Archive pour la catégorie 'Textes spirituels'

2017-49. De l’étrange inversion des valeurs et des critères, dans le monde d’aujourd’hui et dans la Sainte Eglise elle-même…

29 avril,
– Dans le diocèse de Viviers, fête de Saint Aule, avec la commémoraison des Saints Eucher, Firmin, Eumachius et Longin, tous les cinq évêques de Viviers et confesseurs ;
- Mémoire de Saint Pierre de Vérone, martyr ;
- Anniversaire de la première Messe de Saint Maximilien-Marie Kolbe (cf. > ici).

Jean-Marc Nattier - la justice châtiant l'injustice

Jean-Marc Nattier : la justice châtiant l’injustice

        Nous vivons dans un monde dans lequel l’inversion des valeurs et des critères est arrivée à un tel point que c’est celui qui rappelle

- ce qu’est le bien,
- ce qu’est la norme juste,
- ce qu’est la règle dictée par la nature,
- ce qu’est la loi bonne édictée par l’Eglise,
- ce qu’est le commandement de Dieu pour vivre conformément au bien et pour aller au Ciel,
- ce qu’est la vérité conforme à l’ordre naturel et à l’ordre surnaturel,

qui fait l’objet d’une réprobation quasi unanime.
Par le seul fait qu’il dit ce qui est conforme à l’ordre voulu par Dieu dans Sa création, il est taxé d’intransigeance, d’intolérance, de manquement à la charité…

   Tandis que celui qui n’obéit pas aux règles, qui transgresse l’ordre et la loi divins, et qui, ce faisant, lèse la justice et la charité conformes au dessein du Créateur sur ce monde qui Lui appartient, eh bien, celui-là, fait l’objet de toutes les prévenances, de toutes les excuses et de toutes les complaisances.

   Nous vivons dans une société dans laquelle, en raison d’un sentimentalisme dégoulinant et de la perte des repères fondamentaux, la plupart des raisonnements et des réactions sont faussés.

   Et cela est également vrai dans la Sainte Eglise (laquelle ressemble désormais en certains lieux à un véritable champ de ruines).

   Ainsi, celui qui est blâmé, ce n’est pas celui qui enseigne l’erreur – l’hérésie -, mais celui qui relève qu’une erreur a été enseignée.
Celui qui est réprimandé, ce n’est pas celui qui agit contre la loi de Dieu mais celui qui fait remarquer que la loi de Dieu a été transgressée.
Celui qui est désavoué, ce n’est pas le prêtre qui célèbre mal la Messe (au risque qu’elle en soit bien souvent invalide), mais celui qui rappelle les règles de la liturgie, et fait observer qu’elles ne sont pas respectées.
Celui qui est dénoncé, ce n’est pas le criminel, mais celui qui a dit qu’un crime avait été commis.
Celui qui est lynché verbalement et devient l’objet de toutes sortes d’accusations, ce n’est pas le mauvais pasteur, mais celui qui s’élève contre une fausse « pastorale » dévoyeuse des consciences et des mœurs.
Celui qui est accusé de manquer de charité, ce n’est pas celui qui égare les âmes, mais celui qui vient redire qu’il n’y a pas de charité sans vérité et que la perte de la grâce de Dieu conduit en enfer.

De Gustave Thibon :

   « (…) Il faut donc opérer une révolution en soi-même, se créer une conscience à l’épreuve des modes, des opinions, des pressions de la foule, pour se dégager des conformismes sociaux et s’y opposer – par fidélité au dieu intérieur, comme disaient les stoïciens. Nous en sommes au point où les usages de la cité contredisent de plus en plus les exigences de la conscience – ce que Gabriel Marcel appelait « le conformisme de l’aberrant » (…) »

(in «Entretiens avec Gustave Thibon», Philippe Barthelet – Ed. du Rocher, 2001. p.217).

Ordre du Saint-Esprit

2017-45. De quelques très incorrects addenda aux Litanies des Saints.

Mardi 25 avril 2017,
Fête de Saint Marc, évangéliste et martyr ;
Litanies mineures (en France) ;
43ème anniversaire de Monseigneur le Duc d’Anjou.

Prince Louis de Bourbon

« Ad multos annos ! »
Longue vie à notre Roi !
Que Dieu bénisse, protège et garde notre Roi !

Fleur de Lys

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       En ce 25 avril, en sus des célébrations liturgiques propres à ce jour, nous célébrons dans une grande ferveur le 43ème anniversaire de la naissance de Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, aîné des Capétiens, de jure Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Louis XX.

   Frère Maximilien-Marie, auquel incombait en cette occurrence la charge de rédiger la lettre mensuelle aux membres et sympathisants de la Confrérie Royale (lettre que l’on peut retrouver > ici), après que nous avons lu ensemble quelque texte émanant de la nébuleuse ecclésiastique française m’a montré en plusieurs endroits du journal du Comte de Chambord les commentaires qu’il y a fait, dans les années 1856-1857, au sujet de la flagornerie empressée des évêques et des curés à l’égard de Napoléon III : il s’indigne de leur servile platitude et n’hésite pas à qualifier certains discours épiscopaux de « dégoûtants »
C’est exactement le même qualificatif qui me venait à l’esprit en lisant certain communiqué publié ce 23 avril dans la perspective du second tour de l’élection pestilentielle : cette phraséologie dégoulinante de « bons sentiments » qui dénature le Saint Evangile et invite les fidèles (s’il y en a encore qui lisent ces textes !) à se comporter en béni-oui-oui émasculés reprenant en chœur tous les poncifs serinés par les loges… 

   Notre Frère et moi en avons eu la nausée ! Plusieurs de nos amis auxquels nous avons exprimé notre dégoût et notre indignation, nous ont dit partager nos sentiments et n’avoir pu aller au bout d’un tel texte. L’une d’entre eux nous a même écrit que se livrer à une telle lecture jusqu’au bout n’était plus de l’ordre du sacrifice mais confinait au masochisme.
Cela m’a rappelé une bande dessinée de Frère Maximilien-Marie, déjà publiée ici au sujet des infiltrations maçonniques dans l’Eglise (voir > ici), et en conséquence cela m’a inspiré pour rédiger quelques addenda aux Litanies des Saints que l’on récite justement en ce jour, afin de supplier Dieu d’éloigner de nous les fléaux et les calamités.

   Je vous livre ces invocations, telles qu’elles ont spontanément jaillies sous mes pattes plus que jamais aristocratiques, plus que jamais royalistes, plus que jamais légitimistes…

Patte de chatLully.

Fleur de Lys

Addenda aux Litanies des Saints
(que l’on peut insérer entre les invocations :
« De la peste, de la famine et de la guerre, délivrez-nous Seigneur ! »
et « De la mort éternelle, délivrez-nous Seigneur ! »)

De la peste libérale, délivrez-nous Seigneur !
Des poisons révolutionnaires, délivrez-nous Seigneur !
De la « déclaration des droits de l’homme et du citoyen », délivrez-nous Seigneur !
Des « immortels principes de 89 », délivrez-nous Seigneur !
De la souveraineté du peuple, délivrez-nous Seigneur !
Des « valeurs de la république », délivrez-nous Seigneur !
De tous les partis politiques, délivrez-nous Seigneur !
Des « fronts républicains », délivrez-nous Seigneur !
De la fièvre électorale, délivrez-nous Seigneur !
De la contagion du prurit prétendument démocratique, délivrez-nous Seigneur !
De toutes les formes de rousseauisme, délivrez-nous Seigneur !
De l’hérésie du « contrat social », délivrez-nous Seigneur !
Des infiltrations de l’esprit de la révolution dans l’Eglise, délivrez-nous Seigneur ! 
Des aplatissements épiscopaux devant la république, délivrez-nous Seigneur !
Des encensements cléricaux adressés à la démocratie, délivrez-nous Seigneur !
Des caricatures de la charité surnaturelle que l’on nomme indûment solidarité et accueil, délivrez-nous Seigneur !
Des rengaines bêtifiantes sur le « vivre ensemble », délivrez-nous Seigneur !
Des slogans sentimentalo-baveux au sujet des « migrants », délivrez-nous Seigneur !
Des aveuglements ecclésiastiques sur la réalité de la situation en France, délivrez-nous Seigneur !
De l’immonde république, délivrez-nous Seigneur !
De la dictature du Grand Orient, délivrez-nous Seigneur !
De toutes les sectes maçonniques, délivrez-nous Seigneur !
De l’empire de Satan, délivrez-nous Seigneur !

Concurrence BD détail)

Extrait de la BD « Concurrence » publiée > ici

2017-43. « La puissance de souffrir est en nous la même que la puissance d’aimer. »

Agnus Dei

       Le mystère de la Croix ne se comprend bien que dans la lumière de Pâques : ce pourquoi au cours de la liturgie du Vendredi Saint, après le dévoilement solennel de la Croix et le chant des Impropères, l’Eglise chante cette antienne : « Crucem Tuam adoramus, Domine, et sanctam resurrectionem Tuam laudamus et glorificamus… Nous adorons Votre Croix, ô Seigneur, et nous louons et glorifions Votre sainte résurrection ! »
Il faut d’ailleurs insister sur le fait que la joie de Pâques n’évacue pas le mystère de la Croix, bien au contraire : elle le magnifie et le transfigure pour le faire rayonner glorieusement sur le monde.

   En ce 16 mai, anniversaire de sa mort dans les geôles roumaines communistes (16 mai 1954) et jour de sa fête liturgique, nous avons donc choisi de proposer à votre méditation ce texte remarquable et splendide du Bienheureux Vladimir Ghika – un des auteurs spirituels particulièrement aimé, lu et approfondi en notre Mesnil-Marie – que nous trouvons propre à apporter courage et consolation à tous ceux qui peinent et souffrent en ce bas monde, et que nous dédions à tous nos amis aux prises avec les diverses et multiples formes de la souffrance.

Crucifix chapelle Rome

La Croix rayonnante de l’Homme des Douleurs
(crucifix exposé dans une chapelle proche de la place Saint Sylvestre, à Rome)

Le mystère de la Souffrance :

       « Souffrir, c’est ressentir en soi une privation et une limite. Privation de ce qu’on aime, limite apportée à ce qu’on aime. On souffre à proportion de son amour. La puissance de souffrir est en nous la même que la puissance d’aimer. C’est en quelque sorte son ombre ardente et terrible – une ombre de sa taille, sauf quand le soir allonge les ombres. Une ombre révélatrice, qui nous dénonce. Elle suit, sans les jamais quitter, toutes nos aspirations, depuis l’amour obscur et inconscient que l’homme éprouve pour la plénitude, si restreinte, de son être propre, jusqu’à l’amour lumineux et désintéressé qu’il peut ressentir pour l’Être parfait, pour le Dieu infini.

   Souffrir, c’est être blessé en l’un des mille amours qui nous composent. C’est éprouver une privation et une limite, soit dans les biens qu’on a possédés, soit dans ceux dont on a besoin, soit dans ceux que l’on désire. La souffrance peut affecter ainsi un de nos amours dans le passé, le présent ou l’avenir. Et par là, de même que l’amour qui lui donne naissance, elle lèse notre personnalité et la déborde. La souffrance est de la sorte une réalité, forte comme nous-même, une réalité adverse qui est en nous et qui est contre nous ; elle marque un arrêt plus ou moins complet d’une de ces motions du monde qui nous font être. C’est une négation, mais avant tout, une négation réelle. Le stoïcisme seul a voulu se donner le luxe de mettre en doute cette réalité, pour mieux en triompher dans la pratique. Il l’a fait au moyen d’un paradoxe de volonté, tout en phrases, sans rien changer à l’éternelle vérité des choses.

  Il y a donc là une affreuse certitude, éprouvée par chacun, mais aussi, en même temps, une sorte de monstrueuse anomalie, que chacun reconnaît, tout comme cette réalité indéniable. La souffrance paraît une étrangère haineuse dans l’harmonie générale d’un univers d’ordre et de bonté où chaque être semble tendre par nature à se pleinement accomplir.

   Aussi notre raison, dès qu’elle examine le problème de la douleur, ne peut la concevoir que comme restitution d’un équilibre perdu, ou comme attente d’un équilibre à retrouver ; dans le premier cas, châtiment d’un mal, châtiment qui rétablit pour ainsi dire un ordre moral interrompu ; dans le second, crédit méritoire sur une autre vie, qui, pour des âmes immortelles, constitue le seul état définitif, après une courte épreuve. La balance des maux et des fautes, des peines et des culpabilités, étant manifestement inégale et irrégulière en ce monde, l’un et l’autre cas ne représentent pour notre intelligence qu’un fragment de réponse à l’énigme, celle-ci destinée à ne se résoudre pleinement que grâce à l’intervention d’une « inconnue » certaine, les mystères d’un autre monde où se réalise la Justice.

   Jusqu’où s’étend ici-bas cette double compensation ? On ne peut le savoir. Le secret en demeure pour la raison entre les mains d’un Dieu qu’elle a le pouvoir, et le devoir, d’affirmer, de prouver, de proclamer, sans assez arriver à Lui, sans pénétrer l’abîme de ses desseins.

   Notre intelligence naturelle nous montre donc, dès le premier abord, le sens de la souffrance dans l’ordre moral, dans l’autre vie que cet ordre moral exige si impérieusement, dans la Sagesse et la Bonté de Dieu.
Elle nous montre ceci avec force, mais avec toutes les défaillances pratiques d’une lumière dont l’emploi dépend de nous, dont les ressources sont bornées, – avec toutes les ténébreuses angoisses d’une vie où l’entrecroisement de mille influences vient gêner le libre exercice de notre jugement.

   Et quand même elle serait pleine, puissante et calme, cette raison, on sent que sa seule réponse à un problème comme celui de la douleur, aurait quelque chose de froid, d’incomplet, d’inefficace ; on sent que cette réponse tomberait bien à côté de nous. Que peut un raisonnement à une blessure d’amour ? Quel bien profond peut-il lui faire, et n’est-elle pas digne aussi d’être illuminée par autre chose qu’un pâle reflet d’intelligence créée ? Nous savons que la raison n’a pas tort, mais nous savons que nos larmes ont un peu raison, puisqu’elles ont raison de nous-mêmes.

   Le problème se résout là plus loin que l’envol de notre pensée. Celui qui peut nous le rendre clair (et bienfaisant, comme toute chose connue) c’est et c’est seulement notre Dieu qui, suivant la parole de saint Jean, est plus grand que notre coeur. Il a tenu à l’éclairer d’une admirable clarté. Sans lui, sans sa grâce d’ailleurs, sur ce point, notre raison même chancelle, et, insuffisamment soutenue, ne va pas jusqu’au bout de ses propres conceptions : nous avons vu et nous savons qu’elle peut porter les vérités essentielles qui jettent un premier jour sur le sens de la douleur. Mais la raison d’un incroyant n’est pas, en pratique, une raison complète et vivante dans son propre domaine. Il y a toujours une angoisse, une incertitude, une misère inquiète dans les pensées de l’incrédule. «In cogitationibus impii interrogatio est… » Et plutôt que de voir dans la raison la confirmation partielle, mais forte, et l’attente suppliante de la foi, il rétrograde en deçà de l’usage normal de ses facultés; il écarte Dieu, l’immortalité de l’âme, l’autre monde toutes choses qu’il redoute – (données fournies pourtant aussi bien par la science que par la foi), et se prépare ainsi pour ici-bas une vie diminuée d’essor, pour cet autre monde qu’il n’a pas, même humainement, le droit de méconnaître, des souffrances sans nom et sans fin.

   Le chrétien, lui, complète et illumine, avec le secours de Dieu, sa connaissance naturelle de la douleur. La souffrance ne cesse pas, pour lui, d’exister, en théorie comme en pratique. Au contraire, elle existe pour lui plus que pour aucun autre ; il la sent d’abord, il la sent plus que n’importe qui, car son âme est plus pure et par conséquent moins distraite, moins arrachée par mille objets divers à cette douleur ; il la connaît, il la comprend, avec tout le mystère d’enveloppement et de possession contenu en ce mot « comprendre » ; il en multiplie les sujets ; il doit manier et conduire cette chose terrible, aller jusqu’à l’aimer, jusqu’à la chercher, quand elle est noble et belle et qu’elle le jette plus vite en Dieu.

   C’est qu’il a pour tout faire la grande lumière et la grande force de la Révélation. Le chrétien sait, le chrétien croit, et il vit de cette science et de cette foi. Nous allons suivre la chaîne lumineuse de vérités qui l’entraîne et l’éclaire en même temps, et voir ce que devient la souffrance dans la clarté de Dieu, dans le plan des divines cohésions, en passant par ces anneaux qui se tiennent: le péché originel, la rédemption, l’oeuvre du salut, le monde du bonheur éternel.

   Même ainsi, même avec tous les secours de la foi, le mystère d’une chose aussi profonde (profonde comme l’énigme du mal) suivi en tenant une chaîne dont les deux bouts sont au ciel, ne saurait être pleinement éclairci dès à présent : sa complète compréhension est réservée à ce monde où il nous est dit qu’il n’y aura plus de larmes dans des yeux qui verront Dieu face à face. Et là même, comme pour en perpétuer non seulement le sens mais le caractère secret, il en demeurera encore une trace étrange, – pour Dieu seul : les cinq plaies ineffaçables de Notre-Seigneur, – dernier héritage et seul souvenir de l’infinité de la faute, lavée dans l’infinité de la douleur par l’infinité de l’amour.

   Mais si, sur la terre, il doit toujours subsister dans la souffrance quelque mystère pour le chrétien, c’est un mystère comme ceux de sa religion, fait pour augmenter sa foi, son espérance, son amour, ses mérites ; un de ces mystères admirables et féconds, pleins de leçons plus hautes que tous les enseignements des choses. – Intermédiaire entre les mystères de la nature, qui nous débordent par leur nombre et leur complexité, mais qui ne sont pas, par eux-mêmes, au-dessus de notre portée – et les mystères de la religion, qui nous dépassent essentiellement, l’ordre des mystères de la souffrance constitue comme un état à côté de la nature et une préparation au monde surnaturel. C’est d’ailleurs l’ordre choisi par l’Homme-Dieu pour faire passer l’humanité d’un monde à l’autre. Il y a dans la douleur quelque chose de l’essence mystérieuse du sacrement.
Elle est comme un
sacrement de néant, le sacrement des « absences réelles », une sorte de sacrement à rebours … Dieu porté par le vide… »

Bienheureux Vladimir Ghika,
in « Entretiens spirituels » – Beauchesne, 1961 pp. 61-66

Bx Vladimir Ghika

Le Bienheureux Vladimir Ghika (1873-1954)

2017-41. Marqués et imbibés par le Sang du Christ Sauveur, nous sommes arrachés à la puissance de l’ange de mort pour être réunis aux élus du Ciel.

Samedi-Saint :
Vigile de Pâques.

       Le Samedi Saint, avec la Très Sainte Vierge Marie, nous prions dans l’attente de la grande fête du dimanche de la Résurrection de Notre-Seigneur : dans sa liturgie traditionnelle la Sainte Eglise, en accomplissant les rites sacrés de la bénédiction du feu, du Cierge pascal et de l’eau baptismale, puis en entonnant l’Alléluia, anticipe déjà les manifestations de sa joie spirituelle, puisque par Sa mort le véritable Agneau pascal est déjà triomphant et que cette allégresse éclate déjà dans les enfers.

   Nous pouvons, bien sûr, relire et méditer la très ancienne et très célèbre homélie pour le Samedi Saint que nous avons déjà publiée (cf. > ici), en laquelle l’auteur décrit la descente de Notre-Seigneur aux enfers ; et nous pouvons également relire et approfondir les explications et commentaires de Saint Thomas d’Aquin sur ce point de notre foi si méconnu aujourd’hui (cf. > ici).
Mais nous vous proposons aussi de découvrir un sermon de notre glorieux Père Saint Augustin prononcé à l’occasion d’une Vigile de Pâques, sermon dans lequel il développe les motifs de notre joie et établit le parallèle entre le sang protecteur de l’agneau sacrifié par les Hébreux la nuit de leur passage de l’esclavage de l’Egypte vers la liberté, et le Précieux Sang de l’Agneau véritable qui a mis fin à la Pâque ancienne par l’offrande de l’unique Sacrifice rédempteur.

Vignette Agneau pascal - blogue

Marqués et imbibés par le Sang du Christ Sauveur,
nous sommes arrachés à la puissance de l’ange de mort
pour être réunis aux élus du Ciel.

Sermon de
notre glorieux Père Saint Augustin
pour la
Vigile de Pâques

§ 1 – Qu’il faut célébrer solennellement la Vigile de Pâques.

   Avec l’aide miséricordieuse de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, nous devons, frères bien-aimés, célébrer religieusement ce jour qui Lui est solennellement consacré : qu’en cette fête, Sa bonté ineffable à notre égard soit, pour nous, un sujet d’admiration !
En effet, Il ne S’est point contenté de subir toutes sortes d’infirmités pour opérer l’oeuvre de notre rédemption, Il a voulu encore partager le culte que nous rendons à Dieu en différentes solennités, et faire de chacune d’elles une occasion précieuse de mériter l’éternel bonheur ; car, alors, notre sainte religion nous invite, par ses attraits, à sortir du long sommeil de notre inertie ; aussi, pour nous préparer à la célébration de ces grands jours, nous éveillons-nous, non point malgré nous, mais avec empressement et de bon coeur.
Puisque nous avons entendu volontiers Son appel, sortons donc de notre léthargie, passons, dans les élans de la joie, cette sainte nuit de Pâques, et célébrons cette grande solennité avec toute la dévotion dont notre âme est capable. Elevons-nous au-dessus de ce monde, pour échapper à la mort qui doit le ravager : par nos désirs, faisons descendre du ciel les rayons brillants de Sa divinité, célébrons la Pâque, « non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l’iniquité, mais avec les, azymes de la sincérité et de la vérité » (1 Cor. V, 8), c’est-à-dire, non dans l’amertume de la malice humaine, car tout ce qui ne vient que de l’homme n’est pas sincère, mais dans la sincérité de la sainteté qui vient de Dieu. La sainteté qui vient de Dieu consiste dans la chasteté, l’humilité, la bonté, la miséricorde, l’humanité, la justice, la douceur, la patience, la vérité, la paix, la bénignité : tel est l’ensemble de la sainteté chrétienne, que corrompt le levain de la malice humaine ; or, ce levain n’est autre que l’impudicité, l’orgueil, l’envie, l’iniquité, l’avarice, l’intempérance, le mensonge, la discorde, la haine, la vaine gloire, toutes choses auxquelles l’apôtre Saint Paul veut que nous restions étrangers ; car il nous dit : « Non avec le vieux levain de la malice ».

§ 2 - Pourquoi cette Vigile doit être pour nous un jour d’allégresse.

   Que la Pâque du Christ devienne le sujet de notre joie !
C’est pour nous, en effet, qu’Il naît, qu’Il meurt dans les souffrances et qu’Il ressuscite ; c’est afin que, par Lui, nous renaissions à la vie au milieu des tribulations, et qu’avec Lui nous ressuscitions dans la pratique de la vertu.
N’a-t-il pas, dans cette nuit, opéré la restauration de toutes choses ?
Il y est ressuscité en qualité de prémices, afin que nous ressuscitions tous après Lui : Il y brise les chaînes de notre esclavage, Il nous rend la vie que nous avons perdue en Adam. Celui qui nous a formés à l’origine des temps, revient, après Son voyage sur cette terre, à Sa patrie, au Paradis, de la porte duquel Il a écarté le chérubin. A partir de cette nuit où s’est opérée la résurrection du Seigneur, le paradis est ouvert. Il n’est fermé que pour ceux qui se le ferment, mais il n’est ouvert que par la puissance du Christ. Qu’Il revienne donc au ciel, et nous devons Le croire ; qu’Il revienne au ciel Celui qui ne l’a jamais quitté ! Qu’il monte à côté du Père, Celui qui y est toujours resté.
De fait, ne croyons-nous pas que la vie est morte pour nous ? Et comment la vie est-elle morte ? Nous croyons que le Christ, qui est mort, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, n’a jamais, pour cela, quitté le Père et le Saint-Esprit.

§ 3 – Accomplissons notre passage avec le Christ (car « Pâque » signifie passage), afin d’être sauvés.

   « Phase » ou « Pâque » signifie : passage ou traversée. Consacrons-nous nous-mêmes en nous marquant du Sang du Christ ; ainsi passera, sans nous nuire, celui qui ravage le monde ; ainsi la mort, qui doit faire tant de victimes, nous épargnera. Ceux-là sont épargnés par le démon, ceux-là échappent à ses coups, devant lesquels il ne s’arrête pas ; car le Sang du Christ une fois placé sur une âme, les innombrables gouttes de pluie que le diable répand sur le monde ne peuvent ni humecter ni délecter cette âme. Puissions-nous donc nous trouver ainsi imbibés du Sang du Christ, c’est-à-dire marqués du signe de sa mort !
Ce signe reste parfaitement imprimé sur nous, aussi longtemps que nous mourons et que nous vivons pour Celui qui est mort pour nous. Le sang du Christ rejaillit, en quelque sorte, sur nous, quand nous portons Sa mort en nous (2 Cor. IV, 10), de manière à ne jamais le laisser effacer par la pluie des passions humaines ou par l’eau torrentielle des persécutions du siècle. Que ce Sang sèche donc sur nous, qu’il en devienne à jamais inséparable ; qu’il se répande sur nous et nous teigne : que non seulement il nous teigne, mais nous purifie encore, après qu’il nous aura fait mourir au monde.
Le Dieu qui a imprimé le signe de Sa croix sur tous nos membres, peut les purifier toujours. C’est par là que nous pourrons nous réunir aux élus dans le ciel, moyennant le secours de Celui qui vit et règne, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Agneau de Dieu broderie fil d'argent - blogue

2017-40. « Cherchez à comprendre tout ce que le cœur de Marie ressentait de tendresse, d’amour, de compassion, à chaque parole qui sortait des lèvres de Jésus-Christ… »

       Anne-Eugénie Milleret de Brou, née le 26 août 1817 dans une famille aisée éloignée de la pratique religieuse, fut convertie à l’âge de 19 ans et fonda à l’âge de 22 ans (1839), sous la Règle de Saint-Augustin, les Religieuses de l’Assomption, vouée à l’éducation et à l’adoration du Très Saint-Sacrement (voir la biographie plus complète > ici).
Devenue Mère Marie-Eugénie de Jésus, elle présida aux développements de sa fondation. Elle se plaça en 1841 sous la direction spirituelle du Vénérable Emmanuel d’Alzon, vicaire général du diocèse de Nîmes, qui fondera un peu plus tard la congrégation des Augustins de l’Assomption (Assomptionnistes). Ses dernières années furent marquées par les atteintes de la paralysie. Elle rendit son âme à Dieu le 10 mars 1898, dans sa 81e année.
Béatifiée en 1975, elle a été canonisée par S.S. le Pape Benoît XVI en 2007.

   Voici un extrait des instructions que Sainte Marie-Eugénie de Jésus donna à ses religieuses pour les inviter à méditer et à approfondir les Sept Paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la Croix.

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Eglise Sts Simon et Barthélémy Laval Québec - Vitrail compassion

« Voici votre Mère ! »
(vitrail de l’église des Saints Simon et Barthélémy, à Laval – Québec)

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Instruction pour aider à
la méditation des
Sept Paroles de Jésus en Croix :

   Il n’est pas possible de se mettre au pied de la Croix de Notre-Seigneur, sans se laisser pénétrer des dernières paroles qu’Il a prononcées. Quand on est auprès d’un lit d’agonie, quand on fait cette dernière veille auprès des personnes qui nous sont chères, comme on conserve dans son cœur les dernières paroles prononcées ! Combien plus, quand ce sont les paroles mêmes de Notre-Seigneur !

   Les trois premières disent surtout l’infinie bonté de Notre-Seigneur. Le voilà entouré d’outrages, au milieu des souffrances les plus horribles. Il est cloué sur la croix, Il va mourir dans l’agonie la plus cruelle, et Il est tout occupé des autres, Il ne dit que des paroles d’excuse et de consolation. La première de toutes est celle-ci : Père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font [Lc 23, 34].

   Notre-Seigneur nous avait déjà enseigné à dire dans le Pater : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés [Mt 6, 12]. Il semble que ce soit là une vertu élémentaire, puisque tout chrétien est obligé de la pratiquer. Eh bien, ce n’est pas une vertu qu’on trouve pleine, entière, complète dans toutes les âmes chrétiennes. On trouve souvent une trace, un souvenir de ce qui a blessé, de ce qui a été pénible. C’est ce que Notre-Seigneur veut détruire en vous, quand Il dit : Père, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. Il disait cela de Ses ennemis les plus cruels, de pécheurs endurcis et qui ne se convertiraient pas. Cette parole s’appliquait à Pilate, à Judas qui peut-être n’avait pas encore terminé sa triste vie, à Hérode, à ceux qui sont évidemment morts dans l’impénitence finale, comme elle s’appliquait à ceux qui étaient au pied de la croix et se sont convertis. Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.
Je désire que, par cette parole, vous appreniez à entrer dans l’intérieur du Cœur de Notre-Seigneur. Il n’est qu’amour, miséricorde, et, vis-à-vis de toutes les injures, de tout le mal qu’on Lui fait, ne répond que par des désirs de salut.

   La deuxième parole est pour le larron. Notre-Seigneur donne là, pour tous les pécheurs pénitents, une consolation suprême.
Tout pécheur pénitent qui souffre avec Jésus-Christ, qui unit ses souffrances à celles de Jésus-Christ, – car il faut souffrir pour réparer et être pardonné – entend cette parole : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis [Lc 23, 43]. C’est celle qu’Il adresse à ce grand pécheur qui a recours à Lui.

   Tout de suite après, Il S’est occupé de chacun de nous, de vous, de moi, en s’occupant de la très Sainte Vierge. Femme, lui dit-Il, voici ton fils [Jn 19, 26] ; puis, s’adressant à nous, à chacun de nous : Fils, voici ta mère.

   A ce moment-là, Il nous a donné ce qu’Il avait de plus précieux, ce qui, en quelque état que nous soyons, doit assurer notre salut. Il nous a donné une mère dans la très Sainte Vierge. Elle, qui avait un si grand sacrifice à faire, nous a acceptés. Notre-Seigneur savait bien qu’Il donnait à la Sainte Vierge des fils indignes d’elle. En effet, dit saint Bernard, quel changement ! Le serviteur à la place du maître, le fils de Zébédée à la place du Fils de Dieu, la créature à la place de Jésus [Sermon sur les 12 étoiles, 2e nocturne de la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs] – et non seulement une créature comme saint Jean, mais une créature comme vous.

   Les autres paroles de Notre-Seigneur s’adressent toutes à Dieu.

   Notre-Seigneur avait parlé aux hommes dans la miséricorde et la bonté. Puis Se retournant vers Son Père, Il Lui dit : J’ai soif ! [Jn 19, 28] Cette parole est la plus mystérieuse de toutes. Sans doute, Notre-Seigneur avait extrêmement soif, et la dernière dérision de Ses ennemis fut de Lui offrir le fiel et le vinaigre ; mais aussi Il avait soif des âmes et Il disait à Dieu : « Accordez-Moi des âmes ; je vous donne pour elles Mon sang et Mes douleurs. » C’est dans ce sens-là qu’Il dit cette parole : Sitio, qui a été l’objet de la méditation de tant d’âmes.

   Puis Il dit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-Vous abandonné ? [Mt 27, 46] Cette parole nous fait pénétrer dans l’intérieur des douleurs de Notre-Seigneur. À ce moment-là ce n’étaient pas seulement les douleurs de l’agonie, mais les douleurs de l’âme que Jésus acceptait et exprimait ainsi. Il était là couvert de nos péchés, frappé par Dieu ; Il était là comme un lépreux, devenu un objet d’abomination, Lui qui était le Fils bien-aimé du Père et l’objet de toutes les complaisances divines. Son âme passait par des angoisses que des âmes saintes ont partagées, quoique de loin. Cette parole, échangée entre Jésus-Christ et Dieu, nous fait voir de quel prix Il a payé nos âmes.

   Puis Il dit : Tout est consommé [Jn 19, 30]. J’ai payé pour les âmes, j’ai fait tout ce que Vous demandiez, j’ai accompli tout ce que Vous aviez fixé pour moi. Tout est consommé.

   Enfin Sa dernière parole fut celle-ci : En Vos mains, Seigneur, Je remets Mon esprit [Lc 23, 46]. Vous répétez tous les jours cette parole à l’office de Complies. L’Église l’a adoptée pour la prière du soir. Tous les soirs, il faut remettre son âme entre les mains de Dieu, comme si on ne devait plus se réveiller, s’unissant à Notre-Seigneur disant Sa dernière parole : En Vos mains, Seigneur, je remets mon esprit !

   Chacune de ces paroles de Notre-Seigneur a été gravée dans le cœur de la très Sainte Vierge. Elle se tenait debout au pied de la croix. 

   On représente quelquefois Marie, le cœur percé de sept glaives, et on peut dire que ces sept paroles ont été autant de glaives d’amour.
Certainement elle connaissait Jésus-Christ mieux que nous ne Le connaissons. Cependant, ces dernières paroles si pleines de miséricorde, de pardon, d’indulgence envers le pécheur, si pleines de la bonté de Dieu, ont comme percé le cœur de la très Sainte Vierge, d’amour et de compassion.

   Mettez-vous beaucoup au pied de la croix avec elle, regardez Jésus avec elle et comme elle. Cherchez à comprendre tout ce que le cœur de Marie ressentait de tendresse, d’amour, de compassion, à chaque parole qui sortait des lèvres de Jésus-Christ, et enfin à cette dernière qui marque la consommation du sacrifice : En Vos mains, Seigneur, Je remets Mon esprit !

Sainte Marie-Eugénie de Jésus
Extraits d’une instruction donnée au chapitre, 8 avril 1881.

Eglise Sts Simon et Barthélémy Laval Québec - Vitrail Compassion (détail)

« Voici votre Mère ! »
(détail du vitrail de l’église des Saints Simon et Barthélémy, à Laval – Québec)

2017-37. Sermon de notre glorieux Père Saint Augustin sur les mystères de la Passion de Notre-Seigneur.

       Voici un sermon de notre glorieux Père Saint Augustin, adressé aux fidèles un Vendredi Saint, dans lequel le sublime Docteur d’Hippone s’est attaché à faire ressortir les raisons mystérieuses et le symbolisme de certaines circonstances de la Passion décrites dans le Saint Evangile.
En connaisseur inspiré des textes sacrés, Saint Augustin montre les liens profonds de certains détails avec les prophéties de l’Ancien Testament – certaines étant peu connues -, et il met en lumière le sens spirituel de certains autres à côté desquels nous passons souvent sans prêter attention aux mystères qu’ils recèlent…

P. de Champaigne - Crucifixion

Philippe de Champaigne : Crucifixion.

* * * * * * *

Sermon de notre glorieux Père Saint Augustin
sur
les mystères de la Passion

§ 1 – Saint Augustin prononce ce sermon un Vendredi Saint. La Passion est la cause de notre salut. Toutefois dans le récit de la Passion se trouvent des mystères que le saint évêque se propose de commenter.

   On lit solennellement, et solennellement on honore la Passion de Celui dont le sang a effacé nos péchés, afin que ce culte annuel ranime plus vivement nos souvenirs et que le concours même des populations jette plus d’éclat sur notre foi.
Cette solennité exige donc que nous vous adressions sur la Passion du Seigneur le discours qu’il Lui plait de nous inspirer. C’est sans doute afin de nous aider à faire notre salut et à traverser utilement cette vie, que le Seigneur a daigné nous donner un grand exemple de patience en souffrant ce qu’Il a souffert de la part de Ses ennemis, et afin de nous disposer à souffrir, s’Il le voulait, de semblables douleurs pour l’honneur de l’Evangile.
Cependant comme il n’y a pas eu de contrainte et que tout a été volontaire dans ce qu’Il a enduré en Sa chair mortelle, on croit avec raison que dans les circonstances de Sa Passion dont Il a fait consigner le récit dans l’Evangile, Il a voulu encore indiquer autre chose.

§ 2 – Sens du portement de la Croix.

  D’abord, si après avoir été condamné à être crucifié, Il a porté Lui-même Sa croix (Jean XIX, 17), c’était pour nous apprendre à vivre dans la réserve et pour nous montrer, en marchant en avant, ce que doit faire quiconque veut Le suivre.
Du reste Il S’en est expliqué formellement : « Si quelqu’un M’aime, dit-Il, qu’il a prenne sa croix et Me suive » (Matt. XVI, 24). Or, c’est en quelque sorte porter sa croix que de bien gouverner cette nature mortelle.

§ 3 – Sens du crucifiement au lieu dénommé Calvaire [note : Saint Augustin sous entend que ses auditeurs connaissent le sens de ce mot donné par le Saint Evangile, c’est-à-dire « lieu du crâne »].

   S’il a été crucifié sur le Calvaire (Jean XIX, 17-18), c’était pour indiquer que par Sa passion Il remettait tous ces péchés dont il est écrit dans un psaume : « Le nombre de mes iniquités s’est élevé au-dessus des cheveux de ma tête » (Ps. XXXIX, 13).

§ 4 – Symbolisme des deux larrons crucifiés à la droite et à la gauche de Jésus.

   Il eut à Ses côtés deux hommes crucifiés avec Lui (Jean XIX, 18) ; c’était pour montrer que des souffrances attendent et ceux qui sont à Sa droite, et ceux qui sont à Sa gauche. Ceux qui sont à Sa droite et desquels Il dit : « Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice » (Matt. V, 10) ; ceux qui sont à Sa gauche et dont il est écrit : « Quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (I Cor. XIII, 3).

§ 5 – Symbolisme de l’écriteau (titre) de la Croix.

   En permettant qu’on plaçât au-dessus de Sa croix le titre où Il était désigné comme « Roi des Juifs » (Jean XIX, 19), Il voulait montrer que même en Le mettant à mort les Juifs ne pouvaient empêcher qu’Il fût leur Roi : aussi viendra-t-Il avec une grande gloire et une puissance souveraine leur rendre selon leurs oeuvres ; et c’est pourquoi il est écrit dans un psaume : « Pour moi, Il M’a établi Roi sur Sion, Sa montagne sainte » (Ps. II, 6).
Ce titre fut écrit en trois langues, en hébreu, en grec et en latin (ibid. 20) ; c’était pour signifier qu’Il régnerait non-seulement sur les Juifs mais encore sur les Gentils. Aussi après ces mots qui désignent Sa domination sur les Juifs : « Pour moi, j’ai été établi Roi sur Sion, sa montagne sainte » ; Il ajoute aussitôt, pour parler de Son empire sur les Grecs et sur les Latins : « Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui ; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu’aux extrémités de l’univers » (Ps. II, 6-7).
Ce n’est pas que les Gentils ne parlent que grec et latin ; c’est que ces deux langues l’emportent sur les autres : la langue grecque, à cause de sa littérature ; la langue latine, à cause de l’habileté politique des Romains. Les trois langues annonçaient donc que toute la gentilité se soumettrait à porter le joug du Christ.
Le titre néanmoins ne portait pas Roi des Gentils, mais Roi des Juifs : c’était afin de rappeler par ce nom propre l’origine même de la race chrétienne : « La loi viendra de Sion, est-il écrit, et de Jérusalem la parole du Seigneur » (Isaïe II, 3). Quels sont d’ailleurs ceux qui disent avec un psaume : « Il nous a assujetti les peuples, il a mis à nos pieds les Gentils » (Ps. XLVI, 4), sinon ceux dont parle ainsi l’Apôtre : « Si les Gentils sont entrés en partage de leurs biens spirituels, ils doivent leur faire part à leur tour de leurs biens temporels » (Rom. XV, 27) ?

§ 6 - Ce n’est pas non plus sans raison que Pilate a refusé de modifier ce titre.

   Quand les princes des Juifs demandèrent à Pilate de ne pas mettre, dans un sens absolu, qu’il était Roi des Juifs, mais d’écrire seulement qu’Il prétendait l’être (Jean, XIX, 21), Pilate fut appelé à figurer comment l’olivier sauvage serait greffé sur les rameaux rompus ; car Pilate appartenait à la gentilité et il écrivait alors la profession de foi de ces mêmes Gentils dont Notre-Seigneur avait dit Lui-même : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé et a donné à une nation fidèle à la justice » (Matt. XXI, 43).
Il ne s’ensuit pas néanmoins que le Sauveur ne soit pas le Roi des Juifs. N’est-ce pas la racine qui porte la greffe sauvage et non cette greffe qui porte la racine ? Par suite de leur infidélité, ces rameaux sans doute se sont détachés du tronc ; mais il n’en faut pas conclure que Dieu ait repoussé le peuple prédestiné par Lui. « Moi aussi, dit saint Paul, je suis Israélite » (Rom. XI, 1, 2, 17). De plus, quoique les fils du royaume se jettent dans les ténèbres pour n’avoir pas voulu que le Fils de Dieu régnât sur eux, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident pour prendre place au banquet, non pas avec Platon et Cicéron, mais avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le Royaume des Cieux (Matt. VIII, 11).
Pilate aussi écrivit Roi des Juifs, et non pas Roi des Grecs et des Latins, quoiqu’il dût régner sur les Gentils ; et ce qu’il écrivit, il l’écrivit sans consentir à le changer malgré les réclamations de ces infidèles (Jean, XIX, 22) : c’est que bien longtemps auparavant il lui avait été dit au livre des psaumes : « N’altère point le titre, tel qu’il est écrit » (Ps. LVI, 1 ; LVII, 2).
C’est donc au Roi des Juifs que croient tous les Gentils ; Il règne sur toute la gentilité, mais comme Roi des Juifs. Telle a donc été la sève de cette racine, qu’elle a pu communiquer sa nature au sauvageon greffé sur elle, sans que ce sauvageon ait pu lui ôter son nom d’olivier véritable.

§ 7 – Symbolisme du partage des vêtements.

   Si les soldats s’approprièrent ses vêtements, après en avoir fait quatre parts (Jean XIX, 23), c’est que Ses sacrements devaient se répandre dans les quatre parties du monde.
S’ils tirèrent au sort, au lieu de la partager entre eux, Sa tunique sans couture et d’un seul tissu, depuis le haut jusqu’en bas (ibid. 23-24), ce fut pour démontrer clairement que tous, bons ou méchants, peuvent recevoir sans doute les sacrements extérieurs, qui sont comme les vêtements du Christ, mais que cette foi pure qui produit la perfection de l’unité et qui la produit par la charité qu’a répandue dans nos coeurs le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rom. V, 5), n’est pas le partage de tous, mais un don spécial, fait comme au hasard, par la grâce secrète de Dieu. Voilà pourquoi Pierre dit à Simon, qui avait reçu le baptême, mais non pas cette grâce : « Il n’y a pour toi ni a part, ni sort dans cette foi » (Act. VIII, 21).

§ 8 – Raison pour laquelle Jésus S’est adressé à Marie du haut de la Croix.

   Du haut de la croix Il reconnut Sa Mère et la recommanda au disciple bien-aimé (Jean XIX, 26-27) ; c’était, au moment où Il mourait comme homme, montrer à propos des sentiments humains – et ce moment n’était pas encore arrivé, quand sur le point de changer l’eau en vin, Il avait dit à cette même Mère : « Que nous importe, à Moi et à vous ? Mon heure n’est pas encore venue » (ibid. II, 4).
Aussi n’avait-Il pas puisé dans Marie ce qui appartenait à Sa divinité, comme en elle Il avait puisé ce qui était suspendu à la croix.

§ 9 – Sens de la soif éprouvée par le Sauveur en Croix et symbolisme de l’éponge.

   S’Il dit : « J’ai soif », c’est qu’Il avait soif de la foi de Son peuple ; mais comme «en venant chez lui il n’a pas été reçu par les siens » (Jean I, 11), au lieu du doux breuvage de la foi, ceux-ci Lui présentèrent un vinaigre perfide, et le Lui présentèrent avec une éponge.
Ne ressemblaient-ils pas eux-mêmes à cette éponge, étant – comme elle – enflés sans avoir rien de solide, et, comme elle encore, ne s’ouvrant pas en droite ligne pour professer la foi, mais  cachant  de noirs  desseins  dans  leurs  coeurs  aux  replis tortueux ?
Cette éponge était elle-même entourée d’hysope, humble plante dont les racines vigoureuses s’attachent, dit-on, fortement à la pierre : c’est qu’il y avait parmi ce peuple des âmes pour qui ce crime devait être un sujet d’humiliation et de repentir. Le Sauveur les connaissait, en acceptant l’hysope avec le vinaigre ; aussi pria-t-Il pour elles – au rapport d’un autre Evangéliste – lorsqu’Il dit sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc XVIII, 34).

§ 10 – Sens des dernières paroles du Sauveur et de Son inclinaison de tête.

   En disant : « Tout est consommé », et en rendant l’esprit après avoir incliné la tête (Jean XIX, 30), Il montra que Sa mort n’était pas forcée, mais volontaire, puisqu’Il attendait l’accomplissement de tout ce qu’avaient prédit les prophètes relativement à Lui.
On sait qu’une autre circonstance était prédite aussi dans ces mots : « Et dans ma soif ils M’ont donné à boire du vinaigre » (Ps. LXVIII, 22). Ainsi montrait-Il qu’Il possédait, comme Il l’avait affirmé Lui-même, « le pouvoir de déposer sa vie » (Jean X, 18).
De plus Il rendit l’esprit avec humilité, c’est-à-dire en baissant la tête, parce qu’Il devait le reprendre en relevant la tête à Sa résurrection.
Cette mort et cette inclination de tête indiquaient donc en Lui une grande puissance ; c’est ce qu’annonçait déjà le patriarche Jacob en bénissant Juda : « Tu es monté, lui dit-il, en t’abaissant ; tu t’es endormi comme un lion » (Gen. XLIX, 9) ; c’est que Jésus-Christ devait S’élever en mourant, c’est qu’Il avait alors la puissance du lion.

§ 11 – Raisons pour lesquelles Ses jambes ne furent pas rompues comme aux deux larrons.

   Pourquoi les jambes furent-elles rompues aux deux larrons et non pas à Lui, qu’on trouva mort ?
L’Evangile même l’explique : c’était une preuve qu’au sens prophétique Il était bien question de Lui dans la Pâque des Juifs, où il était défendu de rompre les os de la victime [note : c’est la prescription faite aux Hébreux lors des préparatifs du repas pascal avant la sortie d’Egypte, car il est dit par Dieu au sujet de l’agneau : « pas un de ses os ne sera brisé »].

§ 12 – Symbolisme du sang et de l’eau sortis du côté ouvert.

   Le sang et l’eau qui de Son côté, ouvert par une lance, coulèrent à terre, désignent sans aucun doute les sacrements qui servent à former l’Eglise.
C’est ainsi qu’Eve fut formée du côté d’Adam endormi, qui figurait le second Adam.

§ 13 – Raisons pour lesquelles Jésus fut enseveli par des hommes portant les noms de Joseph et de Nicodème.

   Joseph et Nicodème L’ensevelissent.
D’après l’interprétation de plusieurs, Joseph signifie « accru », et beaucoup savent que Nicodème, étant un mot grec, est composé de victoire : nikos, et de peuple : demos. Quel est donc Celui qui s’est accru en mourant, sinon Celui qui a dit : « A moins que le grain de froment ne meure, il reste seul ; mais il se multiplie,  s’il meurt » (Jean XII, 24-25) ?
Quel est encore Celui qui en mourant a vaincu le peuple persécuteur, sinon celui qui le jugera après S’être ressuscité ?

P. de Champaigne  - le Christ mort

Philippe de Champaigne : le Christ mort.

2017-36. La Sainte Vierge au pied de la Croix, en qualité de Mère de douleur.

Vendredi de la Passion,
Commémoraison solennelle de la Compassion de Notre-Dame.

Ignaz Günther Pietà de Weyarn

Piétà de l’église des Augustins de Weyarn (Bavière)
oeuvre d’Ignaz Günther (1725-1775)

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       Pour marquer la commémoraison solennelle de la Compassion de Notre-Dame, voici un texte écrit par « Monsieur Baudrand » : il est extrait d’une « Neuvaine à l’honneur du saint Coeur de Marie » que nous avons trouvée dans « L’âme embrasée de l’amour divin, par son union aux Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie », ouvrage imprimé à Angers en 1712 (ce n’est pas la première édition que nous possédons au Mesnil-Marie).
Henry Baudrand, né à Paris en 1637, était un prêtre sulpicien, docteur en théologie, qui fut curé de Saint-Sulpice de 1689 à 1696. En 1696, il échangea sa charge de curé contre celle de prieur de Saint-Côme, près de Tours. C’est pendant son séjour dans ce prieuré qu’il rédigea plusieurs ouvrages de dévotion. Il mourut le 18 octobre 1699 à Beaune, dans le Gâtinais (aujourd’hui Beaune-la-Rolande) et fut inhumé dans l’église de Beaune.
Dans l’extrait suivant, nous avons modernisé la graphie (vg. « avait » au lieu d’ « avoit », « tourments » au lieu de « tourmens »… etc.) mais nous avons scrupuleusement conservé le style, la ponctuation et les majuscules telles qu’elles se trouvent dans l’ouvrage que nous avons sous les yeux

L'âme embrasée - Baudrand

La Sainte Vierge au pied de la Croix,
en qualité de Mère de douleur.

       « 1 – Le saint Vieillard Siméon avait annoncé à Marie qu’un jour viendrait, que le glaive de douleur percerait son âme : depuis ce moment la prophétie commença à s’accomplir dans elle ; mais elle eut son accomplissement parfait au pied de la croix.
Le temps de la passion du Fils, aussi bien que celle de la Mère, étant venu, on ne saurait exprimer quelle fut sa douleur quand elle apprit que Jésus était arrêté, qu’on le traînait de tribunal en tribunal, au milieu des opprobres et des ignominies : douleur plus grande encore quand il fut condamné à la mort ; mais douleur excessive, immense, au-dessus de toute douleur, quand elle le vit sur la croix.
Jamais Mère n’aima son Fils unique avec tant de tendresse, et jamai aussi Mère ne vit un Fils dans de si cruels tourments. Tous les SS. Pères disent qu’elle seule a souffert plus que tous les Martyrs ensemble, dont elle est appelée à juste titre la Reine, Regina Martyrum ; et ils conviennent que, sans un miracle, elle n’aurait pu soutenir le spectacle de cette douloureuse et ingnominieuse Passion de son Fils.
Soumise à la volonté et aux ordres de Dieu, sur le sacrifice de ce divin Fils, non seulement elle ne fit aucune démarche pour le soustraire à la mort, mais elle se résolut même par un courage surnaturel, et bien au-dessus de son sexe, d’accompagner Jésus-Christ sur le Calvaire, et d’assister à sa mort, au pied même de la Croix. Là, tout ce que les bourreaux faisaient souffrir à son Fils, toutes les imprécations, tous les blasphèmes qu’on vomissait contre lui, étaient autant de coups mortels qu’on portait au coeur de la Mère.
Ici, si nous avons quelque sentiment de dévotion pour Marie, quelles doivent être nos dispositions envers elle ?

       2 – Jésus, en qualité de victime pour le genre humain, était mourant sur la croix, et Marie, en qualité de Mère de douleur, était agonisante au pied de la croix. L’amour faisant l’office de Sacrificateur, immolait Jésus à son Père céleste sur l’autel de la croix, pour l’expiation de tous les péchés des hommes, et le même amour immolait Marie au pied de cette croix, en lui faisant souffrir dans son coeur tous les tourments que son Fils endurait dans son corps.
Mais ce qui acheva de mettre le comble à cette incompréhensible douleur de cette Mère affligée, ce furent les dernières paroles que lui adressa son Fils expirant ; ces dernières paroles renouvelèrent toutes les plaies dont le coeur de cette Mère mourante était déjà percé. Jésus ayant aperçu au pied de sa croix, sa tendre Mère et son cher Disciple, dit à sa Mère : voilà votre fils ; et à St Jean : voilà votre Mère ; comme s’il disait à Marie : vous n’avez plus en moi de Fils sur la terre ; voilà celui qui vous tiendra ma place et qui prendra soin de vos jours. Quel nouveau glaive de douleur fut alors enfoncé dans le coeur de cette tendre Mère ! Et les SS. Pères ne disent-ils pas avec juste raison, que le martyre de Marie, en ce seul moment, fut plus douloureux et plus violent que celui de tous les Martyrs ensemble, dans tout le cours de leur martyre et de leurs souffrances ?

   Depuis ce moment, ô Mère affligée, vous ne menâtes plus sur la terre qu’une vie languissante d’amour ; et ce fut l’excès de cet amour qui termina enfin votre course en ce monde.
Vierge sainte ! en compatissant à vos douleurs, nous devons nous souvenir toujours que c’est par amour pour nous, et par zèle pour notre salut, que vous les avez souffertes, et que vous vous êtes comme immolée vous-même, en consentant à l’immolation de votre Fils. Quels sentiments d’amour, de tendresse, de reconnaissance et de vénération ne devons-nous pas avoir pour vous tant que nous vivrons ?

   Je vous les demande, ô mon Dieu ! ces pieux sentiments envers votre tendre Mère, qui veut bien aussi être la mienne ; daignez recevoir et confirmer pour toujours, le dévouement que je lui renouvelle en ce jour pour toute ma vie.

   O Mère de douleur par excellence ! faites-moi ressentir les traits douloureux qui percent votre âme, afin que je joigne mes soupirs aux vôtres, mes larmes aux vôtres, et que le reste de ma vie je partage l’affliction que vous avez ressentie au pied de la croix.
Je me reprocherai d’y avoir été jusqu’à présent si peu sensible.
Je réparerai ce coupable oubli, par le zèle que j’aurai désormais pour votre service.
J’irai souvent au pied de la croix unir mes sentiments et mon sacrifice au vôtre.
J’entrerai dans toutes les pratiques de piété capables de vous honorer, et j’honorerai spécialement vos saints Mystères douloureux, que l’Eglise célèbre dans le cours de l’année.

   C’est une sainte pratique  de réciter le Stabat Mater tous les Vendredis. »

Abbé Henry Baudrand
in « Neuvaine à l’honneur du Sacré-Coeur de Jésus et du Saint Coeur de Marie »
Pavie éd. Angers 1712 – p. 153 et sv.

Ignaz Günther Pietà de Weyarn - détail

Piétà de l’église des Augustins de Weyarn – détail.

Autres publications de ce blogue en l’honneur de Notre-Dame de Compassion
A – Prières :
- Ave, Maria en l’honneur de la Vierge de Compassion > ici
- Prière de Compassion et de supplication > ici
- Le chapelet des Sept Douleurs > ici
- Confiante supplication à Notre-Dame de Compassion > ici
- Prière de St Alphonse en l’honneur des 7 Douleurs > ici

B – Stabat Mater :
- Stabat Mater de Pergolèse > ici
- Stabat Mater de Kodaly > ici

C – Textes de méditation :
- Jean-Jacques Olier : « Marie au Calvaire » (3 textes) à partir d’ > ici
- St François de Sales sur la souffrance de Marie > ici
- Rd. Père Lépicier sur les douleurs de la Vierge > ici

Coeur de Marie aux sept glaives

2017-35. Du Bienheureux Pierre Vigne et du « Grand Voyage » de Boucieu-le-Roi.

« Lisons et étudions avec soin et persévérance le livre des livres,
le livre que Dieu a composé
dans la plénitude d’un amour ardent pour nous,
le livre écrit non pas avec de l’encre mais avec Son Sang,
non sur du papier mais sur Son propre Corps couvert de plaies. »

Bienheureux Pierre Vigne

Bx Pierre Vigne

Le Bienheureux Pierre Vigne (1670-1740)
Fondateur du « Grand Voyage » de Boucieu-le-Roi
& de la congrégation des Soeurs du Saint-Sacrement

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Il faut que je vous entretienne d’une très belle figure de sainteté de notre diocèse de Viviers, le Bienheureux Pierre Vigne, dont la fête est célébrée le 8 juillet - c’est-à-dire pour son « dies natalis » : cette formule latine qui signifie « jour de la naissance », désigne de fait le jour de la naissance au Ciel, qui est le jour de sa mort, survenue le 8 juillet 1740 - , et les photos que vous pourrez voir dans la suite de cet article ont été prises le 8 juillet 2016, lorsque Frère Maximilien-Marie et l’un de ses amis se sont rendus en pèlerinage à Boucieu-le-Roi.

Lully.

* * *

       Pierre Vigne est né à Privas, le 20 août 1670, dans une famille de commerçants aisés : très tôt, il a manifesté une vive intelligence et a acquis une instruction bien au-dessus de la moyenne.
Selon une tradition solidement établie, mais aujourd’hui contestée par certains historiens, bien qu’ayant été baptisé dans l’Eglise catholique, le jeune Pierre aurait été un temps séduit par les erreurs des huguenots et, vers l’âge de 20 ans, aurait décidé de se rendre à Genève en vue de devenir pasteur : c’est alors que, croisant un prêtre qui portait le Saint-Sacrement et refusant de manifester le moindre respect pour ce qui était à ses yeux une idolâtrie de papistes, son cheval se cabra, le fit tomber à terre – comme jadis Saül à l’approche de Damas – puis l’animal s’inclina devant la Sainte Eucharistie. Pierre, touché par la grâce, non seulement abandonna son dessein hérétique mais au lieu de faire route vers Genève s’en fut trouver Monseigneur l’évêque de Viviers et demanda à entrer au séminaire pour s’y préparer au sacerdoce !

conversion de Pierre Vigne

Conversion de Pierre Vigne, terrassé devant le Très Saint Sacrement qu’un prêtre portait à un mourant
(tableau exposé au Musée Pierre Vigne à Boucieu-le-Roi)

   Pierre Vigne est ordonné prêtre aux Quatre-Temps d’automne, le 18 septembre 1694, et presque aussitôt envoyé comme vicaire à Saint-Agrève, dans le nord du Vivarais : il demeure à ce poste jusqu’en 1700.
Le 27 mai 1700, il part pour Lyon, où il demande à entrer au séminaire des « prêtres de la mission » (appelés aussi Lazaristes) fondés par Saint Vincent de Paul pour les missions populaires 75 ans plus tôt.
En 1702, après ses voeux, il est nommé au sanctuaire de Valfleury, près de Saint-Chamond : il y a là une communauté lazariste qui rayonne en missions nombreuses dans les campagnes environnantes. A la fin de l’année 1704, on l’envoie à Béziers, toujours pour être employé aux missions paroissiales. 

   En 1706, nouveau changement de vie : il quitte les Lazaristes et rentre dans sa famille à Privas. Il reprend là ses activités de missionnaire des campagnes : sa prédication et son zèle sont tellement appréciés qu’on voudrait le nommer à la cure de Privas, mais il refuse : il préfère rester missionnaire itinérant, ayant une prédilection pour les pauvres gens des campagnes.
Son grand modèle est Saint Jean-François Régis, l’apôtre du Vivarais et du Velay, mort d’épuisement à La Louvesc le 31 décembre 1640 après avoir multiplié les conversions et les retours à la ferveur.

   On a retrouvé dans les écrits du Bienheureux Pierre Vigne la liste des lieux où il prêcha dans les diocèses de Lyon, Toulouse, Montpellier, Rodez, Le Puy, Grenoble, Vienne, Digne, Gap, Die et surtout Valence et Viviers : plus de 180 localités (dans certaines il est revenu plusieurs fois).

Bx Pierre Vigne 2

   Les pôles de la spiritualité du Bienheureux Pierre Vigne sont avant tout la Passion, la Messe et le culte du Très Saint-Sacrement ; ce sont aussi les pôles de sa prédication : le Père Pierre Vigne fait aimer Jésus, mort par amour pour nous afin de nous sauver, dont l’oeuvre de rédemption et d’amour accomplie au Calvaire se perpétue à la Messe, cette Sainte Messe catholique, où l’on fait mémoire et actualise les mystères de la Bienheureuse Passion de Notre-Seigneur, Sa Résurrection du séjour des morts et Sa glorieuse Ascension dans les cieux, en offrant à la Majesté divine la Victime parfaite, la Victime sainte, la Victime sans tache, Pain saint de la vie éternelle et Calice du salut perpétuel (cf. prière « Unde et memores » du Canon romain).
Pour cela il faut inlassablement faire mieux connaître Jésus, vrai Dieu et vrai homme, et mettre davantage les âmes en communion vivante avec Lui par la grâce : de ce fait, le ministère de la confession occupe une part importante de l’apostolat du Père Vigne.
Tellement importante que, dans ses déplacements à pied à travers la campagne, il porte son confessional avec lui, toujours prêt à y accueillir les pauvres pécheurs et à leur ouvrir tout grand les réserves de la miséricorde divine…

Bx Pierre Vigne 3

   « Si on connaissait bien ce qu’est ce grand Dieu, hélas ! qui ne tremblerait de crainte et ne serait pénétré de regret de l’avoir si souvent offensé ? » a-t-il écrit dans son journal.
Encore et encore, il ramène les âmes à Dieu en les mettant en face de l’amour de ce Dieu qui est allé jusqu’à des extrémités inouïes.
Le repentir profond et l’amour durable sont suscités dans les coeurs par une meilleure connaissance et la méditation de la Passion de Jésus : « Il vous a donné tout Son sang, ne Lui donnerez-vous pas au moins des larmes ? »

Bx Pierre Vigne 4

   A Boucieu-le-Roi, dans le petit musée qui lui est consacré on conserve ce fameux confessionnal que le Père Vigne transportait sur son dos dans ses courses apostoliques, et à l’intérieur duquel les flots de la grâce ont coulé, réconciliant les pécheurs, consolant les affligés, stimulant ceux qui peinent dans le chemin de la fidélité chrétienne, soutenant les efforts de ceux qui titubent, portant les bons à davantage de ferveur encore…

Confessionnal portatif du Bx Pierre Vigne

Confessional portatif du Bienheureux Pierre Vigne :
sous le siège du confesseur se trouve une espèce de tiroir dans lequel il rangeait des objets de culte, sorte de « chapelle portative » ;
ainsi, même dans les églises ou chapelles les plus mal équipées avait-il toujours tout ce qui lui était nécessaire
pour une digne célébration de la Sainte Messe et des sacrements.

   Comme Saint Paul, le Bienheureux Pierre Vigne prêche la science de Jésus-Christ, Messie crucifié : « Lisons et étudions avec soin et persévérance le livre des livres, le livre que Dieu a composé dans la plénitude d’un amour ardent pour nous, le livre écrit non pas avec de l’encre mais avec Son Sang, non sur du papier mais sur Son propre Corps couvert de plaies. »

   « Et comme il sait que l’amour appelle l’amour, non content de commenter à ses auditeurs ce livre de la science suprême, il l’ouvrira sous leurs yeux : son oeuvre la plus chère sera, à la fin de la mission, de planter la Croix du Christ, plus éloquente que des paroles.
« Il a laissé dans les lieux où il a prêché une trentaine de Calvaires ou Chemins de Croix dont quelques-uns sont encore fréquentés à l’heure actuelle… » (Thérèse Ardouin, in « Pierre Vigne », éd. Visages du Vivarais – 1966, p.37).
Des Chemins de Croix que l’on peut qualifier de monumentaux : grande Croix érigée sur une colline ou un sommet dominant avec, pour y parvenir, des stations ou chapelles échelonnées le long du sentier que l’on gravit en priant, se souvenant du détail de tous les épisodes de la Passion et les méditant.

   Bien loin du « résumé » que constituent les quatorze stations sous forme de tableaux alignés sur les murs intérieurs de nos églises, ces grands Chemins de Croix dont le Père Vigne favorise l’implantation possèdent entre trente et quarante stations. C’est le cas du célèbre Chemin de Croix de Burzet (déjà évoqué dans ce blogue > ici), et surtout celui de Boucieu-le-Roi, celui qui lui tint le plus à coeur.

Bx Pierre Vigne 5

   Au coeur de la vallée du Doux, entre Tournon-sur-Rhône et Lamastre, regroupé autour de la colline où se dressait jadis une maison forte, Boucieu-le-Roi est un village de caractère au passé historique fort riche : siège d’une cour royale de justice, ou bailliage, depuis le règne de Philippe le Bel jusqu’au temps de François 1er, le village connut une activité intense aux XIVe et XVe siècles.
Pillé et en partie détruit lors de la guerre de Cent Ans, mais plus encore du fait des exactions des huguenots, le village s’assoupit ensuite.

   Au début de l’année 1712, le Père Pierre Vigne y vient pour la première fois et la configuration du village et de ses environs évoque pour lui de manière frappante celle de Jérusalem et de ses alentours : non qu’il se soit rendu en Palestine, mais seulement en raison des descriptions qu’il a pu en lire, tout spécialement dans l’ « Histoire et Voyage de la Terre Sainte » du franciscain Jacques Goujon, ancien supérieur du couvent du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Dans cet ouvrage les lieux de la Passion sont décrits de manière très minutieuse, au point de noter les distances qui se trouvent entre eux.

   Impressionné par les « conformités » de Boucieu-le-Roi avec les représentations qu’il a pu se faire à partir de tous les détails du livre du docte franciscain, Pierre Vigne projette aussitôt sur ce coin de terre vivaroise son rêve d’établir un Chemin de Croix qui reproduise le plus exactement possible la disposition des lieux où s’accomplit le mystère de notre Rédemption, de telle sorte qu’en suivant ici de station en station les étapes de la Bienheureuse Passion, le pèlerin parcourra exactement, au pas près, les mêmes distances qui se trouvent à Jérusalem entre les divers sites où s’accomplit le drame divin !

Boucieu-le-Roi vue générale

Boucieu-le-Roi : vue générale du village dans son état actuel.
On distingue l’église, avec son clocher carré trapu, au milieu des maisons villageoises ;
on remarque surtout, à l’emplacement de l’ancien château, en position dominante, la « Maison Pierre Vigne »,
couvent des religieuses du Saint-Sacrement, où se trouve le Calvaire
et donc l’aboutissement des stations du « Grand Voyage » établi ici par le Bienheureux Pierre Vigne.

   Sur le promontoire où se dresse le château, le Père Vigne a repéré un emplacement libre : endroit idéal pour dresser, entre les croix des deux larrons, celle du bien-aimé Sauveur. Là bas, « du côté de l’orient », il y a une montagne qui figurera parfaitement le Mont des Oliviers, d’autant que dans le vallon qui se trouve au pied coule un ruisseau qu’il baptise aussitôt le Cédron. Dès qu’on franchit le ruisseau, on trouve un terrain « qui a la longueur du Jardin des Oliviers » et près duquel un « rocher creusé » deviendra la grotte de la Sainte Agonie… etc.
Et le Père n’en finit pas de détailler – redisons-le, au pas près, car toutes les stations seront disposées selon les indications de distance précisées par le Père Goujon dans son livre  - les « conformités de Boucieu-le-Roi avec les Saints Lieux de Jérusalem ».

   En moins de neuf mois (à partir de la fin de l’année 1712), avec l’aide des habitants et le soutien de quelques généreux donateurs, le Bienheureux Pierre Vigne fait aménager un immense Chemin de Croix de trente stations – autant que de jours dans un mois – en même temps qu’il rédige et fait éditer à Lyon les deux tomes d’un livre intitulé « Méditations pour chaque jour du mois, tirées du plus beau livre que Dieu nous ait donné et qui est Jésus-Christ souffrant et mourant sur la Croix ». L’ouvrage contient enfin des stations « surnuméraires » – au nombre de neuf – , qui vont depuis la mise au tombeau jusqu’à la Pentecôte, et qui font que ce Chemin de Croix recouvre la totalité du mystère pascal.

   L’itinéraire, à partir de l’église de Boucieu-le-Roi, dans les rues du village et dans ses environs court sur une superficie de quelque deux-cents hectares, suivant un tracé complexe qui se croise lui-même ici ou là.
A partir de l’institution de la Sainte Eucharistie, en passant par les épisodes de l’Agonie à Gethsémani, de l’arrestation, des diverses phases du procès – avec ses allées et venues entre la salle du Sanhédrin, le palais de Caïphe, celui d’Hérode et, le prétoire de Pilate – , de la condamnation et des étapes de la montée au Golgotha, le pèlerin avance dans un cheminement spirituel auquel le Bienheureux Pierre Vigne donne lui-même le nom de « Voyage du Calvaire », ou « Grand Voyage ».

Station du Grand Voyage

   Entièrement ruiné par les « patriotes » lors de la grande révolution, le Chemin de Croix de Boucieu-le-Roi (renommé alors Boucieu-le-Doux) fut rétabli dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis dut être restauré après la Grande Guerre et à nouveau en 1965 : à cette date, les chapelles des stations furent ornées des sculptures que l’on peut y voir aujourd’hui, oeuvres du peintre et sculpteur Dante Donzelli (1909-1990).

Station

   Dès le moment où il a entrepris l’édification de ce grand Chemin de Croix qui marque à tout jamais le village de Boucieu-le-Roi d’une profonde empreinte surnaturelle, le Bienheureux Pierre Vigne s’est soucié de trouver et de former des personnes qui pourraient accompagner les pèlerins sur cet itinéraire de méditation et de prière, les aidant ainsi à entrer dans le mystère le plus grand et le plus élevé qui soit : celui d’un Dieu qui S’est incarné dans le but de racheter Sa créature déchue au moyen des souffrances de Sa Passion, dans un acte d’amour infini qui appelle l’amour en retour.

   Les témoignages de l’époque nous montrent que l’établissement de ce « Grand Voyage » attira rapidement les foules de toutes les paroisses avoisinantes… et de plus loin.
Certains écrits citent les voeux que prononcent les fidèles dans le temps de l’épreuve ou de la maladie : on promet à Dieu, s’Il exauce les prières qu’on Lui adresse, d’aller faire le pèlerinage du Calvaire à Boucieu-le-Roi, en action de grâces…
Et Les miracles ont lieu : des guérisons et des conversions qui étendent la renommée de l’oeuvre du Père Vigne et contribuent à intensifier la ferveur.

Sculpture station

Détail de l’une des sculptures de Dante Donzelli
dans la station évoquant la rencontre de Jésus avec Sa Très Sainte Mère lors de la montée au Calvaire.

Calvaire de Boucieu-le-Roi

Le Calvaire, au sommet de la colline qui domine Boucieu-le-Roi,
à côté de la chapelle du couvent des religieuses du Saint-Sacrement :
c’est le point culminant du « Grand Voyage ».

« Voici le royal trône où Jésus voulait être :
Ses pieds y sont cloués comme aussi chaque main.
Voilà le saint autel qui soutient ce grand prêtre :
Quel malheur si pour nous Il sacrifie en vain ! »

Bienheureux Pierre Vigne,
extrait des « Considérations sur les souffrances et la mort de Jésus ».

Bx Pierre Vigne 6

   Le « Voyage du Calvaire » est destiné prioritairement aux petites gens qui, pour le plus grand nombre en ce début du XVIIIe siècle, sont peu capables de lire, le Père Pierre Vigne souhaite donc des personnes dévouées et disponibles formées à accompagner les pèlerins, à leur expliquer les stations et à les faire prier tout le long de ce Chemin de Croix.

   Dès 1714 une jeune femme vient à Boucieu-le-Roi se mettre à disposition du Père pour ce service : elle s’installe au village, où elle fait aussi l’école aux enfants.
Cette première accompagnatrice ne persévère pas mais, avant son départ, d’autres jeunes filles et veuves sont venues se placer sous la direction du Père Vigne : elles sont finalement sept auxquelles il donne le saint habit et remet la Croix, le 30 novembre 1715, dans l’église de Boucieu-le-Roi.
Une nouvelle congrégation religieuse vient de naître.

   Les sœurs se relaient tout au long du jour devant le Saint-Sacrement ; matin et soir, elles font de pieuses lectures aux fidèles dans l’église ; elles accompagnent les pèlerins dans le « Voyage du calvaire » ; elles instruisent les enfants et visitent les malades.

   Les « Sœurs du Calvaire et de l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement », maintenant simplement nommées « Sœurs du Saint-Sacrement », sont aujourd’hui présentes dans cinq pays d’Europe, au Brésil et en Afrique du Sud.

Retour du corps du Bx Pierre Vigne

   Après une période presque entièrement consacrée à Boucieu-le-Roi, à son « Grand Voyage » et à la fondation des religieuses, en 1722, le Bienheureux Pierre Vigne repart sur les routes pour des missions qui le mènent parfois fort loin.

   L’hiver 1739-1740 est éprouvant pour sa santé : il est dans sa 70ème année et sent ses forces décliner au point que, alors qu’il doit partir prêcher une mission à Rencurel, dans le Vercors, il demande à recevoir l’extrême onction avant de s’y rendre !

   Il arrive à Rencurel le 12 juin, prêche et confesse jusqu’au 24 juin. Il est alors totalement épuisé et doit s’aliter. Il envoie un exprès mander « ses chères filles de Boucieu ».
La Supérieure et l’une des premières sœurs se mettent aussitôt en chemin, espérant le sauver par leurs soins et leur prières. En vain.
Aux deux religieuses désolées il fit ses dernières recommandations puis « celui qui n’avait vécu que pour son Dieu ne s’occupa plus que du bonheur d’aller se réunir à Lui dans le séjour de la gloire ».

   « La fièvre était si violente qu’elle lui ôtait la respiration ; mais lui revivait les souffrances du Sauveur du monde : prié de boire un remède très amer, il l’accepta avec soumission en souvenir du fiel qui fut donné à Jésus en Croix.
Le souci des âmes le poursuivait jusque dans son agonie ; il murmurait, torturé par la soif : « Ah ! Seigneur ! Si je pouvais prêcher encore, je ferais bien sentir au peuple, par l’expérience que j’en fais moi-même, combien était ardente la soif qu’éprouva Jésus-Christ lorsqu’Il expira pour le salut des hommes ».
La Supérieure de Boucieu, qui était auprès de lui, lui passa, sur sa demande, le crucifix qu’il portait toujours avec lui dans ses missions. Il le contempla avec amour, le baisa, le pressa sur son coeur.
C’était la fin : « ayant ouvert les yeux, il aperçoit Jésus et Sa Sainte Mère et, prononçant ces noms sacrés, il rend son âme entre leurs mains » (Thérèse Ardouin, citant un document contemporain relatant la mort du Père, in « Pierre Vigne », éd. Visages du Vivarais – 1966, p.113).

   C’était le 8 juillet 1740 vers les 4 h de l’après-midi, c’était un vendredi, et c’était un siècle après la mort de Saint Jean-François Régis qui avait toujours été pour lui un modèle.

Tombe du Bx Pierre Vigne

Tombe du Bienheureux Pierre Vigne,
au pied de l’autel de la Sainte Vierge, dans l’église de Boucieu-le-Roi.

Accompagné par une foule fervente et émue, son corps fut ramené à Boucieu-le-Roi pour y être inhumé dans l’église.

Bx Pierre Vigne 7

Le Bienheureux Pierre Vigne demeure pour toutes les générations de fidèles
un modèle de zèle pour faire connaître et aimer la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
une vivante invitation à lire et étudier assidument, inlassablement,
« (…) avec soin et persévérance le livre des livres,
le livre que Dieu a composé dans la plénitude d’un amour ardent pour nous,
le livre écrit non pas avec de l’encre mais avec Son Sang,
non sur du papier mais sur Son propre Corps couvert de plaies. »

nika

2017-34. Sermon de notre Bienheureux Père Saint Augustin sur le Chemin du Ciel.

« Souffrons le présent, ayons confiance dans l’avenir. »

Lundi de la Passion.

   La Messe du lundi de la Passion nous donne en exemple, à l’épître, la pénitence des Ninivites qui détourna d’eux les châtiments de la justice divine. Dans cette perspective, lisons et méditons ce court sermon de notre Bienheureux Père Saint Augustin.

Le Christ en prière - vers 1514 - attribué à Niklaus Weckmann

Le Christ en prière
sculpture en bois de tilleul, vers 1514, attribuée à Niklaus Weckmann (1481-1526)

Sermon 217
de
notre Bienheureux Père Saint Augustin,

vers la fin du Carême,
à propos du chemin du Ciel,

à partir des paroles de
Notre-Seigneur Jésus-Christ :
« Mon Père, Je veux que là où Je suis soient aussi avec Moi ceux que Vous m’avez donnés »
(Jean XVII, 24).

§ 1. Le Christ qui est Dieu prie Dieu Son Père. Rappels concernant la doctrine trinitaire.

   Le Christ Notre-Seigneur nous exauce avec Son Père ; pour nous cependant Il a daigné prier Son Père. Est-il rien de plus sûr que notre bonheur, quand il est demandé par Celui qui le donne ? Car Jésus-Christ est en même temps Dieu et homme ; Il prie comme homme, et comme Dieu Il donne ce qu’Il demande. S’Il attribue au Père tout ce que vous devez conserver de Lui, c’est que le Père ne procède pas de Lui, mais Lui du Père. Il rapporte tout à la source dont Il émane, quoique en émanant d’elle Il soit source aussi, puisqu’Il est la source de la vie. C’est donc une source produite par une source. Oui, le Père qui est une source produit une source ; mais il en est de ces deux sources comme du Père et du Fils qui ne sont qu’un seul Dieu. Le Père toutefois n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père et l’Esprit du Père et du Fils n’est ni le Père ni le Fils ; mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’un seul Dieu. Appuyez-vous sur cette unité pour ne pas tomber en désunissant.

§ 2.  Le Christ demande à Son Père que nous allions au Ciel, séjour de félicité absolue tandis que cette terre est un lieu de craintes et de souffrances.

   Vous avez vu ce que demandait le Sauveur, ou plutôt ce qu’Il voulait. Il disait donc : « Je veux, mon Père, que là où Je suis soient aussi ceux que Vous m’avez donnés ». Oui, « Je veux que là où Je suis ils soient aussi avec Moi ».
Oh ! l’heureux séjour ! Oh ! L’inattaquable patrie ! Elle n’a ni ennemi ni épidémie à redouter. Nous y vivrons tranquilles, sans chercher à en sortir ; nous ne trouverions point de plus sûr asile. Sur quelque lieu que se fixe ton choix ici-bas, sur la terre, c’est pour craindre, ce n’est point pour y être en sûreté. Ainsi donc, pendant que tu occupes cette résidence du mal, en d’autres termes, pendant que tu es dans ce siècle, dans cette vie pleine de tentations, de morts, de gémissements et de terreurs, dans ce monde réellement mauvais, fais choix d’une autre contrée pour y porter ton domicile.

§ 3. Pour aller au Ciel il faut pratiquer le bien. Différences entre le séjour d’ici-bas et celui du Ciel.

   Mais tu ne saurais te transporter au séjour du bien, si tu n’as fait du bien dans ce pays du mal.
Quelle résidence que cette autre où personne ne souffre de la faim ?  Mais pour habiter cette heureuse patrie où la faim est inconnue, dans la patrie malheureuse où nous sommes, partage ton pain avec celui qui a faim. Là nul n’est étranger, chacun est dans son pays.
Veux-tu donc habiter ce séjour heureux où il n’y a point d’étranger ? Dans ce séjour malheureux ouvre ta porte à celui qui est sans asile. Donne l’hospitalité, dans ce pays du malheur, à l’étranger, afin d’être admis toi-même sur la terre fortunée où tu ne pourras la recevoir.
Sur cette terre bénie, personne n’est sans vêtement, il n’y a ni froid ni chaleur excessifs ; à quoi bon des habitations et des vêtements. Au lieu d’habitation on y trouve la protection divine ; on y trouve l’abri dont il est dit : « Je me réfugierai à l’ombre de Vos ailes » (Ps. LVI, 2). Ici donc reçois dans ta demeure celui qui n’en a pas, et tu pourras parvenir au lieu fortuné où tu trouveras un abri qu’il ne te faudra point restaurer, attendu que la pluie ne saurait le détériorer. Là jaillit perpétuellement la fontaine de vérité, eau féconde qui répand la joie et non l’humidité, source de véritable vie. Que voir en effet dans ces mots : « En Vous est la fontaine de vie » (Ps. XXXV, 10) » ; sinon ceux-ci : « Le Verbe était en Dieu  » (Jean I, 14 ) ?
Ainsi donc, mes bien-aimés, faites le bien dans ce séjour du mal, afin de parvenir au séjour heureux dont nous parle en ces termes Celui qui nous le prépare : « Je veux que là où Je suis ils soient aussi avec Moi ». Il est monté pour nous le préparer, afin que le trouvant prêt nous y entrions sans crainte. C’est Lui qui l’a préparé ; demeurez donc en Lui. Le Christ serait-Il pour toi une demeure trop étroite ? Craindrais-tu encore Sa passion ? Mais Il est ressuscité d’entre les morts, et Il ne meurt plus, et la mort n’aura plus sur Lui d’empire (Rom. VI, 9).

§ 4. Ce monde est marqué par le mal et la division. Le Ciel sera le lieu de l’unité en Dieu.

   Ce siècle est à la fois le séjour et le temps du mal.
Faisons le bien dans ce séjour du mal, conduisons-nous bien dans ce temps du mal ; ce séjour et ce temps passeront pour faire place à l’éternelle habitation et aux jours éternels du bien, lesquels ne seront qu’un seul jour.
Pourquoi disons-nous ici des jours mauvais ? Parce que l’un passe pour être remplacé par un autre. Aujourd’hui passe pour être remplacé par demain, comme hier a passé pour être remplacé par aujourd’hui. Mais où rien ne passe on ne compte qu’un jour.
Ce jour est aussi et le Christ et son Père, avec cette distinction que le Père est un jour qui ne vient d’aucun jour, tandis que le Fils est un jour venu d’un jour.

§ 5. Le temps du Carême et de la Passion sont liés aux peines d’ici-bas. Le temps de la résurrection est l’annonce et le gage du bonheur du Ciel.

   Ainsi donc Jésus-Christ Notre-Seigneur, par Sa Passion, nous prêche les fatigues et les accablements de ce siècle ; Il nous prêche, par Sa Résurrection, la vie éternelle et bienheureuse du siècle futur.
Souffrons le présent, ayons confiance dans l’avenir.
Aussi le temps actuel que nous passons dans le jeûne et dans des observances propres à nous inspirer la contrition, est-il l’emblème des fatigues du siècle présent ; comme les jours qui se préparent sont l’emblème du siècle futur, où nous ne sommes pas encore.
Hélas ! oui, ils en sont l’emblème, car nous ne le tenons pas. La tristesse doit durer en effet jusqu’à la Passion ; après la Résurrection, les chants de louanges !

Le Christ en prière - détail

Le Christ en prière attribué à Niklaus Weckmann – détail.

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