2024-271. « Elle a été la seule à contenir Celui que le monde ne peut pas contenir ».
5 décembre,
Fête de Saint Pierre de Ravenne, dit Chrysologue, évêque, confesseur et docteur de l’Eglise ;
Mémoire de Saint Sabas, abbé et confesseur.
La fête de Saint Pierre de Ravenne nous incline à prêter quelque attention à ces fameux sermons qui lui ont valu le surnom de Chrysologue – parole d’or -, et dans ce temps de l’Avent, voici celui qui porte le n° CXLIII et porte sur le mystère de l’Annonciation à la Bienheureuse Vierge Marie et à l’Incarnation du Verbe.
Jean II Restout, dit le Jeune (1692-1768) : Annonciation
[Musée des Beaux Arts, Orléans].
Sermon de Saint Pierre Chrysologue
sur
l’Annonciation à la Bienheureuse Vierge Marie
Le sacrement de l’ineffable naissance du Seigneur, il convient de le croire plutôt que d’en débattre.
La vierge a enfanté. Comment un sermon humain pourrait-il raconter ce qui n’est pas au pouvoir de la nature, ce dont on a jamais eu l’expérience, ce que la raison ignore, ce que l’esprit ne comprend pas, ce qui épouvante le ciel, stupéfie la terre, met la créature dans tous ses états ?
Et pourtant, l’évangéliste dévoile la conception et l’enfantement de la Vierge avec des mots humains de tous les jours, le scellant ainsi du sceau divin. Et il agit ainsi pour que ce que l’homme a l’obligation de croire il ne présume pas de le discuter.
Qui peut pénétrer les mystères divins comme l’enfantement de la Vierge, les causes des êtres, l’ordre du cosmos, les échanges entre la Divinité et la chair ? Qui peu comprendre que l’homme et Dieu sont un seul et même Dieu ?
L’évangéliste parle ainsi : « L’ange Gabriel a été envoyé par Dieu dans une cité de Galilée dont le nom était Nazareth, à une femme accordée en mariage à un homme du nom de Joseph, et le nom de la Vierge était Marie » (cf. Luc I, 26-27).
Un ange a été envoyé par Dieu.
Là où c’est un ange qui est le médiateur, l’homme doit cesser de se faire une opinion par lui-même. Là où l’envoyé vient du ciel, toute interprétation purement humaine doit être rejetée. La curiosité humaine entre en torpeur là où l’ambassadeur est céleste.
L’ange a été envoyé par Dieu. Celui qui porte toute son attention sur le fait qu’il a été envoyé par Dieu s’interdit de scruter en profondeur le secret de la Déité. Ce que Dieu communique, par l’intermédiaire de Son ange, seul mérite de le savoir celui qui craint de le savoir.
Ecoute le Seigneur qui dit : « Sur qui poserai-Je Mes yeux si ce n’est sur l’humble, le doux, et sur celui qui tremble en entendant Ma parole ?» (cf. Is. LXVI, 2).
L’humble et le doux. Autant il est docile celui qui obéit aux ordres, autant il est indocile celui qui les conteste.
L’ange est envoyé à une vierge. Parce que la virginité est toujours connue des anges. Vivre dans la chair en marge de la chair, ce n’est pas une vie terrestre, mais céleste.
Et si vous voulez le savoir, acquérir la gloire angélique est une plus grande chose que la posséder. L’ange n’a que le bonheur de l’être, mais la virginité, c’est la vertu qui la faite. La virginité obtient par l’ascèse ce que l’ange possède par nature.
L’ange et la vierge remplissent donc une fonction divine, non humaine.
Après être entré, l’ange lui dit : « Salut, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes » (Luc I, 28).
« Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ».
Vous voyez les présents qui sont donnés en gage à la Vierge ? « Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ».
« Salut », ce qui veut dire : recevez ! Quoi ? Les vertus en don, mais non la pudeur.
« Salut, pleine de grâce » ! Voici la grâce qui a donné la gloire aux cieux, Dieu à la terre, la foi aux Gentils, un terme aux vices, une règle de vie, une discipline morale.
Cette grâce que l’ange a apportée, la Vierge l’a reçue pour rendre le salut aux siècles.
« Salut, pleine de grâce ». Parce qu’à chacun, la grâce est donnée par bribes ; mais à Marie, c’est toute la plénitude de la grâce qui s’est donnée à elle en entier.
« Tous, dit l’évangéliste, nous avons reçu de Sa plénitude » (Jean I, 16). David a dit lui aussi dans le même sens : « Elle descendit comme de la pluie dans une toison » (Ps. XVIII, 5). La laine, bien qu’elle appartienne au corps, ne connaît pas les passions du corps. Ainsi en va-t-il de la virginité : bien qu’elle soit dans la chair, elle ignore les vices de la chair. La pluie céleste se répand donc dans la toison virginale en y pénétrant goutte par goutte. Et comme des gouttes qui s’infiltrent dans la terre. Pour que les temps, qui sont dévolus à la foi, irriguent les semences avec des gouttes vivifiantes, au lieu de les tuer.
« Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ».
L’ange est envoyé par Dieu, et que dit-il ? « Le Seigneur est avec vous ».
Dieu était donc déjà avec la Vierge quand l’ange lui a été envoyé. Dieu a précédé Son messager, sans s’éloigner de Sa divinité.
Il ne peut pas être contenu par les lieux Celui qui est présent dans tous les lieux. Et Il est tout entier partout Celui sans Lequel rien n’est tout.
« Vous êtes bénie entre toutes les femmes ».
Elle est vraiment bénie la Vierge qui a rempli jusqu’au bout la dignité de la maternité, sans perdre la gloire de la virginité.
Oui, elle est vraiment bénie celle qui a mérité la grâce d’une conception céleste, tout en maintenant la couronne de l’intégrité.
Elle est vraiment bénie celle qui a reçu la gloire d’un divin fœtus, sans cesser d’être la reine de la chasteté dans toute sa plénitude.
Vraiment bénie celle qui a été plus grande que le ciel, plus forte que la terre, plus élevée que tout ce qu’il y a dans la création, car elle a été la seule à contenir Celui que le monde ne peut pas contenir. Elle a porté Celui qui porte l’univers. Elle a engendré son Géniteur. Elle a nourri Celui qui nourrit tous les vivants.
Mais jetons un coup d’œil à ce que dit l’évangéliste : Quand Marie vit l’ange, elle fut troublée par ses paroles.
La chair est troublée, les viscères sont secoués, l’esprit frémit, son cœur magnanime est frappé de stupeur.
Le temple du corps humain était troublé, et l’étroitesse du domicile charnel comprimait les organes, quand, dans le sein de la Vierge, s’est cachée toute la grandeur de Dieu.
Mais, si le cœur vous en dit, avant de pénétrer plus avant dans le mystère de la foi chrétienne, adressons-nous à ceux qui considèrent injurieux à la divinité l’enfantement virginal, le sacrement de la piété, la réparation du genre humain par le Sauveur.
Dieu est venu chez la Vierge, l’Artisan chez Son œuvre, le Créateur chez Sa créature.
Quand donc la restauration d’une œuvre ne rejaillit-elle pas sur l’honneur de l’artisan ? Quand donc l’honneur n’est-il pas réputé de la gloire, si le fabriquant répare ce qu’il a fabriqué ? Quand l’homme vieillit, ne retourne-t-il pas à son œuvre pour ne pas la perdre ? Si elle se détériore, ne la rajeunira-t-il pas ? Et si elle s’effondre, ne la reconstruira-t-il pas en mieux ?
L’enfantement d’une Vierge n’est donc pas une injure au Créateur, mais le salut de la créature. Si Dieu a fait l’homme, qui trouve mauvais qu’Il le refasse ? Et si l’on pense qu’il a été digne de Dieu de former l’homme avec du limon, pourquoi juge-t-on qu’il a été indigne de Lui de le réformer avec une chair ? Qu’est-ce qui est le plus précieux, le limon ou la chair ?
Donc, plus est précieuse la matière de notre réparation, plus grande est la gloire.
Mais quand donc le Créateur n’est-Il pas à l’intérieur de l’utérus humain ? Ecoute Job : « Vos mains m’ont fait, Vos mains m’ont façonné » (Job X, 8). Et David : « Vous m’avez formé et Vous avez posé sur moi Votre main » (Ps. CXXXVIII, 5). Et Dieu à Jérémie : « Avant que tu sois dans le sein de ta mère, Je t’ai connu, et dans l’utérus, Je t’ai sanctifié » (Jér. I, 5).
Si donc Dieu a fixé les linéaments de Job quand il était dans le sein de sa mère, s’Il a façonné les membres de David quand il était dans l’utérus de sa mère, s’Il a sanctifié Jérémie dans le ventre de sa mère, s’Il a rempli du Saint-Esprit Jean le Baptiste dans le sein de sa mère, pourquoi s’étonner s’Il a habité dans le sein d’une vierge, Lui qui a tiré la femme d’une côte de l’homme ?
Il est allé rechercher l’Homme dans le sein de la Vierge Celui qui avait formé la vierge du corps de l’homme.
Tu vois donc, ô homme, que ce qui te parait une nouveauté est pour Dieu une vieillerie.
Mais tu dis : quelle nécessité y avait-il à la naissance d’un Dieu qui peut faire tout ce qu’Il veut ? Laquelle ?
Pour refaire en naissant la nature qu’Il avait faite en la façonnant. Parce que celle qui avait été faite pour engendrer des vivants a engendré des mortels. Par le péché du premier homme, la nature a reçu un coup mortel, et ce qui était l’entame de la vie a commencé à être l’origine de la mort.
Voilà donc quel est cet échange admirable de la Nativité qui a forcé le Christ à naître, pour que la naissance du Créateur procure la guérison à la nature, et pour que la guérison de la nature soit la reviviscence des fils.
Jean II Restout, dit le Jeune : Annonciation (détail)
