Archive pour la catégorie 'Memento'

2015-35. « Ne derelinquas nos orphanos : ne nous laissez pas orphelins… »

Samedi des Quatre-Temps de printemps, 28 février 2015.
Dans l’Ordre de Saint Augustin, fête de la Translation des reliques de notre Bienheureux Père.

Armoiries de Benoît XVI

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

Je n’ai pas pour dessein de vous parler aujourd’hui des commémoraisons historiques et célébrations liturgiques qui reviennent chaque année à cette date du 28 février, comme par exemple l’anniversaire de l’épouvantable massacre des Lucs-sur-Boulogne perpétré en 1794 par les colonnes infernales, ou bien la fête de la translation des reliques de notre Bienheureux Père Saint Augustin : je vous en avais un peu parlé, l’an dernier à cette même date, et je vous y renvoie donc (cf. > réflexions félines et citations – février 2014).

En revanche, je tiens à revenir sur le deuxième anniversaire de l’abdication de notre Saint-Père le Pape Benoît XVI, le 28 février 2013.

Oh, ce triste, ce très triste, cet infiniment triste 28 février 2013 !…

Après le dernier salut à Castel Gandolfo le soir du 28 février 2013

Castel-Gandolfo au soir du 28 février 2013, après avoir adressé un dernier salut aux fidèles…

Notre amie Béatrice, qui anime avec un zèle et une intelligence peu communs – et très courageux – le très remarquable site « Benoit et moi », grâce auquel on peut avoir accès à beaucoup de choses que l’on ne trouve pas ailleurs (et pour cause !), a mis en ligne ce matin une belle page d’hommage à notre très cher et très grand Pape Benoît XVI à laquelle je vous renvoie (ici > 28 février 2013) : vous pourrez de la sorte revoir quelques mini-vidéos et très belles photos de cette déchirante journée…

Déchirante journée !
Oh, non ! ce n’est pas par hasard, par simple effet de style ou par exagération que j’emploie ces mots.

Le 28 février 2013, nous étions un peu « sonnés », nous ne réalisions pas encore très bien ce qui se passait… et, surtout, nous avions fortement chevillée au coeur l’espérance de voir succéder à l’humble Benoît XVI, un pape dans la continuité des presque neuf années lumineuses de son Pontificat.

Las !
Deux ans plus tard, ce départ, sur lequel plus que jamais toutes les interrogations sont permises, nous est encore plus douloureux qu’alors.
Le vide et l’absence creusés par le retrait de Benoît XVI se sont changés – en dépit de la foi et de l’espérance que nous ne voulons pas lâcher – en une angoisse quotidienne pour l’Eglise et pour son devenir, en une inquiétude de tous les jours pour l’avenir même du christianisme et, par contrecoup, pour l’avenir de notre civilisation !

Je ne veux pas trop m’étendre sur certaines choses aujourd’hui.
Sans doute les événements à venir, événements que nous pressentons, événements dont nous entrevoyons les alarmants prémices, me fourniront-ils l’occasion de le faire… hélas !

Tout ce que je veux dire aujourd’hui, tout ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que nous avions en Sa Sainteté le Pape Benoît XVI un homme d’une intelligence et d’une lucidité supérieures, nourries aux sources vivifiantes des Pères de l’Eglise et de la Tradition catholique…
Nous avions en Sa Sainteté le Pape Benoît XVI un pape d’une rare intégrité morale et spirituelle, alliée à une douceur et une humilité véritablement évangéliques
Nous avions en Sa Sainteté le Pape Benoît XVI un authentique Souverain Pontife, c’est-à-dire un véritable grand prêtre, qui apportait un soin et une attention remarquables au culte divin, la plus grande chose que l’on puisse accomplir ici-bas…
Nous avions en Sa Sainteté le Pape Benoît XVI un docteur de la foi pour nos esprits, un modèle de piété fervente et discrète pour nos âmes, un véritable père pour nos coeurs…
Nous avions en Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, un savant délicat et raffiné, homme de vraie culture, qui agissait sans se soucier de plaire au monde mais conduit par une vision sagace des vérités éternelles…

Tout cela, nous ne l’avons plus !
Tout cela, nous l’avons perdu en le perdant !
Le coeur navré, je ne peux m’empêcher de penser à la citation – terrible citation – de Clive Staples Lewis : « Il viendra un temps où au lieu d’avoir des bergers nourrissant les brebis, l’Église aura des clowns qui amuseront les chèvres »(*)

En regardant ce matin, grâce au site « Benoit et moi », les photographies et les mini-vidéos de ce déchirant 28 février 2013, j’ai vu mon papa-moine qui ne pouvait retenir de gros sanglots et ses larmes couler en abondance…
Me sont alors revenues à l’esprit ces paroles de notre belle liturgie latine au moment de l’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Ne derelinquas nos orphanos : ne nous laissez pas orphelins… »

Lully.

Fermeture de la porte du palais apostolique

Fermeture de la porte du palais apostolique de Castel-Gandolfo, le soir du 28 février 2013…

(*) voir aussi > Et maintenant, en quoi notre effroi se changera-t-il ?

2015-34. De la proclamation publiée par Stofflet le 26 janvier 1796.

25 février,
Fête de la Bienheureuse Isabelle de France,
Anniversaire de l’exécution de Jean-Nicolas Stofflet (cf. > ici).

Stofflet vitrail de l'église ND de Beaupréau

Jean-Nicolas Stofflet
représenté sur un vitrail de l’église Notre-Dame, à Beaupreau.

Lys

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Chaque 25 février, au Mesnil-Marie, nous sommes fidèles à honorer la pieuse mémoire de Jean-Nicolas Stofflet, l’un des héros de la grande guerre de Vendée, l’un de nos héros et de nos modèles.

   Lorsque j’ai résumé la vie de ce valeureux chef de la Grande Armée Catholique et Royale, je n’avais donné que des extraits de sa proclamation du 26 janvier 1796 par laquelle il annonçait la reprise des combats, à la demande du comte d’Artois (cf. > ici).

   Il me semble utile aujourd’hui, en ce jour anniversaire de son exécution, d’en donner le texte intégral.
Je le fais d’ailleurs moins à titre de pièce historique qui appartiendrait à un passé définitivement révolu, que pour entretenir, raviver et encourager à mettre en oeuvre l’esprit qui anime cette proclamation.

   En effet, la république – en 2015 – ne continue-t-elle pas à conspirer la ruine de notre France, à nous enchaîner sous des lois barbares, à vouloir nous associer à ses crimes et à arracher de nos mains le fruit de nos travaux ?
Les termes qu’utilisait Stofflet, il y a deux-cent-dix-neuf ans, s’appliquent parfaitement à ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux.

   Dieu, le Roi légitime, les voix de nos consciences et de l’honneur nous appellent toujours à nous ressaisir et à montrer toute l’énergie dont nous sommes capables pour combattre sous les couleurs qu’arborait Henri IV et qu’ont défendues avec tant d’héroïsme nos véritables grands ancêtres, qui ne sont pas ceux pour lesquels la république organise des simulacres maçonniques de canonisation, lorsqu’elle les transfère au « cendrier national », basilique de Sainte Geneviève spoliée et profanée…

Lully.                                    

Lys

Proclamation de Stofflet

Braves Amis,

   Le moment est venu de vous montrer. Dieu, le roi, le cri de la conscience, celui de l’honneur, et la voix de vos chefs vous appellent au combat.
Plus de paix ni de trêve avec la république. Elle a conspiré la ruine entière du pays que vous habitez. Vous enchaîner sous ses lois barbares, vous associer à ses crimes, arracher de vos mains le fruit de vos travaux, vos dernières ressources ; tels sont ses projets. Vous abandonner pour quelques jours pour écraser, par la masse entière de ses forces, vos compagnons d’armes, et revenir ensuite subjuguer, vexer, affamer, désarmer vos contrées, tel est son but.

   Mais le souffrirez-vous ? Non. Les braves soldats que pendant deux années j’ai conduits au combat, ne deviendront jamais républicains. Jamais le déshonneur ne flétrira les lauriers qu’ils ont moissonnés.

   Ressaisissez donc avec l’énergie dont vous êtes capables, ces armes terribles que vous ne déposâtes qu’en frémissant : volez au combat, je vous y précéderai ; vous m’y distinguerez aux couleurs qui décoroient Henri IV à Yvri. Puissent-elles être pour nous, comme pour lui, le signal de la victoire ! Vive le Roi Louis XVIII !

Signature de Stofflet

Pour la biographie de Stofflet voir > ici
Et le procès-verbal de sa comparution > ici

Lys

2015-26. Deux-cent-cinquantième anniversaire de l’approbation par le Saint-Siège du culte liturgique du Sacré-Coeur de Jésus.

1765 – 6 février – 2015

Sacré-Coeur - Pompeo Batoni - Gesù, Roma

Rome, église du Gesù : célèbre tableau du Sacré-Coeur de Jésus,
oeuvre de Pompeo Girolamo Batoni (1709-1787)

Vendredi 6 février 2015,
Premier vendredi du mois dédié à la réparation envers le divin Coeur de Jésus ;
Fête de Saint Vaast, catéchiste du Roi Clovis puis évêque d’Arras ;
Fête de Saint Tite, disciple de Saint Paul puis évêque en Crête.

* * * * *

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       La Providence a voulu qu’en cette année 2015 le 6 février coïncidât avec le premier vendredi du mois, jour spécialement dédié à la dévotion réparatrice en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus : ce 6 février, en effet, marque précisément le deux-cent-cinquantième anniversaire de l’approbation romaine du culte liturgique du Sacré-Cœur de Jésus.

   J’aurais l’occasion, au cours des prochains mois, de revenir sur cet évènement – et spécialement sur l’adoption de la fête du Sacré-Cœur par le Royaume de France, à la suite de cette approbation romaine – , mais je veux commencer aujourd’hui par résumer ici brièvement les faits :

   A – Sainte Marguerite-Marie (1647-1690), religieuse de la Visitation de Paray-le-Monial, avait reçu des révélations spéciales de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui lui dévoilait les mystères de Son divin Cœur, la chargeait d’en diffuser la dévotion en insistant sur son caractère réparateur, et lui demandait d’œuvrer pour que l’Eglise instituât une fête liturgique particulière où jour qu’Il lui désignait pour cela (*).

   B – Sainte Marguerite-Marie mourut sans autre consolation que d’avoir vu la dévotion au Cœur adorable de Notre-Seigneur commencer à s’implanter dans son propre monastère, et dans plusieurs autres monastères de l’Ordre. Elle avait pu dévoiler et expliciter les desseins divins à plusieurs supérieures visitandines et à des religieux de la Compagnie de Jésus qui, conquis, s’efforcèrent eux-aussi, de faire connaître et aboutir les demandes du Sacré-Cœur.

   C - C’est ainsi, en particulier, que se développèrent des Confréries du Sacré-Cœur qui eurent une grande influence pour le rayonnement de ce culte : les évêques qui approuvaient la création de ces confréries dans leurs diocèses ne pouvaient que constater les fruits de grâce et de sanctification de cette dévotion dans l’âme des fidèles.
Néanmoins, il n’existait pas, tant que le Saint-Siège ne l’avait pas autorisé, d’office liturgique ni de formulaire de messe propre, et les évêques pouvaient seulement autoriser, au jour demandé par Notre-Seigneur (c’est-à-dire le vendredi suivant l’octave de la fête du Très Saint Sacrement), la célébration de la messe déjà existante en l’honneur des Cinq Plaies de Notre-Seigneur.

   D - De nombreuses suppliques furent portées à Rome pour demander l’institution officielle de la fête du Sacré-Cœur, avec office et messe propres, ces demandes étaient parfois présentées ou soutenues par d’illustres personnages, en voici quelques exemples particulièrement représentatifs :

- en 1687, les Visitandines de Dijon, furent les premières à écrire au Saint-Siège pour demander une fête en l’honneur du Sacré-Cœur.
– en 1697, les Visitandines d’Annecy le firent à leur tour : leur demande était appuyée par l’intervention personnelle de Sa Majesté la Reine Marie-Béatrix d’Este, épouse de Sa Majesté le Roi Jacques II d’Angleterre (détrôné par la révolution de 1688), qui avait été la dirigée de Saint Claude de La Colombière et amenée par lui à la dévotion envers le Cœur de Jésus.
– la comtesse de Valdestheim, soutenue par le nonce apostolique près la Cour Impériale, demanda quelques mois plus tard, que soit accordée une fête liturgique du Sacré-Cœur aux Ursulines de Vienne (Autriche).
– à la suite de la peste de Marseille (1720) et de l’extirpation du fléau grâce à la consécration de la ville au Cœur de Jésus, Son Excellence Monseigneur de Belzunce demanda la permission d’instituer une fête solennelle du Sacré-Cœur dans le diocèse de Marseille.
– en 1725, les Visitandines de Paray-le-Monial au nom d’un grand nombre de monastères de l’Ordre, demandèrent à nouveau la concession d’une messe et d’un office propres.
– en 1726, l’archevêque de Cracovie, Son Excellence Monseigneur Constantin Szaniawsky, écrivit au Saint-Siège pour demander l’institution de la fête du Sacré-Cœur dans toute l’Eglise catholique ; sa démarche était appuyée par Sa Majesté Frédéric-Auguste, dit le Fort, Prince-électeur de Saxe et Roi de Pologne, qui écrivit personnellement au Souverain Pontife.
– en 1727, Sa Majesté Catholique le Roi Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, écrivit à son tour au Pape pour demander l’institution de la fête du Sacré-Cœur dans tous ses royaumes et domaines.
– en 1738 et 1745, les conciles provinciaux de Tarragone sollicitèrent à leur tour cette faveur, soutenus par un grand nombre de chapitres ou d’évêques, parmi lesquels Saint Alphonse de Ligori qui accompagna cette requête par l’envoi d’un traité sur la dévotion au Cœur de Jésus qu’il venait de publier.
– en 1740, Sa Majesté la Reine de France Marie Leczinska qui, profitant d’un courrier de félicitations au Pape Benoît XIV nouvellement élu, lui demanda l’institution de la fête du Sacré-Cœur.
– en 1762, c’est Sa Majesté le Roi Auguste III de Pologne qui écrivit au Souverain Pontife qu’il ne trouvait « pas de moyen plus propre à conjurer les graves calamités qui l’accablent, que de recourir au Sacré-Cœur, en procurant de rendre Son culte plus solennel dans son royaume ».
– en 1763, c’est l’ex-roi de Pologne et alors duc de Lorraine Stanislas Leczenski qui supplia le Pape Clément XIII de permettre la célébration de la fête dans les états de Lorraine.
– en 1764, c’est Clément-François de Paule, duc de Bavière (neveu de l’empereur Charles VII) qui pria à son tour le Souverain Pontife d’étendre la dévotion au Sacré-Cœur à toute l’Eglise…

Sacré-Coeur de Jésus

   E - Pendant tout ce temps, le Saint-Siège ne faisait pas à proprement parler la sourde oreille : Rome, tout en répondant que, pour le moment, la faveur d’une fête solennelle du Sacré-Cœur avec messe et office propres, ne pouvait pas être accordée, ne cessait néanmoins pas de dispenser des brefs accordant des indulgences aux monastères ou aux églises paroissiales qui demandaient l’autorisation d’ériger des confréries en l’honneur du Cœur de Jésus.
Ainsi Innocent XII publia-t-il trente-sept concessions en sept ans de pontificat (1691-1700), Clément XI deux-cent-quatorze en vingt-et-un ans (1700-1721), Innocent XIII trente-neuf en trois ans (1721-1724), Benoît XIII quatre-vingt-six en six ans (1724-1730), Clément XII deux-cent-quarante-six en neuf ans (1730-1740) et Benoît XIV quatre-cent-dix-neuf en dix-huit-ans (1740-1758).
C’est que, dans le même temps, le culte du Cœur de Jésus se heurtait à des objections théologiques, et, avant d’autoriser un culte officiel (sanctionné par une fête liturgique) en sus de la dévotion privée (celle des simples fidèles et des confréries), le Saint-Siège Apostolique voulait que la doctrine de ce culte fût solidement et irréprochablement établie.

   F - Enfin en 1764, une nouvelle demande, présentée conjointement par l’ensemble de l’épiscopat polonais et par l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, parvint à la Sacrée Congrégation des Rites, étayée cette fois par un mémoire dont l’argumentation venait à bout des précédentes objections théologiques : la Congrégation des Rites en apprécia la teneur et l’équilibre, le promoteur de la Foi (familièrement appelé « avocat du diable ») n’eut qu’à s’incliner, et le 26 janvier 1765 fut rédigé un décret que le Souverain Pontife Clément XIII approuva et parapha quelques jours plus tard : le 6 février 1765.

Voici la traduction en français du texte complet de ce décret :

       Instance faite pour la concession d’un Office et d’une Messe du très Sacré-Cœur de Jésus, par le plus grand nombre des très révérends évêques de Pologne et l’Archiconfrérie romaine érigée sous ce titre, la Sacrée Congrégation des Rites, dans la séance du 26 janvier 1765, reconnaissant que le culte du Cœur de Jésus est déjà répandu dans presque toutes les parties du monde catholique, favorisé par les évêques, enrichi par le Siège Apostolique d’un millier de brefs d’indulgences, donnés à des Confréries presque innombrables, érigées canoniquement en l’honneur du Cœur de Jésus ; comprenant en outre, que la concession de cette Messe et de cet Office n’a pas d’autre but que de développer un culte déjà établi, et de renouveler symboliquement la mémoire du divin amour, par lequel le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine, et, obéissant jusqu’à la mort, a voulu montrer aux hommes, par son exemple, qu’il était doux et humble, comme il l’avait dit ; pour ces raisons, sur le rapport de l’Eminentissime et Révérendissime Seigneur Cardinal Evêque de Sabine, après avoir entendu le R.P.D. Cajétan Fortis, promoteur de la Foi, s’écartant des décisions du 30 juillet 1729 (**), ladite Sacrée Congrégation a pensé qu’il fallait consentir à la demande des évêques du royaume de Pologne et de ladite Archiconfrérie romaine. Elle prendra plus tard une décision sur la Messe et l’Office qu’il convient d’approuver.
Ce vœu de la Sacrée Congrégation a été soumis par moi, soussigné, secrétaire, à Notre Saint-Père le Pape, Clément XIII ; Sa Sainteté en ayant pris connaissance, l’a pleinement approuvé.

Ce 6 février 1765.
Joseph Maria, cardinal Feroni, préfet ;
Scipio Borghesi, secrétaire.
Rome MDCCLXV, de la typographie de la Chambre Apostolique.

Clément XIII portrait par Anton Raphaël Mengs

Sa Sainteté Clément XIII, pape de 1758 à 1769,
portrait par Anton Raphaël Mengs (1728-1779)

   G - Ce texte est important à plus d’un titre.
En tout premier lieu parce qu’il atteste de la diffusion du culte du Sacré-Cœur et de sa fécondité spirituelle ; et en second lieu parce qu’il résume le sens théologique de cette dévotion par cette phrase : « renouveler symboliquement la mémoire du divin amour, par lequel le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine, et, obéissant jusqu’à la mort, a voulu montrer aux hommes, par son exemple, qu’il était doux et humble, comme il l’avait dit ».
Les précédentes demandes adressées au Saint-Siège avaient été recalées – si j’ose dire – parce qu’elles présentaient la dévotion au Sacré-Cœur comme une dévotion en quelque sorte « physiologique » en faisant du cœur de chair le siège de l’amour.
Le mémoire des évêques polonais emporta la décision du Saint-Siège parce qu’il ne présentait plus le cœur comme l’organe propre des affections sensibles, mais comme le symbole naturel de l’amour, et faisant ressortir que le culte du Sacré-Cœur célèbre en réalité l’amour que le divin Sauveur a pour les hommes.
Ce décret signé par Clément XIII ce 6 février 1765 contient donc – de la même manière que le gland contient le chêne – tous les développements que le Magistère romain dispensera dans les siècles suivants au sujet du culte du Sacré-Cœur, en particulier le Bienheureux Pie IX, Léon XIII, Pie XI et Pie XII.

   H - Au mois de mai 1765, nous aurons l’occasion d’en reparler, la Sacrée Congrégation des Rites publiera les textes de l’Office et de la Messe propre de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, annoncés dans ce décret, qui, néanmoins, ne les concédaient qu’aux diocèses du royaume de Pologne et à l’Archiconfrérie romaine. 
Toutefois, dès le mois de juillet 1765, c’est l’Ordre de la Visitation puis les évêques du Royaume de France qui obtinrent la célébration de cette fête, et progressivement elle fut adoptée dans toute la Chrétienté, jusqu’à ce que, le 25 août 1856, un décret signé du Bienheureux Pie IX en rendit enfin la célébration obligatoire dans l’Eglise universelle.

   Vous le comprenez bien, chers Amis, le culte du divin Cœur de Jésus est si important dans la spiritualité du Refuge Notre-Dame de Compassion, qu’il était vraiment impossible que nous ne profitassions pas de ce deux-cent-cinquantième anniversaire pour en rappeler brièvement la genèse et, par dessus tout, pour le célébrer dans une fervente action de grâces.

Lully.

Armoiries du pape Clément XIII

Armoiries du pape Clément XIII

(*) Note 1 : On trouvera dans les pages de ce blogue plusieurs publications présentant ces révélations accordées à Sainte Marguerite-Marie : la première grande révélation > ici, la deuxième grande révélation > ici, la troisième grande révélation > ici, la grande révélation de 1675 > ici, les promesses du Sacré-Coeur > ici.
(**) Note 2 : Le 30 juillet 1729, sous le Pape Benoît XIII, un décret avait répondu de manière formellement négative aux demandes jusqu’alors adressées.

2015-22. Où, à l’occasion de la fête de Saint Polycarpe, le Maître-Chat évoque les liens du diocèse de Viviers avec cet illustre martyr, grâce à Saint Andéol.

26 janvier,
fête de Saint Polycarpe, évêque et martyr.

Martyre de Saint Polycarpe

Le martyre de Saint Polycarpe (fresque byzantine)

« (…) Abandonnons la vanité des foules et les enseignements mensongers
pour revenir à la parole qui nous a été transmise dès le commencement (…) »
- épître de Saint Polycarpe de Smyrne aux Philippiens, § 7 -

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       En ce 26 janvier, la fête de Saint Polycarpe me fournit l’occasion de vous parler un peu du diocèse de Viviers, sur le territoire duquel est implanté notre Mesnil-Marie.

   Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, né vers l’an 70 de notre ère, avait connu l’apôtre et évangéliste Saint Jean : l’opinion commune est même que c’est à son intention que fut dictée à Saint Jean, dans les révélations qu’il reçut, la lettre à « l’ange de l’Eglise de Smyrne » (cf. Apoc. II, 8-11).
C’est toujours avec un grand profit spirituel que l’on relit le seul texte de Saint Polycarpe qui nous soit parvenu – son épître aux Philippiens (par exemple > ici) – ou encore le récit de son martyre, écrit par un contemporain (cf. > ici).

   Nous le vénérons à un titre particulier parce que c’est lui qui missionna dans les Gaules non seulement les premiers pasteurs de l’Eglise de Lyon – les saints Pothin et Irénée -, mais également celui que de très antiques traditions nous disent avoir été le premier évangélisateur du territoire qui deviendra le Vivarais : Saint Andéol.
Ainsi, par Saint Andéol et Saint Polycarpe, l’Eglise diocésaine de Viviers peut-elle être, en quelque manière, directement rattachée à l’apôtre et évangéliste Saint Jean, le « disciple que Jésus aimait » (Joan. XIII, 23), qui reposa sur la poitrine de Notre-Seigneur à la dernière Cène, qui l’accompagna jusqu’à la Croix et contempla le Sacré-Cœur transpercé, puis qui « prit chez lui » (Joan. XIX, 27) la Très Sainte Vierge Marie.

   Saint Andéol n’était pas prêtre, mais seulement sous-diacre. Il évangélisa la vallée du Rhône et les provinces méridionales de la Gaule romaine pendant une quarantaine d’années.
C’est au moment du passage de l’empereur Septime-Sévère, alors en route vers la Bretagne (actuelle Grande-Bretagne), qu’il fut pris et martyrisé, le 1er mai 208.
La ville de Bergoïata, où il fut supplicié et mis à mort, deviendra par la suite Bourg-Saint-Andéol.

Statue de Saint Andéol façade de l'église de Bourg-Saint-Andéol

Statue de Saint Andéol sur la façade XVIIe siècle de l’église de Bourg-Saint-Andéol :
le saint est représenté avec la tunique du sous-diacre et avec le glaive de son martyre enfoncé dans le crâne.

   La Bienheureuse Tullia qui avait recueilli son corps, le cacha dans un sarcophage antique, dont l’un des côtés fut re-sculpté par la suite, en accord avec le précieux dépôt qu’il renfermait.
Ce sarcophage se trouve toujours dans l’actuelle église du Bourg-Saint-Andéol.

   Il ne contient malheureusement plus les reliques du saint martyr : si elles avaient heureusement échappé aux destructions et profanations des huguenots, elles furent malheureusement livrées aux flammes par la fureur révolutionnaire… Mais le sarcophage, considéré comme étant lui-même une relique, fut pendant très longtemps mis à l’honneur sous le maître-autel.
Lorsque ce dernier fut détruit à son tour, lors de la révolution liturgique post-concilaire, le sarcophage qui avait été tellement vénéré par des générations de fidèles, fut relégué dans une chapelle latérale, n’étant plus désormais présenté que comme une curiosité archéologique.

Maître-autel avec le sarcophage de Saint Andéol (église de Bourg-Saint-Andéol autrefois)

Le sarcophage de Saint Andéol placé à l’honneur sous la table du maître-autel de l’église de Bourg-Saint-Andéol
(avant les « aménagements » post-concilaires). 

   C’est au milieu du IXème siècle, que le tombeau de Saint Andéol, enfoui dans une crypte, qui avait été elle-même ensevelie lors des invasions et des bouleversements du haut Moyen-Age, fut redécouvert par Bernoin, évêque de Viviers.
Bernoin, après avoir prié et jeûné pour demander à Dieu la grâce de retrouver les précieuses reliques de Saint Andéol, vit en songe Saint Polycarpe lui-même, et c’est selon les indications données par ce dernier qu’il retrouva l’emplacement de la crypte antique renfermant le sarcophage du martyr.

   L’évêque Bernoin et ses successeurs promurent le culte de Saint Andéol dont ils firent un élément d’unification de leur diocèse et – il faut bien le dire aussi – , en un temps où le diocèse de Viviers, quoique théoriquement dépendant du Saint Empire Romain Germanique (jusqu’en 1308), devenait un comté ecclésiastique quasi indépendant, ce fut un moyen de renforcer le prestige et le pouvoir temporel des comtes-évêques de Viviers.

   Aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, les comtes-évêques résidèrent d’ailleurs principalement au Bourg-Saint-Andéol (dans un extraordinaire palais épiscopal qui fait aujourd’hui l’objet d’une remarquable restauration), tout près du tombeau de Saint Andéol, plutôt qu’en leur cité épiscopale.

Sarcophage de Saint Andéol

Le sarcophage de Saint Andéol, dans l’église du Bourg-Saint-Andéol (face paléochrétienne)

   Notre diocèse de Viviers, si peu reluisant de nos jours, possède, vous en avez ici une fois de plus un petit aperçu, mes chers Amis, une histoire fort riche, puisque ses origines antiques le rattachent directement aux temps apostoliques.
Nous en sommes particulièrement – et très légitimement – fiers.

   Néanmoins, et j’avais déjà eu l’occasion de l’évoquer en 2011 dans les pages de ce blogue en publiant une étude parue dans « Paix liturgique », c’est un diocèse actuellement sinistré : profondément et tragiquement sinistré par le modernisme (cf. > ici).
Les années passant, les choses ne se sont pas améliorées : les prêtres continuent de mourir et ne sont pas remplacés (il n’y aura sans doute pas d’ordination de prêtre diocésain avant de nombreuses années), les églises continuent à se vider, le nombre des baptêmes poursuit son déclin, la foi catholique n’est plus vraiment enseignée et la plupart des fidèles professe une vague croyance aux contours imprécis, les gens meurent sans les derniers sacrements, la célébration de la messe pour les funérailles tend à diminuer… etc.

   La situation d’aujourd’hui n’est finalement guère plus brillante qu’au début du XVIIe siècle lorsque Monseigneur Louis François de la Baume de Suze – coadjuteur en 1618, puis comte-évêque en titre de 1621 à 1690 – prit la charge d’un diocèse matériellement et spirituellement exsangue (on dit qu’il y avait alors moins de vingt curés en exercice et que plus de 75% des églises étaient en ruines) : mais il était animé d’un zèle ardent pour la rechristianisation du Vivarais, et il sut faire appel à des forces saines et vives pour cet immense labeur, spécialement à Saint Jean-François Régis (cf. > ici). C’est d’ailleurs dans son palais épiscopal de Bourg-Saint-Andéol que Monseigneur de la Baume de Suze accueillit le Père Régis et lui confia le diocèse de Viviers comme terre de mission où il fallait quasi tout reprendre à zéro…

Statue de Saint Andéol sur la façade de l'église de Bourg-Saint-Andéol - détail

Statue de Saint Andéol sur la façade de l’église de Bourg-Saint-Andéol – détail.

   Dans deux précédents articles, j’ai eu l’occasion de vous parler de l’évêque qui a ruiné en profondeur ce diocèse de Viviers pendant plus de 27 ans (cf. dans la biographie de Monsieur l’Abbé Bryan Houghton > ici, et dans une chronique d’août 2011 où je rapportais une anecdote tristement véridique « significative des étranges égarements d’esprit auxquels conduit le modernisme » dont ce mitré fut le protagoniste > ici). Ceux qui lui ont succédé depuis 1992 n’ont guère contribué à relever le niveau spirituel et le dynamisme de notre très antique diocèse riche de tant de saints aux âges passés.

   Depuis longtemps déjà, Frère Maximilien-Marie prie et supplie pour demander à Dieu un évêque selon Son Cœur : un évêque qui soit un véritable docteur de la foi catholique la plus authentique ; un évêque qui soit un pasteur à l’image du Bon Pasteur, avec une inlassable sollicitude pour le salut des âmes à lui confiées ; un évêque qui soit un véritable père, pas tant par la manière dont il se fera appeler que par les délicatesses de la charité avec laquelle il entourera les fidèles ; un évêque qui soit un digne successeur des saints Apôtres par son zèle inlassable et par sa force d’âme ; un évêque dont la ferveur spirituelle soit exemplaire et communicative ; un évêque qui soit moins un administrateur qu’un missionnaire ; un évêque dont l’ardeur ne se laisse pas entraver par la pesanteur des cadavres accumulés par quelque cinquante années de modernisme mortifère.

   Nous prions donc et supplions Saint Polycarpe et Saint Andéol - avec Saint Vincent, céleste protecteur de notre cathédrale (cf. > ici) – qui se dépensèrent sans compter et ne craignirent pas de verser leur sang pour la vérité de l’Evangile, afin qu’ils intercèdent puissamment pour ce diocèse de Viviers et lui obtiennent la grâce d’une véritable résurrection : selon les termes de la citation que j’ai mise en exergue de cette humble chronique, en abandonnant les enseignements mensongers et en revenant à la parole qui lui a été transmise dès le commencement…

patte de chat Lully.

palmes

2015-19. Deuxième centenaire des funérailles solennelles à Saint-Denis de Leurs Majestés le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette.

1815 – 21 janvier – 2015

frise lys deuil

Voici la seconde partie du compte-rendu de la journée du 21 janvier 1815 publié par « L’Ami de la Religion et du Roi », relatant l’office solennel – véritable Messe de funérailles et pas seulement Messe de Requiem commémorative – célébré à la basilique nécropole royale de Saint-Denis.

Comme pour mes précédentes publications extraites de cet excellent périodique, j’ai scrupuleusement conservé la graphie, la ponctuation et les majuscules telles qu’elles se trouvent dans l’original. Comme précédemment aussi, j’ai seulement aéré le texte par les alinéas et sauts de texte qui s’accordent au sens, car, dans les feuillets de « L’Ami de la Religion et du Roi », il est extrèmement serré.
Ici encore, il m’a paru nécessaire, afin de faciliter au lecteur moderne la compréhension de certains usages ou la connaissance des personnages cités, d’ajouter une quinzaine de notes explicatives.

J’insisterai, afin de faire honte à nos contemporains qui s’agacent dès qu’une cérémonie religieuse excède une heure et quart – parce qu’elle leur paraît « interminable » - , pour rappeler les horaires de cette grande journée : les Princes avaient quitté les Tuileries à 8 h du matin ; la levée des corps chez Monsieur Descloseaux et le cortège jusqu’à Saint-Denis occupèrent toute la matinée, puisqu’il arriva à la porte de la basilique à midi ; après l’accueil des cercueils des Souverains martyrs à la porte et la formation du cortège pour entrer et prendre place dans la basilique, la Sainte Messe commença à 13 h 15 (cela signifie donc que Monseigneur de Caux, qui officia, était nécessairement à jeûn depuis minuit) ; avec l’éloge funèbre prononcé par Monseigneur de Boulogne et qui dura trois-quart d’heures, avec les cinq absoutes à la fin de la Messe, puis la descente dans les cryptes, cette cérémonie ne s’acheva qu’à 18h, selon le témoignage d’un contemporain que j’ai recueilli en un autre texte. Tout ceci, bien sûr, dans une basilique non chauffée par une journée glaciale de janvier !
En 1815 encore, semble-t-il, les Princes et les hommes d’Eglise n’en prenaient pas à leur aise avec les cérémonies du culte, qui sont les marques de l’honneur dû à Dieu, et ne se permettaient pas de les accomoder à leur convenance ou de les bâcler à simple fin de préserver leur petit confort…

Lully.

frise lys deuil

Sur le service funèbre à Saint-Denis
(in « L’Ami de la Religion et du Roi »)

2ème partie : la Messe solennelle de Requiem
et l’inhumation dans la nécropole royale.

A l’entrée de Saint-Denis, le clergé attendoit le convoi qui y est arrivé à midi. Le portail de l’église étoit tendu de noir. On y lisoit cette inscription tirée de la Genèse : Dormiam cum patribus meis, condasque in sepulcro majorum eorum (note 1).
Les cercueils, descendus du char funèbre, ont été placés, par MM. les gardes du corps de la compagnie écossoise, sur le sarcophage du catafalque. Autour se sont placés les Princes que nous avons nommés, les maréchaux, les ministres, le clergé de la grande aumônerie, les officiers de la maison du Roi, trois simples particuliers qui seuls ont eu le privilège de voir d’aussi près cette cérémonie, MM. Hue, Descloseaux et Desèze (note 2) ; de l’autre côté, les princesses, les pairs, les généraux, les ambassadeurs et les députés. Derrière, beaucoup de personnes en deuil.
M. de Vintimille, évêque de Carcassonne (note 3), a présenté le corps à la place de Mgr. le grand-aumônier (note 4), qui étoit indisposé ; M. de Caux, évêque d’Aire (note 5), a reçu le corps et a officié.
La messe a commencé à une heure un quart. Trois Princes et trois Princesses sont allés à l’offrande (note 6), savoir : MONSIEUR et les deux Princes ses fils (note 7) ; Madame la duchesse et Mademoiselle d’Orléans (note 8), et Madame la Princesse de Bourbon (note 9).

Après l’évangile, M. l’évêque de Troyes (note 10) est monté en chaire. La curiosité publique étoit puissamment excitée par le désir d’entendre cet orateur, et dans une telle circonstance. On savoit qu’il n’avait reçu que le 12 de ce mois la nouvelle du choix que S.M. avoit fait de lui pour prononcer le discours, et quelque idée que l’on eût de son talent, on ne pouvoit s’empêcher de craindre que l’excessive brièveté du temps ne lui eût pas permis de donner à son travail sa perfection accoutumée. Il n’avoit eu à peine que six jours pour composer son discours, puisqu’il avoit eu l’honneur de le lire, le 19, devant le Roi, dans le cabiner de S.M., qui avoit souhaité l’entendre. Au surplus, ces craintes ont dû être bientôt dissipées, et M. l’évêque de Troyes a montré que son talent savoit triompher des obstacles.
Quelques journaux ont essayé de donner une analyse de ce discours. Il nous a paru que ces extraits secs et mutilés étoient loin de rendre les pensées de l’orateur avec exactitude et ses expressions dans toute leur énergie, et nous avons mieux aimé nous borner à en citer deux passages, où nous espérons que ceux qui ont entendu M. l’évêque de Troyes, le retrouveront plus fidèlement représenté.

« Ah ! Il me semble le voir ici ce royal cœur se ranimer et palpiter encore au nom de ce peuple qui lui fut si cher. Il me semble voir sa poussière se réveiller sous ce drap mortuaire, et vous adresser du fond de son tombeau ces tendres et touchans reproches : O mon peuple, que vous ai-je fait, et en quoi vous ai-je été contraire ? Répondez-moi. Responde mihi (note 11). O vous qui fûtes constamment l’objet de mes travaux, vous dont on me disoit que j’étois aimé quand on vouloit me consoler dans mes peines ! Répondez-moi, que vous ai-je fait ? Quid feci tibi ? Quelle demande m’avez-vous faite, et que je ne vous ai pas accordée ? Quel vœu avez-vous formé pour votre bonheur, et auquel je n’aie pas souscris ? Quelle misère, et que je n’aie pas voulu soulager ? Quel abus, et que je n’aie pas voulu réformer ? Quel sacrifice, et que je ne me sois pas imposé ? Quel roi en a donc fait autant que moi ? Et dans vint ans n’ai-je pas répondu sur vous tous les bienfaits de plusieurs siècles ? Responde mihi. Mais que répondrons-nous, Messieurs, tandis qu’ici tout nous accuse, en même temps que tout le justifie ? Que répondre, tandis que l’évidence même dépose contre nous, que le règne des illusions s’est enfin dissipé, que le jour de la vérité nous éclaire tous maintenant, et que son innocence, montée jusqu’au ciel, retentit par toute la terre ? Ah ! C’est la douleur, ce sont les larmes, c’est le silence de la contemplation qu’il nous faut pour toute réponse. C’est un saisissement et de honte et d’effroi en voyant que le prix de tant de bienfaits, que la récompense de tant de vertus, et que la réponse à tant de sacrifices a été… un échafaud ! »

Nous regrettons de n’avoir pu saisir, avec la même fidélité, le morceau qui suit immédiatement, et où l’orateur, retournant en quelque sorte sa prosopopée, interroge à son tour le Prince lui-même d’une manière à la fois hardie et mesurée, et lui demande pourquoi par une noble et touchante erreur de sa grande âme, il crut toujours les autres aussi vertueux que lui-même, et ne se défia jamais que de lui, tandis qu’il ne devoit se défier que des autres.

Nous citerons encore ce second morceau :

« Saluons-le donc aujourd’hui Roi Martyr, puisqu’aussi bien les impies l’ont mis à mort, moins encore peut-être par haine pour la royauté que par haine pour sa religion et pour l’Eglise sainte dont il étoit le digne fils aîné ; ainsi que par sa constante résistance à souiller sa main, en scellant la proscription de ses ministres. Saluons le Roi Martyr, puisqu’aussi bien c’est de ce nom que l’appelle un grand et saint pontife… « O jour de triomphe pour Louis, s’écrit-il, à qui Dieu a donné et la patience dans les grandes infortunes, et la victoire sur l’échafaud ! Nous avons la ferme confiance qu’il a heureusement changé une couronne fragile et des lis qui se seroient bientôt flétris, en un diadème impérissable que les anges eux-mêmes ont tissu de lis immortels » (note 12). Ainsi s’exprimoit l’immortel Pie VI, lequel alors ne prévoyait pas encore qu’il seroit martyr lui-même, et qu’un destin à peu près semblable associeroit son nom à la gloire de ce monarque, objet de sa vénération ; belles et touchantes paroles, favorable présage de l’harmonie et de l’heureux accord qui va régner entre le successeur de l’un et le successeur de l’autre ; entre un Pie nouveau, honneur de la tiare, et un nouveau Louis, honneur de la couronne ; qui doivent resserrer plus que jamais les liens antiques et sacrés qui unissent l’Eglise de France et l’Eglise de Rome ; préparer par la restauration de l’épiscopat la restauration de l’Empire, et soutenir ainsi l’un par l’autre le trône de Saint Pierre et le trône de Saint Louis.
Mais s’il est permis de croire que le Monarque que nous pleurons n’a plus besoin de nos prières, il ne l’est pas moins de penser qu’il nous accorde déjà les siennes, et qu’il préside déjà du haut des cieux au destin de la France. Il n’est pas moins doux de penser qu’il va être accompli ce vœu sublime de son amour, cette dernière expression de son cœur : Je désire que mon sang fasse le bonheur de la France. Paroles admirables ! Est-ce un homme, est-ce un ange qui les a prononcées ? Ah ! Que ne peuvent-elles percer les voûtes de ce temple, voler jusqu’aux extrémités de l’univers, afin que l’univers répète jusqu’aux âges les plus reculés : Je désire que mon sang fasse le bonheur de la France. Oui, Prince magnanime autant qu’infortuné, votre mort le fera ce bonheur de la France, comme la mort de Jésus-Christ a procuré le salut du genre humain. Le sang du juste est monté jusqu’au ciel, non pour crier vengeance, comme celui d’Abel, mais pour crier grâce et miséricorde. Il nous couvrira comme d’un bouclier, il nous protégera, il s’interposera entre le ciel et nous. Il nous réconciliera avec Dieu, avec nos frères, avec nous-mêmes. Il éteindra toutes les haines et toutes les discordes. Il fertilisera cette terre de tant de crimes et de tant d’égarements, pour y faire germer les vertus de nos aïeux. Il ranimera cet esprit religieux qui fit toute leur gloire, il ressuscitera l’honneur antique, il renouvellera le sang françois en renouvelant le sang chrétien. Il scellera la nouvelle alliance qui vient d’unir le Roi et ses sujets, et les Lis qu’il arrosera relevant leur tige superbe, et plus belle et plus vigoureuse, brilleront d’un éclat immortel. »

Après ce discours, qui a duré trois quarts d’heure, et qui a été écouté avec un religieux silence, le célébrant a continué la messe.
Les absoutes (note 13) ont été faites par quatre évêques, et la dernière par le célébrant. On a transporté ensuite les corps dans les caveaux (note 14). Les Princes les y ont accompagnés un cierge à la main, et avec l’expression de la plus vive émotion.

Ainsi s’est terminée cette cérémonie imposante et mémorable. Tous ceux qui en ont été témoins ont été frappés de tout ce qu’elle avoit de majestueux et de touchant.
La décoration funèbre de ce grand édifice, la présence de ces précieuses dépouilles échappées aux ravages des temps et à la fureur des bourreaux, l’attitude religieuse des Princes qui présidoient à cet acte expiatoire, le deuil et le silence universels, toutes ces grandes images de la mort et de la religion, contribuoient à inspirer le recueillement. Jamais Roi n’étoit descendu dans la tombe en laissant de plus cruels souvenirs ; jamais Saint-Denis n’avoit vu de services funèbres qui laissassent dans l’âme une impression plus triste et plus profonds.

Le même jour, des services funèbres ont eu lieu dans toutes les églises de la capitale. Celui de la Métropole (note 15) a été surtout remarquable par sa pompe. Partout le concours et la piété des fidèles ont ajouté à l’intérêt de la cérémonie. »

Cercueils de Louis XVI et Marie-Antoinette à St-Denis état avant 1975

La crypte des Bourbons à Saint-Denis telle qu’elle se présentait jusqu’en 1975 :
les cercueils de tous les Princes de la Maison de Bourbon, conformément à la tradition observée pendant tout l’Ancien Régime, n’étaient pas enterrés, mais simplement posés sur des tréteaux ;
les deux cercueils signalés par des flèches jaunes sont ceux de Leurs Majestés le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette, tels qu’ils furent ramenés du cimetière de la Madeleine et placés là le 21 janvier 1815.

* * *

Notes explicatives :

note 1 : « Dormiam cum patribus meis (…) condasque in sepulcro majorum eorum » Genèse 49, 30 : ce sont les paroles par lesquelles le patriarche Jacob mourant recommande à son fils Joseph de ramener son corps dans la terre promise pour l’ensevelir à Hébron avec Abraham et Isaac : « Je dormirai avec mes pères (…) et tu me placeras dans le sépulcre de mes ancêtres ».
note 2 : MM. Hue, Descloseaux et Desèze
François Hüe (1757 – 1819), huissier de la chambre de Louis XVI, choisit de suivre la famille royale au Temple, arrêté le 2 septembre 1792 il échappa aux massacres ; plus tard il accompagna Madame Royale à Vienne. En 1806, il avait publié ses Mémoires sur « Les dernières années de règne et de la vie de Louis XVI ». Louis XVIII le créa baron en 1814.
Louis Olivier Pierre Desclozeaux (1732 – 1816), voir la note 11 ici > www.
- Raymond Desèze, plus communément appelé Romain de Sèze (1748 – 1828), désigné par Louis XVI pour être adjoint à MM. Malesherbes et Tronchet, il prononça avec courage et conviction la défense du Roi devant la convention. En 1815, il est nommé président de la cour de cassation et élevé à la dignité de pair de France, fait comte en 1817.
note 3 : M. de Vintimille, évêque de Carcassonne – François-Marie Fortuné de Vintimille (1730 – 1822), des comtes de Marseille du Luc ; évêque de Carcassonne en 1788, refusa le serment schismatique et s’exila, refusa toujours la suppression de son diocèse par le concordat napoléonien et, en conséquence, refusa de démissioner.
note 4 : Mgr. le grand-aumônier : Monseigneur Alexandre Angélique de Talleyrand-Périgord, voir la note 5 ici > www.
note 5 : M. de Caux, évêque d’Aire : Monseigneur Sébastien Charles Philibert de Cahuzac de Caux, voir la note 6 ici > www.
note 6 : l’offrande – comme c’est un usage qui a malheureusement disparu ou presque (nous ne le déplorerons jamais assez !), il nous faut rappeler ce dont il s’agi(ssai)t : l’offrande est un rite hérité des anciens usages gallicans. Immédiatement après la lecture de l’antienne de l’Offertoire, le Célébrant, à l’entrée du sanctuaire, présente à baiser aux fidèles un crucifix ou un instrument de paix ; les fidèles déposent alors dans un plateau de cuivre leur offrande.
note 7 : Monsieur et les deux Princes ses fils : Charles-Philippe de France, comte d’Artois – futur Charles X – , et ses fils : Louis-Antoine, duc d’Angoulème, futur Louis XIX, et Charles-Ferdinand, duc de Berry qui sera assassiné le 14 février 1820.
note 8 : Madame la duchesse d’Orléans : Louise-Marie-Amélie de Bourbon-Siciles (1782 – 1866), épouse de Louis-Philippe d’Orléans, futur usurpateur du trône. Mademoiselle d’Orléans : Adélaïde d’Orléans (1777 – 1847), soeur puinée et confidente de Louis-Philippe.
note 9 : Madame la Princesse de Bourbon : Bathilde d’Orléans (1750 – 1822), soeur de « Philippe Egalité » et épouse de Louis VI Henri de Bourbon-Condé, mère de Louis-Antoine duc d’Enghien.
note 10 : M. l’évêque de Troyes : Monseigneur Etienne-Antoine de Boulogne ; voir la note 8 ici > www.
note 11 :   »O mon peuple, que vous ai-je fait, et en quoi vous ai-je été contraire ? Répondez-moi » : reproche du Christ à Son peuple, qui commence le chant des Impropères du Vendredi Saint, et qui dès avant le procès du Roi Louis XVI inspira une célèbre « complainte de Louis XVI aux Français », dont on trouvera l’historique, le texte et l’enregistrement ici > www.
note 12 : Allocution de Sa Sainteté le Pape Pie VI lors du consistoire du 11 juin 1793 ; on en trouvera le texte ici > www.
note 13 : Les absoutes – Selon l’usage, les Messes Solennelles des funérailles des Souverains Pontifes, cardinaux légats, évêques métropolitains, évêques diocésains, empereurs, rois, princes ou seigneur du lieu sont suivies de cinq absoutes données par cinq dignitaires ecclésiastiques ; la dernière absoute est donnée par le célébrant. La cérémonie des cinq absoutes ne se célèbre normalement qu’une seule fois pour un défunt et toujours en présence du corps – habituellement aux funérailles – : on voit par là que cette cérémonie du 21 janvier 1815, 22 ans après la mort du Roi, était donc considérée comme sa véritable cérémonie de funérailles.
note 14 : La crypte des Bourbons est située sous le choeur et le maître-autel de la basilique. Contrairement à leurs prédécesseurs, les Bourbons n’ont pas de tombeaux monumentaux à Saint-Denis, mais, comme expliqué dans la légende de la photographie ci-dessus, les cercueils des Souverains et Princes de la Maison de Bourbon sont simplement déposés sur des tréteaux dans la crypte qui leur est attribuée. Des travaux réalisés en 1975 ont changé cet ordre de choses et les cercueils des Bourbons ne sont désormais plus visibles, cachés par des plaques funéraires de marbre noir.
note 15 : La Métropole : il s’agit bien sûr de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

* * *

Médaille commémorative de la pompe funèbre du 21 janvier 1815

Avers et revers de la médaille commémorative de la pompe funèbre du 21 janvier 1815
(oeuvre d’Andrieu)

Avers : inscription « Ludovicus XVIII Rex Christianissimus » (Louis XVIII Roi Très Chrétien) – le Souverain est représenté de profil, tête et col nus, cheveux longs, rejetés en arrière et retombant librement en boucles sur les épaules, avec de légers favoris.

Revers : inscription « Ludovico decimo sexto a scelestis impie obtruncato Gallia liberata rediviva moerens hoc luctus monumentum consecrat » (la France délivrée, reconnaissante et désolée, consacre ce monument de deuil à Louis XVI décapité de façon impie), au-dessus d’un palme de martyr et d’une branche de cyprès entrecroisées.

frise lys deuil

Publié dans:Memento, Vexilla Regis |on 21 janvier, 2015 |2 Commentaires »

2015-18. Deuxième centenaire du transfert à Saint-Denis des restes de Leurs Majestés le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette.

1815 – 21 janvier – 2015

frise lys deuil

Après avoir rapporté les textes contemporains rendant compte de l’exhumation des restes sacrés du Roi et de la Reine martyrs (cf. ici > www et suivants), en cet exact deuxième centenaire de leur transfert à la basilique nécropole royale de Saint-Denis, le 21 janvier 1815, vous trouverez ci-dessous la narration de cet évènement telle qu’elle a été publiée dans « L’Ami de la Religion et du Roi ».
Comme c’est un texte relativement long, il m’a semblé plus judicieux de vous le livrer en deux parties : la première, ci-dessous, fait une présentation générale puis décrit le convoi funèbre jusqu’à son arrivée à Saint-Denis (de 8 h à midi) ; la seconde, que je publierai demain, constitue le compte-rendu de la célébration religieuse à la basilique nécropole royale (de midi à 18 h).

Je me permets d’attirer votre attention très spécialement sur les deux premiers paragraphes : malgré les deux siècles qui nous séparent de leur rédaction, ils expriment parfaitement les sentiments qui sont aujourd’hui les nôtres au Mesnil-Marie.

Sa Majesté le Roi Louis XVIII, en raison de son état de santé, ne pouvait pas assister Elle-même à cette longue cérémonie.
Madame la duchesse d’Angoulème, Marie-Thérèse de France, fille des Souverains martyrs, n’y fut pas non plus présente, et on le comprend sans peine. D’après nos renseignements, elle s’était retirée à Saint-Cloud et c’est là qu’elle assista à une Messe de Requiem.

Lully.

frise lys deuil

Sur le service funèbre à Saint-Denis
(in « L’Ami de la Religion et du Roi »)

1ère partie : le convoi funèbre.

« Elle a donc été célébrée avec la solennité convenable, cette grande expiation que réclamoient, depuis si long-temps, et la majesté royale et notre propre honneur, cette expiation si désirée de toutes les âmes sensibles, et qui ne pouvoit déplaire qu’aux cœurs durs et barbares, cette expiation qui soulage la douleur d’une famille auguste, lave notre honte aux yeux des nations, et répare, autant qu’il est possible, le plus déplorable attentat. Il falloit que tout le peuple prit part à cette réparation afin d’effacer la tache de sa foiblesse. Il falloit que les chants de la religion retentissent partout où avoient éclaté les cris de la férocité. Il falloit que les images du deuil et du repentir fussent déployées là où le crime avoit trouvé des approbateurs et des apologistes. De tous les points de la France, il étoit parti de coupables adhésions ; il falloit que sur tous les points on décernât à la mémoire du juste d’éclatantes satisfactions qui réconciliassent avec nous et le ciel et les ombres royales, et l’Europe et la postérité.

C’étoit à Saint-Denis surtout que cette réparation devoit avoir un caractère plus imposant. Cette antique sépulture de nos rois n’en avoit point vu descendre dans ses tombeaux depuis quarante ans. Louis XVI étoit mort, et n’avoit point dormi avec ses pères, comme parle l’Ecriture, dans ces asiles où il étoit attendu. La même barbarie qui l’avoit arraché à ses sujets, l’avoit aussi séparé de ses aïeux, et on avoit craint de reconnoître ses droits en mêlant sa cendre à celle de tant de rois, ses prédécesseurs. Bien plus, l’attentat commis en sa personne fut le prélude d’un autre sacrilège. Ceux qui n’avoient pas respecté la majesté du trône, ne devoient pas épargner la sainteté des tombeaux. Ils n’avoient pu immoler qu’un Roi ; ils s’en vengèrent sur les dépouilles de tant de Rois qui n’étoient plus, et les arrachèrent outrageusement des caveaux où ils reposoient en paix. L’impiété, la licence et l’insulte comblèrent ainsi la mesure, et crurent avoir porté le dernier coup à la monarchie en dispersant la cendre des morts comme ils avoient versé le sang des vivans.

Hubert Robert - Violation des sépultures royales à Saint-Denis

Violation des sépultures royales à Saint-Denis – tableau de Hubert Robert (1733-1808)

Depuis ce temps, l’antique Basilique de Saint-Denis étoit vide, muette et abandonnée. Elle avoit tout perdu en perdant les Rois qu’elle avoit si long-temps recueillis dans son sein. La profanation qu’elle venoit d’essuyer, fut le présage de sa dégradation successive. Chaque jour ajoutoit à ses ruines. Sa toiture fut enlevée, ses vitraux brisés, tout son intérieur bouleversé. Ses voûtes mêmes s’entrouvrirent, et ceux qui passoient, il y a quelques années, auprès de ce bel édifice, ne pouvoient s’empêcher de gémir en le voyant déshonoré, détruit et livré aux oiseaux de proie, dont les cris seuls retentissoient dans son enceinte ; triste image de la monarchie détruite elle-même, et en proie à des monstres ravisseurs.

Tel étoit l’état de l’église Saint-Denis, lorsque celui qui vouloit s’entourer de toutes les prérogatives de la royauté (*), imagina de prendre possession des tombeaux de nos rois comme il avoit déjà pris possession de leur trône. Il crut relever sa dynastie en lui assignant pour sépulture celle qui avoit reçu tant de générations royales. Il ordonna la restauration de Saint-Denis, et la Providence permit qu’il travaillât pour ceux mêmes dont il avoit pris la place, et qu’il réparât à la fois et leurs palais et leurs tombeaux. Du reste les caveaux qu’il avoit marqués pour sa famille, n’y ont point vu descendre ces rois d’un jour. Aucun de cette prétendue dynastie n’a souillé de sa présence ces demeures funèbres, réservées à une race auguste ; et pour y placer Louis XVI avec honneur, on n’a point été obligé d’en retirer avec ignominie les restes d’un inconnu et les ossemens de l’étranger.

On avoit fait, depuis plusieurs jours, des dispositions dans l’église pour la translation des dépouilles mortelles du Roi et de la Reine. L’église entière étoit tendue de noir, et cette immense enceinte avoit été transformée en une chapelle ardente. D’innombrables bougies y remplaçoient la clarté du jour. Le catafalque, dressé dans la nef, étoit d’un effet imposant, et des stalles et banquettes avoient été préparées à droite et à gauche.

Transfert des cendres royales à Saint-Denis le 21 janvier 1815

Transfert des cendres royales à Saint-Denis le 21 janvier 1815 : le char funèbre
(gravure d’époque)

Le 21 janvier, à huit heures précises du matin, LL. AA. RR. MONSIEUR et les deux Princes ses fils sont partis des Tuileries pour se rendre au cimetière de la Madeleine. On a récité des prières, et placé les cercueils du Roi et de la Reine dans le char funèbre destiné à les transporter.
Le convoi s’est mis en marche par la rue d’Anjou, la rue Saint-Honoré, et les boulevards jusqu’à la porte Saint-Denis. Des troupes de ligne, des détachemens de la garde nationale, la maison du Roi, les voitures des personnes de la cour, toutes drapées de noir, précédoient celles des Princes du sang, savoir : MONSIEUR, Mgr. le duc d’Angoulème, Mgr. le duc de Berry, Mgr. le duc d’Orléans (**), Mgr. le Prince de Condé (***) ; et parmi les princesses, Mme la duchesse d’Orléans, Melle d’Orléans, et Mme la duchesse de Bourbon. Cinq héraults d’armes, à cheval, en grand costume et le crêpe au bras, étoient derrière la voiture des Princes.
Enfin venoit le char, sur lequel se fixoient tous les yeux. Il traversoit cette même route où, vingt deux-ans auparavant, l’infortuné Monarque avoit passé dans un appareil bien différent. Ce souvenir douloureux s’est présenté à tous les esprits, et ces deux époques si différentes ont probablement fait couler plus d’une larme.
Malgré la rigueur du froid, la foule étoit immense, et bordoit le boulevard. Nous devons dire que chacun paroissoit pénétré des sentimens qui convenoient à ce jour de deuil. Un silence profond régnoit partout, et sans doute beaucoup d’âmes pieuses faisoient monter leurs prières vers le ciel pour celui qui ne sut que souffrir et pardonner, et pour celle qui, comme lui, ne vouloit que le bonheur des François. »

(à suivre, ici > www)

Notes explicatives proposées par Lully :

(*) Il s’agit bien sûr de l’usurpateur Napoléon Bonaparte qui est ainsi désigné, et qui ne fut rien d’autre qu’un jacobin, voulant couronner la révolution en sa misérable personne.
(**) Louis-Philippe, duc d’Orléans depuis 1793, fils de « Philippe Egalité », futur usurpateur du trône en 1830.
(***) Louis VI Henri de Bourbon-Condé (1756-1830), neuvième et dernier prince de Condé, père de l’infortuné Louis-Antoine, duc d’Enghien, que Bonaparte avait fait fusiller dans les fossés de Vincennes.

Médaille commémorative du transfert à Saint-Denis 21 janvier 1815

Avers et revers de la médaille commémorative de la translation des cendres royales à Saint-Denis
(oeuvre d’Andrieu et Durand – musée monétaire)

Avers : inscription « Ludovicus XVIII Rex Christianissimus » (Louis XVIII Roi Très Chrétien) – le Souverain est représenté de profil, tête et col nus, cheveux longs, rejetés en arrière et retombant librement en boucles sur les épaules, avec de légers favoris.

Revers : inscription « Regiis monumentis tandem inlati » (transférés enfin à la sépulture royale) et « Rebus feliciter reparatis XXI Jan. MDCCCXV » (les choses heureusement réparées le 21 janvier 1815) – quatre chevaux traînent un sarcophage monté sur un char à quatre roues ; le sarcophage porte une plaque avec l’inscription sur quatre lignes « Cineres Lud. XVI et Mar. Anton. » (cendres de Louis XVI et de Marie-Antoinette) : à droite et à gauche de cette plaque sont figurées le sceptre et la main de justice croisés et surmontés de la couronne royale, et au-dessus de la plaque sont les trois fleurs de lys de France entre deux palmes, symboles du martyre.

frise lys deuil

Publié dans:Memento, Vexilla Regis |on 20 janvier, 2015 |1 Commentaire »

2015-17. Yvette Guilbert : « Le voyage à Bethléem ».

Mardi 20 janvier 2015.

Yvette Guilbert par Toulouse-Lautrec

Yvette Guilbert, portrait par Henri de Toulouse-Lautrec.

Le nom d’Yvette Guilbert dit-il encore quelque chose à quelques uns d’entre vous, chers lecteurs ? Je l’espère !
Peut-être quelque Tartuffe trouvera-t-il incongru que je la cite aujourd’hui dans les pages de mon blogue, car – chanteuse et actrice – elle ne fut sans doute pas une sainte ni un pilier d’église (quoique je dispose de fort peu de renseignements sur sa vie), mais ce fut une grande dame de la chanson française : en nos temps de médiocrité et d’inculture, je ne dédaigne pas de rappeler, quand l’occasion s’en présente, ces personnes qui ont marqué la vie et la culture des générations qui nous ont précédés.
Cela nous aide aussi à prendre un peu de recul par rapport à la tristesse des temps présents…

Si donc j’évoque aujourd’hui Yvette Guilbert, c’est parce que ce 20 janvier 2015 marque le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance : le 20 janvier 1865.

Yvette Guilbert ne fut pas que l’interprête de « Je suis pocharde »« Madame Arthur » et autres chansons légères : il en est une, dans son répertoire, qui est particulièrement poignante et qu’elle interprêta avec une intensité dramatique qui, aujourd’hui encore, ne nous laisse pas indifférents, avec son égrenage impitoyable des heures tandis que la Vierge Marie approche de son terme et, qu’avec Saint Joseph, elle voit se fermer l’une après l’autre les portes des hôtelleries : cette chanson s’intitule « Le voyage à Bethléem ».
Nous sommes encore – jusqu’au 2 février – dans le temps de la crèche, c’est pourquoi je ne résiste pas au plaisir de vous en recopier ci-dessous et les paroles et l’enregistrement.
Vous reconnaîtrez bien sûr la mélodie de l’un de nos plus anciens noël populaire : « Or nous dites, Marie », qui remonte au moins au XVe siècle et dont le thème a été souvent repris par les compositeurs et organistes de l’époque baroque.

Le mystère d’un Dieu rejeté, méconnu, qui se heurte à des coeurs fermés n’est pas le « privilège » des seuls habitants de Bethléem aux jours d’Hérode le Grand : il se répète cruellement à toutes les générations ; il se répète cruellement sous nos yeux, aujourd’hui même, et chez nous… 

En dépit donc des apparences, cette évocation du cent-cinquantième anniversaire de la naissance d’Yvette Guilbert, n’a rien d’une publication frivole : des ténèbres spirituelles étendent sur notre société crépusculaire une chape de désespérance et de malheurs bien plus noire que les ailes du plus noir corbeau, pendant que les portes des coeurs continuent à se fermer devant Jésus, l’unique Rédempteur, le seul capable de rendre à ce monde sa jeunesse et sa joie…
Puisse-t-Il, du moins, fortifier et soutenir par Sa grâce ceux qui veulent Lui rester fidèles, et renouveler à tout moment dans leurs coeurs la joie et l’espérance invincibles qui sont les conséquences de Son Incarnation : « Il est né le divin Enfant : sonnez, hautbois, résonnez souvent ! »

Lully.

Guirlande de sapin - gif

Nous voici dans la ville
Où naquit autrefois
Le roi le plus habile,
David, le Roi des Rois.
- « Allons, chère Marie,
Devers cet horloger :
C’est une hôtellerie,
Nous y pourrons loger. »
Il est six heures !

- « Mon cher monsieur, de grâce,
N’auriez-vous point chez vous
Quelque petite place,
Quelque chambre pour nous ? »
- « Vous perdez votre peine ;
Vous venez un peu tard :
Ma maison est trop pleine,
Cherchez quelqu’autre part ! »
Il est sept heures !

- « Passant à l’autre rue,
Laquelle est vis-à-vis,
Tout devant notre vue
J’aperçois un logis… »
- « Joseph, ton bras, de grâce,
Je ne puis plus marcher,
Je me trouve si lasse… »
- « Il faut pourtant chercher ! »
Il est huit heures !

- « Patron des « Trois Couronnes »
Auriez-vous logement
Chez vous pour deux personnes :
Quelque trou seulement ? »
- « J’ai noble compagnie
Dont j’aurai du profit.
Je hais la pauvrerie :
Allez-vous en d’ici ! »

- « Monsieur, je vous en prie
Pour l’amour du Bon Dieu,
Dans votre hôtellerie
Que nous ayons un lieu. »
- « Cherchez votre retraite
Autre part, charpentier !
Ma maison n’est point faite
Pour des gens de métier. »
Il est neuf heures !

- « Madame du « Cheval rouge »
De grâce logez-nous
Dans quelque petit bouge,
Dans quelque coin chez vous. »
- « Mais je n’ai point de place ;
Je suis couchée sans drap
Ce soir sur la paillasse,
Sans autre matelas. »

- « Oh ! Madame l’hôtesse, »
Crie la Vierge à genoux,
« Pitié pour ma détresse :
Recevez-moi chez vous ! »
- « Excusez ma pensée, madame,
Je ne la puis cacher :
Vous êtes avancée, madame,
Et prête d’accoucher… »
Il est onze heures !

Dans l’état déplorable
Où Joseph est réduit,
Il découvre une étable
Malgré la sombre nuit :
C’est la seule retraite
Offerte à son espoir,
Ainsi que le prophète
Avait su le prévoir.
Il est minuit !

Il est minuit !

Il est né le divin enfant :
Sonnez, hautbois ! résonnez, musettes !
Il est né le divin enfant :
Sonnez, hautbois ! résonnez souvent !
Depuis plus de quatre mille ans,
L’avaient annoncé les prophètes.
Il est né le petit enfant :
Jouez, hautbois, résonnez souvent !

Il est né le divin enfant :
Sonnez, hautbois ! résonnez musettes !
Il est né le divin enfant :
Sonnez, hautbois, résonnez souvent !
Noël ! Noël ! Noël ! Noël !

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Guirlande de sapin - gif

2015-16. La France a besoin de retrouver les sources de sa pensée, de ce qui a fait sa grandeur et sa force.

Grandes armes de France

Discours prononcé par Monseigneur le duc d’Anjou,

Chef de la Maison de Bourbon,

lors de la réception du samedi 17 janvier 2015 qui a suivi

la sainte messe célébrée à la mémoire de Louis XVI

et pour la France :

Cher Amis,

Nous voici réunis une nouvelle fois autour de la mémoire de Louis XVI. Remercions le Père Augustin Pic d’avoir su, avec la hauteur du théologien, éclairer pour nous les aspects les plus profonds de sa personnalité de roi et de chrétien et en tirer les leçons applicables à nos vies quotidiennes.

Nous nous retrouvons chaque année à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat du roi, mais il n’est pas question pour autant de nous tourner simplement vers le passé avec nostalgie. Ceci serait contraire à la tradition royale que traduit la formule ancienne « le Roi est mort, vive le Roi ». Hymne à la vie, au progrès. Chaque roi, et Louis XVI en particulier s’est préoccupé de faire avancer la société, de l’adapter. Roi géographe, Louis XVI, a ouvert la France sur le monde ; épris de sciences humaines et politiques il avait compris que des réformes étaient nécessaires notamment en matière fiscale.

Voilà un roi qui n’aurait pas aimé notre société dont il est dit souvent qu’elle est bloquée, qu’elle est désenchantée notamment pour les plus jeunes.

La royauté était là pour ré-enchanter chaque génération. Saint Louis si commémoré l’an dernier, tant en France qu’à l’étranger a fait bouger les structures qui par nature ont toujours tendance à se scléroser. Il a réformé la justice, les impôts, renouvelé l’exercice de la charité, favorisé la paix et la diplomatie s’éloignant des guerres féodales. Ainsi, huit siècles après sa mort, le siècle de Saint-Louis est objet d’admiration.

Cette année nos regards et notre réflexion se porteront vers François Ier et Louis XIV. Deux autres symboles d’une monarchie active ayant oeuvré également pour les générations à venir.

Ces exemples éclairent notre mission. En commémorant, nous appréhendons les ressorts de l’action des rois et leurs effets. Or il me semble qu’il est très important d’avoir cette vision prospective pour notre temps si inquiet et qui a des raisons de l’être. Ce sentiment j’ai l’impression qu’il est partagé par beaucoup. Je l’ai ressenti lors de mes derniers déplacements à Paris mais aussi en province, à Bouvines à Aigues-Mortes ou encore dans le Missouri cet été. L’histoire et les commémorations servent de repères pour mieux guider notre action présente.

Ainsi lorsque je m’exprime sur tel ou tel événement du passé, bien évidemment j’honore une action d’hier d’autant plus que souvent elle s’est accompagnée du sacrifice de ceux qui y ont participé, mais chaque fois ma préoccupation est de savoir ce que cela apporte pour aujourd’hui, pour demain.

France qu’as-tu fait de ton histoire ?

Que peut-elle nous apprendre ?

Chacun peut voir la grande différence entre les façons de faire contemporaines et la politique des rois. Ils étaient animés par une vision du long terme. Voir loin pour bien gouverner c’est-à-dire toujours se poser la question « avec ce que je fais aujourd’hui, dans quelque domaine que ce soit, quelles seront les conséquences pour demain ? ». Notre société ne doit-elle pas s’interroger sur ses responsabilités et son rapport au temps ?

Ce souci du futur était associé à un profond sens de la justice, lié à ce don de l’Esprit Saint qui s’appelle la crainte de Dieu. De Saint-Louis à Louis XVI, tous les rois se sont posé la question des plus fragiles (les veuves, les orphelins, les enfants, les vieillards, les estropiés et les malades) et de leurs droits – de la naissance à la mort – afin qu’ils ne soient pas lésés. Ces questions ne sont-elles pas toujours d’actualité ? De cruelle actualité ?

Voilà à quoi servent les commémorations, à nous mettre en face des réalités du quotidien pour essayer de trouver des solutions. Le rappel des fondements de notre histoire peut nous y aider.

Voyez-vous si je tiens ces propos aujourd’hui, en cette période où il est traditionnel d’échanger des voeux c’est parce qu’il me semble que ce sont des voeux que nous pouvons tous formuler pour notre Chère France. Elle a besoin de retrouver les sources de sa pensée, de ce qui a fait sa grandeur et sa force : responsabilité dans l’action, justice pour tous, confiance, sens à donner à la société.

Avant moi, mes prédécesseurs, notamment mon grand-père et mon père, ont rappelé tout cela. Sans doute parlaient-ils trop tôt. Il me semble que ce langage est plus audible désormais. Le Saint-Père le tient. Les jeunes l’attendent. C’est à nous d’être les sentinelles de notre société et de lui apporter le fruit de l’expérience. A nous d’être des précurseurs. La récente actualité tragique nous y convie et comme le disait le Cardinal Vingt-Trois dimanche dernier « il ne faut jamais désespérer de la paix si l’on construit la justice ».

Ainsi je termine ces mots en vous demandant à tous de prendre aussi vos responsabilités dans tous les domaines où vous agissez, dans vos familles et dans la vie professionnelle ou associative. Nous ne courrons pas derrière une quelconque nostalgie mais nous souhaitons rendre notre monde meilleur. Tel est bien le message de dix siècles de monarchie. Toujours nous demander ce que la royauté pourrait apporter de neuf et de fort pour demain ! Tel est ma façon de voir.

Dans cet esprit, j’ai souhaité réorganiser les associations ayant pour objectif de mieux faire connaître l’histoire de la royauté française et de ses apports à la société. Il me semble qu’avec une seule association nous serons plus forts. Si l’autonomie des uns et des autres doit être préservée, l’unité dans la complémentarité est une nécessité. L’unité a toujours été au coeur de la pensée royale. Il fallait la retrouver.

J’ai aussi souhaité que les domaines de compétence soient mieux lisibles notamment vis-à-vis de l’extérieur. D’un côté avec l’Institut nous pouvons continuer la nécessaire oeuvre culturelle et d’approfondissement des connaissances; de l’autre avec mon secrétariat que j’ai voulu élargi, peut être menée une action plus ouverte, notamment sur les problèmes éthiques, sociaux et économiques auxquels la société est confrontée. Je continuerai ainsi mes déplacements en province et à l’étranger pour mieux comprendre les situations des uns et des autres et apporter le message d’espoir que peut représenter pour eux l’héritage de la monarchie française et des valeurs qu’elle véhicule.

J’espère tout au long de l’année vous retrouver nombreux, afin qu’ensemble, fidèles à la tradition nous sachions être des artisans du futur, voilà les voeux que je forme en ce début d’année, pour vous et vos familles et pour que la France, demeure fidèle à sa tradition de fille aînée de l’Eglise.

Merci de m’avoir écouté.

SAR Monseigneur le duc d'Anjou

S.A.R. le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, aîné des Capétiens.

Publié dans:Lectures & relectures, Memento, Vexilla Regis |on 19 janvier, 2015 |2 Commentaires »

2015-15. « L’homme n’est pas libre dans la mesure où il ne dépend de rien ni de personne : il est libre dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il aime… »

2001 – 19 janvier – 2015
Quatorzième anniversaire du rappel à Dieu
de
Gustave Thibon

       Une fois encore, la date du 19 janvier ramène l’anniversaire du rappel à Dieu de ce « Maître ès intelligence & profondeur spirituelle » que fut notre grand, notre incomparable, notre unique et insurpassable Gustave Thibonnotre Gustave !

   2001 – 2015 : quatorze ans que son âme a quitté cette terre pour – j’en ai la conviction intime – se laisser enfin embrasser par cette infinie et paisible Lumière à laquelle elle aspirait de toutes ses forces.
Quatorze ans ! Et cependant, je n’ai pas l’impression d’un éloignement ou d’une absence car Gustave Thibon m’est présent tous les jours.
Peut-être même plus proche de jour en jour.

Il ne m’est pas seulement présent par ses écrits : il est d’une certaine manière présent et vivant à l’intérieur de moi même, tant je lui dois, tant je ne serais pas aujourd’hui ce que je suis si je ne l’avais pas rencontré et s’il n’avait pas contribué à la formation et à l’épanouissement de mon intelligence et de ma spiritualité.

   En ces jours-ci, ces jours de janvier 2015 d’une manière très particulière, comme il est bon et salutaire de prendre du recul pour regarder les événements contemporains avec Gustave Thibon !
En ces jours-ci, ces jours de janvier 2015, où le mot « liberté » sert une fois encore de miroir aux alouettes, pour faire tomber les peuples dans les filets de manipulations de grande envergure tendus par les suppôts de satan à l’oeuvre en ce monde, la lucidité de Thibon est un puissant antidote aux poisons distillés par les politiques et les médias.
Voilà pourquoi il m’a paru particulièrement adapté à ces jours, ces jours-ci, de marquer ce quatorzième anniversaire de la mort de Gustave Thibon en vous donnant à lire et à relire ces lignes publiées en 1943.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.    

frise avec lys naturel

G. Thibon

Dépendance et liberté.

   « Les fausses mystiques qui dévorent l’âme moderne répugnent instinctivement à définir leur objet : c’est qu’elles pressentent que leur idole, une fois définie (c’est-à-dire ramenée à son humble mesure et à ses proportions relatives), ne pourra plus être adorée.

   Il en est ainsi de la liberté. Depuis un siècle et demi, bien des hommes sont morts pour ce mot, qui n’ont jamais cherché à en préciser le sens. Tout au plus l’idée de liberté flottait-elle en eux comme un vague mirage d’indépendance absolue et de plénitude divine.

   Allumons notre lanterne. Définir la liberté par l’indépendance recouvre une dangereuse équivoque. Il n’existe pas pour l’homme d’indépendance absolue (un être fini qui ne dépendrait de rien serait un être séparé de tout, c’est-à-dire éliminé de l’existence). Mais il existe une dépendance morte qui l’opprime et une dépendance vivante qui l’épanouit.
La première de ces dépendances est servitude, la seconde est liberté.

   Un forçat dépend de ses chaînes, un laboureur dépend de la terre et des saisons : ces deux expressions désignent des réalités bien différentes.
– Revenons aux comparaisons biologiques qui sont toujours les plus éclairantes. Qu’est-ce que « respirer librement » ? Serait-ce le fait de poumons absolument « indépendants » ? Tout au contraire : les poumons respirent d’autant plus librement qu’ils sont plus solidement, plus intimement liés aux autres organes du corps. Si ce lien se relâche, la respiration devient de moins en moins libre, et, à la limite, elle s’arrête. La liberté est fonction de la solidarité vitale.

   Mais dans le monde des âmes, cette solidarité vitale porte un autre nom : elle s’appelle l’amour.
Suivant notre attitude à leur égard, les mêmes liens peuvent être acceptés comme des attaches vivantes ou repoussés comme des chaînes, les mêmes murs peuvent avoir la dureté oppressive de la prison ou la douceur intime du refuge. L’enfant studieux court librement à l’école, le vrai soldat s’adapte amoureusement à la discipline, les époux qui s’aiment s’épanouissent dans les « liens » du mariage. Mais l’école, la caserne et le ménage sont d’affreuses geôles pour l’écolier, le soldat ou les époux sans vocation.

L’homme n’est pas libre dans la mesure où il ne dépend de rien ni de personne : il est libre dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il aime, et il est captif dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il ne peut aimer.

   Ainsi le problème de la liberté ne se pose pas en termes d’indépendance. Il se pose en termes d’amour. Notre puissance d’attachement détermine notre capacité de liberté. Si terrible que soit son destin, celui qui peut tout aimer est toujours parfaitement libre, et c’est dans ce sens qu’il est parlé de la liberté des saints.
A l’extrême opposé, ceux qui n’aiment rien ont beau briser des chaînes et faire des révolutions : ils restent toujours captifs. Tout au plus arrivent-ils à changer de servitude, comme un malade incurable qui se retourne sur son lit.

   Est-ce à dire qu’on doive accepter indifféremment toutes les contraintes et s’efforcer d’aimer tous les jougs ? Cette voie des saints ne saurait être proposée comme un idéal social. Tant que le mal et l’oppression seront de ce monde, il y aura des jougs et des chaînes à briser.
Mais ce travail révolutionnaire ne peut pas être une fin en soi : la rupture d’une attache morte doit aboutir à la consolidation d’un lien vivant.
Il ne s’agit pas d’investir chaque individu d’une indépendance illusoire : il s’agit de créer un climat où chaque individu puisse aimer les êtres et les choses dont il dépend. Si notre volonté d’indépendance n’est pas dominée et dirigée par ce désir d’unité, nous sommes mûrs pour la pire servitude.
Je le répète : l’homme n’a pas le choix entre la dépendance et l’indépendance ; il n’a le choix qu’entre l’esclavage qui étouffe et la communion qui délivre.
L’individualisme – nous ne l’avons que trop vu – n’est qu’un refuge provisoire ; nous ne sommes pas seuls ; nous ne pouvons pas nous abstraire les uns des autres, et, bien avant l’égalité suprême de la mort, le même destin nous emporte.
il dépend de nous seuls de faire ce destin commun favorable ou néfaste. Si nous ne vivons pas ensemble comme les organes d’un même corps, nous nous flétrirons et nous pourrirons ensemble comme ces feuilles sans sève, si indépendantes les unes des autres, si individualistes, mais que le même vent d’automne arrache et roule à son gré. Ou plutôt – car la France aussi ne peut pas s’abstraire du reste du monde – une force étrangère nous imposera du dehors cette unité que nous n’avons pas voulu créer du dedans.
L’alternative est claire : ou nous serons unis aujourd’hui dans le même amour ou courbés demain sous le même joug. »

« Retour au réel » - Première partie. § VI : « Dépendance et liberté » (pp. 157-161) - 1943.

frise avec lys naturel

Autres publications consacrées à Gustave Thibon dans les pages de ce blogue :
- « In memoriam : Gustave Thibon » (2008) > ici
- « Gustave Thibon : dix ans déjà ! » (2011) > ici
- « Eloignement et connaissance » (extrait de « Retour au réel ») > ici
- Le message de ND de La Salette au monde paysan > ici
- « Le goût de l’aliment éternel » > ici
- « Libertés » (extrait de « Diagnostics ») > ici
- « Eglise et politique » (in « Entretiens avec C. Chabanis ») > ici
- Le sport dans la société moderne > ici
- « Vertu c’espérance et optimisme » (in « l’Equilibre et l’harmonie ») ici
- Critique de la « démocratie » (in « Entretiens avec C. Chabanis ») ici
- Gustave Thibon : « La leçon du silence » > ici

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