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2014-39. « Il est descendu aux enfers ».

La descente de Notre-Seigneur Jésus-Christ aux enfers :

       Redisons que c’est là un dogme, enseigné et cru depuis les Saints Apôtres, et insistons une nouvelle fois pour affirmer que les Apôtres n’ont eu connaissance de cet « évènement » que parce qu’ils l’ont appris de la bouche même de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
La publication que nous avons faite, à l’occasion du Samedi Saint, de l’homélie pascale attribuée à Saint Epiphane (cf. > « Eveille-toi, ô toi qui dors… ») nous a valu un certain nombre de messages et de questions, car, là encore je me répète, beaucoup de chrétiens ne comprennent pas vraiment tout ce que signifie cette « descente aux enfers » et toute la richesse de ce mystère.
C’est pourquoi j’ai résolu de vous recopier ci-dessous l’intégralité du commentaire de cet article du « Symbole des Apôtres » rédigé par Saint Thomas d’Aquin, qui n’exprime pas là une opinion personnelle mais qui synthétise l’enseignement des Saintes Ecritures et des Pères de l’Eglise à ce sujet.

Descente aux limbes, Duccio, Maesta, Sienne

Duccio di Buoninsegna : le Christ aux enfers (détail de la Maestà – Sienne)

   § 77. – Comme nous l’avons dit, la mort du Christ a consisté, comme pour les autres hommes, dans la séparation de son âme d’avec son corps mais la divinité était unie de façon si indissoluble au Christ homme que, malgré la séparation de son âme d’avec son corps, la divinité elle-même s’est trouvée toujours parfaitement présente et unie à l’un et à l’autre ; c’est pourquoi le Fils de Dieu fut dans le sépulcre avec son corps et il est descendu aux enfers avec son âme.

   § 78. – Le Christ est descendu aux enfers avec son âme pour quatre motifs.

Le premier motif, ce fut de supporter toute la peine due au péché, afin, par là, de l’expier entièrement. Or la peine du péché de l’homme ne consistait pas seulement dans la mort du corps, mais aussi dans la souffrance de l’âme. L’âme, en effet, elle aussi avait péché, et elle était également punie par la privation de la vision de Dieu.

C’est pourquoi, avant l’avènement du Christ, tous, même les saints Patriarches, descendaient après leur mort aux enfers.

Le Christ, pour souffrir toute la peine due aux pécheurs, voulut donc, non seulement mourir, mais aussi descendre avec son âme aux enfers. Aussi déclare-t-il : « On me compte parmi ceux qui descendent dans la fosse : je suis comme un homme sans secours, libre parmi les morts » (Ps. LXXXVII, 5-6). Les autres, en effet, étaient là comme des esclaves, mais le Christ y était comme une personne jouissant de la liberté.

   § 79. – Le second motif de la descente du Christ aux enfers, ce fut de secourir parfaitement tous ses amis. Il possédait en effet des amis non seulement dans le monde, mais aussi dans les enfers. Car vous êtes les amis du Christ, dans la mesure où vous avez la charité. Or, dans les enfers, il y en avait beaucoup qui étaient morts avec la charité et la foi au Christ qui devait venir : ce fut le cas, par exemple, d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse, de David et des autres hommes justes et parfaits. Et parce que le Christ avait visité les siens dans le monde et les avait secourus par sa mort, il voulut aussi visiter les siens qui étaient dans les enfers, et les secourir par sa descente auprès d’eux. « Je pénétrerai toutes les profondeurs de la terre, je visiterai tous ceux qui dorment, et j’illuminerai tous ceux qui espèrent dans le Seigneur » (Eccli. XXIV, 45).

   § 80. – Le troisième motif de la descente de Jésus aux enfers fut de triompher complètement du diable. En effet, quelqu’un triomphe complètement d’un adversaire, non seulement quand il l’emporte sur lui sur le champ de bataille, mais aussi quand il l’attaque jusque dans sa propre maison et qu’il la lui ravit ainsi que le siège même de son empire. Or le Christ avait triomphé dans sa lutte contre le diable et il l’avait vaincu sur la croix ; c’est pourquoi il déclara : « C’est maintenant le jugement de ce monde ; c’est maintenant que le Prince de ce monde – à savoir le diable – va être jeté dehors » (Jean XII, 31). Aussi pour triompher de lui complètement, il voulut lui enlever le siège de son royaume et l’enchaîner dans sa demeure, qui sont les enfers. C’est pourquoi il y descendit et il lui ravit tous ses biens, il l’enchaîna et lui enleva sa proie. Saint Paul écrit en effet aux Colossiens : « Il a dépouillé les Principautés et les Puissances et, avec résolution, il les a traînées dans le déploiement de son propre triomphe » (Col. II, 15).

Le Christ avait reçu en sa possession le ciel et la terre, et toute puissance lui avait été donnée sur l’un et sur l’autre ; pareillement, il voulut aussi recevoir les enfers en sa possession. Et ainsi s’accomplit ce qu’écrira l’Apôtre aux Philippiens : « Qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse aux cieux, sur terre et aux enfers » (Phil. II, 10) et Jésus lui-même avait dit : « En mon nom, ils expulseront les démons » (Marc XVI, 17).

   § 81. – Le quatrième et dernier motif de la descente du Christ aux enfers fut de délivrer les saints qui s’y trouvaient présents.

De même en effet que le Christ voulut souffrir la mort, pour délivrer les vivants de la mort, de même il voulut descendre aux enfers pour libérer ceux qui y demeuraient. Aussi pouvons-nous lui adresser les paroles du prophète Zacharie : « Vous, Seigneur par le sang de votre alliance, vous avez retiré vos captifs de la fosse sans eau » (Zach. IX, 11). Le Seigneur a accompli la parole du prophète Osée : « O mort, je serai ta mort ; enfer, je serai ta morsure ! » (Os. XIII, 14).

En effet, bien que le Christ ait entièrement détruit la mort, il n’a pas complètement anéanti les enfers, mais il les a comme mordus ; car il n’a pas libéré tous les captifs des enfers, mais ceux-là seuls qui étaient exempts du péché mortel et également du péché originel, soit que la circoncision les en ait délivrés quant à leur personne, soit que, avant que Dieu n’ait donné la circoncision aux Patriarches, ils aient été sauvés, ou bien par la foi de leurs parents fidèles – s’ils étaient privés de l’usage de la raison – , ou bien – s’ils étaient adultes – par des sacrifices et par la foi au Christ qui devait venir : mais ils demeuraient dans les enfers à cause du péché originel d’Adam, dont le Christ seul pouvait les libérer selon la nature.

C’est pourquoi le Christ laissa en enfer ceux qui y étaient descendus en état de péché mortel, ainsi que les enfants incirconcis. C’est la raison pour laquelle, s’adressant à l’enfer, il lui déclare : « Je serai ta morsure, enfer ! ».

Ainsi donc le Christ est descendu aux enfers, et pour les quatre motifs que nous venons d’exposer.

   § 82. – Nous pouvons y puiser, pour notre instruction, quatre leçons.

Premièrement, une ferme espérance en Dieu, Car quelque grande que soit l’affliction dans laquelle un homme est plongé, il doit cependant toujours espérer dans le secours de Dieu et mettre sa confiance en lui. On ne peut pas en effet trouver d’état plus pénible que de demeurer dans les enfers. Si donc le Christ a délivré ceux qui s’y trouvaient, quiconque, s’il est l’ami de Dieu, doit avoir une grande confiance d’être délivré par lui de n’importe quelle détresse.

Il est écrit en effet au Livre de la Sagesse : « La divine Sagesse n’abandonna pas le juste vendu ; elle descendit avec lui dans la fosse et ne le quitta pas dans les chaînes » (Sag. X, 13-14). Et parce que Dieu vient spécialement en aide à ses serviteurs, l’homme qui sert Dieu doit vivre dans une grande sécurité. « Celui qui craint le Seigneur », dit en effet l’Ecclésiastique, « ne se troublera jamais, il n’aura pas peur, parce que Dieu est son espérance » (Eccli. XXXIV, 16).

   § 83. – En deuxième lieu, nous devons concevoir de la crainte à l’égard de Dieu et bannir la présomption. En effet, bien que le Christ ait souffert pour les pécheurs et qu’il soit descendu aux enfers, il n’en a pas délivré tous les captifs, mais seulement, comme nous l’avons dit, les âmes exemptes de péché mortel. Il y laissa ceux qui étaient morts avec ce péché. Que tous ceux qui y descendent en cet état n’espèrent donc pas le pardon. Mais ils demeureront aussi longtemps dans les enfers que les saints dans le Paradis, c’est-à-dire éternellement. Le Christ a déclaré en effet : « Les maudits s’en iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle » (Math. XXV, 46).

   § 84. – En troisième lieu, nous devons faire preuve de grande vigilance, car le Christ est descendu aux enfers pour notre salut. Oui, nous devons être attentifs à y descendre fréquemment en esprit, pour considérer les peines qu’on y souffre, comme le faisait le saint roi Ezéchias, quand il déclarait : « J’ai dit, au milieu de mes jours je m’en vais aux portes de l’enfer » (Is. XXXVIII, 10). Ceux en effet qui, durant leur vie, descendent souvent dans les enfers en pensée, n’y descendent pas facilement à l’heure de la mort car la considération attentive des tourments éternels retire l’homme du péché. Ne voyons-nous pas les habitants de ce monde se garder des mauvaises actions dans la crainte des peines temporelles ? Combien plus doivent-ils se détourner du mal, dans l’appréhension des peines de l’enfer, car celles-ci surpassent grandement les souffrances d’ici-bas par leur durée, leur amertume et leur multiplicité. « Souviens-toi de ta fin », dit l’Ecclésiastique , « et tu ne pécheras jamais » (Eccli. VII, 40).

   § 85. – En quatrième lieu, la venue du Christ aux enfers nous offre un exemple d’amour. Jésus est en effet descendu aux enfers pour délivrer les siens, c’est pourquoi nous devons nous aussi nous y rendre en esprit pour venir en aide aux nôtres.

Les âmes du purgatoire en effet, ne peuvent rien faire pour elles-mêmes ; notre devoir est donc de leur porter secours. Ne serait-il pas extrêmement cruel, celui qui se désintéresserait d’un être cher enfermé dans une prison terrestre ? Comme il n’y a aucune comparaison entre les peines de ce monde et les souffrances de ce lieu de purification, combien plus cruel ne sera pas celui qui laisserait sans secours un ami retenu dans le purgatoire ? « Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous du moins, mes amis », disait le saint homme Job, « car la main de Dieu m’a frappé » (Job XIX, 21). Et nous lisons au deuxième Livre des Macchabées : « C’est une pensée sainte et salutaire de prier pour les défunts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés » (2 Mac. XII, 46).

   § 86. – D’après saint Augustin, on peut secourir les âmes du purgatoire principalement par trois bienfaits, à savoir par des messes, par des prières et par des aumônes. Saint Grégoire en ajoute un quatrième le jeûne. Il n’y a là rien d’étonnant, puisque même en ce monde un ami peut satisfaire pour un ami.

   § 87. – Il est nécessaire à l’homme de connaître deux réalités à savoir la gloire de Dieu et le châtiment de l’enfer. Attirés, en effet par la gloire et effrayés par les châtiments, les hommes veillent sur eux-mêmes et se retirent du péché. Mais il est très difficile à l’homme de les connaître. Ainsi, au sujet de la gloire, il est dit dans la Sagesse : « Qui donc pénétrera ce qui est dans le ciel ? » (Sag. IX, 16). C’est sans aucun doute une oeuvre difficile pour les habitants de la terre, car, dit saint Jean : « Celui qui est de la terre parle de la terre » (Jean III, 31) ; tandis que découvrir ce qui est dans les cieux est chose facile pour les êtres spirituels. Le même saint Jean dit en effet, dans le même passage : « Celui qui vient d’en-haut est au-dessus de tous ». Or c’est précisément pour nous enseigner les choses célestes que Dieu est descendu du ciel et s’est incarné.

Il était pareillement difficile de connaître les peines de l’enfer. Le Livre de la Sagesse met en effet cette parole dans la bouche des impies : « On ne connaît personne qui soit revenu des enfers » (Sag. II, 1). Mais maintenant il n’est plus possible de tenir un tel propos ; en effet, comme le Christ est descendu du ciel pour nous enseigner les choses célestes, de même il est ressuscité des enfers pour nous instruire au sujet des enfers. Il est donc nécessaire que nous croyions, non seulement à l’Incarnation du Christ et à sa mort, mais aussi à sa résurrection d’entre les morts. Et c’est pourquoi il est dit dans le « Je crois en Dieu » : Le troisième jour il est ressuscité des morts.

Saint Thomas d’Aquin – in commentaire du Symbole des Apôtres.

nika

2014-38. « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ! »

Samedi Saint :
« Il est descendu aux enfers ».

Voici le texte d’une très célèbre homélie de l’antiquité chrétienne, qui a longtemps été attribuée à Saint Epiphane, mais à tort semble-t-il.
Peu importe en réalité par qui elle fut écrite, ce qui compte c’est son contenu ; nous avons ici l’explicitation de ce que nous proclamons dans le symbole des Apôtres : « Il est descendu aux enfers ».
Le dogme de la descente du Seigneur Jésus-Christ aux enfers est enseigné et cru depuis les Apôtres, qui n’ont pu connaître cet évènement du mystère du salut que de la bouche même de Notre-Seigneur lorsqu’Il a achevé de les instruire, après Sa Résurrection ; mais on peut regretter que beaucoup de fidèles dans l’Eglise latine ne prêtent pas assez attention à ce mystère et ne le méditent pas autant qu’il conviendrait.

Icône Anastasis

L’Anastasis ( Η Ανάστασις , en grec = le Relèvement) : représentation traditionnelle de l’Orient chrétien
illustrant tout à la fois le Christ aux enfers et Sa Résurrection.

« Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé et s’est calmée parce que Dieu S’est endormi dans la chair et qu’Il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Dieu est mort dans la chair, et les enfers ont tressailli. Dieu S’est endormi pour un peu de temps, et Il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…

Il va chercher Adam, notre premier Père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va, pour délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens et Eve, captive avec lui, Lui qui est en même temps leur Dieu et leur Fils.
Descendons donc avec Lui pour voir l’Alliance entre Dieu et les hommes…

Là se trouve Adam, le premier Père, et comme premier créé, enterré plus profondément que tous les condamnés.
Là se trouve Abel, le premier mort et comme premier pasteur juste, figure du meurtre injuste du Christ pasteur.
Là se trouve Noé, figure du Christ, le constructeur de la grande arche de Dieu, l’Église.
Là se trouve Abraham, le père du Christ, le sacrificateur, qui offrit à Dieu par le glaive et sans le glaive un sacrifice mortel sans mort.
Là demeure Moïse, dans les ténèbres inférieures, lui qui a jadis séjourné dans les ténèbres supérieures de l’arche de Dieu.
Là se trouve Daniel dans la fosse de l’enfer, lui qui, jadis, a séjourné sur la terre dans la fosse aux lions.
Là se trouve Jérémie, dans la fosse de boue, dans le trou de l’enfer, dans la corruption de la mort.
Là se trouve Jonas dans le monstre capable de contenir le monde, c’est-à-dire dans l’enfer, en signe du Christ éternel.

Et parmi les Prophètes il en est un qui s’écrie : « Du ventre de l’enfer, entends ma supplication, écoute mon cri ! » et un autre : « Des profondeurs, je crie vers Toi, Seigneur, écoute mon appel ! » ; et un autre : « Fais briller sur nous Ta Face et nous serons sauvés… »

Mais, comme par Son avènement le Seigneur voulait pénétrer dans les lieux les plus inférieurs, Adam, en tant que premier Père et que premier créé de tous les hommes et en tant que premier mortel, lui qui avait été tenu captif plus profondément que tous les autres et avec le plus grand soin, entendit le premier le bruit des pas du Seigneur qui venait vers les prisonniers. Et il reconnut la voix de Celui qui cheminait dans la prison, et, s’adressant à ceux qui étaient enchaînés avec lui depuis le commencement du monde, il parla ainsi : « J’entends les pas de quelqu’un qui vient vers nous. »

Et pendant qu’il parlait, le Seigneur entra, tenant les armes victorieuses de la Croix. Et lorsque le premier père, Adam, Le vit, plein de stupeur, il se frappa la poitrine et cria aux autres : « Mon Seigneur soit avec vous ! »
Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ! »
Et, lui ayant saisi la main, Il lui dit : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. »
Je suis ton Dieu et, à cause de toi, Je suis devenu ton Fils. Lève-toi, toi qui dormais, car Je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Relève-toi d’entre les morts, Je suis la Vie des morts. Lève-toi, œuvre de Mes mains, toi, Mon effigie, qui a été faite à Mon image. Lève-toi, partons d’ici, car tu es en Moi et Je suis en toi. A cause de toi, Moi ton Dieu, Je suis devenu ton fils ; à cause de toi, Moi ton Seigneur, J’ai pris la forme d’esclave ; à cause de toi, Moi qui demeure au-dessus des cieux, Je suis descendu sur la terre et sous la terre. Pour toi, homme, Je me suis fait comme un homme sans protection, libre parmi les morts. Pour toi qui es sorti du jardin, J’ai été livré aux juifs dans le jardin, et J’ai été crucifié dans le jardin…
Regarde sur Mon visage les crachats que J’ai reçus pour toi afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur Mes joues la trace des soufflets que J’ai subis pour rétablir en Mon image ta beauté détruite. Regarde sur Mon dos la trace de la flagellation que J’ai reçue afin de te décharger du fardeau de tes péchés qui avait été imposé sur ton dos. Regarde Mes mains qui ont été solidement clouées au bois à cause de toi qui autrefois as mal étendu tes mains vers le bois… Je Me suis endormi sur la croix et la lance a percé Mon côté à cause de toi qui t’es endormi au paradis et as fait sortir Eve de ton côté. Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et Mon sommeil te fait sortir maintenant du sommeil de l’enfer.
Lève-toi et partons d’ici, de la mort à la vie, de la corruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous et partons d’ici et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel.
Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de chérubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le Royaume des Cieux qui existait avant tous les siècles vous attend. »

nika

Voir aussi, ci-après, les explications de St Thomas d’Aquin
concernant la descente de Notre-Seigneur aux enfers > ici

2014-37. La Croix et la bénédiction.

4 janvier,
fête de Sainte Angèle de Foligno.

       Je livre ci-dessous à votre méditation le trente-quatrième chapitre du « Livre des visions et instructions » de Sainte Angèle de Foligno (cf. > ici), il est intitulé : « La Croix et la bénédiction » et contient de très grandes et consolantes promesses de bénédiction à l’intention de ceux ont compassion des souffrances de notre divin Sauveur.

Jehan Fouquet Piéta

Jehan Fouquet : déposition de Croix.

La Croix et la bénédiction :

Sainte Angèle de Foligno
(in « Visions et instructions », chap. XXXIV).

       « Un jour j’étais à la messe dans l’église Saint-François. On approchait de l’élévation et le choeur des Anges retentissait : Sanctus ! Sanctus ! Sanctus ! …etc. ; mon âme fut emportée et ravie dans la lumière incréée ; elle fut attirée, elle fut absorbée, et voici une plénitude ineffable, ineffable, en vérité.

   Regardez comme rien, comme absolument rien, tout ce qui peut être exprimé en langue humaine.
O création inénarrable du Dieu incréé et tout-puissant, les louanges qu’on peut chanter sont de la poussière auprès de Vous !
Absorption sacrée de l’abîme où me plonge la main du Dieu ravissant, après votre transport, mais encore sous l’influence qui l’avait précédé, m’apparut l’image du Dieu crucifié, comme un instant après la descente de croix ; le sang était frais et rouge et coulant encore des blessures et les plaies étaient récentes.

   Alors dans les jointures je vis les membres disloqués ; j’assistai au brisement intérieur qu’avait produit sur la croix l’horrible tiraillement du corps, je vis ce qu’elles avaient fait, les mains homicides. Je vis les nerfs, je vis les jointures, je vis le relâchement, l’allongement contre nature qu’avaient fait dans le supplice – quand ils avaient tiré sur les bras et sur les jambes – les déicides. Mais la peau s’était tellement prêtée à cette tension, que je n’y voyais aucune rupture.
Cette dissolution des jointures, cette horrible tension des nerfs, qui me permit de compter les os, me perça le coeur d’un trait plus douloureux que la vue des plaies ouvertes. Le secret de la Passion, le secret des tortures de Jésus, le secret de la férocité des bourreaux, m’était montré plus intimement dans la douleur des nerfs que dans l’ouverture des plaies, dans le dedans que dans le dehors.
Alors je sentis le supplice de la compassion ; alors, au fond de moi-même, je sentis dans les os et dans les jointures une douleur épouvantable, et un cri qui s’élevait comme une lamentation, et une sensation terrible, comme si j’avais été transpercée tout entière, corps et âme.

   Ainsi absorbée et transformée en la douleur du Crucifié, j’entendis Sa voix bénir les dévoués qui imitaient Sa Passion et qui avaient pitié de Lui :
«Soyez bénis, disait-Il, soyez bénis par la main du Père, vous qui avez partagé et pleuré Ma Passion, vous qui avez lavé vos robes dans mon Sang. Soyez bénis, vous qui, rachetés de l’enfer par les immenses douleurs de Ma croix, avez eu pitié de Moi ; soyez bénis, vous qui avez été trouvés dignes de compatir à Ma torture, à Mon ignominie, à Ma pauvreté. Soyez bénies, ô fidèles mémoires ! Vous qui gardez au fond de vous le souvenir de Ma Passion !
Ma Passion, unique refuge des pécheurs ; Ma Passion, vie des morts ; Ma Passion, miracle de tous les siècles, vous ouvrira les portes du royaume éternel que J’ai conquis pour vous, par elle.
Dans les siècles des siècles, vous qui avez eu pitié, vous partagerez la gloire !
Soyez bénis par le Père, soyez bénis par l’Esprit-Saint, bénis en esprit et en vérité par la bénédiction que Je donnerai au dernier jour ; car Je suis venu chez Moi, et au lieu de Me repousser comme un persécuteur, vous avez offert au Dieu désolé l’hospitalité sacrée de votre amour !
J’étais nu sur la croix, J’avais faim, J’avais soif, Je souffrais, Je mourais, J’étais pendu par leurs clous, vous avez eu pitié! Soyez bénis, ouvriers de miséricorde !
A l’heure terrible, à l’heure épouvantable, Je vous dirai : Venez, les bien-aimés de Mon Père ! car J’avais faim sur la terre, et vous M’avez offert le pain de la pitié… »

   Il ajouta des choses étonnantes ; mais ce qui est absolument impossible, c’est d’exprimer l’amour qui brillait sur ceux qui ont pitié : « O bienheureux ! ô bénis ! Suspendu à la croix, J’ai crié, pleuré et prié pour Mes bourreaux : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! » Qu’est-ce que Je ferai, qu’est-ce que Je dirai pour vous, pour vous qui avez eu pitié, pour vous qui M’avez tenu compagnie, pour vous Mes dévoués, qu’est-ce que Je dirai pour vous, quand J’apparaîtrai, non pas sur la croix, mais dans la gloire, pour juger le monde ? »

   Je demeurai frappée au fond, beaucoup plus émue que je ne puis le dire ; les affections qui me venaient de la croix sont au-dessus des paroles. Il ajouta plusieurs paroles qui me mirent en feu ; mais je n’ai ni la volonté ni le pouvoir de les écrire. »

Jehan Fouquet Piéta - détail

Jehan Fouquet : déposition de Croix (détail).

Sa Sainteté Benoît XVI : catéchèse présentant Ste Angèle de Foligno > ici
Ste Angèle de Foligno : « les voies de la délivrance » > ici
Ste Angèle de Foligno : « Ce n’est pas pour rire que Je t’ai aimée » > ici

2014-35. « Devant le Crucifix, nul ne peut se trouver innocent ! »

Francisco de Zurbaran crucifixion

Francisco de Zurbaran : Crucifixion.

« Devant le Crucifix, nul ne peut se trouver innocent ! »

- notes de prédication de l’abbé Henri Huvelin -

« Il semble que, du haut de Sa croix, le divin Sauveur désire, avant toute chose vous attirer à Lui.
Avec une sorte d’impatience Il disait : « Quand Je serai élevé de terre, J’attirerai tout à Moi ».
Là, Il nous donne plusieurs leçons.

Vous pensez : « Où est la beauté de la vie ? »…
On se lasse de se dévouer et l’on pense : « A quoi bon ? », trois petits mots terribles qui viennent entraver tout élan généreux.
Où est le beau de la Vie ?
Il est dans le sacrifice, le dévouement ; dans l’amour qui va jusqu’à la mort.

La leçon que le Christ veut d’abord vous donner, c’est de vous éclairer sur le vrai sens de la Vie.
Ne craignez pas d’êtres dupes, si vous êtes dupes avec Jésus qui se donne.
C’est pour cela que nous sommes avec Lui : pour nous donner, pour nous dévouer et toujours, et encore, et jusqu’au bout.
Il nous a aimés jusqu’au bout de Son Coeur, jusqu’au bout de Lui-même.
Voilà la première leçon.

Vous êtes des âmes qui souffrent…
Qui que vous soyez, le Divin Maître vous voit, dit votre nom.
Vous êtes des âmes qui portent la souffrance ; s’Il l’a prise avec Lui, ce n’est pas pour la supprimer !
La douleur venue de Dieu est chargée par Lui de faire de grandes choses au fond du coeur de l’homme ; et le Maître a voulu nous montrer comment il faut souffrir.
Avec Lui, ce n’est plus cette douleur qui rend amer, qui rapetisse ou aigrit ; mais une douleur qui se tourne en bonté.

Voyez la douleur du Sauveur : « Mon Dieu, pardonnez-leur ! » est un des derniers cris de Son Ame.
Sa douleur s’échappe en une exclamation, en une invitation de bonté, en une bénédiction qui retombe sur les auteurs de Ses souffrances.

La douleur vous visite-t-elle ?… Ne la tournez pas en amertume, en je ne sais quel masque sceptique… Plus vous souffrirez avec Jésus, plus la souffrance vous rendra meilleurs.

Le Divin Maître s’est proposé de nous apprendre à souffrir. Nous sommes à Ses pieds ; en Le voyant, frappons notre poitrine. Il faut avoir le sentiment de ses péchés et de sa faute.
Devant le Crucifix, nul ne peut se trouver innocent !
Là on voit combien on est coupable ; et c’est le sentiment que le Maître en Croix veut nous donner : le regret de nos fautes !
Non pas un regret amer, désespéré. Non pas une espèce de mépris de soi qui succède à la faute et devient la plus grande de toutes les fautes ! Mais la douleur qui espère ; le sentiment qui se tourne en repentir et en espérance.

Sur la Croix passe la justice de Dieu.
Oui, elle frappe terriblement, on ne peut le nier.
Mais sur la Croix passe l’infinie Miséricorde ; et, si on se sent coupable, que l’on vienne aux pieds de ce Jésus frappé pour nos péchés ; il faut voir combien nous avons été coupables, mais aussi combien nous avons été aimés !

Que cette douleur même soit noyée dans l’amour !

Magdeleine apporte aux pieds du Sauveur, peu de temps avant Sa mort, un vase plein de parfums… C’étaient les trésors de son âme, les nouvelles dispositions de son coeur relevé.
Mais qu’étaient ce trésor, ce parfum précieux, auprès du Sang du Maître qui coulait sur elle, qui se répandait sur son âme pécheresse et la purifiait, l’embellisait ?

Le Christ est mort pour nous faire sentir ce qu’est le péché. Dans un mouvement sincère, déclarons notre faute. Frappons notre poitrine. Reconnaissons la Justice de Dieu, mais aussi Son immense Amour.
Reconnaissons-le dans ce sourire divin, dans ce regard qui va vers Dieu.
Reconnaissons-le par le repentir et la connaissance de nous-mêmes.

Par ses fautes mêmes, on conçoit dans un sentiment profond – douloureux à force d’être pénétrant – ce qu’est Sa Miséricorde, Sa Bonté ! »

nika

2014-33. Ô Annonciation miraculeuse !

25 mars,
Fête de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie.
C’est aussi aujourd’hui l’anniversaire du miracle de « l’osier sanglant » (25 mars 1649).

Annonciation Charles Poerson

Charles Poerson : l’Annonciation (1651-1652)

Sermon de notre glorieux Père Saint Augustin
sur
l’Annonciation.

§ 1 – Joie de l’Eglise qui célèbre le mystère de l’Incarnation.

   Le Verbe éternel Se faisant homme, et daignant habiter parmi les hommes, tel est le grand mystère que célèbre aujourd’hui l’Église universelle, et dont elle salue chaque année le retour par des transports de joie.
Après l’avoir une première fois reçu pour sa propre rédemption, le monde fidèle en a consacré le souvenir de génération en génération, afin de perpétuer l’heureuse substitution de la vie nouvelle à la vie ancienne. Maintenant donc, lorsque le miracle depuis longtemps accompli nous est remis annuellement sous les yeux dans le texte des divines Écritures, notre dévotion s’enflamme et s’exhale en chants de triomphe et de joie.

§ 2 – La salutation de l’ange Gabriel.

   Le saint Évangile que nous lisions nous rappelait que l’archange Gabriel a été envoyé du ciel par le Seigneur pour annoncer à Marie qu’elle serait la mère du Sauveur.
L’humble Vierge priait, silencieuse et cachée aux regards des mortels ; l’ange lui parla en ces termes : « Je vous salue, Marie, » dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » (Luc I, 28).
Ô annonciation miraculeuse ! ô salutation céleste, apportant la plénitude de la grâce et illuminant ce cœur virginal !
L’ange était descendu porté sur ses ailes de feu et inondant de clartés divines la demeure et l’esprit de Marie. Député par le Juge suprême et chargé de préparer à son Maître une demeure digne de Lui, l’ange, éblouissant d’une douce clarté, pénètre dans ce sanctuaire de la virginité, rigoureusement fermé aux regards de la terre : « Je vous salue, Marie, » dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » ; Celui qui vous a créée vous a prédestinée ; Celui que vous devez enfanter vous a remplie de Ses dons.

§ 3 – Trouble et inquiétude de la Vierge.

   A l’aspect de l’ange, la Vierge se trouble et se demande quelle peut être cette bénédiction. Dans son silence humble et modeste, elle se rappelle le vœu qu’elle a formé, et, jusque-là, tout à fait étrangère au langage d’un homme, elle se trouble devant un tel salut, elle est saisie de stupeur devant un tel langage, et n’ose d’abord répondre au céleste envoyé.
Plongée dans l’étonnement, elle se demandait à elle-même d’où pouvait lui venir une telle bénédiction. Longtemps elle roula ces pensées dans son esprit, oubliant presque la présence de l’ange que lui rappelaient à peine quelques regards fugitifs attirés par l’éclat de l’envoyé céleste. Elle hésitait donc et s’obstinait dans son silence ; mais l’ambassadeur de la Sainte Trinité, le messager des secrets célestes, le glorieux archange Gabriel, la contemplant de nouveau, lui dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu ; voici que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous le nommerez Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu Lui donnera le trône de David Son père ; Il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et Son règne n’aura pas de fin » (Luc I, 30-31).
Alors Marie, pesant sérieusement ces paroles de l’ange et les rapprochant de son vœu de virginité perpétuelle, s’écria : « Comment ce que vous me dites pourra-t-il se réaliser, puisque je ne connais point d’homme ? » Aurai-je un fils, moi qui ne connais point d’homme ? Porterai-je un fruit, moi qui repousse l’enfantement ? Comment pourrai-je engendrer ce que je n’ai point conçu ? De mon sein aride, comment pourrai-je allaiter un fils, puisque jamais l’amour humain n’est entré dans mon cœur et n’a pu me toucher.

§ 4 – Marie concevra en demeurant vierge.

   L’ange répliqua : « Il n’en est point ainsi, Marie, il n’en est point ainsi ; ne craignez rien ; que l’intégrité de votre vertu ne vous cause aucune alarme ; vous resterez vierge et vous vous réjouirez d’être mère ; vous ne connaîtrez point le mariage, et un fils fera votre joie ; vous n’aurez aucun contact avec un homme mortel, et vous deviendrez l’épouse du Très-Haut, puisque vous mettrez au monde le Fils de Dieu. Joseph, cet homme chaste et juste, qui est pour vous, non point un mari mais un protecteur, ne vous portera aucune atteinte ; mais « l’Esprit-Saint surviendra en vous », et, sans qu’il s’agisse ici d’un époux et d’affections charnelles, « la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ».
Ô séjour digne de Dieu ! Avant que l’ange ne lui eût fait connaître clairement le Fils qui lui était promis au nom du Ciel, Marie ne laissa échapper de ses lèvres pudiques aucune parole d’assentiment.

§ 5 – Marie donne son assentiment au mystère – Saint Augustin l’illustre par de nombreuses citations des livres sacrés.

   Mais dès qu’elle sut que sa virginité ne subirait aucune atteinte, dès qu’elle en reçut l’attestation solennelle, faisant de son cœur un sanctuaire digne de la Divinité, elle répondit : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Comme si elle eût dit : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt », puisque mon sein doit rester intact. « Qu’il me soit fait selon votre parole », ô glorieux archange Gabriel ; qu’il vienne dans sa demeure, « Celui qui a placé sa tente dans le soleil » (Ps. XVIII, 6). Puisque je dois demeurer vierge, « que le Soleil de justice Se lève en moi » (cf. Mal. IV, 2) sous Ses rayons je conserverai ma blancheur, et la fleur de mon intégrité s’épanouira dans une chasteté perpétuelle. « Que le juste sorte dans toute Sa splendeur » (Is. LVI, 1), et que le Sauveur brille « comme un flambeau » (Eccli. XLVIII, 1). Le flambeau du soleil illumine l’univers ; il pénètre ce qui semble vouloir lui faire obstacle, et il n’en jette pas moins ses flots de lumière. Qu’il apparaisse donc aux yeux des hommes « le plus beau des enfants des hommes » ; « qu’Il S’avance comme un époux sort du lit nuptial » (Ps. XLIV, 3) » ; car maintenant je suis assurée de persévérer dans mon dessein.

§ 6 – La génération du Christ Rédempteur est un ineffable mystère.

   Quelle parole humaine pourrait raconter cette génération ? Quelle éloquence serait suffisante pour l’expliquer ?
Les droits de la virginité et de la nature sont conservés intacts, et un fils se forme dans les entrailles d’une vierge. Lorsque les temps furent accomplis, le ciel et la terre purent contempler cet enfantement sacré auquel toute paternité humaine était restée complétement étrangère. Telle est cette ineffable union nuptiale du Verbe et de la chair, de Dieu et de l’homme. C’est ainsi qu’entre Dieu et l’homme a été formé « le Médiateur de Dieu et des hommes, un homme, le Christ Jésus » (1 Tim. II, 5).
Ce lit nuptial divinement choisi, c’est le sein d’une Vierge. Car le Créateur du monde venant dans le monde, sans aucune coopération du monde, et pour racheter le monde de toutes les iniquités qui le souillaient, devait sortir du sein le plus pur et entourer Sa naissance d’un miracle plus grand que le miracle même de la création. Car, comme le dit lui-même le Fils de Dieu et de l’homme, le Fils de l’homme est venu « non point pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jean XII, 47).

§ 7 – C’est en raison de son humilité que Marie est devenue mère de Dieu.

   Ô vous, Mère du Saint des Saints, qui avez semé dans le sein de l’Église le parfum de la fleur maternelle et la blancheur du lis des vallées, en dehors de toutes les lois de la génération et de toute intervention purement humaine ; dites-moi, je vous prie, ô Mère unique, de quelle manière, par quel moyen la Divinité a formé dans votre sein ce Fils dont Dieu seul est le Père.
Au nom de ce Dieu qui vous a faite digne de Lui donner naissance à votre tour, dites-moi, qu’avez-vous fait de bien ? Quelle grande récompense avez-vous obtenue ? Sur quelles puissances vous êtes-vous appuyée ? Quels protecteurs sont intervenus ? A quels suffrages avez-vous eu recours ? Quel sentiment ou quelle pensée vous a mérité de parvenir à tant de grandeur ?
La vertu et la sagesse du Père « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et qui dispose toutes choses avec suavité » (Sages. VIII, 1), le Verbe demeurant tout entier partout, et venant dans votre sein sans y subir aucun changement, a regardé votre chasteté dont Il S’est fait un pavillon, dans lequel Il est entré sans y porter atteinte et d’où Il est sorti en y mettant le sceau de la perfection.
Dites-moi donc comment vous êtes parvenue à cet heureux état ?
Et Marie de répondre : Vous me demandez quel présent m’a mérité de devenir la mère de mon Créateur ? J’ai offert ma virginité, et cette offrande n’était pas de moi, mais de l’Auteur de tout bien ; « car tout don excellent et parfait nous vient du Père des lumières » (Jac. I, 17). Toute mon ambition, c’est mon humilité ; voilà pourquoi « mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur » (Luc I, 47) ; car Il a regardé, non pas ma tunique garnie de nœuds d’or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l’éclat de l’or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé ; mais « Il a regardé l’humilité de Sa servante ».

§ 8 – Douceur et humilité du Verbe Incarné.

   Le Verbe est venu plein de douceur à Son humble servante, selon l’oracle du Prophète : « Gardez-vous de craindre, fille de Sion. Voici venir à vous votre Roi plein de douceur et de bonté, assis sur un léger nuage » (Is. LXII, 11 & Zach. IX, 9 ; Is. XIX, 1 ; Matth. XXI, 5).
Quel est ce léger nuage ? C’est la Vierge Marie dont Il S’est fait une Mère sans égale. Il est donc venu plein de douceur, reposant sur l’esprit maternel, humble, « calme et craignant Ses paroles » (Is. XLVI, 1). Il est venu plein de douceur, remplissant les cieux, S’abaissant parmi les humbles pour arriver aux superbes, ne quittant pas les cieux et présentant Ses propres humiliations pour guérir avec une mansuétude toute divine ceux qu’oppressent les gonflements de l’orgueil.
Ô profonde humilité ! « Ô grandeur infinie des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ; que les jugements de Dieu sont incompréhensibles et Ses voies impénétrables » (Rom. XI, 33).

§ 9 – Par Son Incarnation le Fils de Dieu vient accomplir des merveilles en faveur des hommes.

   Le pain des Anges est allaité par les mamelles d’une mère ; la source d’eau vive jaillissant jusqu’à la vie éternelle demande à boire à la Samaritaine, figure de l’Église ; Il ne refuse pas de manger avec les publicains et les pécheurs, Lui que les Anges au ciel servent dans la crainte et la terreur. Le Roi des rois a rendu à la santé le fils de l’officier, sans employer aucun remède et par la seule efficacité de Sa parole. Il guérit le serviteur du centurion et loue la foi de ce dernier, parce qu’il a cru que le Seigneur commande à la maladie et à la mort comme lui-même commandait à ses soldats. Quelque cruelles que fussent les souffrances de la paralysie, il en trouva la guérison infaillible dans la visite miséricordieuse de Jésus-Christ. Une femme affligée depuis de longues années d’une perte de sang qui faisait de ses membres une source de corruption, s’approche avec foi du Sauveur qui sent aussitôt une vertu s’échapper de Lui et opérer une guérison parfaite.
Mais comment rappeler tant de prodiges ? Le temps nous manque pour énumérer tous ces miracles inspirés à notre Dieu par Sa puissance infinie et Sa bonté sans limite.
Abaissant Sa grandeur devant notre petitesse et Son humilité devant notre orgueil, Il est descendu plein de piété, et, nouveau venu dans le monde, Il a semé dans le monde des prodiges nouveaux.

§ 10 – Par Son Incarnation, le Christ est le tétramorphe qui avait été prophétisé : explication des figures de l’homme, du lion, du bœuf et de l’aigle.

   C’est Lui que les évangélistes nous dépeignent sous différentes figures : l’homme, le lion, le bœuf et l’aigle.
Homme, Il est né d’une Vierge sans le concours de l’homme ; lion, Il S’est précipité courageusement sur la mort et S’est élevé sur la croix par Sa propre vertu ; bœuf, Il a été volontairement immolé dans Sa passion pour les péchés du peuple ; et comme un aigle hardi, Il a repris Son corps, est sorti du tombeau, a fait de l’air le marchepied de sa gloire, « est monté au-dessus des chérubins, prenant Son vol sur les ailes des vents », et maintenant Il siège au ciel, et c’est à Lui qu’appartiennent l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

frise avec lys naturel

2014-32. « Comment voulez-vous que des incompétents puissent discerner les compétences qui les gouverneront ? »

Mardi 18 mars 2014.

        Nous sommes en pleine période électorale et – comme à chaque fois en telles circonstances – certains humains ne me donnent vraiment pas l’impression de se comporter en êtres dotés de raison tant ils semblent atteints par une espèce de prurit mental aliénant toute forme de bon sens…

   Nos amis savent qu’au Mesnil-Marie, même si nous sommes bien loin de nous désintéresser de la situation sociale et politique (au sens noble du mot), nous nous tenons néanmoins à l’extérieur des sollicitations et modes d’action du système actuellement en place (cf. > actualité du Comte de Chambord).

   Notre cher Gustave Thibon, qui ne semblait – malheureusement ! – pas avoir une véritable connaissance de la doctrine légitimiste (car le Légitimisme ne se circonscrit pas à défendre seulement des droits dynastiques, mais possède un corps de doctrine complet et cohérent), a eu cependant d’excellentes remarques politiques dont on peut toujours tirer profit aujourd’hui pour appréhender le système actuel avec recul et intelligence.
En janvier dernier, j’avais publié un extrait des remarquables « Entretiens avec Christian Chabanis » intitulé « Eglise et politique » (ici > Eglise et politique), voici aujourd’hui, tirées du même ouvrage, quelques réflexions de bon sens au sujet de la « démocratie »…
Il convient de les lire  en se souvenant que ces paroles ont été prononcées au début de l’année 1975, sur une grande chaîne de télévision, et que Thibon ne faisait pas là un exposé systématique mais qu’il répondait seulement à des questions à l’attention du grand public : un an après des élections présidentielles où avait été candidat un certain Bertrand Renouvin qui, du coup, passait très simplistement aux yeux de l’opinion pour le « porte-parole du royalisme français », Gustave Thibon a su placer quelques propos de bon sens qui ne permettaient néanmoins pas d’amalgame avec tel mouvement royaliste alors en vue, et qui quelque quarante ans plus tard conservent toute leur pertinence. 

Lully.

Entretiens avec Christian Chabanis

Gustave Thibon :
   « (…) Très souvent aujourd’hui, comme dit Jacques Ellul, quand on parle de démocratie, on désigne n’importe quoi et, très accessoirement, un régime politique. Ce mot devient synonyme d’ouvert, de généreux, de fraternel, etc.
Dernièrement, j’ai été invité à un repas « démocratique » : qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? On m’a répondu que c’était un repas pris en commun ! Comme si ce n’était pas le fait de la plupart des repas !

   Je vous dirai d’autre part que, face à une certaine mythologie de la démocratie qui consiste à faire de ce mot une espèce de panacée, valable pour tous les temps, pour tous les peuples, je me sens très peu démocrate !

   Et je m’oppose encore davantage à une espèce de démocratie formelle dans laquelle, théoriquement et sous l’apparence du bulletin de vote, on confère au peuple tous les pouvoirs et on lui enlève ses droits les plus légitimes par un ensemble de lois, de règlements ou d’interventions abusives de l’Etat.
Dans ce sens-là, je ne suis absolument pas démocrate.
Mais, au contraire, je reste profondément démocrate, dans ce sens que je désire que l’être humain puisse avoir le maximum de libertés et de responsabilités. Chacun à son échelle, bien entendu. Ce qui n’est pas réalisé la plupart du temps par ce qu’on appelle les « démocraties » qui s’enivrent d’autant plus du mot qu’elles négligent la chose ! (…) »

     Christian Chabanis :
– Mais pensez-vous que d’autres formules politiques peuvent coïncider avec l’épanouissement de la liberté individuelle ?

Gustave Thibon :
   « Pourquoi pas ? Il suffit que le pouvoir soit exercé par les meilleurs pour le bien de tous.
Or cherchez la définition du mot « démocratie » dans l’excellent dictionnaire philosophique de Lalande : « régime où le gouvernement est exercé par tous les hommes sans distinction de naissance, de fortune ou de compétence. »
Comment voulez-vous que des incompétents puissent discerner les compétences qui les gouverneront ?
(…) Je répète que le meilleur régime politique est celui où les citoyens jouissent du maximum de libertés individuelles et locales, et où l’Etat joue un rôle de coordinateur et d’arbitre.
Dans un tel régime, la sélection vient en quelque sorte de la base, j’entends du mérite personnel, d’un service social, d’un engagement authentique. Ce qui nous mêne très loin du régime actuel où les responsabilités sont désignées par le bulletin de vote : pure abstraction, puisque les gens votent pour des étiquettes politiques plus que pour des hommes. Et le pire, c’est qu’on fait voter les gens sur des problèmes auxquels ils n’entendent rien, et qu’on oublie de les consulter sur les questions dans lesquelles ils ont intérêt et compétence.
Valéry, qui n’était pas antidémocrate, le disait : la politique est « l’art de consulter les gens sur ce à quoi ils n’entendent rien, et de les empêcher de s’occuper de ce qui les regarde ».
Je rêve d’un pouvoir infiniment plus décentralisé, avec beaucoup plus de libertés locales à la base – ce qui favoriserait la sélection des autorités responsables. Beaucoup mieux que dans un système électoral qui est purement formel et abstrait. »

     Christian Chabanis :
– Si nous résumions votre pensée politique, vous seriez disposé à accepter cette formule : à chaque société convient un régime politique différent ?

Gustave Thibon :
   « Absolument ! Comme pour les individus ! A condition que ce régime assure, je vous le répète, la stabilité de la nation et le maximum de possibilités pour les individus, les familles et les groupes qui la composent. »

     Christian Chabanis :
– Ce qui veut dire que pour la France, par exemple, le système démocratique n’est pas, selon vous, celui qui favorise le plus l’épanouissement de sa liberté ?

Gustave Thibon :
   « Je pourrais répèter le mot de Victor Hugo : « En France, il a dix mille lois entre nous et la liberté ! »
Mais je vous ferai observer d’autre part que, depuis 1789, c’est à dire depuis près de deux siècles, la France a dû user, je ne compte pas, seize ou dix-sept régimes. Ce qui prouve qu’elle n’a trouvé son assiette dans aucun. Les régimes démocratiques ont alterné avec des pouvoirs personnels qui étaient plus durs que les pouvoirs royaux. Il est assez curieux qu’on ait gardé un tel culte de la personnalité dans un pays démocratique ! sans doute parce que la démocratie n’était pas viable ! (…)

   L’important, c’est qu’il existe dans un pays une légitimité ; que les citoyens s’inclinent devant une autorité (…). Mais en France, l’opposition ne s’incline jamais. Les partis politiques vaincus aux élections vous diront que ce n’est pas le vrai peuple qui a parlé ; qu’il s’agit d’une majorité d’emprunt, d’une majorité trompée, d’une majorité de fortune, que sais-je encore ? (…)
Victor Hugo était partisan du suffrage universel. Mais quand Louis-Napoléon fut plebiscité en 1852 à une majorité écrasante, le même Victor Hugo dénia toute valeur à cette élection. Ecoutons-le : « Monsieur Bonaparte, faites décréter par un million de voix, par dix millions de voix, que deux et deux ne font pas quatre, que le plus court chemin pour aller d’un point à un autre n’est pas la ligne droite… Toutes ces voix ne changent rien à la nature des choses. »

Alors ? Quand d’une part on proclame la loi du nombre et que d’autre part on la refuse : comment voulez-vous que le régime soit viable ? (…) »

     Christian Chabanis :
– Et vous pensez qu’il a existé un pouvoir légitime reconnu par tous ?

Gustave Thibon :
    En France ?

     Christian Chabanis :
– En France.

Gustave Thibon :
   « Eh bien, la monarchie !
Reconnu par tous ? Incontestablement, ou du moins par une immense majorité. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, et même au début de la révolution, le principe monarchique n’était pas contesté en France (…). »

(Gustave Thibon « Entretiens avec Christian Chabanis», pp. 75-82. ed. Fayard 1975)

lys 2

2014-31. Le Maître-Chat, ou le conte du Chat botté.

17 mars, fête de Sainte Gertrude de Nivelles.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

Grande fête pour nous les chats aujourd’hui, puisque, ainsi que je vous en avais écrit il y a quelques années, le 17 mars est le jour de notre fête patronale (voir ici > sainte Gertrude de Nivelles).

En cette occasion, je vais donc me permettre de rompre un tantinet l’austérité du grand carême pour vous recopier ci-dessous le texte authentique du fameux conte de Charles Perrault (1628-1703) intitulé « Le Maître-Chat, ou le Chat botté » (seule la graphie a été mise en conformité avec les usages actuels par Charles Deulin, au XIXe siècle) : conte qui est (est-il vraiment nécessaire de le préciser ?) l’un de mes préférés, d’autant que, vous n’ignorez pas que le nom de « Maître-Chat » dont Frère Maximilien-Marie me qualifie souvent, fait explicitement référence au matou particulièrement sagace et avisé de ce célèbre récit.

Beaucoup s’imaginent bien connaître ce conte, alors qu’en réalité ils n’en connaissent que des adaptations.
Beaucoup pensent aussi que Charles Perrault en fut l’auteur, alors qu’il n’en est que le traducteur-adaptateur : à l’origine en effet la première version de cette histoire, vouée ensuite à une si vive popularité, apparaît dans le recueil de l’italien Jean François Straparole de Caravage (1480-1558) intitulé « Les nuits facétieuses » (Le piacevoli notti), qui fut publié à Venise à partir de 1550.
Bref, « Le Maître-Chat, ou le Chat botté » figure dans le manuscrit de 1695 des « Contes de ma mère l’Oye » et lors de la publication deux ans plus tard (1697) par l’éditeur Claude Barbin on y trouve en conclusion deux « moralités » rimées.
Je vous laisse donc avec le texte de Charles Perrault, mais non sans vous avoir prié, chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion, de transmettre mes voeux fraternels de « Bonne fête » à chacun de vos  chats !

pattes de chat Lully.

Manuscrit du Chat botté 1695

Manuscrit du « Maître-Chat, ou le Chat botté, conte » – 1695

Le Maître-Chat

ou  le Chat botté

Un meunier ne laissa pour tous biens, à trois enfants qu’il avait, que son moulin, son âne et son Chat.
Les partages furent bientôt faits : ni le notaire, ni le procureur n’y furent point appelés. Ils auraient eu bientôt mangé tout le pauvre patrimoine. L’aîné eut le moulin, le second eut l’âne, et le plus jeune n’eut que le Chat.
Ce dernier ne pouvait se consoler d’avoir un si pauvre lot : 
« Mes frères, disait-il, pourront gagner leur vie honnêtement en se mettant ensemble ; pour moi, lorsque j’aurai mangé mon chat, et que je me serai fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim. »

chat botté 2

Le Chat, qui entendait ce discours, mais qui n’en fit pas semblant, lui dit d’un air posé et sérieux : « Ne vous affligez point, mon maître, vous n’avez qu’à me donner un sac et me faire faire une paire de bottes pour aller dans les broussailles, et vous verrez que vous n’êtes pas si mal partagé que vous croyez. »

Quoique le maître du Chat ne fît pas grand fond là-dessus, il lui avait vu faire tant de tours de souplesse pour prendre des rats et des souris, comme quand il se pendait par les pieds, ou qu’il se cachait dans la farine pour faire le mort, qu’il ne désespéra pas d’en être secouru dans la misère.

Lorsque le Chat eut ce qu’il avait demandé, il se botta bravement, et, mettant son sac à son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, et s’en alla dans une garenne où il y avait grand nombre de lapins. Il mit du son et des laiterons dans son sac, et s’étendant comme s’il eût été mort, attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore des ruses de ce monde, vînt se fourrer dans son sac pour manger ce qu’il y avait mis. À peine fut-il couché, qu’il eut contentement : un jeune étourdi de lapin entra dans son sac, et le maître Chat, tirant aussitôt les cordons, le prit et le tua sans miséricorde.

Chat botté 3

Tout glorieux de sa proie, il s’en alla chez le roi et demanda à lui parler.
On le fit monter à l’appartement de Sa Majesté, où étant entré, il fit une grande révérence au roi, et lui dit : 
« Voilà, Sire, un lapin de garenne que monsieur le marquis de Carabas (c’était le nom qu’il lui prit en gré de donner à son maître) m’a chargé de vous présenter de sa part.
— Dis à ton maître, répondit le roi, que je le remercie et qu’il me fait plaisir. »

Une autre fois, il alla se cacher dans un blé, tenant toujours son sac ouvert, et lorsque deux perdrix y furent entrées, il tira les cordons et les prit toutes deux. Il alla ensuite les présenter au roi, comme il avait fait du lapin de garenne.
Le roi reçut encore avec plaisir les deux perdrix, et lui fit donner boire.

chat botté 4

Le Chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, à porter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son maître.

Un jour qu’il sut que le roi devait aller à la promenade, sur le bord de la rivière, avec sa fille, la plus belle princesse du monde, il dit à son maître : « Si vous voulez suivre mon conseil, votre fortune est faite : vous n’avez qu’à vous baigner dans la rivière, à l’endroit que je vous montrerai, et ensuite me laisser faire. »

Le marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseillait, sans savoir à quoi cela serait bon.

Chat botté 5

Dans le temps qu’il se baignait, le roi vint à passer, et le Chat se mit à crier de toute ses forces : « Au secours ! Au secours ! Voilà monsieur le marquis de Carabas qui se noie ! »

À ce cri, le roi mit la tête à la portière, et, reconnaissant le Chat qui lui avait apporté tant de fois du gibier, il ordonna à ses gardes qu’on allât vite au secours de monsieur le marquis de Carabas.
Pendant qu’on retirait le pauvre marquis de la rivière, le Chat s’approcha du carrosse et dit au roi, que dans le temps que son maître se baignait, il était venu des voleurs qui avaient emporté ses habits, quoiqu’il eût crié « au voleur ! » de toute ses forces… le drôle les avait cachés sous une grosse pierre.

Chat botté 6

Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garde-robe d’aller quérir un de ses plus beaux habits pour monsieur le marquis de Carabas.

Le roi lui fit mille caresses, et comme les beaux habits qu’on venait de lui donner relevaient sa bonne mine (car il était beau et bien fait de sa personne), la fille du roi le trouva fort à son gré, et le marquis de Carabas ne lui eut pas jeté deux ou trois regards, fort respectueux et un peu tendres, qu’elle en devint amoureuse à la folie.

Le roi voulut qu’il montât dans son carrosse et qu’il fût de la promenade.
Le Chat, ravi de voir que son dessein commençait à réussir, prit les devants, et ayant rencontré des paysans qui fauchaient un pré, il leur dit : 
« Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pré que vous fauchez appartient à monsieur le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté. »

Le roi ne manqua pas à demander aux faucheurs à qui était ce pré qu’il fauchaient : « C’est à monsieur le marquis de Carabas », dirent-ils tous ensemble, car la menace du Chat leur avait fait peur.

Chat botté 7

« Vous avez là un bel héritage, dit le roi au marquis de Carabas.
— Vous voyez, Sire, répondit le marquis ; c’est un pré qui ne manque point de rapporter abondamment toutes les années. »

Le maître Chat, qui allait toujours devant, rencontra des moissonneurs et leur dit : « Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces blés appartiennent à monsieur le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté. »

Le roi, qui passa un moment après, voulut savoir à qui appartenaient tous les blés qu’il voyait.
« C’est à monsieur le marquis de Carabas », répondirent les moissonneurs ; et le roi s’en réjouit encore avec le marquis.
Le Chat, qui allait devant le carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu’il rencontrait, et le roi était étonné des grands biens de monsieur le marquis de Carabas.

Le maître Chat arriva enfin dans un beau château, dont le maître était un ogre, le plus riche qu’on ait jamais vu ; car toutes les terres par où le roi avait passé étaient de la dépendance de ce château.

Chat botté 8

Le Chat, qui eut soin de s’informer qui était cet ogre et ce qu’il savait faire, demanda à lui parler, disant qu’il n’avait pas voulu passer si près de son château sans avoir l’honneur de lui faire la révérence. L’ogre le reçut aussi civilement que le peut un ogre, et le fit reposer.

« On m’a assuré, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toutes sortes d’animaux ; que vous pouviez, par exemple, vous transformer en lion, en éléphant.
— Cela est vrai, répondit l’ogre brusquement, et, pour vous le montrer, vous m’allez voir devenir lion. »
Le Chat fut si effrayé de voir un lion devant lui, qu’il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes, qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles.

Quelque temps après, le Chat, ayant vu que l’ogre avait quitté sa première forme, descendit et avoua qu’il avait eu bien peur.
« On m’a assuré encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits animaux, par exemple de vous changer en un rat, en une souris ; je vous avoue que je tiens cela tout à fait impossible.
— Impossible ! reprit l’ogre ; vous allez voir ! »

Et en même temps il se changea en une souris, qui se mit à courir sur le plancher. Le Chat ne l’eut pas plus tôt aperçue, qu’il se jeta dessus et la mangea.

Chat botté 9

Cependant le roi, qui vit en passant le beau château de l’ogre, voulut entrer dedans.

Le Chat, qui entendit le bruit du carrosse, qui passait sur le pont-levis, courut au-devant et dit au roi : « Votre Majesté soit la bienvenue dans ce château de monsieur le marquis de Carabas !
— Comment, monsieur le marquis, s’écria le roi, ce château est encore à vous ! il ne se peut rien de plus beau que cette cour et que tous ces bâtiments qui l’environnent ; voyons les dedans, s’il vous plait. »

chat botté 10

Le marquis donna la main à la jeune princesse, et suivant le roi, qui montait le premier, ils entrèrent dans une grande salle, où ils trouvèrent une magnifique collation que l’ogre avait fait préparer pour ses amis, qui le devaient venir voir ce même jour-là, mais qui n’avaient pas osé entrer, sachant que le roi y était.

Le roi, charmé des bonnes qualités de monsieur le marquis de Carabas, de même que sa fille, qui en était folle, et voyant les grands biens qu’il possédait, lui dit, après avoir bu cinq ou six coups : « Il ne tiendra qu’à vous, monsieur le marquis, que vous ne soyez mon gendre. »
Le marquis, faisant de grandes révérences, accepta l’honneur que lui faisait le roi, et, dès le même jour, il épousa la princesse.

Le Chat devint le grand seigneur, et ne courut plus après les souris que pour se divertir.

Chat botté 11

MORALITÉ

Quelque grand que soit l’avantage
De jouir d’un riche héritage
Venant à nous de père en fils,
Aux jeunes gens, pour l’ordinaire,
L’industrie et le savoir-faire
Valent mieux que des biens acquis.

AUTRE MORALITÉ

Si le fils d’un meunier, avec tant de vitesse,
Gagne le cœur d’une princesse,
Et s’en fait regarder avec des yeux mourants ;
C’est que l’habit, la mine et la jeunesse,
Pour inspirer de la tendresse,
N’en sont pas des moyens toujours indifférents.

Chat botté 1

2014-30. Si le jeûne nous impose des sacrifices, il profite d’autant à notre salut.

Samedi après les Cendres.

Sermon de
notre glorieux Père Saint Augustin

pour le carême :

       Nous avons sans cesse besoin d’approfondir la richesse spirituelle du temps du carême, et de nous motiver à une observance fructueuse de la pénitence et du jeûne.
Voici ci-dessous un sermon de notre glorieux Père Saint Augustin bien propre à stimuler notre ferveur et notre générosité.

Moretto da Brescia vers1540

Le Christ au désert (Moretto da Brescia – vers 1540)

§1 - Le carême est le temps du jeûne, et le Christ Lui-même nous en a donné l’exemple, car c’est par l’abstinence que l’homme peut recouvrer ce que lui a fait perdre l’intempérance. 

   « Voici le temps favorable, voici les jours de salut » (2 Cor. VI, 2).
Mes frères, voici les jours où, par les macérations corporelles, nous opérons le salut de nos âmes. Sans doute, nous y mortifions l’homme extérieur, mais aussi nous y vivifions l’homme intérieur. Le jeûne est, en effet, comme la nourriture de notre âme ; car s’il nous impose des sacrifices, il profite d’autant à notre salut. Entre autres exemples de sanctification, notre Seigneur et Dieu, Jésus-Christ, nous a donné celui du jeûne et du carême ; Il a même indiqué le nombre de jours qu’il doit durer, puisqu’Il a jeûné pendant quarante jours. C’est donc Lui qui est l’auteur de ton jeûne, comme Il sera plus tard le rémunérateur de tes mortifications.
Le Rédempteur a donc jeûné l’espace de quarante jours ; il est, néanmoins, de toute évidence, qu’Il n’avait commis aucun péché et qu’Il n’avait rien à craindre. Or, si le Dieu qui était à l’abri de toute erreur S’est dévoué à cet acte de pénitence, combien devient-il plus nécessaire à l’homme de s’y soumettre, puisqu’il est si exposé à se tromper ! Et si de telles macérations ont été imposées à un innocent, avec combien plus de justice ne peut-on pas les exiger d’un coupable ? En goûtant du fruit de l’arbre, en violant la loi du jeûne à laquelle il avait été soumis, Adam, le chef du genre humain, est devenu maître ès péchés, après avoir été le maître du paradis, et, comme conséquence de sa prévarication, la mort a jeté jusque sur nous son aiguillon.
Quiconque désire vivre, doit donc aimer l’abstinence ; car, vous le savez, c’est en convoitant des aliments que l’homme s’est condamné à mourir : et le rusé serpent, qui a séduit nos premiers parents en les excitant à la gourmandise, ne s’est-il pas approché du Sauveur, au moment de son jeûne, pour le tenter ? Est-ce qu’il n’ose pas tout, cet audacieux ?
Mais en observant le jeûne, le Seigneur a confondu cet antique ennemi de l’homme, le nouvel Adam a repoussé le vainqueur du vieil Adam. Oh ! l’admirable pouvoir de l’abstinence ! Par le jeûne, elle triomphe du diable, à qui la gourmandise a donné jadis la victoire.

Boticelli tentations détail (chapelle sixtine)

Boticelli : les tentations du Christ au désert, détail (chapelle Sixtine)

§ 2. L’exemple du jeûne de Moïse auquel s’oppose l’intempérance du peuple dans le désert.

   On dit que Moise a de même observé un jeûne de quarante jours avant de recevoir la loi de Dieu. C’est le jeûne qui obtient la faveur des commandements divins et la grâce de les observer. Moïse s’est privé d’entretiens avec Dieu, mais il a joui de sa présence ; le peuple, au contraire, en s’adonnant aux excès du boire et du manger, s’est précipité dans le culte des faux dieux, et parce qu’il n’avait cherché qu’à se rassasier, il ne chercha plus qu’à pratiquer les superstitions des Gentils.

§3. Avantages et utilité du jeûne. 

   Nous venons de vous le démontrer, non-seulement Jésus-Christ, mais Moïse, mais plusieurs autres, nous ont donné l’exemple du jeûne ; voyons maintenant quels en sont les avantages et l’utilité.
Le Sauveur parle du diable à ses disciples, et leur dit : « Ces démons et ne peuvent être chassés que par le jeûne et la prière » (Marc, IX, 28). Ce possédé du diable, que les Apôtres ne pouvaient délivrer, Jésus déclare que le jeûne était capable de le rendre à lui-même ; c’est pour nous le seul moyen de nous grandir par la pratique des vertus.
Voyez donc, mes frères, quelle force est celle du jeûne, quelles grâces précieuses il peut procurer aux hommes, puisqu’il peut même servir de remède à d’autres ! Voyez comme il sanctifie celui qui l’observe personnellement, puisqu’il est si propre à purifier ceux-là mêmes qui ne l’observent pas ! C’est chose vraiment admirable, mes frères, que les mortifications de l’un deviennent profitables à l’autre.

Distribution d'aumônes

Distribution de vêtements aux nécessiteux
(détail des « Sept oeuvres de miséricorde » – Maître de Alkmaar, 1504)

§ 4. La perfection du jeûne n’est pas dans une observance formelle mais elle se réalise dans la pratique de la charité envers les nécessiteux.

   Toutefois, n’allez pas vous imaginer qu’en mettant en pratique le jeûne, auquel vous vous croyez maintenant obligés, vous n’en avez pas d’autre à accomplir.
Il en est un autre, bien plus parfait : c’est celui qui s’observe dans le secret du coeur ; et il est d’autant plus agréable à Dieu, qu’il échappe davantage aux regards des hommes. Ce jeûne consiste à s’abstenir de toutes les convoitises que la chair soulève en nous contre l’esprit. C’est peu de nous priver d’aliments, si nous nous accordons les plaisirs du vice ; ce n’est pas assez de nous tenir en garde contre la gourmandise, il faut encore nous mettre à l’abri de l’avarice, en nous montrant généreux à l’égard des pauvres. A quoi bon nous montrer sévères en fait de nourriture, si nous nous laissons encore aller à des disputes et que nous soyons indulgents pour notre caractère emporté ?
Par conséquent, mettons un frein à notre intempérance de paroles, comme nous en mettons à notre intempérance de bouche. Evitons avec soin les dissensions, les rixes, les iniquités, afin que ne s’applique pas à nous cette parole du Prophète : « Ce jeûne », dit le Seigneur, « n’est pas celui de mon choix : romps plutôt les liens de l’iniquité, détruis les titres d’échanges forcés, remets leurs dettes à ceux qui en sont écrasés, déchire tout contrat injuste. Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison celui qui n’a pas d’abri. Lorsque tu vois un homme nu, couvre-le et ne méprise point la chair dont tu es formé. Alors ta lumière brillera comme l’aurore, et je te rendrai aussitôt la santé, et ta justice marchera devant toi, et tu seras environné de la gloire du Seigneur. Alors tu invoqueras le Seigneur, et il t’exaucera; à ton premier cri, le Seigneur répondra : Me voici » (Isaïe, LVIII, 6-9).
Vous le voyez, mes très-chers frères, voilà le jeûne que le Seigneur a choisi ; voilà la récompense promise par lui aux observateurs de ce jeûne : « Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison celui qui n’a pas d’abri ». Telle est donc la nature du jeûne qui plaît à Dieu : c’est que, pendant ces jours, tu donnes aux indigents ce que tu te retranches ; car il est digne d’une âme religieuse et croyante d’observer l’abstinence au profit, non pas de l’avarice, mais de la charité. Ne seras-tu pas largement récompensé de tes sacrifices, si ton jeûne sert à procurer à autrui la tranquillité ?

Donner à manger aux affamés

Distribution de nourriture aux pauvres
(détail des « Sept oeuvres de miséricorde » – Maître de Alkmaar, 1504)

Autres sermons de Saint Augustin consacrés au carême et à la pénitence :
– Sur l’obligation de faire pénitence > ici
– Deux sermons sur le jeûne (sa nécessité & l’esprit qui doit l’animer) > ici
– Sur la Passion et les deux larrons > ici

2014-29. De l’anniversaire de l’élection du Vénérable Pie XII au Souverain Pontificat.

- 2 mars 1939 -

       Le 10 février 1939, dans sa quatre-vingt-deuxième année, s’éteignit le Pape Pie XI : il était resté 17 ans sur le trône de Saint Pierre.
Le conclave destiné à l’élection de son successeur fut convoqué pour le mercredi 1er mars.

   Dès 1937, Pie XI avait laissé entendre qu’il souhaiterait avoir pour successeur celui qu’il avait appelé auprès de lui en février 1930 pour être son Secrétaire d’Etat : le cardinal Eugenio Pacelli.

Pie XI avec le cardinal Pacelli en 1931

Eugenio Pacelli, né le 2 mars 1876
cardinal du titre des Saints Jean et Paul en 1929
Secrétaire d’Etat de Pie XI en 1930
ici en compagnie de Pie XI en 1931

   Les gouvernements français et anglais étaient favorables au cardinal Pacelli, ce qui n’était pas le cas du Troisième Reich et du régime mussolinien, car les dispositions du secrétaire d’Etat au sujet du nazisme et du fascisme étaient clairement connues.
L’ensemble des cardinaux français, à l’exception toutefois du cardinal Eugène Tisserant, semblait acquis à l’idée de l’élection de Pacelli.
Toutefois les pronostiqueurs faisaient remarquer que les chances d’élection pour un non-italien n’avaient jamais été aussi favorables, et qu’aucun secrétaire d’Etat n’avait été élu depuis 1667 (tout comme aucun Romain n’avait été élevé au Souverain Pontificat depuis 1670). A propos de Pacelli, ils rappelaient le proverbe selon lequel « celui qui entre pape au conclave en ressort cardinal ».
Parmi les « papabili » on citait le primat de Pologne August Hlond, l’archevêque de Cologne Karl Joseph Schulte, le camérier français Eugène Tisserant, l’archevêque de Milan Ildefonso Schuster, le patriarche de Venise Adeodato Piazza, et surtout l’évêque de Florence Elia Dalla Costa, favori des Italiens…

   Le mercredi 1er mars 1939 donc, les cardinaux, au nombre de soixante-deux furent enfermés en conclave.
Le 
jeudi 2 mars 1939, au troisième tour de scrutin, Eugenio Pacelli fut élu et, à 17h 30, la fameuse fumée blanche s’éleva du tuyau de poêle sortant du toit de la Chapelle Sixtine.

Il semblerait qu’il avait reçu 35 votes dès le premier tour, 40 au deuxième et 61 au troisième (c’est-à-dire les suffrages de tous les cardinaux sauf le sien propre).

   Voici une vidéo, réalisée avec les documentaires cinématographiques de l’époque, qui montre les préparatifs du conclave, l’ « Habemus Papam » et le couronnement de celui qui fut dès lors Sa Sainteté le Pape Pie XII.
Ce document est tout à la fois très émouvant et des plus intéressants, puisqu’il nous replonge dans un univers en quelque sorte disparu et qu’il permet à l’œil averti d’évaluer la dégringolade qui s’est produite depuis :

(faire un clic droit sur l’image ci-dessous, puis « ouvrir dans un nouvel onglet »)

Image de prévisualisation YouTube

   Le nom de Pie, choisi par le 260ème pape, voulait exprimer la continuité avec le précédent pontificat ; il était aussi un hommage aux papes Pie IX sous le règne duquel Eugenio Pacelli était né et que ses parents avaient servi avec dévouement, et Pie X sous lequel sa propre carrière à la Curie avait pris son essor.
Il dira aussi que c’est un nom qui exprime la paix : en latin « pius » ne signifie pas seulement pieux, mais comprend aussi les notions de douceur et de bienveillance. En ce mois de mars 1939, le monde entier pressent et redoute l’éclatement d’un conflit majeur.

Election de Pie XII hommage des cardinaux

2 mars 1939 : dans la Chapelle Sixtine,
après que le cardinal Pacelli a accepté son élection et revêtu les ornements pontificaux,
les cardinaux viennent se prosterner devant lui, baiser sa mule et sa main
et recevoir de lui l’accolade de paix.

   Mère Pascaline Lehnert, religieuse de la Sainte-Croix, aide-soignante de Monseigneur Pacelli depuis le temps où il était nonce apostolique à Munich et à laquelle il avait demandé de venir à Rome en 1930 pour être sa gouvernante, a laissé dans ses mémoires un récit de ces jours du conclave : elle raconte comment le cardinal Pacelli, camerlingue de la Sainte Eglise Romaine, fut affecté d’avoir à présider les funérailles de Pie XI auquel une affection filiale l’attachait. Elle explique aussi que le cardinal avait donné l’ordre aux religieuses qui s’occupaient de son appartement de mettre dans des caisses et des valises toutes ses affaires, parce qu’il comptait fermement quitter le Vatican dès la fin du conclave afin d’aller se reposer à Rorchach, dans les Alpes suisses (il avait même déjà obtenu le visa suisse sur son passeport !).

Mère Pascalina Lehnert

La Révérende Mère Pascaline Lehnert (1894-1983)
gouvernante du cardinal Pacelli puis de Sa Sainteté le Pape Pie XII

   Pendant le conclave, le cardinal Pacelli garda son appartement, parce qu’il était inclus dans le périmètre du conclave, et les trois religieuses y étaient enfermées, continuant à faire les bagages de Son Eminence, rangeant ses livres et ses objets personnels dans des caisses. Les fenêtres étaient toutes condamnées – volets cloués – et il était interdit de les ouvrir sous peine d’excommunication.

   « Comme le cardinal fut content lorsqu’au soir du 1er mars 1939, après avoir achevé son travail de camerlingue, il put se rendre dans son appartement, y manger et y dormir, bien que toutes les pièces fussent complètement vides (…). Cette dernière soirée avant le jour de l’élection fut comme toutes les autres. Le chapelet récité en commun vint clore pour nous la journée, tandis que le cardinal continua à prier et travailler comme toujours jusqu’au petit matin.
Aux premières heures du 2 mars, nous attendions tous dans l’antichambre de la chapelle pour offrir à Son Eminence nos voeux d’anniversaire. Il n’aimait guère recevoir de félicitations, et ce jour-là se contenta de dire en faisant un geste amical : « Priez, priez, pour que tout se passe bien ! »
Puis ce fut la messe – ici, on avait l’impression que rien ne pouvait affliger le cardinal et qu’il faisait descendre Dieu sur terre. Après le petit déjeuner, il se rendit à la Chapelle Sixtine, comme il se rendait autrefois à l’audience du Saint-Père.
Nous, dans la Cella n°13 ne savions, n’entendions et ne voyions rien de la foule massée sur la place Saint-Pierre ; en effet, tous les volets et toutes les fenêtres étaient fermés. En outre, il était interdit d’y aller. Et puis, il y avait encore beaucoup à faire, car lorsque Son Eminence reviendrait, elle voudrait voir les dernières caisses et valises prêtes. Le gâteau d’anniversaire avec les 63 bougies devrait aussi être prêt, même si elle n’y touchait pas.
Le cardinal revint après le premier scrutin – calme et maître de lui comme toujours. La curiosité nous eût bien fait poser des questions, mais nous ne dîmes pas un mot devant le sérieux et la gravité répandus sur sa personne (…) »

Election de Sa Sainteté Pie XII - Chapelle Sixtine

2 mars 1939 : dans la Chapelle Sixtine,
le nouveau Souverain Pontife, revêtu de la falda, de la chape et de la mitre,
assis au trône sur le marchepied de l’autel pour l’hommage des cardinaux.

   « Il était environ 17h 30. Nous étions encore tout à fait occupées à ranger et à faire les valises, lorsque, montant de la place Saint-Pierre, nous parvinrent des cris et des applaudissements prolongés. Mais personne n’eût osé aller à une fenêtre et personne ne vint nous dire quoi que ce soit. Nous attendîmes donc – jusqu’à ce que la porte du grand bureau s’ouvrit. Sur le seuil apparut la haute et mince silhouette familière – cette fois-ci vêtus de blanc – , entourée du maître des cérémonies et d’autres prélats, qui, toutefois, se retirèrent aussitôt. – Ce n’était plus le cardinal Pacelli, c’était le pape Pie XII, qui, de retour de la première adoration dans la Sixtine, revenait chez lui.
Qui pourrait oublier un pareil moment ? En pleurant, nous, trois religieuses nous agenouillâmes et baisâmes pour la première fois la main du Saint-Père. Le Saint-Père, lui aussi, avait les yeux humides. Se regardant, il dit simplement : « Voyez ce qu’on m’a fait… ! »
Les mots manquaient – il n’y a pas de mots dans certaines situations – , et il n’y avait pas beaucoup de temps non plus, car déjà les prélats revenaient pour emmener le Saint-Père à la prochaine adoration. »

Election de Sa Sainteté le pape Pie XII

2 mars 1939 : Sa Sainteté le pape Pie XII qui vient d’être élu
dans les couloirs du conclave avant la première apparition à la loggia de la basilique vaticane.

   « Bientôt arrivèrent proches parents et amis intimes, qui voulaient féliciter le Saint-Père. On ne pouvait presque pas parler, pour la raison bien simple que la voix s’y refusait. Et l’on ne pouvait pas non plus retenir ses larmes. On ne savait si ce qui émouvait le coeur était douleur ou joie.
Le Saint-Père fut d’une extrême bonté envers tous ceux qu’il rencontra après son retour à l’appartement. Mais maintenant son visage blême montrait une très grande fatigue. Lorsqu’il put enfin se libérer, il se laissa tomber dans un fauteuil et pendant plusieurs minutes recouvrit son visage de ses deux mains. En toute hâte, nous ressortîmes des paquest ce qui était nécessaire, mais nous étions toutes trop émues pour pouvoir fair du bon travail (…).
La place Saint-Pierre tout entière était encore pleine de gens poussant des acclamations. C’est à ce moment-là seulement que quelqu’un eut l’idée d’ouvrir les volets et de regarder cette marée humaine au-dessus de laquelle avait retenti, il y a peu de temps, pour la première fois, la bénédiction du nouveau pontife. C’était comme si les gens ne pouvaient s’arracher à l’endroit où ils avaient entendu l’heureuse nouvelle. Sans cesse reprenaient les cris de : « Viva il Papa, viva Pio XII. Viva, viva il Papa Romano di Roma ! »
C’étaient les Romains, tout particulièrement, qui étaient heureux de voir à nouveau, après tant de temps, l’un des leurs sur le trône de Pierre !

   Il était temps de penser à une petite collation du soir ! Quant à changer de vêtements, le Saint-Père n’en avait pas besoin aujourd’hui, car il n’avait provisoirement qu’une seule soutane (qui ne lui allait d’ailleurs pas du tout). On entendait jusque dans la salle à manger les acclamations montant de la place Saint-Pierre. Après le dîner, auquel Pie XII toucha à peine, on se rendit, comme chaque jour, à la chapelle pour réciter le chapelet. Le seul à pouvoir prier sans s’arrêter, avec calme et recueillement, fut le Saint-Père. Nous autres devions sans cesse nous interrompre, parce que les larmes ne nous permettaient pas de continuer notre prière. Puis, pour la première fois, Sa Sainteté Pie XII nous donna la bénédiction du soir – celle-la même que, neuf années durant, nous avait donné le cardinal Pacelli. Pour nous, la journée était terminée ; pour le Saint-Père, elle continua, même aujourd’hui, et ne s’acheva sans doute, comme à l’accoutumée, qu’à 2h du matin, alors que nous avions déjà plusieurs heures de sommeil derrière nous. »

Pascalina Lenhert (1894-1983)
in « Pie XII – Mon privilège fut de le servir » (ed. Téqui).

Scala Regia Pie XII porté sur la sedia gestatoria

Pie XII descendant la Scala Regia porté sur la sedia gestatoria.

On trouvera ci-après une
prière pour demander des grâces par l’intercession du Vénérable Pie XII

et pour obtenir la glorification de ce grand serviteur de Dieu > ici

Rappel :
Célébration du 50ème anniversaire de la mort de Sa Sainteté le Pape Pie XII,

le 9 octobre 2008, homélie de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI
et étude apologétique sur ce grand pape > ici

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