1815 – 21 janvier – 2015
Voici la seconde partie du compte-rendu de la journée du 21 janvier 1815 publié par « L’Ami de la Religion et du Roi », relatant l’office solennel – véritable Messe de funérailles et pas seulement Messe de Requiem commémorative – célébré à la basilique nécropole royale de Saint-Denis.
Comme pour mes précédentes publications extraites de cet excellent périodique, j’ai scrupuleusement conservé la graphie, la ponctuation et les majuscules telles qu’elles se trouvent dans l’original. Comme précédemment aussi, j’ai seulement aéré le texte par les alinéas et sauts de texte qui s’accordent au sens, car, dans les feuillets de « L’Ami de la Religion et du Roi », il est extrèmement serré.
Ici encore, il m’a paru nécessaire, afin de faciliter au lecteur moderne la compréhension de certains usages ou la connaissance des personnages cités, d’ajouter une quinzaine de notes explicatives.
J’insisterai, afin de faire honte à nos contemporains qui s’agacent dès qu’une cérémonie religieuse excède une heure et quart – parce qu’elle leur paraît « interminable » - , pour rappeler les horaires de cette grande journée : les Princes avaient quitté les Tuileries à 8 h du matin ; la levée des corps chez Monsieur Descloseaux et le cortège jusqu’à Saint-Denis occupèrent toute la matinée, puisqu’il arriva à la porte de la basilique à midi ; après l’accueil des cercueils des Souverains martyrs à la porte et la formation du cortège pour entrer et prendre place dans la basilique, la Sainte Messe commença à 13 h 15 (cela signifie donc que Monseigneur de Caux, qui officia, était nécessairement à jeûn depuis minuit) ; avec l’éloge funèbre prononcé par Monseigneur de Boulogne et qui dura trois-quart d’heures, avec les cinq absoutes à la fin de la Messe, puis la descente dans les cryptes, cette cérémonie ne s’acheva qu’à 18h, selon le témoignage d’un contemporain que j’ai recueilli en un autre texte. Tout ceci, bien sûr, dans une basilique non chauffée par une journée glaciale de janvier !
En 1815 encore, semble-t-il, les Princes et les hommes d’Eglise n’en prenaient pas à leur aise avec les cérémonies du culte, qui sont les marques de l’honneur dû à Dieu, et ne se permettaient pas de les accomoder à leur convenance ou de les bâcler à simple fin de préserver leur petit confort…
Lully.
Sur le service funèbre à Saint-Denis
(in « L’Ami de la Religion et du Roi »)
2ème partie : la Messe solennelle de Requiem
et l’inhumation dans la nécropole royale.
A l’entrée de Saint-Denis, le clergé attendoit le convoi qui y est arrivé à midi. Le portail de l’église étoit tendu de noir. On y lisoit cette inscription tirée de la Genèse : Dormiam cum patribus meis, condasque in sepulcro majorum eorum (note 1).
Les cercueils, descendus du char funèbre, ont été placés, par MM. les gardes du corps de la compagnie écossoise, sur le sarcophage du catafalque. Autour se sont placés les Princes que nous avons nommés, les maréchaux, les ministres, le clergé de la grande aumônerie, les officiers de la maison du Roi, trois simples particuliers qui seuls ont eu le privilège de voir d’aussi près cette cérémonie, MM. Hue, Descloseaux et Desèze (note 2) ; de l’autre côté, les princesses, les pairs, les généraux, les ambassadeurs et les députés. Derrière, beaucoup de personnes en deuil.
M. de Vintimille, évêque de Carcassonne (note 3), a présenté le corps à la place de Mgr. le grand-aumônier (note 4), qui étoit indisposé ; M. de Caux, évêque d’Aire (note 5), a reçu le corps et a officié.
La messe a commencé à une heure un quart. Trois Princes et trois Princesses sont allés à l’offrande (note 6), savoir : MONSIEUR et les deux Princes ses fils (note 7) ; Madame la duchesse et Mademoiselle d’Orléans (note 8), et Madame la Princesse de Bourbon (note 9).
Après l’évangile, M. l’évêque de Troyes (note 10) est monté en chaire. La curiosité publique étoit puissamment excitée par le désir d’entendre cet orateur, et dans une telle circonstance. On savoit qu’il n’avait reçu que le 12 de ce mois la nouvelle du choix que S.M. avoit fait de lui pour prononcer le discours, et quelque idée que l’on eût de son talent, on ne pouvoit s’empêcher de craindre que l’excessive brièveté du temps ne lui eût pas permis de donner à son travail sa perfection accoutumée. Il n’avoit eu à peine que six jours pour composer son discours, puisqu’il avoit eu l’honneur de le lire, le 19, devant le Roi, dans le cabiner de S.M., qui avoit souhaité l’entendre. Au surplus, ces craintes ont dû être bientôt dissipées, et M. l’évêque de Troyes a montré que son talent savoit triompher des obstacles.
Quelques journaux ont essayé de donner une analyse de ce discours. Il nous a paru que ces extraits secs et mutilés étoient loin de rendre les pensées de l’orateur avec exactitude et ses expressions dans toute leur énergie, et nous avons mieux aimé nous borner à en citer deux passages, où nous espérons que ceux qui ont entendu M. l’évêque de Troyes, le retrouveront plus fidèlement représenté.
« Ah ! Il me semble le voir ici ce royal cœur se ranimer et palpiter encore au nom de ce peuple qui lui fut si cher. Il me semble voir sa poussière se réveiller sous ce drap mortuaire, et vous adresser du fond de son tombeau ces tendres et touchans reproches : O mon peuple, que vous ai-je fait, et en quoi vous ai-je été contraire ? Répondez-moi. Responde mihi (note 11). O vous qui fûtes constamment l’objet de mes travaux, vous dont on me disoit que j’étois aimé quand on vouloit me consoler dans mes peines ! Répondez-moi, que vous ai-je fait ? Quid feci tibi ? Quelle demande m’avez-vous faite, et que je ne vous ai pas accordée ? Quel vœu avez-vous formé pour votre bonheur, et auquel je n’aie pas souscris ? Quelle misère, et que je n’aie pas voulu soulager ? Quel abus, et que je n’aie pas voulu réformer ? Quel sacrifice, et que je ne me sois pas imposé ? Quel roi en a donc fait autant que moi ? Et dans vint ans n’ai-je pas répondu sur vous tous les bienfaits de plusieurs siècles ? Responde mihi. Mais que répondrons-nous, Messieurs, tandis qu’ici tout nous accuse, en même temps que tout le justifie ? Que répondre, tandis que l’évidence même dépose contre nous, que le règne des illusions s’est enfin dissipé, que le jour de la vérité nous éclaire tous maintenant, et que son innocence, montée jusqu’au ciel, retentit par toute la terre ? Ah ! C’est la douleur, ce sont les larmes, c’est le silence de la contemplation qu’il nous faut pour toute réponse. C’est un saisissement et de honte et d’effroi en voyant que le prix de tant de bienfaits, que la récompense de tant de vertus, et que la réponse à tant de sacrifices a été… un échafaud ! »
Nous regrettons de n’avoir pu saisir, avec la même fidélité, le morceau qui suit immédiatement, et où l’orateur, retournant en quelque sorte sa prosopopée, interroge à son tour le Prince lui-même d’une manière à la fois hardie et mesurée, et lui demande pourquoi par une noble et touchante erreur de sa grande âme, il crut toujours les autres aussi vertueux que lui-même, et ne se défia jamais que de lui, tandis qu’il ne devoit se défier que des autres.
Nous citerons encore ce second morceau :
« Saluons-le donc aujourd’hui Roi Martyr, puisqu’aussi bien les impies l’ont mis à mort, moins encore peut-être par haine pour la royauté que par haine pour sa religion et pour l’Eglise sainte dont il étoit le digne fils aîné ; ainsi que par sa constante résistance à souiller sa main, en scellant la proscription de ses ministres. Saluons le Roi Martyr, puisqu’aussi bien c’est de ce nom que l’appelle un grand et saint pontife… « O jour de triomphe pour Louis, s’écrit-il, à qui Dieu a donné et la patience dans les grandes infortunes, et la victoire sur l’échafaud ! Nous avons la ferme confiance qu’il a heureusement changé une couronne fragile et des lis qui se seroient bientôt flétris, en un diadème impérissable que les anges eux-mêmes ont tissu de lis immortels » (note 12). Ainsi s’exprimoit l’immortel Pie VI, lequel alors ne prévoyait pas encore qu’il seroit martyr lui-même, et qu’un destin à peu près semblable associeroit son nom à la gloire de ce monarque, objet de sa vénération ; belles et touchantes paroles, favorable présage de l’harmonie et de l’heureux accord qui va régner entre le successeur de l’un et le successeur de l’autre ; entre un Pie nouveau, honneur de la tiare, et un nouveau Louis, honneur de la couronne ; qui doivent resserrer plus que jamais les liens antiques et sacrés qui unissent l’Eglise de France et l’Eglise de Rome ; préparer par la restauration de l’épiscopat la restauration de l’Empire, et soutenir ainsi l’un par l’autre le trône de Saint Pierre et le trône de Saint Louis.
Mais s’il est permis de croire que le Monarque que nous pleurons n’a plus besoin de nos prières, il ne l’est pas moins de penser qu’il nous accorde déjà les siennes, et qu’il préside déjà du haut des cieux au destin de la France. Il n’est pas moins doux de penser qu’il va être accompli ce vœu sublime de son amour, cette dernière expression de son cœur : Je désire que mon sang fasse le bonheur de la France. Paroles admirables ! Est-ce un homme, est-ce un ange qui les a prononcées ? Ah ! Que ne peuvent-elles percer les voûtes de ce temple, voler jusqu’aux extrémités de l’univers, afin que l’univers répète jusqu’aux âges les plus reculés : Je désire que mon sang fasse le bonheur de la France. Oui, Prince magnanime autant qu’infortuné, votre mort le fera ce bonheur de la France, comme la mort de Jésus-Christ a procuré le salut du genre humain. Le sang du juste est monté jusqu’au ciel, non pour crier vengeance, comme celui d’Abel, mais pour crier grâce et miséricorde. Il nous couvrira comme d’un bouclier, il nous protégera, il s’interposera entre le ciel et nous. Il nous réconciliera avec Dieu, avec nos frères, avec nous-mêmes. Il éteindra toutes les haines et toutes les discordes. Il fertilisera cette terre de tant de crimes et de tant d’égarements, pour y faire germer les vertus de nos aïeux. Il ranimera cet esprit religieux qui fit toute leur gloire, il ressuscitera l’honneur antique, il renouvellera le sang françois en renouvelant le sang chrétien. Il scellera la nouvelle alliance qui vient d’unir le Roi et ses sujets, et les Lis qu’il arrosera relevant leur tige superbe, et plus belle et plus vigoureuse, brilleront d’un éclat immortel. »
Après ce discours, qui a duré trois quarts d’heure, et qui a été écouté avec un religieux silence, le célébrant a continué la messe.
Les absoutes (note 13) ont été faites par quatre évêques, et la dernière par le célébrant. On a transporté ensuite les corps dans les caveaux (note 14). Les Princes les y ont accompagnés un cierge à la main, et avec l’expression de la plus vive émotion.
Ainsi s’est terminée cette cérémonie imposante et mémorable. Tous ceux qui en ont été témoins ont été frappés de tout ce qu’elle avoit de majestueux et de touchant.
La décoration funèbre de ce grand édifice, la présence de ces précieuses dépouilles échappées aux ravages des temps et à la fureur des bourreaux, l’attitude religieuse des Princes qui présidoient à cet acte expiatoire, le deuil et le silence universels, toutes ces grandes images de la mort et de la religion, contribuoient à inspirer le recueillement. Jamais Roi n’étoit descendu dans la tombe en laissant de plus cruels souvenirs ; jamais Saint-Denis n’avoit vu de services funèbres qui laissassent dans l’âme une impression plus triste et plus profonds.
Le même jour, des services funèbres ont eu lieu dans toutes les églises de la capitale. Celui de la Métropole (note 15) a été surtout remarquable par sa pompe. Partout le concours et la piété des fidèles ont ajouté à l’intérêt de la cérémonie. »
La crypte des Bourbons à Saint-Denis telle qu’elle se présentait jusqu’en 1975 :
les cercueils de tous les Princes de la Maison de Bourbon, conformément à la tradition observée pendant tout l’Ancien Régime, n’étaient pas enterrés, mais simplement posés sur des tréteaux ;
les deux cercueils signalés par des flèches jaunes sont ceux de Leurs Majestés le Roi Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette, tels qu’ils furent ramenés du cimetière de la Madeleine et placés là le 21 janvier 1815.
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Notes explicatives :
note 1 : « Dormiam cum patribus meis (…) condasque in sepulcro majorum eorum » Genèse 49, 30 : ce sont les paroles par lesquelles le patriarche Jacob mourant recommande à son fils Joseph de ramener son corps dans la terre promise pour l’ensevelir à Hébron avec Abraham et Isaac : « Je dormirai avec mes pères (…) et tu me placeras dans le sépulcre de mes ancêtres ».
note 2 : MM. Hue, Descloseaux et Desèze
– François Hüe (1757 – 1819), huissier de la chambre de Louis XVI, choisit de suivre la famille royale au Temple, arrêté le 2 septembre 1792 il échappa aux massacres ; plus tard il accompagna Madame Royale à Vienne. En 1806, il avait publié ses Mémoires sur « Les dernières années de règne et de la vie de Louis XVI ». Louis XVIII le créa baron en 1814.
- Louis Olivier Pierre Desclozeaux (1732 – 1816), voir la note 11 ici > www.
- Raymond Desèze, plus communément appelé Romain de Sèze (1748 – 1828), désigné par Louis XVI pour être adjoint à MM. Malesherbes et Tronchet, il prononça avec courage et conviction la défense du Roi devant la convention. En 1815, il est nommé président de la cour de cassation et élevé à la dignité de pair de France, fait comte en 1817.
note 3 : M. de Vintimille, évêque de Carcassonne – François-Marie Fortuné de Vintimille (1730 – 1822), des comtes de Marseille du Luc ; évêque de Carcassonne en 1788, refusa le serment schismatique et s’exila, refusa toujours la suppression de son diocèse par le concordat napoléonien et, en conséquence, refusa de démissioner.
note 4 : Mgr. le grand-aumônier : Monseigneur Alexandre Angélique de Talleyrand-Périgord, voir la note 5 ici > www.
note 5 : M. de Caux, évêque d’Aire : Monseigneur Sébastien Charles Philibert de Cahuzac de Caux, voir la note 6 ici > www.
note 6 : l’offrande – comme c’est un usage qui a malheureusement disparu ou presque (nous ne le déplorerons jamais assez !), il nous faut rappeler ce dont il s’agi(ssai)t : l’offrande est un rite hérité des anciens usages gallicans. Immédiatement après la lecture de l’antienne de l’Offertoire, le Célébrant, à l’entrée du sanctuaire, présente à baiser aux fidèles un crucifix ou un instrument de paix ; les fidèles déposent alors dans un plateau de cuivre leur offrande.
note 7 : Monsieur et les deux Princes ses fils : Charles-Philippe de France, comte d’Artois – futur Charles X – , et ses fils : Louis-Antoine, duc d’Angoulème, futur Louis XIX, et Charles-Ferdinand, duc de Berry qui sera assassiné le 14 février 1820.
note 8 : Madame la duchesse d’Orléans : Louise-Marie-Amélie de Bourbon-Siciles (1782 – 1866), épouse de Louis-Philippe d’Orléans, futur usurpateur du trône. Mademoiselle d’Orléans : Adélaïde d’Orléans (1777 – 1847), soeur puinée et confidente de Louis-Philippe.
note 9 : Madame la Princesse de Bourbon : Bathilde d’Orléans (1750 – 1822), soeur de « Philippe Egalité » et épouse de Louis VI Henri de Bourbon-Condé, mère de Louis-Antoine duc d’Enghien.
note 10 : M. l’évêque de Troyes : Monseigneur Etienne-Antoine de Boulogne ; voir la note 8 ici > www.
note 11 : »O mon peuple, que vous ai-je fait, et en quoi vous ai-je été contraire ? Répondez-moi » : reproche du Christ à Son peuple, qui commence le chant des Impropères du Vendredi Saint, et qui dès avant le procès du Roi Louis XVI inspira une célèbre « complainte de Louis XVI aux Français », dont on trouvera l’historique, le texte et l’enregistrement ici > www.
note 12 : Allocution de Sa Sainteté le Pape Pie VI lors du consistoire du 11 juin 1793 ; on en trouvera le texte ici > www.
note 13 : Les absoutes – Selon l’usage, les Messes Solennelles des funérailles des Souverains Pontifes, cardinaux légats, évêques métropolitains, évêques diocésains, empereurs, rois, princes ou seigneur du lieu sont suivies de cinq absoutes données par cinq dignitaires ecclésiastiques ; la dernière absoute est donnée par le célébrant. La cérémonie des cinq absoutes ne se célèbre normalement qu’une seule fois pour un défunt et toujours en présence du corps – habituellement aux funérailles – : on voit par là que cette cérémonie du 21 janvier 1815, 22 ans après la mort du Roi, était donc considérée comme sa véritable cérémonie de funérailles.
note 14 : La crypte des Bourbons est située sous le choeur et le maître-autel de la basilique. Contrairement à leurs prédécesseurs, les Bourbons n’ont pas de tombeaux monumentaux à Saint-Denis, mais, comme expliqué dans la légende de la photographie ci-dessus, les cercueils des Souverains et Princes de la Maison de Bourbon sont simplement déposés sur des tréteaux dans la crypte qui leur est attribuée. Des travaux réalisés en 1975 ont changé cet ordre de choses et les cercueils des Bourbons ne sont désormais plus visibles, cachés par des plaques funéraires de marbre noir.
note 15 : La Métropole : il s’agit bien sûr de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
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Avers et revers de la médaille commémorative de la pompe funèbre du 21 janvier 1815
(oeuvre d’Andrieu)
Avers : inscription « Ludovicus XVIII Rex Christianissimus » (Louis XVIII Roi Très Chrétien) – le Souverain est représenté de profil, tête et col nus, cheveux longs, rejetés en arrière et retombant librement en boucles sur les épaules, avec de légers favoris.
Revers : inscription « Ludovico decimo sexto a scelestis impie obtruncato Gallia liberata rediviva moerens hoc luctus monumentum consecrat » (la France délivrée, reconnaissante et désolée, consacre ce monument de deuil à Louis XVI décapité de façon impie), au-dessus d’un palme de martyr et d’une branche de cyprès entrecroisées.