Archive pour la catégorie 'Chronique de Lully'

2023-57. Où, à propos de la fête du Bienheureux Simon de Todi, on évoque les fautes contre le huitième commandement si fréquentes chez les fidèles et dans le clergé lui-même.

20 avril,
Dans l’Ordre de Saint Augustin, fête du Bienheureux Simon de Todi ;
Anniversaire de la naissance de SMTC le Roi Alphonse II de France (cf. > ici, et > ici).

Bienheureux Simon de Todi

Représentation récente du Bienheureux Simon de Todi

       L’extraordinaire fécondité spirituelle du grand Saint Augustin, se vérifie tout particulièrement par les innombrables fruits de sainteté qui se sont développés dans les familles religieuses vivant sous la Règle qu’il a laissée, magnifique héritage de l’expérience spirituelle vécue par le célèbre converti – et par ses proches – dès avant son baptême, le 24 avril 387 (cf. ce que nous en avons écrit > ici).
En France, l’Ordre des Ermites de Saint Augustin, dont les couvents étaient assez nombreux sous l’Ancien Régime, ne s’est jamais véritablement remis de la grande révolution, si bien que (hélas !), la grande majorité des catholiques français de cette première moitié du XXIème siècle, même dans les milieux fervents et instruits, ne sait pas grand chose de cet Ordre, qui subsiste pourtant heureusement en bien d’autres pays, ni des grands saints qu’il a donné à la Sainte Eglise.

   Le Bienheureux Simon de Todi est l’une de ces magnifiques figures de sainteté, dont le jour de la fête nous fournit l’occasion de faire une brève présentation.
Simon Rinalducci est né à Todi (province de Pérouse, en Ombrie), aux alentours de 1260. On ne sait pratiquement rien de son enfance et de son adolescence.
Vers 1280 il entra dans l’Ordre des Ermites de Saint Augustins, chez lesquels il fit ses études et fut ordonné prêtre : dès lors il est connu comme un théologien brillant et un excellent prédicateur. Il exerce la fonction de lecteur (terme par lequel on désigne alors, dans certains ordres religieux, celui qui donne les leçons de théologie) dans plusieurs couvents, puis il est désigné comme prieur de monastère, et enfin nommé prieur provincial d’Ombrie, ce qui l’amène donc à visiter les monastères de l’Ordre et à prendre les décisions pour que la discipline et la ferveur y soient non seulement observées, mais qu’elles y croissent en intensité et profondeur.

   Or nous savons bien que, même dans les milieux religieux – où l’on est supposé rechercher avec ardeur la perfection morale, tendre loyalement  à la sainteté et vivre plus qu’ailleurs dans la charité fraternelle -, le démon s’efforce d’introduire des éléments de dissension et de trouble.
Les responsabilités confiées au Frère Simon de Todi dans le gouvernement de l’Ordre, et les exigences de son gouvernement suscitèrent fatalement des jalousies et des mécontentements chez certains religieux moins fervents…
C’est ainsi qu’à l’occasion du chapitre général de Rimini, en 1318, plusieurs religieux calomnièrent le Père Simon, qui n’avait pu venir à ce chapitre : les supérieurs reçurent ces accusations (dont la teneur n’a pas été conservée par l’histoire) comme des faits avérés, sans chercher à les vérifier ni à les approfondir : ces accusations eurent évidemment des conséquences, tant pour la réputation que pour l’apostolat du Bienheureux qui fut relevé de ses fonctions et éloigné d’Ombrie, mais refusa toujours de se justifier, comme l’y exhortaient certains bons religieux qui savaient que tout cela n’était que le produit de la jalousie et de la méchanceté. Il ne se plaignit pas non plus, acceptant l’épreuve avec sérénité et esprit surnaturel, disant que Notre-Seigneur avait souffert bien davantage et de bien plus cruelle manière.

   Il fut alors envoyé à Bologne, où il exerça avec brio son ministère de prédication, convertissant et ramenant dans le bercail de la Sainte Eglise un très grand nombre de brebis égarées.
Il s’y montra aussi un exemple d’humilité et d’obéissance, malgré l’évidente injustice qui le frappait. Sa patience et son abnégation touchèrent au plus profond un très grand nombre d’âmes, et Dieu lui accorda des faveurs surnaturelles signalées, parmi lesquelles le don d’accomplir plusieurs miracles.
Les évêques se réjouissaient des heureux fruits de la prédication du 
Père Simon de Todi dans leurs diocèses, ce qui accrut le rayonnement de l’Ordre et favorisa des fondations de monastères.

   Le Bienheureux Simon de Todi rendit son âme à Dieu à Bologne le 20 avril 1322, dans le couvent Saint Jacques le Majeur où sa tombe devint rapidement un lieu de pèlerinage et de miracles : selon le témoignage du Bienheureux Jourdain de Saxe, il avait prophétisé le jour de sa mort.
Durant les trois années qui suivirent son trépas, trois notaires différents recensèrent cent-trente-six miracles obtenus sur sa tombe.
Son culte fut confirmé le 19 mars 1833 par le pape Grégoire XVI, et la basilique Saint Jacques le Majeur de Bologne, encore aujourd’hui desservie par les Augustins, conserve toujours ses restes vénérés.

Basilique Saint Jacques le Majeur à Bologne - intérieur

Bologne : intérieur de la basilique Saint Jacques le Majeur

       Malheureusement, et on ne peut pas y penser sans une très grande peine, le huitième commandement de Dieu, qui interdit le mensonge, les atteintes à la réputation et à l’honneur d’autrui (par la médisance, la diffamation, la calomnie, les jugements téméraires, les propos insidieux et les ragots), le faux témoignage et le parjure, est l’un de ceux qui est le plus malmené et sur lequel les fidèles semblent le moins sensibilisé de nos jours : à l’intérieur même du clergé – de la même façon que cela s’est passé jadis pour le Bienheureux Simon de Todi, ainsi que cela a été raconté ci-dessus – on peut fréquemment constater des fautes multiples contre ce commandement de Dieu, soit par frivolité soit par jalousie et méchanceté.
Il n’est même pas rare que des supérieurs ecclésiastiques, voire des organes de communication officiels de diocèses, donnent ce mauvais exemple et se fassent les colporteurs de telles graves injustices.
Il semble donc important de rappeler (la répétition n’est-elle pas la mère de la pédagogie ?) en ce jour l’enseignement pérenne de l’église sur le huitième commandement et les fautes que l’on commet contre lui. A cette fin, nous recopions ci-dessous le passage du Catéchisme de Saint Pie X qui le concerne :

Extrait du catéchisme de Saint Pie X : Le huitième commandement.

   Question : Que nous défend le huitième commandement : « Tu ne diras pas de faux témoignage » ?
Réponse : Le huitième commandement : Tu ne diras pas de faux témoignage, nous défend de déposer faussement en justice. Il nous défend encore la diffamation ou médisance, la calomnie, la flatterie, le jugement et le soupçon téméraires et toute sorte de mensonge.

   Q. : Qu’est-ce que la diffamation ou médisance ?
R. : La diffamation ou médisance est un péché qui consiste à manifester sans un juste motif les péchés et les défauts d’autrui.

   Q. : Qu’est-ce que la calomnie ?
R. : La calomnie est un péché qui consiste à attribuer méchamment au prochain des fautes et des défauts qu’il n’a pas.

   Q. : Qu’est-ce que la flatterie ?
R. : La flatterie est un péché qui consiste à tromper quelqu’un en disant faussement du bien de lui ou d’un autre, dans le but d’en retirer quelque avantage.

   Q. : Qu’est-ce que le jugement ou soupçon téméraire ?
R. : Le jugement ou le soupçon téméraire est un péché qui consiste à mal juger ou à soupçonner de mal le prochain sans un juste motif.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge ?
R. : Le mensonge est un péché qui consiste à affirmer comme vrai ou comme faux, par des paroles ou par des actes, ce qu’on ne croit pas tel.

   Q. : De combien d’espèces est le mensonge ?
R. : Le mensonge est de trois espèces : le mensonge joyeux, le mensonge officieux et le mensonge pernicieux.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge joyeux ?
R. : Le mensonge joyeux est celui dans lequel on ment par pure plaisanterie et sans faire tort à personne.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge officieux ?
R. : Le mensonge officieux est l’affirmation d’une chose fausse pour sa propre utilité ou celle d’un autre, mais sans qu’il y ait de préjudice pour personne.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge pernicieux ?
R. : Le mensonge pernicieux est l’affirmation d’une chose fausse qui fait tort au prochain.

   Q. : Est-il permis de mentir ?
R. : Il n’est jamais permis de mentir ni par plaisanterie, ni pour son propre avantage ni pour celui d’autrui, car c’est une chose mauvaise par elle-même.

   Q. : Quel péché est le mensonge ?
R. : Quand le mensonge est joyeux ou officieux, c’est un péché véniel ; mais s’il est pernicieux, c’est un péché mortel si le préjudice causé est grave.

   Q. : Est-il toujours nécessaire de dire tout ce qu’on pense ?
R. : Non, cela n’est pas toujours nécessaire, surtout quand celui qui vous interroge n’a pas le droit de savoir ce qu’il demande.

   Q. : Pour celui qui a péché contre le huitième commandement suffit-il qu’il s’en confesse ?
R. : Pour celui qui a péché contre le huitième commandement, il ne suffit pas qu’il s’en confesse ; il est obligé de rétracter ce qu’il a dit de calomnieux contre le prochain, et de réparer du mieux qu’il le peut les dommages qu’il lui a causés.

   Q. : Que nous ordonne le huitième commandement ?
R. : Le huitième commandement nous ordonne de dire quand il le faut la vérité, et d’interpréter en bien, autant que nous le pouvons, les actions de notre prochain.

   Puisse donc le Bienheureux Simon de Todi, fêté ce 20 avril, ancrer profondément ces divines vérités en nos âmes, nous assister pour que nous évitions comme la peste de tomber nous-mêmes en semblables fautes, et nous venir en aide pour supporter avec patience, à son exemple, les atteintes à notre réputation et à notre honneur que nous font subir les diffamateurs, médisants et calomniateurs qui ne manquent jamais de se manifester dès lors que l’on chatouille un peu leur autosuffisante médiocrité.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.       

Albrecht Dürer - la calomnie

La calomnie (gravure d’Albrecht Dürer)

2023-56. Récoltes pascales.

- Méditation pour le dimanche de Quasimodo -

Andrea del Verrochio - l'incrédulité de Saint Thomas

Andrea di Michele di Cione dit Le Verrocchio (1435 – 1488) :
l’incrédulité de Saint Thomas confondue

Présence de Dieu.

« O Jésus, je viens à Vous comme Thomas ; faites que je ne sois pas incrédule, mais fidèle ».

Méditation.

   1 – La liturgie de ce jour s’occupe, d’une façon toute particulière, des nouveaux baptisés qui, à l’expiration de la semaine pascale, déposaient les vêtements blancs reçus au fonts baptismaux. C’est réellement à eux qu’est adressée l’affectueuse recommandation de Saint Pierre que nous lisons dans l’introït de la Messe : « Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel très pur ».
Ces paroles nous révèlent la sollicitude maternelle de l’Église pour ses enfants qu’elle a régénérés dans le Christ et surtout pour les nouveaux-nés.
Mais nous sommes aussi l’objet de cette sollicitude ; bien que baptisés dès notre venue au monde, on peut dire qu’à chaque fête de Pâques, en ressuscitant dans le Christ, nous renaissons en Lui à une vie nouvelle. Il nous faut donc être nous aussi semblables à des « enfants nouveaux-nés », dans lesquels il n’y a ni malice, ni fausseté, ni orgueil, ni présomption, mais qui sont pleins de candeur et de simplicité, de confiance et d’amour.
C’est un magnifique rappel à cette enfance spirituelle que Jésus nous a proposée comme condition indispensable pour arriver au salut : « Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux » (Matth. XVIII, 3). Chaque flot de grâce, purifiant et guérissant notre âme du péché et de ses racines, nous fait renaître à une vie nouvelle dans le Christ, vie innocente et pure, qui aspire uniquement « au lait spirituel très pur » de la doctrine du Christ, de Son amour et de Sa grâce.
Mais aujourd’hui, l’Église veut orienter d’une façon toute particulière nos désirs vers la foi : une foi qui nous fasse adhérer à Jésus pour être instruit par Lui, nourris et guidés vers la vie éternelle. La parole du Maître que nous avons méditée la semaine dernière, revient, également ici, bien à propos : « Celui qui croit en Moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive… jaillissant en vie éternelle » (Jean VII, 38 ; IV, 14).
Approchons de Jésus avec cette foi simple et sincère des enfants, et Il nous donnera l’abondance de Sa grâce en gage de vie éternelle.

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 1

   2 – L’Evangile de ce jour a une valeur toute particulière pour nous affermir dans la foi.
Le doute de Thomas nous confirme dans la foi car, ainsi que le dit Saint Grégoire, « son incrédulité nous a été plus utile que la foi des autres apôtres » ; s’il n’avait pas douté, aucun homme n’aurait « mis son doigt dans la plaie des clous, ni sa main dans celle du côté » de Notre-Seigneur.
Jésus a eu pitié de la foi chancelante de l’apôtre, et aussi de la nôtre, et Il S’est laissé non seulement voir, comme Il l’avait fait auparavant, mais encore palper, en permettant à Thomas, l’incrédule, ce qu’Il avait refusé à Marie-Madeleine, la très fidèle.
Cela nous fait comprendre la conduite de Dieu : alors qu’Il accorde les consolations sensibles et les signes plus ou moins palpables de Sa présence à des âmes encore hésitantes dans la foi, Il conduit souvent par des voies très obscures ceux qui se sont donnés à Lui irrévocablement et sur la foi desquels Il peut compter.
Dieu est Père ; Il ne refuse à aucune âme qui Le cherche d’un cœur sincère ce qu’il lui faut pour soutenir sa foi ; mais Il refuse souvent aux plus forts ce qu’Il accorde aux plus faibles.
Jésus, ne nous dit-Il pas : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » ? Bienheureux ceux qui, pour croire en Dieu, n’ont pas besoin de voir, de toucher, n’ont nul besoin de signes sensibles, mais sont capables d’affirmer sans réticence : « Scio cui credidi » (2 Tim. I, 12), je sais en qui j’ai mis ma confiance et je suis sûr de Lui.
Une foi semblable est plus méritoire pour nous puisque, se basant uniquement sur la parole de Dieu, elle est entièrement surnaturelle.
Elle est plus honorable pour Dieu puisqu’elle Lui fait plein crédit, sans exiger aucune preuve, et qu’elle persévère même au sein de l’obscurité et des événements les plus déconcertants, alors qu’il lui semble que le ciel est fermé et le Seigneur sourd à ses gémissements.
Une fois aussi forte est certainement le fruit de la grâce divine, mais nous devons nous préparer à la recevoir, soit en la demandant dans la prière, soit en nous exerçant dans la foi elle-même.

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 2

Colloque :

   Mon Dieu, donnez-moi un cœur pur et simple, sans malice, sans hypocrisie.
« O Seigneur, accordez-moi la véritable pureté et la vraie simplicité, dans les regards, les paroles, le cœur, l’intention, les œuvres et dans toutes les manifestations tant intérieures qu’extérieures. Mais je voudrais savoir, Seigneur, ce qui empêche en moi le développement de ces vertus. Je te le dirai, ô mon âme, puisque je ne le puis faire comprendre à autrui. Sais-tu ce qui fait obstacle ? Le moindre regard qui ne soit pas dirigé vers Dieu, toutes les paroles qui ne sont pas prononcées pour Sa louange ou le réconfort du prochain. Et sais-tu comment tu expulses ces vertus de ton cœur ? Tu les bannis chaque fois que tu manques de cette pure intention d’honorer Dieu et d’aider ton prochain ; tu les chasses encore lorsque tu veux couvrir et excuser tes fautes, ne songeant pas que Dieu voit tout et qu’Il voit ton cœur. O Seigneur, donnez-moi cette véritable pureté et cette vraie simplicité, car Vous ne pouvez trouver Votre repos dans l’âme qui en est privée » (Sainte Marie-Madeleine de’ Pazzi).
O Seigneur, purifiez mon cœur et mes lèvres par le feu de votre charité, afin que je Vous aime et Vous cherche avec la pureté et la simplicité d’un enfant. Mais donnez-moi aussi la foi simple des petits, cette foi sans ombre, sans incertitude, sans raisonnement inutile ; une foi droite et pure qui trouve, dans Votre parole et Votre témoignage, sa satisfaction et son apaisement, sans rien vouloir d’autre.
« O Seigneur, que m’importe de sentir ou de ne pas sentir, d’être dans la nuit ou dans la lumière, de jouir ou de souffrir, lorsque je peux me recueillir sous la lumière créée en moi par Votre parole ! J’éprouve plutôt une sorte de honte à différencier ces choses et, s’il m’arrive d’être ému par elles, me méprisant profondément pour mon peu d’amour, je n’ai qu’à regarder en hâte mon Maître pour me faire délivrer par Lui… Vous m’enseignez à Vous exalter par-delà les douceurs et les consolations qui sont Vôtres, car je dois être résolu à tout dépasser pour m’unir à Vous » (cf. Saint Elisabeth de la Trinité).

Rd. Père Gabriel de Sainte-Marie-Madeleine, ocd.
In « Intimité divine »

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 3

2023-55. Saint Justin, philosophe et martyr, le plus important des « Pères apologistes » du deuxième siècle.

14 avril,
fête de Saint Justin, père apologiste et martyr ;
Au diocèse de Viviers, fête de Saint Bénézet (cf. > ici et > ici).

       Le martyrologe hiéronymien place le martyre de Saint Justin de Naplouse à la date du 13 avril, d’où le fait que sa fête est célébrée le lendemain dans le calendrier traditionnel, puisque la date du 13 est déjà occupée. Le calendrier réformé l’a déplacée au 1er juin.
Dans ses catéchèses destinées à faire découvrir ou redécouvrir aux fidèles les Pères et Docteurs de l’Eglise, le pape Benoît XVI en a consacrée une à la figure de Saint Justin, que l’on appelle aussi le philosophe.

Saint Justin le Philosophe - peinture église Saint Justin à Rome

Peinture Murale de l’église Saint Justin, à Rome

Catéchèse de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
à l’occasion de l’audience générale
du
mercredi 21 mars 2007

présentant la figure
de
Saint Justin de Naplouse
philosophe, père apologiste et martyr

Chers frères et sœurs,

   Au cours de ces catéchèses, nous réfléchissons sur les grandes figures de l’Eglise naissante. Aujourd’hui, nous parlons de saint Justin, philosophe et martyr, le plus important des Pères apologistes du IIème siècle.
Le terme « apologiste » désigne les antiques écrivains chrétiens qui se proposaient de défendre la nouvelle religion des lourdes accusations des païens et des Juifs, et de diffuser la doctrine chrétienne dans des termes adaptés à la culture de leur époque. Ainsi, chez les apologistes est présente une double sollicitude : celle, plus proprement apologétique, de défendre le christianisme naissant (apologhía  en  grec  signifie précisément « défense »), et celle qui propose une sollicitude « missionnaire » qui a pour but d’exposer les contenus de la foi à travers  un  langage  et  des catégories de pensée compréhensibles par leurs contemporains.

   Justin était né aux environs de l’an 100 près de l’antique Sichem, en Samarie, en Terre Sainte ; il chercha longuement la vérité, se rendant en pèlerinage dans les diverses écoles de la tradition philosophique grecque. Finalement, – comme lui-même le raconte dans les premiers chapitres de son Dialogue avec Tryphon – un mystérieux personnage, un vieillard rencontré sur la plage de la mer, provoqua d’abord en lui une crise, en lui démontrant l’incapacité de l’homme à satisfaire par ses seules forces l’aspiration au divin. Puis il lui indiqua dans les anciens prophètes les personnes vers lesquelles se tourner pour trouver la voie de Dieu et la « véritable philosophie ». En le quittant, le vieillard l’exhorta à la prière, afin que lui soient ouvertes les portes de la lumière. Le récit reflète l’épisode crucial de la vie de Justin : au terme d’un long itinéraire philosophique de recherche de la vérité, il parvint à la foi chrétienne. Il fonda une école à Rome, où il initiait gratuitement les élèves à la nouvelle religion, considérée comme la véritable philosophie. En celle-ci, en effet, il avait trouvé la vérité et donc l’art de vivre de façon droite. Il fut dénoncé pour cette raison et fut décapité vers 165, sous le règne de Marc Aurèle, l’empereur philosophe auquel Justin lui-même avait adressé l’une de ses Apologies.

   Ces deux œuvres – les deux Apologies et le Dialogue avec le Juif Tryphon – sont les seules qui nous restent de lui. Dans celles-ci, Justin entend illustrer avant tout le projet divin de la création et du salut qui s’accomplit en Jésus Christ, le Logos, c’est-à-dire le Verbe éternel, la raison éternelle, la Raison créatrice. Chaque homme, en tant que créature rationnelle, participe au Logos, porte en lui le « germe » et peut accueillir les lumières de la vérité. Ainsi, le même Logos, qui s’est révélé comme dans une figure prophétique aux juifs dans la Loi antique, s’est manifesté partiellement, comme dans des « germes de vérité », également dans la philosophie grecque. A présent, conclut Justin, étant donné que le christianisme est la manifestation historique et personnelle du Logos dans sa totalité, il en découle que « tout ce qui a été exprimé de beau par quiconque, nous appartient à nous chrétiens » (2 Apol. 13, 4). De cette façon, Justin, tout en contestant les contradictions de la philosophie grecque, oriente de façon décidée vers le Logos toute vérité philosophique, en justifiant d’un point de vue rationnel la « prétention » de vérité et d’universalité de la religion chrétienne. Si l’Ancien Testament tend au Christ comme la figure oriente vers la réalité signifiée,  la  philosophie  grecque vise elle aussi au Christ et à l’Evangile, comme la partie tend à s’unir au tout. Et il dit que ces deux réalités, l’Ancien Testament et la philosophie grecque, sont comme les deux voies qui mènent au Christ, au Logos. Voilà pourquoi la philosophie grecque ne peut s’opposer à la vérité évangélique, et les chrétiens peuvent  y  puiser  avec  confiance, comme à un bien propre. C’est pourquoi mon vénéré prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, définit Justin comme « pionnier d’une rencontre fructueuse avec la pensée philosophique, même marquée par un discernement prudent », car Justin, « tout en conservant même après sa conversion, une grande estime pour la philosophie grecque, [...] affirmait avec force et clarté qu’il avait trouvé dans le christianisme « la seule philosophie sûre et profitable » (Dialogue, 8, 1) » (Encyclique « Fides et ratio », n. 38).

   Dans l’ensemble, la figure et l’œuvre de Justin marquent le choix décidé de l’Eglise antique pour la philosophie, la raison, plutôt que pour la religion des païens. Avec la religion païenne en effet, les premiers chrétiens refusèrent absolument tout compromis. Ils estimaient qu’elle était une idolâtrie, au risque d’être taxés d’ »impiété » et d’ »athéisme ». Justin en particulier, notamment dans sa première Apologie, conduisit une critique implacable à l’égard de la religion païenne et de ses mythes, qu’il considérait comme des « fausses routes » diaboliques sur le chemin de la vérité. La philosophie représenta en revanche le domaine privilégié de la rencontre entre paganisme, judaïsme et christianisme précisément sur le plan de la critique contre la religion païenne et ses faux mythes. « Notre philosophie… » : c’est ainsi, de la manière la plus explicite, qu’un autre apologiste contemporain de Justin, l’Evêque Méliton de Sardes en vint à définir la nouvelle religion (ap. Hist. Eccl. 4, 26, 7).

   De fait, la religion païenne ne parcourait pas les voies du Logos mais s’obstinait sur celles du mythe, même si celui-ci était reconnu par la philosophie grecque comme privé de consistance dans la vérité. C’est pourquoi le crépuscule de la religion païenne était inéluctable:  il découlait comme une conséquence logique du détachement de la religion – réduite à un ensemble artificiel de cérémonies, de conventions et de coutumes – de la vérité de l’être. Justin, et avec lui les autres apologistes, marquèrent la prise de position nette de la foi chrétienne pour le Dieu des philosophes contre les faux dieux de la religion païenne. C’était le choix pour la vérité de l’être, contre le mythe de la coutume. Quelques décennies après Justin, Tertullien définit le même choix des chrétiens avec la sentence lapidaire et toujours valable : « Dominus noster Christus veritatem se, non con-suetudinem, cognominavit - le Christ a affirmé être la vérité, non la coutume » (De virgin. vle. 1, 1). On notera à ce propos que le terme consuetudo, ici employé par Tertullien en référence à la religion païenne, peut être traduit dans les langues modernes par les expressions « habitude culturelle », « mode du temps ».

   A une époque comme la nôtre, marquée par le relativisme dans le débat sur les valeurs et sur la religion – tout comme dans le dialogue interreligieux -, il s’agit là d’une leçon à ne pas oublier. Dans ce but, je vous repropose – et je conclus ainsi – les dernières paroles du mystérieux vieillard rencontré par le philosophe Justin au bord de la mer : « Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre » (Dial.  7, 3).

Saint Justin buste reliquaire XVIIe siècle bois sculpté - Naples

Buste reliquaire de Saint Justin en bois polychrome (XVIIe siècle – Naples)

2023-54. « La fête de Pâques, porteuse d’un message d’espoir contenu au cœur de la religion catholique, et qui délivre une espérance universelle, promise à tous les peuples en général et à chaque homme en particulier. »

Saint Jour de Pâques de l’an de grâce 2023.

Trois lys blancs

       Dans une tribune libre, publiée dans l’hebdomadaire « Marianne » paru à la date du Vendredi Saint 7 avril 2023 (source > ici), Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, de jure Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Louis XX, analyse les différentes crises, diplomatique et sociale, qui touchent l’Hexagone. Pour Sa Majesté, la France a besoin d’un renouveau social et moral. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir que, depuis plusieurs mois déjà, des revues, qui – dans leurs principes fondateurs et leurs orientations politiques – ne sont pas, loin s’en faut, des organes de presse monarchistes, donnent la parole à notre Souverain légitime, lui donnant ainsi une audience nationale qui dépasse largement celui des publications légitimistes. Dans la joie et la lumière du Seigneur Ressuscité, méditons et approfondissons les paroles sages et fortes de Sa Majesté.

Monseigneur le Prince Louis de Bourbon duc d'Anjou

Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou,
de jure Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Louis XX

   Le printemps s’ouvre sur la fête de Pâques, porteuse d’un message d’espoir contenu au cœur de la religion catholique, et qui délivre une espérance universelle, promise à tous les peuples en général et à chaque homme en particulier. Elle nous pousse à croire qu’après chaque crépuscule, après chaque nuit, si longue et pénible soit-elle, une aube revient, plus éclatante à chaque fois. Croyant ou non, n’avons-nous tous pas besoin d’un tel message, d’un tel espoir dans des temps qui peuvent nous apparaître bien difficiles ?

   Néanmoins, l’espérance ne naît pas de nulle part. Il faut des forces vives, des actions authentiques et de véritables réalisations pour la susciter et lui donner sa force. Ainsi, notre chère France peut retrouver la force qu’elle semble avoir perdue seulement si des hommes et des femmes sont résolus à agir et à adopter des comportements moraux authentiques mus par la recherche du bien commun et de la justice. La crise sociale et les revers diplomatiques que la France essuie manifestent les difficultés du pouvoir à y parvenir. N’est-il pas temps de renouer avec un système capable de les guider sur cette voie ô combien nécessaire ?

Surmonter la crise

   Héritier d’une tradition millénaire, je sais au plus profond de moi qu’il n’y a pas de crise, pas de situation politique que la France n’ait su surmonter. Et une fois encore, je suis convaincu qu’existent des solutions pour bâtir l’avenir de notre pays dès lors qu’il n’est pas guidé par l’idéologie, mais abordé en termes de réalités, celles des hommes et du sol, et dans cette recherche du bien commun.

   Sur le plan international, alors que la guerre s’étend des portes de l’Europe à de multiples territoires, il devient chaque jour plus nécessaire que la France s’impose à nouveau en puissance médiatrice, capable de faire revenir une paix à laquelle nous aspirons tous. Cette paix à construire ne doit pas être seulement une cessation des opérations militaires, mais également une véritable entreprise de justice et de vérité, fondée sur les leçons du passé ainsi que sur la volonté profonde de bâtir un avenir pacifique. Plus que tout autre continent, l’Europe sait à quel point des paix qui s’écartent de ces principes ne sont que des cendres sous lesquelles couvent des braises ardentes promptes à se rallumer.

   Or, il est du devoir de notre pays d’être cette puissance diplomatique influente, capable d’apporter la paix là où les évènements l’imposent. Cela est aussi essentiel à la France qu’aux autres nations du monde. Sur le plan social, le dialogue basé sur un réel désir d’écoute et de compréhension, semble plus que jamais être la solution la plus constructive face aux démonstrations d’autoritarisme qui développent des rancœurs et cristallisent les antagonismes. Et il ne me semble pas vain de répéter que les gouvernants ne doivent jamais perdre de vue le bien de leurs peuples. Ces derniers ne sont ni à ignorer, ni à brusquer mais à écouter et à comprendre. Aucune pression, si puissante soit-elle, ne doit surseoir à ce principe. Et pourtant, cette fameuse réforme des retraites apparaît comme étant plus motivée par des logiques comptables que par un réel souci du bien commun.

Besoin d’une politique sociale

   Une fois de plus, la monarchie se révèle être, en creux, d’une modernité criante face aux problèmes actuels. De fait, le roi n’est l’homme d’aucun parti, d’aucun lobby, notamment financier, puisqu’il ne doit son trône à personne si ce n’est à sa naissance et à la providence. Cette autorité conférée qui échappe aux trafics des hommes, est la garantie d’une politique complètement indépendante, tournée vers le seul bien des peuples et du pays. Grâce à ce principe, la monarchie a toujours tenté d’apporter les remèdes aux maux sociaux qui rongeaient notre pays à différentes époques, du Livre des Métiers de Saint Louis aux préoccupations sociales de Charles X pour la classe ouvrière en formation. Et même en exil, les aînés de la maison de Bourbon ont eu soin d’être attentifs à la question sociale en France. Mon ancêtre, le Comte de Chambord (1820-1883) avait, ainsi, plus que bien des hommes politiques de son temps, senti la nécessité de protéger le peuple français des dangers de la société matérialiste et libérale qui se mettait en place.

   En 2018, j’avais déjà soutenu la profonde détresse du peuple français exprimée dans le mouvement social d’alors devant lequel le pouvoir est demeuré aveugle, cherchant des règlements uniquement matériels alors que les Français attendaient également de la considération. Aujourd’hui, je réitère ma profonde solidarité avec ceux qui souffrent, qui se sentent abandonnés et négligés. La violence à l’œuvre est évidemment à condamner, mais n’est-elle pas la manifestation profonde d’un dysfonctionnement majeur des institutions démocratiques qui auraient dû permettre de canaliser une violence symbolique sans laisser libre place aux voyous qui ne sont là que pour semer le chaos ?

   La France a, par le passé, séduit bien des fois les autres pays en matière de politique sociale. Durant la deuxième moitié du XXe siècle, elle était d’ailleurs devenue une référence, tant son système social démontrait son efficacité en matière de soins, de prévoyance et d’assistance. J’ose même dire que la politique sociale française fait désormais partie des emblèmes et des fiertés de notre pays et qu’elle est constitutive de son identité contemporaine. Il ne faut donc pas laisser dépérir cet héritage. À nouveau, les Français ont besoin d’une politique sociale pour le XXIe siècle, basée sur le long terme et sur les réalités de notre époque, et non de mesures vexatoires et expéditives. Tout est une question de volonté partagée.

Puiser dans l’histoire

   Les troubles autour de la réforme des retraites ne sont sûrement qu’un prétexte à une protestation d’une portée plus générale de nos compatriotes qui souffrent de vivre dans un système qui n’est plus adapté aux conditions économiques et sociales du siècle qui s’ouvre. Il est un devoir impérieux d’assurer à tous les Français qui travaillent les conditions nécessaires d’une subsistance digne qui prend en compte les nouvelles réalités qui s’écrivent tant en termes de mondialisation des échanges que d’innovations technologiques qui en sont encore à leurs balbutiements, et que de transformation dans le rapport au travail. Il s’agit seulement ici d’une œuvre de justice qu’un État doit à son peuple.

   Il est temps que la France retrouve, en puisant dans le meilleur des racines de son histoire, la volonté d’agir pour construire un avenir qui lui soit à la fois plus favorable au plan social comme à l’échelle internationale. C’est à ces conditions que la France contribuera à nouveau à façonner les destinées du monde. Que la fête de Pâques soit l’occasion de redonner l’espérance que je désire ardemment voir animer le cœur de chaque Français.

Louis

grandes armes de France

2023-53. Où Son Altesse Félinissime le Prince Tolbiac vous rapporte comment, au Mesnil-Marie, on est entré avec une grande ferveur dans la Semaine Sainte.

Lundi Saint 3 avril 2023 au soir.

Tolbiac sous les bancs de l'oratoire

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Vous vous en souvenez, je pense, je ne suis qu’un tout jeune chat et je ne suis arrivé au Mesnil-Marie que le 16 mai 2022 (cf. > ici) : c’est donc pour la première fois de ma vie de chat monastique que j’assiste aux cérémonies de la Semaine Sainte.
Mon papa-moine, pendant tout le Carême, m’a expliqué beaucoup de choses sur le péché et sur le grand mystère du salut, sur l’Incarnation du Verbe de Dieu qui a été accomplie en vue de la Rédemption par la Croix, Croix sur laquelle le Fils éternel devenu le « Fils de l’homme » a offert Sa vie en sacrifice… Bref ! toutes ces choses extraordinaires qui intéressent aussi les chats (puisque nous faisons partie de cette création qui attend avec ardeur la manifestation des enfants de Dieu et qui gémit dans l’attente de son affranchissement de la servitude dans laquelle l’a plongée le péché de l’homme – cf. Rom. VIII, 19-23) et que les catholiques apprennent normalement au catéchisme.

   Je parle évidemment d’un vrai catéchisme catholique, dont l’enseignement fondé sur la divine Révélation et sur la Tradition reçue des Apôtres, est nécessairement pérenne – comme le sont par exemple le « Catéchisme du concile de Trente » ou le « Catéchisme de Saint Pie X » - et non de ces ersatz de catéchismes, édulcorés et dénaturés, que l’on a malheureusement vu se répandre abondamment dans les diocèses et les paroisses depuis quelque soixante ans ; de pseudo catéchismes qui n’ont fait que diffuser des notions confuses et, en définitive, n’ont contribué qu’à occulter la Vérité intangible.
L’enseignement de la Vérité révélée confiée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même à la Sainte Eglise catholique, en effet, ne peut être sujet à des variations et des changement au gré des
 modes humaines et en dépendance des délires d’ecclésiastiques transformés en girouettes oscillant au gré des vents intellectuels qui n’ont rien de commun avec le « souffle de l’Esprit-Saint », n’en déplaise à un certain cardinal, placé par l’actuel occupant du trône pontifical à la tête du « Dicastère pour le culte divin » - qui fut jadis la « Sacrée Congrégation des Rites » -, lequel cardinal a tenu il y a peu à ce sujet des propos formellement hérétiques !

Oratoire du Mesnil-Marie dimanche des Rameaux 2023

   Mais j’arrête là ma « charge » contre ces faux prophètes de la prétendue modernité et j’en reviens à mon propos initial : j’assiste donc pour la première fois aux cérémonies de la Semaine Sainte.

   Depuis le samedi de la quatrième semaine de Carême, auquel est donné le nom de « Sitientes » (qui est le premier mot de l’introït de la Sainte Messe de ce jour), notre oratoire, que le violet de l’autel et l’absence d’ornementation rendait déjà un peu austère, a pris un aspect encore plus grave lorsque les crucifix, statues et tableaux ont été recouverts des voiles violets prescrits par les rubriques.

   Et voici que la veille de ce dimanche des Rameaux, nous avons vu arriver en notre petit hameau les autres membres du Chapitre de Saint Remi (dont je vous rappelle que Frère Maximilien-Marie est chanoine, nonobstant les propos diffamatoires répandus à ce sujet) ainsi qu’un tout petit nombre de membres de l’Ordre de Saint Remi, qui sont venus vivre, dans le calme et la quasi solitude de notre ermitage, cette semaine la plus importante de l’année liturgique.

Croix de la procession des Rameaux

   J’ai donc pu assister aux préparatifs minutieux de la sacristie, et j’ai vu pour la première fois une procession des Rameaux.

   Bien que le temps fût plutôt à la pluie ce dimanche matin 2 avril, les faibles averses intermittentes n’ont pas empêché le bon déroulement de cette procession : modeste par la taille, mais grande par la ferveur.

   J’étais émerveillé par la sévère beauté de la chape violette, faite d’un beau velours de soie, brodé de fils d’or…

chape violette

   … et j’ai bien aimé aussi la chasuble, avec ses fleurs de lys, évocatrices de la royauté du Christ, Fils de David et Roi légitime de la sainte cité de Jérusalem : cette royauté qui ne procède pas de ce monde mais doit s’exercer sur lui, ainsi que l’enseignera Notre-Seigneur à Pilate ; cette royauté que chante l’hymne des vêpres de ce temps de la Passion, qui proclame que « Dieu a régné par le bois : regnavit a ligno Deus » !

chasuble violette fleurdelysée

   Je vous avoue que j’étais très intrigué et attiré par les rameaux bénits.
Lorsque, jeudi dernier, Frère Maximilien-Marie est revenu du sud du Vivarais avec une grande corbeille contenant des branches d’olivier, de laurier et de petites palmes, je n’y avais pas accordé beaucoup d’importance. Certes, comme tous les chats, j’aime bien l’odeur de l’olivier, mais maintenant qu’ils sont bénits, tous ces rameaux me semblent particulièrement intéressants et attrayants : je suis même monté sur l’armoire des reliques, en essayant de me dissimuler derrière la statue de Saint Augustin voilée, pour m’approcher au plus près de la croix de procession – voilée bien sûr – à laquelle est assujettie une petite palme.
J’ai même réussi à l’attraper et je voulais l’emporter (et aussi savoir quel goût elle avait, parce qu’il me semble que les objets bénits sont toujours meilleurs), mais mon papa-moine me l’a reprise en me faisant les gros yeux, et l’a replacée sur la croix de procession…

Tolbiac et la palme bénite de la croix de procession

   Toutefois mes facéties ne nuisent pas à l’ambiance de régularité, de recueillement et de ferveur qui règne en notre Mesnil-Marie : en témoigne cette autre photographie, ci-dessous, prise pendant l’adoration du Très Saint Sacrement, après les vêpres.

   Cela me donne vraiment envie d’être un bon chat-noine moi aussi.
Croyez-vous qu’un jour, en considération de mes efforts et de mon zèle pour le service divin, je serai jugé digne d’avoir une jolie mozette et une belle barrette galonnée de doré ?

Salut du Très Saint Sacrement - dimanche des Rameaux

   Il se fait tard ; je vais donc achever ma petite chronique de ce beau dimanche des Rameaux qui nous a fait entrer dans la Semaine Sainte.
Comme les offices vont être très longs et nos journées très remplies, je ne suis pas certain que j’aurais encore du temps pour vous écrire avant l’octave de Pâques…

   Néanmoins, il y a une chose que je veux vous redire et sur laquelle je veux insister, chers amis bipèdes qui avez l’immense grâce d’avoir été dotés d’une âme créée à l’image et ressemblance de Dieu, et appelée à la vie surnaturelle : profitez vraiment de cette Semaine Sainte pour intensifier votre connaissance des souffrances du Verbe de Dieu incarné, pour communier à Sa Passion rédemptrice, pour Lui tenir compagnie dans les affres de Son agonie à Gethsémani et sur la Croix, pour placer vos pas dans les Siens sur la Voie douloureuse, pour veiller auprès de Lui quand tant d’hommes pensent qu’il est ennuyeux et déplaisant de demeurer auprès de Lui, et – surtout ! – pour L’aimer toujours mieux et davantage, Lui qui vous a tant aimés et qui ne reçoit en retour qu’indifférences, mépris, tiédeur, offenses, outrages, blasphèmes et sacrilèges…

Bonne et très fervente Semaine Sainte !

Tolbiac

Tolbiac veillant le Christ au tombeau

2023-52. La Semaine Sainte selon les rites traditionnels antérieurs aux réformes de 1950-1955.

Philippe de Champaigne : Sainte Face

Philippe de Champaigne (1602-1674) : Sainte Face

Bien chers Amis,

       Ceux qui nous connaissent bien le savent déjà (mais il n’est pas toujours inutile de le rappeler) et ceux qui nous suivent depuis peu l’ont probablement déjà compris, nous portons – à la suite de très grands liturgistes et spécialistes de la crise doctrinale qui ravage la Sainte Eglise, et pour des raisons graves fondées dans la sainte et vénérable Tradition – un regard très critique sur la liturgie prétendument « restaurée » de la Semaine Sainte.
Cette réforme accomplie en deux étapes (1950, puis 1955) sous le pontificat de Pie XII, et parfois à l’encontre de certains des principes énoncés par ce Vénérable Pontife dans son encyclique sur la liturgie « Mediator Dei » publiée le 20 novembre 1947, a véritablement cassé un ordonnancement et une discipline d’environ quinze siècles qui avaient une admirable cohésion parce qu’ils étaient le fruit d’un développement organique.
Ici aussi s’applique la pertinence des remarques de feu le cardinal Domenico Bartolucci qui, dans un entretien que nous avions publié en 2009 (voir > ici), insistait pour dénoncer une prétendue « réforme » accomplie par des idéologues, « hommes arides » (sic), qui n’étaient pas de véritables théologiens catholiques. Relire de temps en temps cet entretien vigoureux est toujours une source de force…

   Je vous renvoie, bien sûr, au petit ouvrage de Monsieur l’abbé Olivier Rioult dont nous avons déjà parlé (cf. > ici) : « La Semaine Sainte réformée sous Pie XII – Bref examen critique », qui est des plus accessibles même pour des fidèles qui n’ont pas une science liturgique et théologique poussée, et  aux doctes publications du Maître Henri Adam de Villiers sur son site « Liturgia » (voir à partir > d’ici).

   Je me répète, j’insiste, et je le ferai encore : la liturgie de la Semaine Sainte telle qu’elle se trouve dans le missel de 1962 (dit de Jean XXIII) utilisé dans la majorité des chapelles et églises où est célébrée la Sainte Messe latine dite traditionnelle, est un cheval de Troie. On y trouve, déjà mis en application, tous les artificieux principes de la réforme qui sera imposée après le concile vaticandeux, et avec les mêmes méthodes.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, à quelques détails près, dans le missel dit de Paul VI, les rites de la Semaine Sainte sont pratiquement les mêmes que dans le missel de 1962 : point n’était besoin au tristement fameux Monseigneur Bugnini d’intervenir à nouveau sur des rites qu’il avait déjà largement contribué à détruire ou à dénaturer !

   Il vous en souvient peut-être, pour la Semaine Sainte 2018, le Saint-Siège avait autorisé – à certaines conditions (en particulier celle – regrettable – de garder les cérémonies du Jeudi Saint, Vendredi Saint et Samedi Saint le soir, et non à leurs horaires matinaux traditionnels) – de reprendre les rites antérieurs à cette réforme opérée sous Pie XII. Feu le Maître-Chat, qui était du voyage, avait publié dans les pages de ce blogue une série d’articles sur les cérémonies que nous avions vécues cette année-là dans la petite communauté bénédictine qui se trouvait à cette époque à La Garde-Freinet, sur la Côte d’Azur.
Pour des raisons pratiques, vous retrouverez ci-dessous les liens vers ces articles, si vous souhaitez les lire, les relire ou les approfondir.

- La bénédiction des Rameaux, la procession et la Messe solennelle de la Passion > ici
- Les Saintes Messes solennelles des lundi, mardi et mercredi saints > ici
- Les offices des Ténèbres > ici
- La Sainte Messe « in Cœna Domini » le Jeudi Saint > ici
- La cérémonie du « Mandatum » > ici
- L’adoration de la Croix et la Messe des Présanctifiés du Vendredi Saint > ici
- La Vigile Pascale, le Samedi Saint > ici
- L’exhumation de l’Alléluia au matin de Pâques > ici
- La Messe solennelle du Saint Jour de Pâques > ici

   Nota bene :
On trouvera en outre, dans ce blogue, les très sagaces et impertinentes réflexions du Maître-Chat Lully au sujet de la « réforme » du rite du lavement des pieds décidée en 2016 par l’actuel occupant du Trône pontifical pour le missel dit « ordinaire » > ici.

Orazio Gentileschi - Portement de Croix 1553

Orazio Gentileschi (1563-1639) : Portement de Croix

2023-51. Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

Mercredi de la Passion.

   A huit jours du Jeudi Saint, et parce que la Semaine Sainte est déjà très riche de textes à approfondir, prier et méditer, voici une très belle étude réalisée par l’un des prêtres membres de la Confrérie Royale, qui a été envoyée à tous ses membres en guide de lettre mensuelle à l’occasion du 25 mars 2023.
Vous pouvez compléter cette lecture avec celle de notre publication du 28 mars 2013 (voir > ici) concernant le « Dernier Jeudi Saint de la Monarchie Très Chrétienne ».

Giotto di Bondone le lavement des pieds - Padoue

Giotto di Bondone (1266/67-1337) : le lavement des pieds [chapelle Scrovegni - Padoue]

frise fleurs de lys

Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

       La cérémonie du lavement des pieds ou Mandatum (note 1) du Jeudi saint est sans doute l’une des plus originales que nous offre l’année liturgique, au cœur de ce splendide écrin qu’est le Triduum pascal. Le lavement des pieds constitue matériellement un acte tout à fait anodin et spirituellement un modèle de grande élévation mystique, consistant en l’imitation de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé » (note 2). Il s’agit surtout d’un exemple d’humilité à l’instar des abaissements du Verbe incarné, à la veille de la grande Passion qu’il allait souffrir et offrir pour la rédemption du monde.

   L’exemple vient d’en haut. Depuis le haut Moyen Âge, les grands de la Chrétienté, papes et évêques, empereurs et rois, prirent l’habitude de commémorer le lavement des pieds au cours d’une véritable cérémonie liturgique, en marge de la Messe in Cœna Domini. Le roi de France, fils aîné de l’Église, avait le devoir de se soumettre à cet usage. Le mot « Mandatum » a donné le mot français « mandé », inusité aujourd’hui, et le mot anglais « Maundy », toujours employé pour désigner le Jeudi saint – « Maundy Thursday ». « Maundy » vient aussi du mot « maund » qui désignait une corbeille destinée à recevoir les aumônes. En effet, le jour du Jeudi saint était à la fois consacré au service liturgique humiliant du lavement des pieds, mais aussi à la distribution d’aumônes aux pauvres. Les deux vont de pair et se sont retrouvés unis au cours de la même célébration.

Robert le Pieux et saint Louis : lorsque le roi très chrétien servait les pauvres

   Le roi Robert II le Pieux († 1031) semble avoir été le premier à introduire à la cour le rituel du lavement des pieds (note 3) auquel il se soumettait régulièrement. Le roi acceptait de laver les pieds à douze pauvres vieillards, leur distribuait une aumône, avant de leur offrir un repas et de les servir lui-même à table, en compagnie d’autres princes et grands officiers de la cour (note 4). Nous lisons, dans la Vie de Robert le Pieux composée par le moine et chroniqueur Helgaud de Fleury († 1048), une belle description du rituel accompli par le fils d’Hugues Capet :

« De plus, le jour de la cène du Seigneur, il assemblait avec soin au moins trois cents pauvres, et lui-même, à la troisième heure du jour, servait à genoux, de sa sainte main, des légumes, des poissons, du pain à chacun d’eux, et leur mettait un denier à la main. Ce fait admirable pour ceux qui le virent dans un tel office, ne sera pas cru par ceux qui ne l’ont pas vu. À la sixième heure, il réunissait cent pauvres clercs, leur accordait une ration de pain, de poissons et de vin, gratifiait d’un denier douze d’entre eux, et chantait pendant ce temps, de cœur et de bouche, les psaumes de David ; après cela, cet humble roi préparait la table pour le service de Dieu, déposait ses vêtements, couvrait sa chair d’un cilice, et s’adjoignait le collège des clercs, au nombre de cent soixante, ou plus encore ; il lavait, à l’exemple du Seigneur, les pieds de ces douze pauvres, les essuyait avec ses cheveux, les faisait manger avec lui ; et au mandatum Domini, donnait à chacun d’eux deux sous (note 5) . »

   Ce bel extrait montre que le rituel auquel le roi de France s’appliquait le jour du Jeudi saint ne se limitait pas uniquement au lavement des pieds des douze pauvres. Plusieurs repas successifs, accompagnés de distribution d’aumônes, étaient servis par le roi en personne, à de nombreux indigents (300 pauvres laïques, 100 pauvres clercs et les 12 pauvres du Mandatum). Le lavement des pieds était placé entre le deuxième et le troisième repas.

Saint Louis lavant les pieds des pauvres et des mendiants

Saint Louis, lavant les pieds d’un mendiant.
Enluminure des Grandes Chroniques de France, XIVe siècle.
Paris, BnF, Mss. fr. 2813, f° 265.

   Le grand saint Louis (1214-1270) ne se contenta pas d’imiter son pieux ancêtre. Ses journées étaient consacrées, à côté de ses tâches proprement royales, au service des pauvres : « Les jours de fête, il réunissait deux cents pauvres dans son palais, et les servait lui-même à table (note 6). » Le Jeudi saint, il donnait un exemple solennel devant toute la cour :

« Mais le jeudi saint, autorisé par l’exemple du Sauveur, il ne craignait pas de le faire devant sa cour. En ce saint jour, il lavait les pieds à treize pauvres, et leur donnait quarante deniers. Plus tard, lorsque ses fils étaient près de lui, il leur faisait faire de même. Et ce n’était point, comme nous le voyons encore dans le rituel de cette fête aujourd’hui, une pure cérémonie […]. Un jour un des vieillards, prenant fort au sérieux l’office dont le roi s’acquittait, et voulant profiter de l’occasion, lui fit remarquer que les doigts de ses pieds n’étaient pas propres à l’intérieur, et le pria en toute simplicité de les nettoyer. Ceux qui étaient là s’indignaient contre ce malotru, qui demandait au roi un tel service. Mais le pieux roi, faisant droit à sa requête, fit humblement ce qu’il souhaitait, lava les doigts, les essuya et y joignit le baiser de charité (note 7). »

   On peut s’étonner du fait que treize pauvres au lieu de douze étaient choisis. Dom Guéranger rappelait une tradition puisée dans la vie de saint Grégoire le Grand († 604). « Ce grand Pontife lavait chaque jour les pieds à douze pauvres qu’il admettait ensuite à sa table. Un jour, un treizième pauvre se trouva mêlé avec les autres, sans que personne l’eût vu entrer ; ce personnage était un Ange que Dieu avait envoyé pour témoigner par sa miraculeuse présence combien était agréable au ciel la charité de Grégoire (note 8). »

   Saint Louis fut le modèle par excellence du « roi très chrétien ». Ce titre était un honneur mais représentait surtout de grands devoirs à accomplir pour le monarque français. Ses successeurs ne pouvaient pas se dispenser d’imiter le saint roi dans sa vie de charité envers les pauvres. Le Jeudi saint était pour eux l’occasion de donner un témoignage public de cet esprit de service.

La pratique des Bourbons : un cérémonial élaboré

   Henri IV, fraîchement (re)converti au catholicisme, célébra son premier Jeudi saint, en qualité de roi de France et de Navarre, au palais du Louvre, en 1594. Il sacrifia sans peine à la tradition de ses ancêtres. Voici ce qu’écrivait le chroniqueur Pierre de l’Estoile († 1611) : « Le jeudi absolut, 7 de ce mois, le Roy fist au Louvre la cerimonie accoustumée du lavement des pieds, où M. de Bourges prescha ; alla dans l’hostel Dieu visiter tous les pauvres, et leur donna à chacun l’ausmonne de sa propre main, sans en oublier un seul ; et après les exhorta à l’amour de Dieu et de leurs prochains, et à patience. Chose belle à un roy (note 9). »

   En 1643, Louis XIII mourant confia au petit dauphin, âgé de quatre ans, la tâche de remplir ce si honorable ministère :

   « Sa Majesté n’ayant pu assister le Jeudi-Saint à la cérémonie ordinaire de la cour, parce que sa santé n’est pas entièrement parfaite […], Mgr le Dauphin fut substitué en la place de Sa Majesté et commença par un action d’humilité et piété, telle que celle qui se pratique tous les ans à pareil jour à la cour, de donner de grandes espérances d’une future piété. Plusieurs seigneurs se rendirent hier à Saint-Germain, d’où étant de retour, l’on a su comme avec grâce et douceur ce jeune prince avoit lavé les pieds aux pauvres, auxquels il a fait bailler à chacun certaine quantité de toille et de drap (note 10). »

Eustache le Sueur St Louis lavant les pieds des pauvres musée des Beaux-Arts de Tours

Saint Louis lavant les pieds des pauvres
par Eustache Le Sueur (1616-1655)
Cette toile, conservée au musée des beaux-arts de Tours,
est contemporaine des règnes de Louis XIII et Louis XIV
dont la pratique est décrite ci-dessus et ci-dessous

   Louis XIV continua sans peine la tradition qu’il avait dû si précocement accomplir. Concluant un sermon donné devant la cour, avant la cérémonie du lavement des pieds, en 1665, le prédicateur Guillaume Leboux (1621-1693), alors évêque de Dax, s’adressait en ces termes au jeune souverain de 27 ans :

   « Sire, Votre Majesté peut tirer de tous ces beaux exemples diverses instructions ; mais, en finissant, je ne dois m’arrêter qu’à celle qui lui est nécessaire dans le temps de cette sainte et auguste cérémonie, par laquelle un grand roi va renouveler aux pieds de ses sujets ce que le Seigneur a fait aux pieds de ses Apôtres. Que cette action faite dans l’esprit de la Foi, de la Charité et de la Religion si fortement enracinée dans le cœur de Votre Majesté, dispose saintement ce grand cœur à recevoir le don de cet ami. Qu’elle peut attirer de bénédictions sur sa personne ! Et il n’y a pas lieu de craindre d’avilir par là la majesté du roi ; et je puis dire au plus grand des rois ce qu’un panégyriste disait à un grand empereur : que lorsqu’il s’abaissait devant ses peuples, sa grandeur était en sûreté : Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ. Elle est en sûreté, Sire, cette grandeur royale, qui va paraître couverte des marques de la servitude. Car, après tout, Votre Majesté s’abaissant aux pieds de ses sujets, elle affermit encore par là ce trône de respect et d’amour, qu’il s’est élevé dans leur cœur. Il y a quelque chose de plus : elle s’élève par là un trône de gloire dans le sein de Dieu (note 11). »

   La portée spirituelle du rite du Mandatum accompli par le souverain ne faisait pas de doute. On relèvera surtout, dans ce bref extrait, les belles paroles répétées par Le Boux : « Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ ». En s’humiliant devant son peuple, le prince met sa couronne et la grandeur de sa mission en sûreté. Le lien fort qui unissait le monarque à son peuple était particulièrement mis en exergue le Jeudi saint. Le grand cérémonial imposé par Louis XIV à Versailles sut mettre encore plus en valeur le noble rite au cours duquel le roi était identifié au Christ Maître et Serviteur :

   « Chaque année, le Jeudi saint au matin, le roi faisait célébrer dans la grande salle des gardes de son palais la cérémonie de la Cène royale. Celle-ci se déroulait en trois temps. Le roi commençait par entendre une prédication et le chant du Miserere : désignée par le nom d’absoute, cette première partie était vraisemblablement le reliquat de l’antique cérémonie romaine de la réconciliation des pénitents le jour du Jeudi saint. Pour le lavement des pieds, Louis XIV se mettait à genoux devant treize garçons pauvres dont il lavait, essuyait et embrassait à chacun le pied droit. Enfin, durant la Cène royale proprement dite, il leur servait lui-même à manger, accompagné d’un certain nombre de courtisans soigneusement choisis, sur une table installée dans la même pièce (note 12). »

   Une autre description très précise, remontant aux années 1640, nous est donnée par Guillaume du Peyrat, aumônier de Louis XIII dans son Histoire ecclésiastique de la cour, publiée en 1645. Nous la restituons ici in extenso :

   « Le jeudi, dès six heures du matin, ces treize petits pauvres sont menez à la Fourrière (note 13), où le Barbier du commun de la maison du Roy leur raze les cheveux, & coupe les ongles du pied à chacun, puis on les fait chausser, & on leur baille à desieuner, & les officiers de la Fourrière leur lavent après les iambes & les pieds avec de l’eau tiede, & des herbes odoriferentes, afin que sa Majesté n’en reçoive aucune mauvaise odeur ; cela fait, ils sont habillez d’une petite robe de drap rouge, ayant un chaperon à hache, attaché derrière, avec deux aulnes de toile qui leur pendent depuis le col jusques en bas, où son enveloppez leurs pieds, & sont conduits par leurs pères & mères, ou quelqu’un de leurs parens, en la salle où se doit faire la cérémonie, & assis le long d’un banc, le dos tourné contre la table, où le Roy les doit servir, & le visage vers la chaire, où le grand Aumosnier, ou autre Prélat choisi pour faire ce jour le service divin devant sa Majesté, doit faire l’exortation sur le sujet de cette cérémonie. L’exhortation faite on chante le Miserere, à l’issuë duquel le grand Aumosnier, ou autre Prélat qui a fait l’exhortation, donne l’absolution, puis le Roy s’advance vers les enfans, & prosterné à deux genoux, commence à laver le pied droit au premier, & le baise, & ainsi continuë aux autres. Le grand Aumosnier de France, & en son absence, le premier Aumosnier tient le bassin d’argent doré, & l’un des Aumosniers servans tient le pied de l’enfant que le Roy lave, essuye, & baise après. Si le grand & le premier Aumosniers sont absens, l’un des deux Aumosniers servans qui sont en quartier, tient le bassin, & l’autre les pieds des enfans. Ce lavement estant fait, les enfans sont passés de l’autre costé de la table, où ils sont servis par le Roy, chacun de treize plats de bois, les uns pleins de légumes, les autres de poisson, & d’une petite cruche pleine de vin, sur laquelle on met trois pains, ou eschaudés (note 14), & puis le Roy passe au col à chacun d’eux une bourse de cuir rouge, dans laquelle il y a treize escus, laquelle est présentée à sa Majesté par le Thrésorier des aumosnes. Tous ces mets sont présentez au Roy par les Princes du sang royal, & autres Princes & grands Seigneurs qui se trouvent lors auprès de sa Majesté. Le premier Maistre d’Hostel en l’absence du Grand-Maistre de France (note 15) marchand devant eux avec son baston de premier Maistre d’Hostel en grande cérémonie ; & derrière les enfans y a un Aumosnier servant, qui prend tous les plats, si tost que le Roy les a mis sur la table, & les remet dans des paniers, ou corbeilles qui sont tenües par les pères & mères, ou parens des enfans, ausquels le tout appartient. Cette cérémonie ainsi parachevée, le Roy vient à la Messe avec une grande suite de Princes, Seigneurs, & Officiers de la Cour […] (note 16) »

Versailles chapelle royale - tribune de la musique petite voûte centrale

Chapelle royale du château de Versailles :
peinture à la voûte centrale de la tribune de la musique

   On voit bien, dans cette description, une claire distinction entre le rite du Mandatum, dont les ministres étaient les seuls ecclésiastiques, et le rite de la « Cène royale », auquel participaient les officiers laïques de la Cour. Le 17 avril 1715, le vieux Louis XIV se soumettait toujours, malgré son grand âge, mais fidèle à l’exemple qu’il avait le devoir de donner, à cette fatigante cérémonie. Une description très précise nous est donnée par le Nouveau Mercure galant, dans laquelle nous voyons tout le protocole entourant notamment la Cène royale, avec l’intervention des grands officiers et des princes du sang :

   « Le Jeudy Saint le Roy alla à neuf heures & demie du matin, accompagné de M. le Dauphin (note 17), de M. le Duc d’Orléans (note 18), & de tous les Princes, dans la Salles des Gardes, où l’on avoit dressé une Chaire pour le Prédicateur. Il y trouva 13 petits enfants couverts d’un drap rouge avec un grand linge qui leur pendoit au col, M. le Cardinal de Rohan, Grand Aumônier, en Habits Pontificaux. La Scène [sic] fut prêchée par M. l’Abbé Foissard, dont le Sermon fut très-applaudy, sur tout le compliment qu’il fit à S. M. qui convenoit fort à la cérémonie du jour, & à ce qu’il venoit de prêcher ; ayant prouvé dans les deux parties de son Discours l’abaissement de J. C. combattu par la raison humaine, & la raison humaine confonduë par l’abaissement de J. C. dans cette cérémonie. À la fin du Sermon M. le Cardinal monta en Chaire, ayant la Mitre sur la tête & la Crosse à la main. Les Chantres commencèrent d’entonner l’Antienne Intret. M. le Grand Aumônier ayant dit les Oraisons accoûtumées, donna l’Absoute, & le Roy alla incontinent laver les pieds des Apostres, ayant versé de l’eau dessus, & essuyé avec un linge, il les leur baisa. Cette cérémonie finie, on servit les pauvres dans cet ordre. M. Desgranges, Maistre des Cérémonies, précédé d’un Huissier, suivy de M. le Marquis de Dreux, Grand Maistre des Cérémonies, de 13 Maistres d’Hôtel chacun avec leur Bâton de Commandement, de M. le Marquis de Livry, Premier Maistre d’Hôtel, qui portoit aussi son Bâton, de M. le Duc, grand Maistre de la Maison du Roy, portant un Bâton parsemé de fleurs de lys d’or avec une Couronne d’or au bout. Ils marchoient les premiers, & en passant devant S. M. faisoient une révérence ; ensuite venoit M. le Dauphin, portant un plat de bois sur lequel étoient trois petits pains avec une galette ; M. le Duc d’Orléans portant un plat de même sur lequel estoit une cruche pleine de vin avec une coupe par-dessus, le tout de bois ; M. le Comte de Charollois, M. le Prince de Conty, M. le Prince de Dombes, M. le Comte d’Eu, & M. le Comte de Toulouse portant chacun un plat de poisson, de légumes, de confitures, ou de fruits, suivis du grand Échanson, du grand Pannetier, & des Gentilshommes servans qui faisoient en tout treize qui portoient aussi des plats de bois ornez de fleurs. En arrivant devant S. M. ils faisoient une révérence en luy présentant le plat que le Roy donnoit en même tems aux pauvres. Cette cérémonie commença jusqu’à 13 fois dans le même ordre, parce qu’on sert 13 plats à chaque pauvre qui estoient treize (note 19). Il faut remarquer qu’on alloit prendre ces plats dans une autre Salle assez esloignée, & que M. le Dauphin fit 13 fois le voyage, comme les autres Princes, marchant avec beaucoup de fermeté, & portant son plat avec beaucoup d’adresse, suivi toûjours de Madame de Ventadour sa Gouvernante (note 20). »

   Peu de différences en réalité avec les descriptions faites, sept décennies plus tôt, par du Peyrat, ce qui est le signe d’une continuité inchangée du cérémonial du Mandatum. Néanmoins, la description du Mercure nous fait entrevoir toute la solennité avec laquelle la monarchie a voulu entourer cette cérémonie, en y faisant participer les plus hauts personnages de la famille royale et de la Cour. L’exemple vient en effet d’en haut : en collaborant avec le souverain à ce rituel long et complexe, les acteurs du Mandatum et de la Cène royale manifestaient leur humble soumission au commandement du Seigneur, pleinement uni ici au commandement du Prince. Le souverain allait ensuite assister à la Messe du Jeudi saint à la chapelle. Toute cette journée, comme les autres jours saints, étaient consacrés à la cour à la commémoration des évènements de la Rédemption. La piété du monarque devait servir d’exemple aux princes et aux courtisans, et ce en dépit du relâchement moral et spirituel qui a affecté les élites du royaume de France au cours du XVIIIe siècle. Cet exemple de piété était doublé d’un exemple de charité, avec l’exercice d’une des principales œuvres de miséricorde qu’est l’aumône. La Cène royale représente la munificence du prince envers ses peuples, quand bien même un petit échantillon était seulement admis à bénéficier de ces largesses.

   La Cène royale eut aussi un pendant « féminin ». Ce fut le cas, en 1739, lorsque la reine Marie Leszczynska participa à une « Cène de la Reine » au cours de laquelle les plats étaient apportés par les princesses et les grandes dames de sa Maison (note 21). Auparavant, la reine procédait au lavement des pieds de treize filles pauvres. Ce n’était pas une nouveauté : en 1640, la grande Mademoiselle, nièce de Louis XIII, remplaçait Anne d’Autriche pour le Mandatum. Les deux Cènes étaient deux cérémonies bien distinctes, avec une prédication (un prédicateur), des officiers et des lieux différents (note 22).

   L’ultime cérémonie célébrée par la monarchie française eut lieu en 1830, au palais des Tuileries. « Un grand nombre de fidèles se pressoient pour être témoins de cet acte de piété. Puisse ce grand exemple n’être pas stérile pour eux ! » peut-on lire dans l’Ami de la Religion et du Roi (voir > ici). La révolution qui éclata en juillet suivant et l’avènement de Louis-Philippe sonnèrent le glas de ces usages si nobles et si touchants d’une si antique royauté inséparable de l’autel.

Mathias Balticensis

restitution de la chapelle des Tuileries sous la Restauration

Restitution de la chapelle royale aux Tuileries sous la Restauration
(d’après plusieurs documents d’époque)

Notes :

1 - Ce nom latin est tiré des paroles du Seigneur à ses Apôtres lors de la Cène : « Mandatum novum do vobis », « Je vous donne un commandement nouveau » Jn 13, 34.
2 – Jn 13, 16.
3 - Alexandre Maral, La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV, Wavre, Mardaga, 2010 (2e éd.), p. 279.
4 – Abbé N.-J. Cornet, Beautés de l’Église catholique, représentées dans son culte, ses mœurs et ses usages, Liège, H. Dessain, 1857, p. 64.
5 – Mme Amable Testu, Cours d’histoire de France. Lectures tirées des chroniques et des mémoires avec un précis de l’histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à nos jours, Paris, Lavigne, 1836, t. I, p. 188.
6 – H. Wallon, Saint Louis, Tours, Alfred Mame et fils, 1880, p. 40.
7 - Ibid., p. 41-42.
8 – Dom Prosper Guéranger, L’Année liturgique, La Passion et la Semaine sainte, Paris, H. Oudin, 1900, p. 441.
9 – Pierre de L’Estoile, Journal de Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, Paris, Foucault, 1826, t. III, p. 46.
10 – Lettre de Chanu, député de Lyon, au consulat (3 avril 1643), citée in G. Fagniez, « Paris jugé par la province. Extraits de la correspondance adressée au consulat de Lyon par les députés de cette ville à la Cour (1595-1645) », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 23e année (1896), p. 59.
11 - « Deux sermons inédits de Leboux prononcés devant Louis XIV le Jeudi-Saint pour la cérémonie du lavement des pieds », Revue du Clergé Français, 3e année, t. XII (1897), p. 164.
12 - Gérard Sabatier, Margarita Torrione, ¿ Louis XIV espagnol ? Madrid et Versailles, images et modèles, Versailles, CRCV, 2009, p. 227.
13 - La fourrière désigne le lieu où se trouvaient les services du fourrier, officier chargé d’assurer les vivres et le logement de la cour. 
14 – Biscuits de pâte légère ébouillantée.
15 - Officier chargé de la surintendance générale de la Maison du Roi. 
16 – Guillaume du Peyrat, L’histoire ecclésiastique de la cour ou les antiquitez et recherches de la chapelle, et oratoire du roy de France depuis Clovis I jusques à notre temps, Paris, Henry Sara, 1645, p. 774-775.
17 - Futur Louis XV. 
18 – Futur régent du royaume. 
19 – Il faut remarquer que tous ces plats n’étaient pas consommés sur place. Une bonne partie d’entre eux étaient donnés en aumône aux petits pauvres et à leurs familles.
20 - Nouveau Mercure galant, mai 1715, p. 127-133.

2023-50. Nous avons lu et médité, et nous avons aimé : « Chemin de Croix », du Révérend Père Jean-François Thomas s.j.

Temps de la Passion.

   Le petit livre que nous recommandons avec chaleur n’est pas récent, mais on peut dire qu’il est intemporel, pérenne : ce sont des méditations pour les 14 stations du Chemin de la Croix, rédigées par le Révérend Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, que nous n’avons plus à présenter;
Publié en 2017 par les éditions « Via Romana », ce tout petit livre (par sa taille) est toujours disponible en librairie : on le trouve donc très facilement ; on peut aussi le commander sur plusieurs sites de librairies catholiques en ligne.
En outre, au bas de cette page-ci, vous pouvez l’écouter en différé, lu par le Révérend Père Thomas lui-même, enregistré le Vendredi Saint en 2020.

Chemin de Croix - Rd Père Jean-François Thomas sj

- Présentation publiée dans « Correspondance Européenne » du 10 avril 2017 :

    »A l’approche du triduum pascal, le meilleur moyen d’entrer enfin pleinement dans le drame du Salut en s’unissant aux souffrances du Sauveur est bien sûr l’exercice du Chemin de Croix. Reste, et ce n’est pas facile tant les questions sociétales et politiques ont pris le pas, ces dernières années, sur le spirituel, à trouver celui qui touchera l’âme en y éveillant les sentiments de compassion et de contrition nécessaires.
Celui du Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, (Chemin de Croix, Via Romana, 2017, 76 pages, 7€), devrait répondre aux attentes les plus exigeantes. Très traditionnel dans sa forme et ses dévotions, il n’a rien toutefois de vieux jeu et sait prendre en compte les besoins spécifiques et les souffrances d’un « monde qui a perdu la tête ».
Aux fautes et péchés de tous les temps, cette via crucis ajoute avec délicatesse ceux de notre époque, les nôtres et ceux de nos contemporains, que nous n’avons pas su écarter du Mal. Le Père Thomas trouve les mots justes qui éclairent à la lumière de la Passion nos drames intimes et collectifs.
Avec des formules simples mais efficaces, il rappelle à chaque ligne qui est Celui qui monte ainsi au Golgotha sous les crachats, les coups, les ricanements d’une foule à laquelle nous nous mêlons trop souvent. Il faut un cœur de pierre pour rester insensible à ses puissantes méditations sur les chutes successives du Seigneur, le rôle de Simon de Cyrène, le dépouillement du Christ dont la nudité sainte répond à la nudité honteuse d’Adam, les clous enfoncés dans Ses mains sacrées et, surtout, la beauté mariale de ces quatorze stations qu’accompagne, forte et debout, la Mère des Douleurs. Voici un texte à lire, méditer, et reprendre, chaque vendredi et pas seulement pendant la Semaine Sainte, afin de garder présent à l’esprit de quel prix incroyable nous avons été rachetés [...]« .

Anne Bernet

- Entretien publié dans le quotidien « Présent » du samedi 11 mars 2017 :

   Le père Jean-François Thomas, jésuite, écrivain, vient de faire paraître un très utile petit livret de méditation sur le chemin de croix :

   — Pourquoi avoir écrit des méditations sur le chemin de croix ? N’en trouve-t-on pas déjà beaucoup ?
— En effet, mais cela ne serait pas une raison pour déposer la plume en se disant qu’il ne faut plus aborder un tel thème de contemplation. Depuis les origines du christianisme, les auteurs spirituels n’ont pas cessé de méditer sur les mêmes mystères. Plus un mystère de la foi est central, plus il sera sujet à méditations. Le croyant a toujours faim et soif de mieux comprendre avec son intelligence et d’entrer davantage en communion avec son âme, afin que sa foi soit ferme et fidèle. Certaines époques ont été riches en méditations du chemin de croix et de la Passion du Christ, notamment ce siècle d’or que fut le Grand Siècle français, le XVIIe siècle. Tous les ordres religieux y consacrèrent une part importante de leur apostolat, plantant la croix dans le cœur des fidèles et ramenant à la vraie foi beaucoup d’hérétiques protestants. Nous ne pouvons nous approcher de cette méditation qu’avec crainte et tremblement, car nous touchons là à la fois à l’aboutissement du mystère d’iniquité auquel nous a conduits le péché originel et à l’achèvement de l’œuvre de la Rédemption.

   — Trouvez-vous que cette dévotion s’accorde toujours à notre temps et convient aux catholiques pratiquants de 2017 ?
— Depuis le début des pèlerinages à Jérusalem sur les traces du Christ, ceci au IIe siècle, vers 160, avec Méliton de Sardes, la dévotion envers Jésus dans sa Passion n’a cessé de se développer. Peu à peu, elle prit sa forme actuelle, mais elle n’est pas apparue subitement ex nihilo. Elle a été intégrée dans la Tradition de l’Eglise et, depuis des siècles, les générations de croyants s’en nourrissent. Les aliments spirituels ne sont jamais périmés. L’expression de la foi ne dépend pas des modes mais de l’efficacité des instruments qui lui sont proposés. Cette dévotion est simple, elle s’adresse à tous nos sens puisque nous nous joignons à la foule qui accompagne le Sauveur vers le Golgotha. Le temps ne peut pas user un tel moyen d’être en communion avec Notre-Seigneur.

   — Quelle est l’origine de cette dévotion ?
— Elle provient de Terre sainte. Mettre ses pas dans ceux du Christ montant au Calvaire était un des moments les plus poignants de la démarche des pèlerins. L’impératrice Hélène avait été la première souveraine à se rendre à Jérusalem en 330, elle ne négligea point le chemin du Calvaire. Lorsqu’en 451 a lieu le concile de Chalcédoine, qui réaffirme la pleine humanité de Jésus en plus de sa divinité, le désir de vénérer la terre où le Christ avait vécu en tant qu’homme s’accrut encore davantage. Les Franciscains, au XIIIe siècle, mirent peu à peu en place le chemin de croix que nous connaissons dans les rues de Jérusalem, Via Dolorosa. Cette dévotion marqua profondément les fidèles et ils voulurent continuer à la mettre en pratique une fois le pèlerinage terminé, d’abord en Italie où les disciples de saint François d’Assise la mirent en place, puis dans toute la chrétienté. Clément XII, en 1731, ratifia le bien de cette dévotion, en autorisant que les stations du chemin de croix puissent également être installées dans des églises ne dépendant pas des Franciscains.

   — Ne fait-on pas mémoire, durant le chemin de croix, d’épisodes transmis par la Tradition mais non rapportés dans les Evangiles ?
— En effet, cinq stations proviennent de la tradition orale : les trois chutes de Jésus, la rencontre avec sa sainte Mère et l’épisode de sainte Véronique essuyant la sainte Face avec un linge. Je ne suis pas certain qu’un souci rigide de ne coller qu’aux épisodes relatés dans les saintes Ecritures soit un apport pour la foi. Les chutes de Jésus n’ont rien d’improbables, car il était chargé d’un poids très lourd et affaibli par les blessures de la flagellation. Il est facile de comprendre aussi que la Sainte Vierge, encore plus que ne l’auraient été toutes les mères du monde, était présente sur la Via Dolorosa puisqu’elle participait de façon mystérieuse à la Passion de son Fils. Quant à Véronique, il s’agit de la femme hémoroïsse, originaire de Panéas et guérie par le Christ dont elle toucha le manteau (évangile selon saint Matthieu, XX). Est-il donc si improbable de croire, à partir de témoignages aussi antiques, que cette femme miraculée ait suivi Jésus, dans une gratitude fidèle, jusqu’au Calvaire ?

   — Quelles sont les grâces spéciales attachées à la récitation du chemin de croix ?
— La plus insigne, souvent ignorée des fidèles, st une indulgence plénière, accordée selon les conditions habituelles : se détacher de tout péché véniel, se confesser, communier, prier aux intentions du souverain pontife. En ce qui concerne le chemin de croix, il faut aussi se déplacer (sauf pour les malades, bien sûr) entre les stations érigées avec une croix d’indulgence au-dessus de la représentation de l’épisode de la Passion. Don extraordinaire de l’Eglise que cette indulgence plénière, qui est donc reçue à chaque fois que le chemin de croix est accompli fidèlement ! A cela s’ajoutent des grâces particulières d’union profonde avec le Seigneur contemplé dans sa Passion : protection contre Satan et ses démons, promesse de la vie éternelle…

   — Nous sommes en carême ; la notion que cette dévotion est particulièrement propre à ce temps liturgique est-elle justifiée ?
— Il est normal que le carême nous invite à une méditation renouvelée de la Passion du Christ. D’où la saine et sainte habitude de faire le chemin de croix, seul ou en groupe, chaque vendredi de ce temps liturgique, et de façon plus solennelle, bien sûr, le vendredi saint, à l’heure où le Sauveur meurt sur la croix. Cependant l’Eglise nous encourage à continuer cette pratique tout au long de l’année, chaque vendredi, pour entrer dans l’intimité du Christ souffrant. Les pèlerinages sont aussi des occasions privilégiées pour suivre le chemin de croix.

   — On pense souvent à la récitation communautaire sous la direction d’un prêtre, mais votre petit volume ne s’adresse-t-il pas plutôt à la récitation privée ?
— Le chemin de croix s’adresse tout à la fois à la prière privée et à la prière publique de l’Eglise. L’essentiel est d’être fidèle à cette pratique, tantôt en assistant à un chemin de croix solennel dirigé par le clergé, tantôt en parcourant seul les stations dans le silence d’un sanctuaire. S’instaure alors le dialogue de l’âme pécheresse avec le Maître de la divine miséricorde offrant sa vie pour le rachat de nos péchés. Ce livret n’a pas d’autre ambition que d’aider ce dialogue intérieur du fidèle prêt à suivre le chemin de croix chaque vendredi de sa vie, car il est juste et bon de se remettre constamment en mémoire l’immense abnégation qui a conduit Notre-Seigneur sur le calvaire, par pur amour.

Propos recueillis par Anne Le Pape

- Dans le bulletin de l’ « Action Familiale et Scolaire » n°252, d’août 2017 :

   Voici une petite brochure pratique qui permet de suivre et donc de méditer les quatorze stations du chemin de croix. Chaque méditation, comme d’habitude, présente le tableau de la scène avec les réflexions que cela provoque en réfléchissant sur l’aspect physique, l’aspect symbolique, notre responsabilité à travers les différents acteurs (des membres fielleux du Sanhédrin à la conclusion que nous fait entrevoir le bon larron par la reconnaissance de ses fautes, aussitôt pardonné par Notre Seigneur). Nous trouvons la leçon à en tirer pour notre vie personnelle et nos résolutions, avec cet espoir que nous distille le Christ qui, tout en souffrant humainement, nous délivre un message divin. Avant de réciter les Pater ou Ave classiques, une prière particulière à chaque station est proposée. Ce petit livret est à recommander à tout chrétien qui cherche à méditer ce chemin de croix qui pourrait être suivi, même sans être devant les tableaux correspondants.

Important :

   Comme nous l’avons écrit supra, ce Chemin de Croix peut être « écouté » et médité en rediffusion sur la chaîne de la paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet, où c’est le Révérend Père Thomas lui-même qui le lit, le Vendredi Saint 10 avril 2020 >>>

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2023-49. Méditation pour le premier dimanche de la Passion : Jésus persécuté.

Premier dimanche de la Passion :
Epître : Hébr. IX, 11-15 ; Evangile : Jean VIII, 46-59.

James Tissqot - controverse avec les pharisiens dans le temple - gouache

Jacques-Joseph Tissot (1836-1902), dit James Tissot :
« N’avons-nous pas raison de dire que tu es un samaritain et un possédé ? » (gouache)

Jésus persécuté

Présence de Dieu.

O Jésus, introduisez-moi dans le mystère de Votre Passion, daignez m’y associer, afin que je puisse participer ensuite à Votre Résurrection !

Méditation.

   1 – Aujourd’hui commence le Temps de la Passion, période particulièrement consacrée au souvenir et à l’amoureuse contemplation des douleurs de Jésus. Le crucifix et les statues voilés la suppression du Gloria Patri dans la messe et les répons de l’Office divin, l’absence du psaume « Judica me » au commencement de la messe, sont des signes de deuil par lesquels l’Église commémore la Passion du Seigneur.
Dans les leçons de l’Office divin, le Pape Saint Léon nous exhorte à participer « à la croix du Christ, afin que nous fassions, nous aussi, quelque chose qui nous unisse à ce qu’Il a fait pour nous, car, comme le dit l’Apôtre, si nous souffrons avec Lui, nous serons glorifiés avec Lui ». Il s’agit donc non seulement de méditer les douleurs de Jésus, mais d’y prendre part, de vivre Sa Passion dans notre cœur et notre corps (cf. 2 Cor. IV, 10), parce qu’ainsi seulement, nous pourrons avoir part à ses fruits. Voilà pourquoi, dans la liturgie du temps, l’Eglise répète avec plus d’insistance que jamais : « Si vous entendez la voix du Seigneur, n’endurcissez pas vos cœurs ». La voix du Seigneur se fait entendre, en ces jours, non par des paroles, mais par le témoignage éloquent des faits, par le grand événement de la Passion, mystère qui nous donne la preuve la plus convaincante de Son amour infini pour nous.
Ouvrons donc notre cœur aux sublimes leçons de la Passion : voyons combien Jésus nous a aimés et combien nous devons L’aimer en retour ; apprenons que si nous voulons Le suivre, il nous est nécessaire à nous aussi de pâtir, de porter la croix avec Lui et à sa suite. Et en même temps, ouvrons notre cœur à la plus vive espérance, parce que notre salut est dans la Passion de Jésus.
Dans l’épître du jour, Saint Paul nous présente la figure majestueuse du Christ, le Prêtre par excellence qui, « au prix de Son Sang, est entré une fois pour toutes dans le Saint des Saints (c’est-à-dire le ciel), en nous obtenant une rédemption éternelle ». La Passion de Jésus nous a rachetés ; elle nous a ouvert, une nouvelle fois, la maison du Père ; c’est pourquoi, elle est le motif de notre espérance.

James Tissot - Qui de vous me convaincra de péché - gouache

Jacques-Joseph Tissot (1836-1902), dit James Tissot :
« Qui de vous me convaincra de péché ? » (gouache)

   2 – L’Évangile nous narre un trait de la sourde hostilité des Juifs, prélude manifeste de la Passion de Jésus. Ces cœurs endurcis ne veulent admettre, d’aucune façon, la mission du Sauveur et s’ingénient de mille manières à combattre Ses enseignements, pour Le dénigrer devant le peuple en Le présentant comme un menteur, un démoniaque. Leur aigreur s’accroît, au point qu’ils décident de Le lapider : « Alors ils prirent des pierres pour les Lui jeter ». La mort de Jésus est déjà décrétée par les Juifs, mais l’heure fixée par le Père n’étant pas encore venue, « Jésus Se cacha et sortit du temple ».
Ce passage évangélique nous permet de considérer la conduite de Jésus vis-à-vis de Ses persécuteurs : mansuétude, zèle pour leurs âmes. Saint Grégoire le Grand écrit : « Considérez, frères bien-aimés, la mansuétude du Seigneur. Lui, qui était venu remettre les péchés, disait : Qui de vous Me convaincra de péché ? Lui, qui, en vertu de Sa divinité, pouvait justifier les pécheurs, ne dédaigne pas de prouver, au moyen du raisonnement, qu’Il n’est pas pécheur » (bréviaire romain).
Les calomnies se multiplient : « Tu es un samaritain et Tu es possédé du démon ». Le divin maître répond, toujours avec mansuétude et seulement autant qu’il est nécessaire pour rendre témoignage à la vérité : « Je ne suis point possédé du démon, mais J’honore Mon Père et vous, vous M’outragez ». Pour le reste, Il remet Sa réputation et Sa cause entre les mains de Dieu : « Pour moi, Je n’ai pas souci de Ma gloire : il est quelqu’un qui en prend soin et qui fera justice ». Et entretemps, à travers les discussions, Il ne cesse d’instruire et d’illuminer les esprits pour tâcher de les arracher à l’erreur ; toujours oublieux de Lui-même, Il pense uniquement au bien des âmes. C’est ainsi que, précisément en cette pénible circonstance, Jésus nous donne de précieux enseignements : « Celui qui est de Dieu, entend la parole de Dieu… Si quelqu’un garde Ma parole, il ne verra jamais la mort ». Recueillons ces enseignements de la bouche du Maître persécuté, et conservons les dans notre cœur avec un soin jaloux. De nos jours encore, le monde est plein de Ses ennemis, de ceux qui combattent Sa doctrine, méprisent Sa Passion. Nous du moins, croyons en Lui et soyons Lui des amis fidèles.

James Tissot - les Juifs prirent des pierres pour Le lapider - gouache

Jacques-Joseph Tissot (1836-1902), dit James Tissot :
« Les Juifs prirent des pierres pour Le lapider » (gouache)

Colloque :

       «  Louange à Vous, Dieu très miséricordieux, qui avez voulu nous racheter et nous élever par la Passion, les douleurs, le mépris et la pauvreté de Votre Fils, alors que nous étions misérables, bannis, prisonniers et condamnés. Je cours donc vers Votre Croix, ô Christ, vers la douleur, le mépris, la pauvreté, et, de toutes mes forces, je désire me transformer en Vous, ô Dieu-Homme souffrant, qui m’avez aimé jusqu’à endurer une mort horrible et honteuse, et cela, à seule fin de me sauver et de me donner l’exemple, afin que je puisse subir, pour Votre amour, les adversités. C’est la perfection et une vraie preuve d’amour que de me conformer à Vous, ô Crucifié, qui, pour mes péchés, avez voulu mourir cruellement, Vous livrant entièrement en proie aux tourments. O mon Dieu souffrant, c’est seulement en lisant dans le livre de Votre vie et de Votre mort, qu’il me sera donné de Vous connaître et de pénétrer Votre mystère. Accordez-moi donc un profond esprit d’oraison, une prière pieuse, humble, attentive, faite non seulement de bouche mais de cœur et d’âme, pour pouvoir comprendre les leçons de Votre Passion !
En ce livre, je vois Votre infinie bonté et la miséricorde, qui Vous a fait prendre sur Vous notre condamnation, notre mépris, notre douleur, plutôt que de nous laisser dans un état si misérable. Je vois la bonté sans borne, le soin, la diligence que Vous avez mis pour nous sauver et nous reconduire dans la patrie céleste. Je vois la sagesse infinie, par laquelle Vous nous avez rachetés, sauvés et glorifiés d’une manière ineffable, par miséricorde, sans léser la justice. Et tandis que Vous mouriez péniblement, Vous avez tout vivifié en anéantissant la mort commune.
De plus, dans le livre de Votre Croix, je vois Votre mansuétude infinie, par laquelle, étant Maudit, Vous ne maudissiez ni ne Vous vengiez, mais, au contraire, pardonniez et gagniez le ciel pour ceux-là mêmes qui Vous crucifiaient » (Sainte Angèle de Foligno).

marteau clous et couronne d'épines

« O mon Dieu souffrant,
c’est seulement en lisant dans le livre de Votre vie et de Votre mort,
qu’il me sera donné de Vous connaître et de pénétrer Votre mystère ».

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