5 septembre 1793
« In memoria aeterna erit justus »
A côté de l’événement joyeux de la naissance du Grand Roi que vient nous rappeler chaque 5 septembre, cette date marque aussi pour nous un autre anniversaire, tragique celui-là : l’anniversaire du martyre de Monsieur l’abbé Claude Allier, prieur curé de Chambonas, paroisse de l’ancien diocèse d’Uzès aux confins du Vivarais, qui fut guillotiné à Mende le 5 septembre 1793 (cf. > ici).
L’abbé Claude Allier fut le principal instigateur et l’âme des événements de 1790, 1791 et 1792 restés dans l’histoire sous le nom de « Camps de Jalès ».
Je retranscris ci-dessous quelques passages de l’excellent ouvrage d’Albert Boudon-Lashermes intitulé « Les Chouans du Velay » (Cl. Ranchon, éditeur – Yssingeaux 1911) car la chouannerie vellave est en liens étroits avec ce qui s’est passé à Jalès.
Village de Chambonas aux confins de l’Uzège et du Vivarais :
à l’ombre du château, l’église romane dont l’abbé Claude Allier était le prieur.
Au chapitre VII, intitulé : le Camp de Jalès.
Le paysan des Cévennes n’avait pour l’Ancien Régime aucune antipathie. Homme de tradition, il voyait à regret le pays troublé par des innovations bruyantes et peu en harmonie avec ses idées catholiques, il déplorait l’attitude antireligieuse du nouveau gouvernement. Fermement attaché au Roi, il réprouvait hautement la conduite des chefs révolutionnaires de Paris.
Un homme ardent et dévoué, Claude Allier, prieur de Chambonas en Vivarais, conçut le projet hardi de grouper toutes les bonnes volontés pour profiter de l’état d’âme des montagnards de la région et tenter un mouvement royaliste.
La Lozère, le Vivarais, le Gard, le Gévaudan et le Velay lui paraissaient disposés à prendre les armes pour secouer le joug tyrannique des nouveaux potentats. Il s’assura le concours de chefs vaillants et déterminés, se créa des intelligences dans toute la région restée fidèle aux traditions politiques et religieuses du pays, et parvint en assez peu de temps à créer une organisation puissante dont il pensa tirer parti pour la lutte qu’il voulait entreprendre.
Né dans la ville d’Orange, Claude Allier appartenait à une famille originaire de la région de Langogne, sur les confins de la Haute-Loire, de l’Ardèche et de la Lozère (…). Claude avait quatre frères : François (…), André (…), Dominique et Charles qui aidèrent Claude dans ses projets contre-révolutionnaires.
Claude Allier avait représenté à l’assemblée nationale le diocèse d’Uzès : il était âgé de quarante-trois ans. Entreprenant et tenace, il organisa avec une merveilleuse rapidité le mouvement royaliste qu’il avait entrepris.
Il sut s’entourer d’amis dévoués et actifs, faire comprendre aux paysans Cévenols que, seuls et isolés, ils étaient impuissants contre la révolution triomphante, mais qu’en se groupant et se prêtant un mutuel appui ils pouvaient devenir une force avec laquelle les puissants du jour auraient à compter.
Le Vivarais, la Lozère, adhérèrent des premiers à cette entreprise qui arrivait à point dans un pays résolu à défendre jusqu’au bout sa liberté et son indépendance.
A leur exemple, le Velay présentait déjà, à cette époque, de graves indices de mécontentement (…).
Ce fut sur ces entrefaites qu’éclata le mouvement du « Camp de Jalès ».
Chambonas – en haut à gauche – dont l’abbé Claude Allier était prieur,
l’ancienne Commanderie de Jalès – en bas sur la droite – , et leurs environs qui seront cités ci-dessous.
(cliquer sur l’image pour la voir en grand format)
Claude Allier avait choisi comme point de concentration de ses troupes contre-révolutionnaires les châteaux de Jalès et de Bannes, perdus au milieu des Cévennes, au fond du département de l’Ardèche.
Lorsqu’il jugea le mouvement assez avancé et l’instant opportun, il fit convoquer dans la plaine de Jalès, en août 1790, toutes les gardes nationales de la région « sous prétexte de leur faire renouveler le serment civique du 14 juillet ».
Gentilshommes, prêtres et moines, bourgeois et paysans accoururent du Gard, de la Lozère, du Vivarais, du Gévaudan et du Velay.
Vingt mille hommes répondirent à l’appel du prieur de Chambonas, et, devant un autel dressé en plein air, prêtèrent serment de « défendre la nation, la loi et le Roi ». Ils ne se séparèrent « qu’après avoir bruyamment manifesté leurs sentiments royalistes et catholiques ».
Cette première réunion avait permis aux chefs de compter leurs hommes. Elle produisit une grande impression dans le pays et décida le prieur et ses amis à tenter l’aventure.
Claude Allier fut aidé dans son entreprise par son frère, Dominique, homme intrépide et tenace dont l’endurance faisait l’admiration de ses compagnons de lutte ; par Mgr de Castellane, évêque de Mende ; M. de Malbosc ; M. de Chabannes ; le chevalier de Gratz ; le procureur-syndic de la Lozère, Rivière ; l’abbé de la Bastide de la Molette et son frère le chevalier ; l’abbé de Siran ; M. de Retz ; le chevalier de Borel ; le maire de Mende, Jourdan-Combettes ; enfin, le notaire Charrier, ancien député, que Mgr de Castellane avait fait venir dans sa forteresse de Chanac pour commander la petite troupe qu’il avait formée.
L’évêque de Mende, en effet, avait organisé dans son château une petite armée de paysans qu’il entretenait à ses frais et à qui des hommes dévoués enseignaient le maniement des armes.
Une seconde fois, en février 1791, Claude Allier convoqua ses troupes dans la plaine de Jalès. Il ne s’agissait plus, alors, d’une manifestation platonique. Une organisation puissante avait été entreprise. Le « Camp de Jalès » devenait officiellement le centre de la résistance qu’allaient opposer à la révolution tous les braves gens du pays.
Les chefs du mouvement annonçaient hautement qu’ils voulaient « une insurrection générale, une marche rapide sur Paris, la dispersion de l’assemblée nationale et le rétablissement de l’Ancien Régime ».
Cependant, à cette armée il manquait un chef, un chef militaire, investi officiellement par les Princes du haut commandement. Il fut décidé que l’on attendrait pour commencer la lutte d’avoir obtenu la nomination d’un général. Les troupes quittèrent donc le « camp » et retournèrent dans leurs villages avec l’espoir d’en sortir bientôt pour ouvrir les hostilités.
Ancienne commanderie templière de Jalès : le porche (état actuel)
L’assemblée nationale en apprenant ce qui se passait dans les montagnes des Cévennes, ordonna l’arrestation de tous les chefs royalistes de la région et décréta d’accusation le prieur de Chambonas, le chevalier de Gratz, M.de Chabannes, M. de Malbosc, Rivière, et les deux de la Bastide, le chevalier et l’abbé.
Ce dernier, Clément de la Bastide de la Molette, chanoine d’Uzès, avait été autrefois officier et s’était vaillamment mis à la disposition de Mgr de Castellane et du prieur de Chambonas (…).
L’abbé de la Bastide, son frère, le procureur Rivière, les trois Allier, réussirent à se cacher. M. de Malbosc fut pris, enfermé dans la citadelle du Pont-Saint-Esprit, et massacré impitoyablement.
Le prieur de Chambonas n’abandonna pas pour cela la lutte entreprise. D’autres chefs n’étaient pas encore dénoncés : l’abbé de Siran, de Retz, Charrier…
Il leur laissa le soin de maintenir l’union des troupes royalistes, et partit au commencement de janvier 1792 pour Coblentz où se trouvait la Cour. Reçu avec joie par les Princes, il leur exposa « avoir recruté à Nîmes, à Montpellier, à Arles, à Mende, au Puy, dans le Comtat et dans le Vivarais, 60.000 hommes » affiliés à la confédération de Jalès et prêts à se lever à l’appel des chefs royalistes.
Il dépeignit aux Princes l’état d’esprit des montagnards Cévenols, leur fit un tableau de la situation inaccessible des montagnes du Vivarais, du Velay et du Gévaudan, des dépôts d’armes, des magasins qui y existaient, et les pria de désigner un chef »qui vint en leur nom se mettre à la tête des défenseurs de la Monarchie ».
Sur leur demande, il exposa le plan des conjurés : investir Nîmes, au midi, le Puy, au nord. « Maître de ces deux points, il tiendrait le midi » et marcherait sur Lyon où des troupes amies n’attendaient qu’un signal pour opérer leur jonction avec les Cévenols.
Claude Allier insista sur ce point « que le Velay était tout dévoué au Roi et que l’on trouverait à Yssingeaux et au Puy, – avec des ressources précieuses, armes, munitions et vivres, – des amis vaillants et fidèles qui lutteraient jusqu’à la mort ».
Les maires et les municipalités d’une grande partie de la Lozère, le commandant de la gendarmerie, le procureur-général syndic étaient dans le complot. Le succès était assuré.
Les Princes ne purent que féliciter le prieur de son dévouement et approuver son projet. Ils lui promirent des secours pécuniaires et un général.
Claude Allier revint à Jalès, réunit tous les chefs de l’entreprise, leur fit le récit de son voyage et du succès de sa mission. Une adresse aux Princes fut aussitôt rédigée et revêtue de la signature des 57 chefs royalistes fédérés.
Il s’agissait maintenant de faire parvenir ce document à Coblentz. Dominique Allier offrit de s’en charger.
L’entreprise était périlleuse (…). Dominique avait l’âme vaillante ; il se déguisa en berger, acheta un troupeau, et, lentement, en menant devant lui ses moutons, il franchit à pied montagnes et vallées, plaines et collines.
Il arriva de la sorte à Chambéry, et, laissant ses moutons, traversa la Suisse allemande et le grand duché de Bade.
Les Princes ne furent pas peu surpris lorsqu’ils virent arriver le soi-disant berger et apprirent de quelle manière il était venu jusqu’à eux. Ils annoncèrent officiellement leur intention d’envoyer des chefs en Vivarais et de désigner dans la suite un Prince du Sang pour prendre le commandement en chef des troupes cévenoles.
Lorsque la chose fut connue à Coblentz tout le monde voulut être de l’expédition. Les Chevaliers de Malte promirent de concourir au soulèvement et de débarquer dans le Midi avec leurs frégates. Tous les émigrés sollicitèrent l’honneur d’aller au camp de Jalès ; les Princes n’eurent plus que l’embarras du choix.
Le 4 mars, le comte Thomas de Conway, maréchal de camp irlandais au service de la France et ancien gouverneur des établissements français aux Indes, fut nommé commandant en chef des armées royalistes du Midi, depuis Arles jusqu’à Jalès.
Les Princes lui ouvrirent un crédit de 300.000 livres et lui adjoignirent, pour commander plus spécialement le camp de Jalès et la région des Cévennes, le comte de Saillans (…), ancien lieutenant-colonel aux Chasseurs du Roussillon, émigré après l’échec du complot de Perpignan dont il avait été l’âme.
François-Louis, comte de Saillans (1741-1792)
au chapitre VIII, intitulé : Conspiration de Saillans.
Le comte de Saillans partit de Coblentz le 8 mars avec Dominique Allier, le vicomte de Blou, Isidore de Mélon, de Sainte-Croix, de Portalis, de Montfort, de Roux, de Saint-Victor (…).
Cependant la joie des royalistes des Cévennes ne pouvait plus se contenir. Des indiscrétions avaient été commises dès le départ de Dominique pour Coblentz (…).
Au début de mars, un homme qui appartenait par toutes ses traditions de famille à l’aristocratie yssingelaise, mais qui par ambition s’était jeté dans le jacobinisme, informa la Législative que 20.000 paysans s’étaient armés en Lozère pour la contre-révolution. Il dénonça à la barre de l’assemblée Mgr de Castellane, évêque de Mende, le maire de cette ville, le commandant militaire, comme coupables d’avoir organisé un complot royaliste de concert avec les organisateurs du camp de Jalès. Il demanda, mais ne put obtenir, leur mise en accusation et le transfert à Marvejols du tribunal criminel et du directoire du département.
Le 20 mars, le même député demandait à l’assemblée la démolition des châteaux de Jalès et de Bannes dans lesquels étaient « approvisionnées les munitions de guerre des contre-révolutionnaires ».
Le 28 du même mois il obtenait enfin de la Législative la mise en accusation de Mgr de Castellane (*), de l’ancien député Charrier, du chevalier de Borel, de Jourdan-Combettes, maire de Mende, et M. de Retz (…).
Lorsqu’on comprit enfin, à Paris, qu’il existait dans le Vivarais, le Gévaudan et le Velay une organisation royaliste sérieuse, que des troubles sanglants éclataient de tous côtés, que les châteaux de Bannes et de Jalès étaient devenus de véritables camps retranchés, qu’un soulèvement général allait se produire, on en fut vivement ému.
Tous les chefs dont on pu connaître les noms furent décrétés d’accusation ; des expéditions, des détachements de troupes régulières, volontaires et gardes nationaux, furent lancés à leur poursuite, mais presque tous restèrent introuvables.
Aussi lorsque le prieur de Chambonas les convoqua pour le 19 mai à la Bastide pour leur présenter le comte de Saillans, bien peu manquèrent à l’appel.
Cette assemblée d’hommes dont la tête était mise à prix ne manquait pas de grandeur. Ils s’y rendirent, escortés par les paysans qui les cachaient dans le pays. Des gardes nationaux en tenue montèrent la garde autour de la Bastide. Saillans se présenta « revêtu de son uniforme bleu à boutons fleurdelysés, la cocarde blanche au chapeau ».
Acclamé par cette élite de royalistes cévenols, l’envoyé des Princes commença alors à courir les montagnes avec le prieur dont il avait partagé jusque là la retraite. Il visita tous les paysans fidèles, depuis le fond de la Lozère jusqu’aux rives du Rhône, voyageant la nuit, se cachant pendant le jour, changeant de costume presque journellement.
Dominique Allier le précédait, explorait le pays, dépistait les républicains et réunissait les montagnards. « Reçu partout comme un libérateur, Saillans charma tout le monde par sa bonne grâce ».
Mais le temps pressait. Le Directoire venait de s’emparer du château de Bannes. Il ignorait encore, il est vrai, que le comte était arrivé dans les Cévennes, mais il pouvait l’apprendre d’un jour à l’autre. Il ne fallait plus tarder.
Le 23 juin, à minuit, une grande réunion eut lieu, mystérieusement dans la forêt de Malons, près de Saint-Ambroix. Saillans y rendit compte de sa tournée, y fit part de ses espérances. Le chevalier de Mélon y prononça un discours vibrant de foi royaliste (…) ; les royalistes étaient groupés autour du prieur, haletants d’espoir (…).
Banne : le château tel qu’on pouvait le voir avant les événements de juillet 1792.
au chapitre X : Saillans projette de s’emparer du Puy.
Ainsi que Claude Allier l’avait affirmé aux Princes à Coblentz, la ville du Puy comptait de nombreux partisans de la Monarchie. Ils étaient, il est vrai, un peu réduits au silence par la présence des troupes régulières qui tenaient garnison dans la cité, ainsi que par le grand nombre d’étrangers qui l’avaient envahie, depuis l’origine de la révolution, aventuriers sortis d’un peu partout pour venir profiter du bouleversement de l’ordre social, se glisser dans les postes avantageux, piller, voler de tous côtés (…).
Le comte de Saillans n’eut pas de peine à se ménager des intelligences dans la ville du Puy. Dès que l’on se fut rendu compte que l’on pouvait y compter sur des amis fidèles et dévoués, on songea à organiser un plan pour s’emparer de la capitale du Velay.
« Les deux tiers de ses habitants sont dévoués à la bonne cause », lit-on dans un document saisi par les révolutionnaires et écrit de la main du prieur de Chambonas. Claude Allier indiquait en outre dans son plan d’attaque que, « le Puy étant la plus grande ville et comme la capitale de toutes montagnes », la prise de cette cité par les royalistes produirait dans le pays une très grande impression et déciderait beaucoup de timides et d’hésitants à prendre les armes pour le Roi.
On s’occupa tout d’abord de désigner un chef aux royalistes dans chaque canton de l’ancien Velay. Théofrède Roudil de Chabannes fut placé à la tête de cette organisation (…).
Gravure ancienne représentant la ville du Puy :
en sus de la position stratégique, pour tous les royalistes, le Puy est une ville sainte
dont l’antique pèlerinage, fréquenté par plusieurs Rois, donne à leur combat une dimension « mystique ».
au chapitre XI : échec du complot de Saillans.
Le signal si longtemps attendu fut enfin donné, et l’armée royaliste fut officiellement convoquée pour marcher sur le Puy.
La réunion des troupes devait avoir lieu dans la nuit du 8 au 9 juillet. Le Velay devait rejoindre l’armée de Jalès sur le parcours de la route, et, dans la ville, tout se préparait en secret pour l’entrée des cocardes blanches.
L’enthousiasme était à son comble. Les royalistes, armés de pied en cap, causaient ouvertement en Vivarais de l’expédition du Puy ; on se réjouissait publiquement de l’approche de la délivrance ; on affichait devant la porte des églises des proclamations monarchistes ; on obligeait même les curés constitutionnels à en donner lecture en chaire.
Cette audace des contre-révolutionnaires, publiant de tous côtés leurs projets et se vantant déjà de la prise du Puy comme si elle était un fait accompli, produisait un effet considérable et plongeait dans l’épouvante les jacobins du pays.
La proclamation du comte de Saillans aux troupes royalistes, affichée dans tous les hameaux, faisait de son côté une grande impression. Rédigée dans un style abandonné depuis plusieurs années, elle avait « un parfum d’Ancien Régime » qui réveillait les plus endormis et annonçait la fin d’un mauvais rêve.
Ce document était signé : « Comte de Saillans, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, commandant en second au nom de Monsieur et Monseigneur, comte d’Artois, dans le Bas-Languedoc, Vivarais, Velay et Gévaudan ».
Il commençait en ces termes :
« Peuple fidèle à votre Dieu, à votre Roi, levez la tête !
Assez et trop longtemps elle a été courbée sous le joug des plus vils tyrans ; assez et trop longtemps, vous avez été le jouet de la faction la plus impie et la plus barbare.
La Patrie déchirée, la Monarchie renversée, la Religion horriblement persécutée, le Trône avili, le Roi captif et dégradé, tous les gens de bien opprimés demandaient au Ciel et à la terre, depuis trois ans, les vengeurs de ces affreux attentats, de ces épouvantables désordres.
Seuls, vous tentâtes deux fois de réussir dans cette grande et glorieuse entreprise, mais vous ne pûtes pas avoir le succès désiré, par ce que vous n’aviez pas de chefs, parce qu’en un mot le moment n’était pas venu.
Le voici ; réjouissez-vous. Que les méchants tremblent : le jour de la vengeance est arrivé ; la foudre est prête, elle va éclater sur leurs têtes criminelles et les écraser…
Nous venons vers vous, peuple généreux et fidèle au meilleur comme au plus généreux des Rois… »
Signature de Monsieur de Saillans (il n’était alors que chevalier) telle qu’elle figure sur les registres paroissiaux de Largentière à la date du 23 février 1767.
L’annonce pompeuse et bruyante du soulèvement général, arrivant après plusieurs années de persécution et contrainte, causait une sorte de délire. On vit des curés réfractaires se mettre hardiment à la tête de leurs paroissiens et refuser « d’entendre en confession ceux qui ne voulaient pas partir ». Les percepteurs furent sommés « au nom du Roi » de verser entre les mains de l’administration militaire le contenu de leur caisse ; la cocarde blanche fut arborée partout et les sans-culottes durent eux-mêmes faire disparaître leur cocarde tricolore sous peine de la voir arracher de leur chapeau et fouler aux pieds au cri de « Vive le Roi ! » (…).
Le complot allait réussir au-delà de toutes les espérances, lorsque, dans la journée du 1er juillet, un détachement de gendarmerie arrêta un porteur de dépêches et s’empara de ses papiers. Grande fut la surprise des gendarmes en lisant le contenu. Les autorités du département furent immédiatement averties ; la nouvelle se répandit en un instant. Les directoires des départements voisins, affolés, écrivirent dans toutes les directions pour demander du secours (…).
De son côté, l’armée royaliste ne perdit pas de temps. Le 2 juillet, Guilhaume de Mélon se mit en route, à la tête d’une première troupe, et vint assiéger le fort de Bois-Bertrand où se trouvait une garnison républicaine.
Sommé « au nom du Roi » d’avoir à évacuer la place, le capitaine refusa. Les royalistes firent alors le siège de Bois-Bertrand, tandis que le comte de Saillans formait une seconde colonne qu’il conduisait sur Beaulieu.
Le 3 juillet, Saillans réquisitionnait la garde nationale de Beaulieu, marchait sur Berrias dont il s’emparait, et y installait une garnison royaliste.
Le vicomte de Blou prenait le commandement d’une troisième colonne formée de plusieurs communes du Vivarais ; l’abbé de la Bastide se mettait à la tête d’une quatrième troupe.
Le 4, l’armée royaliste, partout triomphante, se réunissait à l’église de Bannes pour une Messe solennelle d’action de grâces. La cérémonie fut des plus imposantes ; on y bénit un drapeau blanc « tandis que, debout près de l’autel, le comte de Saillans, en grand uniforme, entonnait une hymne que l’assistance chanta avec lui ».
Banne : les ruines du château incendié en juillet 1792 (état actuel)
Cependant les administrations départementales avaient maintenant des détails précis sur l’insurrection. L’affolement, dans la Haute-Loire comme dans l’Ardèche, n’avait plus de bornes. La lecture de la fameuse proclamation rédigée en style ci-devant aristocratique plongeait les administrateurs dans la stupeur la plus profonde. Il leur semblait inouï qu’un homme osât encore écrire et signer un pareil document ; il leur paraissait inconcevable que toute une population pût se lever à la suite de cet homme pour crier avec lui : « Vive le Roi ! » (…).
Les demandes de secours, les dépêches alarmantes se succédèrent avec précipitation ; et bientôt les renforts arrivèrent de tous côtés.
Le général Châteauneuf-Randon dirigea une troupe sur Privas ; le général d’Albignac en conduisit une autre vers Joyeuse. L’armée qui défendait la frontière dauphinoise contre le Roi de Sardaigne envoya au Puy un détachement de dragons « pour aider à la défense de cette ville qui était si attaquée ».
Le directoire de l’Ardèche s’établit en permanence à Saint-Ambroix et arrêta au passage le citoyen-général d’Albignac pour se mettre sous la protection de sa troupe.
Le 8 juillet, le comte de Saillans et le chevalier de Mélon s’emparaient du château de Bannes après un siège de quatre jours, mais une armée arrivait du Gard, des gardes nationales, des grenadiers, des volontaires accouraient de partout, et bientôt, écrasés sous le nombre, les royalistes étaient à leur tout repoussés malgré les efforts héroïques de Dominique Allier et de Guilhaume de Mélon qui restèrent les derniers sur le champ de bataille.
Après une défense désespéré, Jalès fut pris et livré aux flammes ; Saint-André de Cruzières fut brûlé ; le feu détruisit en partie Bannes et Berrias.
Gravure révolutionnaire représentant la prise et l’incendie de la Commanderie de Jalès :
on remarque qu’on a fait figurer sur cette représentation deux prêtres s’enfuyant (sur la droite)
Saillans, fait prisonnier avec deux prêtres et quelques compagnons, fut conduit à la mairie des Vans où tous furent massacrés. Ce fut Jean-Louis Tourette, natif de Thueyts, et l’un des plus féroces révolutionnaires du Puy, qui trancha d’un coup de sabre la tête du comte de Saillans qu’il brandit ensuite comme un trophée au milieu des hurlements de joie de toute l’assistance.
Eglise de Largentière (07110) : juché sur l’un des chapiteaux du fond de la nef, ce crâne est traditionnellement présenté comme celui de Monsieur le comte de Saillans (pas de certitude absolue).
Après son massacre aux Vans, la tête du comte fut en effet promenée dans tous les villages du bas Vivarais afin d’inspirer la terreur aux populations ; on sait qu’elle fut ensuite gardée par un révolutionnaire de Largentière comme un trophée, et finalement enterrée dans un jardin proche de sa maison ; lorsqu’au XIXe siècle, à l’occasion de travaux, on retrouva un crâne dans ce jardin, on l’attribua à Monsieur de Saillans et il fut placé sur ce chapiteau où il se trouve toujours…
au chapitre XV : mort du prieur de Chambonas.
(…) Après l’échec du comte de Saillans, le prieur de Chambonas, Claude Allier, s’était réfugié dans le canton de Saugues. Là, il organisait un nouveau soulèvement et préparait la formation d’un camp royaliste à Séneujols, dans les montagnes du Velay, lorsqu’il fut surpris dans une chaumière de Montrazon, paroisse de Thoras, le 18 août 1793, et guillotiné quinze jours plus tard, le 5 septembre.
Ainsi que nous le disions en introduction de ces citations de l’ouvrage de Monsieur Boudon-Lashermes, c’est à Mende que l’abbé Claude Allier fut emmené prisonnier, comparut devant le tribunal révolutionnaire et fut guillotiné, le 5 septembre 1793.
Nous ne connaissons pas le lieu de sa sépulture et nous ne possédons pas non plus de portrait de lui.
Il demeure à jamais lié à l’histoire des « Camps de Jalès » dont il fut à l’origine et qu’il anima d’un souffle de véritable croisade, pour Dieu et pour le Roi.
Que sa mémoire soit à jamais en bénédiction !
Ancienne commanderie templière de Jalès : la cour d’honneur et son puits (état actuel).
(*) Jean-Arnaud de Castellane, né le 11 décembre 1733 au Pont-Saint-Esprit, fut vicaire général de l’archevêque de Reims et aumônier du Roi. Promu à l’évêché de Mende le 1er novembre 1767 et sacré dans la chapelle royale le 25 janvier 1768, il fut le dernier comte-évêque du Gévaudan. Après l’échec de la conspiration de Saillans, il trouva d’abord refuge dans le Velay, puis à Lyon. Arrêté, il est massacré à Versailles le 9 septembre 1792 et repose au cimetière Saint-Louis de Versailles.