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2023-63 : Le 8 mai nous célébrons la fête de Marie Médiatrice de toutes grâces : « Personne ne la vaut pour unir les hommes à Jésus ».

8 mai,
Fête de Marie Médiatrice de toutes grâces ;
Mémoire de l’apparition de Saint Michel archange au Mont Gargan ;
Anniversaire de la délivrance d’Orléans par Sainte Jeanne d’Arc (cf. > ici).

       Le 12 janvier 1921, le Saint Siège accorda à la Belgique, ainsi qu’à tous les diocèses et Congrégations religieuses qui en feraient la demande la fête de Marie Médiatrice de toutes grâces à la date du 31 mai.
Cependant, en 1954, l’institution de la fête de Marie Reine à cette même date (cf. > ici) par le Pape Pie XII, entraîna pour les diocèses qui célébraient justement ce jour-là la fête de Marie Médiatrice un changement de calendrier.

Dans ce diocèse de Viviers où nous sommes établis, et dans d’autres diocèses aussi, la fête de Marie Médiatrice de toutes grâces fut alors fixée au 8 mai.
La réforme du calendrier et des rubriques voulue par Jean XXIII – second du nom -, en 1960, l’a maintenue à cette date dans cette partie du Missel où l’on trouve les fêtes  « pro aliquibus locis », c’est-à-dire propres à certains lieux.

   La doctrine de la médiation de la Très Sainte Vierge Marie appartient à l’enseignement traditionnel de l’Eglise depuis la plus haute antiquité, mais, bien sûr, sa compréhension et son explicitation se sont développées avec les siècles.
A l’occasion de cette fête, nous vous invitons à lire ou relire l’encyclique de Saint Pie X, datée du 2 février 1904. Certes, cette encyclique ne traite que de manière indirecte de cette médiation universelle de Notre-Dame, puisque son objet premier était l’indiction d’un jubilé pour célébrer le cinquantième anniversaire de la proclamation du dogme de la Conception immaculée de la Très Sainte Vierge, néanmoins dans le cours de ce texte, se trouvent des formulations non équivoques de cette croyance traditionnelle, dont on espère qu’un jour elle sera élevée au rang de dogme.

Colmars-les-Alpes - Marie Médiatrice de toutes grâces

Tableau représentant la médiation universelle de la Très Sainte Vierge Marie
dans l’église de Colmars-les-Alpes (diocèse de Digne)

Monogramme Marie 2

Lettre encyclique « ad diem illum »
du 2 février 1904

A nos vénérables frères les patriarches, primats, archevêques, évêques
et autres ordinaires en paix et en communion avec le siège apostolique
Pie X, pape,
salut et bénédiction apostolique

Le cinquantième anniversaire de la définition de l’Immaculée Conception

   Le cours du temps nous ramènera dans peu de mois à ce jour d’incomparable allégresse où, entouré d’une magnifique couronne de cardinaux et d’évêques – il y a de cela cinquante ans -, Notre prédécesseur Pie IX, pontife de sainte mémoire, déclara et proclama de révélation divine, par l’autorité du magistère apostolique, que Marie a été, dès le premier instant de sa conception, totalement exempte de la tache originelle. Proclamation dont nul n’ignore qu’elle fut accueillie par tous les fidèles de l’univers d’un tel cœur, avec de tels transports de joie et d’enthousiasme, qu’il n’y eut jamais, de mémoire d’homme, manifestation de piété soit à l’égard de l’auguste Mère de Dieu, soit envers le Vicaire de Jésus-Christ, ni si grandiose, ni si unanime.

   Aujourd’hui, vénérables frères, bien qu’à la distance d’un demi-siècle, ne pouvons-nous espérer que le souvenir ravivé de la Vierge Immaculée provoque en nos âmes comme un écho de ces saintes allégresses et renouvelle les spectacles magnifiques de foi et d’amour envers l’auguste Mère de Dieu, qui se contemplèrent en ce passé déjà lointain ? Ce qui Nous le fait désirer ardemment, c’est un sentiment, que Nous avons toujours nourri en Notre cœur, de piété envers la bienheureuse Vierge aussi bien que de gratitude profonde pour ses bienfaits. Ce qui, d’ailleurs, Nous en donne l’assurance, c’est le zèle des catholiques, perpétuellement en éveil et qui va au-devant de tout nouvel honneur, de tout nouveau témoignage d’amour à rendre à la sublime Vierge. Cependant, Nous ne voulons pas dissimuler qu’une chose avive grandement en Nous ce désir : c’est qu’il Nous semble, à en croire un secret pressentiment de votre âme, que Nous pouvons nous promettre pour un avenir peu éloigné l’accomplissement des hautes espérances, et assurément non téméraires, que fit concevoir à notre prédécesseur Pie IX et à tout l’épiscopat catholique la définition solennelle du dogme de l’Immaculée Conception de Marie.

Bienfaits de la définition de 1854

   Ces espérances, à la vérité, il en est peu qui ne se lamentent de ne les avoir point vues jusqu’ici se réaliser, et qui n’empruntent à Jérémie cette parole : Nous avons attendu la paix, et ce bien n’est pas venu : le temps de la guérison, et voici la terreur (Jer. VIII, 15). Mais ne faut-il pas taxer de peu de foi des hommes qui négligent ainsi de pénétrer ou de considérer sous leur vrai jour les œuvres de Dieu ? Qui pourrait compter, en effet, qui pourrait supputer les trésors secrets de grâces que, durant tout ce temps, Dieu a versés dans son Église à la prière de la Vierge ? Et, laissant même cela, que dire de ce concile du Vatican, si admirable d’opportunité ? et de la définition de l’infaillibilité pontificale, formule si bien à point à l’encontre des erreurs qui allaient sitôt surgir ? et de cet élan de piété, enfin, chose nouvelle et véritablement inouïe, qui fait affluer, depuis longtemps déjà, aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ, pour le vénérer face à face, les fidèles de toute langue et de tout climat ? Et n’est-ce pas un admirable effet de la divine Providence que nos deux prédécesseurs, Pie IX et Léon XIII, aient pu, en des temps si troublés, gouverner saintement l’Église, dans des conditions de durée qui n’avaient été accordées à aucun autre pontificat ? A quoi il faut ajouter que Pie IX n’avait pas plus tôt déclaré de croyance catholique la conception sans tache de Marie que, dans la ville de Lourdes, s’inauguraient de merveilleuses manifestations de la Vierge, et ce fut, on le sait, l’origine de ces temples élevés en l’honneur de l’Immaculée Mère de Dieu, ouvrages de haute magnificence et d’immense travail, où des prodiges quotidiens, dus à son intercession, fournissent de splendides arguments pour confondre l’incrédulité moderne. – Tant et de si insignes bienfaits accordés par Dieu sur les pieuses sollicitations de Marie, durant les cinquante années qui vont finir, ne doivent-ils pas nous faire espérer le salut pour un temps plus prochain que nous ne l’avions cru ? Aussi bien est-ce comme une loi de la Providence divine, l’expérience nous l’apprend, que des dernières extrémités du mal à la délivrance il n’y a jamais bien loin. Son temps est près de venir, et ses jours ne sont pas loin. Car le Seigneur prendra Jacob en pitié, et en Israël encore il aura son élu (Is. XIV, 1). C’est donc avec une entière confiance que nous pouvons attendre nous-mêmes de nous écrier sous peu : Le Seigneur a brisé la verge des impies. La terre est dans la paix et le silence ; elle s’est réjouie et elle a exulté (Is. XIV, 5 et 7).

   Mais, si le cinquantième anniversaire de l’acte pontifical par lequel fut déclarée sans souillure la conception de Marie, doit provoquer au sein du peuple chrétien d’enthousiastes élans, la raison en est surtout dans une nécessité qu’ont exposée Nos précédentes Lettres encycliques, Nous voulons dire de tout restaurer en Jésus-Christ. Car, qui ne tient pour établi qu’il n’est route ni plus sûre ni plus facile que Marie par où les hommes puissent arriver jusqu’à Jésus-Christ, et obtenir, moyennant Jésus-Christ, cette parfaite adoption des fils, qui fait saint et sans tache sous le regard de Dieu ?

Marie, fondement de notre foi

   Certes, s’il a été dit avec vérité à la Vierge : Bienheureuse qui avez cru, car les choses s’accompliront qui vous ont été dites par le Seigneur (Luc I, 45), savoir qu’elle concevrait et enfanterait le Fils de Dieu ; si, conséquemment, elle a accueilli dans son sein celui qui par nature est Vérité, de façon que, engendré dans un nouvel ordre et par une nouvelle naissance …, invisible en lui-même, il se rendît visible dans notre chair (S. Léon le Grand, Serm. 2 de Nativ. Domini, c. II) ; du moment que le Fils de Dieu est l’auteur et le consommateur de notre foi (Hébr. XII, 2), il est de toute nécessité que Marie soit dite participante des divins mystères et en quelque sorte leur gardienne, et que sur elle aussi, comme sur le plus noble fondement après Jésus-Christ, repose la foi de tous les siècles.

   Comment en serait-il autrement ? Dieu n’eût-il pu, par une autre voie que Marie, nous octroyer le réparateur de l’humanité et le fondateur de la foi ? Mais, puisqu’il a plu à l’éternelle Providence que l’Homme-Dieu nous fût donné par la Vierge, et puisque celle-ci, l’ayant eu de la féconde vertu du divin Esprit, l’a porté en réalité dans son sein, que reste-t-il si ce n’est que nous recevions Jésus des mains de Marie ?

   Aussi, voyons-nous que dans les Saintes Écritures, partout où est prophétisée la grâce qui doit nous advenir (1 Pierre I, 10), partout aussi, ou peu s’en faut, le Sauveur des hommes y apparaît en compagnie de sa sainte Mère. Il sortira, l’Agneau dominateur de la terre, mais de la pierre du désert ; elle montera, la fleur, mais de la tige de Jessé. A voir, dans l’avenir, Marie écraser la tête du serpent, Adam contient les larmes que la malédiction arrachait à son cœur. Marie occupe la pensée de Noé dans les flancs de l’arche libératrice ; d’Abraham, empêché d’immoler son fils ; de Jacob, contemplant l’échelle où montent et d’où descendent les anges ; de Moïse, en admiration devant le buisson qui brûle sans se consumer ; de David, chantant et sautant en conduisant l’arche divine ; d’Elie, apercevant la petite nuée qui monte de la mer. Et, sans nous étendre davantage, nous trouvons en Marie, après Jésus, la fin de la loi, la vérité des images et des oracles.

Elle nous fait connaître Jésus.

   Qu’il appartienne à la Vierge, surtout à elle, de conduire à la connaissance de Jésus, c’est de quoi l’on ne peut douter, si l’on considère, entre autres choses, que, seule au monde, elle a eu avec lui, dans une communauté de toit et dans une familiarité intime de trente années, ces relations étroites qui sont de mise entre une mère et son fils. Les admirables mystères de la naissance et de l’enfance de Jésus, ceux notamment qui se rapportent à son incarnation, principe et fondement de notre foi, à qui ont-ils été plus amplement dévoilés qu’à sa Mère ? Elle conservait et repassait dans son cœur (Luc II, 19) ce qu’elle avait vu de ses actes à Bethléem, ce qu’elle en avait vu à Jérusalem dans le temple ; mais initiée encore à ses conseils et aux desseins secrets de sa volonté, elle a vécu, doit-on dire, la vie même de son Fils. Non, personne au monde comme elle n’a connu à fond Jésus ; personne n’est meilleur maître et meilleur guide pour faire connaître Jésus.

   Il suit de là, et Nous l’avons déjà insinué, que personne ne la vaut, non plus, pour unir les hommes à Jésus. Si, en effet, selon la doctrine du divin Maître, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (Jean XVII, 3) : comme nous parvenons par Marie à la connaissance de Jésus-Christ, par elle aussi, il nous est plus facile d’acquérir la vie dont il est le principe et la source.

Elle est la Mère des membres du Christ.

   Et maintenant, pour peu que nous considérions combien de motifs et combien pressants invitent cette Mère très sainte à nous donner largement de l’abondance de ces trésors, quels surcroîts n’y puisera pas notre espérance !

   Marie n’est-elle pas la Mère de Dieu ? Elle est donc aussi notre Mère.

   Car un principe à poser, c’est que Jésus, Verbe fait chair, est en même temps le Sauveur du genre humain. Or, en temps que Dieu-Homme, il a un corps comme les autres hommes ; en tant que Rédempteur de notre race, un corps spirituel, ou, comme on dit, mystique, qui n’est autre que la société des chrétiens liés à lui par la foi. Nombreux comme nous sommes, nous faisons un seul corps en Jésus-Christ (Rom. XII, 5). Or, la Vierge n’a pas seulement conçu le Fils de Dieu afin que, recevant d’elle la nature humaine, il devint homme ; mais afin qu’il devînt encore, moyennant cette nature reçue d’elle, le Sauveur des hommes. Ce qui explique la parole des anges aux bergers : Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Luc II, 11).

   Aussi, dans le chaste sein de la Vierge, où Jésus a pris une chair mortelle, là même il s’est adjoint un corps spirituel formé de tous ceux qui devaient croire en lui : et l’on peut dire que, tenant Jésus dans son sein, Marie y portait encore tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie.

   Nous tous donc, qui, unis au Christ, sommes, comme parle l’Apôtre, les membres de son corps issus de sa chair et de ses os (Ephes. V, 30), nous devons nous dire originaires du sein de la Vierge, d’où nous sortîmes un jour à l’instar d’un corps attaché à sa tête.

   C’est pour cela que nous sommes appelés, en un sens spirituel, à la vérité, et tout mystique, les fils de Marie, et qu’elle est, de son côté, notre Mère à tous. Mère selon l’esprit, Mère véritable néanmoins des membres de Jésus-Christ, que nous sommes nous-mêmes (S. Aug., Lib. de S. Virginitate, c. VI). Si donc la bienheureuse Vierge est tout à la fois Mère de Dieu et des hommes, qui peut douter qu’elle ne s’emploie de toutes ses forces, auprès de son Fils, tête du corps de l’Église (Coloss. I, 18), afin qu’il répande sur nous qui sommes ses membres les dons de sa grâce, celui notamment de la connaître et de vivre par lui (1 Jean IV, 9) ?

   Mais il n’est pas seulement à la louange de la Vierge qu’elle a fourni la matière de sa chair au Fils unique de Dieu, devant naître avec des membres humains (S. Bède le Vénérable., l. IV, in Luc. XI), et qu’elle a ainsi préparé une victime pour le salut des hommes ; sa mission fut encore de la garder, cette victime, de la nourrir et de la présenter au jour voulu, à l’autel.

   Aussi, entre Marie et Jésus, perpétuelle société de vie et de souffrance, qui fait qu’on peut leur appliquer à égal titre cette parole du Prophète : Ma vie s’est consumée dans la douleur et mes années dans les gémissements (Ps. XXX, 11). Et quand vint pour Jésus l’heure suprême, on vit la Vierge debout auprès de la croix, saisie sans doute par l’horreur du spectacle, heureuse pourtant de ce que son Fils s’immolait pour le salut du genre humain, et, d’ailleurs, participant tellement à ses douleurs que de prendre sur elle les tourments qu’il endurait lui eût paru, si la chose eût été possible, infiniment préférable (S. Bonav., I Sent., d. 48, ad Litt., dub. 4).

   La conséquence de cette communauté de sentiments et de souffrances entre Marie et Jésus, c’est que Marie mérita très légitimement de devenir la réparatrice de l’humanité déchue (Eadmer, De Excellentia Virg. Mariæ, c. IX), et, partant, la dispensatrice de tous les trésors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang.

   Certes, l’on ne peut dire que la dispensation de ces trésors ne soit un droit propre et particulier de Jésus-Christ, car ils sont le fruit exclusif de sa mort, et lui-même est, de par sa nature, le médiateur de Dieu et des hommes.

   Toutefois, en raison de cette société de douleurs et d’angoisses, déjà mentionnée, entre la Mère et le Fils a été donné à cette auguste Vierge d’être auprès de son Fils unique la très puissante médiatrice et avocate du monde entier (Pie IX, in Bull. Ineffabilis).

   La source est donc Jésus Christ : de la plénitude de qui nous avons tout reçu (Jean I, 16) ; par qui tout le corps, lié et rendu compact moyennant les jointures de communication, prend les accroissements propres au corps et s’édifie dans la charité (Ephes. IV, 16). Mais Marie, comme le remarque justement saint Bernard, est l’aqueduc (Serm. de temp.in Nativ. B. V.,  » De Aquæductu « , n. 4) ; ou, si l’on veut, cette partie médiane qui a pour propre de rattacher le corps à la tête et de transmettre au corps les influences et efficacités de la tête, Nous voulons dire le cou. Oui, dit saint Bernardin de Sienne, elle est le cou de notre chef, moyennant lequel celui-ci communique à son corps mystique tous les dons spirituels (S. Bernardin de Sienne, Quadrag. de Evangelio æterno, Serm. X, a. III, c.3). Il s’en faut donc grandement, on le voit, que Nous attribuions à la Mère de Dieu une vertu productrice de la grâce, vertu qui est de Dieu seul. Néanmoins, parce que Marie l’emporte sur tous en sainteté et en union avec Jésus-Christ et qu’elle a été associée par Jésus-Christ à l’œuvre de la rédemption, elle nous mérite de congruo, comme disent les théologiens, ce que Jésus-Christ nous a mérité de condigno, et elle est le ministre suprême de la dispensation des grâcesLui, Jésus, siège à la droite de la majesté divine dans la sublimité des cieux (Hebr. I, 3). Elle, Marie, se tient à la droite de son Fils ; refuge si assuré et secours si fidèle contre tous les dangers, que l’on n’a rien à craindre, à désespérer de rien sous sa conduite, sous ses auspices, sous son patronage, sous sa protection (Pie IX, in Bull. Ineffabilis).

   Ces principes posés, et pour revenir à notre dessein, qui ne reconnaîtra que c’est à juste titre que Nous avons affirmé de Marie que, compagne assidue de Jésus, de la maison de Nazareth au plateau du Calvaire, initiée plus que toute autre aux secrets de son cœur, dispensatrice, comme de droit maternel, des trésors de ses mérites, elle est, pour toutes ces causes, d’un secours très certain et très efficace pour arriver à la connaissance et à l’amour de Jésus-Christ ? Ces hommes, hélas ! nous en fournissent dans leur conduite une preuve trop péremptoire qui, séduits par les artifices du démon ou trompés par de fausses doctrines, croient pouvoir se passer du secours de la Vierge. Infortunés, qui négligent Marie sous prétexte d’honneur à rendre à Jésus-Christ ! Comme si l’on pouvait trouver l’Enfant autrement qu’avec la Mère !

La vraie dévotion : la conversion du cœur

   S’il en est ainsi, Vénérables Frères, c’est à ce but que doivent surtout viser toutes les solennités qui se préparent partout en l’honneur de la Sainte et Immaculée Conception de Marie. Nul hommage, en effet, ne lui est plus agréable, nul ne lui est plus doux, que si nous connaissons et aimons véritablement Jésus-Christ. Que les foules emplissent donc les temples, qu’il se célèbre des fêtes pompeuses, qu’il y ait des réjouissances publiques : ce sont choses éminemment propres à raviver la foi. Mais nous n’aurons là, s’il ne s’y ajoute les sentiments du cœur, que pure forme, que simples apparences de piété. A ce spectacle, la Vierge, empruntant les paroles de Jésus-Christ, nous adressera ce juste reproche : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi (Matth. XV, 8).

   Car enfin, pour être de bon aloi, le culte de la Mère de Dieu doit jaillir du cœur ; les actes du corps n’ont ici utilité ni valeur s’ils sont isolés des actes de l’âme. Or, ceux-ci ne peuvent se rapporter qu’à un seul objet, qui est que nous observions pleinement ce que le divin Fils de Marie commande. Car, si l’amour véritable est celui-là seul qui a la vertu d’unir les volontés, il est de toute nécessité que nous ayons cette même volonté avec Marie de servir Jésus Notre-Seigneur. La recommandation que fit cette Vierge très prudente aux serviteurs des noces de Cana, elle nous l’adresse à nous-mêmes : Faites tout ce qu’il vous dira (Jean II, 5). Or, voici la parole de Jésus-Christ : Si vous voulez entrer dans la vie, observez les commandements (Matth. XIX, 17).

   Que chacun se persuade donc bien de cette vérité que, si sa piété à l’égard de la bienheureuse Vierge ne le retient pas de pécher ou ne lui inspire pas la volonté d’amender une vie coupable, c’est là une piété fallacieuse et mensongère, dépourvue qu’elle est de son effet propre et de son fruit naturel.

La sainteté divine exigeait l’Immaculée Conception

   Que si quelqu’un désire à ces choses une confirmation, il est facile de la trouver dans le dogme même de la Conception Immaculée de Marie. Car, pour omettre la tradition, source de vérité aussi bien que la Sainte Écriture, comment cette persuasion de l’Immaculée Conception de la Vierge a-t-elle paru de tout temps si conforme au sens catholique, qu’on a pu la tenir comme incorporée et comme innée à l’âme des fidèles ? Nous avons en horreur de dire de cette femme – c’est la réponse de Denys le Chartreux – que, devant écraser un jour la tête du serpent, elle ait jamais été écrasée par lui, et que, mère de Dieu, elle ait jamais été fille du démon (III Sent., d. II, q. 1). Non, l’intelligence chrétienne ne pouvait se faire à cette idée que la chair du Christ, sainte, sans tache et innocente, eût pris origine au sein de Marie, d’une chair ayant jamais, ne fût-ce que pour un rapide instant, contracté quelque souillure. Et pourquoi cela, si ce n’est qu’une opposition infinie sépare Dieu du péché ? C’est là, sans contredit, l’origine de cette conviction commune à tous les chrétiens, que Jésus-Christ avant même que, revêtu de la nature humaine, il nous lavât de nos péchés dans son sang (cf. Apoc. VII, 14), dut accorder à Marie cette grâce et ce privilège spécial d’être préservée et exempte, dès le premier instant de sa conception, de toute contagion de la tache originelle.

   Si donc Dieu a en telle horreur le péché que d’avoir voulu affranchir la future Mère de son Fils non seulement de ces taches qui se contractent volontairement, mais, par une faveur spéciale et en prévision des mérites de Jésus-Christ, de cette autre encore dont une sorte de funeste héritage nous transmet à nous tous, les enfants d’Adam, la triste marque, qui peut douter que ce ne soit un devoir pour quiconque prétend à gagner par ses hommages le cœur de Marie, de corriger ce qu’il peut y avoir en lui d’habitudes vicieuses et dépravées, et de dompter les passions qui l’incitent au mal ?

La dévotion mène à l’imitation des vertus de Marie

   Quiconque veut, en outre, – et qui ne doit le vouloir ? – que sa dévotion envers la Vierge soit digne d’elle et parfaite, doit aller plus loin, et tendre, par tous les efforts, à l’imitation de ses exemples. C’est une loi divine, en effet, que ceux-là seuls obtiennent l’éternelle béatitude qui se trouvent avoir reproduit en eux, par une fidèle imitation, la forme de la patience et de la sainteté de Jésus-Christ : car ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit l’aîné entre plusieurs frères (Rom. VIII, 29). Mais telle est généralement notre infirmité, que la sublimité de cet exemplaire aisément nous décourage. Aussi a-ce été, de la part de Dieu, une attention toute providentielle, que de nous en proposer un autre aussi rapproché de Jésus-Christ qu’il est permis à l’humaine nature, et néanmoins merveilleusement accommodé à notre faiblesse. C’est la Mère de Dieu, et nul autre. Telle fut Marie, dit à ce sujet saint Ambroise, que sa vie, à elle seule, est pour tous un enseignement. D’où il conclut avec beaucoup de justesse : Ayez donc sous vos yeux, dépeintes comme dans une image, la virginité et la vie de la bienheureuse Vierge, laquelle réfléchit, ainsi qu’un miroir, l’éclat de la pureté et la forme même de la vertu (De Virginib., l. II, c. II).

   Or, s’il convient à des fils de ne laisser aucune des vertus de cette Mère très sainte sans l’imiter, toutefois désirons-Nous que les fidèles s’appliquent de préférence aux principales et qui sont comme les nerfs et les jointures de la vie chrétienne, Nous voulons dire la foi, l’espérance et la charité à l’égard de Dieu et du prochain. Vertus dont la vie de Marie porte, dans toutes ses phases, la rayonnante empreinte, mais qui atteignirent à leur plus haut degré de splendeur dans le temps qu’elle assista son Fils mourant. – Jésus est cloué à la croix, et on lui reproche, en le maudissant, de s’être fait le Fils de Dieu (Jean XIX, 7). Marie, elle, avec une indéfectible constance, reconnaît et adore en lui la divinité. Elle l’ensevelit après sa mort, mais sans douter un seul instant de sa résurrection. Quant à la charité dont elle brille pour Dieu, cette vertu va jusqu’à la rendre participante des tourments de Jésus-Christ et l’associée de sa Passion ; avec lui, d’ailleurs, et comme arrachée au sentiment de sa propre douleur, elle implore pardon pour les bourreaux, malgré ce cri de leur haine : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants (Matth. XXVII, 25).

L’Immaculée Conception, rempart de la foi

   Mais, afin que l’on ne croie pas que Nous ayons perdu de vue Notre sujet, qui est le mystère de l’Immaculée Conception, que de secours efficaces n’y trouve-t-on pas, et dans leur propre source, pour conserver ces mêmes vertus et les pratiquer comme il convient !

   D’où partent, en réalité, les ennemis de la religion pour semer tant et de si graves erreurs, dont la foi d’un si grand nombre se trouve ébranlée ? Ils commencent par nier la chute primitive de l’homme et sa déchéance. Pures fables, donc, que la tache originelle et tous les maux qui en ont été la suite : les sources de l’humanité viciées, viciant à leur tour toute la race humaine ; conséquemment, le mal introduit parmi les hommes, et entraînant la nécessité d’un rédempteur. Tout cela rejeté, il est aisé de comprendre qu’il ne reste plus de place ni au Christ, ni à l’Église, ni à la grâce, ni à quoi que ce soit qui passe la nature. C’est l’édifice de la foi renversé de fond en comble. – Or, que les peuples croient et qu’ils professent que la Vierge Marie a été, dès le premier instant de sa conception, préservée de toute souillure : dès lors, il est nécessaire qu’ils admettent, et la faute originelle, et la réhabilitation de l’humanité par Jésus-Christ, et l’Évangile et l’Église, et enfin la loi de la souffrance : en vertu de quoi tout ce qu’il y a de rationalisme et de matérialisme au monde est arraché par la racine et détruit, et il reste cette gloire à la sagesse chrétienne d’avoir conservé et défendu la vérité.

   De plus, c’est une perversité commune aux ennemis de la foi, surtout à notre époque, de répudier, et de proclamer qu’il les faut répudier, tout respect et toute obéissance à l’égard de l’autorité de l’Église, voire même de tout pouvoir humain, dans la pensée qu’il leur sera plus facile ensuite de venir à bout de la foi. C’est ici l’origine de l’anarchisme, doctrine la plus nuisible et la plus pernicieuse qui soit à toute espèce d’ordre, naturel et surnaturel.

   Or, une telle peste, également fatale à la société et au nom chrétien, trouve sa ruine dans le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, par l’obligation qu’il impose de reconnaître à l’Église un pouvoir, devant lequel non seulement la volonté ait à plier, mais encore l’esprit. Car c’est par l’effet d’une soumission de ce genre que le peuple chrétien adresse cette louange à la Vierge : Vous êtes toute belle, ô Marie, et la tache originelle n’est point en vous (Alléluia de la messe de l’Immaculée Conception).

   Et par là se trouve justifié une fois de plus ce que l’Église affirme d’elle, que, seule, elle a exterminé les hérésies dans le monde entier.

   Que si la foi, comme dit l’Apôtre, n’est pas autre chose que le fondement des choses à espérer (Hebr. XI, 1), on conviendra aisément que par le fait que l’Immaculée Conception de Marie confirme notre foi, par là aussi elle ravive en nous l’espérance. D’autant plus que si la Vierge a été affranchie de la tache originelle, c’est parce qu’elle devait être la Mère du Christ : or, elle fut Mère du Christ afin que nos âmes pussent revivre à l’espérance des biens éternels.

   Et maintenant, pour omettre ici la charité à l’égard de Dieu, qui ne trouverait dans la contemplation de la Vierge immaculée un stimulant à garder religieusement le précepte de Jésus-Christ, celui qu’il a déclaré sien par excellence, savoir que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés ?

Marie veille sur l’Eglise

   Un grand signe – c’est en ces termes que l’apôtre saint Jean décrit une vision divine – un grand signe est apparu dans le ciel : une femme, revêtue du soleil, ayant sous ses pieds la lune, et, autour de sa tête, une couronne de douze étoiles (Apoc. XII, 1). Or, nul n’ignore que cette femme signifie la Vierge Marie, qui, sans atteinte pour son intégrité, engendra notre Chef. Et l’Apôtre de poursuivre : Ayant un fruit en son sein, l’enfantement lui arrachait de grands cris et lui causait de cruelles douleurs (Apoc. XII, 2). Saint Jean vit donc la très sainte Mère de Dieu au sein de l’éternelle béatitude et toutefois en travail d’un mystérieux enfantement. Quel enfantement ? Le nôtre assurément, à nous qui, retenus encore dans cet exil, avons besoin d’être engendrés au parfait amour de Dieu et à l’éternelle félicité. Quant aux douleurs de l’enfantement, elles marquent l’ardeur et l’amour avec lesquels Marie veille sur nous du haut du ciel, et travaille, par d’infatigables prières, à porter à sa plénitude le nombre des élus.

   C’est notre désir que tous les fidèles s’appliquent à acquérir cette vertu de charité, et profitent surtout pour cela des fêtes extraordinaires qui vont se célébrer en l’honneur de la Conception immaculée de Marie.

   Avec quelle rage, avec quelle frénésie n’attaque-t-on pas aujourd’hui Jésus-Christ et la religion qu’il a fondée ! Quel danger donc pour un grand nombre, danger actuel et pressant, de se laisser entraîner aux envahissements de l’erreur et de perdre la foi ! C’est pourquoi que celui qui pense être debout prenne garde de tomber (1 Cor. X, 12). Mais que tous aussi adressent à Dieu, avec l’appui de la Vierge, d’humbles et instantes prières, afin qu’il ramène au chemin de la vérité ceux qui ont eu le malheur de s’en écarter. Car Nous savons d’expérience que la prière qui jaillit de la charité et qui s’appuie sur l’intercession de Marie n’a jamais été vaine.

   Assurément, il n’y a pas à attendre que les attaques contre l’Église cessent jamais : car il est nécessaire que des hérésies se produisent, afin que les âmes de foi éprouvée soient manifestées parmi vous (1 Cor. XI, 19). Mais la Vierge ne laissera pas, de son côté, de nous soutenir dans nos épreuves, si dures soient-elles, et de poursuivre la lutte qu’elle a engagée dès sa conception, en sorte que quotidiennement nous pourrons répéter cette parole : Aujourd’hui a été brisée par elle la tête de l’antique serpent (Off. Imm. Conc. Aux II Vêpres à Magnif.).

Indiction du jubilé

   Et afin que les trésors des grâces célestes, plus largement ouverts que d’ordinaire, nous aident à joindre l’imitation de la Bienheureuse Vierge aux hommages que nous lui rendrons, plus solennels, durant toute cette année ; et afin que nous arrivions plus facilement ainsi à tout restaurer en Jésus-Christ, conformément à l’exemple de Nos prédécesseurs au début de leur pontificat, nous avons résolu d’accorder à tout l’univers une indulgence extraordinaire, sous forme de jubilé.

   C’est pourquoi, Nous appuyant sur la miséricorde du Dieu tout-puissant et sur l’autorité des bienheureux apôtres, Pierre et Paul ; au nom de ce pouvoir de lier et de délier qui Nous a été confié, malgré notre indignité : à tous et à chacun des fidèles de l’un et de l’autre sexe, résidant dans cette ville de Rome, ou s’y trouvant de passage, qui auront visité trois fois les quatre basiliques patriarcales, à partir du Ier dimanche de la Quadragésime, 21 février, jusqu’au 2 juin inclusivement, jour où se célèbre la solennité du Très Saint-Sacrement, et qui, pendant un certain temps, auront pieusement prié pour la liberté et l’exaltation de l’Église catholique et du Siège apostolique, pour l’extirpation des hérésies et la conversion des pécheurs, pour la concorde de tous les princes chrétiens, pour la paix et l’unité de tout le peuple fidèle, et selon nos intentions ; qui auront, durant la période indiquée, et hors des jours non compris dans l’indult quadragésimal, jeûné une fois, ne faisant usage que d’aliments maigres ; qui, ayant confessé leurs péchés, auront reçu le sacrement de l’Eucharistie ; de même, à tous les autres, de tout pays, résidant hors de Rome, qui, durant la période susdite, ou dans le cours de trois mois, à déterminer exactement par l’Ordinaire, et même non continus, s’il le juge bon pour la commodité des fidèles, et en tout cas avant le 8 décembre, auront visité trois fois l’église cathédrale, ou, à son défaut l’église paroissiale, ou, à son défaut encore, la principale église du lieu, et qui auront dévotement accompli les autres œuvres ci-dessus indiquées, Nous concédons et accordons l’indulgence plénière de tous leurs péchés ; permettant aussi que cette indulgence, gagnable une seule fois, puisse être appliquée, par manière de suffrage, aux âmes qui ont quitté cette vie en grâce avec Dieu.

   Nous accordons en outre que les voyageurs de terre et de mer, en accomplissant, dès leur retour à leur domicile, les œuvres marquées plus haut, puissent gagner la même indulgence.

   Aux confesseurs approuvés de fait par leurs propres Ordinaires, Nous donnons la faculté de commuer en d’autres œuvres de piété celles prescrites par Nous, et ce, en faveur des Réguliers de l’un et de l’autre sexe et de toutes les autres personnes, quelles qu’elles soient, qui ne pourraient accomplir ces dernières, avec faculté aussi de dispenser de la communion ceux des enfants qui n’auraient pas encore été admis à la recevoir.

   De plus, à tous et à chacun des fidèles, tant laïques qu’ecclésiastiques, soit réguliers, soit séculiers, de quelque Ordre ou Institut que ce soit, y inclus ceux qui demandent une mention spéciale, Nous accordons la permission de se choisir, pour l’effet dont il s’agit, un prêtre quelconque, tant régulier que séculier, entre les prêtres effectivement approuvés (et de cette faculté pourront user encore les religieuses, les novices et autres personnes habitant les monastères cloîtrés, pourvu que le confesseur, dans ce cas, soit approuvé pour les religieuses), lequel prêtre, les personnes susdites se présentant à lui, pendant la période marquée, et lui faisant leur confession avec l’intention de gagner l’indulgence du jubilé et d’accomplir les autres œuvres qui y sont requises, pourra, pour cette fois seulement et uniquement au for de la conscience, les absoudre de toute excommunication, suspense et autres sentences et censures ecclésiastiques, portées et infligées pour quelque cause que ce soit, par la loi ou par le juge, même dans les cas réservés d’une manière spéciale, qu’ils le soient à n’importe qui, fût-ce au Souverain Pontife et au Siège apostolique, ainsi que de tous les péchés ou délits réservés aux Ordinaires et à Nous-même et au Siège apostolique, non toutefois sans avoir enjoint au préalable une pénitence salutaire et tout ce que le droit prescrit qu’il soit enjoint, et s’il s’agit d’hérésie, sans l’abjuration et la rétractation des erreurs exigée par le droit ; de commuer, en outre, toute espèce de vœux, même émis sous serment et réserves au Siège apostolique (exception faite de ceux de chasteté, d’entrée en religion, ou emportant une obligation acceptée par un tiers), de commuer ces vœux, disons-Nous, en d’autres œuvres pieuses et salutaires, et s’il s’agit de pénitents constitués dans les ordres, et même réguliers, de les dispenser de toute irrégularité contraire à l’exercice de l’ordre ou à l’avancement à quelque ordre supérieur, mais contractée seulement pour violation de censure.

   Nous n’entendons pas, d’ailleurs, par les présentes, dispenser des autres irrégularités, quelles qu’elles soient et contractées de quelque façon que ce soit, ou par délit ou par défaut, soit publique, soit occulte, ou par chose infamante, ou par quelque autre incapacité ou inhabilité ; comme Nous ne voulons pas non plus déroger à la Constitution promulguée par Benoît XIV, d’heureuse mémoire, laquelle débute par ces mots : Sacramentum pœnitentiæ, avec les déclarations y annexées ; ni enfin que les présentes puissent ou doivent être d’aucune espèce d’utilité à ceux que Nous-même et le Siège apostolique, ou quelque prélat ou juge ecclésiastique aurait nommément excommuniés, suspendus, interdits ou déclarés sous le coup d’autres sentences ou censures, ou qui auraient été publiquement dénoncés, à moins qu’ils n’aient donné satisfaction, durant la période susdite, et qu’ils ne se soient accordés, s’il y avait lieu, avec les parties.

   A quoi il Nous plaît d’ajouter que Nous voulons et accordons que, même durant tout ce temps du jubilé, chacun garde intégralement le privilège de gagner, sans en excepter les plénières, toutes les indulgences accordées par Nous ou par nos prédécesseurs.

« L’arc-en-ciel »

   Nous mettons fin à ces lettres, vénérables frères, en exprimant à nouveau la grande espérance que Nous avons au cœur, qui est que, moyennant les grâces extraordinaires de ce jubilé, accordé par Nous sous les auspices de la Vierge Immaculée, beaucoup qui se sont misérablement séparés de Jésus-Christ reviendront à lui, et que refleurira, dans le peuple chrétien, l’amour des vertus et l’ardeur de la piété. Il y a cinquante ans, quand Pie IX, Notre prédécesseur, déclara que la Conception Immaculée de la bienheureuse Mère de Jésus-Christ devait être tenue de foi catholique, on vit, Nous l’avons rappelé, une abondance incroyable de grâces se répandre sur la terre, et un accroissement d’espérance en la Vierge amener partout un progrès considérable dans l’antique religion des peuples. Qu’est-ce donc qui Nous empêche d’attendre quelque chose de mieux encore pour l’avenir ? Certes, Nous traversons une époque funeste, et Nous avons le droit de pousser cette plainte du Prophète : Il n’est plus de vérité, il n’est plus de miséricorde, il n’est plus de science sur la terre. La malédiction et le mensonge et l’homicide et le vol et l’adultère débordent partout (Os. IV, 1-2). Cependant, du milieu de ce qu’on peut appeler un déluge de maux, l’œil contemple, semblable à un arc-en-ciel, la Vierge très clémente, arbitre de paix entre Dieu et les hommes. Je placerai un arc dans la nue et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre (Gen. IX, 13). Que la tempête se déchaîne donc, et qu’une nuit épaisse enveloppe le ciel : nul ne doit trembler. La vue de Marie apaisera Dieu et il pardonnera. L’arc-en-ciel sera dans la nue, et à le voir je me souviendrai du pacte éternel (Gen. IX, 16). Et il n’y aura plus de déluge pour engloutir toute chair (Ib., 15). Nul doute que si Nous Nous confions, comme il convient, en Marie, surtout dans le temps que nous célébrerons avec une plus ardente piété son Immaculée Conception, nul doute, disons-Nous, que Nous ne sentions qu’elle est toujours cette Vierge très puissante qui, de son pied virginal, a brisé la tête du serpent (Off. Imm. Conc. B. V. M.).

   Comme gage de ces grâces, vénérables Frères, Nous vous accordons dans le Seigneur, avec toute l’effusion de votre cœur, à vous et à vos peuples, la bénédiction apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 2 février 1904, de notre Pontificat la première année

Pie X, Pape

armoiries Saint Pie X

2023-60. La vie présente et la vie future.

3ème dimanche après Pâques, dit « dimanche de Jubilate ».
Epître : 1 Pierre II, 11-19 – Evangile : Jean XVI, 16-22.

   L’Evangile de ce troisième dimanche après Pâques nous prépare déjà à l’événement de l’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Son départ « physique » et « visible » de cette terre, sur laquelle Ses disciples devront désormais, jusqu’à Son avènement de la fin des temps, vivre de foi.
Au troisième nocturne des matines de ce dimanche, la Sainte Eglise nous donne à méditer trois extraits du Traité CI des « Traités sur l’Evangile de Saint Jean » de notre Bienheureux Père Saint Augustin : Traité CI ainsi intitulé « Depuis ces paroles de Notre-Seigneur : « Encore un peu de temps, et vous ne Me verrez plus », jusqu’à ces autres : « Et en ce jour vous ne Me demanderez rien » (Jean XVI, 16-23).
Voici donc ci-dessous le texte intégral de ce cent-unième traité sur l’Evangile de Saint Jean où le sublime Docteur d’Hippone commente la péricope évangélique lue ce dimanche à la Sainte Messe, et explique que si ces paroles « Encore un peu de temps… etc. » se sont vérifiées déjà pour le temps entre la mort de Notre-Seigneur et Sa résurrection, elles ont cependant particulièrement trait à cette vie présente, où nous gémissons, et ensuite à la vie éternelle où nous saurons tout et où rien ne nous manquera.

Apparition dans le Cénacle

   1. Ces paroles de Notre-Seigneur à Ses disciples : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père », étaient pour eux si obscures, avant l’accomplissement de ce qu’elles annonçaient, qu’ils se demandaient entre eux ce qu’Il voulait dire, et qu’ils avouaient n’y rien comprendre. L’Evangile, en effet, ajoute : « Quelques-uns donc des disciples se dirent entre eux : Qu’est-ce qu’Il nous dit : Encore un « peu de temps et vous Me verrez, et encore un peu de temps et vous ne Me verrez plus, parce que Je vais à Mon Père ? Ils disaient donc : Qu’est-ce qu’Il nous dit : Encore un peu de temps ? Nous ne savons ce qu’Il dit». Ce qui les embarrassait, c’est qu’Il disait : « Encore un peu de temps et vous ne Me verrez pas, et encore un peu de temps et vous Me verrez ». Auparavant Il leur avait dit, non pas : « Encore un peu de temps » ; mais seulement : « Je vais à Mon Père, et vous ne Me verrez plus » (cf. Jean XVI, 10).
Il semblait alors leur parler clairement, et entre eux ils ne se demandèrent rien à ce sujet. Mais ce qui leur était alors caché et leur fut découvert peu après, nous est maintenant connu. Peu après, en effet, Jésus-Christ souffrit, et ils ne Le virent plus ; et encore un peu après, Il ressuscita, et ils Le virent de nouveau.
Par le mot « plus » Il voulait leur faire comprendre qu’ils ne Le verraient plus à l’avenir, et nous avons déjà expliqué que c’est le sens qu’il faut donner à ces paroles : « Vous ne me verrez plus » ; car, à l’occasion de cet autre passage : « L’Esprit-Saint accusera le monde touchant la justice, parce que Je vais au Père, et vous ne Me verrez plus » (au traité XCV sur Saint Jean), nous avons dit qu’ils ne Le verraient plus dans un corps mortel.

   2. « Mais Jésus », continue l’Evangéliste, « connut qu’ils voulaient L’interroger, et Il leur dit : Vous vous demandez entre vous ce que J’ai dit : Encore un peu de temps, et vous ne Me verrez pas ; et encore un peu temps, et vous Me verrez. En vérité, en vérité, Je vous dis que vous pleurerez et vous gémirez, vous, et le monde se réjouira ; vous serez contristés, mais votre tristesse se changera en joie ». Ces paroles peuvent s’entendre en ce sens que les disciples furent contristés par la mort de Notre-Seigneur et réjouis aussitôt après par Sa résurrection. Mais le monde, et par là il faut entendre Ses ennemis, c’est-à-dire ceux qui Le mirent à mort, le monde s’est réjoui de la mort de Jésus-Christ, pendant que Ses disciples en étaient contristés. Par le mot « monde », on peut entendre la malice de ce monde, c’est-à-dire des hommes qui aiment le monde. C’est pourquoi l’apôtre saint Jacques dit dans son épître : « Quiconque voudra être ami de ce monde se rend ennemi de Dieu » (Jacques IV, 4). Inimitiés contre Dieu en raison desquelles on n’a pas épargné même Son Fils unique.

   3. Le Seigneur ajoute ensuite : « Une femme, lorsqu’elle enfante, est dans la tristesse, parce que son heure est venue; mais lorsqu’elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, parce qu’un homme est né au monde. Et vous, vous avez maintenant de la tristesse ; mais Je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie ». Cette comparaison ne paraît pas difficile à comprendre. L’explication en est toute trouvée, puisque Notre-Seigneur nous l’a donnée Lui-même. L’enfantement est comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie, qui est d’ordinaire plus grande lorsque, au lieu d’une fille, c’est un garçon qui vient au monde. Quant à ces mots : « Personne ne vous ravira votre joie », comme Jésus Lui-même est leur joie, ils nous sont expliqués par ce que dit l’Apôtre : « Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ne mourra plus, et la mort n’exercera plus jamais sur Lui son empire » (Rom. VI, 9).

   4. Jusque-là, nous n’avons fait que courir dans cette partie de l’Evangile que nous expliquons aujourd’hui, tant chaque chose est facile à comprendre ; mais ce qui suit demande une attention bien plus profonde. Que veulent dire en effet ces paroles : « Et en ce jour vous ne Me demanderez rien ? » Le mot ici employé, rogare, ne signifie pas seulement demander, il signifie encore interroger. Et l’Evangile grec, dont celui-ci est la traduction, emploie lui aussi un mot qui présente les deux sens. Ainsi le grec ne peut nous aider à découvrir le sens précis du mot latin ; et quand il pourrait le faire, toute difficulté n’aurait pas disparu. Car nous voyons qu’après Sa résurrection Notre-Seigneur a été interrogé et prié. Ses disciples L’ont interrogé, au moment où Il montait au ciel, pour savoir quand Il reviendrait et rétablirait le royaume d’Israël (cf. Act. I, 6). Il était déjà dans le ciel, quand Il fut prié par saint Etienne de vouloir bien recevoir son âme (cf. Act. VII, 58). Où est l’homme assez osé pour penser ou dire qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’Il est assis au plus haut des cieux, puisqu’on Le priait lorsqu’Il était sur la terre ? qu’il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd’hui qu’Il est immortel, puisqu’il fallait Le prier quand Il était mortel ? Ah ! mes très-chers frères, prions-Le plutôt de vouloir bien résoudre Lui-même cette difficulté, en faisant briller Sa lumière dans nos coeurs, pour nous faire comprendre ce qu’Il a voulu dire.

   5. Je le pense, ces paroles : « De nouveau Je vous verrai et votre coeur se réjouira, et  personne ne vous enlèvera votre joie », doivent se rapporter non pas au temps où, après Sa résurrection, Il leur donna Sa chair à voir et à toucher (cf. Jean XX, 27), mais plutôt à ce temps dont Il avait déjà dit : « Celui qui M’aime sera aimé par Mon Père, et Je l’aimerai, et Je Me montrerai à lui » (Jean, XIV, 21). Déjà, en effet, Jésus-Christ était ressuscité, déjà Il S’était montré dans Sa chair à Ses disciples, déjà Il était assis à la droite du Père, quand l’apôtre Jean, dont nous expliquons l’Evangile, disait dans une de ses épîtres : « Mes bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’est point encore apparu ; nous savons que, quand Il apparaîtra, nous serons semblables à Lui, parce que nous Le verrons tel qu’Il est » (1 Jean III, 2). Cette vision n’est pas pour cette vie, mais pour la vie future ; elle est, non pas du temps, mais de l’éternité. « C’est », dit Celui qui est la vie, « c’est vie éternelle, de Vous connaître, Vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que Vous avez envoyé » (Jean XVII, 3). Au sujet de cette vision et de cette connaissance, l’Apôtre nous dit : « Nous ne voyons rien maintenant a que comme dans un miroir et sous des images obscures ; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je ne Le connais qu’imparfaitement, mais alors je Le connaîtrai comme je suis connu de Lui » (1 Cor. XIII, 12-13). Ce fruit de tout son travail, l’Eglise l’enfante aujourd’hui par ses désirs ; alors elle le produira en le voyant. Maintenant elle l’enfante en gémissant, alors elle le produira en se réjouissant ; maintenant elle l’enfante en priant, alors elle le produira en louant. Et c’est un garçon ; car c’est à ce fruit de la contemplation que se rapportent toutes les œuvres de l’action. Seul il est libre ; car il est désiré pour lui-même et il ne se rapporte à rien autre chose. C’est lui que sert toute action, c’est à lui que se rapporte tout ce qui se fait de bien, parce que le bien se fait pour lui ; on n’entre en possession de lui, et on ne le possède que pour lui-même, et ce n’est point pour autre chose. Il est la fin qui nous doit suffire : il est donc éternel ; car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n’a pas de fin. C’est ce qui était inspiré à Philippe, lorsqu’il disait : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». En promettant de Le lui montrer, le Fils lui fait la promesse de Se montrer Lui-même : « Ne crois-tu pas que Je suis dans le Père et que le Père est en Moi ? » (Jean XIV, 8-10). C’est donc avec raison que nous entendons ces paroles : « Personne ne vous enlèvera votre joie», la joie de l’objet qui nous suffit.

   6. Par ce que nous venons de dire, il nous est, ce me semble, possible de mieux saisir ces paroles : « Encore un peu de temps et vous ne Me verrez plus, et encore un peu de temps et vous Me verrez ». Ce peu de temps dont parle Notre-Seigneur, c’est tout l’espace qui renferme le temps présent. C’est pourquoi notre Evangéliste dit encore dans une de ses épîtres : « C’est la dernière heure » (Jean II, 18). Et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que Je vais à Mon Père », doit se rapporter à la première phrase : « Encore un peu de temps et vous ne Me verrez plus » ; et non pas à la seconde, où Il dit : « et encore un peu de temps et vous Me verrez ». Dès lors qu’Il devait aller au Père, ils ne devaient plus Le voir. Il ne dit donc pas qu’Il devait mourir, et que jusqu’à Sa résurrection Il serait soustrait à leur vue ; mais Il dit qu’Il devait aller au Père ; ce qu’Il fit après Sa résurrection, lorsqu’après avoir conversé avec eux pendant quarante jours, Il monta au ciel (cf. Act. I, 3-9). Il dit donc « Encore un peu de temps et vous ne Me verrez plus ». Et Il le dit à ceux qui Le voyaient corporellement, parce qu’Il devait aller au Père, et qu’ils ne Le verraient plus comme homme mortel, et tel qu’Il était lorsqu’Il leur disait ces choses. Quant à ce qu’Il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous Me verrez », c’est à toute l’Eglise qu’Il le promet ; comme c’est à toute l’Eglise qu’Il a fait cette autre promesse : « Voici que Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles » (Matth. XXVIII, 20). Le Seigneur ne retardera pas l’accomplissement de Sa promesse : Encore un peu de temps, et nous Le verrons, mais dans un état où nous n’aurons pas à Le prier ni à L’interroger, parce qu’il ne nous restera rien à désirer ni rien de caché à apprendre. Ce peu de temps nous paraît long, parce qu’il n’est pas encore passé ; mais quand il sera fini, nous comprendrons combien il était court. Que notre joie ne ressemble donc pas à celle du monde dont il est dit : « Mais le monde se réjouira »; et néanmoins, pendant l’enfantement du désir de l’éternité, que notre tristesse ne soit pas sans joie ; car, dit l’Apôtre : « Joyeux en espérance, patients en tribulations » (Rom. XII, 12). En effet, la femme qui enfante, et à laquelle nous avons été comparés, ressent plus de joie à mettre au monde un enfant, qu’elle ne ressent de tristesse à souffrir sa douleur présente. Mais finissons ici ce discours. Ce qui suit offre en effet une difficulté très-épineuse ; il faut ne pas le circonscrire dans le peu de temps qui nous reste, afin de pouvoir l’expliquer avec plus de loisir, s’il plait au Seigneur de nous en faire la grâce.

Ascension de NSJC

2023-59. Gouverner et se gouverner : lettre aux membres et amis de la Confrérie Royale pour le 25 avril 2023.

25 avril 2023,
fête de Saint Marc, évangéliste et martyr ;
à Rome, les litanies majeures (mineures en France) ;
anniversaire de la naissance de SMTC le Roi Louis XX.

Baptême du futur Louis XX

Baptême du futur Louis XX

En ce 25 avril,
nous souhaitons à Monseigneur le Prince Louis de Bourbon,

duc d’Anjou,
de jure Sa Majesté le Roi Louis XX
un très bon et heureux anniversaire,
et nous L’assurons de nos ferventes prières
pour Son Auguste Personne
et à toutes Ses intentions

Armes de France & Navarre

Lettre mensuelle aux membres et amis
de la
Confrérie Royale

Gouverner et se gouverner

       Gouverner est désiré avec concupiscence par ceux qui prétendent servir leur pays. En revanche, l’art du gouvernement est un art difficile et rares sont les artisans experts en cette matière. Saint Thomas d’Aquin, dans son étude sur La Royauté, précise ce qu’est gouverner : « […] Gouverner signifie conduire de manière appropriée ce qui est gouverné vers la fin qui lui est due. » (Livre II, chap. 3, art. 2) Une telle définition devrait ramener à des sentiments plus humbles ceux qui veulent détenir le pouvoir, car, la plupart du temps, le gouvernement ne poursuit pas un tel but mais plutôt la mise en place d’un programme bénéficiant à quelques-uns. Pour le Docteur angélique, la fondation d’une cité ou d’un royaume doit se conformer à la création du monde. De même, le gouvernement d’une cité ou d’un royaume devra se conformer au gouvernement divin. Toute personne ayant reçu une charge particulière doit aider les autres à atteindre leurs fins extrinsèques, autant qu’il en possède la capacité, comme lorsqu’un capitaine au long cours mène à bon port son navire. Ce dernier ne doit pas seulement conserver intact son vaisseau mais également le conduire jusqu’au port qui était prévu. Quelle est donc la fin ultime de la multitude des hommes ? Vivre selon la vertu. Reprenant ici une intuition aristotélicienne, l’Aquinate souligne que les hommes ne se rassemblent pas seulement pour vivre, comme le font aussi certaines espèces animales, pour se soutenir dans l’atteinte et l’exercice des vertus. Malgré tout, cela n’est pas le port final. Il faut s’élever encore : « La fin de la multitude associée n’est pas de vivre selon la vertu, mais de parvenir, grâce à une vie vertueuse, à la jouissance de Dieu. » (Livre II, chap. 3, art. 6) Un tel gouvernement échappe au roi temporel et repose en Dieu, le prince n’étant qu’un auxiliaire pour favoriser ceux qui ont mission de transmettre sur cette terre l’annonce de la gloire céleste, à savoir les prêtres. Dans une telle hiérarchie des fins à poursuivre, celles qui sont secondaires ne sont que des paliers pour atteindre la fin ultime. Les rois sont les serviteurs du roi qu’est le Christ et ils doivent se soumettre à son Vicaire sur terre, lui-même serviteur de Celui qui est la tête : « […] À celui en charge de la fin dernière doivent se soumettre ceux qui sont chargés des fins antécédentes ; et c’est par son commandement qu’ils sont dirigés. » (Livre II, chap. 3, art. 9)

   Nous sommes bien éloignés de cet idéal dans nos gouvernements contemporains, tant pour les biens intermédiaires et les fins extrinsèques que pour, bien entendu, le bien suprême et la fin ultime. Leonardo Castellani écrit très justement : « Dur et difficile de gouverner, mais incroyablement dangereux aussi. Non pas à cause du nombre incalculable de choses à faire, comme on le croit ordinairement, mais à cause du courage nécessaire à l’exécution des trois seules choses auxquelles le gouvernement est tenu, – d’après ce que j’ai lu chez Machiavel, qui le tirait lui-même de Tite-Live. Trois choses, pas une de plus, trois comme les personnes de la Sainte Trinité : faire la guerre, faire des routes et rendre justice. Et distribuer l’essence ? Laissons ça aux garagistes. Et quand les gouvernants sont corrompus ? Patience ! S’ils sont pris la main dans le sac, alors c’est là qu’il faut rendre la justice. » (Le Verbe dans le Sang, « Gouverner ») Un système républicain à la française tombe justement dans l’ornière du totalitarisme en ce qui concerne « les choses à faire ». L’État est anthropophage, dévorant ses propres enfants à force de les surveiller, de les manipuler et de les punir en toute occasion. Comme les apprentis sorciers en politique veulent prouver qu’ils sont capables de faire quelque chose, – ce qui est toujours regardé avec suspicion par les peuples-, ils décident de s’occuper de tout, surtout de ce qui ne les regarde pas comme la vie des familles, l’instruction, l’éducation, les arts, les fêtes, les loisirs et, bien évidemment, la religion. L’excellent Père Castellani souligne avec humour : « Le gouvernement enseigne et cultive à peu près comme le moustique ou la tique cultive l’organisme. » Souvent des voix s’élèvent pour défendre cette boulimie étatique, avançant l’argument que le monde actuel est très compliqué et qu’il nécessite des solutions et des actions qui ne le sont pas moins. En fait, plus un problème est complexe, plus les principes utilisés pour le résoudre devraient être simples. Gouverner est d’abord affaire de discrétion, de distance, de hauteur. Si la monarchie chrétienne française fut un modèle d’équilibre, – tenant compte qu’aucun système politique n’est infaillible et parfait -, ce fut grâce à quatre colonnes qui furent en même temps quatre protections contre les abus du pouvoir : les corporations, puissance financière ; l’université, centre du savoir ; la magistrature, gardienne des lois ; et l’Église, siège du pouvoir spirituel et du bien suprême. Le roi très chrétien devait gouverner en s’appuyant, bon gré mal gré, sur ces quatre piliers. Ce n’est plus le cas des élus républicains dont les assemblées, très réduites, sont au service d’un mythe : le progrès, et d’une puissance créée uniquement par l’homme : l’argent. La confrontation engendrée par un système niant Dieu conduit nécessairement à ce que Satan soit plus fort que le Créateur dans l’ordre matériel. Dieu est faible en politique et fort pour gouverner la création. Notre jésuite rebelle nous encourage en déduisant le point suivant : « Il y a une ruse de Dieu : caché dans sa manche, l’as de l’épée, carte de la Résurrection. Quand tout s’obscurcit, soyez sûr qu’alors viendra l’aube. Et souvenez-vous de la parabole du figuier. » Rappelons le contenu de cette parabole : « Apprenez la parabole prise du figuier. Quand ses rameaux sont encore tendres et ses feuilles naissantes, vous savez que l’été est proche. Ainsi vous-mêmes, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Christ est proche, à la porte. » (Matthieu, XXIV. 32-33)

   Notre confiance dans le gouvernement du monde par Dieu est une invitation à relativiser les choses humaines, tout ce qui dépend de l’homme, tous ces biens secondaires, toutes ces fins extérieures. L’important est dans l’art de se gouverner soi-même, c’est-à-dire de cultiver les vertus qui seront le tremplin pour atteindre le bien éternel au-dessus de nous. Tout le reste peut sombrer dans le chaos. Voilà pourquoi tant de générations de chrétiens fervents ont résisté aux persécutions et se sont dirigés sans faillir vers le martyre. La vie intérieure exige plus de talent et de résistance que tous les gouvernements de la terre. Encore faut-il reconnaître Notre Seigneur comme le Roi qui dirige et qui donne les lois et les règles pour parvenir jusqu’à lui. Elles sont simples : renoncer à soi-même, puis prendre sa croix pour Le suivre. Nous sommes sous le règne de la divine providence et celle-ci ne régente pas toutes choses mais nous éclaire pour accomplir le bien. Saint Jérôme précisait à juste titre : « Il est absurde d’étendre la majesté de Dieu au point où il saurait à chaque instant combien de moustiques naissent et combien meurent [...]. Nous ne devons pas devenir des vains adulateurs de Dieu au point de galvauder la providence en l’étendant jusqu’à ces questions. » (Commentaire sur Habacuc) En revanche Dieu agit en tout ce qui contribue au bien moral et spirituel de l’homme, sans négliger le reste de la création, comme Notre Seigneur le rappelle : « Deux passereaux ne se vendent-ils pas un as ? Cependant pas un d’eux ne peut tomber sur la terre sans votre Père. Les cheveux mêmes de votre tête sont comptés. » (Matthieu, X. 29-30) Saint Augustin, dans La Cité de Dieu, luttera contre une idée erronée du destin et défendra cette Providence qui régit tout dans le moindre détail si cela est ordonné au bien des créatures. Notre tâche pour nous gouverner nous-mêmes est donc grandement facilité. L’horizon est dégagé et nous pouvons nous reposer en confiance. Tout en appelant de nos vœux un régime politique conforme aux vertus chrétiennes, -et en travaillant chacun à notre petit niveau à son avènement-, ne soyons pas inquiets, angoissés à cause du chaos du monde, des crises de notre pays, des blessures de l’Église. Celui qui aime est aux commandes. Il est un valeureux capitaine qui nous mènera à jeter l’ancre dans une baie paradisiaque.

Père Jean-François Thomas s.j.
Lundi Saint 3 avril 2023

Christ-Roi - église Sainte-Marie à Ely  Cambridgeshire

2023-57. Où, à propos de la fête du Bienheureux Simon de Todi, on évoque les fautes contre le huitième commandement si fréquentes chez les fidèles et dans le clergé lui-même.

20 avril,
Dans l’Ordre de Saint Augustin, fête du Bienheureux Simon de Todi ;
Anniversaire de la naissance de SMTC le Roi Alphonse II de France (cf. > ici, et > ici).

Bienheureux Simon de Todi

Représentation récente du Bienheureux Simon de Todi

       L’extraordinaire fécondité spirituelle du grand Saint Augustin, se vérifie tout particulièrement par les innombrables fruits de sainteté qui se sont développés dans les familles religieuses vivant sous la Règle qu’il a laissée, magnifique héritage de l’expérience spirituelle vécue par le célèbre converti – et par ses proches – dès avant son baptême, le 24 avril 387 (cf. ce que nous en avons écrit > ici).
En France, l’Ordre des Ermites de Saint Augustin, dont les couvents étaient assez nombreux sous l’Ancien Régime, ne s’est jamais véritablement remis de la grande révolution, si bien que (hélas !), la grande majorité des catholiques français de cette première moitié du XXIème siècle, même dans les milieux fervents et instruits, ne sait pas grand chose de cet Ordre, qui subsiste pourtant heureusement en bien d’autres pays, ni des grands saints qu’il a donné à la Sainte Eglise.

   Le Bienheureux Simon de Todi est l’une de ces magnifiques figures de sainteté, dont le jour de la fête nous fournit l’occasion de faire une brève présentation.
Simon Rinalducci est né à Todi (province de Pérouse, en Ombrie), aux alentours de 1260. On ne sait pratiquement rien de son enfance et de son adolescence.
Vers 1280 il entra dans l’Ordre des Ermites de Saint Augustins, chez lesquels il fit ses études et fut ordonné prêtre : dès lors il est connu comme un théologien brillant et un excellent prédicateur. Il exerce la fonction de lecteur (terme par lequel on désigne alors, dans certains ordres religieux, celui qui donne les leçons de théologie) dans plusieurs couvents, puis il est désigné comme prieur de monastère, et enfin nommé prieur provincial d’Ombrie, ce qui l’amène donc à visiter les monastères de l’Ordre et à prendre les décisions pour que la discipline et la ferveur y soient non seulement observées, mais qu’elles y croissent en intensité et profondeur.

   Or nous savons bien que, même dans les milieux religieux – où l’on est supposé rechercher avec ardeur la perfection morale, tendre loyalement  à la sainteté et vivre plus qu’ailleurs dans la charité fraternelle -, le démon s’efforce d’introduire des éléments de dissension et de trouble.
Les responsabilités confiées au Frère Simon de Todi dans le gouvernement de l’Ordre, et les exigences de son gouvernement suscitèrent fatalement des jalousies et des mécontentements chez certains religieux moins fervents…
C’est ainsi qu’à l’occasion du chapitre général de Rimini, en 1318, plusieurs religieux calomnièrent le Père Simon, qui n’avait pu venir à ce chapitre : les supérieurs reçurent ces accusations (dont la teneur n’a pas été conservée par l’histoire) comme des faits avérés, sans chercher à les vérifier ni à les approfondir : ces accusations eurent évidemment des conséquences, tant pour la réputation que pour l’apostolat du Bienheureux qui fut relevé de ses fonctions et éloigné d’Ombrie, mais refusa toujours de se justifier, comme l’y exhortaient certains bons religieux qui savaient que tout cela n’était que le produit de la jalousie et de la méchanceté. Il ne se plaignit pas non plus, acceptant l’épreuve avec sérénité et esprit surnaturel, disant que Notre-Seigneur avait souffert bien davantage et de bien plus cruelle manière.

   Il fut alors envoyé à Bologne, où il exerça avec brio son ministère de prédication, convertissant et ramenant dans le bercail de la Sainte Eglise un très grand nombre de brebis égarées.
Il s’y montra aussi un exemple d’humilité et d’obéissance, malgré l’évidente injustice qui le frappait. Sa patience et son abnégation touchèrent au plus profond un très grand nombre d’âmes, et Dieu lui accorda des faveurs surnaturelles signalées, parmi lesquelles le don d’accomplir plusieurs miracles.
Les évêques se réjouissaient des heureux fruits de la prédication du 
Père Simon de Todi dans leurs diocèses, ce qui accrut le rayonnement de l’Ordre et favorisa des fondations de monastères.

   Le Bienheureux Simon de Todi rendit son âme à Dieu à Bologne le 20 avril 1322, dans le couvent Saint Jacques le Majeur où sa tombe devint rapidement un lieu de pèlerinage et de miracles : selon le témoignage du Bienheureux Jourdain de Saxe, il avait prophétisé le jour de sa mort.
Durant les trois années qui suivirent son trépas, trois notaires différents recensèrent cent-trente-six miracles obtenus sur sa tombe.
Son culte fut confirmé le 19 mars 1833 par le pape Grégoire XVI, et la basilique Saint Jacques le Majeur de Bologne, encore aujourd’hui desservie par les Augustins, conserve toujours ses restes vénérés.

Basilique Saint Jacques le Majeur à Bologne - intérieur

Bologne : intérieur de la basilique Saint Jacques le Majeur

       Malheureusement, et on ne peut pas y penser sans une très grande peine, le huitième commandement de Dieu, qui interdit le mensonge, les atteintes à la réputation et à l’honneur d’autrui (par la médisance, la diffamation, la calomnie, les jugements téméraires, les propos insidieux et les ragots), le faux témoignage et le parjure, est l’un de ceux qui est le plus malmené et sur lequel les fidèles semblent le moins sensibilisé de nos jours : à l’intérieur même du clergé – de la même façon que cela s’est passé jadis pour le Bienheureux Simon de Todi, ainsi que cela a été raconté ci-dessus – on peut fréquemment constater des fautes multiples contre ce commandement de Dieu, soit par frivolité soit par jalousie et méchanceté.
Il n’est même pas rare que des supérieurs ecclésiastiques, voire des organes de communication officiels de diocèses, donnent ce mauvais exemple et se fassent les colporteurs de telles graves injustices.
Il semble donc important de rappeler (la répétition n’est-elle pas la mère de la pédagogie ?) en ce jour l’enseignement pérenne de l’église sur le huitième commandement et les fautes que l’on commet contre lui. A cette fin, nous recopions ci-dessous le passage du Catéchisme de Saint Pie X qui le concerne :

Extrait du catéchisme de Saint Pie X : Le huitième commandement.

   Question : Que nous défend le huitième commandement : « Tu ne diras pas de faux témoignage » ?
Réponse : Le huitième commandement : Tu ne diras pas de faux témoignage, nous défend de déposer faussement en justice. Il nous défend encore la diffamation ou médisance, la calomnie, la flatterie, le jugement et le soupçon téméraires et toute sorte de mensonge.

   Q. : Qu’est-ce que la diffamation ou médisance ?
R. : La diffamation ou médisance est un péché qui consiste à manifester sans un juste motif les péchés et les défauts d’autrui.

   Q. : Qu’est-ce que la calomnie ?
R. : La calomnie est un péché qui consiste à attribuer méchamment au prochain des fautes et des défauts qu’il n’a pas.

   Q. : Qu’est-ce que la flatterie ?
R. : La flatterie est un péché qui consiste à tromper quelqu’un en disant faussement du bien de lui ou d’un autre, dans le but d’en retirer quelque avantage.

   Q. : Qu’est-ce que le jugement ou soupçon téméraire ?
R. : Le jugement ou le soupçon téméraire est un péché qui consiste à mal juger ou à soupçonner de mal le prochain sans un juste motif.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge ?
R. : Le mensonge est un péché qui consiste à affirmer comme vrai ou comme faux, par des paroles ou par des actes, ce qu’on ne croit pas tel.

   Q. : De combien d’espèces est le mensonge ?
R. : Le mensonge est de trois espèces : le mensonge joyeux, le mensonge officieux et le mensonge pernicieux.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge joyeux ?
R. : Le mensonge joyeux est celui dans lequel on ment par pure plaisanterie et sans faire tort à personne.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge officieux ?
R. : Le mensonge officieux est l’affirmation d’une chose fausse pour sa propre utilité ou celle d’un autre, mais sans qu’il y ait de préjudice pour personne.

   Q. : Qu’est-ce que le mensonge pernicieux ?
R. : Le mensonge pernicieux est l’affirmation d’une chose fausse qui fait tort au prochain.

   Q. : Est-il permis de mentir ?
R. : Il n’est jamais permis de mentir ni par plaisanterie, ni pour son propre avantage ni pour celui d’autrui, car c’est une chose mauvaise par elle-même.

   Q. : Quel péché est le mensonge ?
R. : Quand le mensonge est joyeux ou officieux, c’est un péché véniel ; mais s’il est pernicieux, c’est un péché mortel si le préjudice causé est grave.

   Q. : Est-il toujours nécessaire de dire tout ce qu’on pense ?
R. : Non, cela n’est pas toujours nécessaire, surtout quand celui qui vous interroge n’a pas le droit de savoir ce qu’il demande.

   Q. : Pour celui qui a péché contre le huitième commandement suffit-il qu’il s’en confesse ?
R. : Pour celui qui a péché contre le huitième commandement, il ne suffit pas qu’il s’en confesse ; il est obligé de rétracter ce qu’il a dit de calomnieux contre le prochain, et de réparer du mieux qu’il le peut les dommages qu’il lui a causés.

   Q. : Que nous ordonne le huitième commandement ?
R. : Le huitième commandement nous ordonne de dire quand il le faut la vérité, et d’interpréter en bien, autant que nous le pouvons, les actions de notre prochain.

   Puisse donc le Bienheureux Simon de Todi, fêté ce 20 avril, ancrer profondément ces divines vérités en nos âmes, nous assister pour que nous évitions comme la peste de tomber nous-mêmes en semblables fautes, et nous venir en aide pour supporter avec patience, à son exemple, les atteintes à notre réputation et à notre honneur que nous font subir les diffamateurs, médisants et calomniateurs qui ne manquent jamais de se manifester dès lors que l’on chatouille un peu leur autosuffisante médiocrité.

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.       

Albrecht Dürer - la calomnie

La calomnie (gravure d’Albrecht Dürer)

2023-56. Récoltes pascales.

- Méditation pour le dimanche de Quasimodo -

Andrea del Verrochio - l'incrédulité de Saint Thomas

Andrea di Michele di Cione dit Le Verrocchio (1435 – 1488) :
l’incrédulité de Saint Thomas confondue

Présence de Dieu.

« O Jésus, je viens à Vous comme Thomas ; faites que je ne sois pas incrédule, mais fidèle ».

Méditation.

   1 – La liturgie de ce jour s’occupe, d’une façon toute particulière, des nouveaux baptisés qui, à l’expiration de la semaine pascale, déposaient les vêtements blancs reçus au fonts baptismaux. C’est réellement à eux qu’est adressée l’affectueuse recommandation de Saint Pierre que nous lisons dans l’introït de la Messe : « Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel très pur ».
Ces paroles nous révèlent la sollicitude maternelle de l’Église pour ses enfants qu’elle a régénérés dans le Christ et surtout pour les nouveaux-nés.
Mais nous sommes aussi l’objet de cette sollicitude ; bien que baptisés dès notre venue au monde, on peut dire qu’à chaque fête de Pâques, en ressuscitant dans le Christ, nous renaissons en Lui à une vie nouvelle. Il nous faut donc être nous aussi semblables à des « enfants nouveaux-nés », dans lesquels il n’y a ni malice, ni fausseté, ni orgueil, ni présomption, mais qui sont pleins de candeur et de simplicité, de confiance et d’amour.
C’est un magnifique rappel à cette enfance spirituelle que Jésus nous a proposée comme condition indispensable pour arriver au salut : « Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux » (Matth. XVIII, 3). Chaque flot de grâce, purifiant et guérissant notre âme du péché et de ses racines, nous fait renaître à une vie nouvelle dans le Christ, vie innocente et pure, qui aspire uniquement « au lait spirituel très pur » de la doctrine du Christ, de Son amour et de Sa grâce.
Mais aujourd’hui, l’Église veut orienter d’une façon toute particulière nos désirs vers la foi : une foi qui nous fasse adhérer à Jésus pour être instruit par Lui, nourris et guidés vers la vie éternelle. La parole du Maître que nous avons méditée la semaine dernière, revient, également ici, bien à propos : « Celui qui croit en Moi, de son sein couleront des fleuves d’eau vive… jaillissant en vie éternelle » (Jean VII, 38 ; IV, 14).
Approchons de Jésus avec cette foi simple et sincère des enfants, et Il nous donnera l’abondance de Sa grâce en gage de vie éternelle.

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 1

   2 – L’Evangile de ce jour a une valeur toute particulière pour nous affermir dans la foi.
Le doute de Thomas nous confirme dans la foi car, ainsi que le dit Saint Grégoire, « son incrédulité nous a été plus utile que la foi des autres apôtres » ; s’il n’avait pas douté, aucun homme n’aurait « mis son doigt dans la plaie des clous, ni sa main dans celle du côté » de Notre-Seigneur.
Jésus a eu pitié de la foi chancelante de l’apôtre, et aussi de la nôtre, et Il S’est laissé non seulement voir, comme Il l’avait fait auparavant, mais encore palper, en permettant à Thomas, l’incrédule, ce qu’Il avait refusé à Marie-Madeleine, la très fidèle.
Cela nous fait comprendre la conduite de Dieu : alors qu’Il accorde les consolations sensibles et les signes plus ou moins palpables de Sa présence à des âmes encore hésitantes dans la foi, Il conduit souvent par des voies très obscures ceux qui se sont donnés à Lui irrévocablement et sur la foi desquels Il peut compter.
Dieu est Père ; Il ne refuse à aucune âme qui Le cherche d’un cœur sincère ce qu’il lui faut pour soutenir sa foi ; mais Il refuse souvent aux plus forts ce qu’Il accorde aux plus faibles.
Jésus, ne nous dit-Il pas : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » ? Bienheureux ceux qui, pour croire en Dieu, n’ont pas besoin de voir, de toucher, n’ont nul besoin de signes sensibles, mais sont capables d’affirmer sans réticence : « Scio cui credidi » (2 Tim. I, 12), je sais en qui j’ai mis ma confiance et je suis sûr de Lui.
Une foi semblable est plus méritoire pour nous puisque, se basant uniquement sur la parole de Dieu, elle est entièrement surnaturelle.
Elle est plus honorable pour Dieu puisqu’elle Lui fait plein crédit, sans exiger aucune preuve, et qu’elle persévère même au sein de l’obscurité et des événements les plus déconcertants, alors qu’il lui semble que le ciel est fermé et le Seigneur sourd à ses gémissements.
Une fois aussi forte est certainement le fruit de la grâce divine, mais nous devons nous préparer à la recevoir, soit en la demandant dans la prière, soit en nous exerçant dans la foi elle-même.

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 2

Colloque :

   Mon Dieu, donnez-moi un cœur pur et simple, sans malice, sans hypocrisie.
« O Seigneur, accordez-moi la véritable pureté et la vraie simplicité, dans les regards, les paroles, le cœur, l’intention, les œuvres et dans toutes les manifestations tant intérieures qu’extérieures. Mais je voudrais savoir, Seigneur, ce qui empêche en moi le développement de ces vertus. Je te le dirai, ô mon âme, puisque je ne le puis faire comprendre à autrui. Sais-tu ce qui fait obstacle ? Le moindre regard qui ne soit pas dirigé vers Dieu, toutes les paroles qui ne sont pas prononcées pour Sa louange ou le réconfort du prochain. Et sais-tu comment tu expulses ces vertus de ton cœur ? Tu les bannis chaque fois que tu manques de cette pure intention d’honorer Dieu et d’aider ton prochain ; tu les chasses encore lorsque tu veux couvrir et excuser tes fautes, ne songeant pas que Dieu voit tout et qu’Il voit ton cœur. O Seigneur, donnez-moi cette véritable pureté et cette vraie simplicité, car Vous ne pouvez trouver Votre repos dans l’âme qui en est privée » (Sainte Marie-Madeleine de’ Pazzi).
O Seigneur, purifiez mon cœur et mes lèvres par le feu de votre charité, afin que je Vous aime et Vous cherche avec la pureté et la simplicité d’un enfant. Mais donnez-moi aussi la foi simple des petits, cette foi sans ombre, sans incertitude, sans raisonnement inutile ; une foi droite et pure qui trouve, dans Votre parole et Votre témoignage, sa satisfaction et son apaisement, sans rien vouloir d’autre.
« O Seigneur, que m’importe de sentir ou de ne pas sentir, d’être dans la nuit ou dans la lumière, de jouir ou de souffrir, lorsque je peux me recueillir sous la lumière créée en moi par Votre parole ! J’éprouve plutôt une sorte de honte à différencier ces choses et, s’il m’arrive d’être ému par elles, me méprisant profondément pour mon peu d’amour, je n’ai qu’à regarder en hâte mon Maître pour me faire délivrer par Lui… Vous m’enseignez à Vous exalter par-delà les douceurs et les consolations qui sont Vôtres, car je dois être résolu à tout dépasser pour m’unir à Vous » (cf. Saint Elisabeth de la Trinité).

Rd. Père Gabriel de Sainte-Marie-Madeleine, ocd.
In « Intimité divine »

Andrea del Verrochio - incrédilité de Saint Thomas détail 3

2023-54. « La fête de Pâques, porteuse d’un message d’espoir contenu au cœur de la religion catholique, et qui délivre une espérance universelle, promise à tous les peuples en général et à chaque homme en particulier. »

Saint Jour de Pâques de l’an de grâce 2023.

Trois lys blancs

       Dans une tribune libre, publiée dans l’hebdomadaire « Marianne » paru à la date du Vendredi Saint 7 avril 2023 (source > ici), Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou, de jure Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Louis XX, analyse les différentes crises, diplomatique et sociale, qui touchent l’Hexagone. Pour Sa Majesté, la France a besoin d’un renouveau social et moral. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir que, depuis plusieurs mois déjà, des revues, qui – dans leurs principes fondateurs et leurs orientations politiques – ne sont pas, loin s’en faut, des organes de presse monarchistes, donnent la parole à notre Souverain légitime, lui donnant ainsi une audience nationale qui dépasse largement celui des publications légitimistes. Dans la joie et la lumière du Seigneur Ressuscité, méditons et approfondissons les paroles sages et fortes de Sa Majesté.

Monseigneur le Prince Louis de Bourbon duc d'Anjou

Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou,
de jure Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Louis XX

   Le printemps s’ouvre sur la fête de Pâques, porteuse d’un message d’espoir contenu au cœur de la religion catholique, et qui délivre une espérance universelle, promise à tous les peuples en général et à chaque homme en particulier. Elle nous pousse à croire qu’après chaque crépuscule, après chaque nuit, si longue et pénible soit-elle, une aube revient, plus éclatante à chaque fois. Croyant ou non, n’avons-nous tous pas besoin d’un tel message, d’un tel espoir dans des temps qui peuvent nous apparaître bien difficiles ?

   Néanmoins, l’espérance ne naît pas de nulle part. Il faut des forces vives, des actions authentiques et de véritables réalisations pour la susciter et lui donner sa force. Ainsi, notre chère France peut retrouver la force qu’elle semble avoir perdue seulement si des hommes et des femmes sont résolus à agir et à adopter des comportements moraux authentiques mus par la recherche du bien commun et de la justice. La crise sociale et les revers diplomatiques que la France essuie manifestent les difficultés du pouvoir à y parvenir. N’est-il pas temps de renouer avec un système capable de les guider sur cette voie ô combien nécessaire ?

Surmonter la crise

   Héritier d’une tradition millénaire, je sais au plus profond de moi qu’il n’y a pas de crise, pas de situation politique que la France n’ait su surmonter. Et une fois encore, je suis convaincu qu’existent des solutions pour bâtir l’avenir de notre pays dès lors qu’il n’est pas guidé par l’idéologie, mais abordé en termes de réalités, celles des hommes et du sol, et dans cette recherche du bien commun.

   Sur le plan international, alors que la guerre s’étend des portes de l’Europe à de multiples territoires, il devient chaque jour plus nécessaire que la France s’impose à nouveau en puissance médiatrice, capable de faire revenir une paix à laquelle nous aspirons tous. Cette paix à construire ne doit pas être seulement une cessation des opérations militaires, mais également une véritable entreprise de justice et de vérité, fondée sur les leçons du passé ainsi que sur la volonté profonde de bâtir un avenir pacifique. Plus que tout autre continent, l’Europe sait à quel point des paix qui s’écartent de ces principes ne sont que des cendres sous lesquelles couvent des braises ardentes promptes à se rallumer.

   Or, il est du devoir de notre pays d’être cette puissance diplomatique influente, capable d’apporter la paix là où les évènements l’imposent. Cela est aussi essentiel à la France qu’aux autres nations du monde. Sur le plan social, le dialogue basé sur un réel désir d’écoute et de compréhension, semble plus que jamais être la solution la plus constructive face aux démonstrations d’autoritarisme qui développent des rancœurs et cristallisent les antagonismes. Et il ne me semble pas vain de répéter que les gouvernants ne doivent jamais perdre de vue le bien de leurs peuples. Ces derniers ne sont ni à ignorer, ni à brusquer mais à écouter et à comprendre. Aucune pression, si puissante soit-elle, ne doit surseoir à ce principe. Et pourtant, cette fameuse réforme des retraites apparaît comme étant plus motivée par des logiques comptables que par un réel souci du bien commun.

Besoin d’une politique sociale

   Une fois de plus, la monarchie se révèle être, en creux, d’une modernité criante face aux problèmes actuels. De fait, le roi n’est l’homme d’aucun parti, d’aucun lobby, notamment financier, puisqu’il ne doit son trône à personne si ce n’est à sa naissance et à la providence. Cette autorité conférée qui échappe aux trafics des hommes, est la garantie d’une politique complètement indépendante, tournée vers le seul bien des peuples et du pays. Grâce à ce principe, la monarchie a toujours tenté d’apporter les remèdes aux maux sociaux qui rongeaient notre pays à différentes époques, du Livre des Métiers de Saint Louis aux préoccupations sociales de Charles X pour la classe ouvrière en formation. Et même en exil, les aînés de la maison de Bourbon ont eu soin d’être attentifs à la question sociale en France. Mon ancêtre, le Comte de Chambord (1820-1883) avait, ainsi, plus que bien des hommes politiques de son temps, senti la nécessité de protéger le peuple français des dangers de la société matérialiste et libérale qui se mettait en place.

   En 2018, j’avais déjà soutenu la profonde détresse du peuple français exprimée dans le mouvement social d’alors devant lequel le pouvoir est demeuré aveugle, cherchant des règlements uniquement matériels alors que les Français attendaient également de la considération. Aujourd’hui, je réitère ma profonde solidarité avec ceux qui souffrent, qui se sentent abandonnés et négligés. La violence à l’œuvre est évidemment à condamner, mais n’est-elle pas la manifestation profonde d’un dysfonctionnement majeur des institutions démocratiques qui auraient dû permettre de canaliser une violence symbolique sans laisser libre place aux voyous qui ne sont là que pour semer le chaos ?

   La France a, par le passé, séduit bien des fois les autres pays en matière de politique sociale. Durant la deuxième moitié du XXe siècle, elle était d’ailleurs devenue une référence, tant son système social démontrait son efficacité en matière de soins, de prévoyance et d’assistance. J’ose même dire que la politique sociale française fait désormais partie des emblèmes et des fiertés de notre pays et qu’elle est constitutive de son identité contemporaine. Il ne faut donc pas laisser dépérir cet héritage. À nouveau, les Français ont besoin d’une politique sociale pour le XXIe siècle, basée sur le long terme et sur les réalités de notre époque, et non de mesures vexatoires et expéditives. Tout est une question de volonté partagée.

Puiser dans l’histoire

   Les troubles autour de la réforme des retraites ne sont sûrement qu’un prétexte à une protestation d’une portée plus générale de nos compatriotes qui souffrent de vivre dans un système qui n’est plus adapté aux conditions économiques et sociales du siècle qui s’ouvre. Il est un devoir impérieux d’assurer à tous les Français qui travaillent les conditions nécessaires d’une subsistance digne qui prend en compte les nouvelles réalités qui s’écrivent tant en termes de mondialisation des échanges que d’innovations technologiques qui en sont encore à leurs balbutiements, et que de transformation dans le rapport au travail. Il s’agit seulement ici d’une œuvre de justice qu’un État doit à son peuple.

   Il est temps que la France retrouve, en puisant dans le meilleur des racines de son histoire, la volonté d’agir pour construire un avenir qui lui soit à la fois plus favorable au plan social comme à l’échelle internationale. C’est à ces conditions que la France contribuera à nouveau à façonner les destinées du monde. Que la fête de Pâques soit l’occasion de redonner l’espérance que je désire ardemment voir animer le cœur de chaque Français.

Louis

grandes armes de France

2023-51. Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

Mercredi de la Passion.

   A huit jours du Jeudi Saint, et parce que la Semaine Sainte est déjà très riche de textes à approfondir, prier et méditer, voici une très belle étude réalisée par l’un des prêtres membres de la Confrérie Royale, qui a été envoyée à tous ses membres en guide de lettre mensuelle à l’occasion du 25 mars 2023.
Vous pouvez compléter cette lecture avec celle de notre publication du 28 mars 2013 (voir > ici) concernant le « Dernier Jeudi Saint de la Monarchie Très Chrétienne ».

Giotto di Bondone le lavement des pieds - Padoue

Giotto di Bondone (1266/67-1337) : le lavement des pieds [chapelle Scrovegni - Padoue]

frise fleurs de lys

Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

       La cérémonie du lavement des pieds ou Mandatum (note 1) du Jeudi saint est sans doute l’une des plus originales que nous offre l’année liturgique, au cœur de ce splendide écrin qu’est le Triduum pascal. Le lavement des pieds constitue matériellement un acte tout à fait anodin et spirituellement un modèle de grande élévation mystique, consistant en l’imitation de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé » (note 2). Il s’agit surtout d’un exemple d’humilité à l’instar des abaissements du Verbe incarné, à la veille de la grande Passion qu’il allait souffrir et offrir pour la rédemption du monde.

   L’exemple vient d’en haut. Depuis le haut Moyen Âge, les grands de la Chrétienté, papes et évêques, empereurs et rois, prirent l’habitude de commémorer le lavement des pieds au cours d’une véritable cérémonie liturgique, en marge de la Messe in Cœna Domini. Le roi de France, fils aîné de l’Église, avait le devoir de se soumettre à cet usage. Le mot « Mandatum » a donné le mot français « mandé », inusité aujourd’hui, et le mot anglais « Maundy », toujours employé pour désigner le Jeudi saint – « Maundy Thursday ». « Maundy » vient aussi du mot « maund » qui désignait une corbeille destinée à recevoir les aumônes. En effet, le jour du Jeudi saint était à la fois consacré au service liturgique humiliant du lavement des pieds, mais aussi à la distribution d’aumônes aux pauvres. Les deux vont de pair et se sont retrouvés unis au cours de la même célébration.

Robert le Pieux et saint Louis : lorsque le roi très chrétien servait les pauvres

   Le roi Robert II le Pieux († 1031) semble avoir été le premier à introduire à la cour le rituel du lavement des pieds (note 3) auquel il se soumettait régulièrement. Le roi acceptait de laver les pieds à douze pauvres vieillards, leur distribuait une aumône, avant de leur offrir un repas et de les servir lui-même à table, en compagnie d’autres princes et grands officiers de la cour (note 4). Nous lisons, dans la Vie de Robert le Pieux composée par le moine et chroniqueur Helgaud de Fleury († 1048), une belle description du rituel accompli par le fils d’Hugues Capet :

« De plus, le jour de la cène du Seigneur, il assemblait avec soin au moins trois cents pauvres, et lui-même, à la troisième heure du jour, servait à genoux, de sa sainte main, des légumes, des poissons, du pain à chacun d’eux, et leur mettait un denier à la main. Ce fait admirable pour ceux qui le virent dans un tel office, ne sera pas cru par ceux qui ne l’ont pas vu. À la sixième heure, il réunissait cent pauvres clercs, leur accordait une ration de pain, de poissons et de vin, gratifiait d’un denier douze d’entre eux, et chantait pendant ce temps, de cœur et de bouche, les psaumes de David ; après cela, cet humble roi préparait la table pour le service de Dieu, déposait ses vêtements, couvrait sa chair d’un cilice, et s’adjoignait le collège des clercs, au nombre de cent soixante, ou plus encore ; il lavait, à l’exemple du Seigneur, les pieds de ces douze pauvres, les essuyait avec ses cheveux, les faisait manger avec lui ; et au mandatum Domini, donnait à chacun d’eux deux sous (note 5) . »

   Ce bel extrait montre que le rituel auquel le roi de France s’appliquait le jour du Jeudi saint ne se limitait pas uniquement au lavement des pieds des douze pauvres. Plusieurs repas successifs, accompagnés de distribution d’aumônes, étaient servis par le roi en personne, à de nombreux indigents (300 pauvres laïques, 100 pauvres clercs et les 12 pauvres du Mandatum). Le lavement des pieds était placé entre le deuxième et le troisième repas.

Saint Louis lavant les pieds des pauvres et des mendiants

Saint Louis, lavant les pieds d’un mendiant.
Enluminure des Grandes Chroniques de France, XIVe siècle.
Paris, BnF, Mss. fr. 2813, f° 265.

   Le grand saint Louis (1214-1270) ne se contenta pas d’imiter son pieux ancêtre. Ses journées étaient consacrées, à côté de ses tâches proprement royales, au service des pauvres : « Les jours de fête, il réunissait deux cents pauvres dans son palais, et les servait lui-même à table (note 6). » Le Jeudi saint, il donnait un exemple solennel devant toute la cour :

« Mais le jeudi saint, autorisé par l’exemple du Sauveur, il ne craignait pas de le faire devant sa cour. En ce saint jour, il lavait les pieds à treize pauvres, et leur donnait quarante deniers. Plus tard, lorsque ses fils étaient près de lui, il leur faisait faire de même. Et ce n’était point, comme nous le voyons encore dans le rituel de cette fête aujourd’hui, une pure cérémonie […]. Un jour un des vieillards, prenant fort au sérieux l’office dont le roi s’acquittait, et voulant profiter de l’occasion, lui fit remarquer que les doigts de ses pieds n’étaient pas propres à l’intérieur, et le pria en toute simplicité de les nettoyer. Ceux qui étaient là s’indignaient contre ce malotru, qui demandait au roi un tel service. Mais le pieux roi, faisant droit à sa requête, fit humblement ce qu’il souhaitait, lava les doigts, les essuya et y joignit le baiser de charité (note 7). »

   On peut s’étonner du fait que treize pauvres au lieu de douze étaient choisis. Dom Guéranger rappelait une tradition puisée dans la vie de saint Grégoire le Grand († 604). « Ce grand Pontife lavait chaque jour les pieds à douze pauvres qu’il admettait ensuite à sa table. Un jour, un treizième pauvre se trouva mêlé avec les autres, sans que personne l’eût vu entrer ; ce personnage était un Ange que Dieu avait envoyé pour témoigner par sa miraculeuse présence combien était agréable au ciel la charité de Grégoire (note 8). »

   Saint Louis fut le modèle par excellence du « roi très chrétien ». Ce titre était un honneur mais représentait surtout de grands devoirs à accomplir pour le monarque français. Ses successeurs ne pouvaient pas se dispenser d’imiter le saint roi dans sa vie de charité envers les pauvres. Le Jeudi saint était pour eux l’occasion de donner un témoignage public de cet esprit de service.

La pratique des Bourbons : un cérémonial élaboré

   Henri IV, fraîchement (re)converti au catholicisme, célébra son premier Jeudi saint, en qualité de roi de France et de Navarre, au palais du Louvre, en 1594. Il sacrifia sans peine à la tradition de ses ancêtres. Voici ce qu’écrivait le chroniqueur Pierre de l’Estoile († 1611) : « Le jeudi absolut, 7 de ce mois, le Roy fist au Louvre la cerimonie accoustumée du lavement des pieds, où M. de Bourges prescha ; alla dans l’hostel Dieu visiter tous les pauvres, et leur donna à chacun l’ausmonne de sa propre main, sans en oublier un seul ; et après les exhorta à l’amour de Dieu et de leurs prochains, et à patience. Chose belle à un roy (note 9). »

   En 1643, Louis XIII mourant confia au petit dauphin, âgé de quatre ans, la tâche de remplir ce si honorable ministère :

   « Sa Majesté n’ayant pu assister le Jeudi-Saint à la cérémonie ordinaire de la cour, parce que sa santé n’est pas entièrement parfaite […], Mgr le Dauphin fut substitué en la place de Sa Majesté et commença par un action d’humilité et piété, telle que celle qui se pratique tous les ans à pareil jour à la cour, de donner de grandes espérances d’une future piété. Plusieurs seigneurs se rendirent hier à Saint-Germain, d’où étant de retour, l’on a su comme avec grâce et douceur ce jeune prince avoit lavé les pieds aux pauvres, auxquels il a fait bailler à chacun certaine quantité de toille et de drap (note 10). »

Eustache le Sueur St Louis lavant les pieds des pauvres musée des Beaux-Arts de Tours

Saint Louis lavant les pieds des pauvres
par Eustache Le Sueur (1616-1655)
Cette toile, conservée au musée des beaux-arts de Tours,
est contemporaine des règnes de Louis XIII et Louis XIV
dont la pratique est décrite ci-dessus et ci-dessous

   Louis XIV continua sans peine la tradition qu’il avait dû si précocement accomplir. Concluant un sermon donné devant la cour, avant la cérémonie du lavement des pieds, en 1665, le prédicateur Guillaume Leboux (1621-1693), alors évêque de Dax, s’adressait en ces termes au jeune souverain de 27 ans :

   « Sire, Votre Majesté peut tirer de tous ces beaux exemples diverses instructions ; mais, en finissant, je ne dois m’arrêter qu’à celle qui lui est nécessaire dans le temps de cette sainte et auguste cérémonie, par laquelle un grand roi va renouveler aux pieds de ses sujets ce que le Seigneur a fait aux pieds de ses Apôtres. Que cette action faite dans l’esprit de la Foi, de la Charité et de la Religion si fortement enracinée dans le cœur de Votre Majesté, dispose saintement ce grand cœur à recevoir le don de cet ami. Qu’elle peut attirer de bénédictions sur sa personne ! Et il n’y a pas lieu de craindre d’avilir par là la majesté du roi ; et je puis dire au plus grand des rois ce qu’un panégyriste disait à un grand empereur : que lorsqu’il s’abaissait devant ses peuples, sa grandeur était en sûreté : Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ. Elle est en sûreté, Sire, cette grandeur royale, qui va paraître couverte des marques de la servitude. Car, après tout, Votre Majesté s’abaissant aux pieds de ses sujets, elle affermit encore par là ce trône de respect et d’amour, qu’il s’est élevé dans leur cœur. Il y a quelque chose de plus : elle s’élève par là un trône de gloire dans le sein de Dieu (note 11). »

   La portée spirituelle du rite du Mandatum accompli par le souverain ne faisait pas de doute. On relèvera surtout, dans ce bref extrait, les belles paroles répétées par Le Boux : « Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ ». En s’humiliant devant son peuple, le prince met sa couronne et la grandeur de sa mission en sûreté. Le lien fort qui unissait le monarque à son peuple était particulièrement mis en exergue le Jeudi saint. Le grand cérémonial imposé par Louis XIV à Versailles sut mettre encore plus en valeur le noble rite au cours duquel le roi était identifié au Christ Maître et Serviteur :

   « Chaque année, le Jeudi saint au matin, le roi faisait célébrer dans la grande salle des gardes de son palais la cérémonie de la Cène royale. Celle-ci se déroulait en trois temps. Le roi commençait par entendre une prédication et le chant du Miserere : désignée par le nom d’absoute, cette première partie était vraisemblablement le reliquat de l’antique cérémonie romaine de la réconciliation des pénitents le jour du Jeudi saint. Pour le lavement des pieds, Louis XIV se mettait à genoux devant treize garçons pauvres dont il lavait, essuyait et embrassait à chacun le pied droit. Enfin, durant la Cène royale proprement dite, il leur servait lui-même à manger, accompagné d’un certain nombre de courtisans soigneusement choisis, sur une table installée dans la même pièce (note 12). »

   Une autre description très précise, remontant aux années 1640, nous est donnée par Guillaume du Peyrat, aumônier de Louis XIII dans son Histoire ecclésiastique de la cour, publiée en 1645. Nous la restituons ici in extenso :

   « Le jeudi, dès six heures du matin, ces treize petits pauvres sont menez à la Fourrière (note 13), où le Barbier du commun de la maison du Roy leur raze les cheveux, & coupe les ongles du pied à chacun, puis on les fait chausser, & on leur baille à desieuner, & les officiers de la Fourrière leur lavent après les iambes & les pieds avec de l’eau tiede, & des herbes odoriferentes, afin que sa Majesté n’en reçoive aucune mauvaise odeur ; cela fait, ils sont habillez d’une petite robe de drap rouge, ayant un chaperon à hache, attaché derrière, avec deux aulnes de toile qui leur pendent depuis le col jusques en bas, où son enveloppez leurs pieds, & sont conduits par leurs pères & mères, ou quelqu’un de leurs parens, en la salle où se doit faire la cérémonie, & assis le long d’un banc, le dos tourné contre la table, où le Roy les doit servir, & le visage vers la chaire, où le grand Aumosnier, ou autre Prélat choisi pour faire ce jour le service divin devant sa Majesté, doit faire l’exortation sur le sujet de cette cérémonie. L’exhortation faite on chante le Miserere, à l’issuë duquel le grand Aumosnier, ou autre Prélat qui a fait l’exhortation, donne l’absolution, puis le Roy s’advance vers les enfans, & prosterné à deux genoux, commence à laver le pied droit au premier, & le baise, & ainsi continuë aux autres. Le grand Aumosnier de France, & en son absence, le premier Aumosnier tient le bassin d’argent doré, & l’un des Aumosniers servans tient le pied de l’enfant que le Roy lave, essuye, & baise après. Si le grand & le premier Aumosniers sont absens, l’un des deux Aumosniers servans qui sont en quartier, tient le bassin, & l’autre les pieds des enfans. Ce lavement estant fait, les enfans sont passés de l’autre costé de la table, où ils sont servis par le Roy, chacun de treize plats de bois, les uns pleins de légumes, les autres de poisson, & d’une petite cruche pleine de vin, sur laquelle on met trois pains, ou eschaudés (note 14), & puis le Roy passe au col à chacun d’eux une bourse de cuir rouge, dans laquelle il y a treize escus, laquelle est présentée à sa Majesté par le Thrésorier des aumosnes. Tous ces mets sont présentez au Roy par les Princes du sang royal, & autres Princes & grands Seigneurs qui se trouvent lors auprès de sa Majesté. Le premier Maistre d’Hostel en l’absence du Grand-Maistre de France (note 15) marchand devant eux avec son baston de premier Maistre d’Hostel en grande cérémonie ; & derrière les enfans y a un Aumosnier servant, qui prend tous les plats, si tost que le Roy les a mis sur la table, & les remet dans des paniers, ou corbeilles qui sont tenües par les pères & mères, ou parens des enfans, ausquels le tout appartient. Cette cérémonie ainsi parachevée, le Roy vient à la Messe avec une grande suite de Princes, Seigneurs, & Officiers de la Cour […] (note 16) »

Versailles chapelle royale - tribune de la musique petite voûte centrale

Chapelle royale du château de Versailles :
peinture à la voûte centrale de la tribune de la musique

   On voit bien, dans cette description, une claire distinction entre le rite du Mandatum, dont les ministres étaient les seuls ecclésiastiques, et le rite de la « Cène royale », auquel participaient les officiers laïques de la Cour. Le 17 avril 1715, le vieux Louis XIV se soumettait toujours, malgré son grand âge, mais fidèle à l’exemple qu’il avait le devoir de donner, à cette fatigante cérémonie. Une description très précise nous est donnée par le Nouveau Mercure galant, dans laquelle nous voyons tout le protocole entourant notamment la Cène royale, avec l’intervention des grands officiers et des princes du sang :

   « Le Jeudy Saint le Roy alla à neuf heures & demie du matin, accompagné de M. le Dauphin (note 17), de M. le Duc d’Orléans (note 18), & de tous les Princes, dans la Salles des Gardes, où l’on avoit dressé une Chaire pour le Prédicateur. Il y trouva 13 petits enfants couverts d’un drap rouge avec un grand linge qui leur pendoit au col, M. le Cardinal de Rohan, Grand Aumônier, en Habits Pontificaux. La Scène [sic] fut prêchée par M. l’Abbé Foissard, dont le Sermon fut très-applaudy, sur tout le compliment qu’il fit à S. M. qui convenoit fort à la cérémonie du jour, & à ce qu’il venoit de prêcher ; ayant prouvé dans les deux parties de son Discours l’abaissement de J. C. combattu par la raison humaine, & la raison humaine confonduë par l’abaissement de J. C. dans cette cérémonie. À la fin du Sermon M. le Cardinal monta en Chaire, ayant la Mitre sur la tête & la Crosse à la main. Les Chantres commencèrent d’entonner l’Antienne Intret. M. le Grand Aumônier ayant dit les Oraisons accoûtumées, donna l’Absoute, & le Roy alla incontinent laver les pieds des Apostres, ayant versé de l’eau dessus, & essuyé avec un linge, il les leur baisa. Cette cérémonie finie, on servit les pauvres dans cet ordre. M. Desgranges, Maistre des Cérémonies, précédé d’un Huissier, suivy de M. le Marquis de Dreux, Grand Maistre des Cérémonies, de 13 Maistres d’Hôtel chacun avec leur Bâton de Commandement, de M. le Marquis de Livry, Premier Maistre d’Hôtel, qui portoit aussi son Bâton, de M. le Duc, grand Maistre de la Maison du Roy, portant un Bâton parsemé de fleurs de lys d’or avec une Couronne d’or au bout. Ils marchoient les premiers, & en passant devant S. M. faisoient une révérence ; ensuite venoit M. le Dauphin, portant un plat de bois sur lequel étoient trois petits pains avec une galette ; M. le Duc d’Orléans portant un plat de même sur lequel estoit une cruche pleine de vin avec une coupe par-dessus, le tout de bois ; M. le Comte de Charollois, M. le Prince de Conty, M. le Prince de Dombes, M. le Comte d’Eu, & M. le Comte de Toulouse portant chacun un plat de poisson, de légumes, de confitures, ou de fruits, suivis du grand Échanson, du grand Pannetier, & des Gentilshommes servans qui faisoient en tout treize qui portoient aussi des plats de bois ornez de fleurs. En arrivant devant S. M. ils faisoient une révérence en luy présentant le plat que le Roy donnoit en même tems aux pauvres. Cette cérémonie commença jusqu’à 13 fois dans le même ordre, parce qu’on sert 13 plats à chaque pauvre qui estoient treize (note 19). Il faut remarquer qu’on alloit prendre ces plats dans une autre Salle assez esloignée, & que M. le Dauphin fit 13 fois le voyage, comme les autres Princes, marchant avec beaucoup de fermeté, & portant son plat avec beaucoup d’adresse, suivi toûjours de Madame de Ventadour sa Gouvernante (note 20). »

   Peu de différences en réalité avec les descriptions faites, sept décennies plus tôt, par du Peyrat, ce qui est le signe d’une continuité inchangée du cérémonial du Mandatum. Néanmoins, la description du Mercure nous fait entrevoir toute la solennité avec laquelle la monarchie a voulu entourer cette cérémonie, en y faisant participer les plus hauts personnages de la famille royale et de la Cour. L’exemple vient en effet d’en haut : en collaborant avec le souverain à ce rituel long et complexe, les acteurs du Mandatum et de la Cène royale manifestaient leur humble soumission au commandement du Seigneur, pleinement uni ici au commandement du Prince. Le souverain allait ensuite assister à la Messe du Jeudi saint à la chapelle. Toute cette journée, comme les autres jours saints, étaient consacrés à la cour à la commémoration des évènements de la Rédemption. La piété du monarque devait servir d’exemple aux princes et aux courtisans, et ce en dépit du relâchement moral et spirituel qui a affecté les élites du royaume de France au cours du XVIIIe siècle. Cet exemple de piété était doublé d’un exemple de charité, avec l’exercice d’une des principales œuvres de miséricorde qu’est l’aumône. La Cène royale représente la munificence du prince envers ses peuples, quand bien même un petit échantillon était seulement admis à bénéficier de ces largesses.

   La Cène royale eut aussi un pendant « féminin ». Ce fut le cas, en 1739, lorsque la reine Marie Leszczynska participa à une « Cène de la Reine » au cours de laquelle les plats étaient apportés par les princesses et les grandes dames de sa Maison (note 21). Auparavant, la reine procédait au lavement des pieds de treize filles pauvres. Ce n’était pas une nouveauté : en 1640, la grande Mademoiselle, nièce de Louis XIII, remplaçait Anne d’Autriche pour le Mandatum. Les deux Cènes étaient deux cérémonies bien distinctes, avec une prédication (un prédicateur), des officiers et des lieux différents (note 22).

   L’ultime cérémonie célébrée par la monarchie française eut lieu en 1830, au palais des Tuileries. « Un grand nombre de fidèles se pressoient pour être témoins de cet acte de piété. Puisse ce grand exemple n’être pas stérile pour eux ! » peut-on lire dans l’Ami de la Religion et du Roi (voir > ici). La révolution qui éclata en juillet suivant et l’avènement de Louis-Philippe sonnèrent le glas de ces usages si nobles et si touchants d’une si antique royauté inséparable de l’autel.

Mathias Balticensis

restitution de la chapelle des Tuileries sous la Restauration

Restitution de la chapelle royale aux Tuileries sous la Restauration
(d’après plusieurs documents d’époque)

Notes :

1 - Ce nom latin est tiré des paroles du Seigneur à ses Apôtres lors de la Cène : « Mandatum novum do vobis », « Je vous donne un commandement nouveau » Jn 13, 34.
2 – Jn 13, 16.
3 - Alexandre Maral, La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV, Wavre, Mardaga, 2010 (2e éd.), p. 279.
4 – Abbé N.-J. Cornet, Beautés de l’Église catholique, représentées dans son culte, ses mœurs et ses usages, Liège, H. Dessain, 1857, p. 64.
5 – Mme Amable Testu, Cours d’histoire de France. Lectures tirées des chroniques et des mémoires avec un précis de l’histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à nos jours, Paris, Lavigne, 1836, t. I, p. 188.
6 – H. Wallon, Saint Louis, Tours, Alfred Mame et fils, 1880, p. 40.
7 - Ibid., p. 41-42.
8 – Dom Prosper Guéranger, L’Année liturgique, La Passion et la Semaine sainte, Paris, H. Oudin, 1900, p. 441.
9 – Pierre de L’Estoile, Journal de Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, Paris, Foucault, 1826, t. III, p. 46.
10 – Lettre de Chanu, député de Lyon, au consulat (3 avril 1643), citée in G. Fagniez, « Paris jugé par la province. Extraits de la correspondance adressée au consulat de Lyon par les députés de cette ville à la Cour (1595-1645) », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 23e année (1896), p. 59.
11 - « Deux sermons inédits de Leboux prononcés devant Louis XIV le Jeudi-Saint pour la cérémonie du lavement des pieds », Revue du Clergé Français, 3e année, t. XII (1897), p. 164.
12 - Gérard Sabatier, Margarita Torrione, ¿ Louis XIV espagnol ? Madrid et Versailles, images et modèles, Versailles, CRCV, 2009, p. 227.
13 - La fourrière désigne le lieu où se trouvaient les services du fourrier, officier chargé d’assurer les vivres et le logement de la cour. 
14 – Biscuits de pâte légère ébouillantée.
15 - Officier chargé de la surintendance générale de la Maison du Roi. 
16 – Guillaume du Peyrat, L’histoire ecclésiastique de la cour ou les antiquitez et recherches de la chapelle, et oratoire du roy de France depuis Clovis I jusques à notre temps, Paris, Henry Sara, 1645, p. 774-775.
17 - Futur Louis XV. 
18 – Futur régent du royaume. 
19 – Il faut remarquer que tous ces plats n’étaient pas consommés sur place. Une bonne partie d’entre eux étaient donnés en aumône aux petits pauvres et à leurs familles.
20 - Nouveau Mercure galant, mai 1715, p. 127-133.

2023-50. Nous avons lu et médité, et nous avons aimé : « Chemin de Croix », du Révérend Père Jean-François Thomas s.j.

Temps de la Passion.

   Le petit livre que nous recommandons avec chaleur n’est pas récent, mais on peut dire qu’il est intemporel, pérenne : ce sont des méditations pour les 14 stations du Chemin de la Croix, rédigées par le Révérend Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, que nous n’avons plus à présenter;
Publié en 2017 par les éditions « Via Romana », ce tout petit livre (par sa taille) est toujours disponible en librairie : on le trouve donc très facilement ; on peut aussi le commander sur plusieurs sites de librairies catholiques en ligne.
En outre, au bas de cette page-ci, vous pouvez l’écouter en différé, lu par le Révérend Père Thomas lui-même, enregistré le Vendredi Saint en 2020.

Chemin de Croix - Rd Père Jean-François Thomas sj

- Présentation publiée dans « Correspondance Européenne » du 10 avril 2017 :

    »A l’approche du triduum pascal, le meilleur moyen d’entrer enfin pleinement dans le drame du Salut en s’unissant aux souffrances du Sauveur est bien sûr l’exercice du Chemin de Croix. Reste, et ce n’est pas facile tant les questions sociétales et politiques ont pris le pas, ces dernières années, sur le spirituel, à trouver celui qui touchera l’âme en y éveillant les sentiments de compassion et de contrition nécessaires.
Celui du Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, (Chemin de Croix, Via Romana, 2017, 76 pages, 7€), devrait répondre aux attentes les plus exigeantes. Très traditionnel dans sa forme et ses dévotions, il n’a rien toutefois de vieux jeu et sait prendre en compte les besoins spécifiques et les souffrances d’un « monde qui a perdu la tête ».
Aux fautes et péchés de tous les temps, cette via crucis ajoute avec délicatesse ceux de notre époque, les nôtres et ceux de nos contemporains, que nous n’avons pas su écarter du Mal. Le Père Thomas trouve les mots justes qui éclairent à la lumière de la Passion nos drames intimes et collectifs.
Avec des formules simples mais efficaces, il rappelle à chaque ligne qui est Celui qui monte ainsi au Golgotha sous les crachats, les coups, les ricanements d’une foule à laquelle nous nous mêlons trop souvent. Il faut un cœur de pierre pour rester insensible à ses puissantes méditations sur les chutes successives du Seigneur, le rôle de Simon de Cyrène, le dépouillement du Christ dont la nudité sainte répond à la nudité honteuse d’Adam, les clous enfoncés dans Ses mains sacrées et, surtout, la beauté mariale de ces quatorze stations qu’accompagne, forte et debout, la Mère des Douleurs. Voici un texte à lire, méditer, et reprendre, chaque vendredi et pas seulement pendant la Semaine Sainte, afin de garder présent à l’esprit de quel prix incroyable nous avons été rachetés [...]« .

Anne Bernet

- Entretien publié dans le quotidien « Présent » du samedi 11 mars 2017 :

   Le père Jean-François Thomas, jésuite, écrivain, vient de faire paraître un très utile petit livret de méditation sur le chemin de croix :

   — Pourquoi avoir écrit des méditations sur le chemin de croix ? N’en trouve-t-on pas déjà beaucoup ?
— En effet, mais cela ne serait pas une raison pour déposer la plume en se disant qu’il ne faut plus aborder un tel thème de contemplation. Depuis les origines du christianisme, les auteurs spirituels n’ont pas cessé de méditer sur les mêmes mystères. Plus un mystère de la foi est central, plus il sera sujet à méditations. Le croyant a toujours faim et soif de mieux comprendre avec son intelligence et d’entrer davantage en communion avec son âme, afin que sa foi soit ferme et fidèle. Certaines époques ont été riches en méditations du chemin de croix et de la Passion du Christ, notamment ce siècle d’or que fut le Grand Siècle français, le XVIIe siècle. Tous les ordres religieux y consacrèrent une part importante de leur apostolat, plantant la croix dans le cœur des fidèles et ramenant à la vraie foi beaucoup d’hérétiques protestants. Nous ne pouvons nous approcher de cette méditation qu’avec crainte et tremblement, car nous touchons là à la fois à l’aboutissement du mystère d’iniquité auquel nous a conduits le péché originel et à l’achèvement de l’œuvre de la Rédemption.

   — Trouvez-vous que cette dévotion s’accorde toujours à notre temps et convient aux catholiques pratiquants de 2017 ?
— Depuis le début des pèlerinages à Jérusalem sur les traces du Christ, ceci au IIe siècle, vers 160, avec Méliton de Sardes, la dévotion envers Jésus dans sa Passion n’a cessé de se développer. Peu à peu, elle prit sa forme actuelle, mais elle n’est pas apparue subitement ex nihilo. Elle a été intégrée dans la Tradition de l’Eglise et, depuis des siècles, les générations de croyants s’en nourrissent. Les aliments spirituels ne sont jamais périmés. L’expression de la foi ne dépend pas des modes mais de l’efficacité des instruments qui lui sont proposés. Cette dévotion est simple, elle s’adresse à tous nos sens puisque nous nous joignons à la foule qui accompagne le Sauveur vers le Golgotha. Le temps ne peut pas user un tel moyen d’être en communion avec Notre-Seigneur.

   — Quelle est l’origine de cette dévotion ?
— Elle provient de Terre sainte. Mettre ses pas dans ceux du Christ montant au Calvaire était un des moments les plus poignants de la démarche des pèlerins. L’impératrice Hélène avait été la première souveraine à se rendre à Jérusalem en 330, elle ne négligea point le chemin du Calvaire. Lorsqu’en 451 a lieu le concile de Chalcédoine, qui réaffirme la pleine humanité de Jésus en plus de sa divinité, le désir de vénérer la terre où le Christ avait vécu en tant qu’homme s’accrut encore davantage. Les Franciscains, au XIIIe siècle, mirent peu à peu en place le chemin de croix que nous connaissons dans les rues de Jérusalem, Via Dolorosa. Cette dévotion marqua profondément les fidèles et ils voulurent continuer à la mettre en pratique une fois le pèlerinage terminé, d’abord en Italie où les disciples de saint François d’Assise la mirent en place, puis dans toute la chrétienté. Clément XII, en 1731, ratifia le bien de cette dévotion, en autorisant que les stations du chemin de croix puissent également être installées dans des églises ne dépendant pas des Franciscains.

   — Ne fait-on pas mémoire, durant le chemin de croix, d’épisodes transmis par la Tradition mais non rapportés dans les Evangiles ?
— En effet, cinq stations proviennent de la tradition orale : les trois chutes de Jésus, la rencontre avec sa sainte Mère et l’épisode de sainte Véronique essuyant la sainte Face avec un linge. Je ne suis pas certain qu’un souci rigide de ne coller qu’aux épisodes relatés dans les saintes Ecritures soit un apport pour la foi. Les chutes de Jésus n’ont rien d’improbables, car il était chargé d’un poids très lourd et affaibli par les blessures de la flagellation. Il est facile de comprendre aussi que la Sainte Vierge, encore plus que ne l’auraient été toutes les mères du monde, était présente sur la Via Dolorosa puisqu’elle participait de façon mystérieuse à la Passion de son Fils. Quant à Véronique, il s’agit de la femme hémoroïsse, originaire de Panéas et guérie par le Christ dont elle toucha le manteau (évangile selon saint Matthieu, XX). Est-il donc si improbable de croire, à partir de témoignages aussi antiques, que cette femme miraculée ait suivi Jésus, dans une gratitude fidèle, jusqu’au Calvaire ?

   — Quelles sont les grâces spéciales attachées à la récitation du chemin de croix ?
— La plus insigne, souvent ignorée des fidèles, st une indulgence plénière, accordée selon les conditions habituelles : se détacher de tout péché véniel, se confesser, communier, prier aux intentions du souverain pontife. En ce qui concerne le chemin de croix, il faut aussi se déplacer (sauf pour les malades, bien sûr) entre les stations érigées avec une croix d’indulgence au-dessus de la représentation de l’épisode de la Passion. Don extraordinaire de l’Eglise que cette indulgence plénière, qui est donc reçue à chaque fois que le chemin de croix est accompli fidèlement ! A cela s’ajoutent des grâces particulières d’union profonde avec le Seigneur contemplé dans sa Passion : protection contre Satan et ses démons, promesse de la vie éternelle…

   — Nous sommes en carême ; la notion que cette dévotion est particulièrement propre à ce temps liturgique est-elle justifiée ?
— Il est normal que le carême nous invite à une méditation renouvelée de la Passion du Christ. D’où la saine et sainte habitude de faire le chemin de croix, seul ou en groupe, chaque vendredi de ce temps liturgique, et de façon plus solennelle, bien sûr, le vendredi saint, à l’heure où le Sauveur meurt sur la croix. Cependant l’Eglise nous encourage à continuer cette pratique tout au long de l’année, chaque vendredi, pour entrer dans l’intimité du Christ souffrant. Les pèlerinages sont aussi des occasions privilégiées pour suivre le chemin de croix.

   — On pense souvent à la récitation communautaire sous la direction d’un prêtre, mais votre petit volume ne s’adresse-t-il pas plutôt à la récitation privée ?
— Le chemin de croix s’adresse tout à la fois à la prière privée et à la prière publique de l’Eglise. L’essentiel est d’être fidèle à cette pratique, tantôt en assistant à un chemin de croix solennel dirigé par le clergé, tantôt en parcourant seul les stations dans le silence d’un sanctuaire. S’instaure alors le dialogue de l’âme pécheresse avec le Maître de la divine miséricorde offrant sa vie pour le rachat de nos péchés. Ce livret n’a pas d’autre ambition que d’aider ce dialogue intérieur du fidèle prêt à suivre le chemin de croix chaque vendredi de sa vie, car il est juste et bon de se remettre constamment en mémoire l’immense abnégation qui a conduit Notre-Seigneur sur le calvaire, par pur amour.

Propos recueillis par Anne Le Pape

- Dans le bulletin de l’ « Action Familiale et Scolaire » n°252, d’août 2017 :

   Voici une petite brochure pratique qui permet de suivre et donc de méditer les quatorze stations du chemin de croix. Chaque méditation, comme d’habitude, présente le tableau de la scène avec les réflexions que cela provoque en réfléchissant sur l’aspect physique, l’aspect symbolique, notre responsabilité à travers les différents acteurs (des membres fielleux du Sanhédrin à la conclusion que nous fait entrevoir le bon larron par la reconnaissance de ses fautes, aussitôt pardonné par Notre Seigneur). Nous trouvons la leçon à en tirer pour notre vie personnelle et nos résolutions, avec cet espoir que nous distille le Christ qui, tout en souffrant humainement, nous délivre un message divin. Avant de réciter les Pater ou Ave classiques, une prière particulière à chaque station est proposée. Ce petit livret est à recommander à tout chrétien qui cherche à méditer ce chemin de croix qui pourrait être suivi, même sans être devant les tableaux correspondants.

Important :

   Comme nous l’avons écrit supra, ce Chemin de Croix peut être « écouté » et médité en rediffusion sur la chaîne de la paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet, où c’est le Révérend Père Thomas lui-même qui le lit, le Vendredi Saint 10 avril 2020 >>>

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2023-48. « Adorons et aimons cette première oblation et volonté de l’âme de Jésus. »

25 mars,
Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie,
& Incarnation du Verbe de Dieu.

Annonciation XVIe siècle - église Saint-Louis en l'île

Annonciation (anonyme rhénan, début du XVIème siècle)
[église Saint-Louis-en-L'Ile, Paris - chapelle des fonts baptismaux : cette Annonciation appartient à un ensemble de huit petits tableaux représentant des scènes de la vie du Christ]

On remarquera la représentation de la Sainte Trinité :
dans le coin supérieur gauche on voit le Père Eternel qui fait un geste d’envoi,
devant Lui se trouve la colombe qui symbolise le Saint-Esprit,
et devant ce dernier le Verbe éternel qui se fait chair,
sous la forme d’un enfant portant la Croix.

nika

Heb. X, 5-7 :
« En entrant dans le monde [le Christ] dit :
“Vous n’avez pas voulu d’hostie ni d’oblation, mais Vous M’avez formé un corps.
Les holocaustes pour le péché ne vous ont pas plu : alors J’ai dit : Me voici ;
Je viens – c’est écrit de Moi en tête du livre – pour faire, ô Dieu Votre volonté” (Ps. XXXIX) »

       « Nous avons, dans l’Evangile, un entretien céleste entre un ange et la Vierge : mais voici un entretien bien plus céleste et plus digne d’être considéré.
Celui qui parle est le Verbe incarné, et Il parle sitôt qu’Il est incarné.
Ce dont Il parle est Son Incarnation, et la fin et l’usage de ce très haut mystère, et la substitution du Nouveau testament à l’Ancien.
Celui auquel Il parle est le Dieu vivant, le Dieu reconnu en l’Ancien Testament, le Dieu par lequel la foi et le culte de l’ancienne alliance ont été établis, le Dieu auquel les sacrifices étaient offerts, et Lequel n’en voulait plus, pour donner lieu à la nouvelle alliance. Bref, c’est Dieu Son Père, auteur du mystère de l’Incarnation, et qui en ce mystère a donné un corps à Son Fils unique, Le revêtant de la nature humaine : Tu m’as façonné un corps.

   Jésus Lui offre et présente ce Sien corps, destiné, consacré, et déjà marqué à la servitude, à la croix, à la mort. Il Lui offre ce corps en qualité d’hostie pour la gloire de Son Père, et pour le salut du monde, et Il le substitue à toutes les hosties que Dieu Son Père a reçues jusqu’à présent.
Jésus donc qui entre dans le monde, et qui a tant d’offices et de qualités, semble les mettre en oubli, et en Son premier propos avec Dieu Son Père, prend la qualité d’hostie, et Se présente à Lui en cet état : c’est Son premier office envers Dieu Son Père ; c’est Son premier exercice, et Il veut être substitué à toutes les hosties précédentes.

   « Voici, Je viens, pour faire Ta volonté ».
Il connaît et accepte la volonté de Dieu sur Lui.
Il conforme Sa volonté à cette volonté.
Il entre en exercice de Son état d’hostie.

   Ainsi donc Jésus entre au monde, et offre à Dieu Son Père le premier usage de Son être, de Sa vie et de Sa volonté, les prémices de Son cœur et de Ses pensées, les premiers fruits de cet arbre de vie dignement planté dans le paradis de la Vierge ; Sa volonté première en dirigeant toutes Ses volontés et tous les états de Sa vie au monde. Et cette volonté première est si digne et de si grand poids et efficacité, que la lettre aux Hébreux ajoute : « C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés » (Hebr. X, 10). Parole grande et qui nous apprend que cette oblation intérieure et cette volonté primitive de Jésus entrant dans le monde, est l’origine de notre salut, est une sorte de justice originelle que nous avons, non plus en Adam, mais en Jésus, est la nouvelle justice que nous avons dans le nouvel Adam. Justice bien plus excellente que celle que nous devions avoir dans le vieil Adam.

   Et cette volonté mutuelle et réciproque du Père sur Son Fils, Le mettant en état d’hostie, et du Fils vers Son Père S’offrant à Lui en cette qualité, est la source de tous les biens que nous avons à posséder en la terre et au ciel, et est le fondement de l’état du Nouveau Testament : Il abroge le premier régime pour fonder le second.

   Adorons et aimons cette première oblation et volonté de l’âme de Jésus.
En cet exercice et en ce vouloir de Jésus, est enclos sommairement, originellement et divinement le salut et la vie de l’univers.
Et durant tout le cours de notre vie l’Esprit de Jésus dérive et imprime dans nos esprits les effets salutaires de cette oblation primitive, de cette vie intérieure et spirituelle, de cette action et communication de Jésus avec Dieu Son Père.
Et ces effets nous en sont appliqués par la génération que nous avons de Jésus au baptême, et par toutes les actions et institutions de la religion chrétienne qui sont autant de nouveaux liens qui nous lient à Jésus, et nous rendent capables des opérations de Sa grâce, de la participation de Sa vie sainte, et de l’infusion de Son esprit dans nos âmes. »

Pierre, cardinal de Bérulle,
in « Vie de Jésus » - 27.

Vierge du Signe - icône de l'Incarnation

Le type d’icône appelé « Mère de Dieu du Signe »
renvoie à la prophétie d’Isaïe « Dieu Lui-même vous donnera un signe : voici que la Vierge concevra »
et représente donc la Très Sainte Vierge Marie portant en elle le Verbe incarné
figuré non comme un enfant mais comme un homme de petite taille
pour manifester que dès le premier instant de Son Incarnation
le Verbe de Dieu est un homme véritable qui se trouve déjà dans une plénitude et une perfection achevées.

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