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2013-64. Lettre ouverte à un Grand Aumônier de France retourné à Dieu.

Jeudi 22 août 2013,
fête du Coeur immaculé de Marie (cf. > ici).

2013-64. Lettre ouverte à un Grand Aumônier de France retourné à Dieu. dans Chronique de Lully abbe-chanut-aux-funerailles-de-mme-la-duchesse-de-segovie-11-mai-2012

Monsieur l’abbé Christian-Philippe Chanut
récitant les prières de l’absoute
aux funérailles de Madame la Duchesse de Ségovie
(Paris, église du Val de Grâce – 11 mai 2012) 

Cher, très cher Monsieur le Grand Aumônier,

       Le téléphone du Mesnil-Marie a sonné ce samedi 17 août vers 18h.
Dès que j’eusse reconnu la voix de notre amie commune, et avant même qu’elle n’eût formulé l’annonce de votre décès survenu quelque trois heures auparavant, j’ai su que votre âme avait quitté cette vallée de larmes…

   Mon dessein n’est pas de revenir ici sur votre biographie, plusieurs sites l’ont déjà évoquée et il me suffit d’y renvoyer (par ex. « Summorum Pontificum » > ici).
En me décidant à écrire, à vous écrire, aujourd’hui je désire faire oeuvre de justice, dans une note toute personnelle.

   Je vous ai rencontré pour la première fois le samedi 4 février 1995 : c’était le jour de la fête de Sainte Jeanne de France. Des relations communes m’avaient introduit auprès de vous, m’avaient fortement encouragé à m’ouvrir à vous et à solliciter vos conseils ; je me trouvais alors dans telle une période de désarroi et d’inquiétudes, environné de pièges et de dangers…
Vous m’avez écouté, avec beaucoup d’attention. Votre regard me scrutait avec une vraie sollicitude sacerdotale qui n’était en rien inquisitoriale ; vos questions, au-delà des explications qu’elles appelaient, avaient-elles finalement un autre but que de me permettre à moi-même de me les poser de la bonne manière, afin de découvrir – adjuvante Deo – les bonnes réponses ?
Jamais auprès de vous, je n’ai éprouvé ce sentiment de malaise qu’ont provoqué en moi tant de prêtres et de religieux qui, dès lors qu’on s’ouvre un peu à eux, donnent l’impression de vouloir en profiter pour s’imposer comme « directeurs spirituels » et « conseillers éclairés » dont le Saint-Esprit ne pourrait en aucune manière se passer !

   Nous nous rencontrâmes ensuite de manière irrégulière, au gré du calendrier des pèlerinages et des « cérémonies royales » à l’occasion desquelles j’eus, à plusieurs reprises, l’honneur d’être votre cérémoniaire, à la Chapelle Expiatoire ou à la Basilique nécropole royale de Saint-Denys.
A chacune de ces rencontres, sans beaucoup de mots, j’étais sensible à vos marques d’attention, à vos réflexions judicieuses, à votre sollicitude non feinte, à vos encouragements qu’une note d’humour affranchissait de toute condescendance, à l’exquise délicatesse que vous étiez capable de voiler sous les apparences de votre affable débonnaireté (ceux qui ne vous ont point connu ne peuvent avoir l’idée de ce à quoi je fais allusion).

   Nos échanges téléphoniques, sans être très fréquents, avaient toujours quelque chose d’un peu surréaliste : vous qui portiez de nombreuses et lourdes responsabilités, vous qui fréquentiez tant de « grands » – de la société ou de la pensée -, vous qui connaissiez tant de prêtres et de religieux, lors même que nous ne nous étions pas vus ou parlé depuis des mois, vous vous adressiez à ce pauvre petit moine comme si nous nous étions simplement quittés la veille et comme si (mais fallait-il écrire ce « comme si » ?) vous saviez ce que beaucoup de personnes pourtant côtoyées quotidiennement étaient, elles, incapables de percevoir.

   Tout le monde s’accordera à célébrer votre intelligence – vive et brillante -, votre science encyclopédique, votre éloquence admirable, la pertinence de vos analyses et la sagacité de vos jugements : je n’en parlerai donc pas.

   Lorsque votre décès m’a été annoncé, en revanche, il y a une réflexion du Saint Evangile selon Saint Jean qui m’est aussitôt revenue en mémoire : «Ipse autem Iesus non credebat semetispum eis, eo quod ipse nosset omnes. Et quia opus ei non erat ut quis testimonium perhiberet de homine ; ipse enim sciebat quid esset in homine » (Johan. II, 24-25) : Mais Jésus ne se fiait point à eux, parce qu’il les connaissait tous. Et parce qu’il n’avait pas besoin que personne lui rende témoignage d’aucun homme, car il savait par lui-même ce qu’il y avait dans l’homme.
Comme j’ai envie de vous appliquer à vous-même ces deux versets !

   Vous n’aviez point d’illusion sur ce qu’il y a dans l’homme et sur ce que l’on peut attendre des hommes.
Vous avez, par expérience – par tant de douloureuses expériences ! -, su ce dont les hommes sont capables, spécialement lorsque ce sont des « hommes d’Eglise », et vous avez bien connu à quelles mesquineries et méchancetés se peuvent livrer ceux qui, par vocation et par état, sont cependant et malgré tout des représentants de Dieu ici-bas…

Vous avez aussi éprouvé ce que sont capables de faire des supérieurs ecclésiastiques médiocres et sans talent, lorsqu’ils se rendent compte que l’un de leurs subordonnés est plus brillant et davantage capable qu’eux, mais qu’au lieu d’en tirer profit avec humilité, pour la gloire de Dieu, ils laissent libre court à ce que leur inspire ce qu’il y a de plus malheureusement humain en eux ! 
Je ne vous ai jamais trouvé amer en face de ces expériences qui font pourtant si mal. Votre bon sens surnaturel et votre humour – qui n’empêchent point la souffrance – vous aidaient à rebondir, et à grandir encore. 

   Monsieur le Grand Aumônier de France – puisque comme nous avions plaisir à vous appeler ainsi avec une respectueuse affection, en raison de la dignité dont vous avait revêtu notre regretté Prince Alphonse – , en d’autres temps (j’avais envie d’écrire : « en des temps normaux », car en définitive ce Grand Siècle que vous affectionniez tant n’était-il pas bien plus « normal » que l’effrayante période en laquelle nous sommes immergés ?), vous eussiez tout naturellement été promu à l’épiscopat : cela me paraît une évidence.
Mais, en sus de l’orthodoxie doctrinale, le talent, l’intelligence et la culture, surtout lorsqu’ils s’allient à l’indépendance d’un jugement sûr et à l’humour le plus fin, ne sont pas les vertus les plus signalées pour être évêque ou cardinal aujourd’hui au Royaume de France !

   Au sortir de l’hiver, alors que votre maladie donnait l’impression d’une rémission et peut-être d’un mieux, vous aviez confié à nos amis communs votre projet de passer au Mesnil-Marie au cours de cet été…
Las ! Le crabe ne faisait que semblant de dormir, et, depuis trois mois, nous avons suivi avec douleur, dans la prière, l’implacable évolution du mal qui vous rongeait.

   En ce jour radieux où nous célébrons la fête du Coeur immaculé de Marie, la Messe de vos funérailles a été célébrée ce matin par Monseigneur votre évêque dans votre paroisse de Milly-la-Forêt.
Nos prières continuent pour vous : vous le savez, je ne suis pas de ceux qui se font illusion en pensant, même au sujet de personnes très chères et très estimées, qu’elles vont au Ciel tout droit. 

   A Dieu, cher Monsieur le Grand Aumônier ! Nous prions pour le repos de votre âme : nous prions pour que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous donne la récompense promise aux bons et fidèles serviteurs, nous prions pour que la céleste Reine de France – dans l’octave de l’Assomption de laquelle vous avez quitté cette terre -, pour que Saint Michel et pour que les Saints innombrables qui ont illustré l’Auguste Maison de France, vous introduisent très bientôt dans le Royaume Eternel dont le Royaume de France a pour vocation d’être une image, nous prions pour que vous retrouviez sans tarder notre cher et regretté Prince Alphonse et notre bonne Princesse Emmanuelle, auprès desquels vous avez exercé un si beau et précieux ministère…

Merci ! Merci mille fois, cher Monsieur l’Abbé ! 

Frère Maximilien-Marie.

frise lys deuil

2013-61. « Ainsi finit le Régiment des Gardes Suisses du Roi de France… »

10 août,
Fête de Saint Laurent, diacre et martyr.

Lacrymosa dies illa !

       J’ai déjà publié dans ce blogue le récit autobiographique de Pauline de Tourzel racontant la manière dont elle avait vécu cette terrible journée du 10 août 1792 dont la seule évocation nous tire des larmes et nous fait frisonner d’horreur (cf. > ici) ; en 2012, j’ai également mis en ligne quelques « Simples réflexions à propos du 10 août » (cf. > ici) auxquelles je me permets de vous renvoyer.
Aujourd’hui, c’est la narration du colonel de Pfyffer d’Altishoffen que l’on trouve dans l’ouvrage intitulé « Récit de pièces relatives au monument de Lucerne consacré à la mémoire des officiers et soldats suisses morts pour la cause du roi Louis XVI, les 10 août, 2 et 3 septembre 1792, avec un récit de la conduite du régiment des Gardes suisses », édité en 1821, que je vous invite à lire dans sa quasi intégralité.
Ce texte est un peu long, mais il est nécessaire de maintenir la mémoire de ces funestes événements, et d’en connaître certains détails provenant d’un témoin et qui ne sont évidemment pas rapportés par les mensonges de l’histoire officielle de la république…

2013-61. « Ainsi finit le Régiment des Gardes Suisses du Roi de France... » dans Chronique de Lully frise-lys

       « Dès le commencement de la révolution, la situation du Régiment des Gardes Suisses fut singulièrement pénible (…).
Le Régiment, environné de périls, harassé de fatigues, développa, dans toutes ces circonstances, un caractère inaltérable de sang-froid, d’ordre, de discipline. Il conserva dans le trouble, sa ponctualité de service des temps calmes : on n’épargna rien pour corrompre les soldats, promesses, menaces, séduction de principes, exemple des autres troupes, tout fut employé, rien ne les ébranla. Leur fidélité jeta l’ancre au milieu de la tempête politique qui les investissait de toutes parts.

   Un décret de l’assemblée constituante avait anéanti la discipline dans l’armée. Il n’eut jamais aucune influence sur le Régiment ; ce furent les soldats eux-mêmes qui réclamèrent le maintien des antiques règlements. Le corps entier ne formait qu’une famille, où le sort et les intérêts étaient mis en commun. Cet esprit de famille animait au même degré les subalternes et les chefs.
Il est un genre de récompense qu’une conduite noble, fière, toujours semblable à elle-même ne manque jamais d’obtenir. Partout où un détachement des Gardes Suisses se présentait, il était respecté, quelque faible qu’il fut. 

   Cependant les circonstances de la révolution allaient toujours croissant de gravité ! Chaque jour augmentait les fatigues des troupes fidèles, et il n’était personne qui ne prévît une catastrophe inévitable et prochaine. Cette considération détermina les officiers qui étaient, autorisés à aller jouir de leur semestre en Suisse à y renoncer, pour rester auprès de la personne du Roi et partager le sort de leurs camarades : on leur fit connaître que l’intention formelle de Sa Majesté s’y opposait. Tous insistèrent, tous chargèrent Monsieur le colonel d’Affry d’émettre de nouveau au ministre de la guerre leur vœu formel à cet égard ; mais ces instances ne produisirent qu’un ordre positif du Roi, que tous les officiers portés sur la liste des semestriers eussent à partir !
Le malheureux Prince cherchait à écarter l’ombre de ce qui eût pu donner du soupçon.

   A mesure que le danger devenait imminent et que l’on approchait de la crise, le caractère de loyauté du Régiment se prononçait davantage.
Le sort qu’on devait attendre était connu de chacun, mais tous voulurent mourir plutôt que de compromettre l’honneur et la réputation des Suisses, et de souiller des drapeaux sans tache !

   De tous côtés, il arrivait des rapports sur les intentions hostiles des Marseillais, et l’on manquait de munitions !
Depuis longtemps, les canons du régiment avaient été livrés sur ordre supérieur, contre lequel le corps des officiers avait en vain protesté. Les menaces des fédérés obligèrent les chefs à consigner les soldats dans les casernes ; on voulait éviter des querelles qui pouvaient avoir des suites fâcheuses et fournir des prétextes à la malveillance.

Les officiers profitèrent de ce temps de retraite pour retracer aux soldats leurs devoirs ; ils le tirent avec confiance et simplicité, ils leur montrèrent l’approche de l’orage, ils leur dirent que le temps était venu où leur fidélité serait mise à la plus rude épreuve !
Il faut le dire à l’honneur de ces braves, les exhorter était chose inutile ; pas un seul n’hésita.

Il n’y a que les âmes généreuses qui puissent bien comprendre une telle situation : elle dura plusieurs jours. 

gardes-suisses-sous-louis-xvi 10 août 1792 dans Lectures & relectures

Uniformes de la Garde Suisse sous Louis XVI

   Le 4 août, le Régiment reçut ordre de se porter sur Paris (l’on savait alors que les fédérés et les faubourgs devaient attaquer les Tuileries).
Le Régiment partit la nuit des casernes de Courbevoie et de Rueil, après avoir enterré une partie des drapeaux. Le marquis de Maillardoz, lieutenant-colonel, et le baron de Bachmann, major, vinrent au-devant. Le corps marchait dans le plus grand silence, avec les précautions usitées en temps de guerre en pays ennemi. Ce silence même, un ordre admirable, la contenance ferme et froide des soldats, imposèrent sans doute aux factieux. Tout fut tranquille au château et, la même nuit, le régiment retourna aux casernes.
Le lendemain, on en détacha trois cents hommes qu’on envoya en Normandie.

   Depuis le 4 août jusqu’au 8, la fermentation se développa. Dans tous les carrefours, les agents de la conspiration ameutaient et soulevaient le peuple. On les entendait provoquer publiquement au meurtre, au siège des Tuileries, au « châtiment du tyran ».

   Le 8 août, sur les huit heures du soir, Monsieur d’Erlach, capitaine de garde, remit à Monsieur de Glutz, aide-major, un ordre conçu en ces termes : « Monsieur le Colonel ordonne que le régiment soit rendu demain, à trois heures du matin, aux Tuileries » (…).

   On fit le partage des cartouches aux casernes, et l’on ne put pas en distribuer trente par homme !
Tout le monde marcha : ceux qu’un âge avancé dispensait du service voulurent le faire ce jour-là. Il ne resta aux casernes qu’un petit nombre de malades et les fourriers.
A la porte Maillot, une ordonnance venant de Paris remit au commandant un laissez-passer, signé Pétion.

   La nuit suivante (celle du 9 au 10 août), Messieurs Mandat, de Maillardoz et de Bachmann firent occuper les divers postes du château par la garde nationale et par les Suisses. On en plaça dans les cours, à la Chapelle, à la porte royale. Le baron Henri de Salis, comme le plus ancien capitaine du Régiment, commandait les postes des escaliers et de la cour de la Reine, et avait sous ses ordres le chevalier de Gibelin, sous aide-major, trois-cents hommes commandés par le capitaine de Dürler, qui avait sous lui Monsieur de Pfyffer d’Altischoffen, capitaine, et Monsieur de Glutz, aide-major. Ils étaient placés dans la cour dite des Suisses, pour se porter comme réserve où l’on en aurait besoin (…). 

   Des gentilshommes, des personnes sincèrement attachées au Roi, s’étaient rendus au château en assez grand nombre, armés d’épées et de pistolets (…).

   A onze heures du soir, on avait l’avis que le tocsin serait sonné à minuit. Bientôt on eut connaissance au château de l’arrêté du Faubourg Saint-Antoine dont voici les principaux articles : « Assiéger le château, exterminer tout le monde qui s’y trouvera, surtout les Suisses, forcer le Roi à abdiquer, et le conduire avec la Reine et la famille royale à Vincennes, pour s’en servir comme otages, pour le cas où les étrangers se porteraient sur Paris ».

   A minuit, l’on entendit sonner le tocsin et battre la générale.
Monsieur de Bachmann s’assura que tout était en ordre ; il donna des instructions aux officiers ; il envoya des officiers de l’état-major visiter les postes. Depuis ce moment, cet officier ne quitta pas le roi un seul instant. L’Europe sait qu’il a eu le même sort que ce Prince.
Le son lugubre du tocsin, loin de décourager les soldats, les animait toujours davantage.

   A deux heures du matin, quatre bataillons des faubourgs étaient déjà arrivés sur la place du Carrousel pour exécuter leur horrible projet ; ils n’attendaient que leurs complices.

   Entre quatre et cinq heures, Monsieur Mandat recul l’ordre de se rendre à la commune. On l’attendait pour l’égorger sur les degrés de l’Hôtel de Ville : on savait qu’il avait en sa possession un ordre, signé Pétion, de repousser la force par la force ; on supposait faussement qu’il le portait sur lui, et l’on voulait par le meurtre soustraire celle pièce à la publicité.

   Vers six heures du matin, le Roi tenant par la main Monseigneur le Dauphin, descendit dans la cour royale, accompagné de quelques chefs de division et de commandants de la garde nationale, et de Messieurs de Maillardoz et de Bachmann.
Il passa d’abord devant la garde nationale, puis devant les Suisses, qui crièrent : « Vive le Roi ! »
Au même instant, un bataillon armé de piques, qui entrait dans la cour, criait à tue-tête : « Vive la Nation ! »
Il en résulta une discussion très vive, à laquelle les canonniers de la garde nationale surtout prirent beaucoup départ. Monsieur de Dürler parvint néanmoins à les calmer, en leur représentant, dans son singulier langage, que le Roi et la Nation ne faisaient qu’un.
Le bataillon qui venait d’entrer dans la cour reconnut qu’il n’était pas à sa place et ils allèrent se ranger parmi leurs pareils.

   Bientôt après, Monsieur Roederer, procureur-général syndic, assisté d’un membre de la commune, tous deux en écharpe tricolore, et Monsieur de Boissieux, maréchal de camp, parcoururent tous les postes. Ils proclamèrent verbalement l’ordre déjà reçu par écrit, de défendre le château et de repousser la force par la force. Voici les termes de la proclamation : « Soldats, un attroupement va se présenter ; il est enjoint par le décret du 3 octobre, à nous, officiers de la loi, de requérir vous, gardes nationales, et vous, troupes de ligne, de vous opposer à cet attroupement, et de repousser la force par la force ».
Alors ceux des gardes nationaux qui n’avaient pas chargé, chargèrent leurs fusils, et les canonniers leurs pièces. 

prise-des-tuileries fin de la monarchie dans Memento

   A sept heures, les murmures recommencèrent, et des bataillons entiers de gardes nationaux se retirèrent : les uns allèrent rejoindre les factieux, un grand, nombre rentrèrent dans leurs foyers.
Ce fut alors qu’une députation de la garde nationale, conduite par Monsieur Roederer, Monsieur de Baumez et un troisième membre du département de Paris, vint solliciter le Roi, qui rentrait dans l’intérieur du château, de se rendre dans le sein de l’assemblée nationale.
Monsieur de Bachmann, témoin des instances par lesquelles on cherchait à arracher la détermination du monarque, se retourna vers Monsieur de Gibelin et lui dit : « Si le Roi va à l’Assemblée, il est perdu ».
Ce sont les dernières paroles que les camarades de ce chef vertueux aient recueillies de sa bouche. La Reine fit d’inutiles efforts pour empêcher ce funeste départ, après lequel la plus héroïque résistance ne pouvait plus avoir un heureux résultat, puisqu’elle était devenue sans objet.

   C’est à peu près vers neuf heures que le Roi se décida à venir dans l’Assemblée Nationale avec toute la famille royale et quelques gentilshommes.
Deux bataillons de la garde nationale et les Gardes Suisses de garde, en tête, Messieurs de Maillardoz, de Bachmann, de Salis-Zizer, aide-major, Chollet et Allimann, adjudants, escortaient Sa Majesté.

   Ce départ fut décisif pour la garde nationale qui occupait l’intérieur du château et les cours. La plus grande partie abandonna les Suisses ; les uns se réunirent aux bataillons des faubourgs et les autres se dispersèrent.
Mais tous ne partagèrent pas cette honteuse défection, et parmi ceux qui restèrent fidèles, il faut citer à la postérité la presque totalité des braves Grenadiers des Filles-Saint-Thomas [note : bataillon faisant partie de la garde nationale, créée le 13 juillet 1789].

   L’armée des faubourgs se mit en mouvement, ses canons en tête, et bientôt on la vit s’avancer vers les portes du château.
Le maréchal de camp de jour, se voyant presque seul avec les Suisses, jugea qu’il ne pourrait conserver les cours avec si peu de monde. Il cria : « Messieurs les Suisses, retirez-vous au château ! » Il fallu obéir, abandonner les cours, laisser six pièces de canon à la discrétion de l’ennemi.
On aurait dû prévoir qu’il faudrait les reprendre, sous peine d’être brûlé dans le château. Tout le monde le pensait, de simples soldats le disaient tout haut. Cependant le respect pour la discipline fit obéir (…).

   On garnit de soldats les escaliers et les croisées du château. Le premier peloton fut placé à la Chapelle, c’est-à-dire un peloton des Grenadiers des Filles-Saint-Thomas en première ligne, les Gardes Suisses en seconde. 
Monsieur le capitaine de Dürler trouva au premier appartement, en face du grand escalier, Monsieur le Maréchal de Mailly, qui était avec Monsieur de Zimmermann, officier-général et lieutenant des Grenadiers.
Monsieur le Maréchal ayant annoncé à Monsieur de Dürler qu’il était chargé de la part du Roi de prendre le commandement du château, Monsieur de Dürler lui dit : « Monsieur le Maréchal, quels sont vos ordres ? »
« De ne pas vous laisser forcer », répartit le Maréchal.
Monsieur de Dürler répondit : « On peut y compter ».
Ce fut le seul ordre que les Suisses reçurent de ce Maréchal de France. On ne leur reprochera point de ne pas l’avoir suivi à la lettre.

   Pendant que Monsieur de Dürler parlait à ce Maréchal, il vit distinctement par la fenêtre le portier du Roi ouvrir aux Marseillais la porte royale.  Ils entrèrent peu à peu, en élevant leurs chapeaux, et faisant signe aux Suisses de venir les joindre.
Un de la Lande, plus hardi que les autres, s’approcha d’une fenêtre et y lâcha un coup de pistolet. Le sergent Lendi allait répondre à cette insolente provocation, les officiers le retinrent. Mais cette preuve de modération, comme tous les actes de ce genre, ne fit qu’enhardir les assaillants.

combat-aux-tuileries-par-henri-motte-copie Gardes Suisses dans Vexilla Regis

Tableau de Henri Motte illustrant les combats à l’intérieur des Tuileries

   Toute la colonne ennemie étant entrée, elle plaça ses canons en batterie : on égorgea les sentinelles suisses placées au pied du grand escalier, et les premiers Marseillais essayèrent de monter au poste de la Chapelle le sabre à la main. Messieurs de Dürler, de Reding, Joseph de Zimmermann et de Glutz, aide-major, firent placer à la hâte une barre de bois en travers de l’escalier.
Monsieur de Boissieux crut le moment favorable pour haranguer les Marseillais, mais d’affreux hurlements couvrirent sa voix.
Les assaillants à la fin reconnurent l’inutilité de leur tentative. Ils se retirèrent en vociférant des injures contre les Suisses. 

   Un peu moins de huit cents Suisses, les deux compagnies qui accompagnaient le Roi n’ayant pu prendre part au combat, deux cents gentilshommes dont le courage était sans armes, un assez petit nombre de gardes nationaux intrépides et fidèles, tous sans commandant en chef, sans munitions sans canons… voilà l’état des choses au moment où le combat allait commencer ! Et cette poignée de braves, répartis sur plus de vingt postes, étaient attaqués par près de cent mille hommes d’une populace exaltée jusqu’à la fureur, qui avait avec elle cinquante pièces d’artillerie, qui disposait delà municipalité de Paris et qui se sentait encouragée par le corps législatif.

   La troupe des faubourgs fit une décharge qui blessa quelques soldats : les Grenadiers des Filles-Saint-Thomas ripostèrent, les Suisses suivirent leur exemple : les Marseillais répondirent par une décharge générale d’artillerie et de mousqueterie, qui coûta la vie à beaucoup de monde. Ce fut dans ce moment que Monsieur Philippe de Glutz, lieutenant des Grenadiers, fut tué, et que Monsieur de Castelberg eut la cheville du pied fracassée.
L’action, devenue générale, se décida rapidement en faveur des Suisses : le feu des croisées et celui de la réserve de Monsieur de Dürler furent très meurtriers. En peu de temps, la cour royale fut évacuée ; elle resta jonchée de morts, de mourants et de blessés.

   Messieurs de Dürler et de Pfyffer firent une sortie du château, avec cent-vingt hommes, ils prirent quatre pièces de canon, et redevinrent les maîtres de la porte royale. 
Pendant qu’ils traversaient le Carrousel, un autre détachement sous les ordre du capitaine Henri de Salis, s’emparait de trois canons à la porte du manège, et les amenait jusqu’à la grille du château. De là, ce détachement parvint à rejoindre le premier, mais sous le feu de l’artillerie qui, de la porte de la cour de la Reine, tirait à mitraille sur les Suisses.

   Les détachements réunis portèrent l’épouvante et la mort parmi les assaillants : la cour royale fut couverte de leurs morts. Les Suisses enlevèrent une partie des canons de leurs adversaires et ils réussirent à les conserver ; malheureusement, ils n’avaient point de munitions et ils ne purent faire qu’une seule décharge des canons conquis sur l’ennemi, les Marseillais ayant emporté dans leur fuite les cartouches, les mèches et les lances à feu ; c’est ce qui fit que les Suisses tentèrent toujours en vain de faire taire un feu de mitraille qui, d’une petite terrasse placée vis-à-vis du corps de garde des Suisses, plongeait dans la cour royale.
Ces admirables soldats de la fidélité essuyèrent un feu meurtrier avec le sang-froid et la tranquillité du vrai courage. Les détachements étaient criblés, ils se ralliaient toujours de nouveau, après des efforts qui tenaient du prodige.

   Les Suisses restèrent maîtres du champ de bataille : les officiers et les soldats s’attelèrent aux canons pris aux ennemis et les traînèrent ; partout on se battait avec un égal acharnement, partout l’ennemi était repoussé, et les Marseillais, qui formaient les têtes de colonnes d’attaque, s’éclaircissaient par des pertes immenses. Mais les Suisses voyaient avec anxiété qu’ils touchaient au moment où l’épuisement des munitions allait les exposer au feu de l’ennemi, sans moyen d’y répondre.

prise-des-tuileries-10-aout-92 prise des Tuileries

   Dans cet instant critique, Monsieur d’Herville, tué depuis glorieusement pour la cause royale à Quiberon, arrive sans armes, sans chapeau, à travers les coups de fusil et de canon. On veut lui montrer des dispositions qu’on venait de faire du côté du jardin. « Il s’agit bien de cela, dit-il ; il faut vous porter à l’Assemblée nationale, auprès du Roi. »
On crut pouvoir être utile à cet infortuné Monarque ; et une voix, c’était celle du baron de Viosmesnil, lieutenant-général, le frère aîné du maréchal de France de ce nom, une voix amie qui cria : « Oui, braves Suisses ! Allez sauver le Roi ! Vos ancêtres l’ont fait plus d’une fois… », en confirmant cette trompeuse espérance, emporta la résolution.
Il fallut chercher à se rallier ; on réunit les tambours qui n’avaient pas péri, on fit battre l’assemblée, et, malgré une grêle de balles qui tombaient de toute part, on parvint à ranger les soldats comme dans un jour de parade.
Pour couvrir la retraite, on pointa contre le vestibule deux des pièces enlevées aux assaillants, qui se trouvèrent encore chargées. On les plaça à côté de la grille. Monsieur de Dürler y laissa deux hommes, avec ordre de lâcher leurs coups de fusil sur la lumière, si l’on était poursuivi.
Cet ordre ne put pas être littéralement exécuté, mais l’un des deux hommes, le nommé Jean Hayot, du canton de Fribourg (ce brave vit encore retiré chez lui), mit le feu très à propos à l’une des pièces en battant le briquet sur la lumière.
Messieurs de Reding, de Glutz, de Gibelin aidèrent quelques soldats à transporter une troisième pièce de canon sous le vestibule, et ce fut dans cet instant que Monsieur de Reding eut le bras cassé d’un coup de carabine.
On partit. La traversée du jardin fut excessivement meurtrière. Il fallut essuyer un feu très vif, de canon et de mousqueterie qui partait de trois points différents, la porte du pont royal, celle de la cour du manège, et la terrasse des Feuillants. Dans ce trajet, Monsieur de Gross eut la cuisse cassée par une balle ; il tomba près du bassin après du groupe d’Arria et de Poetus.

   L’on arriva enfin dans les corridors de l’Assemblée nationale. Le baron Henri de Salis, emporté par son ardeur, entra dans la salle du corps législatif, l’épée à la main, au grand effroi du côté gauche de l’assemblée. Les députés qui le composaient crièrent : « Les Suisses ! Les Suisses ! » et l’on en remarqua plusieurs qui cherchaient à se sauver par les fenêtres.
Un membre de l’assemblée vint ordonner au commandant des Suisses de faire mettre bas les armes à sa troupe ; le commandant refusa de le faire. Monsieur de Dürler s’avança vers le Roi et lui dit : « Sire, on veut que je pose les armes. » Le Roi répondit : « Déposez-les entre les mains de la garde nationale ; je ne veux pas que de braves gens comme vous périssent ».
Un moment après, le Roi envoya à Monsieur de Dürler un billet de sa propre main conçu en ces termes : « Le Roi ordonne aux Suisses de déposer leurs armes et de se retirer aux casernes. »

billet-de-s.m.-louis-xvi-aux-suisses-le-10-aout-1792 révolution

   Cet ordre fut un coup de foudre pour ces braves soldats. Ils criaient qu’ils pouvaient bien se défendre avec leurs baïonnettes, plusieurs pleuraient de rage. Mais dans cette horrible extrémité, la discipline et la fidélité triomphèrent encore. Ils savaient que cet ordre de quitter leurs armes les livrait sans défense à des tigres altérés de leur sang : tous obéirent.
Ce fut là le dernier sacrifice qu’on exigea des Suisses.

   On sépara les officiers des soldats : ceux-ci furent conduits à l’église des Feuillants, les officiers furent déposés dans la salle des inspecteurs. Des députés y entrèrent pour les voir, en manifestant une sorte d’inquiétude qui, dans les uns était accompagnée de férocité et de bassesse, dans les autres de regret et de pitié.

   Vers le soir, quelques personnes généreuses s’occupèrent à sauver les nobles restes du combat du 10 août et procurèrent aux officiers des déguisements et la faculté de sortir. Chacun isolément se tira d’affaire comme il put. Ces fidèles défenseurs du Roi de France erraient dans Paris, toujours proscrits par la fureur populaire, lors qu’un décret du corps législatif avait mis tous les Suisses sous la sauvegarde de la loi.

   Le château n’était plus défendu ; les assaillants y entrèrent, massacrant lâchement les blessés et tous ceux qui s’étaient perdus dans l’immensité du palais. Une partie des Suisses qui occupaient les appartements, n’avaient pu se rejoindre au détachement qui se retira sur l’assemblée nationale. Ils descendirent au moment même où les Marseillais entraient dans le château.
Ayant trouvé chargées deux des trois pièces que Monsieur de Dürler avait laissées, ils y mirent le feu, ce qui leur donna le temps d’opérer leur retraite par le jardin. Le Père Simon Lorettan, capucin et aumônier du Régiment, se trouvait avec eux ; il fallut traverser au milieu des décharges de canon et de mousqueterie.
Là périrent Messieurs le comte de Valdner, Simon de Maillarvoz, de Müller, et beaucoup de soldats.
Cette petite troupe s’était dirigée d’abord sur l’assemblée nationale, elle en fut écartée à coups de fusils. Elle se porta au pont tournant, elle le trouva levé. Elle put enfin sortir par le jardin du Dauphin. Arrivés à la place Louis XV, les Suisses furent chargés par la gendarmerie à cheval ; la plupart furent massacrés, et le Père Simon Lorettan ne dut son salut qu’à son déguisement.

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   Un moment après, le sergent Stoffel de Mels, canton de Saint-Gall, commandant de quinze hommes qu’il avait rassemblés de divers postes, se fit jour jusques sous le vestibule, où il trouva des Marseillais gardant les canons qu’on venait d’abandonner. Il les reprit sur eux, se défendit quelque temps, et réussit encore à opérer sa retraite sur l’assemblée nationale.
Accablés sous le nombre, cédant le champ de bataille pour rejoindre le Roi, les Suisses n’ont pu laisser d’autres trophées que les cadavres entassés de leurs ennemis. Mille traits particuliers d’héroïsme et de dévouement se perdent dans la gloire générale de cette journée, et nous regrettons de ne pouvoir en citer qu’un petit nombre.

   Monsieur de Montmollin, qui venait d’entrer au Régiment, emprunta  un uniforme à Monsieur de Forestier, pour pouvoir se trouver au combat. Il était enseigne de bataillon ; il a conservé jusqu’à son dernier soupir son drapeau, qui lui a coûté la vie. Il s’était fait jour avec quelques soldats jusqu’au pied de la statue de la place de Louis XV. Ne pouvant avancer, il se battit comme un héros, et après avoir tué de sa main plusieurs ennemis, percé par derrière, il tomba entre les bras d’un caporal, qui se perdit sans pouvoir le sauver : « Laissez-moi périr ici, lui dit-il, et ne pensez qu’à sauver le drapeau ». Le caporal qui le soutenait, reçoit au même instant un coup mortel, et Monsieur de Montmollin tombe en s’enveloppant dans son drapeau. Les meurtriers ne s’en emparèrent qu’en le déchirant.

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   Gaspard Xavier Stalder, de la ville de Lucerne, sergent de la compagnie Pfyffer, défendit avec deux hommes, contre les Marseillais, un des canons qui leur avaient été pris. De son feu, il leur tua sept hommes, jusqu’à l’épuisement des ses cartouches ; il resta seul. Les deux soldats ayant été tués à côté de lui, il continua le carnage le sabre à la main. Après avoir perdu le bras droit, coupé d’un coup de hache, il saisit son sabre de la main gauche et terrasse encore ceux qui l’approchent. Il tombe enfin, percé de coups, sur les corps de plus de vingt ennemis immolés de sa main. Des témoins oculaires parmi les ennemis ont attesté ce fait, ils n’ont jamais parlé qu’avec respect de ce héros.

   Ainsi finit le Régiment des Gardes Suisses du Roi de France, comme un de ces chênes robustes dont l’existence a bravé les orages de plusieurs siècles et qu’un tremblement de terre a pu seul renverser ! Il comptait un siècle et demi de fidèles services rendus à la France ; il est tombé le jour même où l’antique monarchie française s’écroulait (…) ».

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2013-57. Des réparations et expiations qu’il convient de faire monter vers le Ciel au jour du 14 juillet.

9 juillet,
Fête des Bienheureuses Martyres d’Orange (cf. > ici) ;
Dans l’Ordre de Saint Augustin, fête des Prodiges de la Bienheureuse Vierge Marie. 

2013-57. Des réparations et expiations qu'il convient de faire monter vers le Ciel au jour du 14 juillet. dans Chronique de Lully pillage-dune-eglise-pendant-la-grande-revolution

Pillage d’une église pendant la révolution
(tableau conservé au musée Carnavalet)

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Pendant le cours du mois de juin, j’ai insisté sur le caractère essentiellement réparateur du culte du Sacré-Coeur de Jésus, et j’ai rappelé combien les appels de Notre-Seigneur à la réparation étaient la conséquence des outrages et sacrilèges dont Il est accablé dans le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie (cf. > ici).

   Dans quelques jours, le 14 juillet, la république française célébrera ce qu’elle considère comme sa grande « fête nationale » : la loi l’instituant, promulguée le 6 juillet 1880, a été proposée par des parlementaires qui se référaient au 14 juillet 1789 et à la prétendue « prise » de la Bastille, devenue le symbole de la fin de l’Ancien Régime.
A ceux qui protestèrent en disant qu’il ne convenait pas d’élever au rang de fête nationale un jour marqué par des effusions de sang et des exécutions sommaires, il fut répondu que le 14 juillet 1789 avait été suivi d’autres 14 juillet, en particulier celui de l’année 1790, et qu’on pouvait voir en cette dernière date l’accomplissement de « l’unité nationale » (sic).

Je connais quelques personnes qui colportent encore aujourd’hui cette manière de présenter les choses et qui se donnent ce jour-là une sorte de bonne conscience en prétextant qu’elles célèbrent l’anniversaire de la fête de la fédération ; mais lorsqu’on sait que la date de cette fête de la fédération a très précisément été choisie pour marquer le premier anniversaire de la prétendue « prise » de la Bastille, j’ai envie de dire que c’est bonnet phrygien et phrygien bonnet… (*)

   Par ailleurs, une étude objective menée en dehors des bobards de l’histoire officielle permet de rétablir la réalité des faits, et elle démontre de manière irréfragable que les événements qui vont depuis l’ouverture des Etats Généraux jusqu’à la fête de la fédération sont un enchaînement rigoureux de félonie, de parjures, de violences, d’atteintes aux droits les plus élémentaires, de crimes, de vols, de spoliations matérielles, psychologiques et institutionnelles… etc.
Qu’on se souvienne – pour ne citer qu’un seul exemple – du massacre des catholiques et des capucins de Nîmes survenu exactement un mois avant la fête de la fédération (cf. > ici). 

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Fête de la fédération du 14 juillet 1790 : le serment de La Fayette

   De toute manière, pour voir dans la fête de la fédération l’accomplissement de « l’unité nationale » il me semble qu’il faut se faire de drôles de noeuds au cerveau après s’être volontairement crevé les yeux.
Une grand’ Messe célébrée par un évêque impie et sacrilège, les conflits et les haines qui couvent dans les coeurs de ceux qui veulent prendre en mains la conduite de la révolution, la poudre mensongère jetée aux yeux du peuple abusé par une phraséologie grandiloquente qui voile les plus grands vices sous les atours de la vertu et des nobles idéaux, le serment imposé à un monarque qui n’est déjà plus libre, et le blasphème érigé en fondement d’une pseudo constitution (article 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » – qui prend le contre-pied des enseignements de la Sainte Ecriture : « omnis potestas a Deo : tout pouvoir vient de Dieu »)…
Ah ! la belle « unité nationale » que voilà !

Ecce Homo par Philippe de Champaigne

Philippe de Champaigne : Ecce Homo.

   Pour nous, il ne saurait en aucune manière être question de faire la fête le jour du 14 juillet : puisque les ennemis les plus acharnés de la société chrétienne traditionnelle y voient le début de l’avènement de leur monstrueuse idéologie, nous sommes bien obligés d’y voir le début d’une série de blasphèmes, de profanations et de sacrilèges dont il semble incroyable qu’ils aient pu se produire dans un pays qui brillait jusque là dans les premiers rangs des royaumes chrétiens et passait pour celui dans lequel régnait la plus exquise des civilisations…

   Qui pourra dire le nombre des sacrilèges qui furent alors perpétrés contre l’adorable Sacrement de l’autel ? Qui dira le nombre des lieux solennellement consacrés à Dieu – cathédrales, églises, chapelles, autels, couvents et abbayes – qui Lui furent volés en étant exécrés, souillés par des bacchanales, démolis ou attribués depuis lors à des usages profanes ? Qui dira le nombre des saintes reliques qui furent profanées et brûlées ? Qui dira le nombre de statues de la Madone et des Saints qui ont été détruites ou odieusement mutilées ? Qui dira le nombre des vases sacrés et ornements du culte, admirables produits de l’art conjugué à la foi, qui ont disparu après avoir servi à des beuveries et des scènes orgiaques ? Qui dira le nombre des prêtres et des religieux que l’on a poussés à rompre leurs engagements sacrés ? Et qui dira le nombre de prêtres, religieux et fidèles que, lorsqu’on ne pouvait les faire apostasier, l’on a martyrisés avec d’infinis raffinements de cruauté ? Qui dira le nombre de jurons et de blasphèmes contre le Saint Nom de Dieu qui furent alors proférés ? Qui dira le nombre des dimanches, jours dus au culte du Vrai Dieu par la plus stricte et la plus absolue des justices, que l’on a intentionnellement profanés ? Qui dira le nombre de péchés et de vices que cette funeste révolution a suscités et enracinés dans des coeurs qui étaient appelés à devenir de vivants sanctuaires de la Très Sainte Trinité ? Qui dira le nombre d’âmes qui ont été pour jamais livrées à l’enfer éternel, comme une sorte de tribut offert à Satan, par les chefs de la révolution ?

hans-memling-la-chute-des-damnes 14 juillet dans Memento

Hans Memling : la chute des damnés.

   Voilà pourquoi nous invitons et encourageons tous nos amis, et tous les amis de nos amis, à faire du 14 juillet une journée particulièrement intense de réparation et d’expiation adressée au divin Coeur de Jésus, par quelques sacrifices volontaires, par des prières de pénitence, et – autant que possible – par l’assistance à la Sainte Messe et l’offrande de la Sainte Communion réparatrice

Coeur de Jésus, broyé par les crimes de la France apostate, ayez pitié de nous !
Coeur de Jésus, broyé par les crimes de la France apostate, faites-nous miséricorde ! 

Lully.  

sacre-coeur blasphème dans Prier avec nous

(*) Pour lire ce qui s’est réellement passé le 14 juillet 1789 > ici.

2013-55. Du dix-septième centenaire de l’ Edit de Milan.

313 – 13 juin – 2013

2013-55. Du dix-septième centenaire de l' Edit de Milan. dans Memento constantin-par-le-bernin

Statue équestre de Constantin le Grand
Gian-Lorenzo Bernini, dit Le Bernin,  narthex de la basilique Saint-Pierre au Vatican.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

En ce 13 juin de l’an de grâce 2013, en notre Mesnil-Marie, nous faisons monter vers le Ciel un vibrant Te Deum.

Bien sûr, nous nous réjouissons avec toute la Sainte Eglise de la fête de Saint Antoine de Padoue (cf. > ici), l’un des plus grands thaumaturges de tous les temps, mais ce n’est toutefois pas là le principal motif de notre action de grâces.
Bien sûr aussi, nous sommes dans une profonde allégresse en fêtant au jeudi qui suit la fête du Sacré-Coeur de Jésus, conformément aux usages propres à un certain nombre de congrégations et de quelques diocèses, la fête du Coeur Eucharistique de Notre-Seigneur (cf. > ici), mais ce n’est pas non plus le grand mobile de notre fervente exultation.

Le pourquoi de notre joie spirituelle de ce jour et de notre action de grâces réside dans le dix-septième centenaire de la publication de ce que l’on a coutume de nommer l’ Edit de Milan, décret impérial qui mit fin à l’ère des persécutions contre les chrétiens dans tout l’Empire Romain, facilita la conversion de ses peuples à la foi véritable, et prépara sa promotion au rang de religion officielle par Théodose le Grand, moins de quatre-vingt ans plus tard.

labarum-4 13 juin 313 dans Prier avec nous

Nous avons rappelé, le 28 octobre 2012, le dix-septième centenaire de la victoire de Constantin sur Maxence au Pont Milvius, après sa vision de la Croix et l’institution du Labarum (cf. > ici et ici).
Six mois plus tard – vraisemblablement à la fin du mois d’avril 313 – , les deux empereurs, Constantin et Licinius, lors d’une rencontre qui eut lieu à Milan, décidèrent de mettre fin aux persécutions contre les chrétiens : la dernière des grandes persécutions impériales, dite de Dioclétien, avait été déclenchée en 303 et avait duré quelque dix années.
Dans le centre historique de Milan, à l’emplacement de l’ancien palais impérial d’où lui vient son nom, l’église San Giorgio al Palazzo (Saint Georges du Palais) – église de l’Ordre Equestre Constantinien de Saint Georges – s’enorgueillit d’avoir été élevée sur les lieux de cette décision qui allait insuffler de profonds et durables bouleversements en Europe.

plaque-commemorative-de-ledit-de-milan-eglise-st-georges-du-palais Constantin le Grand dans Vexilla Regis

Basilique de saint Georges du Palais, plaque commémorative de l’Edit de Milan :
« Cette insigne basilique élevée à l’emplacement du palais impérial romain conserve et transmet à travers les siècles la mémoire du fameux Edit de Milan par lequel Constantin et Licinius, en l’an 313, reconnurent aux chrétiens le droit de professer librement la foi… » 

Pour être rigoureusement exact, cet Edit de Milan est à strictement parler la reprise d’un édit de tolérance plus ancien, nommé Edit de Sardique, publié par Galère à Nicomédie le 30 avril 311, mais sans avoir consulté les trois autres tétrarques (Constantin, Licinius et Maximin Daia).
L’Edit de Milan est une sorte de lettre circulaire qui reprend les dispositions de Galère et les étend à tout l’Empire : la date du 13 juin 313 est celle à laquelle Licinius la fit afficher à Nicomédie après avoir vaincu Maximin Daia ; à la suite de cela le texte fut placardé dans tout l’Empire.
L’historien Lactance nous en a conservé le texte que voici :

« Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, réunis heureusement à Milan, pour discuter de tous les problèmes relatifs à la sécurité et au bien public, nous avons cru devoir régler en tout premier lieu, entre autres dispositions de nature à assurer, selon nous, le bien de la majorité, celles sur lesquelles repose le respect de la divinité, c’est-à-dire donner aux Chrétiens comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce qu’il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice, à nous-mêmes et à tous ceux qui se trouvent sous notre autorité.
C’est pourquoi nous avons cru, dans un dessein salutaire et très droit, devoir prendre la décision de ne refuser cette possibilité à quiconque, qu’il ait attaché son âme à la religion des Chrétiens ou à celle qu’il croît lui convenir le mieux, afin que la divinité suprême, à qui nous rendons un hommage spontané, puisse nous témoigner en toutes choses sa faveur et sa bienveillance coutumières.
Il convient donc que Ton Excellence sache que nous avons décidé, supprimant complètement les restrictions contenues dans les écrits envoyés antérieurement à tes bureaux concernant le nom des Chrétiens, d’abolir les stipulations qui nous paraissaient tout à fait malencontreuses et étrangères à notre mansuétude, et de permettre dorénavant à tous ceux qui ont la détermination d’observer la religion des Chrétiens, de le faire librement et complètement, sans être inquiétés ni molestés.
Nous avons cru devoir porter à la connaissance de Ta Sollicitude ces décisions dans toute leur étendue, pour que tu saches bien que nous avons accordé auxdits Chrétiens la permission pleine et entière de pratiquer leur religion. Ton Dévouement se rendant exactement compte que nous leur accordons ce droit, sait que la même possibilité d’observer leur religion et leur culte est concédée aux autres citoyens, ouvertement et librement, ainsi qu’il convient à notre époque de paix, afin que chacun ait la libre faculté de pratiquer le culte de son choix. Ce qui a dicté notre action, c’est la volonté de ne point paraître avoir apporté la moindre restriction à aucun culte ni à aucune religion.
De plus, en ce qui concerne la communauté des Chrétiens, voici ce que nous avons cru devoir décider : les locaux où les Chrétiens avaient auparavant l’habitude de se réunir, et au sujet desquels les lettres précédemment adressées à tes bureaux contenaient aussi des instructions particulières, doivent leur être rendus sans paiement et sans aucune exigence d’indemnisation, toute duperie et toute équivoque étant hors de question, par ceux qui sont réputés les avoir achetés antérieurement, soit à notre trésor, soit par n’importe quel autre intermédiaire. De même, ceux qui les ont reçus en donation doivent aussi les rendre au plus tôt auxdits Chrétiens. De plus, si les acquéreurs de ces bâtiments ou les bénéficiaires de donation réclament quelque dédommagement de notre bienveillance, qu’ils s’adressent au vicaire, afin que par notre mansuétude, il soit également pourvu à ce qui les concerne. Tous ces locaux devront être rendus par ton intermédiaire, immédiatement et sans retard, à la communauté des Chrétiens. Et puisqu’il est constant que les Chrétiens possédaient non seulement les locaux où ils se réunissaient habituellement, mais d’autres encore, appartenant en droit à leur communauté, c’est-à-dire à des églises et non à des individus, tu feras rendre auxdits Chrétiens, c’est-à-dire à leur communauté et à leurs églises, toutes ces propriétés aux conditions reprises ci-dessus, sans équivoque ni contestation d’aucune sorte, sous la seule réserve, énoncée plus haut, que ceux qui leur auront fait cette restitution gratuitement, comme nous l’avons dit, peuvent attendre de notre bienveillance une indemnité.
En tout cela, tu devras prêter à la susdite communauté des Chrétiens ton appui le plus efficace, afin que notre ordre soit exécuté le plus tôt possible, et afin aussi qu’en cette matière il soit pourvu par notre mansuétude à la tranquillité publique. Ce n’est qu’ainsi que l’on verra, comme nous l’avons formulé plus haut, la faveur divine, dont nous avons éprouvé les effets dans des circonstances si graves, continuer à assurer le succès de nos entreprises, gage de la prospérité publique.
Afin, d’autre part, que la mise en forme de notre généreuse ordonnance puisse être portée à la connaissance de tous, il conviendra que tu fasses faire une proclamation pour la promulguer, que tu la fasses afficher partout et que tu la portes à la connaissance de tous, de façon que nul ne puisse ignorer la décision prise par notre bienveillance. »

monnaie de Constantin avec le labarum

Monnaie de Constantin portant le labarum surmonté du Chi-Rhô au revers.

L’histoire religieuse ne doit pas nous faire oublier le contexte politique : lors de leur rencontre de Milan, Constantin et Licinius s’étaient entendus pour mettre fin à la Tétrarchie, par l’élimination de Galère et de Maximin Daia : en posant un terme aux persécutions, ils pourraient désormais compter sur le soutien des chrétiens – de plus en plus nombreux puisque la persécution n’en avait pas réduit le nombre, loin s’en faut ! – et ils éliminaient une cause de division hautement préjudiciable à la cohésion de l’Empire.
Pour Licinius, cette décision n’était qu’un strict calcul politique et cet édit marquait un point final.
Pour Constantin, dans le coeur duquel la grâce divine avait déjà fait son chemin, la décision était en revanche assortie de motifs spirituels et n’était qu’une étape, voire un commencement.

D’ailleurs, sans attendre cet accord avec Licinius, dans le cours de l’hiver 212-213, Constantin avait écrit au gouverneur d’Afrique et à l’évêque de Carthage pour organiser la restitution des biens confisqués aux chrétiens et leur indemnisation (dans son « Histoire de la vie de l’Empereur Constantin », Eusèbe de Césarée nous a rapporté plus en détail ces décisions).

Dans un message lu à l’occasion des cérémonies et rencontres qui se sont déroulées en mai dernier à Milan pour célébrer ce dix-septième centenaire, et auxquelles a participé – entre autres – Sa Sainteté le Patriarche Bartholomée Ier de Constantinople, le Souverain Pontife a souligné l’importance de l’Edit de Milan, « décision historique qui, en décrétant la liberté de religion pour les chrétiens, a ouvert de nouveaux chemins à l’Evangile et a contribué de manière significative à l’avènement  de la civilisation européenne » (cf. > ici).

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Statue équestre de Constantin le Grand (détail)
Gian-Lorenzo Bernini, dit Le Bernin,  narthex de la basilique Saint-Pierre au Vatican. 

Pour nous, en notre Mesnil-Marie, nous inspirant de ce qui avait été fait en certaines paroisses en 1913 à l’occasion du seizième centenaire de l’Edit de Constantin, nous avons résolu afin d’en marquer l’anniversaire, d’ériger une Croix commémorative à l’entrée de notre « principauté » : j’aurai l’occasion de vous en reparler plus en détail…
Pour l’heure, soyons à l’action de grâce pour la façon dont la divine Providence a inspiré jadis Constantin le Grand, et prions instamment pour que les dirigeants des nations s’ouvrent comme lui à la Lumière du Christ Sauveur, en comprenant qu’il ne peut y avoir, même ici-bas, de véritable paix sociale et de vrai bonheur pour les peuples en dehors de l’obéissance aux lois divines et du salut par la Croix !

Lully.

 Edit de Milan

Pour nous aider, et en particulier pour nous permettre d’ériger la
Croix commémorative du dix-septième centenaire de l’Edit de Milan > ici 

Publié dans:Memento, Prier avec nous, Vexilla Regis |on 13 juin, 2013 |2 Commentaires »

2013-46. Du miracle de Bolsena.

Jeudi de la Fête du Très Saint Sacrement (* voir la note en bas de page).

2013-46. Du miracle de Bolsena. dans Chronique de Lully raphael-le-miracle-de-bolsena-vatican

Raphaël : le miracle de Bolsena (détail) – musées du Vatican.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       L’année 2013, nous a donné de commémorer le sept-cent cinquantième anniversaire d’un événement qui eut des conséquences extraordinaires dans la vie de toute l’église catholique : le miracle de Bolsena.

   Ce prodige advint au mois de décembre : décembre de l’an 1263. Mais il convient spécialement de le rappeler en ce jeudi de la fête du Très Saint Sacrement, puisque il fut déterminant pour l’établissement de cette fête dans l’Eglise universelle.

   Voici les faits tels qu’ils sont racontés dans l’ouvrage « Les miracles historiques du Saint Sacrement », publié en 1898 par le Rd. Père Eugène Couet, avec l’imprimatur du Rd. Père Lepidi, maître du Sacré Palais :

   « C’était l’époque où l’Allemagne, sans cesse déchirée par la guerre depuis la mort de l’impie Frédéric II, n’avait pu encore se choisir un empereur ; et les compétiteurs, se disputant la couronne, jetaient le trouble dans toutes les provinces germaniques.
Un prêtre de ces contrées, jusque-là distingué par sa piété et par la pratique des vertus sacerdotales, vit un jour sa foi attaquée par de terribles doutes ; ils portaient spécialement sur l’adorable Sacrement de l’autel. A chaque instant, il avait à subir de nouveaux assauts de la part de l’esprit des ténèbres : Hoc est Corpus meum ; Hic est Sanguis meus ! comment ces paroles, si simples et si courtes, peuvent-elles faire, du pain et du vin, la vraie Chair et le vrai Sang de Jésus-Christ ? Telles étaient les questions que le père du mensonge faisait renaître dans cette âme d’ailleurs fort attachée au service de Dieu. Il l’amenait peu à peu à ne voir dans le prêtre qu’un homme ordinaire, sans considérer le pouvoir auguste que lui a conféré l’onction sainte. Or, s’arrêter à la faiblesse du ministre et ne pas remonter jusqu’à Dieu, dont la puissance est sans bornes, c’est s’exposer aux plus fatales erreurs.
Mais le pauvre prêtre, ainsi tourmenté par l’épreuve, avait recours à la prière et demandait au Ciel la lumière qui lui rendrait la paix. Dieu ne dédaigna pas les cris de détresse de son ministre : et le Sacrement de vie, après avoir été l’occasion des manœuvres infernales, dut bientôt servir à la défaite de Satan.

bolsena-basilique-de-sainte-christine Bolsena dans De liturgia

Bolsena : la basilique de Sainte Christine dans laquelle eut lieu le miracle.

   « Il est sur la terre un lieu privilégié, où jaillit toujours vive et pure la source de la foi : c’est à la ville de Pierre qu’il faut aller puiser la vérité. Notre infortuné prêtre le compris, il fit vœu de visiter le tombeau des saints Apôtres pour s’y raffermir dans la croyance catholique. Après un long et pénible voyage, il arriva à Bolsena, antique cité qui, du temps des Romains, comptait parmi les principales villes de Toscane, mais qui ne garde plus de sa grandeur passée que des ruines et des tombeaux. C’était en décembre 1263. Un vieux temple, dédié jadis à Apollon, et dès les premiers siècles consacré à la glorieuse vierge Christine, se recommandait à la piété du pèlerin ; il voulut célébrer la sainte messe à l’autel où l’on voit encore, miraculeusement gravée dans le marbre, l’empreinte des pieds de l’illustre martyre.

bolsena-autel-du-miracle Eucharistie dans Memento

Bolsena, basilique Sainte Christine : autel où se produisit le miracle.

   « Parvenu au moment où il devait diviser l’Hostie sainte, le célébrant tenait ce Pain sacré sur le calice, quand il le vit, ô prodige ! prendre l’aspect d’une chair vive d’où le sang s’échappait goutte à goutte. La partie cependant qu’il tenait entre les doigts conservait l’apparence du pain, comme pour attester (suivant la remarque de Saint Pierre Damien au sujet d’un fait semblable) que cette Hostie, si subitement changée dans sa forme extérieure, était bien celle qui, peu d’instants avant, cachait sous le voile des accidents le Corps et le Sang de Jésus-Christ. Bientôt l’abondance du sang fut si grande qu’il empourpra le corporal de taches nombreuses ; plusieurs purificatoires, avec lesquels le prêtre essayait d’étancher cet écoulement mystérieux, furent aussi imbibés en peu de temps.

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Miniature représentant le miracle de Bolsena : l’Hostie sanglante.

   « La vue de cette Hostie changée en chair, ce sang qui coulait sans interruption remplirent le célébrant d’une frayeur indicible, mais aussi d’une sainte joie : car il reconnaissait que Dieu venait d’exaucer ses prières et répondait à ses doutes d’une manière irréfragable. Mais pour ne pas scandaliser les fidèles, s’ils venaient à savoir le motif qui avait déterminé ce prodige, il voulut tenir secret un événement si extraordinaire.
C’était compter sans les desseins de Dieu, qui voulait par là raviver la foi d’un grand nombre : aussi, comme il repliait le corporal pour dissimuler les taches qui en couvraient une grande partie, les merveilles se multiplièrent. Dans chacune des gouttes qui continuaient à couler de l’Hostie apparaissait une figure humaine, la face adorable du Sauveur couronné d’épines, telle qu’elle était à cette heure douloureuse où Pilate montra Jésus au peuple altéré de son sang.
La terreur empêcha le prêtre d’achever le Saint Sacrifice. Dans ces cas extraordinaires, comme l’enseigne Saint Thomas (summ. theol. p.3, qu.82 a.4), le célébrant peut se dispenser de terminer les fonctions sacrées. Il enveloppa donc dans le corporal tout maculé de sang l’Hostie changée en chair, la plaça dans le calice et quitta l’autel.

bolsena-le-pretre-tente-de-dissimuler-le-miracle-en-quittant-lautel Hostie sanglante

Le prêtre tente de dissimuler le miracle en quittant l’autel
(toile dans la basilique Sainte Christine de Bolsena)

   « Mais le sang coulait si abondamment que, durant le trajet de la chapelle à la sacristie, de grosses gouttes tombèrent sur les pierres du pavé. C’est ce qui trahit le prêtre, et le miracle fut bientôt connut dans toute la ville.

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Basilique Sainte Christine de Bolsena : l’une des dalles tachée du sang miraculeux.

   « Le Souverain Pontife résidait alors avec sa cour à Orvieto, à six milles de Bolsena. Le pèlerin alla sans retard se jeter à ses pieds ; il raconta au Pape Urbain IV les épreuves que sa foi avait eu à subir et le miracle provoqué par ses doutes. Puis, muni de la bénédiction apostolique et désormais délivré de toute tentation, il se rendit au tombeau des saints Apôtres pour rendre grâce de ce bienfait et accomplir son vœu.
Le Pape Urbain IV ne resta pas indifférent à cet éclatant prodige. Deux grandes lumières de l’Eglise, saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure, se trouvaient alors à Orvieto ; il les députa sur le champ à Bolsena pour y faire une enquête. La vérité du miracle fut reconnue ; et le Pontife chargea l’évêque d’Orvieto d’aller chercher à l’église Sainte Christine l’adorable Hostie, le corporal et les autres linges ensanglantés. Urbain lui-même, entouré des cardinaux, du clergé et d’une foule immense, sortit en procession solennelle et vint au-devant de ce précieux trésor jusqu’au pont de Rivochiaro, à un quart de mille environ de la ville. Les enfants et les jeunes gens portaient des palmes et des branches d’olivier ; on chantait des hymnes et des cantiques au Dieu du Sacrement. Le Pape s’agenouilla pour prendre les vénérables Mystères et les porta comme en triomphe jusqu’à la cathédrale de Sainte Marie d’Orvieto. »

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Urbain IV accueillant les reliques du miracle de Bolsena pour les conduire à Orvieto.

   Pour compléter le récit du Rd. Père Couet, j’ajouterai les précisions suivantes :

   1) le Pape Urbain IV (1195 – 1264), né Jacques Pantaléon, de Troyes, avait été de 1241 à 1253 archidiacre de Liège : dans cette ville, il avait été été instruit des demandes de Notre-Seigneur concernant l’institution d’une fête en l’honneur du Saint Sacrement, transmises par la moniale augustinienne, sainte Julienne du Mont-Cornillon. Avec d’autres théologiens, il avait authentifié les voies mystiques de Julienne et la fête du Très Saint Sacrement avait été instituée à Liège en 1246 (voir > ici).
Elu au Souverain Pontificat le 19 août 1261, le miracle de Bolsena vint lui rappeler les demandes de Notre-Seigneur que sainte Julienne avait faites connaître ; ainsi, le 11 août 1264, par la bulle Transiturus (texte de cette constitution apostolique > ici), il étendit la fête du Très Saint Sacrement à l’Eglise universelle.
Urbain IV rendit son âme à Dieu quelques mois plus tard, le 2 octobre 1264. 

cathedrale-orvieto Présence réelle

Orvieto : la cathédrale reconstruite à partir de 1290 pour servir d’écrin au corporal du miracle.

   2) La cathédrale d’Orvieto, dans laquelle Urbain IV avait emmenée solennellement l’Hostie miraculeuse et le corporal taché de sang, fut réédifiée d’une manière somptueuse à partir de 1290. Ce linge miraculeux existe toujours ; le reliquaire dans lequel il est exposé (photo ci-dessous) est conçu de telle manière qu’il peut également servir d’ostensoir : un « cercle » d’orfèvrerie le surmonte dans lequel est insérée la lunule avec la Sainte Hostie, et pour la procession de la Fête-Dieu il est porté à travers les rues d’Orvieto au milieu d’un cortège magnifique. 

orvieto-corporal-du-miracle Saint-Sacrement

Orvieto : le corporal miraculeux.

   3) Les dalles du pavement de la basilique Sainte Christine de Bolsena tachées par le sang qui gouttait en abondance de l’Hostie miraculeuse, ont été enlevées du sol. Quatre d’entre elles se trouvent toujours à Sainte Christine : trois sont de simples dalles de pierre et se trouvent enchâssées dans des reliquaires muraux et la quatrième, qui était une pierre tombale, est exposée dans le reliquaire dont la photographie se trouve plus haut. La cinquième – qui est aussi une pierre tombale – a été offerte en 1602 à l’église paroissiale de Porchiano del Monte, où elle est également exposée dans un reliquaire.

* * * * * * *

   En un temps malheureux où de nombreuses erreurs se sont à nouveau introduites dans l’Eglise au sujet du Saint-Sacrifice de la Messe, où la croyance et la dévotion des fidèles envers la Très Sainte Eucharistie a été amoindrie, souvent par la faute de clercs qui manquent eux-mêmes de foi et sont coupables de graves désinvoltures ou manques de respect lorsqu’ils célèbrent les Saints Mystères, le rappel opportun du miracle de Bolsena vient à point nommé pour nous rappeler la foi authentique reçue de la Tradition ininterrompue depuis les Apôtres!

Que toujours soit loué, béni et adoré Jésus présent et vivant dans le Très Saint Sacrement de l’autel !

Lully.                           

                 Voir aussi :
- La biographie de Ste Julienne du Mont-Cornillon > ici
- l‘institution de la Fête-Dieu par Urbain IV et Jean XXII > ici

eucaristia04copie Sainte Julienne du Mont-Cornillon

(*) note : Faut-il le rappeler ? La fête du Très Saint Sacrement est fixée, dans l’Eglise universelle, au jeudi qui suit le dimanche de la Sainte Trinité : c’est une fête d’obligation, qui doit être fériée (canon 1246 §1). En France où – hélas ! – , depuis les limitations des fêtes religieuses imposées par l’impie Napoléon, les lois civiles ne permettent plus aux fidèles de chômer et d’assister à la Messe comme les dimanches et jours de grandes fêtes, la solennité est reportée au dimanche qui suit.

2013-44. Où, à propos de l’anniversaire du trépas du Grand Chanéac, Lully évoque les messes clandestines pendant la grande révolution et présente le calice d’un prêtre réfractaire.

Mercredi 15 mai 2013.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Chaque année, à cette date du 15 mai, en notre Mesnil-Marie, nous commémorons avec une grande ferveur et reconnaissance l’anniversaire de la mort du «Grand Chanéac», Jean-Pierre François Chanéac (11 décembre 1759 – 15 mai 1841), « notre » chef chouan local dont j’ai déjà évoqué la figure dans les pages de ce blogue (cf. > ici) et pour la découverte duquel, vous le savez, Frère Maximilien-Marie consacre au cours de l’été des « promenades contées » qui permettent de le mieux connaître (cf. > ici).

2013-44. Où, à propos de l'anniversaire du trépas du Grand Chanéac, Lully évoque les messes clandestines pendant la grande révolution et présente le calice d'un prêtre réfractaire. dans Chronique de Lully 250px-cachet_chouan

   Dans la mémoire locale, le «Grand Chanéac» est resté « le protecteur des bons prêtres » et le « défenseur de la religion ».
En effet, dans cette période malheureuse qui vit la promulgation d’une « constitution civile du clergé » schismatique, la persécution contre les prêtres qui refusèrent le serment exigé par les autorités révolutionnaires, la fermeture des églises et l’abrogation du culte catholique romain, les fidèles des paroisses de nos hautes Boutières – comme aussi en Gévaudan, en Margeride et en Velay -, et cela dans une quasi unanimité, n’acceptèrent pas les lois anti-catholiques de la révolution.

   Alors que l’évêque de Viviers – le très fantasque et rousseauiste Charles-Louis de La Font de Savine – fut du très petit et peu glorieux nombre des évêques qui prêtèrent le serment schismatique, le clergé vivarois dans sa grande majorité se montra plus sensé que son chef : ce sont environ les deux tiers des prieurs, curés et vicaires qui refusèrent le serment impie ou qui ne le prêtèrent qu’avec des restrictions qui le rendaient invalide. De ce fait, ils durent quitter leurs cures et leurs églises.
Quelques uns, comme la loi les y contraignait, prirent le chemin de l’exil ; beaucoup allèrent trouver refuge dans leur famille ou chez des amis ; beaucoup aussi prirent le maquis et continuèrent, tant bien que mal, à diriger leurs paroisses dans la clandestinité, encouragés par «Monsieur Vernet», c’est-à-dire l’abbé Régis Vernet (1760 – 1843), prêtre de Saint-Sulpice, ancien supérieur du grand séminaire de Viviers, qui organisa et dirigea l’église clandestine de Viviers de 1791 à 1801, avec le soutien de Monseigneur Charles-François d’Aviau du Bois de Sanzay (1736-1826), archevêque de Vienne en Dauphiné, lequel, déguisé en colporteur, en perruquier, en manouvrier voire en mendiant, parcourut nos contrées pour y administrer les sacrements de confirmation et d’ordre.

   Dans nos hautes Boutières, partie reculée, escarpée et difficile d’accès du diocèse de Viviers, de très nombreux prêtres vinrent se cacher. La plupart des curés et vicaires de ce territoire des Boutières et de la montagne resta, dans la clandestinité, sur le territoire de leurs paroisses, protégés par leurs fidèles et par les chouans.
Les curés intrus, « jureurs » élus au chef-lieu du département, ne se hasardèrent jamais à venir prendre possession des cures et des églises.
Depuis l’entrée en vigueur de la constitution civile du clergé, jusque au concordat napoléonien, les fidèles ne furent jamais vraiment dépourvus de la Sainte Messe ni des sacrements : les exercices du culte se poursuivirent de manière très régulière dans les maisons particulières, dans les granges, parfois même dans les églises que protégeaient les jeunes gens en armes!

messe-sous-la-terreur grand Chanéac dans Memento

Messe clandestine pendant la grande révolution

   Beaucoup de prêtres qui officiaient dans la clandestinité n’avaient pu emporter avec eux, en quittant leurs églises, tous les objets du culte nécessaires à la célébration des saints mystères. C’est ainsi, en particulier, que furent alors réalisés des calices, patènes et ciboires en étain.

   Normalement (et les lois de l’Eglise actuellement en vigueur sont toujours catégoriques à ce sujet), le calice et la patène doivent être réalisés dans un matériau noble et solide, que l’on ne doit pas pouvoir briser, et – pour le moins – leur revêtement intérieur doit être d’or. En outre, ils doivent être consacrés par un évêque ou par son représentant.
En temps de persécution, par exception, il est toléré que la Sainte Messe puisse être célébrée avec des vases sacrés qui ne sont pas en matière noble et qui sont simplement bénits par un prêtre.

   Quand ils ne disposaient pas de calices et de patènes conformes aux règles canoniques, les prêtres réfractaires firent appel à l’ingéniosité et à l’habileté de quelque fidèle pour confectionner des vases sacrés en étain, avec le métal de ces couverts, écuelles, pichets ou gobelets que l’on pouvait trouver dans beaucoup de maisons.

   Après la révolution, la plupart de ces calices de fortune a été à nouveau fondue : leur non conformité aux règles liturgiques – tolérée en raison des circonstances particulières de la révolution – ne devait pas subsister après le retour à la normalité.
C’est pourquoi, aujourd’hui, le nombre de ces calices ayant servi aux Messes clandestines est relativement peu élevé.

   Aussi, quelle n’est pas notre joie et notre fierté d’en avoir un en notre Mesnil-Marie !
Nous l’avons reçu il y a quelques semaines, et lorsque Frère Maximilien-Marie l’a pris dans ses mains pour la première fois, il en a versé des larmes d’émotion.

En voici la photo :

calice-pretre-refractaire Mesnil-Marie dans Vexilla Regis

   Sa hauteur est de 26,7 cm. Il est donc tout entier en étain, et d’assez belle facture. Sa coupe porte des marques, liées sans doute aux vicissitudes de son histoire propre, que nous ne connaîtrons en totalité qu’au Ciel, lorsque nous communierons à l’omniscience de Dieu!

   Je vous écrivais que la plupart de ces calices ayant servis aux Messes des prêtres réfractaires avait été détruite.
Celui que nous possédons désormais a échappé à cette « régularisation » mais il a été rendu intentionnellement inutilisable, puisque un petit trou, très précis, a été percé dans le fond de la coupe : peut-être fut-ce la condition pour qu’il demeurât? Il ne pouvait plus servir au culte, mais le prêtre qui avait célébré avec pendant ces heures des plus sombres de notre histoire (ou sa famille) pouvait-il (elle) le conserver comme un pieux souvenir de ces temps tragiques.

calice-pretre-refractaire-detail Messes clandestines

Détail du calice : on aperçoit le trou foré dans le fond de la coupe.

   Quoi qu’il en soit, ce calice d’étain est pour nous véritablement une quasi relique, que nous conservons avec autant d’émotion que de dévotion, et il concrétise bien à nos yeux les efforts qui sont les nôtres pour entretenir et faire connaître la vérité sur cette horrible révolution, dont nous ne cessons toujours pas de subir les funestes conséquences.

patteschats Monseigneur d'AviauLully.

Pour aider le Refuge Notre-Dame de Compassion > ici

lys-2 Monseigneur de La Font de Savine

2013-34. Le dernier Jeudi Saint de la Monarchie Très Chrétienne.

2013-34. Le dernier Jeudi Saint de la Monarchie Très Chrétienne. dans Chronique de Lully ami-de-la-religion-et-du-roi-1830

       J’ai sous les yeux les pages 259 et 260 du soixante-troisième volume (année 1830) du journal ecclésiastique intitulé « L’Ami de la Religion et du Roi » où l’on trouve, à la rubrique « nouvelles ecclésiastiques », le compte-rendu de la dernière Semaine Sainte de la Monarchie Très Chrétienne : moins de quatre mois plus tard en effet, le trône de Charles X – dernier de nos Rois à avoir reçu les saintes onctions du Sacre – serait, hélas! renversé.

   Je ne résiste pas à la tentation de vous en livrer ci-dessous les extraits, qui montrent de quelle manière les Rois Très Chrétiens accomplissaient leurs devoirs religieux, et en particulier comment ils accomplissaient eux-mêmes le Jeudi Saint le rite para-liturgique du lavement des pieds, appelé aussi « Mandatum ».
En effet, le Roi de France était, du fait de son Sacre, établi dans une catégorie à part où il était équiparé à un évêque pour certaines fonctions : « l’évêque du dehors », selon l’expression consacrée.

   On notera aussi que le souci des pauvres et l’attention à leurs besoins ne sont pas une préoccupation récente de la Sainte Eglise et de ses fidèles ; et on remarquera en même temps que la pratique de la charité et de l’aumône ne requièrent pas non plus cette espèce de dépouillement ostentatoire tels que certains le pratiquent aujourd’hui et qui constitue finalement davantage une insulte pour les pauvres qu’il ne les honore…

nouvelles-ecclesiastiques-semaine-sainte-1830-1 1830 dans De liturgia

nouvelles-ecclesiastiques-semaine-sainte-1830-2 Charles X dans Memento

Nota bene – Précisions au sujet du Jeudi Saint des Rois de France :

   En raison de quelques questions qui m’ont été posées, je me dois d’apporter ici quelques précisions en complément parce que, de nos jours, beaucoup sont dans l’ignorance de ce que sous-entendent les textes que j’ai publiés :

   1) Le « Mandatum » (c’est-à-dire la cérémonie du lavement des pieds) était un rite traditionnel auquel se sont soumis pratiquement tous les Rois de France (sauf par exemple Louis XVIII qui ne possédait pas les conditions physiques pour l’accomplir mais sous son règne la cérémonie avait cependant bien lieu et c’était son frère, futur Charles X, qui lavait les pieds des pauvres au nom du Roi : on en trouve le compte-rendu dans d’autres numéros de l’ « Ami de la Religion et du Roi » que j’ai pu lire).
Pour une plus ample connaissance sur la pratique de nos Rois, voir l’article publié > ici.

   2) D’un point de vue liturgique, le « Mandatum » n’a été intégré dans la Messe du Jeudi Saint qu’avec la réforme des rites de la Semaine Sainte promulguée par Pie XII en 1955. Jusqu’alors il constituait un rite liturgique à part, accompli en dehors de la Messe, par les évêques, par les curés de paroisses, par les supérieurs de communautés religieuses… etc., dans la journée du Jeudi Saint.

   3) Dans l’article sus-cité, nous voyons Sa Majesté le Roi Charles X, le Dauphin (futur Louis XIX) et les deux princesses (c’est-à-dire Madame la Dauphine – Marie-Thérèse, fille de Louis XVI – , et Madame la Duchesse de Berry) aller « faire leurs Pâques » à Saint-Germain l’Auxerrois : ceci appelle deux explications. Tout d’abord, il est bon de rappeler que la famille royale assistait quotidiennement à la Sainte Messe dans la chapelle du château des Tuileries ; mais, d’autre part, selon les règles canoniques alors en vigueur, chacun était tenu d’accomplir le précepte de la Communion Pascale dans sa paroisse.
Le palais des Tuileries se trouvant sur le territoire de la paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, c’est la raison pour laquelle la famille royale devait se rendre dans cette église pour satisfaire au devoir pascal, et ne pas se contenter d’assister aux offices de la Semaine Sainte dans la chapelle du château. En même temps le Souverain et ses proches donnaient par là un bel exemple d’observation des commandements de l’Eglise.

   4) L’article que j’ai publié mentionne aussi qu’après la Sainte Messe au cours de laquelle elle a communié, la famille royale a assisté à une seconde Messe, dite Messe d’action de grâces.
Il faut bien comprendre que la communion fréquente n’est qu’une pratique extrêmement récente : jusqu’aux permissions données par Saint Pie X, les fidèles et les religieux eux-mêmes, ne pouvaient pas communier tous les jours, même s’ils assistaient quotidiennement à la Sainte Messe. Les jours où la Sainte Communion était permise, on avait coutume d’assister – aussitôt après la Messe au cours de laquelle on avait communié – à une autre Messe, la Messe d’action de grâces,  qui – comme son nom l’indique – était offerte à Dieu en remerciement du bienfait incommensurable du sacrement que l’on venait de recevoir. Cette manière de faire peut paraître curieuse à beaucoup de nos contemporains, mais du moins avait-elle le grand mérite de ne pas banaliser la Sainte Communion – comme c’est trop souvent le cas de nos jours – et d’en mettre en valeur toute l’extraordinaire grandeur.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.

saint-louis-lavant-les-pieds-des-pauvres Jeudi Saint dans Vexilla Regis

Saint Louis lavant les pieds des pauvres (manuscrit du XVe siècle)

2013-19. Aubenas, 7 février 1593 : les premiers martyrs de la Compagnie de Jésus en France.

7 février,
Fête des Bienheureux Jacques Salès et Guillaume Saultemouche, martyrs.

       Dans le diocèse de Viviers (ainsi que dans la Compagnie de Jésus), le 7 février, est célébrée la fête des Bienheureux Jacques Salès et Guillaume Saultemouche, premiers membres de la Compagnie de Jésus à avoir reçu la palme du martyre en France.
C’était le dimanche 7 février 1593 – il y a donc 420 ans en cette année 2013 – et cela se passait à Aubenas, petite ville du Vivarais.

2013-19. Aubenas, 7 février 1593 : les premiers martyrs de la Compagnie de Jésus en France. dans Chronique de Lully aubenas-profil-de-la-cite

Silhouette de la vieille ville d’Aubenas (état actuel)

A – Le diocèse de Viviers à la fin du XVIe siècle.

   Il semblerait que les erreurs calvinistes aient commencé à pénétrer dans le diocèse de Viviers (dont les contours sous l’Ancien Régime n’étaient pas ceux de l’actuel département de l’Ardèche) autour de 1530.
Leur propagation fut favorisée par le fait que, pendant presque trente ans (1554- 1583), les évêques qui se succédèrent sur le siège épiscopal de Viviers ne résidèrent pas – ou presque pas – dans leur diocèse.

   De laborieux estimations, recherches et calculs ont permis à certains historiens d’avancer qu’en 1573 il n’y avait guère plus de vingt prêtres en activité dans ce diocèse qui comptait alors quelque 210 paroisses.
La suppression des ordinations, consécutive à l’absence des évêques, n’en est pas la seule cause.
Il y eut -hélas! – des clercs qui apostasièrent ; il y eut aussi, à la faveur des luttes armées, de nombreux massacres dont les récits ou les traditions orales ont conservé le souvenir : pillages de monastères, supplices ou mutilations atroces infligés aux religieux, massacres de prêtres… etc.
L’ignorance religieuse se développant, du fait de l’absence des pasteurs, fit le lit des doctrines prétendument évangéliques des prédicants calvinistes.

   Ajoutons à cela la misère matérielle ; une enquête conduite par un juge royal au cours de l’été 1573 montre que les trois quarts des bénéfices du diocèse avaient été spoliés par les huguenots, ôtant tout moyen de subsistance aux clercs : « Contrainctz d’aller mendier leur povre vie chez leurs parents et amys et d’abandonner les lieux de leurs bénéfices (…) beaucoup se sont retirés dans le petit nombre des villes qui sont encore sous l’obéyssance de Sa Majesté », souvent loin du diocèse.

   Les édifices du culte avaient  été encore plus maltraités que leurs desservants. En cette même année 1573, un percepteur de décimes (taxes exceptionnelles perçues par le Roi sur les revenus du clergé) auquel sa charge imposait de circuler dans tout le Vivarais, déclare que « de toutes les églises et maisons presbytérales et claustrales du présent diocèse » il n’en connaît que trois ou quatre debout et qu’en de nombreux lieux « tout a été ruiné et aboli ».
Une dizaine d’années plus tard, lorsque Monseigneur Jean de l’Hostel (évêque de septembre 1575 à avril 1621) put prendre en mains la conduite de son diocèse, il délégua son grand vicaire, Nicolas de Vesc, pour une grande enquête et visite de ses églises ; la relation de Nicolas de Vesc porte sur quatre-vingt-cinq paroisses et égrène une longue et désolante litanie : « église ruinée, sans porte et sans autel », « église polluée », « église rompue », « détruite », « démolie », « renversée », « brisée par terre », « brûlée », « rasée »… etc.

   Dépourvu de prêtres, dépouillé de la majorité de ses lieux de culte, champ libre laissé à la prédication de l’hérésie, le diocèse de Viviers était donc dans une très grande détresse matérielle et spirituelle.

   Toutefois sous le pontificat de Monseigneur de l’Hostel, à partir de 1583, s’exprime une véritable volonté de reconquête des âmes et de restauration.
Dans cette perspective, les prêtres restés en place, avec les encouragements de leur évêque, ne vont pas hésiter à faire appel à des congrégations religieuses ferventes et dynamiques : en particulier, la Compagnie de Jésus.

bx-jacques-sales 1593 dans De liturgia

Le Bienheureux Jacques Salès (1556-1593)
prêtre de la Compagnie de Jésus. 

B – Le Révérend Père Jacques Salès et le Frère Guillaume Saultemouche.

   Jacques Salès (orthographe qui prévaut à l’heure actuelle mais souvent écrit Salez à l’époque) est né le 21 mars 1556, à Lezoux, petite ville du diocèse de Clermont (entre Clermont-Ferrand et Thiers).
Son père était maître d’hôtel de Monseigneur Guillaume Duprat, évêque de Clermont qui participe au concile de Trente et s’efforce d’en appliquer les réformes dans son diocèse. Monseigneur Duprat est un ami et un admirateur des premiers jésuites : il favorise leur introduction au Royaume de France. C’est ainsi qu’il leur donne son hôtel particulier à Paris, l’Hôtel de Clermont, pour qu’ils y fondent un collège, le fameux Collège de Clermont (1550). Il fonde d’autres collèges jésuites, à Billom (1556) et à Mauriac.

   Le jeune Jacques Salès, orphelin de mère alors qu’il est en bas âge, grandit dans un milieu de grande ferveur religieuse et de profonde éducation à la vertu.
A l’âge de 13 ans, grâce à la recommandation de Monseigneur Antoine de Saint-Nectaire, successeur de Monseigneur Duprat sur le siège épiscopal de Clermont, il est admis gratuitement au collège des jésuites de Billom.
Il est ensuite envoyé à Paris pour étudier la rhétorique et demande à entrer dans la Compagnie : il accomplit son noviciat à Verdun, est ordonné prêtre à 29 ans, passe son doctorat de théologie à l’université de Pont-à-Mousson, à 32 ans, puis est employé à l’enseignement.

   Le Père Jacques Salès est d’une santé extrêmement fragile ; c’est un grand asthmatique qui, en outre, doit s’alimenter fréquemment, sous peine de tomber sans connaissance pendant les cours qu’il dispense.
Pour ménager ses forces, ses supérieurs décident de l’envoyer sous des cieux plus cléments que ceux de Lorraine : il est muté au Collège de Tournon (aujourd’hui Tournon-sur-Rhône) où – bientôt déchargé d’enseignement – il travaille essentiellement à la rédaction de petits traités doctrinaux et apologétiques. En raison du talent particulier qui est le sien d’exposer avec clarté et ferveur le dogme et la morale catholiques, il est aussi employé à la prédication de missions.
Il avait eu le désir de partir vers les missions lointaines et d’y subir le martyre sanglant pour l’amour de Jésus, il allait être exaucé sans avoir à franchir les océans.

   Guillaume Saultemouche, auvergnat lui-aussi, est né en 1555 à Saint-Germain-l’Herm, au coeur des monts du Livradois (entre Issoire et Ambert).
Remarqué pour sa très grande piété, sa douceur et sa candeur, il est admis à l’âge de 16 ans dans la Compagnie de Jésus en qualité de frère coadjuteur. Il exerce les humbles fonctions de frère portier à Pont-à-Mousson, puis à Lyon. On admire sa très grande dévotion envers le Très Saint-Sacrement, devant lequel il reste en adoration à tous ses moments libres.
Il est de passage au Collège de Tournon à la fin de l’année 1592.

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Le Bienheureux Guillaume Saultemouche (1555-1593)
frère coadjuteur de la Compagnie de Jésus. 

C- Le Père Salès et le Frère Guillaume en mission à Aubenas.

   La ville d’Aubenas, ville stratégique du sud du Vivarais, après avoir été terrorisée et dévastée par les huguenots, avait été reprise par le gouverneur catholique : on restaurait les ruines tant matérielles que spirituelles subies par le peuple catholique. Voilà pourquoi fut sollicitée, auprès des supérieurs de la Compagnie, la venue d’un missionnaire : c’est le Père Jacques Salès qui  fut désigné, et on lui adjoignit le Frère Guillaume Saultemouche, qui se trouvait alors disponible et dont la piété signalée ne pourrait qu’édifier les fidèles.
La présence des deux jésuites était prévue « depuis les Avents jusques à Pâques » : comme Pâques était, pour 1593, le 18 avril, la mission devait donc durer environ quatre mois et demi. En fait elle sera interrompue au bout de deux mois par les évènements que nous décrirons plus loin.
Deux témoignages précis laissent à penser que le Père Jacques Salès avait été surnaturellement averti du sort qui l’attendait puisque, en quittant le Collège de Tournon, il avait dit à un confrère : « Adieu, mon frère, priez Dieu pour nous, nous allons à la mort », et à un de ses dirigés : « Adieu, mon fils, vous ne me verrez plus ».

   Arrivés « en Aubenas » – comme on disait alors – au début du mois de décembre, les deux jésuites se livrèrent avec zèle aux travaux apostoliques : il s’agissait d’aider le curé, l’abbé Jean de Martine, à restaurer le culte catholique et la ferveur des fidèles, ébranlée par des années d’irrégularités dans la célébration des sacrements et l’enseignement de la solide doctrine, et de tout mettre en oeuvre pour ramener les protestants à la vraie foi.
La prédication était, bien évidemment, le principal moyen de cet apostolat ; mais s’y ajoutaient aussi l’organisation de cérémonies les plus belles possibles et, très concrètement, d’incessants contacts personnels avec la population, dans les rues, dans les échoppes, dans les maisons, lorsqu’on était invité à y entrer…

   La très grande science du Révérend Père Salès, conjuguée avec une onction et une piété qui impressionnaient jusqu’aux huguenots, la vigueur de sa prédication alliée à la grande douceur qui émanait de lui, l’exemplarité du Frère Guillaume dans son humilité et sa ferveur, portèrent rapidement des fruits : de nombreux catholiques tièdes et déboussolés reprirent le chemin de l’église et la pratique des sacrements, des protestants commencèrent à abjurer leurs erreurs et demandèrent à être réintégrés dans la communion catholique.
Les missionnaires étendirent leur apostolat à l’extérieur de la cité : les chroniqueurs rapportent leur passage dans plusieurs paroisses des environs, parfois distantes de six ou sept lieues.

   Les ministres protestants étaient furieux de ce succès. A plusieurs reprises, certains d’entre eux avaient été conviés par le Père Jacques à des rencontres publiques, où ils auraient pu débattre, mais à chaque fois, les pasteurs s’étaient défilés.
Voyant bien qu’ils n’étaient pas capables d’apporter en faveur des doctrines erronées de Calvin des arguments solidement établis par les Saintes Ecritures et la Tradition, ils résolurent d’imposer le silence au prédicateur par d’autres méthodes.

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L’arrestation du Père Jacques et du Frère Guillaume par les huguenots
(image de dévotion éditée au moment de leur béatification – 1926) 

D – Le martyre. 

    »… Voici que le sixième de février en l’an mil cinq cent nonante-trois, devant le jour, Aubenas au milieu des trêves est traîtreusement surprise avec escalade, escaladée par quinze soldats seulement, lesquels ne rencontrant résistance (…), se font maîtres de la ville. Toute cette traîtreuse escouade était conduite par Sarjas, capitaine huguenot. » (*)
Cela a été vrai de tous temps : une poignée de scélérats armés et fanatisés peut imposer la terreur à plusieurs centaines d’honnêtes gens. C’est ce qui se produisit à Aubenas ce 6 février 1593.

   Le soir du 5 février, le Père Salès avait veillé jusque vers 23 heures, occupé qu’il était à travailler à la conversion d’une « damoiselle hérétique qui, depuis, a persisté toujours en la foi catholique ».
Vers les 4 heures du matin, il fut réveillé par les cris des assaillants. Se levant, au lieu d’aller se réfugier au château, il alla prier dans la chapelle Sainte-Anne, proche de la maison particulière dans laquelle les deux jésuites étaient logés.
« 
S’étant en quelque temps en cette chapelle résigné ès mains de Dieu, il se retire en sa chambre où, prosterné en terre avec son compagnon, ils s’offrent à Dieu en sacrifice, le requérant de leur vouloir départir force et courage pour pouvoir supporter la mort, si tant était que, pour l’amour de lui, ils fussent dignes de l’endurer. Ils restèrent ainsi jusques à soleil levant. Lors voici trois soldats ne respirant que cruauté, qui heurtent à la porte. On leur ouvre. Entrés qu’ils furent, ils trouvent nos deux martyrs à genoux, chacun avec un livre de dévotion en main, priant Dieu. Ces misérables, de prime face, chargent d’outrages nos deux victimes et les serrent à la gorge. On les interroge qui ils étaient : « Nous sommes, répondent-ils, de la Compagnie de Jésus» (…) ».
Les ayant faits prisonniers, ces soldats, avec force coups et vociférations, entraînèrent les deux jésuites dans une autre maison où vinrent les trouver trois ministres protestants qui étaient, selon toute vraisemblance, les instigateurs de l’attaque de la cité : ces pasteurs, avec des paroles mielleuses et une feinte amabilité, voulurent convaincre le père de la justesse des théories de Calvin… en vain, on s’en doute bien.
Puis, devant les deux religieux à jeûn, ils se firent servir un copieux repas au cours duquel ils pérorèrent longuement.
Il était environ deux heures après midi. On s’en souvient : le Père Jacques Salès, asthmatique et souffrant de fréquents malaises hypoglycémiques, ne pouvait rester longtemps sans manger. Un domestique de la maison suggéra aux pasteurs qu’il faudrait peut-être donner quelque nourriture aux deux jésuites. On leur fit donc apporter à chacun une assiette de potage ; mais celui-ci était gras et, en ce temps-là, l’abstinence était de précepte le samedi : les deux religieux n’y gouttèrent donc pas. Cela déchaîna les moqueries et la colère des ministres huguenots ; cependant le Père sut leur répondre par des arguments tirés de la Sainte Ecriture et de la tradition des premiers siècles auxquels ils ne purent rien objecter. Avec des injures ils attaquèrent ensuite les doctrines catholiques du libre-arbitre, de la prédestination, des sacrements et en particulier de la Sainte Eucharistie. Là encore, le missionnaire sut si bien leur répliquer qu’ils ne pouvaient plus argumenter.
« Après ce, les trois prédicants sortent de la maison fort indignés de se voir étrillés de la sorte, trois par un seul. La nuit s’approchait, et le Père, comme son compagnon, était encore à déjeuner (c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas rompu le jeûne) sans que personne leur baillât rien, fors le petit enfant de cette maison-là, lequel, en cachette, leur porta quelque morceau de pain, à ce que j’ai appris. Nos deux pauvres prisonniers, laissés à la merci des soldats, passent la froide nuit ensuivante sans feu, sans lit et sans beaucoup de sommeil ».

   Le lendemain, qui était le dimanche 7 février 1593, les pasteurs revinrent, «vomissant autant d’outrages que leurs têtes en pouvaient dégorger», et ré-attaquèrent le Père sur la doctrine eucharistique, mais ils ne réussirent qu’à se couvrir de confusion.
L’heure du prêche étant venu, l’un des pasteurs, nommé Labat, harangua avec véhémence les sectateurs de Calvin sur la place publique, niant la réalité du Saint-Sacrifice de la Messe et la Présence Réelle du Christ dans l’Eucharistie, traitant le jésuite de faux-prophète et d’antéchrist, puis donnant l’exemple du prophète Elie qui avait fait égorger les faux prophètes de Baal : « 
Tuez cela, tuez ; c’est une peste ! Il y en a assez en lui pour perdre la ville d’Aubenas, mais encore un entier royaume !»
«Descendu de chaire, il rencontre Sarjas, bien persuadé à mal faire, lui inculquant que jamais il n’avait rencontré homme plus obstiné que celui-là ; qu’il était de nécessité d’épandre son sang, puisqu’il était une peste à leur religion. Sarjas se montre si fort esclave des passions de ce ministre, qu’étant sorti du prêche avec environ vingt soldats, il commande à trois d’iceux d’aller assassiner ceux que son prédicant lui avait indiqués».
Ces trois soldats, qui avaient été impressionnés par la foi et la paisible détermination du prêtre, se récusèrent, si bien que le pasteur Labat lui-même prit la tête d’un détachement de gens armés et s’en fut à la maison où les deux jésuites étaient retenus. Il envoya quelques soldats pour les faire descendre dans la rue : 
« Suis-moi, idolâtre Pharisien, suis-moi! — Et où me voulez-vous mener? réplique le Père. — Suis-moi, suis-moi! recharge cet assassin, il te faut mourir. — Je suis tout prêt, répond le Père, allons au nom de Dieu ». Lors, se retournant vers son compagnon qui ne cessait de prier Dieu : « Et vous, mon frère, que deviendrez-vous? Ayez bon courage. Ah! que nous deviendrons grands au ciel, de petits compagnons que nous sommes en ce monde, si nous pâtissons quelque chose pour Dieu! » Lors, le Père signifia à tous que son compagnon n’était pas homme de lettres, que, partant, il ne pouvait point faire de préjudice à leur créance ; qu’on le laissât vivre.
Ce fut en cet endroit que notre Frère Guillaume fit montre de sa vertu : « Je ne vous abandonnerai point, mon Père, s’écria-t-il, ains je mourrai avec vous pour la vérité des points que vous avez disputés! »
Un de la compagnie l’avertit aussi de se retirer, que ce n’était pas pour lui que cette tragédie se jouait, ains seulement pour le Père. A quoi le vertueux Guillaume repartit : « Dieu me garde de tomber en cette faute ; je n’abandonnerai jamais celui-là auquel l’obéissance m’a adjoint pour compagnon, quand bien même je devrais trépasser avec lui. Je l’accompagnerai jusques à la fosse. Que si la divine Miséricorde me voulait faire tant de grâce, que quelque soldat me dépêchât pour son honneur, j’en serais très-aise, et prierais Dieu pour lui, outre le pardon que dès maintenant je lui fais de ma vie… »

   Les deux jésuites sont alors bourrés de coups et amenés dans la rue. « Le prédicant Labat voyant le Père en la rue, derechef l’attaque et l’agace, avec quelques autres, sur la réalité du corps de notre Sauveur au Sacrement de l’autel. Mais le Père répondant à tout pertinemment, le ministre Labat fut si courroucé que perdant patience et conscience, il crie : « Dépêchez cela, dépêchez cela ; il ne mérite point de vivre, c’est une peste! » Puis réitérant ce qu’il avait débagoulé en chaire, il tourne bride et se retire. »
Plusieurs soldats huguenots manifestèrent à ce moment-là leur réprobation de ce crime, mais d’autres, de ceux qui avaient pris la ville avec le dénommé Sarjas, affirmèrent leur détermination d’en finir.
Alors le Père s’adressa au Frère Guillaume :  
« Mon frère, recommandons-nous à Dieu » (…) Il se prosterne à deux genoux. Son compagnon s’y prosterne de même à quelques pas de lui. On ne leur fit grâce de beaucoup prier ; car voici, par derrière, comme le Père se recommandait à son patron saint Jacques, redoublant les noms de Dieu et de Jésus, un des assassins délâcha son arquebuse de laquelle le Père fut atteint en l’épaule, dont il chût par terre, prononçant par trois fois : « Jesu! Maria!». Puis le meurtrier s’avançant plus près, lui sacque un coup de dague dans l’estomac. Guillaume se jette sur le Père, l’embrasse et proteste qu’il ne l’abandonnerait mort, non plus qu’il ne l’avait abandonné vivant. Pour ce, il reçut de la main du même meurtrier un coup de dague au sein. Mais n’en ayant rendu l’âme, survinrent sur-le-champ quelques autres qui lancèrent au Père et à lui divers coups d’épées et de bâtons ferrés. Il fut poignardé (…) tenant toujours ses bras en croix, et ne prononçant autre chose que ces mots : «Endure, chair, endure un peu!»  J’ai appris que le Père Salez, pendant qu’on le meurtrissait, avait aussi les deux pouces en croix, laquelle continuellement il baisait, quoique les huguenots, à grands coups, lui abattissent les mains à ce qu’il ne baisât cette croix. Cependant il ne cessait de supplier pour eux la Majesté divine, s’écriant : «Mon Dieu, pardonnez-leur!» (…) 
Un soldat qui vit faire ce meurtre, m’a déclaré que le Père gisant à terre, tint quelque temps sa main sous son chef, les yeux dressés au ciel, et que la force lui manquant, son chef pencha en terre et qu’ainsi il expira. Le B. Guillaume fut plus de temps à rendre l’âme. (…) Cet heureux martyre arriva le septième février, mil cinq cent nonante-trois. Le Père avait demeuré vingt ans en la Compagnie, et notre Frère, douze. Le premier rendant l’âme au trente-septième an de sa vie, et le second au trente-huitième « .

   Il était environ deux heures de l’après-midi quand les deux religieux furent massacrés.
Leurs corps furent dépouillés et quelques huguenots se revêtirent par dérision de leurs soutanes et chapeaux pour se promener en ville.
Le Père Jacques fut laissé tout nu sur le pavé, au Frère Guillaume on laissa sa chemise, non par compassion mais parce qu’elle avait été toute déchirée par les meurtriers et qu’elle était donc irrécupérable.
Les bourreaux s’acharnèrent encore sur les cadavres en se livrant à de grossiers outrages que la décence se refuse à nommer… Ils dansèrent et sautillèrent autour de ces dépouilles saintes en parodiant des prières latines, puis elles furent laissées exposées ainsi pendant six jours, au bout desquels deux catholiques vinrent les prendre pour les enterrer dans un jardin.

aubenas-chapelle-des-martyrs Jacques Salès dans Nos amis les Saints

Aubenas en Vivarais : au chevet de l’église paroissiale Saint-Laurent,
la « chapelle des Martyrs »,
dédiée depuis leur béatification à la vénération des reliques des Bienheureux Jacques et Guillaume.

E – Vénération et culte des martyrs d’Aubenas.

   Le Père Odon de Gissey [voir la note (*) ci-dessous] écrit encore : « En nos collèges, la nouvelle de ce méchef étant apportée, servit de consolation à tous. Au collège du Puy, où je me retrouvais pour lors, au lieu des suffrages pour les trépassés, on récita tous ensemble le Te Deum à la fin des litanies, et le lendemain les prêtres célébrèrent la Messe de la très Sainte Trinité en action de grâces ».
C’était la première fois que des fils de Saint Ignace mourraient en martyrs sur le sol de France.

   Quelques jours plus tard, le gouverneur (qui avait été absent lors de ces évènements) put reprendre le contrôle de la ville et y rétablir l’ordre ; une enquête fut diligentée, recueillant des témoignages sur ce qui s’était passé. 

   Une pieuse châtelaine, Madame de Chaussy, obtint, deux ans plus tard, de faire exhumer les restes des deux martyrs. Elle les fit transporter dans une chapelle de sa famille, dans l’église de Ruoms, où elles demeurèrent plusieurs mois.
Les jésuites d’Avignon intervinrent alors pour récupérer les reliques qui firent l’objet d’une « dispersion » : Madame de Chaussy en conserva quelques parcelles dans la chapelle de son château, mais les plus grosses parts des deux saints corps furent distribués entre les collèges jésuites d’Avignon, du Puy, d’Aubenas (nouvellement créé), de Tournon, de Chambéry, de Dôle… etc. Des reliques furent également envoyées à Rome, en Espagne, et au Cardinal François de Joyeuse (frère du Père Ange, duc de Joyeuse, maréchal de France et capucin > ici).
Des guérisons miraculeuses et des grâces ne tardèrent pas à être obtenues : comme le Père Jacques Salès avait été gravement atteint par l’asthme, beaucoup d’asthmatiques recoururent à son intercession et se trouvèrent soulagés.

   Le Roi Louis XIV lui-même sollicita du Saint-Siège leur canonisation. En 1729 une supplique solennelle fut aussi adressée à Rome par les Etats du Languedoc.
Mais la suppression de la Compagnie et la grande révolution freinèrent l’introduction et l’avancement du procès canonique.
Enfin, en 1926, le Pape Pie XI les éleva aux honneurs de la béatification en leur décernant le titre de « Martyrs de l’Eucharistie ».

   Les reliques conservées dans la chapelle du Collège des jésuites d’Aubenas, malgré les aléas de l’histoire et du bâtiment (dans cette chapelle, au début du XXe siècle et avant sa totale destruction, les francs-maçons tinrent des « banquets laïcs et républicains » au cours desquels ils se déchaînèrent en blasphèmes), furent préservées et sont dorénavant exposées dans une châsse, au-dessus de l’autel de la « chapelle des Martyrs », au chevet de l’église Saint-Laurent d’Aubenas (cliché ci-dessus).
En nos temps, le culte de ces glorieux martyrs n’est plus célébré avec la ferveur et la pompe d’autrefois : la pratique d’un faux oecuménisme avec les protestants est embarrassée par ces deux jésuites, puisque – selon une certaine manière d’enseigner l’histoire – il n’y aurait eu que de gentils protestants à l’exemplaire doctrine évangélique à avoir été massacrés par de méchants catholiques qui avaient déformé l’enseignement du Christ…
Ceci au point que cette « chapelle des Martyrs » a été rebaptisée « chapelle de l’unité » et réaménagée de telle sorte qu’un « autel-face-au-peuple » de forme cubique y a été installé à l’opposé de l’autel traditionnel, si bien que les fidèles qui y assistent à la messe tournent le dos aux reliques des deux Bienheureux !

   Dans l’oratoire de notre Mesnil-Marie, nous sommes extrêmement heureux de posséder un médaillon reliquaire (avec son certificat d’authenticité) dans lequel se trouvent des parcelles des ossements des Bienheureux Jacques Salès et Guillaume Saultemouche, martyrs de l’Eucharistie : il nous a été offert par un vieil ami prêtre au moment de la fermeture d’une résidence de jésuites, étant donné que la majorité des pères n’avait plus rien à faire de ces « gadgets » sans rapport avec « ce que nous vivons dans l’Eglise depuis Vatican II » (sic)!

   Puissent les Bienheureux Jacques et Guillaume nous inspirer – ainsi qu’à tous ceux qui liront ces lignes – une foi toujours plus vive dans le Très Saint-Sacrement de l’autel, un zèle toujours plus ardent pour défendre la foi véritable dans le Saint-Sacrifice de la Messe et la Présence Réelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la Sainte Eucharistie en face des hérésies contemporaines, et une amoureuse fidélité jusqu’à la mort, quoi qu’il puisse nous en coûter.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.

reliques-bbx-jacques-and-guillaume jésuites martyrs

Médaillon renfermant des reliques des
Bienheureux Jacques Salès et Guillaume Saultemouche, martyrs de l’Eucharistie,
conservé avec grande vénération dans l’oratoire du Mesnil-Marie

eucaristia04copie martyrs d'Aubenas

(*) Note : Tous les passages entre guillemets et de couleur violette que l’on trouve ici, sont extraits de la narration du martyre du Père Jacques et du Frère Guillaume rédigée par le Révérend Père Odon de Gissey, contemporain des faits, qui recueillit avec soin les récits de témoins oculaires, les mit en forme et enfin les publia une trentaine d’années après les évènements [Odon de Gissey, Recueil de la vie et martyre du P. Jacques Salez et de Guillaume son compagnon. Toulouse, 1627, 1642; Avignon, 1869].

2013-10. La messe de Requiem à la mémoire de Sa Majesté Très Chrétienne le Roy Louis XVI composée par Luigi Cherubini.

Luigi Cherubini (1760 – 1842) fut nommé par le Roi Louis XVIII « surintendant de la musique du Roy », en 1816, à la suite du décès de Jean-Paul Egide Martini (+ 14 février 1816). A ce titre, Sa Majesté le Roi Louis XVIII lui commande un Requiem pour la cérémonie du 21 janvier de l’année suivante célébrée à la basilique nécropole royale de Saint-Denys.

C’est donc le mardi 21 janvier 1817 – deux ans après le transfert solennel à la nécropole royale de Saint-Denys des dépouilles mortelles de leurs majestés le Roy Louis XVI et la Reine Marie-Antoinette (cf. > ici et > ici) – , pour le service funèbre anniversaire du martyre du Roy, que fut interprétée pour la première fois, à Saint-Denys, la « Messe de Requiem à la mémoire de Sa Majesté Très Chrétienne le Roy Louis XVI », plus communément appelée « Requiem en Ut (C) mineur », pour choeur mixte.

Pompe funèbre du 20 janvier 1816 à Saint-Denis

Pompe funèbre pour Sa Majesté le Roy Louis XVI à la basilique de Saint-Denys le 20 janvier 1816.

Ce Requiem fit l’admiration de Beethoven, qui le trouvait supérieur à celui de Mozart, et c’est d’ailleurs celui qui sera interprété pour ses funérailles.

En février 1820, à l’occasion des funérailles du Duc de Berry, Cherubini lui ajoutera une marche funèbre.
En 1834, l’archevêque de Paris interdira l’interprétation de ce Requiem en Ut mineur dans le cadre liturgique parce qu’on y entend des voix de femmes. Cherubini composera alors le Requiem en Ré mineur où n’interviennent que des voix masculines et qui sera joué en 1842 pour ses propres funérailles.

A l’occasion de l’anniversaire de l’exécution du Roy-martyr, nous pouvons ré-écouter cette oeuvre magistrale.
Vous en trouverez ci-dessous deux versions :
- une enregistrée par Riccardo Muti, grand « chérubinien » ;
- la version enregistrée par le Boston Baroque Orchestra, dirigé par Martin Pearlman, version suivie par la « marche funèbre » composée par Cherubini en 1820, toujours interprêtée par le Boston Baroque.

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Retrouvez aussi dans les pages de ce blogue :
– le Testament de Sa Majesté le Roy Louis XVI > ici.
– le récit des dernières heures du Roy-martyr > ici.
– le discours de Sa Sainteté le Pape Pie VI attestant que Louis XVI est un martyr > ici.
– le Voeu de Louis XVI au Sacré-Coeur > ici.
– les Maximes  de Sa Majesté le Roy Louis XVI > ici.

Publié dans:Memento, Vexilla Regis |on 20 janvier, 2013 |9 Commentaires »
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