Archive pour la catégorie 'Lectures & relectures'

2022-132. Le Seigneur est proche.

3ème dimanche de l’Avent,
appelé « dimanche de Gaudete ».

Couronne de l'Avent trois bougies allumées

Le Seigneur est proche !

       Présence de Dieu :
Le Seigneur se rapproche toujours davantage de mon âme par l’invitation de Sa grâce et par Sa venue prochaine à Noël. Moi aussi, je veux me rapprocher de Lui en ravivant mes désirs et ma foi.

Méditation :

   1 – « Nous Vous attendons, Seigneur ; Votre nom et Votre souvenir sont le désir de l’âme. Mon âme Vous a désiré pendant la nuit, et dans le plus intime de mon esprit, dès le matin, je soupire après Vous » (Bréviaire Romain – 2ème leçon de matines).
Si toi aussi, âme consacrée, tu te prépares à commémorer l’Incarnation du Verbe dans cette attente amoureuse et vigilante, aujourd’hui, l’heureuse annonce résonnera plus joyeuse que jamais à ton oreille : « Tout près déjà est le Seigneur, venez, adorons-Le ! » (invitatoire).
Toute la liturgie de ce jour t’invite à te réjouir de ce que la venue du Rédempteur est proche : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ! Je vous le dit encore réjouissez-vous… Le Seigneur est proche » (introït). Tel est le commencement de la Messe du jour et l’épître le répète. Le motif de la joie est unique : « Le Seigneur est proche ! » Pour l’âme qui, avec sincérité et ardeur, avec un vif désir et avec amour, ne cherche que Jésus, il ne peut y avoir qu’un seul motif d’allégresse : savoir que Jésus est proche, toujours plus proche.
Saint Paul aussi nous recommande de ne pas désirer autre chose : « Le Seigneur est proche. Ne vous inquiétez de rien… Et la paix de Dieu qui surpasse toute pensée, gardera vos cœurs » (épître).
Plus l’âme concentre en Dieu ses désirs et ses affections, plus elle se libère des sollicitudes terrestres ; elle ne se tourmente plus pour rien puisqu’elle sait qu’une seule chose est nécessaire : « chercher Dieu », et qu’en Dieu elle trouvera tout ce dont elle a besoin.
S’approcher du Seigneur est donc pour elle une source, non seulement de vive joie, mais aussi de paix : en Lui, elle a tout ; Dieu lui suffit.

Alessandro Allori - prédication du Baptiste

Alessandro Allori (1535-1607) : prédication du Baptiste
(Palazzo Pitti – Florence)

   2 – « Le Seigneur est au milieu de vous » : tel est le second joyeux message de la liturgie du jour. Il nous est adressé, dans l’Evangile d’aujourd’hui, par Saint Jean-Baptiste : « Il en est un au milieu de vous que vous ignorez ». Jean adressait ces mots aux Juifs qui ne connaissaient pas Jésus, puisqu’Il ne S’était pas encore manifesté par les miracles. Toutefois, depuis environ trente ans, Notre-Seigneur vivait au milieu d’eux. Jean-Baptiste – homme de foi – Le leur désigna avec une pleine assurance.
Ses paroles valent également pour nous ; en effet, Jésus est aussi présent au milieu de nous : présent dans Ses tabernacles par l’Eucharistie, présent dans nos âmes par la grâce. Mais qui Le connaît ? Seul, celui qui croit.
Ravive donc ta foi : tu trouveras Jésus, tu Le connaîtras dans la mesure même de ta foi en Lui. Quelquefois Jésus Se cache à ton regard intérieur, il semble qu’Il ne Se laissera plus trouver, plus sentir ; c’est alors le moment de redoubler de foi, de marcher « dans la foi nue ». « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et ont cru » (Jean XX, 29). Telle fut la foi de la Très Sainte Vierge à laquelle fait allusion l’antienne des vêpres de ce jour : « Bienheureuse êtes-vous, ô Marie, qui avez cru au Seigneur, car en vous s’accomplira ce qui vous a été dit ! »
Même la Vierge a vécu de foi, elle a dû croire aux paroles de l’Ange et, en acceptant de devenir Mère de Dieu, elle a dû aller à la rencontre d’un mystère qu’elle ne comprenait pas. Mais Marie a cru et, grâce à sa foi, les paroles de Dieu se sont accomplies en elle.
Ainsi en sera-t-il de toi : tu verras s’accomplir tes espérances, tu pourras réaliser ton idéal d’union intime avec Dieu, si tu as foi en Lui et en Ses promesses.

Colloque :

    »Mon âme soupire après Vous, mon Dieu, Dieu fort, Dieu vivant. Je veille et aspire après Vous dès l’aurore. Comme une terre assoiffée et sans eau, mon âme a soif de Vous, ma chair Vous désire. C’est Vous que je cherche, ô Seigneur ; sans Vous, ce monde est un désert brûlé par le soleil et par la soif, où rien ne peut me satisfaire. Vous seul êtes mon salut, mon refuge, mon Sauveur et mon Rédempteur. Jour et nuit, je soupire après Vous, vers Vous je dirige constamment mes désirs et mes affections. Comme les yeux de l’esclave sont tournés vers les mains de sa maîtresse, ainsi mes yeux cherchent toujours Votre Face. Montrez-moi Votre Face, ô Seigneur, et que Votre regard illumine ma route ; soyez ma lumière et ma force.
Venez, Seigneur, et ne tardez pas ; réveillez Votre puissance et venez pour nous sauver. Venez, comme Vous l’avez promis, et soyez notre salut ! Vous êtes notre Sauveur, Vous nous déchargerez de toutes nos iniquités et jetterez tous nos péchés dans les profondeurs de la mer. Vous descendrez comme la pluie sur la toison et nous apporterez la justice et la paix… Vous êtes mon guide et mon pasteur, Vous m’enseignerez Vos voies et je marcherai dans Vos sentiers. Votre venue prochaine me comble de joie et mon âme exulte en Vous, mon Dieu et mon Sauveur. O Seigneur, Vous me réjouissez par tout ce que Vous faites et j’exulte à cause de Votre œuvre. Que Vos œuvres sont admirables, qu’elle est grande Votre miséricorde ! » (d’après les textes du bréviaire).

   Je crois en Vous, j’ai confiance en Vous, mon Dieu et mon Sauveur. Je Vous cherche, mais je sais que Vous êtes déjà près de moi, en moi. Près de moi, caché sous les voiles eucharistiques ; en moi, par Votre grâce. O Seigneur, faites que je Vous connaisse !
Ne permettez pas que se réalise pour moi ce qui arriva aux Juifs : Vous viviez au milieu d’eux et ils ne Vous connaissaient pas. Faites que mon âme soit toujours éveillée en sa foi ; augmentez ma foi, car la foi est la lumière à travers laquelle je puis Vous connaître sur cette terre.
Vous êtes en moi, Seigneur, je le sais, je le crois, même si je ne Vous sens pas. Mais, si Vous le voulez, Vous pouvez illuminer mon âme de Votre lumière et me faire reconnaître Votre divine et mystérieuse présence.

    »Vous êtes cette Lumière qui surpasse toute lumière, et par laquelle Vous illuminez d’une manière surnaturelle l’œil de l’intelligence avec tant d’abondance et de perfection que Vous intensifiez la lumière de la foi. Mon âme trouve la vie dans la foi ; c’est en cette foi qu’elle Vous reçoit et Vous connaît. Grâce à cette lumière de la foi, j’acquiers la sagesse dans la sagesse du verbe. Par elle, je suis forte, constante et persévérante. Cette lumière ne me manquera pas sur mon chemin ; elle me montre la voie ; sans elle, je serais dans les ténèbres. C’est pourquoi je Vous demande, ô Seigneur, que Vous m’illuminiez de la lumière de la très sainte foi » (Sainte Catherine de Sienne).

Couronne de l'Avent une bougie - gif

2022-129. « Il faut toujours M’avoir devant les yeux, Me regarder sans cesse, et Me parler… »

1er décembre,
Fête de Saint Charles de Jésus, ermite et confesseur (cf. > ici> ici et > ici) ;
Mémoire de Saint Eloi, évêque et confesseur ;
Mémoire de la férie de l’Avent.

   A l’occasion de la fête de Saint Charles de Jésus (1858 – 1916), né Charles Eugène vicomte de Foucauld, envers lequel nous nourrissons une dévotion très particulière en notre Mesnil-Marie (voir les références proposées ci-dessus), lisons ou relisons ces lignes extraites de sa « Retraite à Nazareth » du mois de novembre 1897 : ce passage, en effet, est tout à fait propre à nous aider à développer nous-mêmes notre vie intérieure, notre pratique de l’oraison et de l’union à Dieu.

Saint Charles de Jésus - vie à Nazareth

Trappe de Notre-Dame des Neiges (diocèse de Viviers) :
détail du retable de la chapelle érigée en l’honneur de Saint Charles de Jésus
représentant sa vie à Nazareth

frise

Prière :

       Mon Seigneur Jésus… prier, c’est Vous regarder, et puisque Vous êtes toujours-là, puis-je, si je Vous aime vraiment, ne pas Vous regarder sans cesse ?
Celui qui aime et qui est en face du Bien-Aimé peut-il faire autrement que d’avoir les regards attachés sur Lui ?…
« Apprenez-nous à prier », comme disaient les Apôtres… Oh ! mon Dieu, le lieu et le temps sont bien choisis : je suis dans ma petite chambre, il fait nuit, tout dort, on n’entend que la pluie et le vent, et quelques coqs lointains qui rappellent, hélas ! la nuit de Votre Passion…
Enseignez-moi à prier, mon Dieu, dans cette solitude, dans ce recueillement…

   - Oui, mon enfant, il faut prier sans cesse, prie en faisant tout ce que tu fais : lisant, travaillant, marchant, mangeant, parlant, il faut toujours M’avoir devant les yeux, Me regarder sans cesse, et Me parler plus ou moins, suivant que tu le peux, mais Me regardant toujours.
L’oraison est l’entretien familier de l’âme avec Dieu : l’oraison ne contient que cela : l’oraison ne renferme ni méditation proprement dite, ni prières vocales, mais elle accompagne, dans un degré plus grand ou moindre, l’une et les autres.
La méditation, c’est la réflexion attentive sur quelque vérité ou quelque devoir que l’esprit cherche à approfondir aux pieds de Dieu. La méditation est toujours plus ou moins mélangée d’oraison, car il faut nécessairement appeler Dieu à son aide de temps en temps pour connaître ce qu’on cherche ; et aussi pour jouir de Sa présence et ne pas rester longtemps si près de Lui sans Lui dire aucune parole de tendresse…
Tes prières vocales, office canonial, rosaire, chemin de croix, Me plaisent, M’honorent, J’approuve que tu les dises, elles sont un petit bouquet que tu M’offres, un très beau et très divin cadeau, quoique tu sois très petit…
Tu es un tout petit enfant, mais, dans Ma bonté, Je te permets de cueillir, dans Mon merveilleux jardin, les plus belles roses pour Me les offrir, de sorte que, tout petit que tu es, en une demi-heure ou trois quarts d’heure, et surtout en un peu plus, tu Me fais un merveilleux bouquet… tu Me comprends ?
Et ce bouquet Me plaît de tes mains, Mon chéri, Mon bon chéri, parce que bien que tu sois tout petit et plein de défauts, tu es Mon enfant et, par conséquent, Je t’aime ; Je t’ai créé pour le ciel ; Mon Fils unique t’a racheté de Son Sang, t’a fait encore plus Mon enfant, t’a adopté pour frère ; Je t’aime, et puis, enfin, tu as écouté Sa voix et tu peux dire ce que J’ai dit Moi-même : « Si Je t’ai tant aimé quand tu ne Me connaissais pas, à plus forte raison, maintenant que, tout pauvre et pécheur que tu es, tu désires Me plaire ».
Tu le vois, bien que Je sois bien grand, et toi bien petit ; bien beau, et toi bien laid ; bien riche, et toi bien pauvre ; bien sage, et toi bien ignorant, cependant Je tiens à ton bouquet quotidien, à tes roses du matin et du soir ; J’y tiens parce que ces roses que Je te permets de cueillir dans Mon jardin sont belles, et J’y tiens parce que Je t’aime, tout petit et tout mauvais que tu es, Mon petit enfant.

   - Merci, merci, mon Dieu ! que Vos paroles sont douces et qu’elles sont claires, et comme je vois bien ce que je n’avais pas vu du tout !… Merci, merci, mon Dieu ! comme Vous êtes bon !…

Saint Charles de Jésus,
in « Retraite à Nazareth » (5-15 novembre 1897).

Vie à Nazareth - détail du retable de Notre-Dame des Neiges

mains jointes - prière

2022-128. L’amour de la croix et la croissance dans la perfection chrétienne à l’exemple de Saint André.

30 novembre,
Fête de Saint André le Protoclite, apôtre.

Saint André - œuvre de Camillo Rusconi - basilique du Latran

Statue de l’Apôtre Saint André, dans la nef de l’archibasilique du Saint Sauveur au Latran
œuvre de Camillo Rusconi (1658-1728)

nika

L’amour de la croix
et la croissance dans la perfection chrétienne
à l’exemple de Saint André 

Premier sermon de Saint Bernard
pour la fête de Saint André

§ 1. Introduction : Saint André n’a point voulu qu’on empêchât son martyre, il exulta à la vue de la croix.

   Nous célébrons aujourd’hui le triomphe de saint André, et nous avons tressailli de joie et de bonheur, dans les paroles de grâce qui sont sorties de sa bouche [Saint Bernard fait ici allusion aux paroles de l’Apôtre Saint André qui sont chantées comme antiennes à l’office divin].
Il ne pouvait, en effet, y avoir lieu à la tristesse, en un jour où on le voit lui-même enivré de tant de joie. Personne parmi nous n’a compati à ses souffrances, personne non plus n’a osé pleurer sa joie. Autrement il pourrait, avec raison, nous dire, comme autrefois le Christ portant Sa croix, dit à ceux qui Le suivaient et qui pleuraient sur Ses pas : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur Moi, mais sur vous » (Luc. XXIII, 28). D’ailleurs quand saint André était conduit vers la croix, le peuple, qui voyait avec peine ce saint et ce juste injustement condamné à mort, voulut s’opposer à son supplice ; mais lui, avec les plus instantes prières, les détourna de la pensée d’empêcher qu’il fût couronné, que dis-je, d’empêcher qu’il souffrît le martyre. Il brûlait, en effet, du désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ (Philipp. I, 25), mais sur la croix qu’il avait toujours aimée. Il souhaitait d’entrer dans le royaume, mais par le gibet. En effet, que dit-il à sa bien-aimée [c’est-à-dire la croix] ? « Que Celui qui m’a sauvé par toi, par toi aussi me reçoive !» Si donc nous l’aimons, nous devons nous réjouir avec lui, non-seulement parce qu’il est couronné maintenant, mais aussi parce qu’il a été crucifié ; par ce que le Seigneur a exaucé les désirs de son coeur, et a placé sur sa tête une couronne de pierres précieuses. Toutefois, en le félicitant de ce qu’il a eu le bonheur d’embrasser enfin la croix, après laquelle il avait si longtemps soupiré, je serais bien surpris si nous n’avions aussi un sentiment d’admiration pour la joie de celui que nous félicitons.

§ 2. La croix est un arbre fécond ; elle est source de joie.

   En effet, cette nuit même, pendant les vigiles, quand nous répétions dans nos chants des paroles d’allégresse, pensez-vous qu’il ne s’en est pas trouvé quelques-uns parmi nous pour penser et se dire : pourquoi tout cela ? Et d’où viennent tous ces transports de joie ? Est-ce que la croix est précieuse ? Est-ce qu’on peut l’aimer ? Est-ce qu’elle porte la joie ?
Oui, oui, mes frères, s’il se trouve une main pour en cueillir les fruits, toujours le bois de la croix produit la vie, fructifie le bonheur, distille l’huile de la joie, sue le baume des dons spirituels. Ce n’est point un arbre de la forêt, c’est un arbre de vie pour ceux qui savent la prendre. C’est un arbre fructifère, un arbre salutifère, autrement comment occuperait-il la terre du Seigneur, ce sol précieux auquel il est fixé par ses clous, comme par autant de racines ? S’il n’était pas plus, fertile que tous les autres arbres, jamais il n’eût été planté dans ce jardin, jamais le Seigneur ne l’eût laissé occuper une place dans Sa vigne. Après tout, pourquoi nous étonnerions-nous que Celui qui a donné la douceur même au feu, en eût donné aussi à la croix ? Ou bien, comment pourrions-nous croire que la croix est dépourvue de toute saveur, quand nous voyons que la flamme elle-même semble douce au goût ? En effet, quel goût n’avait pas le feu pour saint Laurent, quand il se moquait de ses bourreaux et raillait son juge ? Que répondrons-nous à cela, mes frères ? Pourquoi ne trouverions-nous point aussi du goût dans les épreuves endurées pour Jésus-Christ ? Pourquoi n’y aurait-il pas pour nous quelques délices dans cette manne cachée ? Ce serait vaincre tout à fait le démon, et il n’aurait plus rien à apporter contre nous. Cette victoire seule suffirait contre la double malice de notre ennemi.

§ 3. Le combat contre le démon. Dans ce combat, la tribulation nous permet d’échapper aux filets de l’ennemi. Début de la comparaison avec les poissons.

   Car ce détestable adversaire a ses pièges et ses traits, il est un bien rusé chasseur d’hommes, et n’est altéré que du sang de nos âmes. Il s’attache aux uns par les traits de ses suggestions perfides, et, par ce moyen, il en blesse beaucoup dont la patience est faible. Il s’efforce d’enlacer les autres dans les lacs de la volupté, c’est dans ces réseaux qu’il prend la plupart de ceux qui rampent à terre, ou ne s’élèvent que bien peu au-dessus d’elle.
Que votre joie soit donc dans la tribulation, et le malin n’a plus de moyen de vous attirer, plus de moyen de vous renverser ; du même coup nous nous trouvons dégagés du piège des chasseurs et de la parole âpre de notre ennemi (Ps. CX, 3). Il ne peut rien gagner dans celui que charme la croix du Christ, en lui suggérant des pensées charnelles ; et le fils de l’iniquité ne pourra lui nuire (Ps. LXXXVII, 22), s’il essaie d’exaspérer son cœur par les amertumes, qu’importent les délices à celui qui se repaît de jeûnes ; à plus forte raison ne lui arrache-t-il point un murmure pour ce qui précisément fait ses délices. Évidemment, il a mis son refuge très-haut, là où il ne saurait appréhender ni les pièges ni les flèches de l’ennemi, que dis-je, il est un poisson pur avec des écailles et des nageoires. Or, de même qu’on jette en vain le filet sous les yeux des oiseaux qui ont des ailes, ainsi on décoche inutilement un trait contre les poissons qui sont recouverts d’écailles comme d’une cuirasse. La Loi déclarait purs les poissons qui ont des nageoires pour se mouvoir, et des écailles pour se protéger (Levit. XI, 10 et Deut. XIV, 9), soit qu’ils vivent dans la mer ou dans les rivières, soit qu’ils habitent dans un étang. Or, notre mer si vaste et si spacieuse renferme des poissons purs et dignes de figurer sur la table du Seigneur ; car parmi les poissons qui sont encore, par leur genre de vie et toutes leurs habitudes, dans l’Océan immense du siècle, Il S’en est réservé plusieurs milliers que les filets des apôtres vont chercher au fond des eaux et attirent sur le rivage pour y être séparés des mauvais. C’est sur ce rivage qu’ira certainement s’asseoir notre pêcheur d’hommes, qui tire derrière lui, dans ses filets, l’Achaïe tout entière. Les rivières ont aussi leurs poissons purs, ce sont tous les dispensateurs fidèles. En effet, les rivières représentent l’ordre des prédicateurs qui ne demeurent jamais dans un même endroit, mais qui se répandent et courent, sur la terre, pour l’arroser de leurs eaux. Quant aux étangs, on peut dire avec raison qu’ils figurent les monastères, car les poissons s’y trouvent comme enfermés et conservés sous la main, afin de pouvoir être pris à tout instant pour la table spirituelle du Maître ; là, chacun d’eux se dit : Quand viendra donc le jour où je serai pris ? Car dans la lutte où je me trouve maintenant, j’attends tous les jours que mon changement arrive (Job. XIV, 14).

§ 4. Suite de la comparaison avec les poissons. 

   Mais, pour en revenir à la Loi, dont je vous parlais il n’y a qu’un instant, tout poisson qui a des nageoires et des écailles est pur, qu’il se trouve dans la mer, dans les rivières ou dans un étang. Leurs écailles sont multiples ; mais leur réunion ne fait qu’une seule et même cuirasse, si je puis parler ainsi ; de même la vertu de patience en est une, bien que nous semblions en avoir une nouvelle dans les tribulations qui se succèdent. Mais si on peut, selon moi, comparer les écailles du poisson à la patience, il me semble qu’on peut également voir la gaîté dans ses nageoires. En effet, la gaîté lève et soulève, et semble faire faire des bonds et des sauts à ceux qu’elle anime. Mais pour avoir nos deux nageoires, il faudrait trouver deux sortes de gaîtés. Peut-être est-ce pour cela que l’Apôtre qui avait bien ses deux nageoires quand il fut reçu dans les cieux, et s’éleva jusques au paradis, « se glorifiait non-seulement dans son espérance, mais encore dans ses tribulations » (Rom. V, 3). Il est évident, en effet, que celui qui trouve du charme, non-seulement dans l’attente des biens futurs, mais encore dans le spectacle des maux présents, au point d’aller jusqu’à s’en glorifier, a pris son vol bien haut. Or, tel fut notre Apôtre, tel il s’offre à notre admiration, et tel nous vous le présentons dans nos prédications.

§ 5. L’amour de la croix est un signe d’avancement dans la vertu chrétienne.

   Ceci m’amène à vous faire remarquer qu’il y a trois degrés selon que l’on est au commencement, au milieu, ou au faîte. Or le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur (Eccli. I, 16) ; le milieu c’est l’espérance, le faîte est la charité, selon ces paroles de l’Apôtre, « la plénitude de la loi est la charité » (Rom. XIII,10). Ceux qui n’en sont encore qu’au commencement par la crainte, sont ceux qui ne portent la croix du Seigneur qu’avec patience ; ceux qui avancent déjà dans l’espérance, sont ceux qui la portent volontiers ; mais ceux qui l’embrassent avec amour, sont arrivés au faîte, car il faut être du nombre de ces derniers pour pouvoir s’écrier : « J’ai toujours été ton amant, toujours j’ai soupiré après le bonheur de te sentir dans mes bras !» Quels sentiments différents de ceux qu’éprouve celui qui porte sa croix, j’en conviens, mais qui voudrait bien, s’il était possible, que cette heure ne fût point venue pour lui ! Combien même, si j’ose le dire sans trop de témérité, sont-ils différents de ceux qu’exprimait Celui qui S’écriait : « mon Père, s’il est possible, faites que ce calice passe loin de Moi !» (Matt. XXVI, 39). Qu’est-ce en effet ? Ne semble-t-il pas être monté sur un âne pour échapper aux mains des ennemis. Je rencontre dans le général en chef, les craintes des soldats sans vaillance ; dans le médecin, la voix du malade ; c’est pour moi la faible poule avec ses poussins. Ce que je vois là, c’est Sa charité ; ce qui me surprend, c’est Sa compassion ; ce qui me confond, c’est Sa condescendance. Si le Dieu des miséricordes n’a point pris les robustes sentiments de Saint André, c’est parce que ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais les malades qui ont besoin du médecin (Matt. IX, 12). Si cette condescendance scandalise quelqu’un d’entre vous, il mérite d’entendre ces paroles : « Votre œil est-il mauvais parce que Je suis bon ?» (Matt. XX, 15). Pour lui, en effet, l’odeur de vie est mortelle.

Saint André statue au Latran - détail 1

§ 6. Les souffrances que le Sauveur a voulues pour Lui-même sont nos remèdes : Lui, le tout-puissant, a délibérément voulu la vulnérabilité.

   Qu’y aurait-il eu d’étonnant, Seigneur Jésus, que l’heure pour laquelle Vous étiez venu, une fois arrivée, elle Vous trouvât debout et intrépide comme quelqu’un qui a le pouvoir de déposer la vie, sans que personne puisse la Lui ravir ?
N’y avait-il pas plus de gloire au contraire, puisque tout ce qu’Il faisait, c’est pour nous qu’Il le faisait, que, non-seulement Son corps souffrit la passion pour nous, mais que Son cœur même fût aussi atteint pour nous ? Et que de même que Votre mort, ô mon Dieu, me rendait la vie, ainsi Vos craintes me donnassent du courage, Vos tristesses de la joie, Votre abattement de l’entrain, Votre trouble du calme, Votre désolation de la consolation. Je vois dans le récit de la résurrection de Lazare que le Seigneur « frémit en Son esprit et Se troubla Lui-même » (Joan. XI, 33) ; mais s’Il Se troubla ce n’est pas par un effet de la nécessité, mais de Sa pleine et entière volonté.
Mais voici quelque chose de plus fort encore. L’amour, qui est fort comme la mort, produisit un tel effet en Lui, qu’un ange descendit du ciel pour Le fortifier. Qui vint, et qui fortifia-t-il ? Ecoutez la réponse de l’Évangéliste : « Alors il Lui apparut un ange du ciel pour Le fortifier » (Luc. XXII, 43). De qui parle-t-il ainsi ? De Celui pour qui, à Sa naissance, s’ouvrit le sein fermé d’une Vierge ; de Celui qui, d’un signe, changea l’eau en vin, dont le toucher mit la lèpre en fuite, dont les pieds ont foulé les flots de la mer devenue solide, de Celui dont la voix rappela les morts à la vie, de Celui enfin qui soutient tout par la puissance de Sa parole, par qui tout a été fait, tout, et les anges eux-mêmes subsistent. Que dirai-je enfin, comment Le désignerai-je ? Je ne serais pas si longtemps à vous Le nommer s’il n’était indicible. Ainsi Il était soutenu par un ange qui ne pouvait même comprendre toute la majesté de Celui qu’il soutenait.

§ 7. A l’exemple du Christ, se soumettre à l’épreuve afin de ne pas être séparé de Lui.

   Dis-moi, ô ange, qui consoles-tu ? Ne savais-tu point qui était Celui que tu venais consoler ? Mais c’est le Consolateur même ! C’est un paraclet ! Autrement comment aurait-Il dit à Ses apôtres qu’Il leur enverrait un autre paraclet, s’Il n’avait été Lui-même un vrai paraclet ? (Joan. XIV, 16). Oui, je reconnais en Lui un très-grand paraclet, un paraclet bienveillant, car Il est proche de tous ceux dont le coeur est affligé (Ps. XXXIII, 19). Je ne désespère plus, Seigneur, quoique les afflictions que je souffre, soient excessives, que je sois bien faible et que je souhaite ardemment que ce calice passe loin de moi ; non, dis-je, je ne désespère plus, pourvu toutefois que je sache ajouter aussi : « Toutefois qu’il en soit, non comme je le veux, mais comme Vous le voulez ». J’ai appris de Lui à ne point recourir à des consolations charnelles et caduques, mais à des consolations angéliques, spirituelles et célestes. Oui, il en sera ainsi si je sais ne point murmurer, car le murmure élèverait à l’instant un mur de séparation entre Vous et moi, si je ne me hâtais de jeter les yeux vers Vous ; je ne refuse pas les épreuves quand même j’aurais besoin d’être consolé.
Et quoi, ne reconnais-je point ma voix dans celle de mon Sauveur ? Pourquoi donc désespérerais-je de mon salut ? Je posséderai mon âme dans mon entière patience.

§ 8. Celui qui se conforme avec amour à la loi divine se conforme avec amour à la loi de la croix.

   Mais je veux aller plus loin encore, et ne pas me tenir sitôt pour satisfait d’avoir trouvé le salut. « Celui qui craint le Seigneur, dit le Sage, fera le bien » (Eccl. XV, 1). Ce n’est pas même encore assez, car il est écrit : « Détournez-vous du mal et faites le bien » (Ps. XXXVI, 27), « recherchez la paix et poursuivez-la avec persévérance » (Ps. XXXIII, 15).
Non, ne vous contentez point du salut, recherchez la paix si vous ne voulez que votre salut même ne soit en péril. Aussi, entendez l’ange, à la naissance de Celui qui s’est fait notre paix, tressaillir d’allégresse et chanter : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Luc. II, 14). Or, que faut-il entendre par cette bonne volonté, sinon une volonté bien ordonnée ? Qu’est-ce que cette volonté-là, me demandez-vous ? C’est celle qui est d’accord avec la raison quand elle dit : « Les souffrances de la vie présente, n’ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous » (Rom. VIII, 18). Quand vous aurez une fois bien senti cela, je ne doute pas que vous ne portiez volontiers la croix du Seigneur, et que vous ne disiez : « Je suis tout prêt, Seigneur, et je ne suis point troublé, je suis tout prêt à garder Vos commandements » (Ps. CXVIII, 60).

§ 9. La ferveur de l’esprit et la joie d’obéir à Dieu sont des dons du Saint-Esprit sans lesquels il ne sera pas possible de résister à la tentation.

   Mais après cela, si vous voulez être parfait, il vous reste encore une chose absolument nécessaire. Qu’est-ce, me dites-vous ? La joie dans le Saint-Esprit. Car si une âme retenue par la crainte est patiente, conduite par l’espérance elle est fragile, et peut aisément tomber si elle n’a la ferveur de l’esprit. Or la charité que le Saint-Esprit répand en nous est patiente, et bénigne, et, ce qui est bien plus encore, elle ne défaille jamais (1 Cor. XIII, 8). Si vous faites attention au premier précepte qui fut donné à nos premiers parents, vous remarquerez la patience chez Eve, et la bienveillance chez Adam ; mais, par leur chute, l’un et  l’autre ont fait voir clairement qu’ils n’étaient pas solidement établis dans le degré où ils se trouvaient. « La femme vit le fruit de l’arbre, dit l’Ecriture, elle le trouva beau à voir et doux à manger » (Gen. III, 6). Ne vous semble-t-il point qu’elle a bien de la peine à retenir sa main ? Il en est, en effet, ainsi, et lorsque le serpent la questionne, remarquez comme tous les mots de sa réponse indiquent le commandement de Dieu Lui-même : « Nous mangeons, dit-elle, du fruit de tous les arbres du paradis ; mais pour ce qui est du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, le Seigneur nous a dit de n’en point manger » (Gen. III, 6). Elle ne dit pas : telle est la volonté du Créateur ; quant au pourquoi Sa volonté est telle, Lui seul le sait ; pour nous, il nous suffit d’obéir, car notre vie est dans Sa volonté. Aussi, la femme fut-elle aisément séduite, elle crut sans peine aux promesses du démon, et se laissa, persuader à sa voix. Adam n’a pas été séduit par le serpent (1 Tim. II, 14), mais par sa femme qu’il aimait ; il n’aurait pas demandé mieux que d’observer un commandement dont il connaissait tous les avantages pour lui, si sa femme ne lui avait pas donné des conseils contraires ; il ne semble même point avoir eu d’autre difficulté à se soumettre à la volonté de Dieu, mais sa volonté, pour être bonne, n’avait pourtant point de force, parce qu’elle n’avait aucune ferveur.

§ 10. Conclusion : nous vaincrons par l’amour divin ; l’exemple de Saint André nous le montre et son intercession nous secourra ; la méditation et l’oraison sont les deux puissants moyens qui nous permettent de monter à sa suite vers le ciel.

   Ce n’est ni la patience ni l’espérance, mais l’amour seul qui est fort comme la mort (Cant. VIII, 6), ce n’est ni la crainte ni la raison, mais l’esprit de force. La patience dit : il faut qu’il en soit ainsi, mais elle est pressée par la crainte. La bonne volonté reprend : il faut et il est expédient qu’il en soit de la sorte, mais elle est attirée par un motif d’espérance. Quant à la charité, qui est enflammée par l’esprit, elle ne dit, ni il faut, ni il est expédient qu’il en soit ainsi ; mais, voilà ce que je veux, voilà mes souhaits, voilà mes plus ardents désirs. Voyez-vous quelle élévation, quelle sécurité, quelle suavité dans la charité ? Heureuse l’âme qui en vient à ce degré de charité. Il n’y a pas lieu pour nous à désespérer, puisque si nous célébrons la mémoire de celui qui est arrivé à ce point, c’est précisément pour invoquer son secours et nous exciter à son exemple.
Je vais plus loin, il me semble même qu’il y en a plusieurs parmi nous qui ont atteint ce degré. Si vous m’objectez que saint André est un apôtre, et que vous, qui n’êtes qu’un néant, vous ne sauriez marcher sur ses traces, ayez du moins le courage d’imiter ceux qui sont avec vous, personne n’arrive du premier coup au haut, c’est en montant, non en volant, qu’on atteint au faîte de l’échelle. Montons donc avec ce que j’appellerai nos deux pieds, je veux dire avec la méditation et l’oraison. La méditation nous apprend ce qui nous manque, et l’oraison obtient que ce qui nous manque nous soit donné. L’une nous montre la vie, et l’autre nous y ai fait entrer ; la méditation nous fait connaître les dangers qui nous menacent, l’oraison nous les fait éviter avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne, dans les siècles des siècles, avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Saint André statue au Latran - détail 2

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2022-125. « Hora est jam nos de somno surgere : il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement !»

Vendredi 25 novembre 2022
Fête de Sainte Catherine d’Alexandrie, vierge et martyre.

Lettre mensuelle aux membres et amis
de la
Confrérie Royale

pour le 25 novembre 2022

armoiries confrérie royale

Rappel :

   Les membres de la Confrérie Royale s’engagent à sanctifier d’une manière particulière le 25 de chaque mois en redoublant de prières, en offrant avec encore davantage de ferveur qu’à l’accoutumée les exercices de leur devoir d’état ainsi que les peines et les joies de ce jour, en travaillant plus méticuleusement à leur sanctification, lorsque cela est possible en assistant à la Sainte Messe et en offrant la sainte communion à l’intention du Roi, ou encore en accomplissant quelque petit pèlerinage ou acte de dévotion supplémentaire, offerts à l’intention de Sa Majesté et du Royaume des Lys.
La lettre mensuelle, envoyée à tous les membres ainsi qu’aux amis qui ont manifesté le désir de la recevoir, à l’occasion de ce 25 de chaque mois, est écrite par les prêtres, religieux ou clercs membres de la Confrérie Royale. Son but est de raviver la ferveur et la détermination des membres, en leur proposant des réflexions et approfondissements toujours nécessaires.

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Hora est jam nos de somno surgere

Chers Membres et Amis de la Confrérie Royale, 

       « Hora est jam nos de somno surgere : il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement » (Rom. XIII, 11).

   Cette admonestation de l’Apôtre va encore une fois frapper nos oreilles dans la Messe du premier dimanche de l’Avent (missel traditionnel). Il importe avant tout que, résonnant à nos oreilles, elle ne s’y arrête pas, mais qu’au-delà du tympan qu’elle frappe, elle atteigne aussi nos intelligences, descende dans nos cœurs et prenne une nouvelle vie en nos âmes !

   « Il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement ».
Mais le problème, bien souvent, avec les personnes assoupies, c’est qu’elles ne savent pas qu’elles dorment, puisque le propre de l’endormissement est de nous priver de vigilance, de nous soustraire à la conscience du réel, de nous faire perdre le contact avec la réalité.
Mais, bien sûr, Saint Paul ne parle pas ici de sommeil physiologique : il nous renvoie à notre état intérieur et aux dispositions de notre vie spirituelle ; il lance une exhortation qui doit, aux oreilles de notre âme, se présenter comme une question : « Toi, qui m’écoute ou qui me lis, es-tu véritablement éveillé ? es-tu véritablement en état de veille ? es-tu véritablement vigilant ? »

   Ainsi, cette exhortation de l’Apôtre nous rejoint-elle à la manière de la parole d’un médecin qui s’inquiète de notre état de santé. La recommandation est salutaire, parce qu’elle nous pousse à un examen de conscience : n’est-il pas, en effet, nécessaire que je me secoue et que je prenne garde à ne pas me laisser gagner par la torpeur ? C’est si facile… Après tout, il suffit pour cela de laisser la routine gagner un peu de terrain chaque jour, de manière quasi imperceptible, presque insensible. Il suffit d’être un peu moins vigilant, un tout petit peu moins attentif à maintenir la barre haute, juste un tantinet moins fervent et généreux, et de prêter l’oreille aux voix subreptices de mes tendances égoïstes et de ma paresse spirituelle.
Oui, « il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement » !

   Alors que les ténèbres s’étendent sur le monde. A l’heure où les ténèbres étendent leur règne dans les âmes et obscurcissent les consciences, il est plus que jamais nécessaire et salutaire de maintenir à leur degré maximal notre vigilance et notre pugnacité.
C’est un devoir.
Un devoir qui nous incombe à nous, membres de la Confrérie Royale, avec une acuité, une pertinence, une gravité et une stridence bien plus grandes qu’à tant d’autres catholiques et tant d’autres royalistes, qui n’ont pas prononcé au pied de l’autel leur engagement de prière et d’offrande, à l’intention de notre Roi et de notre Royaume aimés.
Tous les jours – oui, tous les jours ! -, nous devons être assidus à prier, offrir, être généreux et agir avec zèle.
Si notre ferveur a fléchi, l’entrée dans le saint temps de l’Avent est une opportunité pour nous ressaisir : « il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement » !

   Nous nous replongerons donc, avec une énergie renouvelée, dans la lecture et la méditation des textes de la Sainte Ecriture qui nous annoncent la consolation et le salut, et nous supplierons avec les accents inspirés du Prophète : « Rorate, cœli desuper ! »
C’est l’une des conditions pour être transportés par la joyeuse espérance qui anime ce temps béni, dans l’attente de la fête de la Nativité du Sauveur : une nouvelle Nativité qui doit advenir dans notre vie selon la grâce.

Noël n’est pas en effet, à la manière dont on commémore les grandes dates de l’histoire ou les armistices, la célébration d’une naissance qui appartient au passé : c’est véritablement à une réactualisation du mystère de la venue du Fils de Dieu que nous prépare et nous convie la liturgie, qui rend présents et actuels les mystères qu’elle célèbre.
Redisons-le encore et encore : il ne s’agit pas d’une « reconstitution », mais d’une réalisation invisible – mystique – opérée par une grâce réelle, donnée aux âmes et, à travers elles, à toute la création (cf. Rom. VIII, 19-22).
Et donc à notre France aussi ; ce benoît Royaume des Lys qui est né dans les eaux régénératrices des fonts baptismaux de Reims lorsque son premier Roi y reçut le saint baptême dans la nuit sainte de la Nativité.

   C’est ainsi que ce mois qui commence aujourd’hui, depuis ce 25 novembre jusqu’au 25 décembre, est tout entier baigné d’une lumière comparable à celle de l’aube : ce n’est pas encore la pleine lumière, mais une clarté qui nous assure que la nuit prendra fin et que le soleil resplendira à nouveau…
Fermons les yeux de nos âmes aux lumières factices et artificielles qu’allume la société matérialiste et hédoniste en travestissant la fête de la discrète naissance du Fils de Dieu dans le dénuement en une débauche de satisfactions sensuelles et temporelles : : « il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement » !
Ouvrons-les aux lueurs frémissantes de l’aube spirituelle du Soleil de Justice qui veut nous apporter la force et la victoire dans Ses rayons.

Bon, fervent et saint Avent, bien chers Amis !
Bon et énergique réveil de toutes vos puissances spirituelles !
Bon renouveau de générosité, de zèle, d’espérance et de foi !
Et bonne et continue croissance en charité !
Car « il est l’heure désormais de sortir de notre assoupissement » !

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.

réveil matinal

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Quelques avis et nouvelles importants concernant la Confrérie Royale et l’UCLF :

1 - Changement de Prieur à la tête de la Confrérie Royale :

     Le Révérend Père Jean-François Thomas d’une part en raison de sa santé fragile, éprouvée à plusieurs reprises ces derniers mois, et d’autre part en raison de la somme de travail à laquelle il doit faire face chaque jour, qui ne lui permet pas d’assurer le Priorat de la Confrérie comme il le souhaiterait, s’est démis de sa charge en faveur de Frère Maximilien-Marie, qui devient Prieur pour un second mandat.
Nous sommes pleins d’une profonde gratitude envers le Révérend Père Thomas pour les années durant lesquelles il a porté la responsabilité de la Confrérie Royale, et nous l’assurons de notre prière reconnaissante.

2 - Changement de Président à la tête de l’Union des Cercles Légitimistes de France :

   Empêché par sa santé, Monsieur Pierre Bodin, membre de la Confrérie Royale, a dû laisser la présidence de l’UCLF : nous prions pour lui. Monsieur Hugues Saclier de la Bâtie, fils du fondateur de l’UCLF, a été désigné pour lui succéder. La Confrérie Royale l’assure de sa profonde union, dans le combat spirituel que nous menons pour Dieu et pour le Roi, et de sa prière pour sa délicate mission.

3 - Retenez dès à présent les dates du pèlerinage annuel au Puy-en-Velay en 2023 :

   Il aura lieu de la fin de l’après-midi du jeudi de l’Ascension 18 mai au samedi 20 mai en début d’après-midi. Il est souhaitable que les membres de la Confrérie Royale fassent le maximum pour y prendre part, ainsi que pour organiser et coordonner la venue des pèlerins depuis leurs provinces respectives.
Il importe que ces dates soient inscrites sans retard dans vos agendas et, dès maintenant, il faut que tous les membres de la Confrérie aient le souci d’inviter de nouveaux pèlerins, et se fassent audacieux pour devenir nos correspondants et relais de la promotion et organisation de ce pèlerinage, dans tout le Royaume.
Le thème et le programme du pèlerinage seront communiqués dans les premiers mois de 2023.

4 – Formation :

   Les membres de la Confrérie Royale doivent avoir un grand souci de se former et d’approfondir leur formation dans la saine doctrine légitimiste. Nous les encourageons donc à saisir les offres de formation offertes par l’Union des Cercles Légitimistes de France (UCLF). En 2023, en sus de l’Université Saint Louis, qui a déjà reçu à deux reprises les chaleureux encouragements de Sa Majesté et qui se déroulera comme à l’accoutumée en Bretagne du 31 juillet au 5 août, aura lieu un Camp-chouan de formation légitimiste, en Dauphiné, du 23 au 28 juillet. L’une comme l’autre sont ouverts à tous, sans limite d’âge, et sont des opportunités aussi profitables que riches de conséquences.
Des dates à noter donc dès à présent dans vos agendas 2023 !

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2022-124. Présentation de la vie et de la doctrine spirituelle de Saint Jean de la Croix.

24 novembre,
Fête de Saint Jean de la Croix, confesseur et docteur de l’Eglise (cf. > ici, > ici et > ici) ;
Anniversaire de la publication de l’Edit de Thessalonique (cf. > ici).

       Dans la suite de la présentation des Docteurs de l’Eglise, Benoît XVI a bien évidemment présenté Saint Jean de la Croix (1542-1591) qui occupe une place privilégiée parmi les grands maîtres spirituels, et dont les enseignements sont des repères sûrs dans la conduite des âmes et leur progression vers les sommets de la vie intérieure.

Domenico Piola 1674-75 - le Christ apparaissant à Saint Jean de la Croix - Savone

Domenico Piola (1624-1703) : le Christ apparaissant à Saint Jean de la Croix (1674-75)
[musée d'art du Palais Gavotti, à Savone]

Blason du Carmel

Catéchèse de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
à l’occasion de l’audience générale
du mercredi 16 février 2011

Saint Jean de la Croix

Chers frères et sœurs,

       Il y a deux semaines, j’ai présenté la figure de la grande mystique espagnole Thérèse de Jésus. Je voudrais aujourd’hui parler d’un autre saint important de ces territoires, ami spirituel de sainte Thérèse, réformateur, avec elle, de la famille religieuse carmélitaine : saint Jean de la Croix, proclamé Docteur de l’Eglise par le Pape Pie XI, en 1926, et surnommé dans la tradition Doctor mysticus, le «Docteur mystique».

   Jean de la Croix naquit en 1542 dans le petit village de Fontiveros, proche d’Avila, en Vieille Castille, de Gonzalo de Yepes et Catalina Alvarez. Sa famille était très pauvre, car son père, issu d’une famille noble de Tolède, avait été chassé de chez lui et déshérité pour avoir épousé Catalina, une humble tisseuse de soie. Orphelin de père dans son jeune âge, Jean, à neuf ans, partit avec sa mère et son frère Francisco pour Medina del Campo, non loin de Valladolid, un pôle commercial et culturel. Il y fréquenta le Colegio de los Doctrinos, en assurant également d’humbles travaux pour les sœurs de l’église-couvent de la Madeleine. Par la suite, vues ses qualités humaines et ses résultats dans les études, il fut admis d’abord comme infirmier dans l’Hôpital de la Conception, puis au Collège des jésuites, qui venait d’être fondé à Medina del Campo : Jean y entra à dix-huit ans et étudia pendant trois ans les sciences humaines, la rhétorique et les langues classiques. A la fin de sa formation, sa vocation lui était très claire : la vie religieuse et, parmi tous les ordres présents à Medina, il se sentit appelé au Carmel.

   Au cours de l’été 1563, il débuta le noviciat chez les carmes de la ville, en prenant le nom religieux de Mattia (Mathias). L’année suivante, il fut destiné à la prestigieuse université de Salamanque, où il étudia pendant un triennat les arts et la philosophie. En 1567, il fut ordonné prêtre et retourna à Medina del Campo pour célébrer sa première Messe entouré de l’affection de sa famille. C’est là qu’eut lieu la première rencontre entre Jean et Thérèse de Jésus. La rencontre fut décisive pour tous les deux : Thérèse lui exposa son programme de réforme du Carmel, l’appliquant également à la branche masculine de l’Ordre, et proposa à Jean d’y adhérer «pour la plus grande gloire de Dieu» ; le jeune prêtre fut fasciné par les idées de Thérèse, au point de devenir un grand défenseur du projet. Ils travaillèrent ensemble quelques mois, partageant les idéaux et les propositions pour inaugurer le plus rapidement possible la première maison des carmes déchaux : l’ouverture eut lieu le 28 décembre 1568 à Duruelo, un lieu isolé de la province d’Avila. Avec Jean, trois autres compagnons formaient cette première communauté masculine réformée. En renouvelant leur profession de foi selon la Règle primitive, tous les quatre adoptèrent un nouveau nom : Jean s’appela dès lors «de la Croix», nom sous lequel il sera universellement connu. A la fin de 1572, à la demande de sainte Thérèse, il devint confesseur et vicaire du monastère de l’Incarnation d’Avila, où la sainte était prieure. Ce furent des années d’étroite collaboration et d’amitié spirituelle, qui les enrichit tous deux. C’est à cette période que remontent aussi les plus importantes œuvres de Thérèse et les premiers écrits de Jean.

   L’adhésion à la réforme du Carmel ne fut pas facile et coûta également de graves souffrances à Jean. L’épisode le plus traumatisant fut, en 1577, son enlèvement et son incarcération dans le couvent des carmes de l’antique observance de Tolède, à la suite d’une accusation injuste. Le saint fut emprisonné pendant des mois, soumis à des privations et des contraintes physiques et morales. En ce lieu, il composa, avec d’autres poésies, le célèbre Cantique spirituel. Finalement, dans la nuit du 16 au 17 août 1578, il réussit à fuir de façon aventureuse, se réfugiant dans le monastère des carmélites déchaussées de la ville. Sainte Thérèse et ses compagnons réformés célébrèrent avec une immense joie sa libération et, après une brève période pour retrouver ses forces, Jean fut destiné à l’Andalousie, où il passa dix ans dans divers couvents, en particulier à Grenade. Il assuma des charges toujours plus importantes dans l’Ordre, jusqu’à devenir vicaire provincial, et il compléta la rédaction de ses traités spirituels. Il revint ensuite dans sa terre natale, comme membre du gouvernement général de la famille religieuse thérésienne, qui jouissait désormais d’une pleine autonomie juridique. Il habita au carmel de Ségovie, exerçant la charge de supérieur de cette communauté. En 1591, il fut relevé de toute responsabilité et destiné à la nouvelle province religieuse du Mexique. Alors qu’il se préparait pour ce long voyage avec dix autres compagnons, il se retira dans un couvent solitaire près de Jaén, où il tomba gravement malade. Jean affronta avec une sérénité et une patience exemplaires d’immenses souffrances. Il mourut dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, alors que ses confrères récitaient l’office de mâtines. Il les quitta en disant : «Aujourd’hui je vais chanter l’Office au ciel». Sa dépouille mortelle fut transférée à Ségovie. Il fut béatifié par Clément X en 1675 et canonisé par Benoît XIII en 1726.

   Jean est considéré comme l’un des plus importants poètes lyriques de la littérature espagnole. Ses plus grandes œuvres sont au nombre de quatre : «La montée du Mont Carmel», «La nuit obscure», «Les cantiques spirituels» et «La vive flamme d’amour».

   Dans les Cantiques spirituels, saint Jean présente le chemin de purification de l’âme, c’est-à-dire la possession progressive et joyeuse de Dieu, jusqu’à ce que l’âme parvienne à sentir qu’elle aime Dieu avec le même amour dont Il l’aime. La vive flamme d’amour poursuit dans cette perspective, en décrivant plus en détail l’état de l’union transformante avec Dieu. Le parallèle utilisé par Jean est toujours celui du feu : de même que le feu, plus il brûle et consume le bois, plus il devient incandescent jusqu’à devenir flamme, ainsi l’Esprit Saint, qui au cours de la nuit obscure purifie et «nettoie» l’âme, avec le temps l’illumine et la réchauffe comme si elle était une flamme. La vie de l’âme est une incessante fête de l’Esprit Saint, qui laisse entrevoir la gloire de l’union avec Dieu dans l’éternité.

   La montée du Mont Carmel présente l’itinéraire spirituel du point de vue de la purification progressive de l’âme, nécessaire pour gravir le sommet de la perfection chrétienne, symbolisée par le sommet du Mont Carmel. Cette purification est proposée comme un chemin que l’homme entreprend, en collaborant avec l’action divine, pour libérer l’âme de tout attachement ou lien d’affection contraire à la volonté de Dieu. La purification, qui pour parvenir à l’union d’amour avec Dieu doit être totale, commence par celle de la vie des sens et se poursuit par celle que l’on obtient au moyen des trois vertus théologales : foi, espérance et charité, qui purifient l’intention, la mémoire et la volonté. La nuit obscure décrit l’aspect «passif», c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans ce processus de «purification» de l’âme. L’effort humain, en effet, est incapable tout seul d’arriver jusqu’aux racines profondes des inclinations et des mauvaises habitudes de la personne : il peut seulement les freiner, mais non les déraciner complètement. Pour cela, l’action spéciale de Dieu est nécessaire, qui purifie radicalement l’esprit et le dispose à l’union d’amour avec Lui. Saint Jean qualifie de «passive» cette purification, précisément parce que, bien qu’acceptée par l’âme, elle est réalisée par l’action mystérieuse de l’Esprit Saint qui, comme la flamme du feu, consume toute impureté. Dans cet état, l’âme est soumise à tous types d’épreuves, comme si elle se trouvait dans une nuit obscure.

   Ces indications sur les œuvres principales du saint nous aident à nous familiariser avec les points principaux de sa vaste et profonde doctrine mystique, dont l’objectif est de décrire un chemin sûr pour parvenir à la sainteté, l’état de perfection auquel Dieu nous appelle tous.
Selon Jean de la Croix, tout ce qui existe, créé par Dieu, est bon. A travers les créatures, nous pouvons parvenir à la découverte de Celui qui a laissé en elles une trace de Lui. La foi, quoi qu’il en soit, est l’unique source donnée à l’homme pour connaître Dieu tel qu’Il est en Soi, comme Dieu Un et Trine. Tout ce que Dieu voulait communiquer à l’homme, Il l’a dit en Jésus Christ, Sa Parole faite chair. Jésus Christ est le chemin unique et définitif vers le Père (cf. Jean XIV, 6). Toute chose créée n’est rien par rapport à Dieu et ne vaut rien en dehors de Lui : par conséquent, pour atteindre l’amour parfait de Dieu, tout autre amour doit se conformer dans le Christ à l’amour divin. C’est de là que découle l’insistance de saint Jean de la Croix sur la nécessité de la purification et de la libération intérieure pour se transformer en Dieu, qui est l’objectif unique de la perfection. Cette «purification» ne consiste pas dans la simple absence physique des choses ou de leur utilisation ; ce qui rend l’âme pure et libre, en revanche, est d’éliminer toute dépendance désordonnée aux choses. Tout doit être placé en Dieu comme centre et fin de la vie. Le processus long et fatigant de purification exige certainement un effort personnel, mais le véritable protagoniste est Dieu : tout ce que l’homme peut faire est d’«être disposé», être ouvert à l’action divine et ne pas Lui opposer d’obstacle. En vivant les vertus théologales, l’homme s’élève et donne une valeur à son engagement. Le rythme de croissance de la foi, de l’espérance et de la charité va de pair avec l’œuvre de purification et avec l’union progressive avec Dieu jusqu’à se transformer en Lui. Lorsque l’on parvient à cet objectif, l’âme est plongée dans la vie trinitaire elle-même, de sorte que saint Jean affirme qu’elle parvient à aimer Dieu avec le même amour que celui avec lequel Il l’aime, car Il l’aime dans l’Esprit Saint. Voilà pourquoi le Docteur mystique soutient qu’il n’existe pas de véritable union d’amour avec Dieu si elle ne culmine pas dans l’union trinitaire. Dans cet état suprême, l’âme sainte connaît tout en Dieu et ne doit plus passer à travers les créatures pour arriver à Lui. L’âme se sent désormais inondée par l’amour divin et se réjouit entièrement en lui.

   Chers frères et sœurs, à la fin demeure la question : ce saint, avec sa mystique élevée, avec ce chemin difficile vers le sommet de la perfection, a-t-il quelque chose à nous dire à nous également, au chrétien normal qui vit dans les circonstances de cette vie actuelle, ou est-il un exemple, un modèle uniquement pour quelques âmes élues, qui peuvent réellement entreprendre ce chemin de la purification, de l’ascèse mystique ?
Pour trouver la réponse, nous devons avant tout tenir compte du fait que la vie de saint Jean de la Croix n’a pas été un «envol sur les nuages mystiques», mais a été une vie très dure, très pratique et concrète, tant comme réformateur de l’ordre, où il rencontra de nombreuses oppositions, que comme supérieur provincial, ou dans les prisons de ses confrères, où il était exposé à des insultes incroyables et à de mauvais traitements physiques. Cela a été une vie dure, mais précisément au cours des mois passés en prison, il a écrit l’une de ses œuvres les plus belles. Et ainsi, nous pouvons comprendre que le chemin avec le Christ, aller avec le Christ, «le Chemin», n’est pas un poids ajouté au fardeau déjà assez difficile de notre vie, ce n’est pas quelque chose qui rendrait encore plus lourd ce fardeau, mais il s’agit d’une chose totalement différente, c’est une lumière, une force, qui nous aide à porter ce fardeau. Si un homme porte en lui un grand amour, cet amour lui donne presque des ailes, et il supporte plus facilement toutes les épreuves de la vie, car il porte en lui cette grande lumière ; telle est la foi : être aimé par Dieu et se laisser aimer par Dieu en Jésus Christ. Se laisser aimer est la lumière qui nous aide à porter le fardeau de chaque jour. Et la sainteté n’est pas notre œuvre, très difficile, mais elle est précisément cette «ouverture» : ouvrir les fenêtres de notre âme pour que la lumière de Dieu puisse entrer, ne pas oublier Dieu car c’est précisément dans l’ouverture à Sa lumière que se trouve la force, la joie des rachetés.

   Prions le Seigneur afin qu’Il nous aide à trouver cette sainteté, à nous laisser aimer par Dieu, qui est notre vocation à tous et la véritable rédemption. Merci.

Christ en croix dessiné par Saint Jean de la Croix

Dessin de Saint Jean de la Croix

2022-123. Le résumé de la vie et du martyre de Sainte Cécile tel qu’il se trouve dans les leçons du second nocturne des matines de sa fête.

22 novembre,
Fête de Sainte Cécile, vierge et martyre ;
Mémoire de Saint Calmin, confesseur.

   Quand on procède à une recherche sur Sainte Cécile, on se trouve très fréquemment aux prises avec des textes qui mettent en doute, de manière plus ou moins franche et plus ou moins complète, la tradition pluriséculaire concernant sa vie et son martyre.
Au moment de la réforme liturgique qui a suivi le concile vaticandeux, ses promoteurs voulaient carrément supprimer la fête de Sainte Cécile, au prétexte que sa vie serait « légendaire » : elle n’a été finalement maintenue qu’en raison de la popularité de son culte et des véhémentes protestations que firent alors entendre musiciens et choristes. On remarque toutefois que l’oraison du missel et du bréviaire réformés n’attribue plus à Sainte Cécile les qualificatifs de vierge et de martyre !!!
Voici pourquoi, nous voulons porter à la connaissance de nos lecteurs la traduction des « leçons », c’est-à-dire des lectures, du second nocturne des matines de la fête de Sainte Cécile dans le bréviaire traditionnel. Ces leçons donnent en effet le « résumé officiel » de ce que l’Eglise, dans sa Tradition immémoriale – non retouchée par les modernistes -, sait et transmet au sujet de la jeune et glorieuse vierge martyre, céleste protectrice des musiciens et chanteurs, ainsi que de la musique sacrée.

La gloire de Sainte Cécile - Sebastiano Conca

Sebastiano Conca (1680-1764) : la gloire de Sainte Cécile
(peinture à la voûte de la nef de la basilique de Sainte-Cécile au Transtévère, à Rome)

Quatrième leçon : 

   La vierge Cécile, née à Rome de parents illustres, et élevée dès son enfance dans les principes de la foi chrétienne, consacra à Dieu sa virginité. Mais dans la suite, ayant été contrainte d’épouser Valérien, elle lui tint ce discours, le soir de ses noces : « Valérien, je suis placée sous la garde d’un Ange qui protège ma virginité : c’est pourquoi ne teniez rien à mon égard, de peur d’attirer sur vous la colère de Dieu ». Vivement ému de ces paroles, Valérien n’osa point s’approcher d’elle, il ajouta même qu’il croirait en Jésus-Christ, s’il voyait cet Ange. Cécile lui ayant répondu que cela n’était pas possible à moins qu’il n’eût reçu le baptême, il déclara, dans son ardent désir de voir l’Ange, qu’il voulait être baptisé. C’est pourquoi, d’après le conseil de la jeune vierge, il se rendit auprès du Pape Urbain qui, à cause de la persécution, se tenait caché parmi les tombeaux des Martyrs, sur la voie Appia, et il reçut le baptême de ses mains.

Le Dominiquin - Sainte Cécile devant le juge - St Louis des Français

Domenico Zampieri, dit Le Dominiquin (1581-1641) : Sainte Cécile devant le juge Almachius
(fresque de la chapelle Polet, en l’église Saint-Louis des Français, à Rome)

Cinquième leçon : 

   De retour auprès de Cécile, Valérien la trouva en prière, ayant à ses côtés un Ange resplendissant d’une clarté toute divine. Cette vue le frappa d’étonnement ; mais dès qu’il fut revenu de sa frayeur, il manda auprès de lui son frère Tiburce qui, ayant été instruit par Cécile dans la foi de Jésus-Christ et baptisé par le même Pape Urbain, mérita aussi de voir cet Ange que son frère avait vu. Peu de temps après, tous les deux souffrirent courageusement le martyre, sous le préfet Almachius. Celui-ci n’ayant pas tardé à donner l’ordre de s’emparer de Cécile, lui demanda tout d’abord où se trouvaient les richesses de Tiburce et de Valérien.

Le Dominiquin - la mort de Sainte Cécile - St Louis des Français

Domenico Zampieri, dit Le Dominiquin (1581-1641) : la mort de Sainte Cécile
(fresque de la chapelle Polet, en l’église Saint-Louis des Français, à Rome)

Sixième leçon : 

   La vierge lui ayant répondu que toutes ses richesses avaient été distribuées aux pauvres, le préfet entra dans une si grande fureur, qu’il ordonna de la ramener chez elle, pour être brûlée dans la salle des bains. Elle y passa un jour et une nuit, sans ressentir aucunement les atteintes de la flamme. On envoya donc le bourreau qui, l’ayant frappée de trois coups de hache, et n’ayant pu lui trancher la tête, la laissa à moitié morte. Trois jours après, le dixième jour des calendes de décembre, sous l’empire d’Alexandre, son âme s’envola dans le ciel, parée de la double couronne du martyre et de la virginité. Le Pape Urbain inhuma lui-même son corps dans le cimetière de Calixte. On a fait de sa demeure une église consacrée sous son vocable. Son corps et ceux des Papes Urbain et Lucius, de Tiburce, de Valérien et de Maxime ont été transférés dans la Ville, par le souverain Pontife Pascal Ier, et déposés dans cette même église de sainte Cécile.

Oraison de la fête de Sainte Cécile :

     O Dieu, qui nous réjouissez par la solennité annuelle de la Bienheureuse Cécile, Votre Vierge et Martyre, daignez nous faire la grâce d’imiter par une vie sainte, les exemples de celle à qui nous rendons aujourd’hui nos hommages. Par Jésus-Christ…

Tombe de Sainte Cécile - confession de la basilique de Sainte-Cécile au Transtévère

Tombeau de Sainte Cécile
surmonté du chef-d’œuvre de Stefano Maderno reproduisant de manière exacte
le corps incorrompu de la sainte tel qu’il a pu le voir en 1599

(basilique de Sainte-Cécile au Transtévère, à Rome, édifiée à l’emplacement de la demeure de Sainte Cécile)

palmes

2022-121. « Aucune souffrance ne put faire fléchir le courage de ceux dans le cœur desquels l’amour de Dieu régnait en souverain. »

18 novembre,
Fête de la dédicace des basiliques de Saint Pierre et de Saint Paul ;
Mémoire de la Bienheureuse Marie du Refuge et de ses compagnes, vierges et martyres (cf. > ici).

       Depuis les débuts de l’Eglise, le martyre a été compris et célébré comme l’une des plus grandes preuves d’amour que l’homme puisse donner à Dieu : tous les Apôtres l’ont subi (car même si Saint Jean n’en est pas mort, il l’a néanmoins subi), et dans toute la suite des siècles jusqu’à nos jours d’innombrables cohortes de martyrs jalonnent l’histoire de la Sainte Eglise, lui apportant de nouveaux titres de gloire et une fécondité spirituelle renouvelée.
A la suite des Saints Pierre et Paul, qui ont répandu leur sang à Rome et dont les tombeaux, sur lesquels s’élèvent aujourd’hui de splendides basiliques, sont vénérés depuis les jours qui ont suivi leur ensevelissement, comme des « trophées », les Visitandines de Madrid dont nous célébrons aussi aujourd’hui la commémoraison, ont versé leur sang par amour.
Nous proposons donc à votre méditation ce court sermon de notre Bienheureux Père Saint Augustin qui exalte la grandeur du martyre.

Agneau mystique van Eyck - détail 1

Les divers chœurs des saints célébrant le culte de l’Agneau dans le paradis
(détail du retable de l’Agneau mystique de Jan Van Eyck – cathédrale Saint-Bavon, Gand)

nika

« Aucune souffrance ne put faire fléchir le courage de ceux dans le cœur desquels l’amour de Dieu régnait en souverain. »

Sermon de notre Bienheureux Père Saint Augustin
pour la fête des martyrs

§ 1. Les chrétiens célèbrent la gloire des martyrs dont la mort, comme celle de Jésus-Christ, est précieuse parce qu’elle est union à la croix :

   Nous chanterons avec amour le suave refrain du psaume spirituel ; nous célébrerons en chœur la mort des saints ; nous emprunterons au Prophète, au chantre du Saint-Esprit, ses accents inspirés, et y joignant notre voix, nous dirons : « La mort des saints est précieuse devant Dieu » (Ps. CXV, 15). Que le démon par lui-même ou par ses complices suscite contre les saints de Dieu des supplices d’une cruauté inouïe, qu’il les frappe à coups de fouets, qu’il les déchire avec des ongles de fer, qu’il les broie sur le chevalet, qu’il les brûle tout vivants, qu’il s’acharne sur leurs membres carbonisés, qu’il élève des croix, qu’il plante des poteaux, qu’il appelle les bêtes féroces, qu’il construise des précipices ; tout cela est vain, car ceux qui sont embrasés du désir des biens célestes, ceux qui attendent la récompense promise dans l’éternité, se montrent pleins de mépris pour les choses présentes ; la vie de la terre n’inspire que dégoût à ceux que possède l’amour de la vie éternelle. Celui qui porte sa croix et suit Jésus-Christ ne peut aimer le monde ; car ce monde est le foyer de tous les vices. De là cette parole de Jésus-Christ dans l’Evangile : « Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il Me suive » (Matth. XVI, 24). « Qu’il porte sa croix », comme si Jésus-Christ eût dit : Qu’il porte Ma croix, car celui qui portera Ma croix la fera sienne. Celui donc qui aura porté la croix du Sauveur, aura part également à Sa récompense. Pour des âmes généreuses, la mort est comme l’abrégé de tous ces biens.

§ 2. La croix donne son sens aux souffrances du chrétien, par amour pour le Christ et dans la perspective de l’éternité :

   Viennent ensuite les persécutions extérieures, et la couronne du martyr sera complète quand arrivera le jour de la récompense : « Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il se renonce lui-même ». O précieuse jalousie de Dieu ! Selon cette parole : Notre Dieu est jaloux ; Il veut que vous L’aimiez jusqu’à commencer à vous haïr : aimez-Moi, dit-Il, et ne vous aimez pas vous-même ; renoncez-vous à vous-même et conservez vous pour Moi ; soyez Mien, ne soyez pas vôtre ; que votre vie soit suspendue à Ma croix, parce que Ma croix conserve votre vie. Je ne veux pas que vous vous aimiez ; aimez-Moi, car si vous M’aimez, vous vous aimerez ; tandis que vous aimer sans Moi, ce serait vous haïr. Aimez-vous cette vie ? Aimez plutôt Celui qui vous a donné la vie elle-même. Aimez-vous votre corps ? Aimez plutôt votre Créateur qui a formé votre corps. Pourquoi aimeriez-vous ce qui doit périr ? Aimez ce qui est éternel. L’amour des choses présentes est un amour périssable ; l’amour des choses futures est un amour éternel ; l’amour des choses présentes finit avec le temps présent, tandis que c’est par la mort elle-même que nous parvenons à la récompense de l’immortalité. C’est ainsi que les saints Prophètes en aimant le Seigneur ont haï le monde. C’est ainsi que ces trois enfants invincibles ont méprisé leur propre vie et ont triomphé de la flamme de la fournaise. C’est ainsi que Daniel, par l’empire de sa sainteté, a vaincu les bêtes féroces. Le vieillard Eléazar, malgré son grand âge, a pu montrer un courage héroïque, parce que dans sa jeunesse il avait foulé aux pieds le monde. La bienheureuse mère des Machabées, souffrant dans sa propre personne, après avoir souffert dans la personne de chacun de ses sept enfants, a surmonté son amour et son sexe, et a sacrifié les impulsions les plus naturelles de son coeur. Les Apôtres nous ont enseigné et ont prouvé par leur propre conduite qu’ils préféraient mourir pour Jésus-Christ plutôt que de vivre pour la terre ; leurs enseignements et leurs exemples rappellent sans cesse aux fidèles le bonheur de souffrir. Enfin les saints martyrs ont donné leur vie pour Jésus-Christ, et se sont renoncés eux-mêmes afin de se donner tout entiers à leur Créateur. Ils ont méprisé les supplices, les tourments, les croix, le feu, le gibet, les bêtes féroces ; aucune souffrance ne put faire fléchir le courage de ceux dans le cœur desquels l’amour de Dieu régnait en souverain.

§ 3. Le martyre est la grande victoire chrétienne :

   Les saints ont toujours méprisé cette misérable vie de la terre, et se montraient disposés à embrasser pour Dieu toutes les souffrances ; voilà pourquoi l’on peut dire de leur mort qu’elle « est précieuse devant Dieu » ; de toutes les choses du monde, aucune ne leur paraissait digne d’occuper leur cœur. Qu’ils soient suspendus à la croix, qu’ils soient jetés à la dent des bêtes féroces, leur mort, quelle qu’elle soit, est précieuse, parce qu’elle est la possession solennelle de leur foi. C’est d’eux que Salomon a dit : « Quoiqu’ils aient souffert toute sorte de tourments devant les hommes, leur espérance est pleine d’immortalité ; et après des souffrances d’un moment ils seront comblés de bonheur pendant l’éternité » (Sages. III, 4-5). De là aussi ces belles paroles de l’Apôtre : « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? sera-ce l’affliction, les déplaisirs, la faim, la nudité, les périls, la persécution, le fer ? Selon qu’il est écrit : On nous fait mourir tous les jours pour l’amour de Vous, Seigneur ; on nous regarde comme des brebis destinées à être égorgées. Mais, parmi tous ces maux, nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni la violence, ni tout ce qu’il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu, en Jésus-Christ Notre-Seigneur » (Rom. VIII, 35-38).

Agneau mystique van Eyck - détail 2

L’Agneau immolé et victorieux
(détail du retable de l’Agneau mystique de Jan Van Eyck – cathédrale Saint-Bavon, Gand)

nika

2022-119. Sainte Gertrude la Grande, nous montre que le cœur d’une vie heureuse est l’amitié avec Jésus, et cette amitié s’apprend dans l’amour pour les Ecritures Saintes, dans l’amour pour la liturgie, dans la foi profonde, dans l’amour pour Marie…

16 novembre,
Fête de Sainte Gertrude d’Helfta, dite la Grande.

       Sainte Gertrude d’Helfta est l’une des plus grandes parmi les mystiques authentiques de la Sainte Eglise, et nous l’avons en grande vénération en notre Mesnil-Marie, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire, dès les commencements de cet humble blogue (cf. > ici, et > ici). Nous sommes donc heureux de vous livrer ci-dessous un excellent résumé de sa vie, de ses œuvres et de la doctrine spirituelle qu’elle a développée sous l’action des grâces très particulières d’union à Dieu dont elle a été gratifiée, qu’avait proposé Sa Sainteté le Pape Benoît XVI dans l’un de ses riches enseignements hebdomadaires.

Vision de Sainte Gertrude d'Helfta

Sainte Gertrude la Grande,
nous montre que le cœur d’une vie heureuse est l’amitié avec Jésus,
et cette amitié s’apprend dans l’amour pour les Ecritures Saintes,
dans l’amour pour la liturgie, dans la foi profonde,
dans l’amour pour Marie…

Catéchèse de
Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

à l’occasion de l’audience générale
du mercredi 6 octobre 2010

Chers frères et sœurs,

   Sainte Gertrude la Grande, dont je voudrais vous parler aujourd’hui, nous conduit cette semaine aussi au monastère de Helfta, où sont nés certains des chefs-d’œuvre de la littérature religieuse féminine latino-allemande. C’est à ce monde qu’appartient Gertrude, l’une des plus célèbres mystiques, seule femme en Allemagne à recevoir l’épithète de «Grande», en raison de sa stature culturelle et évangélique : à travers sa vie et sa pensée, elle a influencé de manière singulière la spiritualité chrétienne. C’est une femme exceptionnelle, dotée de talents naturels particuliers et d’extraordinaires dons de grâce, d’une profonde humilité et d’un zèle ardent pour le salut du prochain, d’une intime communion avec Dieu dans la contemplation et de disponibilité à venir au secours des plus démunis.

   A Helfta, elle se mesure, pour ainsi dire, systématiquement à sa maîtresse Mathilde [ou Mechtilde] de Hackeborn, dont j’ai parlé à l’audience de mercredi dernier (cf. > ici) ; elle noue des relations avec Mathilde de Magdebourg, une autre mystique médiévale ; elle grandit en recevant les soins maternels, doux et exigeants, de l’abbesse Gertrude. De ces trois consœurs, elle puise des trésors d’expérience et de sagesse ; elle les élabore dans sa propre synthèse, en parcourant son itinéraire religieux avec une confiance sans limite dans le Seigneur. Elle exprime la richesse de la spiritualité non seulement de son monde monastique, mais aussi et surtout biblique, liturgique, patristique et bénédictin, avec un timbre tout à fait personnel et de façon très communicative.

   Elle naît le 6 janvier 1256, en la fête de l’Epiphanie, mais l’on ne sait rien ni de ses parents, ni de son lieu de naissance. Gertrude écrit que le Seigneur Lui-même lui révèle le sens de ce premier déracinement : «Je l’ai choisie pour ma demeure parce que je vois avec délices que tout ce que les hommes aiment dans cette Elue est mon œuvre propre […] Aussi je l’ai exilée en quelque sorte loin de tous ses parents, afin que personne ne l’aimât à ce titre et que je fusse le seul motif de l’affection qu’on aurait pour elle» (Les Révélations, I, 16).

   A l’âge de cinq ans, en 1261, elle entre au monastère, comme c’était souvent le cas à l’époque, pour la formation et l’étude. Elle y passe toute son existence, dont elle signale elle-même les étapes les plus significatives. Dans ses mémoires, elle rappelle que le Seigneur l’a prévenue avec une patience compatissante et une infinie miséricorde, en oubliant les années de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse, passées — écrit-elle — «dans un tel aveuglement, que si vous ne m’aviez donné une horreur naturelle du mal, un attrait pour le bien avec les sages conseils de mon entourage, il me semble que je serais tombée dans toutes les occasions de faute, sans remords de conscience, absolument comme si j’avais été une païenne […]. Cependant Vous m’aviez choisie dès ma plus tendre enfance, afin de me faire grandir au milieu des vierges consacrées, dans le sanctuaire béni de la Religion» (ibid., II, 23 ).

   Gertrude est une étudiante extraordinaire, elle apprend tout ce que l’on peut apprendre des sciences du Trivium et du Quadrivium, la formation de cette époque ; elle est fascinée par le savoir et se donne tout entière à l’étude profane avec ardeur et ténacité, avec une réussite scolaire dépassant toutes les attentes. Si nous ne savons rien de ses origines, elle nous dit beaucoup de ses passions de jeunesse : littérature, musique et chant, art de l’enluminure la ravissent ; elle a un caractère fort, décidé, immédiat et impulsif ; elle dit souvent être négligente ; elle reconnaît ses défauts, elle en demande humblement pardon. Elle demande avec humilité conseil et prière pour sa conversion. Certains traits et défauts de son tempérament l’accompagneront jusqu’à la fin, au point de surprendre certaines personnes s’étonnant que le Seigneur lui donne une telle préférence.

   En tant qu’étudiante, elle se consacre ensuite entièrement à Dieu dans la vie monastique et pendant vingt ans, rien d’exceptionnel n’a lieu : l’étude et la prière constituent son activité principale. En raison de ses qualités, elle excelle parmi ses consœurs ; elle fait preuve de ténacité pour consolider sa culture dans divers domaines. Mais, au cours de l’Avent 1280, elle commence à ressentir un dégoût pour tout cela, en perçoit la vanité, et le 27 janvier 1281, quelques jours seulement avant la fête de la purification de la Vierge, vers l’heure des Complies, le soir, le Seigneur illumine ses denses ténèbres. Avec délicatesse et douceur, Il calme le trouble qui l’angoisse, trouble que Gertrude voit comme un don même de Dieu «pour renverser la tour de vaine gloire et de curiosité élevée par mon orgueil. Orgueil insensé car je ne méritais même pas de porter le nom et l’habit de la Religion. Toutefois c’était bien le chemin que vous choisissiez, ô mon Dieu, pour me révéler votre salut» (Ibid., II, 1, p. 87). La vision d’un jeune homme la guide pour démêler le nœud d’épines qui opprimait son âme, en la prenant par la main. Dans cette main, Gertrude reconnaît «les joyaux précieux des plaies sacrées qui ont annulé tous les titres qui pouvaient nous être opposés» (ibid., II, 1, p. 89), et reconnaît Celui qui sur la Croix nous a sauvés par Son Sang, Jésus.

   A partir de ce moment, sa vie de communion intime avec le Seigneur s’intensifie, en particulier au cours des temps liturgiques les plus significatifs — l’Avent et Noël, Carême et Pâques, les fêtes de la Vierge — même lorsque, malade, elle ne pouvait se rendre au chœur. C’est le même humus liturgique que Mathilde, sa maîtresse, que Gertrude décrit toutefois à travers des images, des symboles et des termes plus simples et linéaires, plus réalistes, avec des références plus directes à la Bible, aux Pères, au monde bénédictin.

   Sa biographe indique deux directions de ce que nous pourrions définir sa «conversion» particulière : dans les études, avec le passage radical des études humanistes profanes à celles théologiques, et dans l’observance monastique, avec le passage de la vie qu’elle qualifie de négligente à la vie de prière intense, mystique, avec une exceptionnelle ardeur missionnaire. Le Seigneur, qui l’avait choisie dans le sein maternel et qui l’avait fait participer, dès son enfance, au banquet de la vie monastique, la ramène par Sa grâce «des choses extérieures à la contemplation intérieure, des occupations terrestres au soin des choses célestes». Gertrude comprend alors qu’elle était restée loin de Lui dans une région de dissemblance, comme elle dit avec saint Augustin ; de s’être consacrée avec trop d’ardeur aux études libérales, à la sagesse humaine, en négligeant la science spirituelle, se privant du goût de la véritable sagesse ; elle est conduite à présent à la montagne de la contemplation, où elle se dépouille du vieil homme pour se revêtir de l’homme nouveau. «C’est ainsi que de grammairienne elle devint théologienne, relisant sans cesse les pages divines qu’elle pouvait se procurer, et remplissant son cœur des plus utiles et des plus douces sentences de la Sainte Ecriture. Aussi avait-elle toujours à sa disposition la Parole de Dieu afin de satisfaire ceux qui venaient la consulter et de réfuter toute idée fausse par des témoignages de la Sainte Ecriture employés si à propos, qu’on n’y trouvait rien à objecter» (ibid., I, 1, p. 25).

   Gertrude transforme tout cela en apostolat : elle se consacre à écrire et à divulguer la vérité de la foi avec clarté et simplicité, grâce et persuasion, servant avec amour et fidélité l’Eglise, au point d’être utile et appréciée par les théologiens et les personnes pieuses. Il nous reste peu de son intense activité, notamment en raison des événements qui conduisirent à la destruction du monastère d’Helfta. Outre Le Héraut de l’Amour Divin ou Les Révélationsil nous reste les Exercices spirituels, un rare joyau de la littérature mystique spirituelle.

   En ce qui concerne l’observance religieuse, notre sainte est «donc une très forte colonne de la Religion, un défenseur si zélé de la justice et de la vérité» (ibid., I, 1, ), dit sa biographe. A travers les mots et l’exemple, elle suscite chez les autres une grande ferveur. Aux prières et à la pénitence de la règle monastique, elle en ajoute d’autres avec une telle dévotion et un tel abandon confiant en Dieu, qu’elle suscite chez ceux qui la rencontrent la conscience d’être en présence du Seigneur. Et de fait, Dieu Lui-même lui fait comprendre qu’Il l’a appelée à être un instrument de Sa grâce. Gertrude se sent indigne de cet immense trésor divin, elle confesse qu’elle ne l’a pas conservé et valorisé. Elle s’exclame : «Je vous offre la douleur que j’éprouve [...] de ne m’être pas servie avec soin et révérence des dons que j’avais reçus. Ne m’eussiez-vous donné, en souvenir de vous, à moi si indigne, qu’un léger fil de lin, j’aurais dû le recevoir avec un respect infini» (ibid., I, 5). Mais, reconnaissant sa pauvreté et son indignité, elle adhère à la volonté de Dieu : «j’ai dû combattre mon goût personnel — affirme-t-elle —, et considérer qu’ayant si peu profité de Vos grâces, elles ne pouvaient m’avoir été accordées pour moi seule, puisque Votre sagesse éternelle ne se trompe en rien. O Dispensateur de tous les biens, qui m’avez comblée gratuitement de tant de grâces, faites au moins qu’en lisant cet écrit, le cœur d’un de Vos amis soit ému par Votre condescendance, et Vous remercie de ce que, pour l’amour des âmes, Vous avez conservé si longtemps au milieu des souillures de mon cœur une pierre précieuse d’un tel prix» (ibid., II, 5).

   En particulier, deux faveurs lui sont plus chères que toutes les autres, comme Gertrude l’écrit elle-même : «La première est l’empreinte que Vous avez formée sur mon cœur, par les splendides joyaux de Vos plaies sacrées. La seconde est cette blessure d’amour si profonde et si efficace que, (dussé-je vivre mille ans dans le plus complet délaissement), je goûterais sans cesse un bonheur ineffable au souvenir de ces deux bienfaits. Ils me seraient à chaque heure une source suffisante de consolation, de lumière et de gratitude. Pour ajouter à ces faveurs, Vous m’avez encore admise à l’incomparable familiarité de Votre tendresse, en m’offrant l’arche très noble de Votre divinité, c’est-à-dire Votre Cœur sacré, pour que j’y trouve mes délices [...]. Enfin Vous m’avez donné pour avocate Votre très douce Mère la bienheureuse Vierge Marie, me recommandant plusieurs fois à elle avec autant de tendresse qu’en mettrait un époux à confier à sa propre mère l’épouse qu’il s’est choisie» (ibid., II, 23).

   Tendue vers la communion sans fin, elle conclut sa vie terrestre le 17 novembre 1301 ou 1302 à l’âge d’environ 46 ans. Dans le septième Exercice, celui de la préparation à la mort, sainte Gertrude écrit : «O Jésus, Toi qui m’es immensément cher, sois toujours avec moi, pour que mon cœur demeure avec Toi et que Ton amour persévère avec moi sans possibilité de division et que mon trépas soit béni par Toi, afin que mon esprit, libéré des liens de la chair, puisse immédiatement trouver le repos en Toi. Amen» (Exercices, Milan 2006, p. 148).

   Il me semble évident que ces choses ne sont pas seulement des choses du passé, historiques, mais l’existence de sainte Gertrude reste une école de vie chrétienne, de voie droite, et nous montre que le cœur d’une vie heureuse, d’une vie véritable, est l’amitié avec Jésus, le Seigneur. Et cette amitié s’apprend dans l’amour pour les Ecritures Saintes, dans l’amour pour la liturgie, dans la foi profonde, dans l’amour pour Marie, de manière à connaître toujours plus réellement Dieu lui-même et le bonheur véritable, but de notre vie. Merci.

Sacré-Coeur

2022-118. Desseins de paix et d’amour.

23ème dimanche après la Pentecôte :
[Epitre : Philipp. III, 17-21 ; IV, 1-3 - Evangile : Matth. IX, 18-26]

Dicit Dominus - introït 23ème dimanche

Introït du 23ème dimanche après la Pentecôte

Desseins de paix et d’amour :

Présence de Dieu :

Accomplissez en moi, Seigneur, Vos desseins de paix et d’amour en me faisant ressusciter à une vie pleinement fervente.

Méditation :

   1 – Malgré l’idéal élevé, le désir de sainteté, nous nous retrouvons toujours pleins de misères, toujours en dette avec Dieu, et quand nous nous approchons de Lui, notre âme tremble à bon droit : comment nous accueillera-t-Il ? Ne nous repoussera-t-Il pas ?
La réponse diffère largement de celle que nous mériterions : « Je sais, Moi, le dessein que Je forme pour vous… dessein de paix et non de malheur… Alors, quand vous M’invoquerez et que vous viendrez M’adresser vos prières, Je vous écouterai… Je vous ramènerai en ce lieu d’où Je vous ai exilés » (Jérém. XXIX, 11, 12, 14).
Ces consolantes paroles, que nous lisons aujourd’hui dans l’Introït de la Messe, ouvrent notre cœur aux plus douces espérances : Dieu nous aime, en dépit de tout, Il est toujours notre Père et veut nous libérer de l’esclavage de nos passions, de notre faiblesse. Alors, spontanément, l’humble invocation de la Collecte nous monte aux lèvres : « Que Votre bonté, Seigneur, nous délivre des liens des péchés que notre faiblesse nous a fait contracter ». L’humilité, l’aveu sincère de nos torts, est toujours le point de départ de notre conversion.
Saint Paul nous parle de conversion dans l’épître : « Il en est beaucoup, je vous l’ai dit souvent et je le redis aujourd’hui avec larmes, qui se conduisent en ennemis de la Croix du Christ… Ils n’apprécient que les choses de la terre » (Philipp. III, 18, 19). Pratiquement, chaque fois que nous fuyons le sacrifice, que nous protestons contre la douleur, recherchons les satisfactions égoïstes, nous nous comportons en ennemis de la Croix de Jésus, et ainsi notre vie devient trop terrestre, trop attachée aux créatures, trop pesante pour tendre au Ciel.
Nous devons nous convertir, nous détacher, nous souvenir que « notre cité se trouve dans les cieux » (Philipp. III, 20), qu’il est donc nécessaire d’embrasser de bon gré les fatigues du voyage de retour vers la patrie bienheureuse. Pour nous encourager, Saint Paul nous met devant les yeux les splendeurs de la vie éternelle : « Le Seigneur Jésus-Christ transfigurera notre corps de misère pour le conformer à Son corps de gloire » (Philipp. III, 20, 21).
Tel est le « dessein de paix », tels sont les grands desseins d’amour que le Père céleste conçoit à notre sujet : nous libérer de l’esclavage du péché et nous conformer à Son Fils au point de nous rendre participants de Sa résurrection glorieuse. Desseins merveilleux, mais qui ne se réaliseront que si nous les secondons. « Ainsi donc, nous supplie l’Apôtre, mes frères bien-aimés et tant désirés, ma joie et ma couronne, tenez bons de la sorte dans le Seigneur » (Philipp. IV, 1).
Tenir bon, c’est-à-dire être stable dans la conversion, ferme dans l’humilité, la confiance, l’amour de la Croix.

guérison de l'hémorroïsse

   2 – L’Evangile de ce jour nous donne un exemple vivant de cette transformation que Dieu veut accomplir en nous et de la manière dont Il réalise Ses desseins de paix dans ceux qui s’approchent de Lui avec un cœur humble et confiant.
Avant tout l’hémorroïsse : son mal est tenace, il résiste depuis douze ans à tous les remèdes. La pauvre femme, humiliée et honteuse, n’ose pas, comme les autres malades, se présenter directement à Jésus. D’autre part, sa foi est si grande qu’« elle se disait en elle-même : Si seulement je touche Son manteau, je serai sauvée. Jésus se retournant l’aperçut et lui dit : Confiance, ma fille, ta foi t’a sauvée » (Matth. IX, 21-22). Aucune demande, aucune supplication extérieure, mais ce qui touche le Seigneur, c’est la prière de ce cœur humble, confiant, plein de foi.
Jésus veut guérir nos âmes, de même que l’hémorroïsse, mais Il attend des dispositions semblables aux siennes.
Trop facilement, nous nous contentions de prières dites du bout des lèvres, tandis que notre cœur est froid et absent. Jésus, au contraire, regarde le cœur, Il veut une prière qui parte du cœur, un cri d’humilité, de confiance, qui monte tout droit vers Son Cœur divin. Du reste, combien ne sommes-nous pas plus fortunés que l’hémorroïsse ! Elle parvient une seule fois à toucher la frange du manteau de Jésus, tandis que notre âme, dans la Sainte Communion, jouit du contact quotidien avec Son Corps et Son Sang. Oh ! si notre foi était grande comme un grain de sénevé !
Suit le second miracle. La fille de Jaïre n’est pas malade, elle est morte ; mais il n’est pas plus difficile à Jésus de ressusciter un mort que de guérir un malade. En vrai Seigneur de la vie et de la mort, Il « prit la main de la fillette et celle-ci se dressa ». Jésus est notre résurrection, non seulement pour la vie éternelle, lorsqu’à Son signe notre corps ressuscitera glorieux et rejoindra notre âme, mais Il est notre résurrection dès cette vie : résurrection de la mort du péché à la vie de la grâce, résurrection d’une vie tiède à une vie fervente et sainte.
Approchons-nous de Jésus avec l’humilité et la confiance de l’hémorroïsse, et prions-Le de tout cœur d’accomplir en nous Ses desseins d’amour, en nous arrachant à la médiocrité grise d’une vie spirituelle encore entravée par les liens de l’égoïsme, pour nous élancer résolument vers la sainteté.

résurrection de la fille de Jaïre

Colloque :

       « O Seigneur, comme nous payons mal Votre amitié, puisque nous redevenons si promptement Vos mortels ennemis ! Ah ! Qu’elle est grande Votre miséricorde ! Et quel ami plus patient pourrions-nous trouver ? Si pareille chose arrivait une seule fois entre deux amis, ils ne pourraient plus l’oublier et ils ne renoueraient jamais cette amitié étroite qui les unissait précédemment. Mais que de fois ne manquons-nous pas de cette manière envers Vous, et pendant combien d’années ne nous attendez-Vous pas? Soyez béni, ô mon Seigneur et mon Dieu, de ce que Vous nous supportez avec une si tendre compassion. On dirait que Vous oubliez Votre grandeur pour ne point châtier, comme il serait juste, une trahison aussi perfide ! » (Sainte Thérèse de Jésus, in « Pensées sur l’amour de Dieu » II).

   « O Jésus, Vous êtes ma paix, car par Vous j’ai accès près du Père, parce qu’il a plu au Père de pacifier par le Sang de Votre Croix tout ce qui est, soit sur la terre, soit dans les cieux.
Voilà Votre œuvre en face de toute âme de bonne volonté, et c’est le travail que Votre immense, Votre trop grand amour Vous presse de faire en moi. Vous voulez être ma paix. Par le Sang de Votre Croix, Vous pacifierez tout dans le petit ciel de mon âme… Vous me remplirez de Vous, Vous m’ensevelirez en Vous, me ferez vivre avec Vous de Votre vie.
Et si à tout instant je tombe, dans une foi confiante je me ferai relever par Vous, et je sais que Vous me pardonnerez, que Vous effacerez tout avec un soin jaloux ; plus que cela : Vous me dépouillerez, me délivrerez de mes misères, de tout ce qui fait obstacle à l’action divine ; Vous entraînerez toutes mes puissances et les ferez vos captives. Alors je serai toute passée en Vous et pourrai dire : Je ne vis plus, c’est Jésus-Christ qui vit en moi » (Sainte Elisabeth de la Trinité).

Rév. Père Gabriel de Sainte Marie-Madeleine, ocd
in « Intimité divine ».

nika

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