23 décembre,
Anniversaire de la bataille et des massacres de Savenay (23 décembre 1793).
Yan’ Dargent (1824-1899) : « Destruction complète des Vendéens à Savenay »
[gravure pour illustrer l' "Histoire de la Révolution française" d'Adolphe Thiers, tome I (1866)]
Le 23 décembre 1793, eut lieu la bataille de Savenay, « la plus mémorable et la plus sanglante qui ait eu lieu depuis le commencement de la guerre de la Vendée », selon les propres termes du général Marceau, où les restes de la Grande Armée catholique et royale de l’Ouest, à la fin de la « Virée de Galerne », furent anéantis par les troupes de la révolution conduites par le général de division Kleber.
Cette bataille se termina, nous le disions, par d’atroces massacres dont le général Westermann se serait ensuite glorifié dans une lettre au Comité de Salut public, qui, à la suite de Jacques Crétineau-Joly, est souvent citée :
« Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Un chef des Brigands, nommé Désigny, a été tué par un maréchal-des-logis. Mes hussards ont tous à la queue de leurs chevaux des lambeaux d’étendards brigands. Les routes sont semées de cadavres. Il y en a tant que, sur plusieurs endroits, ils font pyramides. On fusille sans cesse à Savenay, car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Kléber et Marceau ne sont pas là. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire ».
Le problème qui se pose toutefois à l’historien, c’est que l’on n’a nulle trace de cette lettre – qui n’a été retrouvée dans aucune archive et n’est pas non plus évoquée dans les comptes-rendus des séances du Comité de Salut public – et n’apparaît nulle part avant l’ouvrage de Jacques Crétineau-Joly sur la Vendée militaire (1840), ce qui fait craindre à beaucoup que cette lettre attribuée à Westermann ne soit le produit de la verve littéraire de cet historien pas toujours très rigoureux dans ses citations et qui ne mentionne pratiquement jamais ses sources…
En revanche, je suis en mesure de vous donner lecture de l’intégralité de la lettre écrite au soir du 23 décembre 1793 par les envoyés en mission Pierre-Louis Prieur (1756-1827), dit Prieur de la Marne, et Louis-Marie Turreau (1756-1816), celui qui dirigera ensuite les tristement fameuses Colonnes infernales.
Cette lettre est conservée aux Archives nationales, carton C 287, dossier 860, pièce 20 dans le « Bulletin de la Convention » du 6 nivôse an II (jeudi 26 décembre 1793), et dans le « Journal des Débats et des Décrets » (nivôse an II, n° 464, p. 90) Moniteur universel [n° 97 du 7 nivôse an II (vendredi 27 décembre 1793), p. 391, col. 3], et se trovuve citée par Alphonse Aulard in « Recueil des actes de la correspondance du comité de Salut public », l. 9, p. 607.
Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.
Au cimetière de Prinquiau, dans le pays nantais, l’une des tombes ossuaires
dans laquelle ont été rassemblés des ossements de soldats vendéens massacrés à Savenay
Prieur (de la Marne) et Turreau, représentants du peuple près l’armée de l’Ouest, à leurs collègues composant le Comité de Salut public.
Savenay, le 3 nivôse, l’an II de la République.
Nous vous marquions par notre dernière, datée de Châteaubriant, que nous nous rendions à Derval pour y poursuivre sans relâche les brigands. C’est là que nous est parvenu le décret de la Convention nationale qui déclare que les troupes réunies dans l’armée de l’Ouest ont bien mérité de la patrie. Nous avons proclamé ce décret sur la route de Blain où les ennemis avaient marché ; il a été accueilli avec le plus vif enthousiasme, il a fait oublier aux soldats républicains toutes leurs fatigues ; il a fait centuplé [sic] leurs forces et leur courage, et tous demandaient à grands cris à se porter sur les brigands qui s’étaient cantonnés à Blain. Nous espérions tous que l’heure fatale de ces monstres était arrivée ; la nuit qui nous surprit en route, la position de l’ennemi défendue par une rivière, celle de Blain, entourée de haies et de fossés inaccessibles empêchèrent de livrer le combat qui fut remis au lendemain. Nos soldats bivouaquèrent, une pluie continuelle leur tomba sur le corps pendant toute la nuit, et le lendemain, des torrents que les chevaux étaient obligés de passer à la nage avaient rompu la route de Blain à Savenay, où les ennemis s’étaient portés.
Nos braves soldats, malgré les fatigues de la veille et de la nuit, furieux de ce que les ennemis leur avaient échappé à Blain, dans l’eau jusqu’aux genoux, n’en poursuivirent les brigands qu’avec plus de vigueur. Vers les quatre heures, nous étions arrivés avec environ 200 grenadiers et autant de cavaliers en face de l’ennemi. Fiers de la supériorité du nombre et d’une pièce de 8, les brigands se portèrent sur nos soldats, une pièce d’artillerie légère que nous fîmes avancer au grand galop étant arrivée, les grenadiers et la cavalerie se rangent en bataille autour d’elle, et un combat en règle commence sous le commandement de Kléber ; il ne fut pas long ; nos 200 grenadiers, la baïonnette au bout du fusil chargent les brigands ébranlés par notre pièce de canon et, tandis qu’ils les enfoncent d’un côté, de l’autre la cavalerie, aux ordres de Westermann, emporte au grand galop le canon de l’ennemi [le « Mercure universel » mentionne ici les applaudissements de l’assemblée].
Les brigands abandonnèrent alors la plaine pour se retirer selon leur coutume dans les endroits couverts. Un bois qui se trouve en face et le long des deux routes qui aboutissent à Savenay, des haies, des fossés qui couvrent les routes, leur servent de retranchements. La brigade commandée par Cherbes arrive sur le premier champ de bataille ; nous lui apprenons la position de l’ennemi ; elle ne marche plus, elle vole au secours des grenadiers et de la cavalerie ; nous arrivons avec elle au bois, une canonnade et une fusillade terribles s’engagent ; tant que le jour dure l’avantage est pour nous, et les phalanges républicaines s’avancent triomphantes en culbutant tout ce qu’elles rencontrent. Mais la fumée, un brouillard épais qui s’élève tout à coup, la nuit qui survient, tout empêche de se reconnaître ; on entend partout des fusillades, on ne sait où est l’ennemi. Un bataillon du Haut-Rhin s’ébranle, et nous craignons un instant que la victoire ne nous échappe ; Marceau, Kléber, Beaupuis et Cherbes, qui sont à la tête des soldats, emploient tous leurs efforts pour rétablir l’ordre dans le combat ; ils y parviennent, mais ils croient prudent de faire cesser une attaque de nuit qui, en exposant les soldats républicains à se fusiller eux-mêmes, donnerait trop d’avantage à un ennemi qui a en sa faveur toutes les positions. Les troupes de l’avant-garde victorieuses restent sur le champ de bataille et sont bientôt soutenues par la Colonne de Cannuel qui se développe sur la route de Nantes et de Vannes et qui, bientôt, est appuyée elle-même par la colonne de Tilly, qui a reçu l’ordre de s’avancer à grands pas.
L’avant-garde bivouaque sans feu sur le champ de bataille ; des fusillades et des canonnades se font entendre toute la nuit, personne ne dort et tous attendent avec impatience la première heure du jour qui doit être la dernière des brigands. Il paraît à peine, déjà toutes nos colonnes sont en mouvement, elles s’avancent sur Savenay, l’ennemi résiste ; quelques coups de canon et de fusils se font entendre, mais la victorieuse baïonnette enfonce les rangs des brigands ; ils sont pressés de toutes parts ; ils se battent en désespérés. Nos soldats, corps à corps, les hachent sur leurs pièces de canon ; les rues, les chemins, les plaines, les marais sont jonchés de leurs morts ; nous marchons sur des monceaux de cadavres ; leurs canons, leurs caissons, leurs bagages sont pris ; leur cavalerie est en fuite ; une partie est exterminée ; la victoire est complète [ici aussi, le « Mercure universel » mentionne les applaudissements de l’assemblée].
Les infatigables soldats de la République se répandent, pendant toute la journée, en tirailleurs dans le bois, les marais et les fermes des environs et des milliers de brigands tombent sous leurs coups. Les ennemis, dispersés et réduits à quelques hordes vagabondes, ne tarderont pas à être détruits, les généraux s’occupent d’un projet de cantonnement et nos troupes seront disposées de manière à ce qu’il n’en échappe aucun.
Nous avons pris, dans cette journée le reste de l’artillerie de l’ennemi, elle était composée de trois pièces de canon de 4, trois de 8 et une de 12, et autant de caissons.
Parmi les bagages s’est trouvé le coffre-fort contenant les assignats au nom de Louis XVII et la planche avec laquelle ils se fabriquaient. Les soldats ont déchiré et jeté dans la boue ces restes de royalisme expirant, mais ils ont conservé les assignats républicains qui s’y trouvaient mêlés ; ils n’ont pas mis moins de soins à ramasser les calices, les patènes, les ciboires et les soleils qui sont tombés entre leurs mains.
C’est à juste titre que la Convention nationale a décrété que les troupes réunies dans l’armée de l’Ouest ont bien mérité de la patrie ; c’est au zèle qu’elles ont mis à la poursuite des brigands, c’est aux fatigues qu’elles ont sans cesse essuyées dans une campagne d’hiver, dans des marches continuelles et forcées qu’elles ont souvent faites, sans souliers et sans autres subsistances que du pain ; c’est à leur intrépidité qu’est due la destruction de l’armée des brigands. Les deux dernières journées surtout leur ont acquis de nouveaux droits à la reconnaissance nationale. Soldats et généraux, tout a fait son devoir [sic] ; fatigues et danger, tout a été partagé. Le 6e bataillon des volontaires de l’Aube, les 6e et 31e régiments ci-devant Aunis et Armagnac ont conservé la réputation qu’ils s’étaient acquise au Mans. Nous regrettons de ne pouvoir vous nommer tous les bataillons et tous les citoyens qui se sont distingués dans ces affaires.
Nous apprenons à l’instant que 50 hommes de cavalerie aux ordres de Westermann ont poursuivi, sur la gauche de Savenay, 400 hommes d’infanterie et 300 de cavalerie des brigands qui se portaient de ce côté ; l’infanterie a été exterminée ; Piron, commandant de la cavalerie brigandine et qui montait le cheval blanc si fameux dans l’histoire de la Vendée, a été tué en combattant, par un maréchal des logis de la Légion du Nord. Le reste de la cavalerie, pressé par les nôtres a essayé de passer la Loire à la nage. Ils ont tous été engloutis dans les flots et pas un n’a échappé [encore une fois, le « Mercure universel » mentionne ici les vifs applaudissement de l’assemblée].
Nous avions déjà exterminé hier un autre commandant de cavalerie, qui a dit se nommer Germain et qui était un ancien mousquetaire. On nous assure ce matin que son nom est de l’Amperière [d’après le « Bulletin de la Convention » et le « Moniteur », le nom s’écrirait en réalité Langrenière] un des généraux.
Nous apprenons que le tocsin a sonné dans les campagnes et que les paysans de ces contrées exterminent les brigands de tous côtés.
Prieur (de la Marne), L. Turreau.
« La Croix des Vendéens », érigée à Savenay
pour commémorer les héros de la Grande Armée catholique et royale
qui furent massacrés le 23 décembre 1793