. Métaphysique des vœux (2ème partie).

2ème partie :
« Comme si, en l’instant fugace de la jonction de deux cycles,
le passé et l’avenir se faisaient plus présents à la conscience »

frise

Maître-Chat Lully en méditation métaphysique

Maître-Chat Lully en pleine méditation métaphysique

Vendredi 2 janvier 2015 au soir ;
Dans l’Ordre de Saint Augustin, fête de Saint Fulgence de Ruspe.


   Dans ma première partie (cf. > ici), je vous invitais à vous arrêter sur cette question : qu’est-ce donc que cette « bonne année » que l’on se souhaite ? … et, avant même de parler de « bonne année », qu’est ce donc réellement qu’une « année » ?
Si nous le savons pas, en effet, comment pourrons-nous souhaiter qu’elle soit « bonne » ?
Poursuivons donc nos réflexions et interrogations.

   Nous avons établi qu’une année est un instrument et une unité de mesure dans un déroulement, celui du temps : une mesure qui est repérable par la conscience de chacun, une mesure conventionnelle dans la représentation que nous nous faisons du temps.

   On peut bien sûr se demander qui a réellement autorité pour instituer le calendrier, pour décider que l’année commencera tel jour plutôt que tel autre, et pour imposer cette pratique à un groupe plus ou moins important de personnes, mais nous nous éloignerions considérablement de mon propos initial, et il nous faut bien, en définitive, nous contenter des faits tels que nous les avons hérités de l’histoire.

   Je voudrais toutefois au passage faire remarquer que, alors même que le temps est conçu comme quelque chose qui se déroule et ne revient pas - « Nul Homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve car, la seconde fois, ce n’est plus le même fleuve et ce n’est plus le même homme », ainsi que le remarquait Héraclite d’Ephèse - , l’ « année », elle, est construite sur un mode de représentation cyclique, qui peut donner l’illusion de l’éternel retour…
Pour expliquer de quelle manière ces deux représentations du temps, apparemment contradictoires, se peuvent harmoniser, la seule image qui me vient à l’esprit est celle de la bicyclette : les rayons de ses roues font-ils autre chose, à chaque tour de roue, que revenir sans cesse dans la même position ? Et cependant, c’est en accomplissant cette espèce d’éternel retour, que la bicyclette avance sur la route et ne reste pas au même lieu.

   Le fait d’avoir affirmé qu’il y a quelque chose de conventionnel – et donc d’un peu artificiel – dans la manière dont l’année est définie, signifie-t-il que la mise en place de tels jalons ne soit pas utile ni nécessaire ?
Certes, l’homme qui vivrait sur une île déserte, sans relation avec quiconque, aurait – en droit comme en fait – toute latitude et liberté pour établir un calendrier qui lui soit strictement propre, qui correspondrait à ses seuls besoins et à sa manière de vivre exclusivement personnelle.
Dès lors cependant que l’homme vit en société, il devient pratiquement indispensable de disposer d’une manière commune de compter l’écoulement du temps.

   Cela n’empêche pas, par ailleurs, de conserver en parallèle, à titre personnel ou pour l’usage d’une communauté spécifique, un calendrier propre : les peuples asiatiques, les Juifs et les mahométans ont un calendrier lunaire, avec un compte des années totalement différent de celui que nous employons ; au sein même de la Chrétienté, si une majorité suit le calendrier grégorien, il existe des communautés chrétiennes qui suivent toujours le calendrier julien (voir ce que j’avais déjà expliqué ici > années bisextiles) ; l’Eglise catholique romaine elle-même, tout en ayant favorisé l’institution et la généralisation d’une année civile qui commence au premier janvier, adopte néanmoins pour sa liturgie un autre calendrier dont le premier jour se situe au dimanche le plus proche de la fête de Saint André, dans une fourchette qui varie – d’une année à l’autre – entre les derniers jours de novembre et les premiers de décembre ; la révolution française de son côté avait promulgué son propre calendrier en dehors de toute référence chrétienne, et dont le « jour de l’an » n’était pas le 1er janvier… etc.

   Je pourrais également parler ici des vœux d’anniversaire : que sont-ils donc en effet sinon eux aussi des vœux de « bonne année » ? N’interviennent-ils pas à la fin d’un cycle d’une année et au commencement d’un autre cycle d’une année : une année qui vous est rigoureusement personnelle, puisque son « jour de l’an » est celui de l’anniversaire de votre naissance à vous et non pas celle de votre voisin (sauf bien sûr si votre voisin est votre frère jumeau) ?

   Cela dit, rien ne vous empêche de « souhaiter la bonne année » à plusieurs reprises dans le cadre d’une année civile ordinaire : « la bonne année » liturgique à vos amis catholiques le premier dimanche de l’Avent, la « bonne année », civile, le 1er janvier selon le calendrier grégorien, puis, quelque douze jours plus tard, encore une fois « la bonne année » au 1er janvier du calendrier julien (n’avez-vous pas quelques russes parmi vos connaissances ?), viendraient ensuite « la bonne année » selon le calendrier chinois, « la bonne année » selon le calendrier mahométan, « la bonne année » selon le calendrier juif, « la bonne année » selon le calendrier révolutionnaire… et j’en passe.
Ne serait-ce finalement pas une magnifique opportunité que de multiplier de la sorte les occasions de présenter des vœux plus fréquemment à notre entourage et à la terre entière ?

   Mais sans doute aussi cette multiplication entraînerait-elle une forme de routine et de dévalorisation.
« souhaiter la bonne année » à tout bout de champ, la lassitude née de l’habitude finirait-elle par avoir raison de ce qu’il y a de meilleur dans la coutume des vœux !

   En conclusion de cette deuxième partie de mes réflexions, je voudrais faire ressortir combien, quelque conventionnel et artificiel que puisse être le fait de « souhaiter la bonne année » à un jour précis ou dans un laps de temps bien circonscrit, ce fait est inscrit dans une sorte d’imaginaire collectif qui lui donne une signification qui va bien au-delà des simples formules par lesquelles il s’exprime.

   En effet, le franchissement d’un jalon du calendrier, chez beaucoup d’hommes encore – malgré qu’on fasse tout pour les empêcher de réfléchir – , s’accompagne de réflexions sur le temps écoulé et sur le temps qu’il reste à parcourir, sur les accomplissements (ou les non-accomplissements) de notre vie, sur les projets en cours, sur les espoirs que l’on nourrit… etc.
La fin d’un cycle et le commencement d’un nouveau sont toujours propices aux bilans et aux réajustements nécessaires.
C’est comme si, en l’instant fugace de la jonction de ces deux cycles, le passé et l’avenir se faisaient plus présents à la conscience des hommes.

Lully.

(à suivre, ici > 3ème partie)

anges chats d'après Raphaël

2015-3. Métaphysique des vœux (1ère partie).

1ère partie :
Où le Maître-Chat se pose – et vous pose – préalablement
quelques questions que l’on ne se pose ordinairement pas,
et surtout pas au début d’une année…

frise

Vendredi 2 janvier 2015,
Dans l’Ordre de Saint Augustin, la fête de Saint Fulgence de Ruspe.

Lully 1er janvier 2015

Monseigneur le Maître-Chat, ce 1er janvier 2015

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

   En ce début d’année, la belle tradition des vœux resserre les liens, permet de renouer certains contacts, de mettre un peu de chaleur et de lumière dans la froideur du monde, de rallumer la petite flamme de l’espérance toujours prête à vaciller sous les assauts dévastateurs d’un quotidien morose…
Bref, vous autres, humains, vous vous souhaitez mutuellement « la bonne année »

   Mais, vous le savez bien, nous autres chats, nous sommes souvent absorbés dans de profonds pensers, cherchant à mieux comprendre le sens de ce que font les hommes, nous efforçant de mieux pénétrer la portée de leurs faits et gestes.
Oui, nous autres chats, sommes par nature portés vers la philosophie, vers la métaphysique, vers une contemplation acérée et vers une sagace analyse des principes et des ressorts secrets qui régissent vos comportements et vos relations.
C’est la raison pour laquelle, je voudrais commencer à vous poser quelques questions, questions que beaucoup ne se posent pas, et que certains ne s’imaginent d’ailleurs même pas que l’on puisse se les poser. Questions dérangeantes peut-être, mais, en définitive, je serais bien aise si ces questions que je me suis posées, et que je vous pose aujourd’hui, vous poussent à quelques réflexions…

   Vous souhaitez donc « la bonne année ».
Mais seriez-vous capables de me dire ce qu’est une « bonne année » ?

   Sans doute avant de parler de « bonne année », convient-il donc déjà de définir ce qu’est une année.

   Dans l’actuel état d’inculture généralisée et d’irréflexion absolue où vit un très grand nombre de personnes, je ne suis pas certain du tout que, si l’on réalisait, par exemple, un « micro-trottoir », beaucoup de nos contemporains soient spontanément capables d’expliquer – de manière claire et intelligible – ce qu’est une année…

   Si donc, en préalable nécessaire – puisqu’il importe toujours de savoir de quoi l’on parle et de se mettre d’accord sur le sens des mots que l’on emploie, afin d’éviter les quiproquos et les ambiguïtés – , je définis qu’une année est un instrument théorique de la mesure du temps, établi de manière conventionnelle pour correspondre, plus ou moins bien, avec les cycles astronomiques de la planète terre, dans le but d’établir les repères dont les hommes ont besoin pour parler de leur vie et de leur histoire, je pense que tout le monde me comprendra et sera d’accord.

   En soi, une année est donc quelque chose d’indifférent.
Quelque chose d’aussi indifférent que les piquets que l’on plante à intervalles réguliers pour clôturer un terrain ; d’aussi indifférent que les bornes kilométriques sur le bord des routes ; d’aussi indifférent que les graduations d’une règle ou d’un thermomètre.
L’année n’est qu’un instrument de mesure conventionnel.

   En son for intérieur, chacun sait bien d’ailleurs qu’il n’y a, dans la réalité des choses, rien – absolument rien – qui change entre le 31 décembre à 23 heures 59 minutes et 59 secondes et le 1er janvier à 0 heure 0 minute et 1 seconde.
Le passage à une nouvelle année ne modifie pas plus votre apparence, votre caractère, votre passé ou votre avenir, et toutes les autres composantes importantes de votre vie, que le passage de 21 h 25 à 21 h 26 n’importe quel autre jour de l’année.
Non ! Le passage à une nouvelle année ne change rien, ou du moins rien qui ne puisse changer à tout autre moment de votre vie.
Non ! il n’y a rien de nouveau au moment du passage à une nouvelle année qui ne puisse se produire à n’importe quel autre moment du jour n’importe quel autre jour de l’année.

   Pourquoi donc accorder une telle importance à l’instant, vite enfui, qui nous a permis de passer d’une date à une autre ?
Pourquoi donc célébrer, et parfois avec un tel déploiement d’artifices (et de feux d’artifices), avec une telle abondance de festivités, avec une telle débauche de nourriture et de boissons, avec un tel déferlement de cris et d’embrassades, avec une telle avalanche de souhaits… etc., le simple franchissement d’un jalon, posé de manière conventionnelle dans la mesure du temps ?

   Je crois que la plupart des humains ne se posent même pas la question : c’est comme cela ! On fait ainsi ; tout le monde fait ainsi. Il serait donc mal venu de ne pas faire comme tout le monde.
Et l’on assiste à une espèce de surenchère, à un entraînement irréfléchi – voire irraisonné, ou même carrément irrationnel – pour lequel je ne trouve qu’un nom - « excitation » - , et pas vraiment de qualificatif approprié. Si j’étais un philosophe humain, j’aurais peut-être été tenté de parler d’ « excitation animale », mais je vous mets au défi de trouver dans le règne animal – sauf peut-être chez les singes, parce qu’ils sont assez proches des hommes – une semblable forme d’excitation…

Lully.

(à suivre ici > 2ème partie)

passage du 31 décembre au 1er janvier

2014-118. « A l’an que vèn, se sian pas mai que sian pas mens ! »

« A l’année prochaine, si nous ne sommes pas plus nombreux,
que nous ne soyons pas moins nombreux ».

Bénédiction de la bûche de Noël en Provence

En Provence, la bénédiction traditionnelle de la bûche de Noël :
« A l’an que vèn, se sian pas mai que sian pas mens ! »
(carte ancienne présentant l’une des scènes figurées au « Museon Arlaten »,
le musée ethnographique et historique d’Arles).

       Les spécialistes et les puristes trouveront peut-être à redire sur l’orthographe exacte de la phrase provençale que j’ai donnée pour titre à cette ultime chronique de l’année 2014 : n’étant spécialiste ni de la langue occitane ni de la langue provençale, j’ai bien dû faire un choix dans toutes les versions écrites qui m’étaient proposées de cette très ancienne locution, qui, en beaucoup d’endroits, introduisait la formule de bénédiction de la bûche de Noël lorsque, au début de la soirée du 24 décembre, on allait lui communiquer la flamme en présence de toute la maisonnée.
En l’occurrence, peu importent ici les variantes orthographiques – souvent liées aux variantes de prononciation inévitables d’un village à l’autre, d’une vallée à l’autre – , ce qui compte, c’est le sens de cette formule : dans les familles, elle signifiait, dans une magnifique et pudique concision : « S’il n’y a pas de nouvelle naissance qui vienne faire grandir notre foyer, que, du moins, nous n’ayons pas à pleurer la mort de l’un de ceux qui sont ici ce soir… »

   La fin d’un cycle, celui de l’année liturgique comme celui de l’année civile, nous porte toujours à méditer quelque peu sur l’écoulement du temps, à réaliser la fugacité de nos jours ici-bas, à réfléchir à la brièveté de la vie, à nous souvenir des êtres chers qui nous ont quittés, à nous interroger sur l’avenir, à essayer de nous cramponner à quelque chose de solide et de sûr, alors que le temps nous apparaît comme un fleuve au cours inexorable, ainsi que Lamartine l’exprima au commencement de l’un de ses plus fameux poèmes :

« Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?… »

   Oui, le temps passe, le temps nous emporte et comme le fait remarquer quelque part notre glorieux Père Saint Augustin, chaque anniversaire marque que nous approchons de la mort… et de l’éternité : combien est salutaire cette pensée pour nous stimuler à bien vivre, à vivre bien, à vivre en faisant le bien !

   Je reviendrai vers vous demain, chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion, pour vous présenter nos voeux du nouvel an (je ne le fais jamais à l’avance, et je me tiens d’autant plus à cet usage que les gens d’aujourd’hui ont la détestable manie de tout anticiper !).
Mais en ce 31 décembre, alors que la dernière page de l’année va être tournée, je viens vous dire : « A l’an que vèn, se sian pas mai que sian pas mens : puisse l’année qui va commencer nous donner de nous retrouver encore, de nous rencontrer encore, d’échanger amicalement encore… Et, si nous savons bien que la mort, inéluctable, nous séparera un jour, nous savons aussi que Dieu n’a pas fait la mort et ne trouve point de plaisir aux souffrances de Ses créatures ; ce pourquoi je souhaite que – même si notre foi et notre espérance nous montrent la mort comme une entrée dans la vraie vie – ce ne soit néanmoins pas pour bientôt, que ce ne soit pas dans ces prochains mois ! Que le Bon Dieu nous accorde donc le temps de nous bien préparer à L’aller rejoindre, en nous donnant de vivre ici-bas, selon Sa sainte volonté, en faisant le bien, beaucoup de bien, et en nous soutenant et encourageant les uns les autres par la charité fraternelle ! A l’an que vèn, se sian pas mai que sian pas mens ! »

   Pour moi, si Dieu me prête vie et m’en donne les forces, je continuerai à vous titiller (d’aucuns diraient harceler) par mes chroniques, mes commentaires, mes coups de griffes et mes coups de cœur…

   J’en profite au passage pour rappeler que ce blogue est de manière résolue et absolument impénitente un espace de libre expression féline, augustinienne, baroque, catholique « traditionnaliste » et royaliste légitimiste… et que le temps qui passe n’altère en rien nos convictions, nos déterminations et nos engagements : tout au contraire, il les renforce !

A l’an que vèn, se sian pas mai que sian pas mens ! 

Patte de chat Lully.

Quelques textes publiés dans les pages de ce blogue en lien avec le dernier jour de l’an :
- Quand l’année s’achève : dialogue d’une âme fatiguée avec son Seigneur  (Marie Noël) > ici
- « Te hominem laudamus » (Marie Noël) > ici

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Publié dans:Chronique de Lully, Memento, Textes spirituels |on 31 décembre, 2014 |7 Commentaires »
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