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2011-63. Légende du Roi Robert de Sicile.

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Vendredi soir 19 août 2011.

   Aujourd’hui, dans nos montagnes, il faisait une chaleur caniculaire qui rendait impossible de travailler dehors au débroussaillage. Alors, j’ai aidé Frère Maximilien-Marie à classer et à ranger des documents. C’est ainsi que je suis tombé sur un classeur contenant des textes qu’il avait rédigés, ou bien adaptés à partir d’anciennes légendes, pour en faire des saynètes jouées lors de petits spectacles de camps de vacances ou de soirées scoutes.

   J’ai donc décidé de recopier pour vous la « Légende du Roi Robert de Sicile ».

Lully.

Sicile forteresse

        Il y a bien des siècles, au temps où la Sicile était un royaume indépendant, elle eut pour souverain un roi puissant et redouté qui avait pour nom Robert.
Il était d’un caractère fier et ombrageux. Victorieux en toutes ses batailles, il avait pris l’habitude de voir toutes les volontés soumises à la sienne et toute chose s’incliner sous son sceptre.
On le craignait plus qu’on ne l’aimait.

   Un jour où il faisait célébrer dans la somptueuse chapelle palatine un office solennel pour magnifier l’une de ses victoires, il remarqua une phrase qui revenait d’une manière régulière dans le chant.
Comme il n’entendait point la langue latine, il fit signe à l’un des chapelains qui entourait son trône :
- Mon Père, dites-moi donc : quel est le sens de cette parole qui revient si souvent, comme une espèce de refrain, dans le chant du chœur ?
- Sire, répondit l’ecclésiastique, c’est un verset du « Magnificat » : « Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles », et cela signifie : « Le Seigneur a déposé des puissants de leurs trônes et il a exalté les humbles »…
- Comment ? s’indigna Robert. Qu’est ce que cela veut dire ? Se moque-t-on de moi jusque dans mon propre palais ?… Mon trône à moi est ferme, et personne ne me l’enlèvera ! J’en suis l’héritier légitime par droit de naissance, et je travaille chaque jour à le rendre plus glorieux par mes conquêtes ! Dieu serait bien injuste s’il me l’ôtait !

   L’orgueil de Robert avait été touché au vif. Contrarié, mécontent, il se renfrogna. L’office était long, sa beauté lui devint insipide et ennuyeuse… au point qu’il s’assoupit.

Palerme - chapelle palatine

   Quand il se réveilla, il fut bien étonné de se retrouver tout seul, dans la pénombre de la chapelle où seule la flamme tremblotante des veilleuses se reflétait dans l’or des somptueuses mosaïques.

   Il bondit : « Quoi ? On m’a laissé tout seul, moi, le Roi ! Et dans le noir… »
Il était furieux et se précipita vers la porte, qu’il trouva close : « Et on m’a enfermé qui pis est ! »
Il s’étranglait d’indignation et se mit à crier, à hurler, si bien qu’un sacristain finit par se montrer : « Que se passe-t-il, l’homme ? Que fais-tu là ? Pourquoi troubles-tu la quiétude du lieu saint ?… »

   Robert lui sauta dessus : « C’est ainsi que tu parles à ton Roi ? »
Le sacristain éclata de rire : « Tu as trop bu, ou tu es fou… Mon roi ! Ah !Ah !Ah !… Regarde-toi donc, gueux ! En voilà des atours de roi !… »

   Robert, baissant les yeux, se rendit alors compte qu’il portait des haillons, sales et déchirés, qu’il était pieds nus et n’arborait plus ni pierreries ni dague précieuse au côté.
Il n’en hurla que davantage, si bien que le sacristain perdit patience et appela les gardes qui se saisirent de lui et le jetèrent dehors sans ménagement.

Main de mendiant

   Robert ne décolérait pas.
Et cependant ne lui faudrait-il pas se rendre à l’évidence ? Méconnaissable sous ses haillons, réduit à la mendicité comme tout le cortège des gueux qui trouvaient refuge sous les arcades des rues ou sous les porches des églises, personne ne prêtait attention à lui, à ses protestations et à ses cris. Quant à ses menaces et ses vociférations elles n’inspiraient que rires !

   Les semaines passaient. Chaque jour, il se présentait à la porte de son propre palais et réclamait avec arrogance qu’on le rétablît dans ses droits.
Les gardes se moquaient de lui puis, lassés, finirent par le molester.
Robert n’y comprenait rien. Souvent il se disait qu’il était en train de faire un horrible cauchemar, qu’il allait se réveiller… mais il se réveillait chaque matin dans ses guenilles et dans sa crasse. Non seulement il ne parvenait pas à se faire reconnaître, mais force lui fut de constater que le trône de Sicile était occupé par un autre roi !

   Mais était-ce bien un autre ?
Robert l’apercevait, caracolant à la tête de ses hommes d’armes, quand il sortait du palais.
Ce roi était en tous points semblable à lui, comme s’il s’était agi d’un frère jumeau. Les rumeurs de la rue rapportaient que ce roi, qui occupait son trône et qu’on appelait aussi Robert, gouvernait dans la justice et l’équité, qu’il était doux et compatissant, bon et courtois avec tous…

   Fou de rage et de dépit, Robert le rejeté, Robert le méprisé, Robert le méconnu n’était toutefois pas au bout de ses humiliations…

cortège médiéval

   Ce fut encore plus terrible en effet, le jour où son frère aîné, l’empereur germanique, et son cousin, le Pape, vinrent en Sicile.
Il y eut des festivités extraordinaires et de splendides cortèges à travers toute la ville pavoisée.
Il y eut des cérémonies somptueuses et de mirifiques cavalcades.
Il y eut des festins et des tournois…

   L’empereur germanique semblait véritablement reconnaître son frère dans l’usurpateur du trône de Robert : lorsqu’il avait été accueilli à la porte de la ville, il n’avait point marqué d’hésitation mais l’avait embrassé avec la plus vive affection.
Quant au Pape, qui était du même âge que Robert et dont il avait été l’inséparable compagnon de jeux pendant l’enfance et l’adolescence, il ne semblait pas non plus avoir le moindre doute sur l’identité de celui qui le recevait avec autant de chaleur que de fastes !

   Au dernier jour des fêtes, alors que toute la cité en liesse se rendait à la cathédrale pour la grande cérémonie d’action de grâces célébrée par le Pape lui-même devant l’empereur et le roi, Robert, au comble de l’indignation, n’y tint plus. Il parvint à fendre la foule des courtisans et des soldats au moment où Sa Sainteté et leurs Majestés saluaient longuement le bon peuple depuis le parvis, avant d’entrer en procession solennelle dans la grand‘ nef : « Très Saint Père ! Majesté !… Mon frère ! Mon cousin ! Je suis le roi Robert et cet homme est un imposteur… Rendez-moi justice ! Je suis Robert, Robert de Sicile !… »

   Le roi qui n’était pas Robert mais qui était si semblable à lui fit un geste en direction des gardes qui repoussèrent Robert promptement et sans ménagement, tandis qu’il déclarait à ses hôtes : « Ne prêtez point attention à ce pauvre homme : il mérite plus de pitié que de colère pour ses propos insensés ! »

Banquet médiéval

   Sous les ors des mosaïques, la cérémonie se déroulait avec une magnificence sans pareille. Après l’entrée des cortèges et des fidèles, malgré l’affluence, Robert l’humilié avait réussi à se faufiler dans la cathédrale et à se blottir derrière un pilier, tout au fond… Des trompettes d’argent alternaient avec les voix puissantes des chœurs, tandis que des volutes d’encens s’élevaient jusqu’à la représentation du Pantocrator triomphant de l’abside.

   Alors il entendit à nouveau s’élever le chant du « Magnificat » dont les versets, d’abord chantés par le chœur étaient repris avec une joyeuse ferveur par la foule : « Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles ! Il a déposé des puissants de leurs trônes et il a exalté les humbles… »
Cette parole lui pénétra le cœur, et il se souvint du jour où il s’était révolté contre elle.

   Il comprit que Dieu l’avait dépossédé, lui, Robert l’orgueilleux qui s’était insurgé contre les vérités proclamées par les Saintes Ecritures.
Il réalisa qu’il s’était attribué à lui-même les mérites des dons du Tout-Miséricordieux.
Il vit toute la grandeur de sa faute et il fut pris de repentir.

   Robert le contrit pleura… et ses larmes qui coulaient en abondance lui firent du bien à l’âme.
L’office était terminé depuis longtemps. La foule s’était retirée. Robert prosterné le front contre terre était là, dans la pénombre, à pleurer et à demander pardon.

Christ en gloire - mosaïque Palerme

   Un pas résonna sur les dalles. Quelqu’un s’approcha de lui. Une main le releva.
C’était le roi qui lui ressemblait, le roi qui avait pris sa place, le roi qui avait pris son nom, le roi qu’il ne connaissait pas et que tous prenaient pour lui.
Et ce roi inconnu, qui lui ressemblait tant mais qui n’était pas lui, lui demanda : « Qui es tu ? »

- Je ne sais plus qui je suis, murmura Robert. Je croyais être le glorieux roi Robert de Sicile, mais je ne suis qu’un pauvre pécheur qui a offensé la Majesté divine…
Il y eut un silence d’une étrange plénitude.

Puis l’inconnu reprit:
– Et moi, sais-tu qui je suis ?
– Peut-être est-ce vraiment toi Robert de Sicile ?…
– Non. Je suis un ange de Dieu, l’ange gardien de ton royaume, et Dieu a voulu que par moi tu reçoives cette salutaire leçon. Tu es le roi Robert ; tu es Robert de Sicile. J’ai pris ton apparence et ton trône pour que tu puisses apprendre combien l’humilité seule est agréable au cœur de Dieu. Mais maintenant que ton orgueil a été abaissé et que tu as reconnu ta faute, maintenant que tu t’es humilié devant le Seul Puissant et Glorieux, Dieu m’envoie te rendre ton nom, ton trône et les insignes de cette majesté dont tu lui es redevable et qui ne doit rien à tes propres mérites…

Archange - chapelle palatine Palerme

   L’ange remit donc à Robert sa couronne et ses vêtements royaux, il lui restitua son épée et son sceptre, puis il le bénit avant de disparaître : « Souviens-toi que l’orgueil fait le malheur des hommes, et qu’il fait aussi le malheur des peuples lorsque celui qui les gouverne lui a livré son coeur. Sois désormais un roi selon le Coeur du Dieu qui déploie la puissance de son bras pour disperser les superbes en la pensée de leur coeur, qui dépose des puissants de leurs trônes mais qui exalte les humbles… »

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2011-61. Du martyre de Saint Maximilien-Marie Kolbe.

14 août,
Fête de Saint Maximilien-Marie Kolbe, martyr (cf. > ici) ;
Vigile de l’Assomption de Notre-Dame ;
Mémoire de Saint Eusèbe, martyr.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       Le 14 août est, bien sûr, la Vigile de l’Assomption de Notre-Dame, mais au Mesnil-Marie – vous devinez bien pourquoi – cette vigile n’est qu’une commémoraison puisque nous fêtons un premier lieu Saint Maximilien-Marie Kolbe : au jour anniversaire exact de son entrée dans la gloire, le 14 août 1941.

Saint Maximilien-Marie Kolbe

       Nous sommes à Auschwitz, à la fin du mois de juillet 1941.
Dans le bloc 14, celui du Père Maximilien-Marie, un homme manque à l’appel : il s’est évadé.
Les prisonniers se rappellent avec effroi de la menace du chef de camp : pour un évadé, vingt hommes de son bloc seront condamnés à mourir de faim.
La peur les tenaille tous cruellement, eux qui, dans les tortures les plus raffinées auxquelles ils sont soumis chaque jour, ont pu désirer la mort comme une délivrance…
La mort, oui, mais pas cette mort-là : agoniser pendant des jours, au compte-gouttes ; la faim et la soif qui vous dessèchent les entrailles, vous remplissent les veines de feu et vous conduisent à la folie…
Tous savent quels hurlements terrifiants retentissent du côté du « bloc de la mort ». Les geôliers eux-mêmes ne cachent pas qu’ils en sont terrorisés.

   Le lendemain, après l’appel, les prisonniers du bloc 14 doivent rester debout, au garde à vous, en plein soleil. De toute la journée, on ne leur donne rien.
Des SS les surveillent et « maintiennent » l’ordre à coups de crosse. Lorsqu’un prisonnier tombe d’épuisement et que les coups ne le ramènent pas de son évanouissement, on le traîne hors des rangs : les corps sont entassés…
Les visages de ceux qui tiennent sont tuméfiés par la chaleur.
Le Père Maximilien-Marie, ce malade vingt fois condamné par les médecins, ne tombe pas, reste lucide…
Comme Marie sous la croix, avec Marie sous la croix, il est debout.

   En son for intérieur, il est étrangement paisible : résolu comme jamais, il sait que la grâce qui lui a été prophétisée et à laquelle il a librement consenti lorsqu’il avait dix ans, vient à lui dans le silence.
Elle est toute proche. Elle est là.
Et si son corps est contraint de rester immobile, son âme se précipite pour l’embrasser.

   Au soir, le chef de camp revient : « L’évadé n’a pas été retrouvé. Dix d’entre vous mourront à sa place dans le bunker de la faim. La prochaine fois, il y en aura vingt… Toi… Toi… Et encore toi… « 
En savourant la terreur qu’il inspire, l’officier prend son temps pour parcourir les rangs et désigner ceux qu’il envoie à la mort.

- Ooooh… ma pauvre femme… mes enfants! sanglote l’un des désignés.

Et c’est là que, à la stupéfaction de tous – prisonniers et bourreaux -, le Père Maximilien-Marie s’avance.

- Que me veut ce cochon de polonais? hurle le Lagerführer.
- Je voudrais mourir à la place d’un de ces condamnés.

Le SS est abasourdi. Il cherche à comprendre.

- Et pourquoi?
- Je suis vieux ; je ne suis plus bon à rien
- Pour qui veux tu mourir?
- Celui-ci : il a une femme et des enfants.
- Qui es-tu?
- Prêtre catholique.

   La grâce passe malgré lui dans la tête du SS qui ne comprend rien, qui est dépassé et qui cède à la volonté de ce prêtre, lui lui qui ne revient jamais sur les ordres qu’il a donné : « Soit! va avec eux… »

   Les prisonniers sont emmenés. 
Ils doivent se mettre totalement nus et on referme sur eux la porte.
Père Maximilien-Marie peut dire en toute vérité : « O ma Reine, ô ma Mère : Vous avez tenu parole! Et c’est pour cette heure ci que je suis né! »

   Dans le bloc de la mort, enfer en miniature qui ne retentissait jusqu’alors que des hurlements de désespoir, des voix s’élèvent : ces hommes épuisés, ces condamnés à mort chantent et prient…
Depuis la cellule où sont enfermés le Père Kolbe et ses neuf compagnons, la prière se répand : de cellule en cellule les prières et les chants gagnent tout le bloc de la mort.
Les gardiens sont médusés : jamais le terme de « chapelle ardente » n’a été si adapté pour désigner un lieu de mort!

   Chaque jour, les voix se font plus faibles, moins nombreuses… mais pas moins ferventes.

   Chaque jour des prisonniers sont commis pour enlever les cadavres. L’un d’eux témoignera : le Père Maximilien était toujours debout ou à genoux, priant à haute voix, lors même que tous les autres gisaient comme des loques.
Les SS qui président à l’enlèvement des cadavres ne supportent pas le regard que le Père pose sur eux : « Détourne les yeux! Ne nous regarde pas ainsi! »

   Les jours passent.
Le 14 août, il n’y a plus que 4 survivants, mais seul Père Maximilien-Marie est conscient : le bon pasteur arrive au terme de la mission que lui a confiée la Vierge Immaculée.
Il a accompagné tout son petit troupeau jusqu’à la porte de l’éternité, jusqu’à l’entrée dans le Coeur de Jésus.
Il est assis, sans force, appuyé au mur.

   A ceux qui viennent l’achever par une piqûre de phénol, il tend lui-même son bras décharné.

   Un peu plus tard on vient chercher son corps qui sera brûlé le lendemain, 15 août.
Le détenu chargé d’enlever les corps témoignera : les autres cadavres étaient sales, avaient les traits ravagés… Mais lui, on eût dit qu’il répandait de la lumière : ses yeux grands ouverts donnaient l’impression d’une extase.

   « A celui qu’Il aime, Dieu envoie la croix pour qu’il ait la possibilité de rendre à Dieu l’amour qu’Il a eu pour nous…«  avait écrit le Père Maximilien-Marie en 1938.

Bunker de la faim - 14 août 1941

   Lui qui aimait tant le vieux cantique français « J’irai la voir un jour » s’en est allé – comme le dit le dernier couplet – « loin de la terre sur le Coeur de sa Mère reposer sans retour », et cela au moment où l’Eglise dans sa liturgie commençait à célébrer le grand triomphe de Marie sur la mort et sur le mal.

(récit établi en bonne partie d’après Maria Winowska)

Témoignage d’un rescapé d’Auschwitz > ici

palmes

2011-60. Testament de Madame Sainte Claire.

12 août,
Fête de Sainte Claire d’Assise (cf. > ici).

       A l’occasion de la fête de Sainte Claire, que trop de catholiques méconnaissent parce qu’ils ne voient en quelque sorte en elle qu’une espèce de « sous avatar » de Saint François sans comprendre à quel point cette très grande sainte possède des caractères propres et originaux, il n’est pas inutile de donner à lire, à relire et à méditer son testament, qui est une source de grande édification et d’enseignement pour tous les fidèles.

Sainte Claire d'Assise

Sainte Claire
(elle est représentée portant la Sainte Eucharistie pour rappeler qu’elle mit en fuite une bande de pillards sarrasins, qui assiégeaient son monastère, en brandissant en face d’eux le Très Saint-Sacrement)

Au nom du Seigneur. Amen

   1 – La plus grande de toutes les grâces que nous avons reçues et que nous recevons chaque jour de notre grand Bienfaiteur, le Père des Miséricordes, celle dont nous devons lui être le plus reconnaissantes, c’est notre vocation ; et nous devons témoigner à Dieu d’autant plus de gratitude que l’état auquel il nous a appelées est plus grand et plus parfait. C’est pourquoi l’Apôtre dit : Prenez conscience de votre vocation !

   2 – Or, le Fils de Dieu s’est fait lui-même notre Voie et le bienheureux Père saint François, son amant authentique et son imitateur, nous l’a montrée et enseignée par sa parole et par ses exemples.

   3 – Nous devons donc, mes sœurs bien-aimées, considérer les immenses bienfaits dont Dieu nous a comblées, mais surtout ceux dont il a daigné nous favoriser par l’intermédiaire de son serviteur notre cher Père saint François, non seulement après notre entrée au monastère mais lors même que nous étions encore dans les vanités du monde.

   4 – En effet, au temps où le saint n’avait encore avec lui ni frère ni compagnon, presque aussitôt après sa conversion, au temps où il reconstruisait l’Église de Saint-Damien, visité là par le Seigneur et rempli de ses consolations, qui le décidèrent à quitter définitivement le monde, c’est alors que, dans la joie de l’Esprit Saint et avec le secours de ses lumières, il fit sur nous cette prophétie dont le Seigneur a réalisé ensuite l’accomplissement : du haut du mur de l’Église il s’adressait en français à quelques pauvres qui stationnaient là et il leur criait : « Venez, aidez-moi à travailler pour le monastère de Saint-Damien, parce qu’il viendra ici des religieuses dont la vie sainte et la renommée stimuleront les hommes à glorifier notre Père des cieux dans toute sa sainte Église ! « 

   5 – Nous avons donc bien sujet de considérer là l’immense bonté de Dieu à notre égard : dans sa bonté et son amour surabondants il a fait proclamer par son saint le choix qu’il porterait sur nous et l’appel qu’il nous adresserait. Et ce n’était pas seulement de nous que notre bienheureux Père prophétisait ainsi, mais encore de toutes celles qui nous suivront dans cette vocation sainte à laquelle le Seigneur nous a appelées.

   6 – Avec quel soin donc, avec quel élan passionné du corps et de l’âme ne devons-nous pas accomplir ce que nous demande Dieu notre Père, afin qu’avec sa grâce nous puissions lui rendre multiplié le talent que nous en avons reçu ! Multiplié, car ce n’est pas seulement pour les autres que Dieu nous a destinées à être des modèles et des miroirs, mais aussi pour chacune de nos sœurs afin qu’elles soient à leur tour des modèles et des miroirs pour ceux qui vivent dans le monde. Si donc le Seigneur nous a appelées à de si grandes choses : laisser voir en nous ce qui peut servir aux autres de modèle et d’exemple, nous avons la stricte obligation d’abord de bénir le Seigneur et de lui en reporter toute la gloire, et ensuite de nous rendre nous-mêmes toujours de plus en plus courageuses dans le Seigneur pour faire le bien. Si nous vivons ainsi, nous laisserons aux autres un noble exemple, et au prix d’un effort de bien courte durée nous acquerrons la récompense de la béatitude éternelle.

   7 – Après que le très haut Père des cieux eut daigné, par sa bonté et par sa grâce, projeter en mon cœur ses lumières et m’inspirer de faire pénitence selon l’exemple et l’enseignement de notre bienheureux Père François (c’était peu de temps après sa propre conversion), accompagnée des quelques sœurs que le Seigneur m’avait données dès le début de ma vie pour Dieu, je fis volontairement le vœu d’obéissance entre ses mains, selon la lumière et la grâce que le Seigneur nous avait accordées par la vie sainte et la doctrine de son serviteur.

   8 – Voyant que nous étions faibles et fragiles de corps et que pourtant ni les privations ni la pauvreté ni l’effort ni les épreuves ni l’austérité ni le mépris des gens du monde ne nous faisaient reculer, mais que nous y trouvions au contraire notre joie, à l’exemple des saints et des Frères Mineurs (lui-même et ses frères en furent fréquemment les témoins), le bienheureux François s’en réjouit fort et, dans son affection pour nous, il s’engagea à prendre de nous, par lui-même ou par son Ordre, un soin attentif et aussi prévenant pour nous que pour ses propres Frères.

   9 – Ainsi, par la volonté de Dieu et de notre bienheureux Père saint François, nous nous sommes transportées à l’Église de Saint-Damien pour y demeurer. Le Seigneur, dans sa bonté et par sa grâce, a augmenté là notre nombre, afin de réaliser ce qu’il avait prédit par son serviteur. Auparavant nous avions fait un court séjour dans un autre monastère.

   10 – Saint François nous écrivit ensuite une forme de vie et nous recommanda surtout de toujours persévérer dans la sainte pauvreté. Il ne s’est pas contenté, durant sa vie, de nous exhorter souvent, par ses sermons ou par ses exemples, à l’amour et à l’observance de la très sainte pauvreté ; mais il nous a, en outre, laissé plusieurs écrits nous suppliant de ne jamais nous écarter, après sa mort, de la vie de pauvreté, pas plus que le Fils de Dieu lui-même, tant qu’il vécut en ce monde, n’a voulu s’en écarter. Notre bienheureux Père François, d’ailleurs, suivant en cela les traces du Fils de Dieu, ne s’est jamais écarté non plus ni en parole ni en acte de la sainte pauvreté qu’il avait choisie pour lui et pour ses Frères.

   11 – Et moi, Claire, qui suis, bien qu’indigne, la servante du Christ et des sœurs du monastère de Saint-Damien, moi la petite plante du bienheureux Père, ayant considéré avec mes sœurs d’une part les exigences d’une telle vocation et les ordres d’un si grand fondateur, et d’autre part la faiblesse dont nous avions craint pour nous-mêmes les effets après la disparition de notre Père saint François qui était notre colonne, notre unique consolation après Dieu, notre seul appui, nous avons renouvelé plusieurs fois notre engagement à notre Dame la très sainte Pauvreté, afin qu’après ma mort les sœurs présentes ou à venir ne puissent jamais plus s’en écarter.

   12 – Et de même que j’ai toujours été attentive et passionnée pour observer et faire observer la sainte pauvreté que nous avions promise au Seigneur et à notre Père saint François, de même, que les autres abbesses qui me succéderont soient tenues de l’observer elles-mêmes et de la faire observer par leurs sœurs jusqu’à la fin. En outre, et pour plus de sûreté, j’ai pris soin de recourir au seigneur Pape Innocent, sous le règne duquel nous avons commencé, et à ses successeurs, pour faire confirmer par des privilèges successifs notre profession de très sainte pauvreté, et cela afin que nous ne nous en écartions jamais.

   13 – C’est pourquoi, à genoux et prosternée d’esprit et de corps, je recommande toutes mes sœurs, présentes et à venir, à notre Mère la sainte Église romaine, au Souverain Pontife, et spécialement au seigneur cardinal qui a été assigné comme Protecteur de l’Ordre des Frères Mineurs et à nous-mêmes ; je leur confie ce petit troupeau que le Seigneur notre Père a engendré dans sa sainte Église grâce à la parole et à l’exemple du bienheureux Père François ; pour l’amour du Seigneur qui est né pauvre dans la crèche, qui a vécu pauvre sur terre et qui est resté nu sur la croix, je leur demande de toujours guider ce petit troupeau sur les traces de la pauvreté et de l’humilité du Fils de Dieu et de la glorieuse Vierge sa Mère, de toujours lui faire observer la sainte pauvreté que nous avons promise à Dieu et à notre bienheureux Père François, enfin de bien vouloir toujours l’aider et le maintenir dans cette voie.

   14 – Et de même que le Seigneur nous a donné notre bienheureux Père François comme Fondateur, comme « jardinier » et comme secours dans le service du Christ et en ce qui concerne ce que nous avons promis à Dieu et à notre bienheureux Père qui a mis tant de soin, par ses paroles et par ses œuvres, à nous cultiver et à nous faire grandir, nous sa petite plantation, de même, maintenant, je remets et recommande mes sœurs, présentes et à venir, au successeur du bienheureux François et à tous les Frères de son Ordre, afin qu’ils nous aident à toujours avancer plus loin dans le service de Dieu et surtout à mieux observer la très sainte pauvreté.

   15 – Et s’il arrivait un jour à mes sœurs de quitter ce couvent et d’aller s’établir ailleurs, qu’elles soient tenues néanmoins, partout où elles se trouveront après ma mort, d’observer la même forme de pauvreté telle que nous l’avons promise à Dieu et à notre bienheureux Père François.

   16 – Que celle qui en a la charge, et toutes les sœurs aient toujours bien soin de n’acquérir ou de n’accepter de terrain autour du couvent qu’autant que le besoin s’en fera sentir pour la récolte des légumes. Et s’il fallait un jour, pour les convenances ou l’isolement du monastère prendre davantage de terrain au-delà du potager, qu’on n’en prenne pas plus que l’extrême nécessité le requiert ; et que cette terre ne soit ni travaillée ni ensemencée mais qu’elle reste toujours inculte et en friche.

   17 – J’avertis et j’exhorte, en notre Seigneur Jésus-Christ, toutes mes sœurs, présentes et à venir, d’avoir à suivre toujours la voie de la sainte simplicité, de l’humilité et de la pauvreté, d’avoir aussi à mener une vie sainte et édifiante, selon les enseignements que, dès le début de notre conversion au Christ, nous a prodigués notre bienheureux Père François. Ces vertus, en effet, sans qu’il y ait mérite de notre part mais par la seule miséricorde et la grâce de Celui qui en est l’auteur, le Père des Miséricordes, doivent répandre partout le parfum de notre bonne réputation, aussi bien pour ceux qui sont au loin que pour ceux qui nous entourent.

   18 – Aimez-vous les unes les autres de l’amour dont le Christ vous a aimées ; cet amour que vous possédez à l’intérieur de vos âmes, manifestez-le au dehors par des actes afin que, stimulées par cet exemple, toutes les sœurs grandissent toujours dans l’amour de Dieu et dans l’amour les unes des autres.

   19 – Je prie aussi celle qui sera chargée des sœurs, de s’étudier à être la première par la vertu et la sainteté de sa vie plus que par sa charge, afin que les sœurs, stimulées par son exemple, lui obéissent plus par affection que par devoir. Qu’elle ait pour ses sœurs la prévoyance et le discernement d’une mère pour ses filles, et qu’elle soit bien attentive à pourvoir chacune selon les besoins qui lui sont propres, au moyen des aumônes envoyées par le Seigneur. Qu’elle soit en outre si bienveillante et si avenante pour toutes, que les sœurs puissent en toute sécurité s’ouvrir à elle de leurs nécessités et recourir à elle à chaque instant avec confiance, comme il leur semblera opportun, tant pour elles-mêmes que pour leurs sœurs.

   20 – Mais que, de leur côté, les sœurs qui lui sont soumises se souviennent que pour le Seigneur elles ont renoncé à leur volonté propre. Je veux donc qu’elles obéissent à leur Mère comme elles l’ont promis au Seigneur volontairement et spontanément, afin que leur Mère, à la vue de l’amour, de l’humilité et de l’union qui régneront entre elles, puisse porter plus allègrement le fardeau de sa charge et que leur sainte vie change pour elle en douceur ce qui autrement lui serait pénible et amer.

   21 – Mais le chemin qui mène à la vie est étroit, et la porte qui nous y donne accès est étroite elle aussi ; c’est pourquoi il y en a peu qui empruntent ce chemin. Et parmi ceux qui, durant un certain temps, y ont cheminé, il y en a encore bien moins qui y persévèrent. Mais, bienheureux ceux auxquels il a été donné d’y marcher et d’y persévérer jusqu’à la fin!

   22 – Nous donc, après nous être engagées dans la voie du Seigneur, prenons bien garde de ne jamais nous en écarter d’aucune manière par notre faute, par négligence ou par ignorance, car, ce faisant, nous porterions atteinte à un si grand Seigneur, à la Vierge sa Mère, à notre bienheureux Père François, à l’Église triomphante et même à l’Église militante. Il est écrit en effet : Maudits soient ceux qui s’écartent de vos commandements!

   23 – C’est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ 3 afin que, en considération des mérites de la glorieuse Vierge Marie, sa Mère, de notre bienheureux Père François et de tous les saints, le Seigneur qui nous a donné la grâce de bien commencer nous donne aussi de nous épanouir en lui et de persévérer jusqu’à la fin. Amen.

   24 – Je vous laisse cet écrit, mes sœurs bien-aimées, présentes et à venir, avec l’espoir que vous l’observerez de votre mieux et comme un signe tangible de la bénédiction du Seigneur, de la bénédiction de notre bienheureux Père saint François, et de la bénédiction que je vous donne, moi, votre Mère et votre servante. Amen.

Corps de Sainte Claire - Assise

Gisant de Sainte Claire, à Assise,
en lequel est renfermé son corps incorrompu

2011-59. Témoignage de Pauline de Tourzel sur la prise des Tuileries et les évènements qui suivirent.

10 août. 

     Le retour de la date du 10 août ravive chaque année le triste souvenir de la prise des Tuileries, de l’emprisonnement du Roy et du massacre de ses dévoués défenseurs, en 1792.
Voici un témoignage de tout premier ordre sur ces évènements et sur les semaines qui suivirent, inaugurant la « grande terreur » : il s’agit de la lettre écrite par Pauline de Tourzel, après être sortie de  prison et avoir échappé aux massacres des 2 et 3 septembre 1792.
Pauline de Tourzel, fille de la dernière gouvernante des Enfants de France, était âgée de 21 ans au moment des évènements qu’elle raconte ici à sa sœur, la Comtesse de Sainte-Aldegonde, alors à l’étranger.

La prise des Tuileries par la populace le 10 août 1792

Prise des Tuileries le 10 août 1792.

Paris, le 7 septembre.

       Tout ce que j’ai pu vous dire hier, ma chère Joséphine, c’est que ma mère et moi étions hors de péril ; mais je veux vous raconter aujourd’hui comment nous avons échappé aux plus affreux dangers ; une mort certaine m’en paraissait le moindre, tant la crainte des horribles circonstances dont elle pouvait être accompagnée ajoutait à mes frayeurs.

   Je reprendrai l’histoire d’un peu loin, c’est-à-dire du moment où la prison a mis fin à notre correspondance.

   Vous savez que le 10 août, ma Mère avec Monsieur le Dauphin accompagna le Roi à la convention ; moi restée seule aux Tuileries, dans l’appartement du Roi, je m’attachai à ne pas quitter la Princesse de Tarente, parce que ma Mère m’avait recommandée à ses soins, et nous nous promîmes, quels que fussent les événements, de ne pas nous séparer.

   Bientôt après le départ du Roi, commença une canonnade dirigée contre le château ; nous entendîmes siffler les balles d’une manière effrayante ; les carreaux cassés et les fenêtres brisées faisaient un vacarme effroyable. Pour nous mettre un peu à l’abri et n’être point du côté d’où l’on tirait le canon, nous nous retirâmes dans l’appartement de la Reine au rez-de-chaussée sur le jardin. Là, il nous vint à l’idée de fermer les volets et d’allumer toutes les bougies des lustres et des candélabres, espérant, si les brigands devaient forcer notre porte, que l’étonnement que leur causeraient tant de lumières nous sauverait de leurs premiers coups et nous laisserait le temps de leur parler. A peine nos arrangements étaient-ils finis, que nous entendîmes dans les chambres précédentes des cris affreux et un cliquetis d’armes qui ne nous annonça que trop que le château était forcé, et qu’il fallait nous armer de courage. Ce fut l’affaire d’un moment ; les portes furent enfoncées, et des hommes le sabre à la main, les yeux hors de la tête, se précipitèrent dans le salon ; ils s’arrêtèrent à l’instant comme stupéfaits ; une douzaine de femmes dans cette chambre! (car nous étions réunies avec plusieurs Dames de la Reine, de Madame Élisabeth et de Mme de Lamballe). Ces lumières répétées dans les glaces faisaient un tel contraste avec la clarté du jour, que les brigands en furent confondus.

   Plusieurs des Dames qui étaient dans la chambre se trouvèrent mal. Mme de Ginestoux se jeta à genoux et avait tellement perdu la tête, qu’elle balbutiait des mots de pardon. Nous allâmes à elle, la fîmes taire, et pendant que je la rassurais, cette bonne Mme de Tarente priait un Marseillais de prendre sous sa protection cette Dame à cause de la faiblesse de sa tête. Cet homme y consentit et la tira aussitôt de la chambre ; puis, tout à coup revenant à celle qui lui avait parlé pour une autre, et frappé d’une telle générosité dans cette circonstance, il dit à Mme de Tarente : Je sauverai cette Dame et vous aussi et votre petite compagne aussi. En effet, il remit Mme de Ginestoux entre les mains d’un de ses camarades ; puis il prit Mme de Tarente et moi chacune sous un bras, et nous tira hors de l’appartement.

   En sortant du salon, il nous fallut passer sur le corps d’un valet de pied de la Reine, et d’un de ses valets de chambre, qui tous deux fidèles à leur poste, et n’ayant pas voulu abandonner l’appartement de leur maîtresse, en avaient été les victimes. Cette vue me serra le cœur : la Princesse de Tarente et moi nous nous regardâmes, pensant que peut-être bientôt nous aurions le même sort. Enfin, après beaucoup de peine, cet homme qui nous donnait le bras parvint à nous faire sortir du château par une petite porte auprès des souterrains. Nous nous trouvâmes sur la terrasse, puis à la porte du pont Royal. Là, notre protecteur nous quitta, ayant, disait-il, rempli son engagement de nous conduire sûrement hors des Tuileries.

   Je pris alors le bras de Mme de Tarente, qui, croyant se soustraire aux regards de la multitude, voulut, pour retourner chez elle, descendre sur le bord de la rivière. Nous marchions doucement et sans proférer une parole, lorsque nous entendîmes des cris affreux derrière nous. En nous retournant, nous aperçûmes une foule de brigands qui couraient sur nous le sabre à la main ; à l’instant il en parut autant devant nous et sur le quai par dessus le parapet ; d’autres nous tenaient en joue, criant que nous étions des échappées des Tuileries.

   Pour la première fois de ma vie j’eus peur ; cette manière d’être massacré me paraissait affreuse. Mme de Tarente parla à la multitude, et obtint que sous escorte nous serions conduites au district.

   Il fallut traverser toute la place Louis XV au milieu des morts ; car beaucoup des Suisses y avaient été massacrés. Nous étions suivies d’un peuple immense qui nous disait toutes les injures possibles.

   Nous fûmes menées rue des Capucines, et là nous nous fîmes connaître : la personne à qui nous parlâmes était un honnête homme ; il jugea promptement combien était pénible la position dans laquelle nous nous trouvions ; il donna un reçu de nos personnes ; il dit très haut que nous allions être conduites en prison, et congédia ainsi ceux qui nous avaient amenées. Se trouvant seul avec nous, il nous assura de son intérêt, en nous promettant qu’à la chute du jour il nous ferait reconduire chez nous. En effet, sur les huit heures et demie du soir, il nous donna deux personnes sûres pour nous conduire, et nous fit passer par une porte de derrière, pour éviter les espions qui entouraient sa maison. Nous arrivâmes chez la Duchesse de La Vallière, grand’mère de Mme de Tarente, et chez laquelle elle logeait. Je demandai à cette bonne Princesse de Tarente de ne la pas quitter pendant la nuit, et je me couchai sur un canapé dans sa chambre.

   A cinq heures du matin, pendant que nous causions ensemble de tout ce qui nous était arrivé, nous entendîmes frapper à la porte : c’était mon frère qui, ayant passé la nuit aux Feuillants, près du Roi, venait nous en donner des nouvelles, et me dire que la Reine avait demandé à ma Mère que je vinsse la rejoindre ; que le Roi en avait demandé la permission à l’Assemblée, qui l’avait accordée ; que dans une heure il viendrait me chercher pour me conduire aux Feuillants. Cette nouvelle me fit un sensible plaisir ; j’étais heureuse de me retrouver avec ma Mère et d’unir mon sort au sien et à celui de la famille royale.

   A huit heures du matin j’arrivai aux Feuillants ; je ne puis assez vous dire quelle fut la bonté du Roi et de la Reine quand ils me virent ; ils me firent bien des questions sur les personnes dont je pouvais leur donner des nouvelles. Madame et Monsieur le Dauphin me reçurent avec une amitié touchante, m’embrassèrent et me dirent que nous ne nous séparerions plus.

   Une demi-heure avant le départ pour le Temple, Madame Élisabeth m’appela, m’emmena avec elle dans un cabinet et me dit : ma chère Pauline, nous connaissons votre discrétion et votre attachement pour nous. J’ai une lettre de la plus grande importance dont je voudrais me débarrasser avant de partir d’ici ; aidez-moi à la faire disparaître. Il n’y avait ni feu ni lumière ; nous prîmes cette lettre de huit pages ; nous en déchirâmes quelques morceaux que nous essayâmes de broyer entre nos doigts et sous nos pieds ; mais comme cela devenait trop long, et qu’elle craignait que son absence ne donnât quelques soupçons, je pris une page entière de la lettre ; je la mis dans ma bouche et je l’avalai. Cette bonne Madame Élisabeth voulait en faire autant, mais son cœur se soulevait ; je m’en aperçus et lui demandai les deux autres pages que j’avalai encore, de manière qu’il n’en resta plus de vestiges. Nous rentrâmes, et l’heure du départ pour le Temple étant arrivée, la famille royale monta dans une voiture à dix places composée de la manière suivante :

   Le Roi, la Reine, et Monsieur le Dauphin dans le fond ; Madame Élisabeth, Madame, et Manuel, procureur de la commune sur le devant ; la Princesse de Lamballe et ma mère sur une banquette de portière ; et moi, avec un nommé Collonge, membre de la commune, sur la banquette vis-à-vis. La voiture allait au plus petit pas : on traversa la place Vendôme ; la voiture s’arrêta, et Manuel, faisant remarquer la statue de Louis XIV qui venait d’être renversée, dit au Roi : «Vous voyez comme le peuple traite les Rois». A quoi le Roi devint rouge d’indignation, mais se modérant à l’instant, S.M. répondit avec un calme angélique : — «Il est heureux, Monsieur, quand sa rage ne porte que sur des objets inanimés». Le plus profond silence suivit et régna tout le reste du chemin. On prit les boulevards ; et le jour commençait à tomber lorsqu’on arriva au Temple.

   La cour, la maison, le jardin étaient illuminés ; et cela avait un air de fête qui contrastait terriblement avec la position de la famille royale. Le Roi, la Reine et nous autres de leur suite, nous entrâmes dans un fort beau salon ; on y resta plus d’une heure sans pouvoir obtenir de réponse aux questions que l’on faisait pour savoir où étaient les appartements. Monsieur le Dauphin tombait de sommeil et demandait à se coucher. On servit un grand souper auquel on toucha peu. Ma mère pressant vivement pour savoir où était la chambre destinée à Monsieur le Dauphin, on annonça enfin qu’on allait l’y conduire.

   On alluma des torches, on fit traverser la cour, puis un souterrain ; enfin on arriva à la tour, où nous entrâmes par une petite porte qui ressemblait fort à un guichet de prison.

   La Reine et Madame furent établies dans la même chambre, qui était séparée de celle de Monsieur le Dauphin et de celle de ma Mère par une petite antichambre dans laquelle couchait la Princesse de Lamballe. Le Roi fut logé au second, et Madame Elisabeth, pour laquelle il n’y avait plus de chambre, fut établie près de celle du Roi, dans une cuisine d’une saleté épouvantable ; cette bonne Princesse dit à ma mère qu’elle se chargeait de moi. Effectivement elle fit mettre un lit de sangle auprès du sien, et nous passâmes la nuit sans dormir, la chambre dans laquelle donnait cette cuisine servant de corps-de-garde.

   Le lendemain à huit heures nous descendîmes chez la Reine, qui était déjà levée et dont la chambre devait servir de salon ; depuis on y passa les journées entières et on ne remontait au second que pour se coucher. L’on n’était jamais seul dans cette chambre de la Reine : toujours un municipal était présent ; à toutes les heures il était changé.

   Tous nos effets avaient été pillés dans notre appartement des Tuileries. Je ne possédais absolument que la robe que j’avais sur le corps lors de ma sortie du château. Madame Elisabeth, à qui l’on venait d’envoyer quelques effets, me donna une de ses robes ; elle ne pouvait aller à ma taille ; nous nous occupâmes de la découdre pour la refaire ; tous les jours, la Reine, Madame, Madame Élisabeth y travaillaient un peu ; c’était notre occupation. Mais nous ne pûmes la finir.

   La nuit du 19 au 20 d’août, il était environ minuit, lorsque nous entendîmes frapper à travers la porte de notre chambre : on nous intima, de la part de la commune de Paris, l’ordre d’enlever du Temple la Princesse de Lamballe, ma Mère et moi.

   Madame Elisabeth se leva sur-le-champ ; elle-même m’aida à m’habiller, m’embrassa et me conduisit chez la Reine. Nous trouvâmes tout le monde sur pied : la séparation d’avec la famille royale fut une peine cruelle ; et quoique on nous assurât que nous reviendrions après avoir subi un interrogatoire, un sentiment secret nous disait que nous la quittions pour longtemps.

   Nous traversâmes les souterrains aux flambeaux ; à la porte du Temple nous montâmes en fiacre et on nous conduisit à l’Hôtel-de-Ville. On nous établit dans une grande salle ; et de peur que nous pussions causer ensemble, un municipal était assis entre chacune de nous et nous séparait. Nous restâmes ainsi sur des banquettes pendant plus de deux heures ; enfin, vers les trois heures du matin, on vint appeler la Princesse de Lamballe pour l’interroger ; ce fut l’affaire d’un quart d’heure après lequel on appela ma Mère ; je voulus la suivre, on s’y opposa, disant que j’aurais mon tour ; ma Mère, en arrivant dans la salle d’interrogation qui était publique, demanda que je fusse ramenée auprès d’elle, mais on la refusa très rudement, lui disant que je ne courais aucun danger étant sous la sauvegarde du peuple. On vint enfin me chercher et on me conduisit à la salle d’interrogatoire. Là, monté sur une estrade, on était en présence d’une foule immense de peuple qui remplissait la salle ; il y avait aussi des tribunes remplies d’hommes et de femmes. Billaud de Varennes debout faisait les questions, et un secrétaire écrivait les réponses sur un grand registre. On me demanda mon nom, mon âge, et on me questionna beaucoup sur la journée du 10 août, me disant de déclarer que j’avais vu et que j’avais entendu dire au Roi et à la famille royale. Ils ne surent que ce que je voulus bien ; car je n’avais nullement peur ; je me trouvais comme soutenue par une main invisible qui ne m’a jamais abandonnée et m’a toujours fait conserver ma tête avec beaucoup de sang-froid.

   Je demandai très haut d’être réunie à ma Mère et de ne la pas quitter. Plusieurs voix s’élevèrent pour dire oui, oui, d’autres murmurèrent, mais on me fit descendre les marches du gradin sur lequel on était élevé, et après avoir traversé plusieurs corridors, je me vis ramener à ma Mère, que je trouvai bien inquiète de moi ; elle était avec la Princesse de Lamballe, et nous fûmes toutes les trois réunies.

   Nous restâmes dans le cabinet de Tallien jusqu’à midi. On vint alors nous chercher pour nous conduire à la prison de la Force. On nous fit monter dans un fiacre ; il était entouré de gendarmes, suivi d’un peuple immense : il y avait un officier de gendarmerie avec nous dans la voiture. C’est par le guichet donnant sur la rue des Ballays, près la rue Saint-Antoine, que nous entrâmes dans cette horrible prison. On nous fit d’abord passer dans l’appartement du concierge, afin d’inscrire nos noms sur le registre, et je n’oublierai jamais qu’un individu fort bien mis et qui se trouvait là, s’approchant de moi, qui étais restée seule dans la chambre, me dit : Mademoiselle, votre position m’intéresse ; je vous donne le conseil de quitter ici les airs de cour que vous avez, et d’être plus familière et plus affable.

   Indignée de l’impertinence de ce monsieur, je le regardai fixement et lui répondis que telle j’avais été, telle je serais toujours ; que rien ne pourrait influer sur mes sentiments ni mon caractère, et que l’impression qu’il remarquait sur mon visage n’était autre chose que l’image de ce qui se passait dans mon cœur indigné des horreurs que nous voyions! Il se tut et se retira l’air fort mécontent.

   Ma Mère entra alors dans la chambre, mais, hélas! ce ne fut pas pour longtemps ; nous fûmes toutes les trois séparées. On conduisit maman dans un cachot, et moi dans un autre. Je suppliai d’être réunie à elle ; mais on fut inexorable.

   Le guichetier vint m’apporter une cruche d’eau. C’était un très bon homme. Me voyant au désespoir d’être séparée de ma Mère et ne sollicitant au monde que d’être réunie à elle, cela le toucha, et ce pauvre homme cherchant à adoucir ma peine, me laissa son chien, afin, me disait-il, de me donner une distraction. Surtout ne me trahissez pas, me dit-il, j’aurai l’air de l’avoir oublié par mégarde.

   A 6 heures du soir, il revint me voir et me trouvant toujours dans le même état de chagrin : je vais vous confier un secret. Votre Mère est dans le cabinet au-dessous du vôtre ; ainsi vous n’êtes pas loin d’elle. D’ailleurs, ajouta-t-il, vous allez avoir dans une heure la visite de Manuel, le procureur de la commune, qui viendra s’assurer si tout est dans l’ordre ; n’ayez pas l’air, je vous en prie, de savoir tout ce que je vous dis.

   En effet, quelque temps après, j’entendis tirer les verrous de la chambre voisine, puis ceux de la mienne ; je vis entrer trois hommes dont un que je reconnus très bien pour être Manuel, le même qui avait conduit le Roi au Temple. Il trouva la chambre où j’étais très humide, et parla de m’en faire changer. Je saisis cette occasion de lui dire que tout m’était égal ; que la seule grâce que je sollicitais de lui particulièrement était de me réunir à ma Mère : je lui demandai avec une grande vivacité ; et je vis que ma demande le touchait ; puis il dit : Demain je dois revenir ici, et nous verrons ; je ne vous oublierai pas. Le pauvre guichetier en fermant la porte me dit à voix basse : Il est touché ; je lui ai vu des larmes dans les yeux, ayez courage ; à demain.

   Ce bon François, car c’était le nom de ce guichetier, me donna de l’espoir et me fit un bien que je ne puis exprimer : je me mis à genoux, fis mes prières, et avec un calme et une tranquillité extrême je me jetai toute habillée sur l’horrible grabat qui servait de lit ; je dormis jusqu’au jour.

   Le lendemain à sept heures du matin, ma porte s’ouvrit et je vis entrer Manuel qui me dit : J’ai obtenu de la commune la permission de vous réunir à votre Mère ; suivez-moi.

   Nous descendîmes dans la chambre de ma Mère, je me jetai dans ses bras, croyant tous ses malheurs finis puisque je me trouvais auprès d’elle. Elle remercia beaucoup Manuel, et lui demanda d’être réunie à la Princesse de Lamballe, puisque nous avions été transférées avec elle ; il réfléchit un moment, puis il dit : Je le veux bien, je prends cela sur moi, et je vais vous conduire dans sa chambre. Effectivement, à huit heures du matin nous étions réunies toutes les trois, seules, et nous éprouvâmes un moment de bonheur de pouvoir partager ensemble nos infortunes.

   Le lendemain matin nous reçûmes un paquet venant du Temple. C’étaient nos effets que nous renvoyait la Reine. Elle-même, avec cette bonté qui ne se dément point, avait pris soin de les réunir. Parmi eux se trouvait cette robe de Madame Élisabeth dont je vous ai parlé plus haut. Elle devient pour moi un gage d’un éternel souvenir, d’un éternel attachement, et je la conserverai toute ma vie.

   L’incommodité de notre logement, l’horreur de la prison, le chagrin d’être séparées du Roi et de sa famille, la sévérité avec laquelle cette séparation semblait nous promettre d’être traitées, tout cela m’attristait fort, je l’avoue, et effrayait extrêmement cette malheureuse Princesse de Lamballe. Quant à ma Mère, elle montrait cet admirable courage que vous lui avez vu dans de tristes circonstances de sa vie, ce courage qui, n’ôtant rien à sa sensibilité, laisse cependant à son âme toute la tranquillité nécessaire pour que son esprit puisse lui être d’usage. Elle travaillait, elle lisait, elle causait d’une manière aussi calme, que si elle n’eût rien craint ; elle paraissait affligée, mais ne semblait pas même inquiète.

   Nous étions depuis près de quinze jours dans ce triste séjour, lorsqu’une nuit, vers une heure du matin, étant toutes trois couchées et endormies comme on dort dans une telle prison, de ce sommeil qui laisse encore de la place à l’inquiétude, nous entendîmes tirer les verrous de notre porte ; elle s’ouvrit, un homme parut et me dit : Mlle de Tourzel, levez-vous promptement et suivez-moi. Je tremblais et ne répondais ni remuais. — Que voulez-vous faire de ma fille, dit ma Mère à cet homme ? — Que vous importe? répondit-il, d’une manière qui me parut bien dure ; il faut qu’elle se lève et qu’elle me suive. — Levez-vous, Pauline, me dit ma mère et suivez-le, il n’y a rien à faire ici que d’obéir. Je me levai lentement, et cet homme restait toujours dans la chambre ; dépêchez-vous, dit-il deux ou trois fois ; dépêchez-vous, Pauline, me dit aussi ma Mère.

   J’étais habillée, mais je n’avais pas changé de place ; j’allai à son lit et je pris sa main ; mais l’homme ayant vu que j’étais levée, s’approcha, me prit par le bras et m’entraîna malgré moi. Adieu, Pauline, que le bon Dieu vous bénisse et vous protège! cria ma Mère. Je ne pouvais lui répondre ; deux grosses portes étaient déjà entre elle et moi, et cet homme m’entraînait toujours.

   Comme nous descendions l’escalier, il entendit du bruit ; avec l’air fort inquiet, il me fit entrer précipitamment dans un petit cachot, ferma la porte, prit la clé et disparut.

   Ce cachot était éclairé par un bout de chandelle ; en moins d’un quart d’heure, cette chandelle finit, et je ne puis vous exprimer ce que je ressentis et les réflexions sinistres que m’inspirait cette lueur tantôt forte, tantôt mourante : elle me représentait mon agonie, et me disposait à faire le sacrifice de ma vie, mieux que n’auraient pu faire les discours les plus touchants.

   Je restai alors dans une profonde obscurité, puis j’entendis ouvrir doucement la porte ; on m’appela, et à la lueur d’une petite lanterne je reconnus l’homme qui m’avait enfermée une heure auparavant, pour être celui qui était dans la chambre du concierge lors de notre arrivée à la Force, et qui avait voulu me donner des conseils. Il me fit marcher doucement ; au bas de l’escalier, il me fit entrer dans une chambre, me montra un paquet et me dit de m’habiller avec ce que je trouverais là dedans ; il renferma la porte et je restai immobile, sans agir ni presque penser ; je ne sais combien de temps je restai dans cet état ; j’en fus tirée par le bruit de la porte qui se rouvrit et le même homme parut : Quoi ! vous n’êtes pas encore habillée! me dit-il d’un air inquiet ; il y a de votre vie, si vous ne sortez promptement d’ici. Je regardai alors les habits qui étaient dans le paquet, c’étaient des habits de paysanne ; ils me parurent assez larges pour aller par-dessus les miens ; je les eus passés dans un instant. Cet homme me prit par le bras et me fit sortir de la chambre ; je me laissais entraîner sans faire aucune question, presque même aucune réflexion, et je voyais à peine ce qui se passait autour de moi.

   Lorsque nous fûmes hors des portes de la prison, j’aperçus, à la clarté du plus beau clair de lune, une prodigieuse multitude de peuple, et j’en fus entourée dans le moment. Tous ces hommes avaient l’air féroce : ils étaient armés de sabres et semblaient attendre quelque victime pour la sacrifier. Voici une prisonnière qu’on sauve, crièrent-ils tous à la fois en me menaçant de leurs sabres. L’homme qui me conduisait faisait l’impossible pour les écarter de moi et pour se faire entendre ; je vis alors qu’il portait la marque qui distingue les représentants de la communauté de Paris ; cette marque étant un droit pour se faire écouter, on le laissa parler.

   Il dit que je n’étais pas prisonnière, qu’une circonstance m’ayant fait me trouver à la prison de la Force, il m’en venait tirer par ordre supérieur, les innocents ne devant pas périr comme les coupables. Cette phrase me fit frémir pour ma mère qui était restée enfermée ; les discours de mon libérateur, car je commençais à voir que c’était le rôle qu’avait entrepris cet homme dont les manières m’avaient semblé si dures ; ses discours, dis-je, faisaient effet sur la multitude, et l’on allait enfin me laisser passer, lorsqu’un soldat, en uniforme de garde national, s’avança et dit au peuple qu’on le trompait, que j’étais Mlle de Tourzel, qu’il me connaissait fort bien pour m’avoir vu mille fois aux Tuileries chez le Dauphin, lorsqu’il y était de garde, et que mon sort ne devait pas être différent de celui des autres prisonniers. Alors la fureur redoubla tellement contre moi et contre mon protecteur que je crus bien certainement que le seul service qu’il m’aurait rendre serait de me conduire à ma mort, au lieu de me la laisser attendre. Enfin, ou son adresse, ou son éloquence, ou mon bonheur me tira encore de là, et nous nous trouvâmes libres de poursuivre notre chemin. Il pouvait cependant s’y rencontrer encore mille obstacles ; nous avions à passer des rues dans lesquelles nous devions trouver beaucoup de peuple ; je pouvais encore être reconnue et pouvais encore être arrêtée ; cette crainte détermina mon guide à me laisser dans une petite cour fort sombre, et par laquelle il ne pouvait venir personne, pour aller voir ce qui se passait aux environs, et s’il pouvait sans danger me mener avec lui. Il revint au bout d’une demi-heure, me dit qu’il croyait plus prudent de changer de costume, et il m’apportait un habit, un pantalon et une redingote, dont il voulait que je me vêtisse. Je n’étais guère tentée de ce déguisement qu’il pensait nécessaire ; il me répugnait de périr sous des habits qui ne devaient pas être les miens ; je m’aperçus qu’il ne m’avait apporté ni chapeau, ni souliers ; j’avais sur la tête un bonnet de nuit et aux pieds des souliers de couleur ; le déguisement devenait impossible, et je restai comme j’étais.

   Pour sortir d’où nous étions, il fallait repasser presqu’aux portes de la prison où étaient les assassins, ou traverser une église (le petit Saint-Antoine) dans laquelle se tenait une assemblée qui devait légaliser leurs crimes ; l’un ou l’autre de ces passages étaient également dangereux pour moi.

   Nous choisîmes celui de l’église, et je fus obligée de la traverser me traînant presque à terre par les bas-côtés, afin de n’être pas aperçue de ceux qui formaient l’assemblée. Il me fit entrer dans une petite chapelle de côté, et me plaçant derrière les débris d’un autel renversé, il me recommanda bien de ne pas remuer, quelque bruit que j’entendisse, et d’attendre son retour qui serait le plus prochain qu’il pourrait. Je m’assis sur mes talons, entendant beaucoup de bruit, des cris mêmes ; mais je ne bougeai pas, bien résolue à attendre là mon sort, et remettant ma vie entre les mains de la Providence en laquelle je m’abandonnai avec confiance, résignée à recevoir la mort si tels étaient ses décrets.

   Je fus très longtemps dans cette chapelle ; enfin je vis arriver mon guide, et nous sortîmes de l’église avec les mêmes précautions que nous avions prises pour y entrer. Très peu loin de là, mon libérateur s’arrêta à une maison qu’il me dit être la sienne ; il me fit entrer dans une chambre, et m’y ayant renfermée, il me quitta sur-le-champ. J’eus un moment de joie en me trouvant seule, mais je n’en jouis pas longtemps ; le souvenir des périls que j’avais courus ne me montrait que trop ceux auxquels ma Mère était livrée, et je restai tout entière à mes tristes craintes ; je m’y abandonnais depuis plus d’une heure, lorsque M. Hardy (car il est temps que je vous nomme celui auquel nous devons la vie) revint et me parut avoir un air plus effrayé que je ne l’avais vu de toute la matinée. Vous êtes connue, me dit-il, on sait que je vous ai sauvée, on veut vous ravoir, on croit que vous êtes ici, on peut vous y venir prendre ; il en faut sortir tout de suite, mais non pas avec moi, ce serait vous remettre dans un danger certain, prenez ceci, me dit-il en me montrant un chapeau avec un voile et un mantelet noir. Écoutez bien tout ce que je vais vous dire, et surtout n’oubliez pas la moindre chose.

   En sortant de cette porte, vous tournerez à droit ; puis vous prendrez la première rue à gauche ; elle vous conduira sur une petite place dans laquelle donnent trois rues ; vous prendrez celle du milieu, puis auprès d’une fontaine, vous trouverez un passage qui vous conduira dans une autre grande rue ; vous y verrez un fiacre arrêté près d’une allée sombre ; cachez-vous dans cette allée, et vous n’y serez pas longtemps sans me voir paraître ; partez vite, et surtout, dit-il, après me l’avoir encore répété, tâchez de n’oublier rien de tout ce que je viens de vous dire ; car je ne saurais comment vous retrouver ; et alors que pourriez-vous devenir?

   Je vis la crainte qu’il avait que je ne me souvinsse pas bien de tous les renseignements qu’il m’avait donnés ; cette crainte, en augmentant celle que j’avais moi-même, me troubla tellement qu’en sortant de la maison, je savais à peine si je devais tourner à droite ou à gauche. Comme il vit de la fenêtre que j’hésitais, il me fit un signe, et je me souvins alors de tout ce qu’il m’avait dit.

   Mes deux habillements l’un sur l’autre me donnaient une figure étrange, mon air inquiet pouvait me faire paraître suspecte ; il me semblait que tout le monde me regardait avec étonnement. J’eus bien de la peine à arriver jusqu’où je devais trouver le fiacre, mais enfin je l’aperçus, et je ne puis vous dire la joie que j’en ressentis. Je me crus pour lors absolument sauvée. Je me retirai dans l’allée sombre en attendant que M. Hardy parût. Un quart d’heure s’était passé et il ne venait point. Alors mes craintes redoublèrent ; si je restais plus longtemps dans cette allée, je craignais de paraître suspecte aux gens du voisinage ; mais comment en sortir? je ne connaissais pas le quartier dans lequel je me trouvais ; si je faisais la moindre question, je pouvais me mettre dans un grand danger ; enfin comme je méditais tristement sur le parti que je devais prendre, je vis venir M. Hardy ; il était avec un autre homme. Ils me firent monter dans le fiacre et y montèrent avec moi. L’inconnu se plaça sur le devant de la voiture et me demanda si je le reconnaissais. Parfaitement, lui dis-je, vous êtes M. Billaud de Varennes qui m’avez interrogée à l’Hôtel-de-Ville. Il est vrai, dit-il, je vais vous conduire chez Danton, afin de prendre ses ordres à votre sujet. Arrivés à la porte de Danton, ces messieurs descendirent, montèrent chez lui et revinrent peu après me disant : Vous voilà sauvée ; il ne nous reste plus maintenant qu’à vous conduire dans un endroit où vous ne puissiez pas être connue, autrement il pourrait encore ne pas être sûr.

   Je demandai à être menée chez Mme la Marquise de Lède, une de mes parentes. Elle était très âgée, et par conséquent je pensais ne pouvoir la compromettre. Billaud de Varennes s’y opposa à cause du nombre de ses domestiques dont plusieurs peut-être ne seraient pas discrets sur mon arrivée dans la maison, et me demanda d’indiquer une maison obscure. Je me souvins alors de la bonne Babet, notre fille de garde-robe ; je pensai que je ne pouvais être mieux que dans une maison pauvre et dans un quartier retiré. Billaud de Varennes, car c’était toujours lui qui entrait dans ce détail, me demanda le nom de la rue pour l’indiquer au cocher. Je nommai la rue du Sépulcre.

   Ce nom dans un moment comme celui où nous étions lui fit une grande impression, et je vis sur son visage un sentiment d’horreur de ce rapprochement avec tous les événements qui se passaient. Il dit un mot tout bas à M. Hardy, lui recommanda de me conduire où je demandais à aller et disparut.

   Pendant le chemin, je ne parlai que de ma Mère ; je demandai si elle était encore en prison. Je voulais aller la rejoindre si elle y était encore ; je voulais aller moi-même plaider son innocence. Il me paraissait affreux que ma Mère fût exposée à la mort à laquelle on venait de m’arracher : moi sauvée, ma Mère périr! cette pensée me mettait hors de moi.

   M. Hardy chercha à me calmer, me dit que j’avais pu voir que depuis le moment où il m’avait séparée d’elle, il n’avait été occupé que du soin de me sauver ; qu’il y avait malheureusement employé beaucoup de temps, mais qu’il se flattait qu’il lui en resterait encore assez pour servir ma Mère ; que ma présence ne pouvait que nuire à ses desseins ; qu’il allait sur-le-champ retourner à la prison et qu’il ne regarderait sa mission comme finie que lorsqu’il nous aurait réunies ; qu’il me demandait du calme, qu’il avait tout espoir.

   Il me laissa remplie de reconnaissance pour le danger où il s’était mis à cause de moi, et avec l’espérance qu’il sauverait ma Mère de tous ceux que je craignais pour elle.

   Adieu, ma chère Joséphine ; je suis si fatiguée que je ne puis plus écrire, d’ailleurs ma Mère me dit qu’elle veut vous raconter elle-même ce qui la regarde, et elle vous l’écrira demain.

Le corps de la Princesse de Lamballe jeté à la rue avant d'être dépecé le 3 septembre 1792

Le corps de la Princesse de Lamballe jeté à la rue avant d’être dépecé le 3 septembre 1792

2011-58. Du zèle pour le salut des âmes.

Premier vendredi du mois d’août.

       Il n’y a pas de véritable amour pour Dieu et pour le prochain sans un zèle ardent pour le salut éternel des âmes.
Le salut des âmes fut la grande « obsession » des saints car – même si, dans le principe, Notre-Seigneur Jésus-Christ a offert à Son Père, sur le Calvaire, un sacrifice rédempteur d’une valeur infinie, et donc capable de sauver des milliards de mondes – le salut n’est pas automatique.
Notre bienheureux Père Saint Augustin disait : « Celui qui t’a créé sans toi, ne te sauvera pas sans toi… »

   Dieu qui a fait aux hommes le don du libre-arbitre et d’une vraie responsabilité, est respectueux de ces dons et ne contraint personne à se soumettre à Ses desseins d’amour.
Nul ne peut être sauvé sans une adhésion profonde de la volonté et du cœur au salut surabondant proposé par le Christ Rédempteur.
Nul ne va au Ciel sans en avoir le désir et sans manifester un minimum de cohérence avec ce désir, c’est-à-dire sans s’efforcer (malgré sa faiblesse et ses chutes, lesquelles peuvent toujours être pardonnées) de mettre en pratique, dans ses actes et dans sa vie, les préceptes et les lois de la vie nouvelle que Jésus-Christ lui a méritée.
Nul ne bénéficie malgré lui de la Rédemption : il y avait des « Malgré-nous » dans les armées du troisième Reich, mais il n’y en aura pas au Ciel !

Retable d'Isenheim

« Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu,
tenu pour profane le Sang de l’Alliance par lequel il a été sanctifié,
et fait outrage à l’esprit de la grâce? » (Heb. X, 29)

   Voilà pourquoi tous ceux qui ont vraiment compris ce qu’est l’Amour du Père Eternel qui a envoyé sur la terre Son Verbe pour qu’Il assumât notre chair et notre condition terrestre (mystère de l’Incarnation), et pour qu’Il offrît cette chair en sacrifice de rachat (mystère de la Rédemption) ; tous ceux qui ont compris ce qu’éprouve en vérité le divin Cœur de Jésus et qui veulent correspondre aux appels de ce Sacré-Cœur ; tous ceux qui ont compris ce qu’est la mission du Saint-Esprit et la raison de l’institution de l’Eglise ainsi que des sacrements par lesquels elle dispense la grâce ; tous ceux là ne peuvent pas regarder le salut des âmes « à la légère », mais ils en portent dans leur âme un souci qui confine à l’obsession et ne les laisse pas en repos.

   Le chrétien véritable n’est pas indifférent au sort éternel de ses frères : si son cœur est vraiment habité par une foi et une charité vivantes, il voit en tout homme quelqu’un qui est appelé à bénéficier de la Rédemption, quelqu’un pour lequel le Christ Sauveur a répandu Son Sang Précieux, quelqu’un qu’il faut entraîner à mieux connaître et aimer Notre-Seigneur, quelqu’un qu’il faut aider à mieux correspondre aux divines volontés, quelqu’un pour lequel Dieu lui demande de travailler au salut à la suite de Jésus-Christ.
Un chrétien ne peut bien évidemment pas « zapper » les oeuvres de miséricorde (
cf. Matth. XXV, 31-46), mais il doit plus encore penser et travailler au salut éternel de ses frères.

   Tout chrétien véritable devrait pouvoir dire avec la même intensité que Saint Paul : « Je dis la vérité dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience me rendant témoignage par l’Esprit-saint, qu’il y a une grande tristesse et une douleur continuelle dans mon cœur (…) pour mes frères qui sont mes proches selon la chair » (Rom. IX, 1-3).

   Tout chrétien authentique doit avoir conscience et garder à l’esprit

1) qu’il a une responsabilité dans le salut de ses frères, et qu’il lui sera un jour demandé comme à Caïn : « Qu’as tu fait de ton frère? » ;
2) qu’il est appelé à être co-rédempteur avec le Christ : « Ce qui manque à la passion du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair pour Son corps qui est l’Eglise » (
cf. Col. I, 24) ;
3) et que de sa cohérence avec sa foi, de son témoignage rendu à la Vérité et à la Charité divines – en actes plus encore qu’en paroles -, de son zèle missionnaire et de sa propre sanctification peut dépendre le salut d’autres âmes, car « toute âme qui s’élève élève le monde » (
Elisabeth Leseur).

Allez, enseignez toutes les nations...

« Allez donc, enseignez toutes les nations
les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
leur apprenant à garder Mes commandements… » (Matth. XXVIII, 19)

   Ces vérités, qui ont suscité des vocations, alimenté la ferveur et nourrit le zèle missionnaire de générations de fidèles et de saints pendant des siècles, sont aujourd’hui, à l’intérieur même de l’Eglise, minimisées, tues, voire combattues.
En écrivant ceci je pense, de manière très précise, à de véritables hérésies entendues dans la bouche de certains professeurs de séminaires, curés de paroisse et même… évêques – hélas !

   Ces ecclésiastiques qui manquent de zèle dans l’administration des sacrements, qui réduisent sans cesse le nombre des messes et souhaitent même que les fidèles s’habituent à ne plus avoir la messe chaque dimanche, qui peuvent envisager sans la moindre inquiétude spirituelle que sur le territoire de leurs paroisses ou de leurs évêchés d’innombrables chrétiens meurent sans recevoir ni la sainte absolution ni l’extrême onction ni le saint viatique, qui ne sont quasi jamais au confessionnal à attendre la brebis égarée… etc., sont peut-être encore des « hommes d’Eglise » mais ils ne sont pas des hommes de Dieu !

   Ils devraient être rongés par l’insomnie, dévorés par l’angoisse du salut de ces âmes dont ils ont reçu la responsabilité et desquelles ils devront rendre des comptes devant le Souverain Juge.

   L’Eglise n’a pas besoin d’ « administrateurs », ni d’espèces de fonctionnaires ecclésiastiques que l’on ne peut joindre qu’aux heures de bureaux et qui se contentent de « gérer » des structures par le biais de réunions interminables (et souvent aussi inter-minables).
Elle est tristement révélatrice cette appellation de « modérateurs » qui est attribuée aux prêtres dans les diocèses où l’on répugne à nommer de véritables curés (*) de paroisse : un « modérateur », n’est-ce pas quelqu’un qui fait retomber les enthousiasmes, qui calme les ardeurs et qui veille à ce que rien ne sorte d’une ronronnante moyenne?
Dieu, qui vomit la tiédeur (
cf. Apoc. III, 15-16), n’a pas besoin de « modérateurs » mais bien au contraire de prêtres, de religieux, de missionnaires, de fidèles qui soient des catalyseurs de ferveur, des « incendiaires » de la charité surnaturelle, des amplificateurs du zèle apostolique, des multiplicateurs du salut et de la sainteté!

« Devant ces églises, ça et là, à demi désertes, à demi écroulées, je me surprends à méditer la grande vérité, le mot décisif : les églises de France ont besoin de saints! » (Maurice Barrès, in « La grande pitié des églises de France »).

Lully.

(*) le mot « curé » vient du latin « cura » qui signifie tout à la fois la sollicitude et le soin (qu’on pense au mot français cure qui désigne une période de soins).

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Prière enseignée à Sœur Joséfa Ménendez le 3 juin 1921
par Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même
qui lui demandait de la réciter tous les jours :

       O Jésus, par Votre Cœur très aimant, je Vous supplie d’enflammer du zèle de Votre Amour et de Votre Gloire tous les prêtres du monde, tous les missionnaires, tous ceux qui sont chargés d’annoncer Votre divine Parole, afin qu’incendiés d’un saint zèle, ils arrachent les âmes à Satan et les conduisent dans l’asile de Votre Cœur où elles puissent Vous glorifier sans cesse!

Ainsi soit-il!

2011-57. Profiter des vacances pour lire les Saintes Ecritures.

Jeudi 4 août 2011,
Fête de Saint Dominique de Guzman.

       Hier, mercredi 3 août 2011, notre Saint-Père le Pape a repris les audiences hebdomadaires à Castel Gandolfo.
Ces audiences de Castel Gandolfo (puisque c’est là que le Souverain Pontife se retire en cette saison pour échapper aux chaleurs étouffantes de Rome) ont ordinairement lieu dans la petite cour du Palais pontifical, ce qui leur donne un côté plus intime et familial que les grandes audiences du Vatican (il faut toutefois noter que ce 3 août 2011 il y avait plus de 4000 personnes : la cour étant trop petite, c’est depuis le parvis du Palais Apostolique que le Saint-Père a dû s’adresser aux fidèles massés sur la place de la petite ville). Ces catéchèses que Benoît XVI dispense en cette période de vacances sont plus courtes mais elles revêtent un tour plus familier et plus personnel.

   L’enseignement donné ce dernier mercredi nous incitait à profiter des vacances pour lire les Saintes Ecritures, spécialement les « petits livres » auxquels on serait tenté de porter une moindre attention. 

Traduction en Français provenant du site « Benoît et moi » avec nos remerciements.

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Chers frères et sœurs,

   Je suis très heureux de vous voir ici, sur la Place de Castel Gandolfo, et de reprendre les audiences interrompues en Juillet. 
Je voudrais continuer avec le thème que nous avons commencé, c’est à dire une « école de prière », et aujourd’hui aussi, dans un sens un peu différent, sans m’éloigner du thème, toucher à certains aspects de caractère spirituel et pratique, qui me semblent utiles non seulement pour ceux qui vivent – dans une partie du monde – la période des vacances d’été, comme nous, mais aussi pour tous ceux qui sont engagés dans le travail quotidien. 

   Quand nous avons un pause dans nos activités, surtout pendant les vacances, souvent nous prenons en main un livre, que nous avons envie de lire. C’est justement ce premier aspect, que je voudrais aborder aujourd’hui. 
Chacun de nous a besoin de temps et d’espace pour le recueillement, la méditation, le calme … Dieu merci, c’est le cas ! En effet, cette exigence nous dit que nous ne sommes pas faits seulement pour le travail mais aussi pour penser, réfléchir, ou tout simplement pour suivre avec l’esprit et le cœur un récit, une histoire, pour nous y immerger, en un certain sens nous «perdre» et ensuite nous trouver enrichis. 
Bien sûr, beaucoup de ces livres de lecture, que nous prenons en main pendant les vacances, sont pour la plupart d’évasion, et c’est normal. 
Cependant, différentes personnes, en particulier si elles peuvent avoir des moments de repos et de détente plus prolongés, se consacrent à la lecture de quelque chose de plus exigeant. 
Je voudrais donc faire une suggestion: pourquoi ne pas découvrir quelques livres de la Bible , qui normalement ne sont pas connus ? Ou peut-être dont nous avons entendu quelques passages pendant la liturgie, mais que nous n’avons jamais lus en entier ? 

   En effet, beaucoup de chrétiens ne lisent jamais la Bible, et en ont une connaissance très limitée et superficielle. 
La Bible – comme son nom l’indique – est un recueil de livres, une petite «bibliothèque», née pendant plus d’un millénaire. Certains de ces «petits livres» qui la composent restent pratiquement inconnus de la plupart des gens, même de bons chrétiens. 
Certaines sont très courts, comme le Livre de Tobie, un récit qui contient un sens très élevé de la famille et du mariage, ou le livre d’Esther, dans lequel la reine juive, avec la foi et la prière, sauvera son peuple de l’extermination, ou, encore plus court, le livre de Ruth , une étrangère qui connaît Dieu et expérimente sa providence. 
Ces petits livres peuvent être lus en entier en une heure.
 

   Plus difficiles, et authentiques chefs-d’œuvre, sont le livre de Job , qui aborde le grand problème de la souffrance des innocents; le Qoëlet, qui frappe par la modernité déconcertante avec laquelle il met en discussion les questions du sens de la vie et du monde, et le Cantique des Cantiques, splendide poème symbolique de l’amour humain. Comme vous pouvez le voir, ce sont tous des livres de l’Ancien Testament. 

   Et le Nouveau ? Bien sûr, le Nouveau Testament est mieux connu, et les genres littéraires moins diversifiés. Mais la beauté de la lecture d’un évangile d’une seule traite est à découvrir, ainsi que le recommandent les Actes des Apôtres, ou l’une des Lettres . 

   En conclusion, chers amis, aujourd’hui, je voudrais suggérer de garder à portée de main pendant la période estivale ou les moments de pause, la Sainte Bible, pour la goûter de manière nouvelle, lisant d’affilée certains de ses livres, ceux moins connus, et ceux plus célèbres comme les Evangiles, mais en lecture continue. 

   En agissant ainsi, les moments de détente peuvent devenir, en plus d’un enrichissement culturel, aussi une nourriture de l’esprit, capable d’alimenter la connaissance de Dieu et le dialogue avec lui dans la prière. Et cela semble être une bonne occupation pour les vacances : prendre un livre de la Bible, donc avoir un peu de détente et en même temps, entrer dans le grand espace de la Parole de Dieu et approfondir notre contact avec l’Eternel, comme objectif du temps de loisirs que le Seigneur nous donne.

Armoiries de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

A cet enseignement du Souverain Pontife peut être rattachée notre modeste BD intitulée « une lettre pour toi »  > ici.

2011-55. De l’indulgence de la Portioncule, le 2 août.

       Tous les 2 août, en sus de la fête de Saint Alphonse-Marie de Liguori célébrée au calendrier romain (cf. > ici), à l’occasion de la fête de Notre-Dame des Anges qui appartient au calendrier liturgique propre de la famille franciscaine et de quelques autres congrégations ou lieux, tous les fidèles peuvent obtenir une indulgence plénière particulière, dite indulgence de la Portioncule.

   Afin que tous puissent comprendre ce qu’est cette grâce spirituelle et quelle est son origine, j’ai choisi de publier ici dans son intégralité (et bien que tout n’y soit plus exactement « à jour ») un opuscule que j’ai trouvé dans la bibliothèque de Frère Maximilien-Marie et dont voici la page de couverture :

Notice sur l'indulgence de la Portioncule 1853

Notice publiée en 1853 avec l’imprimatur de l’archevêché d’Avignon

   Ce qui n’est plus « à jour » dans ce texte, c’est que l’indulgence de la Portioncule, selon la dernière édition du recueil des indulgences publié par la Pénitencerie Apostolique (Enchiridion Indulgentiarum, editio quarta 16/07/1999) peut être obtenue, désormais, non plus seulement dans les églises des Ordres Franciscains (Conventuels, Frères Mineurs, Capucins ou Clarisses) mais également dans toutes les cathédrales, toutes les basiliques mineures et toutes les églises paroissiales depuis le 1er août à midi jusqu’au 2 août à minuit (« Concessiones » n°33, §1 – 2°, 3° et 5° ). En revanche, il n’est plus possible d’obtenir plusieurs indulgences plénières le même jour : mais il est toujours possible d’obtenir, en plus d’une indulgence plénière, plusieurs indulgences partielles dans la même journée.

   Cela mis à part, j’ai pensé qu’il y avait toutefois un intérêt historique certain à reproduire ici l’intégralité de ce texte, malgré sa relative longueur.

Lully.

Gravure ancienne de la Portioncule avant l'édification de la basilique

Gravure ancienne représentant la chapelle de la Portioncule
(dans un enclos au milieu des cellules des premiers frères de Saint François avec en fond la ville d’Assise)

Notice sur l’insigne indulgence de la Portioncule
Publiée par les PP. Récollets du couvent de Saint François d’Avignon

I. Origine de l’indulgence de la Portioncule.

   1.) A quelque distance d’Assise, ville de la province de l’Ombrie en Italie, s’élève une petite chapelle érigée dans le IVème siècle par quatre religieux venus de la Palestine ; elle est dédiée à la Sainte Vierge. Elle fut donnée, dans le VIème siècle, aux PP. Bénédictins du Mont Subiasus, qui l’agrandirent, la décorèrent et lui assignèrent pour dotation quelques petites portions de terrains, d’où lui serait venu le nom de Portioncule. Plus tard les fréquentes apparitions des anges dont ce lieu fut témoin, lui firent donner le nom de Sainte-Marie des Anges.

   2.) Le Séraphique Patriarche Saint François d’Assise aimait dès sa plus tendre enfance à se retirer dans cette chapelle. Comme elle était tout en ruines et abandonnée, il entreprit de la restaurer, guidé en cela par sa dévotion envers la Mère de Dieu : il avait appris en révélation que cette petite église lui était singulièrement chère entre toutes celles que l’on avait élevées à la gloire de son nom. François en obtint plus tard la cession de Théobald, abbé des PP. Bénédictins, et il y jeta les premiers fondements de son ordre des Frères Mineurs. C’est pourquoi il affectionna toujours beaucoup cette église ; il l’appelait la Mère du petit troupeau qui s’était attaché à sa suite dès le commencement.

   3.) Une nuit de l’année 1221 que François était en prières, dans la retraite qu’il y avait construite, un Ange lui apparut pour lui ordonner de se rendre dans la petite chapelle voisine où Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Vierge Marie, accompagnés d’une longue suite d’Anges, l’attendaient. François y vint en toute hâte, et à la vue de ce spectacle céleste, il se prosterna pour adorer la majesté de son Dieu. Le Sauveur lui parla en ces termes : « François, le zèle que toi et tes frères montrez pour le salut des âmes, me porte à te permettre de me demander quelque grâce en leur faveur ; je te promets de te l’accorder avec bonté ». Pénétré de cette ineffable condescendance de son Rédempteur, le serviteur de Dieu, inspiré par la Bienheureuse Vierge Marie dont il avait imploré l’assistance, pria Jésus-Christ de daigner accorder à tous les fidèles qui seraient entrés dans cette petite chapelle, l’indulgence plénière de tous leurs péchés dont ils auraient fait une sincère confession à un prêtre approuvé. Jésus exauça cette prière ; il commanda à François d’aller trouver Son Vicaire et de lui demander en son nom d’accorder cette indulgence. Après quoi la céleste vision disparut.

   4.) Fidèle aux ordres du Sauveur, François partit aussitôt pour venir se prosterner aux pieds du Pape Honorius III, pour lors à Pérouse ; il le pria de confirmer la grâce que Jésus-Christ Lui-même avait accordée. Le Pontife comme aussi les Cardinaux, les Evêques et les Prélats, répugnaient dans le principe à la concession d’une faveur aussi extraordinaire : il s’agissait d’une indulgence entière et plénière, absolue, perpétuelle, libre, que le Saint-Siège n’avait point coutume d’accorder, disait on, et qui était de nature à faire oublier celles mêmes attachées au pèlerinage de la Terre-Sainte et du tombeau des Saints Apôtres Pierre et Paul. Mais enfin  la volonté divine s’étant fait connaître, le Pontife accorda à François la grâce demandée, pour un jour naturel, dans chaque année. Il voulait en outre lui donner les lettres confirmatives de l’indulgence octroyée ; mais le serviteur de Dieu ne les accepta point disant que Jésus-Christ Lui-même saurait bien manifester, confirmer et propager son œuvre, ce qui arriva en effet avec des circonstances prodigieuses.

l'apparition du Christ et de sa Mère à Saint François

Murillo : l’apparition de Notre-Seigneur et de Notre-Dame à Saint François pour le don de l’indulgence de la Portioncule.

II. Promulgation et Confirmation de l’Indulgence.

   5.) L’indulgence de la Portioncule était donc accordée ; mais il restait à fixer le jour où elle pourrait être gagnée par les fidèles. François espérait que Jésus-Christ, premier auteur d’une grâce si précieuse, voudrait bien aussi indiquer ce jour. Sa confiance ne fut pas vaine. Voici comment il fut éclairé sur ce point.

   6.) Au commencement de l’année 1223, François se trouvant une nuit en prières dans sa cellule de Sainte-Marie des Anges, eut une violente tentation du démon. Pour la surmonter, il se jeta nu dans un buisson de très piquantes épines. Alors il fut environné d’une grande lumière à la faveur de laquelle il vit sur ce buisson une grande quantité de roses blanches et rouges, quoique on fut alors au milieu de l’hiver, dans le mois de janvier. En même temps, il vit un chœur nombreux d’Anges qui l’avertirent de se rendre à l’église où Jésus-Christ l’attendait avec sa Sainte Mère. Il s’aperçut alors qu’il était miraculeusement vêtu d’un nouvel habit blanc ; il cueillit douze roses de chaque couleur et se dirigea vers l’église dont le chemin lui paraissait richement orné.
Y étant arrivé, il fit une profonde adoration, ensuite appuyé sur la protection de la Très Sainte Vierge, il pria Jésus-Christ de daigner déterminer le jour de l’indulgence qu’il avait attachée avec tant de bonté à ce saint lieu. Le Seigneur lui répondit que sa volonté était que ce fut à partir du soir du jour auquel l’apôtre Saint Pierre avait été délivré de ses chaînes, jusqu’au soir du jour suivant. Il lui ordonna encore de se présenter avec quelques uns de ses compagnons à Son Vicaire et de lui porter quelques roses blanches et rouges pour preuve de la vérité de son apparition. Alors les Anges chantèrent l’hymne Te Deum laudamus et la vision finit.

   7.) François prit trois roses de chaque couleur en l’honneur de la Sainte Trinité, et accompagné du Frère Bernard Quintaval, du Frère Pierre Cataneo et du Frère Ange de Rieti, il partit pour Rome où il fit au Pape le récit de tout ce qui lui était arrivé à Sainte-Marie des Anges ; pour confirmer la vérité du fait, il lui présenté les roses qu’il avait apportées ; ses compagnons attestèrent aussi toutes ces circonstances qu’ils avaient apprises de sa bouche. Le Pape, merveilleusement surpris de voir de si belles roses et d’un parfum si exquis au milieu de l’hiver, comprit que les paroles de François ne pouvaient être suspectes d’erreur. Il en conféra quelque temps avec les Cardinaux et confirma l’indulgence. De plus il ordonna que les Evêques d’Assise, de Pérouse, de Lodi, de Spolète, de Foligno, de Nocera et de Gubbio, se réuniraient, le premier jour du mois d’août de cette même année, à Sainte-Marie des Anges, pour la publier solennellement.

   8.) Au jour marqué les sept Evêques se réunirent en ce lieu ; François monta dans une grande chaire élevée hors de l’église, et fit connaître le motif de cette réunion à la foule innombrable qui était accourue de toutes parts ; il termina par annoncer l’indulgence plénière et perpétuelle que Dieu et le Souverain Pontife accordaient à cette église à pareil jour de chaque année. Les Evêques soutenaient qu’il ne fallait point la déclarer perpétuelle ; que telle n’était point l’intention du Pape et qu’il suffisait de dire qu’elle était accordée pour dix ans. L’Evêque d’Assise, qui voulait d’abord en restreindre la durée, se sentit miraculeusement entraîné à la proclamer, ainsi que François l’avait fait, perpétuelle. Les autres Evêques voulurent successivement parler pour la publier, avec cette clause restrictive ; mais tous, contre leur volonté, l’annoncèrent perpétuelle ; et ainsi d’une commune voix, elle fut déclarée accordée à perpétuité. En outre, le jour suivant, les Evêques, pour condescendre aux saints désirs de François, consacrèrent la même église avec la plus grande solennité.

   9.) C’est ainsi que fut promulguée cette célèbre indulgence, le premier jour d’août de la même année. Depuis lors, malgré les attaques d’adversaires puissants, la gloire de cette indulgence s’est répandue dans tout le monde ; elle s’est toujours conservée sans nuages, grâce à l’autorité des Souverains Pontifes qui l’ont confirmée, aux miracles qui l’ont accompagnée et enfin aux rétractations des personnes de science et de mérité qui l’avaient combattue d’abord.

   10.) Depuis, on a bâti autour de cette petite chapelle par l’ordre du Pape Saint Pie V, une église magnifique qui est desservie par les PP. Mineurs de l’Observance. On en admire la beauté ; elle jouit des titres d’insigne basilique, de chef-lieu et de mère de tout l’Ordre Séraphique.

Saint François annonce l'indulgence de la Portioncule en présence des évêques

Tiberio : Saint François annonce à la foule l’indulgence de la Portioncule en présence des évêques.

III. Extension de l’indulgence de la Portioncule et privilèges particuliers qui l’accompagnent.

   11.) L’indulgence plénière du 2 août, attachée dans le principe à la seule église de Sainte-Marie des Anges, fut ensuite, pour le bien des fidèles, étendue à toutes les églises des Ordres de Saint François. Ce fut Grégoire XV qui en disposa ainsi par sa bulle Splendor paternae gloriae du 4 juillet 1622, et il prescrivit comme condition nécessaire pour gagner l’indulgence hors de la Portioncule, outre la confession, la sainte communion.

   12.) Le vénérable Innocent XI, par son bref Alias felicis, du 12 janvier 1678, après avoir confirmé la bulle précédente de Grégoire XV, déclara que l’indulgence de la Portioncule pouvait aussi être appliquée par manière de suffrage aux âmes du Purgatoire.

   13.) Le Souverain Pontife Innocent XII, par sa bulle Redemptoris, du 18 août 1695, étendit la même indulgence à tous les jours de l’année pour la seule église de Notre-Dame des Anges des PP. Mineurs Observantins.

   14.) Et enfin le même Innocent XII par son autre bulle Cum ob sacris jubilaei celebrationem, du 21 août 1699, déclara que cette indulgence n’était point, dans l’église de la Portioncule, suspendue comme les autres pendant l’année sainte du jubilé.

   15.) Il faut remarquer ici que l’indulgence de la Portioncule peut se gagner au jour marqué toties quoties, c’est-à-dire toutes et chaque fois que l’on visitera en ce jour une église de Franciscains, et cela nonobstant le décret d’Innocent XI qui déclare que les indulgences plénières attachées à la visite de certaines églises, ne peuvent se gagner qu’une seule fois dans un jour. Ce décret ayant donné lieu de douter si l’indulgence de la Portioncule était comprise dans cette formule restrictive, on consulta la Sacrée Congrégation du Concile, laquelle répondit, le 17 juillet 1700, que le décret ne comprenait point cette indulgence et qu’à cet égard on continuerait à faire comme on l’avait fait. Cette décision fut encore confirmée par un rescrit de la même Congrégation du Concile, du 4 décembre 1723, adressé au P. Provincial des Mineurs Observantins de la province de Saint-Thomas de Turin. Le même fait résulte d’un bref de Saint Pie V, cité par le P. Sabin de Bologne, enfin de la tradition non interrompue de la pratique constante des fidèles de Rome, laquelle n’a jamais rencontré aucune contradiction. S’il pouvait rester un doute à cet égard, il serait résolu par les décisions de la Sacré Congrégation des Indulgences du 22 février 1847 et du 24 décembre 1849, approuvées par Sa Sainteté Pie IX.

   16.) De tout ce que nous avons dit, il faut conclure que l’indulgence de la Portioncule surpasse toutes les autres indulgences plénières par les privilèges singuliers qui la distinguent :

1° – Elle est d’origine immédiatement divine,
2° – elle est plénière, perpétuelle, absolue, libre, applicable aux vivants et aux âmes du Purgatoire, enfin attachée à toutes les églises des Ordres de Saint François.
3° – On peut la gagner tous les jours de l’année dans l’église de Sainte-Marie des Anges près d’Assise.
4° – Dans la dite basilique, elle n’est point suspendue pendant l’année jubilaire ; et dans les autres églises des Franciscains elle est suspendue seulement pour les vivants et continue à avoir son effet pour l’application aux âmes du Purgatoire.
5° – Elle peut être gagnée toties quoties, c’est à dire plusieurs fois dans le même jour, comme il a été dit.

   17.) En faveur de la validité de cette indulgence et de ses privilèges, nous avons encore le témoignage du grand Pape Benoît XIV dans son ouvrage de Synodo dioc. lib.XIII, cap.18.

   18.) Le savant cardinal Bellarmin, dans son second livre des indulgences, chap.20, ne craint pas d’affirmer que l’indulgence de la Portioncule confirme trois dogmes de la Foi Catholique : l’existence des indulgences, puisque celle de la Portioncule est accordée par Jésus-Christ Lui-même ; l’autorité du Souverain Pontife, puisque Jésus-Christ commande à Saint François de recourir à Son Vicaire pour la faire confirmer ; enfin la nécessité de la confession auriculaire, car pour gagner la dite indulgence, il est nécessaire de confesser ses péchés à un prêtre approuvé. Tout cela ressort de ce que nous avons dit et de l’office des Franciscains au 2 août (Brev. Francisc. 2 die Aug. lect.5).

   19.) Les preuves qui établissent l’authenticité des faits exposés jusqu’ici sont déduites fort au long dans la Bibliothèque du P. Lucius Ferraris, article « Indulgence », et dans les Annales du P. Luc Wading où l’on peut les vérifier.

Notre-Dame des Anges de la Portioncule

Chapelle de la Portioncule, dans son état actuel
au centre de la basilique Notre-Dame des Anges à Assise.

IV. Conditions à remplir pour gagner l’indulgence de la Portioncule.

   20.) C’est un sujet de douce consolation que de voir, le 2 août de chaque année, les fidèles de tout âge, de tout sexe et de toute condition se presser dans les églises des Ordres de Saint François, pour y gagner la grande indulgence que l’Eglise y accorde à ses enfants. Mais, d’un autre côté, on ne peut s’empêcher de gémir quand on fait réflexion qu’à la réserve d’un petit nombre qui se font un devoir de remplir les conditions prescrites pour gagner l’indulgence, la plupart en demeurent privés parce qu’ils ignorent les règles à suivre pour s’appliquer un si précieux avantage. Ils sont persuadés qu’il n’y a à faire pour y participer qu’à entrer et sortir dans quelque église de Franciscains, récitant à la hâte quelque prière du bout des lèvres. Après s’être dissipé l’esprit et le cœur dans ces allées et venues, ils s’en retournent chez eux croyant avoir gagné l’indulgence. Il n’en est point ainsi. Sans doute les prières vocales récitées dans de telles circonstances et avec dévotion ne sont point sans mérite devant Dieu ; mais elles ne suffisent point pour faire gagner l’indulgence.

   21.) Il faut pour cela remplir trois conditions imposées par le Souverain Pontife, et elles sont rigoureusement nécessaires, savoir : la confession sacramentelle, la sainte communion et la visite de l’église qui jouit du privilège de la Portioncule où l’on doit prier aux intentions des Souverains Pontifes qui ont accordé et confirmé l’indulgence.

   22.) C’est établi, et il n’est nullement nécessaire que la confession et la communion soient faites dans l’église à laquelle est attachée l’indulgence. On peut les faire ailleurs, mais il faut faire la visite prescrite dans l’église susdite. Le temps où l’on peut gagner l’indulgence commence aux 1ères vêpres du 1er août et continue jusqu’au crépuscule qui suit le coucher du soleil du lendemain 2 août. Il n’est pas nécessaire que la confession et la communion précèdent la visite pour qu’on gagne l’indulgence. On pourra donc faire la visite dès les premières vêpres avec l’intention de se confesser et de communier le jour suivant ; car quoique l’accomplissement de toutes les œuvres prescrites soit de rigueur, elles peuvent néanmoins être faites dans l’ordre que l’on veut, pourvu que la dernière soit faite en état de grâce. Ce que nous disons pour gagner l’indulgence de la Portioncule s’applique aux autres indulgences plénières attachées à la visite de quelque église.

   23.) Après avoir donné ces notions générales, nous croyons devoir tracer ici des règles pratiques que pourront suivre les chrétiens vraiment jaloux de participer à une faveur si précieuse et dont l’observation est mieux à la portée de chacun.
Le jour de cette solennité, on se rendra à l’église avec l’intention bien arrêtée de s’appliquer la sainte indulgence. On y fera une adoration profonde au Saint-Sacrement ; si l’on ne s’est déjà présenté à la sainte table, on y viendra prendre place avec les sentiments d’une véritable piété et d’une sincère contrition. Puis l’on rendra à Notre-Seigneur les actions de grâces qui lui sont dues, et l’on se disposera à la réception de la sainte indulgence par la récitation des prières que la dévotion de chacun pourra lui suggérer, en ayant soin toutefois de prier selon les intentions des Souverains Pontifes. Or, l’intention des Souverains Pontifes en accordant les indulgences, c’est que les fidèles prient pour l’exaltation de notre mère la Sainte Eglise, pour l’extirpation des hérésies, pour la paix et la concorde des princes chrétiens. Ces prières pourront être réduites à six Pater, six Ave Maria et six Gloria Patri, ou bien à la récitation des quelques formules que l’on trouvera à la fin de cet opuscule. Ensuite on demandera à Notre-Seigneur qu’il daigne nous bénir dans sa miséricorde, et l’on se retirera de l’église dans le recueillement et la confiance d’avoir gagné l’indulgence.

   24.) Si l’on veut la gagner de nouveau, l’on rentrera dans l’église, et, avec les mêmes dispositions intérieures, on offrira à Dieu les mêmes prières ou autres semblables, comme on a dit, et l’on recevra de nouveau l’indulgence. Ensuite l’on sortira et l’on pourra revenir, observant toujours les mêmes prescriptions et la même méthode dans toutes les visites que l’on fera. Comme on ne peut gagner les indulgences que pour soi-même ou pour les âmes du Purgatoire, et non pour les autres personnes vivantes, après avoir gagné la première pour le salut de son âme, l’on appliquera les autres en faveur des âmes décédées, auxquelles on désirera que revienne le prix de cet inestimable bienfait.

   25.) Pour gagner l’indulgence plénière il est nécessaire d’être exempt non seulement de tout péché, mais de l’affection au péché ; on ne sait donc jamais si l’on a toutes les dispositions nécessaires pour obtenir la pleine et entière rémission de la peine temporelle qui reste due au péché après que la peine éternelle a été remise par le sacrement de pénitence. Rien n’empêche par conséquent que l’on cherche à s’appliquer à soi-même plus d’une fois l’indulgence, puisque Saint Thomas et Saint Bonaventure nous affirment que l’on méritera et que l’on gagnera d’autant mieux l’indulgence que l’on aura visité plus souvent l’église.
En se conformant à ces règles, chacun aura sujet de croire avoir obtenu cette faveur précieuse pour lui-même et pour les âmes du Purgatoire.

   26.) De ce que nous venons de dire on conclura sans peine que ce n’est point à un rapide passage dans l’église, mais bien à la visite et aux oeuvres indiquées ci-dessus qu’est attachée l’indulgence de la Portioncule. La raison de toutes ces allées et venues n’est autre que l’impossibilité où l’on serait, malgré toutes les prières, de gagner plusieurs indulgences ; tandis que si l’on veut les gagner, comme on ne peut le faire que par le moyen d’autant de visites, il devient nécessaire de sortir et rentrer dans la même église, en sorte que le nombre de visites faites indique le nombre des indulgences gagnées.

   27.) Tous ceux entre les mains de qui tombera ce petit livre sont instamment priés de se procurer auprès du Seigneur le mérite d’instruire toutes les personnes qui leur sont unies par les liens du sang ou de l’amitié, de tout ce qui se rapporte à une institution aussi salutaire, afin que l’Eglise, notre bonne Mère, ne soit point trompée dans ses espérances, lorsqu’elle nous accorde pour notre bien des dons ineffables, et que ses fidèles enfants ne perdent point par leur ignorance ces avantages spirituels qu’elle leur départ avec tant de générosité.

   28.) Enfin un dernier motif qui doit porter chaque fidèle à gagner cette indulgence si précieuse, c’est que outre les avantages qui nous en reviennent, il en résulte encore la gloire de notre Divin Rédempteur qui assura au Séraphique Père Saint François que cette dévotion était chère à Son Coeur miséricordieux. Elle est aussi agréable à Marie, car Wading raconte qu’elle a été vue souvent sur le temple de la Portioncule avec son divin Fils dans les bras, le jour de cette solennité, bénissant tout le peuple et applaudissant à ces saints exercices. Toutes ces considérations doivent faire comprendre de quel zèle chacun doit être animé pour tâcher autant que possible d’acquérir une grâce aussi avantageuse à l’âme que conforme à la volonté de Dieu, aux désirs de la Très Sainte Vierge et à ceux de l’Eglise, notre commune mère.

Intérieur de la chapelle de la Portioncule

Intérieur de la chapelle de la Portioncule.

Prières selon les intentions du Souverain Pontife
pour gagner une indulgence plénière.

A la visite d’une église, lorsqu’on veut s’appliquer à soi-même l’indulgence, on peut réciter la prière qui suit:

   Mon Seigneur Jésus-Christ , je reconnais et je crois que Vous avez laissé à la Sainte Eglise le riche trésor des saintes indulgences pour  le profit spirituel des fidèles.
Je reconnais qu’elle ouvre et dispense en cette occasion ses richesses spirituelles en faveur de ceux qui avec les dispositions requises visitent cette église et y prient selon les pieuses intentions des Souverains Pontifes, c’est-à-dire pour la conversion des infidèles, pour l’exaltation de notre Mère la Sainte Eglise, pour le retour des hérétiques, pour la paix et la concorde entre les princes chrétiens et pour les autres fins proposées.
C’est avec cette intention que je veux prier dans cette visite, afin de gagner cette sainte indulgence que j’espère obtenir, et que j’applique au profit de mon âme et pour la rémission des peines temporelles que j’ai méritées par mes péchés sans nombre.

Si l’on veut appliquer l’indulgence pour un ou plusieurs défunts, l’on ajoute la prière suivante que l’on met au singulier ou au pluriel:

   O mon Jésus, si Vous daignez m’accorder cette sainte indulgence, je Vous l’offre pour les âmes décédées, envers lesquelles j’ai des obligations particulières de justice ou de charité.
Je l’applique pour la satisfaction des peines qu’elles ont méritées, afin de hâter leur sortie du Purgatoire et leur entrée dans le Paradis.

Ensuite on récite les prières suivantes pour les besoins de l’Eglise et selon les intentions de notre Saint Père le Pape:

   Seigneur, je prie pour la Sainte Eglise Votre épouse et ma mère. Souvenez-Vous que Vous avez répandu votre Sang divin afin qu’elle fût sans rides et sans tâches.
Daignez donc purifier et sanctifier tous ses membres, en éloignant d’elle tout scandale et tout péché. Ne permettez pas qu’elle soit méprisée ou avilie. Dirigez-la Vous-même, conservez-là, exaltez-la parmi toutes les nations, étendez son empire dans tout le monde :
ut Ecclesiam tuam sanctam regere et conservare digneris, Te rogamus audi nos (pour que Vous daignez régir et conserver votre Sainte Eglise, nous Vous le demandons, écoutez-nous) !

Pater noster, Ave Maria, Gloria Patri.

   Seigneur, ayez pitié de la malheureuse chrétienté. Elle est le champ où Vous et vos Apôtres avez semé la doctrine évangélique. Mais voyez quelle ivraie d’erreurs l’ennemi est venu semer par-dessus. Combien de peuples, combien d’états sont infectés par l’hérésie! Et qui peut arracher cette ivraie maudite laquelle monte toujours dans son orgueil pour étouffer le bon grain de la vérité catholique? Ah! quel autre peut le faire, si ce n’est Vous, qui êtes tout-puissant?
Humiliez tant d’hérétiques qui troublent votre Eglise, et faites que l’erreur dissipée, tous les hommes croient d’une foi vive en Vous et à Vous, et qu’ils ne s’éloignent jamais plus de tout ce que l’Eglise nous enseigne pour éclairer notre foi et diriger nos moeurs. Ut inimicos sanctae Ecclesiae humiliare digneris, Te rogamus audi nos
(pour que vous daignez humilier les ennemis de la Sainte Eglise, nous Vous le demandons, écoutez-nous) !

Pater noster, Ave Maria, Gloria Patri.

   Seigneur, en venant au monde, Vous avez apporté la paix sur la terre et l’avez fait annoncer au monde par la bouche des Anges. Vous qui êtes le Prince de la paix, répandez parmi les princes chrétiens l’esprit d’union et de concorde, et faites qu’ils gouvernent leurs sujets dans la sainteté et la justice. Réconciliez encore et unissez les coeurs de tous les fidèles dans les saints nœuds de la charité et de l’amour, afin que réunissant leurs efforts, ils défendent la religion catholique contre tous ses ennemis : Ut regibus et principibus christianis pacem et veram concordiam donare digneris, Te rogamus audi nos (pour que Vous daignez la paix et la concorde véritable aux rois et princes chrétiens, nous Vous le demandons, écoutez-nous) !

Pater noster, Ave Maria, Gloria Patri.

   Suprême et éternel Pasteur des âmes, Jésus, protégez votre Vicaire sur la terre et notre Pontife Souverain. Dirigez-le, illuminez-le, fortifiez-le, défendez-le, assistez-le, afin qu’il puisse gouverner sagement la Sainte Eglise.

   Oremus pro Pontifice nostro N…
Dominus conservet eum et vivifivet eum, et beatum faciat eum in terra et non tradat eum in animam inimicorum ejus.
(Prions pour notre Pontife N…
Que le Seigneur le garde et le vivifie, qu’il le rende heureux sur la terre et qu’il ne le livre pas aux mains de ses ennemis).

Pater noster, Ave Maria, Gloria Patri.

Basilique Notre-Dame des Anges (Assise)

Assise : basilique de Notre-Dame des Anges englobant la chapelle de la Portioncule.

2011-54. Viviers : un diocèse sinistré en pleine mutation ecclésiologique.

Nous venons de recevoir ce matin la lettre n°292 de « Paix Liturgique » et, avec l’autorisation de cette association dont nous apprécions grandement le combat intelligent et tenace en faveur de la liturgie latine traditionnelle (et que nous remercions chaleureusement), nous en reproduisons ci-dessous l’intégralité.

Cette lettre – qui n’est qu’une première partie – est en effet consacrée à la situation du diocèse de Viviers, diocèse dans lequel est sis notre « Mesnil-Marie« , et vous, nos amis, vous savez bien quels longs kilomètres nous devons parcourir afin de pouvoir assister à la Sainte Messe latine traditionnelle.
Pour nous, qui sommes au quotidien les témoins attristés d’une réalité véritablement effrayante, l’adjectif  « sinistré » choisi pour qualifier ce diocèse ne nous semble pas exagéré mais même bien en deçà de la vérité… 

Viviers cathédrale Saint-Vincent vue d'avion

Viviers : la cathédrale Saint-Vincent vue d’avion.

Viviers : un diocèse sinistré en pleine mutation ecclésiologique.
(Lettre le « Paix Liturgique » n°292)

Après Angoulême et Mende, notre tour d’horizon des diocèses n’appliquant pas du tout le motu proprio Summorum Pontificum s’arrête sur le diocèse de Viviers. Dans ce diocèse, comme dans celui de Mende, il n’y a aucune messe traditionnelle. Pas même la Fraternité Saint-Pie-X. Pourtant, la demande existe et Mgr Blondel, évêque de Viviers, la connaît. Le diocèse correspond à l’actuel département de l’Ardèche, dont les villes les plus connues sont Annonay, Privas et Aubenas. En dehors de la partie bordant le Rhône, c’est un diocèse rural et montagneux, où les distances sont longues à couvrir.

I – Un diocèse bientôt sans prêtres

Mgr Blondel a été nommé évêque de Viviers, le 15 novembre 1999. Né à Limoges en 1940 (prêtre de ce diocèse, il en a été vicaire général pendant 20 ans), il est représentatif de la moyenne de l’épiscopat actuellement en place. Il a pris dans le diocèse la succession de Mgr Bonfils, appelé à Nice (où celui-ci a été ensuite remplacé par Mgr Sankalé).

Mgr Blondel n’est ni un intellectuel s’ennuyant dans son diocèse, comme Mgr Dagens d’Angoulême, ni un brave homme incapable d’autorité, comme Mgr Jacolin de Mende. C’est un idéologue, avec toute la charge négative que peut recouvrir ce terme : volontiers obtus, souvent cassant et parfois même méprisant. Golias le considère “endormi” dans son dernier trombinoscope. Pour une fois, Golias nous paraît mal renseigné : Mgr Blondel est un évêque très actif dans son genre.

Le diocèse dont il a la charge rassemble, selon les statistiques de début d’année, 139 prêtres, dont 72 théoriquement en activité (1). En réalité, il n’y a plus qu’une vingtaine de prêtres en activité. La pyramide des âges est dramatique puisque seulement 6 de ces prêtres ont moins de 50 ans ! Sept désormais si l’on rajoute l’abbé Jean-Yves Bertier, ordonné en juin dernier. Comme pour d’autres diocèses (Digne, Nevers, Auch, Saint-Claude, Gap, Digne, Verdun, Pamiers, Langres, etc.), dans 10 ans, le nombre des prêtres en exercice sera une poignée, ce qui veut dire qu’on n’y trouvera plus qu’un prêtre tous les 25, 30, voire 50 kms.

L’évêque se refuse de faire appel aux communautés nouvelles. Il est vrai qu’un essai non concluant avec une communauté du Sénégal avait été tenté. Mgr Blondel dispose cependant de l’Institut de la Famille Missionnaire de Notre-Dame, fondé par un prêtre du diocèse de Viviers, le Père Lucien-Marie Dorne, qu’il ignore superbement.

Seul point positif : une bonne gestion financière fait que ce diocèse qui meurt conserve de bonnes réserves. Mais pour quelle mission ?

Bref, comme dans tant d’autres diocèses de France, c’est un désert sacerdotal qui est en train de se constituer en Ardèche.

Mais le pire c’est la façon dont Mgr Blondel entend y pallier : par une véritable mutation ecclésiologique. En 2008, Mgr Blondel, dans la ligne de Mgr Rouet, avait publié une lettre pastorale intitulée « Notre route en Église. Invités et Serviteurs à l’horizon 2015 ». Il y parlait de l’orientation et de la vie du diocèse de Viviers pour les années à venir à partir du projet pastoral « Invités et Serviteurs », censé guider le diocèse depuis 2002, et d’un document de travail réalisé lors d’une assemblée diocésaine, le 5 avril 2008.

Dans ce document, l’évêque constatait le sinistre : « peu de prêtres sont actuellement en âge de recevoir la charge pastorale d’une paroisse ». Mais l’évêque a une solution : celle de Mgr Rouet. Comme le prévoit le Code de Droit canonique de 1983, certaines paroisses seront confiées dans un très proche avenir « à une équipe, tandis qu’un prêtre ne résidant pas habituellement dans la Paroisse aura la fonction de « Modérateur de la charge pastorale » (c’est-à-dire qu’il viendra régulièrement faire le point, vérifier les décisions avec l’équipe…) ». C’est d’ailleurs déjà le cas pour 2 paroisses sur 24, le regroupement des paroisses par groupes de villages ayant eu lieu en 2002.

Mgr Blondel envisage déjà la célébration de l’Eucharistie tous les deux dimanches pour certaines communautés locales, le plus souvent par un prêtre retraité, tout en souhaitant que l’écart ne devienne pas plus grand. Beaucoup de fidèles n’auront donc plus de messe dominicale non seulement dans leur église mais même dans leur proche voisinage. Chaque paroisse devra se doter d’un « projet missionnaire paroissial » piloté par une Équipe d’Animation Paroissiale (EAP). Ses membres sont des « diacres, laïcs en mission ecclésiale, autres laïcs ou religieuses – sans pour autant confondre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel ». Ils « sont associés à la responsabilité du curé, ou même participent à l’exercice de sa charge pastorale quand il n’y a pas de curé résidant. Ils le peuvent, dans notre situation ils le doivent même, et c’est une richesse. Il doit s’agir d’une équipe, ce qui suppose un nombre restreint de personnes (six est un bon chiffre) et la volonté effective de partage en esprit et en vérité. C’est ensemble que les membres de l’Equipe d’Animation Paroissiale portent le souci de toute la Paroisse ».

Il est précisé plus avant qu’une « mission nouvelle se dessine pour l’avenir de nos Paroisses : celle de l’Animateur Laïc en Pastorale Paroissiale (ALPP) » Il s’agit d’un laïc en mission ecclésiale, membre de l’EAP, envoyé par l’évêque pour contribuer à « l’unité paroissiale, au service du travail commun ». Il sera l’auxiliaire du curé d’une grande paroisse et pour l’EAP quand il n’y aura pas de curé résident. Il sera donc une pièce maîtresse du nouveau dispositif, avec d’autres laïcs, deux ou trois membres de l’EAP. Il est aussi prévu de doubler l’EAP par un « délégué pastoral », non membre de l’AEP. Son rôle est d’animer les « équipes-relais » des communautés locales.

Bref, plutôt que de relancer les vocations sacerdotales, à Viviers, c’est le choix de la construction, sur les ruines du diocèse, d’une « Église autre » reposant sur une poignée de fonctionnaires laïcs, qui prévaut.

II – La forme extraordinaire n’existe plus dans le diocèse de Viviers

Il faut remonter loin dans le temps pour trouver trace de la célébration, hebdomadaire et publique, de la messe traditionnelle dans le diocèse.

Très précisément à la fin des années 70 quand l’abbé Maurice André était curé de Planzolles, village du sud-ouest du diocèse. Historien confirmé, longtemps directeur de la “Revue du Vivarais”, l’abbé André était suffisamment loin du siège épiscopal comme des principales villes du département pour ne pas freiner le souffle du concile en terre ardéchoise.

Il faut dire que, de 1965 à 1992, le diocèse a été dirigé par le même prélat, Mgr Jean Hermil. Père conciliaire en tant qu’évêque auxiliaire d’Autun, nommé à Viviers à son retour de Rome, Mgr Hermil était plus intéressé par le combat social, voire socialiste, que par le combat spirituel. Il imposa ainsi l’égalité des traitements entre les prêtres, quelles que soient leurs fonctions, et celle des budgets des paroisses. C’était surtout un précurseur en matière de responsabilités partagées entre prêtres et laïcs, prompt notamment à expérimenter l’ADAP (la désolante Assemblée Dominicale en Absence de Prêtre”).

“Ce n’est pas un mauvais homme mais il n’a pas beaucoup de religion…”, disait de lui l’abbé Houghton, que Mgr Hermil avait autorisé à célébrer en semaine sa messe privée au maître-autel de la cathédrale Saint-Vincent. Anglican converti, devenu prêtre catholique, l’abbé Bryan Houghton s’était retiré à Viviers au début des années 70, refusant de mettre en œuvre le nouvel Ordo dans sa paroisse du Suffolk (2). Il fut tout au long des années 70 et, surtout, 80 – notamment à la suite de la publication de son livre La paix de Monseigneur Forester dans lequel il mettait en scène un évêque organisant la paix liturgique dans son diocèse -, le point de ralliement des fidèles ardéchois attachés à la liturgie traditionnelle.

Privé de cathédrale Saint-Vincent le dimanche, l’abbé Houghton prit l’habitude de célébrer dans des chapelles privées jusqu’à ce qu’il puisse officier de façon régulière de l’autre côté du Rhône, dans la Drôme, à la chapelle Notre-Dame de la Rose, à Montélimar. Aujourd’hui encore, plusieurs familles ardéchoises continuent de se rendre à Montélimar pour y assister à la messe selon la forme extraordinaire du rite romain, désormais desservie par les prêtres de la Fraternité Saint-Pierre de Lyon.

Après le rappel à Dieu de l’abbé Houghton, en 1992, la Providence a voulu que les fidèles attachés au missel de 1962 ne demeurent pas tout à fait sans messe. Arrivé fin 1992 à Viviers pour prendre la succession de Mgr Hermil, Mgr Jean Bonfils – prélat plutôt classique quoique signataire, en 1996, d’une fort libérale lettre pastorale sur les questions morales – avait en effet assez rapidement accordé une application partielle du motu proprio de 1988. Cette célébration mensuelle, le 1er samedi du mois, dans un endroit pittoresque mais coupé du monde – l’ancienne cité ouvrière Lafarge, entre Viviers et Le Teil –, s’est arrêtée au départ de Mgr Bonfils, Mgr Blondel prenant prétexte du grand âge de l’abbé Chapus pour la suspendre.

Depuis la fin de cette application limitée du motu proprio de 1988, les catholiques du diocèse de Viviers sont donc totalement privés de la liturgie traditionnelle.

III – Mgr Blondel contre le Motu Proprio

Inutile de dire que le motu proprio est le dernier des soucis de l’évêque de Viviers. Le 7 juillet 2007, jour de la publication de Summorum Pontificum, Mgr Blondel a publié le communiqué suivant :

Le pape Benoît XVI vient de publier un document rendant plus libre la célébration de la messe selon le missel de Saint Pie V. Je l’accueille avec attention et respect. Je donnerai en septembre les indications concernant son application dans le diocèse.

Nous devons prendre la juste mesure de ce dont il est question. Il n’y a aucune remise en cause sur la façon de célébrer la messe et les sacrements dans nos paroisses, ni sur nos orientations pastorales. Le document du pape Benoît XVI est clair. Il fait taire à l’avance toute interprétation qui semblerait dire le contraire et laisserait planer un doute sur la valeur du concile Vatican II, et son application toujours à poursuivre.

Son but est tout autre. C’est de permettre à certains groupes de catholiques de garder leur place dans l’Église. C’est aussi notre but.

L’unité de l’Église est un bien premier. Une séparation qui durerait longtemps serait un dommage irréparable. Nous essaierons de vivre cet accueil avec simplicité et esprit fraternel.

Ce serait je crois faux de regarder cela comme un événement de très grande importance, ni comme un retour en arrière. L’unité de tous les catholiques, dans leur diversité, est indispensable pour témoigner à la société d’aujourd’hui de l’amour de Jésus Christ Sauveur du monde et de la vérité de son message. C’est là l’unique nécessaire, le plus important.

Selon nos informations, les indications annoncées par Mgr Blondel ont bien été données à la rentrée 2007, sous la forme d’un courrier aux prêtres. Le sens de ces indications est simple : référer systématiquement à l’évêché en cas de demande de célébration selon la forme extraordinaire du rite romain. Et, à en juger par deux anecdotes qui nous ont été rapportées, on ne peut pas dire que la générosité soit de mise en la matière : ainsi, à l’occasion d’une demande d’obsèques selon la liturgie traditionnelle, c’est vers une chapelle désaffectée qu’une famille de Privas a été orientée ; et, en juillet 2008, lors d’un pèlerinage à Lalouvesc, village de saint Jean-François Régis et de sainte Thérèse Couderc, c’est dans un oratoire isolé qu’un groupe de fidèles emmené par un prêtre de l’Institut du Bon Pasteur s’est retrouvé confiné en dépit de la demande préalable du jeune prêtre de pouvoir célébrer dans la basilique (note de Lully : voir ici > www).

Nous verrons, à la rentrée prochaine, comment, pour faire face à cette hostilité latente, les demandeurs du diocèse se sont regroupés pour une demande unique et comment Mgr Blondel leur a répondu en novembre 2010.

*   *   *

1) Le site internet du diocèse indique, pour sa part, 124 prêtres, dont 66 en activité.

2) Dans son livre Prêtre rejeté, aux éditions DMM, dont nous avons publié un extrait dans notre lettre 291, voici comment l’abbé Houghton stigmatisait le nouvel Ordo : “Une des caractéristiques extraordinaires du bricolage de la messe, c’est que le prêtre jouit d’une liberté que les laïcs ont perdue. Dans l’ancienne messe, le prêtre était soumis à une stricte observance des rubriques et les laïcs pouvaient faire à peu près ce qu’ils voulaient : suivre la messe dans leur missel ; lire le Manuel du Chrétien ; dire leur chapelet ; s’endormir… Maintenant le prêtre est libre d’inventer ce qu’il veut, mais malheur aux laïcs qui ne participent pas. Ce n’est pas la seule conséquence. Les laïcs sont toujours obligés d’assister à la messe le dimanche. Mais « la messe » n’existe plus dans le rite latin. Il y a à peu près autant de messes qu’il y a de prêtres. Est-ce que les laïcs sont obligés de se plier aux caprices du célébrant ? Il serait carrément injuste que la réponse soit oui.”

La suite de cette étude de « Paix liturgique » est à lire > ici

*   *   *

Addenda de Lully : voir ici www, ce que j’ai publié concernant l’abbé Bryan Houghton à l’occasion du centenaire de sa naissance, ou – de manière plus anecdotique – le nouvel autel de la cathédrale Saint-Vincent, ici > www.

Indéfectible confiance.

Eléments de méditation

pour le

quatrième dimanche après la Pentecôte.

Raphaël : la pêche miraculeuse

Raphaël : la pêche miraculeuse.

       La liturgie de la Messe de ce quatrième dimanche après la Pentecôte est dominée par deux sentiments :
1) une très grande confiance en Dieu, et
2) une vive perception de la misère et de l’insuffisance humaines.
Ces deux sentiments sont étroitement unis : d’une part c’est en effet la conscience de notre inanité et de notre impuissance qui nous porte précisément à mettre en Dieu toute notre confiance ; et, d’autre part, plus cette confiance s’épanouit en nous, plus nous sommes convaincus de notre petitesse.

   La Messe débute par un cri d’inébranlable espérance : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrai-je?«  (introït).
Notre-Seigneur Jésus-Christ est avec moi : Il est avec moi par Sa grâce, Il est avec moi tout spécialement dans le Très Saint Sacrement de l’autel, Il vient à moi et en moi par la sainte communion.
Qu’est-ce donc qui pourrait me jeter dans la crainte?

   Mais d’autre part, je connais ma faiblesse : je me souviens de mes chutes, de mes infidélités, de mes péchés. Combien, dès lors, ai-je besoin de répéter la prière exprimée par le graduel : « Montrez-Vous indulgent, Seigneur, pour nos péchés… Accourez à notre aide, ô Dieu notre Sauveur : et pour l’honneur de Votre Nom, délivrez-nous !« 
En effet, il me faut constater chaque jour de nouveaux manquements, malgré l’assistance continuelle de la grâce divine, malgré mes confessions et mes communions…
Chaque jour, je dois recommencer la lutte, et cette lutte est pénible, difficile, lassante.

   Saint Paul, dans l’épître de ce jour, nous rappelle néanmoins que « les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit un jour éclater en nous«  (Rom. VIII, 18).
Cette perspective est consolante, pleine d’espérance et de confiance, et elle prend appui sur les soupirs de notre nature tendue vers sa pleine rédemption. L’Apôtre écrit ensuite : « Nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous gémissons au plus profond de nous-mêmes, espérant l’adoption des fils de Dieu, la rédemption de notre corps dans le Christ Jésus Notre-Seigneur«  (
Rom VIII, 23).

   Le passage évangélique qui nous est donné en ce dimanche (Luc. V, 1-11) constitue une démonstration pratique de l’affirmation de Jésus : « Sans Moi, vous ne pouvez rien faire«  (Joan. XV, 5).
Simon et ses compagnons ont peiné toute la nuit sans rien prendre : voilà ce dont ils sont capables laissés à leurs propres forces.
Ceux qui ont un peu d’expérience spirituelle savent que ce fut aussi leur cas en tant de circonstances : que d’efforts pour se libérer de telle attache au péché, pour tenter de pardonner, pour s’accommoder à son prochain, pour accepter tel coup dur… etc. Et puis, après tant de peines, se retrouver les mains vides, inexorablement vides, comme les filets de Simon-Pierre.

   Et cependant, si tu peux reconnaître humblement ton insuccès, au lieu de t’en irriter, il pourra devenir le principe de ta victoire : c’est ce qui arriva pour Simon-Pierre après avoir publiquement reconnu qu’il n’avait rien pris.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a commenté ce passage dans une lettre : « Si l’Apôtre avait pris quelques petits poissons, son divin Maître n’aurait peut-être pas opéré de miracle ; mais, n’ayant rien dans ses filets, ceux-ci furent bientôt remplis de gros poissons, grâce à la puissance et à la bonté divines. Voilà le caractère de Notre-Seigneur : Il donne en Dieu, mais veut l’humilité du cœur. »
Pas de découragement donc !

   Malgré ta bonne volonté et tes désirs d’avancement sur le chemin de la sainteté, le Seigneur ne permet pas que tu remportes quelques succès avant que tu ne sois profondément convaincu de ton impuissance, de ton insuffisance…
C’est précisément pour t’en convaincre qu’Il te laisse, comme Simon, « travailler toute la nuit sans rien prendre« .
Plus tu seras convaincu de ton indigence et disposé à la reconnaître ouvertement et très simplement, et plus Il viendra à ton secours.

   Aie en Lui une indéfectible confiance sans te laisser désemparer par l’insuccès : il te faut chaque jour, « sur Sa parole », recommencer tes efforts.
Si tu as compris qu’il ne faut pas compter sur tes propres forces, il te faut aussi apprendre à te confier pleinement dans le secours divin.
Si tu n’as « rien pris » jusqu’à ce jour, peut-être est-ce justement parce que cette inébranlable confiance t’a fait défaut : Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, à la suite de Saint Jean de la Croix, a compris et expérimenté que « l’on obtient de Dieu tout autant qu’on en espère ».
Ce n’est ni plus ni moins que le résumé de tant de passages de l’Evangile où Jésus a dit et montré que c’était une foi profonde et une indéfectible confiance qui lui permettaient d’agir dans nos vies (jusqu’à y produire des miracles).

   Ecoutons donc avec un cœur dilaté l’invitation de Notre-Seigneur qui nous dit aujourd’hui : « Duc in altum ! Avance au large ! »
 « Sors de l’étroitesse de tes manques de foi et de tes manques d’espérance : débarrasse-toi une bonne fois pour toutes de cet amour propre étriqué qui te paralyse ; reconnais que sans Moi tu ne peux rien et laisse Ma toute-puissance se déployer dans ta faiblesse ; avance en pleine mer et navigue librement sur les flots de la confiance… Je suis, Moi ton Seigneur, ta lumière et ton salut : qui craindras-tu ? Je suis le défenseur de ta vie : qu’est-ce donc qui te fera trembler ? » (
cf. introït).

Pour écouter ou réécouter cet introït,
faire un clic droit sur l’image ci-dessous,
puis « ouvrir dans un nouvel onglet » >

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Voir aussi le sermon de St Augustin sur l’Evangile de ce 4ème dimanche > ici

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