2023-118. De Saint Elzéar de Sabran et de sa virginale épouse la Bienheureuse Delphine.
27 septembre,
Fête de Saint Elzéar de Sabran, comte d’Arrian, confesseur ;
Mémoire des Saints Cosme et Damien, médecins anargyres, martyrs ;
Anniversaire de la naissance de Sa Majesté le Roi Louis XIII.
Famille de Sabran : « de gueules au lion d’argent »
La Maison de Sabran est une illustre famille de la noblesse, établie en Provence, descendant de Charles Martel, de Pépin le Bref, de Louis 1er le Pieux, et alliée à un très grand nombre de familles de la très haute noblesse européenne, ainsi qu’à des familles royales : la mère de Raymond-Béranger de Provence était une Sabran, et on se souvient que les quatre filles de Raymond-Béranger épousèrent toutes des rois. Marguerite de Provence, en particulier, épousa en 1234 Louis IX de France. Ainsi, un peu du sang des Sabran coule dans les veines de tous les descendants de Saint Louis.
Mais l’une des plus grandes gloires de cette famille, qui en compte pourtant beaucoup, dans l’armée, dans les prélatures, dans les charges honorifiques… etc., est d’avoir donné à la Sainte Eglise un très grand saint : Saint Elzéar de Sabran.
Elzéar (qui est l’une des formes provençales du prénom Lazare, et qui signifie secours de Dieu) naquit en 1285 au château de Roubians, près de Cabrières-d’Aigues, dans le comté de Provence. Son père, Ermangaud de Sabran, possédait de nombreux titres, parmi lesquels celui de comte d’Arrian, dans le royaume de Naples.
Arrian, en italien Ariano Irpino, est un fief important de Campanie, et il manifeste combien Ermangaud de Sabran était proche des souverains capétiens régnant sur la Sicile.
L’année de la naissance de d’Elzéar est aussi celle de la mort de Charles 1er d’Anjou, frère puiné de Saint Louis, comte de Provence, roi de Naples et de Sicile, et donc de l’accession au trône de Naples de Charles II d’Anjou (c’est lui qui avait fait réaliser les fouilles dans la vieille église de Saint-Maximin, fouilles qui avaient abouti, en 1279, à la redécouverte du tombeau de Sainte Marie-Magdeleine, à la suite de quoi il avait magnifiquement entrepris la reconstruction de cette église : l’actuelle basilique royale. Charles II est aussi le père de Saint Louis d’Anjou, franciscain et archevêque de Toulouse).
Saint Elzéar de Sabran et la Bienheureuse Delphine de Signes, époux virginaux,
détail d’un tableau de l’église de Puimichel
Elzéar (dont une tradition rapporte que, déjà pénétré de piété et d’esprit de pénitence dès sa naissance, il refusait de prendre le sein les vendredis), reçut une éducation soignée, en particulier, à l’abbaye Saint-Victor de Marseille, dont l’un de ses oncles, Guillaume de Sabran, était l’abbé. On rapporte qu’il portait sur la peau une ceinture garnie de pointes de fer mais qu’il fut trahi par un filet de sang qui transperça ses vêtements : l’abbé son oncle l’en reprit et lui enseigna à pratiquer la pénitence avec davantage de mesure.
Charles II d’Anjou, qui avait remarqué la beauté de Delphine (ou Dauphine) de Signes, héritière de plusieurs fiefs, orpheline, élevée dans une abbaye dont l’une de ses parentes était l’abbesse, décida, en 1295, de la fiancer à Elzéar de Sabran : il n’avait que 10 ans, Delphine en avait 12 ! Le mariage fut célébré quatre ans plus tard, en 1299, au château de Puimichel, fief de la famille de Signes.
Delphine plaçait au-dessus de tout la virginité et elle convainquit Elzéar de rester l’un et l’autre vierges dans le mariage.
Vivant d’abord au château d’Ansouis, sous l’autorité du grand père d’Elzéar (son père était à ses charges à la cour de Naples) les jeunes époux souffraient des mondanités. Ils furent tentés de se retirer l’un et l’autre dans la vie religieuse, mais Elzéar, qui demandait à Dieu de l’éclairer, entendit une voix lui dire distinctement : « Ne changez rien à votre état actuel ».
En 1306, ils furent néanmoins autorisés à quitter Ansouis pour s’installer à Puimichel.
Elzéar récitait tous les jours les heures canoniales, passait une partie de ses nuits en oraison, s’adonnait strictement aux jeûnes de l’Eglise et en rajoutait aux obligations imposées au commun des fidèles : ainsi jeûnait-il pendant tout l’Avent, et préparait-il toutes les grandes fêtes par trois jours de jeûne.
Il dit un jour à Delphine : « Je ne pense pas que l’on puisse imaginer une joie semblable à celle que je goûte à la table du Seigneur. La plus grande consolation sur la terre est de recevoir très fréquemment le Corps et le Sang de Jésus-Christ ».
La domesticité d’Elzéar et Delphine était soumise à des règles religieuses strictes : tout le personnel du château devait assister chaque jour à la Messe, avoir de bonnes mœurs, et recevoir les sacrements (confession et communion) chaque mois ; les jeux de hasard étaient rigoureusement prohibés ; les jurons, blasphèmes ou paroles indécentes étaient sévèrement punis.
Elzéar recevait quotidiennement à sa table douze pauvres, qui repartaient avec une aumône ; il visitait les malades et se mettait à leur service, voyant en eux des images du Christ souffrant.
Saint Elzéar en prière
sculpture subsistante de son tombeau de marbre détruit à la révolution
A la mort de son père, en 1308, Elzéar hérita de tous ses biens et titres, et dut se rendre à la cour de Naples et dans son comté d’Arrian, où il supporta avec patience et longanimité l’opposition locale pendant près de trois années. A la mort de Charles II d’Anjou (6 mai 1309), son fils et successeur, Robert 1er de Naples, dit le Sage, fit de lui son homme de confiance : Elzéar, avec Hugues IV des Baux, se vit ainsi confier la tête de l’armée napolitaine qui eut, en 1312, la mission d’arrêter l’empereur Henri VII de Luxembourg qui tentait de s’emparer de Rome ; à Elzéar fut confiée la régence du royaume de Naples lors des déplacements de Robert 1er le Sage dans son comté de Provence ou à la cour pontificale d’Avignon ; Robert 1er le chargea encore de l’éducation de son fils aîné, Charles de Calabre.
Les préceptes de l’Evangile n’étaient pas seulement la règle de conduite personnelle d’Elzéar, mais dictaient évidemment son action politique. Lorsqu’un criminel était condamné à mort, et qu’il apprenait que les prêtres ne réussissaient point à le convertir, il lui arriva plusieurs fois d’aller les trouver lui-même et de les ramener à des sentiments de pénitence et de piété. La loi prévoyait la confiscation des biens des condamnés, mais Elzéar les fit souvent restituer à leurs veuves ou à leurs orphelins.
En 1313, Elzéar et Delphine confirmèrent leur vie de continence parfaite en prononçant le vœu de chasteté, et ils entrèrent dans le tiers-ordre franciscain.
Parmi les très nombreux miracles qu’Elzéar accomplit de son vivant, on retiendra celui qu’il fit en faveur de son filleul, Guillaume de Grimoard, futur pape Urbain V (cf. > ici). Selon la tradition, le petit Guillaume de Grimoard était né avec un visage difforme ; lors du baptême, à la prière d’Elzéar de Sabran – qui avait des liens de parenté avec les Grimoard et avait été choisi pour parrain – l’enfant retrouva des traits normaux. Cinquante-neuf ans plus tard, cet enfant devenu le pape Urbain V, canonisa Elzéar.
Saint Elzéar soignant (et guérissant) des lépreux
fragment des sculptures qui ornaient son tombeau détruit à la révolution
En 1323, Elzéar est envoyé à Paris, ambassadeur du roi Robert de Naples, pour négocier le mariage de son élève, Charles de Calabre, avec Marie de Valois, petite-fille du roi Philippe le Hardi.
Au cours de ce séjour, Elzéar croisa dans la rue un prêtre portant le saint viatique. Bien sûr, tout le monde mit genou en terre… sauf le comte d’Arrian. Le fait fut rapporté à l’évêque, Etienne III de Bouret, qui convoqua Elzéar afin qu’il rendît compte de cette conduite scandaleuse. Elzéar lui répondit : « Faites venir le prêtre et je m’expliquerai devant lui ». Aux questions que lui posa Elzéar le curé finit par avouer : « J’avais refusé le saint viatique à un marchand, parce que je m’étais vu obligé de lui refuser l’absolution, pour la raison que le malade ne voulait pas restituer des biens mal acquis. Mais ses proches m’ayant menacé des plus grands maux, si je persistais dans mon refus, je lui ai porté en viatique une hostie non consacrée ». Le curé fut destitué.
C’est à l’occasion de son ambassade à la cour de France qu’Elzéar écrivit ces lignes admirables à son épouse demeurée à la cour de Naples : « Vous désirez apprendre souvent de mes nouvelles ? Allez souvent visiter Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement. Entrez en esprit dans son Cœur sacré. Vous savez que c’est là ma demeure ordinaire ; vous êtes sûre de m’y trouver toujours ».
Elzéar tomba malade à Paris : il obtint que la messe fût célébrée dans sa chambre, fit une confession générale et se confessa encore chaque jour… alors que ses confesseurs assurèrent par la suite qu’il ne pécha jamais mortellement. Chaque jour, il se faisait lire la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Il rendit son âme à Dieu le 27 septembre 1323, ayant reçu l’extrême-onction et la sainte communion en viatique. Il était âgé de 38 ans.
Saint François d’Assise avec Saint Louis et Saint Elzéar de Sabran
(tableau de l’église Saint-Florent, à Orange)
Son corps fut ramené en Provence et inhumé dans l’église des franciscains d’Apt. Plus tard il sera transféré dans la cathédrale de cette même ville. Quelques mois plus tard, Delphine le contempla dans une vision. Le pape Clément VI fit procéder en 1352 à la vérification des miracles attribués à Elzéar, et son filleul, le Bienheureux Urbain V, le canonisa en 1370.
Sa veuve, Delphine de Signes, lui survécut pendant 37 ans : elle demeura encore à la cour de Naples, confidente de la reine Sancia, seconde épouse du roi Robert 1er, jusqu’en 1345, où elle revint en Provence, menant une vie pauvre et pénitente jusqu’à sa mort, le 26 novembre 1360. Ses liens avec les franciscains dits « spirituels », dont beaucoup furent suspects d’hérésie, ont entravé sa canonisation dans des formes régulières. Elle figure toutefois au martyrologe propre de l’Ordre séraphique et bénéficie localement d’un culte public, la plupart du temps en même temps que son virginal époux.
Autel et bustes reliquaires de Saint Elzéar et de la Bienheureuse Delphine
dans l’église paroissiale d’Ansouis
