2015-72. « …pleine de paix à la volonté de mon Dieu, à laquelle je ne voudrais pas contredire d’un seul clin d’oeil. »
21 août,
fête de Sainte Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal.
« Vray portrait de la Révérende Mère de Chantal »
(gravure publiée dans l’ouvrage intitulé : « Les Epistres spirituelles de la Mère Jeanne-Françoise Frémiot, baronne de Chantal, fondatrice et première supérieure de l’Ordre de la Visitation Saincte-Marie » – 1644)
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Vous connaissez les liens spirituels qui nous unissent à l’Ordre de la Visitation (cf. > ici) : vous concevez donc sans peine combien aujourd’hui cette fête de Sainte Jeanne-Françoise de Chantal nous est chère.
Dans le même temps, nous nous souvenons que le 21 août est le jour anniversaire de la naissance de Saint François de Sales, en l’an 1567.
Aussi, à l’occasion de cette fête et de cet anniversaire, permettez-moi de vous donner à méditer une très belle lettre de Sainte Jeanne de Chantal que nous avons lue ce matin, Frère Maximilien-Marie et moi, dans un gros volume publié en 1644 que nous avons le bonheur de posséder dans la bibliothèque du Mesnil-Marie.
Cette lettre émouvante est la réponse que, au début de l’année 1623, la sainte fondatrice adressa à son frère puiné, Monseigneur André Frémiot (1573-1641), archevêque de Bourges, qui lui avait écrit une lettre de condoléances à l’annonce de la mort de Saint François de Sales (survenue à Lyon le 28 décembre 1622).
Je la retranscris en la mettant en conformité avec les usages de l’orthographe et de la ponctuation actuels, pour une plus grande commodité de lecture, mais je ne résiste toutefois pas à la tentation de vous en montrer la graphie originelle par le cliché ci-dessous.
On remarquera que, quoique s’adressant à son frère, plus jeune qu’elle, Sainte Jeanne de Chantal ne se permet néanmoins aucune familiarité, et que la confiance et l’affection fraternelles qu’elle éprouve pour lui ne constituent cependant pas à ses yeux un motif d’oubli que ce frère est revêtu de la dignité épiscopale : quel bel exemple pour nos temps de confusion et de laisser-aller général…
Je vous souhaite une bonne lecture, et – plus encore – d’entrer dans les admirables sentiments dont cette lettre témoigne.
Lully.
à Monseigneur
l’Archevêque de Bourges,
son frère.
Elle lui répond dans la douleur où elle était, à l’occasion du trépas du Bienheureux François de Sales.
Monseigneur,
vous voulez savoir que fait mon coeur en cette occasion, hélas ! il a, ce me semble, adoré Dieu, au profond silence de la très dure angoisse. Certes il n’avait jamais ressenti amertume si grande, ni mon pauvre esprit reçu une secousse si pesante ; ma douleur est plus grande que je saurais jamais dire, et (il) me semble que toutes choses se ruent pour accroître mes ennuis et me porter au regret.
Il me reste pour toute consolation de savoir que c’est mon Dieu qui a fait, ou permis, que ce coup ait été fait ; mais, hélas ! que mon coeur est faible pour supporter ce pesant fardeau ; et qu’il a bien besoin de force.
Oui, mon Dieu ! Vous aviez prêté cette belle âme au monde, maintenant Vous l’avez retirée : Votre Saint Nom soit béni ! Je ne sais point d’autre cantique que celui-là : le Nom de mon Seigneur soit béni !
Mon très cher Père, et mon très cher frère, mon âme est pleine d’amertume, mais aussi pleine de paix à la volonté de mon Dieu, à laquelle je ne voudrais pas contredire d’un seul clin d’oeil ; non, je vous assure, mon très cher Père !
Donc, il Lui a plu de nous ôter ce grand flambeau de ce misérable monde pour le faire luire en Son Royaume (comme nous croyons assurément) : Son Saint Nom soit béni !
Il m’a châtiée comme je méritais : car vraiment je suis trop misérable pour jouir d’un si grand bien, et d’un contentement tel qu’était celui que j’avais de voir mon âme entre les mains d’un si grand homme, vraiment homme de Dieu. Je pense que cette Bonté suprême ne veut plus que j’aie de plaisir sur la terre, et je n’y en veux plus avoir aussi que celui d’aspirer après le bonheur de voir mon très cher Père dans le sein de Son éternelle bonté.
Je veux bien pourtant demeurer dans cet exil, oui, mon très cher frère ! oui, véritablement, ce m’est un exil bien dur, l’exil de cette misérable vie, mais j’y veux demeurer, dis-je, autant que la souveraine Providence le voudra, Lui remettant le soin de disposer de moi selon Son bon plaisir.
Je me recommande à vos saints sacrifices, et cette petite famille (note 1) qui est toute en douleur, laquelle fait son petit gémissement avec tant de douceur et de résignation que j’en suis toute consolée. Nous en partirons bientôt pour retourner en notre pauvre petite demeure d’Annecy, là où ma douleur se renouvellera en voyant nos très chères soeurs.
Dieu soit béni de tout ! Vive Sa volonté ! Vive Son bon plaisir ! Je soulage bien mon pauvre coeur de vous parler de la sorte, et béni soit mon Dieu qui me donne encore cette consolation.
Je vous remercie de votre charitable lettre ; croyez que vous avez bien gagné les oeuvres de miséricorde, car elle m’a fait grand bien, et à vos chères filles (note 2) de recevoir vos nouvelles. Continuez-nous cette sainte affection, s’il vous plaît, et vous assurez, mon très cher Père, que nous vous porterons toujours en notre souvenir devant Dieu : car c’est de coeur que nous sommes vos petites filles, et moi spécialement, qui, comme la plus nécessiteuse de toutes, me confie en votre paternelle affection.
Je suis en l’amour du Sauveur, Monseigneur, votre très humble, très obéissante, et indigne fille et servante en Notre-Seigneur,
Sœur Jeanne-Françoise Frémiot.
Note 1 : Sainte Jeanne de Chantal se trouvait à Lyon. La « petite famille » dont elle parle est la communauté de la Visitation Sainte-Marie de Bellecour.
Note 2 : « vos chères filles » et, à la phrase suivante, « vos petites filles » : Sainte Chantal désigne ainsi les religieuses de la Visitation qui ont des sentiments d’humble révérence filiale envers le prélat qui est leur père dans la foi.