Archive pour la catégorie 'Lectures & relectures'

2024-187. Celui qui a reçu la charge du ministère a le grave devoir de conduire ses fidèles vers le salut et de les sanctifier pour les amener à la vie éternelle, et aux fidèles incombe le grave devoir de prier pour leurs pasteurs.

4 septembre,
Octave de notre Bienheureux Père Saint Augustin (double majeur) ;
Mémoire de Sainte Rosalie de Palerme, vierge (cf. > ici) ;
Anniversaire de la mort de Mère Anne-Marie de Jésus Crucifié, calvairienne (+ 4 septembre 1653 – cf. > ici).

       A l’occasion de la fête de Saint Augustin, nous avons publié le premier des deux sermons qui nous sont parvenus prononcés à l’occasion de l’anniversaire de son sacre (sermon CCCXXXIX – cf. > ici), appelé aussi premier sermon sur la charge pastorale ; à l’occasion du jour octave de cette fête, voici l’autre, qui traite du même sujet et qui a donc reçu le nom de second sermon sur la charge pastorale.
L’un comme l’autre, sous des points de vue complémentaires, nous montrent de manière fort édifiante la conscience aiguë dont le grand Docteur de l’Occident était habité des responsabilités de son ministère de successeur des Apôtres, et à ce titre, ce qu’il exprime est tout-à-la-fois une puissante leçon et un exemple stimulant pour tous ceux qui, dans la Sainte Eglise, ont charge d’âmes, en même temps qu’il décrit l’attitude spirituelle des fidèles envers leurs pasteurs légitimes.

Carl van Loo -Saint Augustin prêchant devant Valère - Basilique ND des Victoires Paris - blogue

Charles André van Loo (1705-1765) : la prédication de Saint Augustin devant Valère (milieu XVIIIème siècle)
[Basilique de Notre-Dame des Victoires, à Paris]

vignette augustinienne

Second sermon de notre

Bienheureux Père Saint Augustin

pour le jour anniversaire de son sacre

(sermon CCCXL)

La charge pastorale

§ 1. Introduction du discours : Saint Augustin sollicite instamment la prière de ses fidèles. La charge qu’il a reçu en devenant leur pasteur est pour eux, pour leur salut : il y a donc un devoir mutuel et réciproque des pasteurs et des fidèles les uns envers les autres.

   A la vérité, depuis que ce fardeau, dont j’ai à rendre un compte si difficile, est placé sur mes épaules, la pensée de ma dignité me tient constamment en éveil : toutefois je m’en sens beaucoup plus pénétré et plus ému, quand, en me renouvelant la mémoire du passé, ce jour anniversaire de mon sacre me met si vivement en présence du fardeau dont je suis chargé, qu’il me semble arriver pour m’en charger aujourd’hui seulement. Or, qu’y a-t-il à craindre dans cette dignité, sinon qu’on n’aime plus les dangers qu’elle renferme, que l’avancement de votre salut ?

   Ah ! aidez-moi donc de vos prières, afin que le Seigneur daigne porter avec moi ce fardeau qui est le Sien.
Quand vous priez pour moi, d’ailleurs, vous priez aussi pour vous, car le fardeau dont je vous parle est-il autre chose que vous ?
Priez pour moi sincèrement, comme je demande pour vous que vous ne me pesiez pas.
Jésus Notre-Seigneur n’appellerait pas ce fardeau léger, s’Il ne le portait avec quiconque en est chargé.
Vous aussi, soutenez-moi, et conformément au précepte de l’Apôtre, nous porterons les fardeaux les uns des autres et nous accomplirons ainsi la loi du Christ (Gal. VI, 2).
Ah ! si le Christ ne les porte avec nous, nous fléchissons ; et nous succombons, s’Il ne nous porte.

§ 2. L’évêque, comme ses fidèles, sont tous des rachetés : mais l’évêque est un serviteur au service du salut des fidèles, et à ce titre il doit donner l’exemple d’un plus grand amour du divin Sauveur.

   Si je m’effraie d’être à vous, je me console d’être avec vous ; car je suis à vous comme évêque, comme chrétien je suis avec vous ; le premier titre rappelle des obligations contractées, le second, la grâce reçue ; le premier, des dangers, le second, le salut ; en accomplissant les devoirs attachés au premier, nous sommes en proie aux secousses de la tempête sur une mer immense ; mais en nous rappelant quel Sang nous a rachetés, nous trouvons dans la tranquillité que nous inspire cette pensée, comme un port paisible, et tout en travaillant au devoir qui nous est propre, nous goûtons le repos de la grâce faite à tous.
Si donc je suis plus heureux d’être racheté avec vous que de vous être préposé, je ne vous en servirai que mieux, comme l’ordonne le Seigneur, pour ne pas payer d’ingratitude Celui qui m’a obtenu d’être avec vous Son serviteur.
Ne dois-je pas aimer mon Rédempteur et ne sais-je pas qu’Il a dit à Pierre : « Pierre, m’aimes-Tu ? Pais Mes brebis » (Jean, XXI, 17), et cela, une fois, deux fois, trois fois ? En lui demandant s’il L’aimait, Il le chargeait de travailler ; c’est que plus est grand l’amour, moins pèse le travail.

§ 3. La charge pastorale doit être exercée avec un amour désintéressé : le véritable pasteur rend grâces à Dieu du don qui lui a été fait par Dieu de la vocation au ministère apostolique en ne s’attribuant aucun mérite et en s’acquittant humblement de son travail de salut et de sanctification des âmes qui lui sont confiées.

   « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’Il m’a rendus ? » (Ps. CXV, 12).
Si je prétends Lui rendre en paissant Ses ouailles, je ne dois pas oublier que « ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi » qui accomplit ce devoir (1 Cor. XV, 10).
Comment rendre à Dieu quand, pour tout, Il me prévient ?
Et pourtant, si gratuit que soit notre amour, nous cherchons une récompense en paissant le troupeau sacré. Comment cela ? — Comment pouvons-nous dire : j’aime purement afin de pouvoir paître, et je demande à être récompensé de ce que je fais ? La chose serait impossible ; jamais le pur amour n’ambitionnerait de récompense, si sa récompense n’était Celui-là même à qui il S’attache (note : on remarque ici combien cette doctrine, que l’on retrouve souvent chez Saint Augustin, est opposée à ce que soutenait Fénelon quand il fut combattu par Bossuet). Eh ! si nous Lui témoignons, en paissant Son troupeau, notre reconnaissance pour le bienfait de la Rédemption, que Lui rendrons-nous pour la grâce d’être pasteurs ?
Il est vrai, et à Dieu ne plaise que ceci s’applique à nous, c’est notre malice personnelle qui nous rend mauvais pasteurs ; mais sans Sa grâce – et puisse-t-Il nous accorder celle-là -, nous ne saurions être bons pasteurs. Aussi « vous prions-nous et vous commandons-nous », mes frères, « de ne recevoir pas en vain », non plus « la grâce de Dieu » (2 Cor. VI, 1). Rendez fructueux notre ministère : « Vous êtes le champ que Dieu cultive » (1 Cor. III, 9). Accueillez, à l’extérieur, celui qui vous plante et vous arrose ; à l’intérieur, Celui qui donne l’accroissement.

§ 4. Saint Augustin dresse un tableau saisissant de la charge pastorale et montre par là les raisons pour lesquelles il incombe aux fidèles, comme un grave devoir, de prier pour leurs pasteurs :

   Il nous faut arrêter les inquiets, consoler les pusillanimes, soutenir les faibles, réfuter les contradicteurs, nous garder des astucieux, instruire les ignorants, exciter les paresseux, repousser les contentieux, réprimer les orgueilleux, apaiser les disputeurs, aider les indigents, délivrer les opprimés, encourager les bons, tolérer les méchants, aimer tout le monde.

   Sous le poids de devoirs si importants, si nombreux et si variés, aidez-nous de vos prières et de votre soumission, obtenez que nous soyons moins flattés de vous commander que de vous rendre service.
De même, en effet, qu’il est bon pour vous que nous nous appliquions à implorer pour votre salut la divine miséricorde, ainsi faut-il que pour nous vous répandiez vos prières devant le Seigneur.
Jugerions-nous peu convenable ce qu’a fait l’Apôtre, et ce que nous savons ? Il avait un si vif désir qu’on le recommandât à Dieu dans la prière, que s’adressant à un peuple tout entier, il lui disait d’un ton suppliant : « Priez en même temps pour nous aussi …etc. » (Colos. IV, 3).

§ 5. Conclusion : Saint Augustin, appuyé sur l’exemple de Saint Paul, presse ses ouailles de ne point négliger les devoirs qui leur incombent envers leur pasteur tout donné à sa tâche de les conduire à la vie éternelle.

   Ainsi devons-nous vous dire ce qui peut nous encourager nous-mêmes et vous instruire.
S’il faut, en effet, que nous réfléchissions avec beaucoup de crainte et d’application à la manière dont nous pourrons accomplir sans reproche les fonctions de notre pontificat, vous devez également chercher à accomplir humblement et généreusement tout ce qui vous sera prescrit.

   Par conséquent, mes bien-aimés, demandons avec une égale ardeur, que mon épiscopat profite et à vous et à moi. Il me profitera, si je dis ce qu’il faut faire ; et à vous, si vous faites ce que j’aurai dit. Oui, si nous prions pour vous et si vous priez pour nous sans cesse et avec l’amour parfait de la charité, nous parviendrons heureusement, avec l’aide du Seigneur, à l’éternelle béatitude.

Carl van Loo - Saint Augustin prêchant devant Valère - détail

2024-187. L’éloge de Saint Pie X par le Vénérable Pie XII.

3 septembre,
Fête de Saint Pie X, pape et confesseur ;
7ème jour dans l’octave de Saint Augustin.

   Voici le discours prononcé par le Vénérable Pie XII à l’occasion de la canonisation de Saint Pie X, son prédécesseur (29 mai 1954) : en dressant une synthèse spirituelle de son pontificat et de ses mesures les plus significatives, le pape Pacelli a rendu au pape Sarto un hommage incomparable et quasi prophétique puisqu’il a montré à travers lui les remèdes et les exemples à suivre pour sortir d’une crise qui ne faisait que couver dans l’ombre en 1954, mais qui a épouvantablement éclaté depuis et dans laquelle nous nous débattons encore. 

Pie XII cérémonie de canonisation de St Pie X 29 mai 1954

Sa Sainteté le Pape Pie XII à genoux pendant le Veni Creator
du rite de la canonisation de Saint Pie X,
sur le parvis de la basilique Vaticane, le soir du samedi 29 mai 1954

Armoiries de Saint Pie X

Discours prononcé par Sa Sainteté le Pape Pie XII,

le 29 mai 1954

à l’occasion de la canonisation de Saint Pie X

       « Cette heure d’éclatant triomphe que Dieu, qui élève les humbles, a préparée et comme hâtée, pour sceller l’ascension merveilleuse de son fidèle serviteur Pie X à la gloire suprême des autels, comble Notre âme d’une joie à laquelle, Vénérables Frères et chers fils, vous participez largement par votre présence.
Nous rendons donc de ferventes actions de grâces à la divine bonté pour Nous avoir permis de vivre cet événement extraordinaire, d’autant plus que, pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’Eglise, la canonisation formelle d’un Pape est proclamée par Celui qui eut jadis le privilège d’être à son service dans la Curie Romaine.

   Date heureuse et mémorable, non seulement pour Nous qui la comptons parmi les jours fastes de Notre Pontificat, auquel la Providence avait cependant réservé tant de douleurs et de sollicitudes, mais aussi pour l’Eglise entière qui, groupée spirituellement autour de Nous, exulte à l’unisson d’une vive émotion religieuse.

   Le nom si cher de Pie X traverse en ce soir radieux toute la terre, d’un pôle à l’autre, scandé par les voix les plus diverses ; il suscite partout des pensées de céleste bonté, des élans puissants de foi, de pureté, de piété eucharistique, et résonne comme un témoignage éternel de la présence féconde du Christ dans son Eglise. Par un retour généreux, en exaltant son serviteur, Dieu atteste la sainteté éminente, par laquelle plus encore que par son office suprême, Pie X fut pendant sa vie le champion illustre de l’Eglise et se trouve par là aujourd’hui le Saint que la Providence présente à notre époque.

   Or, Nous désirons que vous contempliez précisément dans cette lumière la figure gigantesque et douce du Saint Pontife, pour que, une fois l’ombre descendue sur cette journée mémorable et rentrées dans le silence les voix de l’immense Hosanna, le rite solennel de sa canonisation reste une bénédiction pour vos âmes et pour le monde un gage de salut.

Armoiries de Saint Pie X

§1 – Pie X fut d’abord préoccupé de rendre l’Eglise plus accessible, notamment en formulant le Droit Canon.

   Le programme de son Pontificat fut annoncé solennellement par lui dès la première Encyclique (« E Supremi » du 4 octobre 1903) où il déclarait que son but unique était d’ « instaurare omnia in Christo » (Eph. I, 10), c’est-à-dire de récapituler, de ramener tout à l’unité dans le Christ.
Mais quelle est la voie qui nous ouvre l’accès à Jésus-Christ ? se demandait-il, en regardant avec amour les âmes perdues et hésitantes de son temps. La réponse, valable hier comme aujourd’hui et dans les siècles à venir, est : l’Eglise !
Ce fut donc son premier souci, poursuivi incessamment jusqu’à sa mort, de rendre l’Eglise toujours plus concrètement apte et ouverte au cheminement des hommes vers Jésus-Christ.
A cette fin, il conçut l’entreprise hardie de renouveler le corps des lois ecclésiastiques de manière à donner à l’organisme entier de l’Eglise un fonctionnement plus régulier, une sûreté et une promptitude de mouvements plus grandes, comme le demandait un monde extérieur imprégné d’un dynamisme et d’une complexité croissants. Il est bien vrai que cette entreprise, définie par lui-même, « une œuvre assurément difficile » était digne de son sens pratique éminent et de la vigueur de son caractère ; cependant il ne semble pas que la seule considération de son tempérament donne le dernier motif de la difficile entreprise.
La source profonde de l’œuvre législative de Pie X est à chercher surtout dans sa sainteté personnelle, dans sa persuasion intime que la réalité de Dieu perçue par lui dans une incessante communion de vie, est l’origine et le fondement de tout ordre, de toute justice, de tout droit dans le monde. Là où est Dieu, règnent l’ordre, la justice et le droit ; et, vice versa, tout ordre juste protégé par le droit, manifeste la présence de Dieu. Mais quelle institution sur la terre devait manifester plus éminemment que l’Eglise, corps mystique du Christ même, cette relation féconde entre Dieu et le droit ? Dieu bénit largement l’œuvre du Bienheureux Pontife, si bien que le Code de droit canon restera à jamais le grand monument de son Pontificat et qu’on pourra le considérer lui-même comme le Saint providentiel du temps présent.

   Puisse cet esprit de justice, dont Pie X fut un exemple et un modèle pour le monde contemporain pénétrer les salles de Conférences des Etats où l’on discute de très graves problèmes, concernant la famille humaine, en particulier la manière de bannir pour toujours la crainte de cataclysmes terribles et d’assurer aux peuples une ère durable de tranquillité et de paix.

Armoiries de Saint Pie X

§2 – Pie X fut aussi un intrépide défenseur de la foi.

   Pie X se révèle aussi champion convaincu de l’Eglise et Saint providentiel de nos temps dans la seconde entreprise qui distingue son oeuvre et ressembla, par ses épisodes parfois dramatiques, à la lutte engagée par un géant pour la défense d’un trésor inestimable : l’unité intérieure de l’Eglise dans son fondement intime : la foi.

   Déjà depuis son enfance, la Providence divine avait préparé son élu dans son humble famille, édifiée sur l’autorité, les bonnes mœurs et sur la foi elle-même vécue scrupuleusement. Sans doute tout autre Pontife, en vertu de la grâce d’état, aurait combattu et rejeté les assauts destinés à frapper l’Eglise à la base.
Il faut cependant reconnaître que la lucidité et la fermeté avec lesquelles Pie X conduisit la lutte victorieuse contre les erreurs du modernisme, attestent à quel degré héroïque la vertu de foi brûlait dans son coeur de saint. Uniquement soucieux de garder intact l’héritage de Dieu au troupeau qui lui était confié, le grand Pontife ne connut de faiblesse en face de quiconque, quelle que fût sa dignité ou son autorité, pas d’hésitations devant des doctrines séduisantes mais fausses, dans l’Eglise et au dehors, ni aucune crainte de s’attirer des offenses personnelles et de voir méconnaître injustement la pureté de ses intentions. Il eut la conscience claire de lutter pour la cause la plus sainte de Dieu et des âmes.
A la lettre, se vérifièrent en lui les paroles du Seigneur à l’Apôtre Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point, et toi… confirme tes frères » (Luc XXII, 32). La promesse et l’ordre du Christ suscitèrent encore une fois, dans la fermeté indéfectible d’un de ses Vicaires, la trempe indomptable d’un athlète.

   Il est juste que l’Eglise, en lui décernant à cette heure la gloire suprême à l’endroit même où depuis des siècles brille sans se ternir celle de Pierre et en confondant ainsi l’un et l’autre dans une seule apothéose, chante à Pie X sa reconnaissance et invoque en même temps son intercession pour se voir épargner de nouvelles luttes du même genre.
Mais ce dont il s’agissait précisément alors, c’est-à-dire la conservation de l’union intime de la foi et de la science, est un bien si grand pour toute l’humanité que cette seconde grande œuvre du Pontife est, elle aussi, d’une importance telle qu’elle dépasse largement les frontières du monde catholique.

   Lorsque, comme le modernisme, on sépare, en les opposant, la foi et la science dans leur source et leur objet, on provoque entres ces deux domaines vitaux, une scission tellement funeste que « la mort l’est à peine plus ». On l’a vu en pratique : au tournant du siècle, on a vu l’homme divisé au fond de lui-même, et gardant cependant encore l’illusion de conserver son unité dans une apparence fragile d’harmonie et de bonheur basés sur un progrès purement humain, se briser pour ainsi dire sous le poids d’une réalité bien différente.

   Le regard vigilant de Pie X vit s’approcher cette catastrophe spirituelle du monde moderne, cette déception spécialement amère dans les milieux cultivés. Il comprit qu’une foi apparente de ce genre, c’est-à-dire une foi qui au lieu de se fonder sur Dieu révélateur s’enracine dans un terrain purement humain, se dissoudrait pour beaucoup dans l’athéisme ; il perçut également le destin fatal d’une science qui, à l’encontre de la nature et par une limitation volontaire, s’interdisait de marcher vers le Vrai et le Bien absolus et ne laissait ainsi à l’homme sans Dieu, devant l’invincible obscurité où gisait pour lui tout l’être, que l’attitude de l’angoisse ou de l’arrogance.

   Le Saint opposa à un tel mal le seul moyen de salut possible et réel : la vérité catholique, biblique, de la foi acceptée comme « un hommage raisonnable » (Rom. XII, 1) rendu à Dieu et à sa révélation. Coordonnant ainsi foi et science, la première en tant qu’extension surnaturelle et parfois confirmation de la seconde, et la seconde comme voie d’accès à la première, il rendit au chrétien l’unité et la paix de l’esprit, conditions imprescriptibles de la vie.

   Si beaucoup aujourd’hui se tournent à nouveau vers cette vérité, poussés vers elle en quelque sorte par l’impression de vide et l’angoisse de leur abandon, et s’ils ont ainsi le bonheur de pouvoir la trouver fermement possédée par l’Eglise, ils doivent en être reconnaissants à l’action clairvoyante de Pie X. C’est à lui en effet que revient le mérite d’avoir préservé la vérité de l’erreur, soit chez ceux qui jouissent de toute sa lumière, c’est-à-dire les croyants, soit chez ceux qui la cherchent sincèrement. Pour les autres, sa fermeté envers l’erreur peut encore demeurer un scandale ; en réalité, c’est un service d’une extrême charité, rendu par un Saint, en tant que Chef de l’Eglise, à toute l’humanité.

Armoiries de Saint Pie X

§3 – Pie X vécut uni à Dieu, principalement dans l’Eucharistie.

   La sainteté, qui se révèle comme inspiratrice et comme guide des entreprises de Pie X que Nous venons de rappeler, brille encore plus immédiatement dans ses actions quotidiennes. C’est en lui-même d’abord qu’il réalisa, avant de le réaliser dans les autres, le programme qu’il s’était fixé : tout rassembler, tout ramener à l’unité dans le Christ.
Comme humble curé, comme évêque, comme Souverain Pontife, il fut toujours persuadé que la sainteté à laquelle Dieu le destinait était la sainteté sacerdotale. Quelle sainteté peut en effet plaire davantage à Dieu de la part d’un prêtre de la Loi nouvelle, sinon celle qui convient à un représentant du Prêtre Suprême et Eternel, Jésus-Christ, Lui qui laissa à l’Eglise le souvenir continuel, le renouvellement perpétuel du sacrifice de la Croix dans la Sainte Messe, jusqu’à ce qu’il vienne pour le jugement final (1 Cor. XI, 24-26) ; Lui qui par le sacrement de l’Eucharistie se donna Lui-même en nourriture aux âmes : « Qui mange de ce pain vivra éternellement » ? (Joan. VI, 58).

   Prêtre avant tout dans le ministère eucharistique, voilà le portrait le plus fidèle du saint Pie X.
Servir comme prêtre le mystère de l’Eucharistie et accomplir le commandement du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc. XXII, 19), ce fut sa vie. Du jour de son ordination, jusqu’à sa mort comme Pontife, il ne connut pas d’autre sentier possible pour arriver à l’amour héroïque de Dieu et pour payer généreusement de retour le Rédempteur du monde qui par le moyen de l’Eucharistie « a épanché en quelque sorte les richesses de son amour divin pour les hommes » (Conc. Trente. Session XIII, chap. 2).
Une des preuves les plus significatives de sa conscience sacerdotale fut l’ardeur avec laquelle il s’efforça de renouveler la dignité du culte et spécialement de vaincre les préjugés d’une pratique erronée, en promouvant résolument la fréquentation même quotidienne de la table du Seigneur par les fidèles, et en y conduisant sans hésiter les enfants, qu’il souleva en quelque sorte dans ses bras pour les offrir aux embrassements du Dieu caché sur les autels ; par là l’Epouse du Christ vit s’épanouir un nouveau printemps de vie eucharistique.

   Grâce à la vision profonde qu’il avait de l’Eglise comme société, Pie X reconnut dans l’Eucharistie le pouvoir d’alimenter substantiellement sa vie intime et de l’élever bien haut au-dessus de toutes les autres associations humaines. L’Eucharistie seule, en qui Dieu se donne à l’homme, peut fonder une vie de société digne de ses membres, cimentée par l’amour avant de l’être par l’autorité, riche en œuvres et tendant au perfectionnement des individus, c’est-à-dire « une vie cachée en Dieu avec le Christ ».

   Exemple providentiel pour le monde moderne dans lequel la société terrestre devenue toujours plus une sorte d’énigme à elle-même cherche avec anxiété une solution pour se redonner une âme ! Qu’il regarde donc comme un modèle l’Eglise réunie autour de ses autels. Là, dans le mystère eucharistique, l’homme découvre et reconnaît réellement son passé, son présent et son avenir comme une unité dans le Christ. Conscient et fort de cette solidarité avec le Christ et avec ses propres frères, chaque membre de l’une et de l’autre société, celle de la terre et celle du monde surnaturel, sera en état de puiser à l’autel la vie intérieure de dignité personnelle et de valeur personnelle, qui est actuellement sur le point d’être submergée par le caractère technique et l’organisation excessive de toute l’existence, du travail et même des loisirs. Dans l’Eglise seule, semble répéter le Saint Pontife, et par elle dans l’Eucharistie, qui est « une vie cachée avec le Christ en Dieu », se trouvent le secret et la source de rénovation de la vie sociale.

   De là vient la grave responsabilité de ceux à qui il incombe en tant que ministres de l’autel, d’ouvrir aux âmes la source salvifique de l’Eucharistie.
En vérité, l’action que peut déployer un prêtre pour le salut du monde moderne revêt de multiples formes, mais l’une d’elles est sans aucun doute la plus digne, la plus efficace et la plus durable dans ses effets : se faire dispensateur de l’Eucharistie après s’en être soi-même abondamment nourri. Son œuvre ne serait plus sacerdotale si, fût-ce même par zèle des âmes, il faisait passer au second rang sa vocation eucharistique.
Que les prêtres conforment leurs pensées à la sagesse inspirée de Pie X et orientent avec confiance dans la lumière de l’Eucharistie toute leur activité personnelle et apostolique. De même, que les religieux et les religieuses, qui vivent avec Jésus sous le même toit et se nourrissent chaque jour de sa chair, considèrent comme une règle sûre ce que le saint Pontife déclare dans une circonstance importante, à savoir que les liens qui les unissent à Dieu par le moyen des voeux et de la vie communautaire ne doivent être sacrifiés à aucun service du prochain, si légitime soit-il.

   L’âme doit plonger ses racines dans l’Eucharistie pour en tirer la sève surnaturelle de la vie intérieure, qui n’est pas seulement un bien fondamental des coeurs consacrés au Seigneur, mais aussi une nécessité pour tout chrétien, car Dieu l’appelle à faire son salut. Sans la vie intérieure, toute activité, si précieuse soit-elle, se dévalue en action presque mécanique, et ne peut avoir l’efficacité propre d’une opération vitale.
Eucharistie et vie intérieure : voici la prédication suprême et la plus générale que Pie X adresse en cette heure, du sommet de la gloire, à toutes les âmes. En tant qu’apôtre de la vie intérieure il se situe, à l’âge de la machine, de la technique, de l’organisation, comme le saint et le guide des hommes d’aujourd’hui.

Armoiries de Saint Pie X

Prière conclusive :

   Oui, ô Saint Pie X, gloire du Sacerdoce et honneur du Peuple chrétien ; — Toi en qui l’humilité parut fraterniser avec la grandeur, l’austérité avec la mansuétude, la piété simple avec la doctrine profonde ; Toi, Pontife de l’Eucharistie et du catéchisme, de la foi intègre et de la fermeté impavide ; tourne ton regard vers la Sainte Eglise, que Tu as tant aimée et à laquelle Tu as donné le meilleur des trésors que la divine Bonté, d’une main prodigue, avait déposés dans ton âme ; obtiens-lui l’intégrité et la constance au milieu des difficultés et des persécutions de notre temps ; soulève cette pauvre humanité, aux douleurs de qui Tu as tellement pris part qu’elles finirent par arrêter les battements de Ton grand coeur ; fais que la paix triomphe dans ce monde agité, la paix qui doit être harmonie entre les nations, accord fraternel et collaboration sincère entre les classes sociales, amour et charité entre les hommes, afin que de la sorte les angoisses qui épuisèrent Ta vie apostolique se transforment grâce à Ton intercession, en une réalité de bonheur, à la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui avec le Père et le Saint-Esprit vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ! »

Exposition de la chasse de St Pie X devant le maître autel de St Pierre après la canonisation

Exposition de la chasse de Saint Pie X devant l’autel de la confession de Saint-Pierre
après la cérémonie de canonisation, le 29 mai 1954

On trouvera aussi dans ce blogue :
- L’évocation de la mort de Saint Pie X et de son élévation sur les autels > ici
- Des prières à Saint Pie X composées par Pie XII > ici
- Les litanies de Saint Pie X > ici
- L’allocution de Saint Pie X « Gravissimum » au sujet de la loi de séparation en France > ici
- Un fameux discours de Saint Pie X en décembre 1908 au sujet de la France > ici
- Prophétie et prière de Saint Pie X pour la France > ici

2024-186. Des Bienheureux Martyrs de septembre 1792.

2 septembre,
Fête des Bienheureux Jean-Marie du Lau d’Allemans, archevêque, François-Joseph de La Rochefoucauld-Bayers et Pierre-Louis de la Rochefoucauld-Bayers, évêques, et de leurs compagnons, martyrs de septembre 1792 ;
Mémoire de Saint Etienne de Hongrie, roi et confesseur ;
6ème jour dans l’octave de Saint Augustin.

       Nous reproduisons ci-dessous le texte de la lettre mensuelle à l’adresse des membres et sympathisants de la Confrérie Royale qui leur avait été envoyée le 25 septembre 2017 et qui traite des Bienheureux Martyrs de septembre 1792.

Pillage d'une église pendant la révolution

Pillage d’une église pendant la grande révolution

       Chaque année, le mois de septembre nous fait commémorer en France l’un des plus tragiques épisodes de notre histoire, l’une des taches indélébiles que la révolution dite française imprima sur le sol de notre pays et dans la mémoire historique de notre peuple. Il s’agit des massacres de septembre 1792.

   Les atrocités de la révolution ne manquent pas au tableau de cette période charnière de notre histoire. Le « livre noir » de la révolution a commencé à être écrit par les historiens de l’école traditionnelle et contre-révolutionnaire – catholique et royaliste – mais aussi, à partir des années 1960, à la suite d’un mouvement impulsé par les historiens anglo-saxons, par une école qu’on pourrait positivement qualifier de « révisionniste », autour de François Furet et Mona Ozouf notamment.

   Une historiographie catholique aurait toutefois besoin de reprendre en charge les dossiers brûlants de la persécution anticatholique engagée au fil de la dernière décennie du XVIIIe siècle. Cette persécution – l’une des premières de l’histoire occidentale, après celles des premiers siècles et celle engagée par les protestants au XVIe siècle – a pris plusieurs visages successifs.
Les artisans de la révolution, fanatisés par la franc-maçonnerie et désireux d’abattre définitivement l’union sacrée du Sceptre et de l’Autel, ont d’abord voulu séduire l’Eglise de France, avant de la contraindre à se soumettre au diktat de la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), en imposant des sanctions graves aux contrevenants (prison, exil, bannissement, etc.). Puis, après l’abolition de la monarchie, en septembre 1792, la révolution a pris sa tournure profondément anticatholique : il fallait imposer dans les esprits et dans les cœurs l’idéal révolutionnaire en détruisant les restes de la « superstition », c’est-à-dire du catholicisme. C’est alors qu’à partir de 1793, les églises furent transformées en temples de la Raison, les objets sacrés fondus, les ornements dispersés après avoir été profanés dans des mascarades, le calendrier chrétien a été remplacé par le calendrier révolutionnaire, les villes au nom chrétien ont été débaptisées, les prêtres ont été contraints à défroquer et à se marier, ou à affronter le « couperet égalitaire » de la guillotine.
Nous connaissons aussi la suite, et notamment la révolte salutaire de la Vendée et de tant d’autres provinces françaises restées fidèles à Dieu et au Roi, qui ont refusé, selon le noble et saint réflexe du « sensus fidei », de cautionner ce mouvement de haine imposé par une poignée d’hommes grisés par un pouvoir quasi-illimité, qui imposèrent la peur et l’angoisse dans la majorité de la population française.

guillotine et palmes - martyrs de la révolution

Le contexte historique des Massacres de Septembre

   Les événements de septembre 1792 se situent à cheval entre ces deux périodes de persécution larvée et de persécution violente.
Si la révolution avait répandu, depuis juillet 1789, des bains de sang, les premiers massacres de masse ont été perpétrés à cette période où les tenants de la révolution, après avoir mis fin au règne de Louis XVI, se sont retrouvés confrontés à la menace austro-prussienne sur les frontières du nord-est. L’armée révolutionnaire, renforcée par les contingents arrivés des provinces, pouvait craindre d’être écrasée par les puissantes forces des monarchies d’Europe centrale qui, par leur probable victoire, risquaient de mettre un terme définitif à « l’épopée » révolutionnaire, en restaurant du même coup Louis XVI sur le trône. En outre, le manifeste de Brunswick, composé par le duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick-Lunebourg, publié le 1er août 1792, et qui menaçait Paris d’une « exécution militaire et une subversion totale » en cas d’agression de la famille royale, avait chauffé les esprits des Parisiens et conduit à la prise des Tuileries et à l’enfermement du roi et des siens (10 août).

   Au début du mois de septembre, Paris était dans un état d’ébullition sans précédent. La menace étrangère et les révoltes de certaines provinces suscitèrent la pression de la « Commune insurrectionnelle », sorte de pouvoir municipal alternatif imposé par les sans-culottes au lendemain de la journée du 10 août, face à la Convention.
La Commune avait abusé de la situation et s’était octroyé des pouvoirs extrêmes. Le 17 août, elle créa un tribunal pour juger les responsables de la tuerie des Tuileries – évidemment, seuls les royalistes étaient visés.
Devant la lenteur des procédures, les « patriotes » s’inquiétèrent et ordonnèrent des visites domiciliaires afin d’arrêter les « suspects ». Qui étaient ces suspects ? Tous ceux qui étaient accusés de comploter contre les « patriotes », bref ceux qui ne rentraient pas dans le « moule » idéologique imposé par la Commune insurrectionnelle. Bien entendu, les aristocrates et les ecclésiastiques étaient les premiers visés, et, en peu de jours, à la fin du mois d’août, les prisons de la capitale – le Grand Châtelet, Bicêtre, l’Abbaye et la Force notamment, auxquelles ont peut ajouter la Conciergerie -, les couvents ou monastères – celui des Carmes, à Vaugirard -, et même certains hospices ou hôpitaux – la Salpêtrière –, furent vite remplis.

massacres de septembre 1792 à Paris

   Mais cela ne suffisait pas. La panique était à son comble. Maintenir en vie ces « suspects » était une menace pour les « patriotes » et leurs familles. Le 30 août, les Girondins, craignant la tournure dangereuse imposée par les sans-culottes, réclamèrent la dissolution de la Commune insurrectionnelle. Cette démarche exacerba l’inquiétude des « patriotes », qui décidèrent de passer eux-mêmes à l’acte en exterminant les foules d’innocents étiquetés « Ennemis de la Nation ».
Jean-Paul Marat, le grand orateur des sans-culottes, répandit, dans la chaire de mensonge du club des Cordeliers, des appels au meurtre, relayés dans sa populaire feuille de chou, L’Ami du peuple. Il écrivait, dans le numéro du 19 août : « Debout ! Debout ! Et que le sang des traîtres commence à couler ! »
Une circulaire du Comité de surveillance, imprimée le 3 septembre par les presses de L’Ami du peuple, justifia cette réaction brutale par un prétendu « affreux complot tramé par la cour pour égorger tous les patriotes de l’empire français ». La circulaire encourageait les provinces à suivre l’exemple de la capitale en employant ce « moyen si nécessaire au salut public » :

   « La commune de Paris se hâte d’informer ses frères de tous les départements qu’une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple ; actes de justice qui lui ont paru indispensables, pour retenir par la terreur les légions de traîtres cachés dans ses murs, au moment où il allait marcher à l’ennemi ; et sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l’ont conduite sur les bords de l’abîme, s’empressera d’adopter ce moyen si nécessaire de salut public, et tous les Français s’écrieront comme les Parisiens : Nous marchons à l’ennemi ; mais nous ne laisserons pas derrière nous ces brigands, pour égorger nos enfants et nos femmes. »

   Nous ne commenterons pas un tel passage qui montre au fond toute la perversité employée par les ténors et les inspirateurs de la Révolution dans leur opération de manipulation des esprits. Le premier totalitarisme de l’histoire était à l’œuvre.

Massacres de septembre 1792

Les martyrs de septembre

   A Paris, les massacres furent perpétrés du 2 au 4 septembre.
En province, quelques épisodes sont recensés, mais il faudrait effectuer de nouvelles vérifications historiques à partir de l’été 1789.
Les massacres parisiens restent toutefois la principale illustration de cet épisode sanguinaire. Sans entrer dans le détail de l’épouvante qui s’abattit sur la capitale, de jour comme de nuit, notons que le bilan humain des massacres de septembre s’étendrait entre 1200 et 1400 victimes – selon les recensements les plus équilibrés donnés par François Bluche et François Furet. Nous ne rentrerons pas dans la polémique des chiffres, qui peuvent atteindre de grandes variations selon les écoles historiographiques (ainsi, l’abbé Augustin Barruel donnait le chiffre certainement exagéré de 13.000 morts).

   La plupart des victimes furent des laïcs, en particulier membres de la noblesse, hommes et femmes. Nous avons tous en mémoire notamment l’atroce assassinat de Marie-Thérèse de Savoie-Carignan (1749-1792), princesse de Lamballe, ancienne surintendante de la Maison de la Reine et grande amie de Marie-Antoinette, dépecée et décapitée par une bande de sauvages en furie, et dont la tête fut présentée devant les fenêtres de la Reine, au Temple.

mort de la Princesse de Lamballe - Léon-Maxime Faivre

Léon-Maxime Faivre (1846-1941) : la mort de la Princesse de Lamballe (1908)
[musée de la révolution française, Vizilles]

   Une place considérable fut « accordée » aux prêtres, séminaristes et religieux. Ils étaient au moins 223, soit entre 16 et 18% de l’ensemble des victimes. Ils étaient « ennemis de la Nation », non pas parce qu’ils étaient avec les Suisses des Tuileries le 10 août, non pas parce qu’ils prêchaient publiquement en faveur de la France et de la Prusse, non pas parce qu’ils manifestaient ouvertement leur haine de la révolution. Ils étaient « ennemis » et « contre-révolutionnaires » tout simplement parce qu’ils avaient donné leur vie à Dieu, à ce Dieu rejeté par la révolution.
Le Dieu des catholiques est le Dieu de l’ordre social, de la hiérarchie terrestre et céleste, du pacte national fondé dans les eaux baptismales de Reims.
Le Dieu des révolutionnaires est le Dieu des philosophes, le grand architecte de l’univers, celui qui inspire les évolutions du processus historique, celui qui a voulu et désiré la révolution comme tournant inéluctable de l’histoire humaine.
Bref, deux « dieux » qui ne pouvaient pas cohabiter. La suite de la révolution, avec sa campagne virulente de déchristianisation et de régénération des esprits, prouva qu’il fallait abattre Dieu pour imposer le nouveau « dieu », ou plutôt la « déesse » Raison, puis les autres avatars introduits sous le Directoire – tel le culte « théophilanthropique ».

   En fin de compte, en massacrant les clercs et les religieux restés fidèles à Rome – ils étaient assermentés ou réfractaires parce qu’ils avaient refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé – et à l’ordre ancien de la France, caractérisé par le lien indissoluble entre le Sceptre et l’Autel, les « septembriseurs », comme on les appellera, s’attaquaient tout bonnement aux racines de la France.
Tout ce qui rappelait ces racines, tout ce qui restait profondément attaché à ces racines – sans pour autant constituer des menaces humainement réelles à l’égard du nouvel ordre révolutionnaire – devait être absolument extirpé.
L’histoire de la Vendée illustrera bientôt, avec une encore plus abominable virulence idéologique, le désir du gouvernement révolutionnaire d’exterminer ceux qui étaient arbitrairement désignés comme « ennemis de la Nation ». L’accusation qui tue : nous sommes devant le premier génocide de l’histoire, comme a osé l’affirmé, depuis tant d’années, Reynald Seycher, et plus récemment le diplomate Jacques Villemain, dans son ouvrage Vendée 1793-1794.

massacres de septembre

   Bref, l’assassinat des prêtres et des religieux perpétré en septembre 1792 – comme plus tard les autres exécutions et massacres de masse bien connus, comme l’affaire des Carmélites de Compiègne (17 juillet 1794) et les Noyades de Nantes (de novembre 1793 à février 1794) – constitue un vrai acte de persécution anticatholique.
Mortes incontestablement pour leur foi, ces victimes sont de véritables martyrs.

   L’Eglise a rapidement reconnu leur témoignage. En 1906, Saint Pie X béatifia les seize Carmélites de Compiègne. En 1920, Benoît XV béatifia les quatre Filles de la Charité d’Arras et les onze Ursulines de Valenciennes, condamnées en 1794 pour avoir « enseigné la religion catholique, apostolique et romaine ». En 1925, 32 religieuses d’Orange, guillotinées en 1794, étaient béatifiées par Pie XI. L’année suivante, 191 victimes des massacres de septembre ont été en même temps élevées sur les autels, aux côtés du prêtre angevin Noël Pinot.
Plus tard, d’autres béatifications suivront, comme, en 1984, celle des 99 martyrs d’Angers et d’Avrillé, fusillés et noyés entre janvier et février 1794, ou les 64 prêtres réfractaires morts en déportation à Rochefort, béatifiés en 1995.
En octobre 2016, le Frère des Ecoles chrétiennes Salomon Leclercq, a été inscrit au catalogue des saints.
Et tant d’autres victimes, clercs et laïcs, restent sur la liste d’attente !

l'escalier du couvent des Carmes

L’escalier du couvent des Carmes où de très nombreux prêtres furent massacrés

   Parmi les martyrs de septembre 1792, trois évêques étaient au tableau d’honneur : Jean-Marie du Lau d’Allemans, 53 ans, archevêque d’Arles, et les frères François-Joseph de La Rochefoucauld-Bayers, 56 ans, évêque de Beauvais, et Pierre-Louis de La Rochefoucauld-Bayers, 47 ans, évêque de Saintes.
Un autre évêque, Jean-Arnaud de Castellane, 59 ans, évêque de Mende, tué à Versailles le 9 septembre, n’a pas encore été béatifié. Nous n’entrerons pas dans les détails biographiques de ces grands témoins de la foi, ni dans ceux de cette foule de prêtres et religieux qui les ont accompagnés au supplice lors de ces tragiques journées de septembre. L’acte même de leur offrande et la raison profonde de leur assassinat (la haine de la foi proclamée par les septembriseurs) suffit à justifier leur titre de martyrs, comme l’écrivait Mgr de Teil, vice-postulateur de la cause des martyrs de septembre, au début du XXe siècle :

   « En effet, tandis que des scélérats s’acharnaient sur les ministres de Dieu et répandaient partout la terreur, ils leur donnèrent par les outrages, les tourments et les supplices, le moyen de confesser solennellement leur foi et de l’attester par l’effusion de leur sang. Et voici que la tempête apaisée, les flots soumis, la barque de Pierre sort plus forte que jamais d’une mer qui aurait dû l’engloutir, et que ces nombreuses victimes, objets de tant de mépris et de tant de colère, apparaissent portant les palmes du martyre. »
(Henri Welschinger, Les martyrs de septembre, Paris, Gabalda, 1919, p. 147)

St Joseph des Carmes (Paris) reliques des bienheureux martyrs de septembre 1792

Quelques uns des ossements des ecclésiastiques massacrés au Carmes
conservés dans les cryptes de l’église Saint-Joseph des Carmes, rue de Vaugirard à Paris

La dévotion aux martyrs de septembre

   Quelle leçon les martyrs de septembre doivent-ils nous donner, plus de 200 ans après leur mort ?
Pour le Français fidèle à son Dieu et à son Roi, le témoignage des martyrs de septembre est le témoignage de la fidélité au pacte sacré de Reims, qui unit définitivement le pouvoir royal et la foi catholique, lors du baptême de Clovis à la fin du Ve siècle.
Malgré les crises et les bousculements de l’histoire de la monarchie française, ce pacte est resté incontesté jusqu’en 1789.

   La révolution porte bien son nom : il fallait opérer un changement radical, un bouleversement fondamental, une tabula rasa dans l’histoire de la France, en rompant définitivement ce lien sacré. La suite des épisodes révolutionnaires s’inscrit dans ce dessein pervers d’en finir avec la royauté de droit divin, d’enlever à Dieu la suprême majesté sur la France.
Les massacres de septembre illustrent, au moment même où la royauté a été suspendue (10 août) et peu avant la proclamation de la république et l’abolition de la monarchie (21 septembre), ce désir d’en finir avec l’ordre représentatif de ce pacte divin, autrement dit le clergé.
En voulant ôter la vie de personnes consacrées, dans ces circonstances horribles qui montrent que la barbarie a vite remplacé le peuple « le plus éclairé » d’Europe, les révolutionnaires n’avaient pas peur de commettre de véritables sacrilèges, comme ils le démontreront plus tard, avec encore plus de virulence. La haine de Dieu était leur motif incontestable. Ils ne pouvaient pas agir de manière inconsciente à cet égard.

   Tout cela nous prouve, une fois encore, le caractère proprement démoniaque de la révolution française, en dépit des « gentilles » – quoique perverses – intuitions de 1789…

image souvenir de la béatification des martyrs de septembre 1792

Image souvenir (1926) de la béatification
des 191 Bienheureux Martyrs de septembre 1792

   Sans entrer dans le débat sur l’idéologie révolutionnaire et ses ambiguïtés, ni sur les responsabilités authentiques des uns et des autres au fil de cette sanglante « épopée », un catholique fidèle à son pays et à son histoire ne peut accepter, comme voudraient l’imposer les fanatiques des « valeurs de la république », de cautionner la révolution.
Il doit en revanche continuer à faire parler le témoignage de l’histoire. Comment cela ? En s’instruisant lui-même sur les événements de la révolution, en commémorant chaque année les tragiques épisodes pour « faire mémoire », c’est-à-dire pour imprégner son âme et son cœur du combat éternel de Dieu contre Satan, de la vérité contre le mensonge, du bien contre le mal, en prenant exemple sur les martyrs de cette époque. Car demain, nous aurons peut-être aussi à témoigner dans les épreuves et dans le sang.

   Puissions-nous, en implorant la protection des Bienheureux Martyrs de septembre, rester fidèle aux engagements sacrés de notre baptême, qui sont inséparables, pour nous Français, des engagements sacrés du baptême de la France, du pacte sacré qui a été scellé entre le Trône et l’Autel.

   Profitons donc spécialement de ce 2 septembre pour contempler une de ces grandes figures de la foi et recommandons-nous à son intercession auprès du Christ, Roi de l’Univers et Maître de l’histoire.

Bienheureux Pierre-Louis de La Rochefoucauld - Saint-Eutrope Saintes

Bienheureux Pierre-Louis de La Rochefoucauld
(vitrail de la basilique Saint-Eutrope, à Saintes)

Mathias Balticensis                         

2024-185. « Jésus, notre vie » : méditation pour le quinzième dimanche après la Pentecôte.

15ème dimanche après la Pentecôte.
Lectures : Epître Gal. V 25-26, VI 1-10 ; Evangile Luc VII 11-16.

Divin Cœur de Jésus - vignette - blogue

Jésus, notre vie.

Présence de Dieu :

« O Jésus, vie de mon âme, faites-moi ressusciter chaque jour à une nouvelle vie de charité et de ferveur ! »

Méditation :

   1 – Jésus est notre vie : cette pensée, si souvent répétée par la liturgie et si chère à notre cœur, domine toute la Messe de ce jour. Tout ce qu’il y a de bon en nous est fruit de la grâce du Christ : par elle nous demeurons fermes dans le bien (collecte), nous vivons selon l’Esprit (épître), nous ressuscitons du péché (Evangile). Jésus alimente en nous Sa vie (communion) en nous nourrissant de Sa Chair.
Sans Lui, nous serions dans la mort, nous ne pourrions jamais vivre cette magnifique vie de l’Esprit que Saint Paul nous décrit dans l’épître. Glanons-en quelques pensées : « Ne cherchons pas de vains succès ; pas de provocations entre nous… Se croire quelques chose alors qu’on n’est rien, c’est se faire illusion ».
L’humilité est indiquée ici comme le fondement de la concorde fraternelle : l’orgueilleux est un foyer de discordes car, se préférant aux autres, il sera souvent provocateur, envieux, altier et plein de mépris pour ceux qu’il croit inférieurs à lui-même.
« Si quelqu’un est pris en faute, vous qu’anime l’Esprit, redressez-le dans un esprit de douceur ». Quiconque veut escalader les cimes doit prendre garde de ne pas critiquer celui dont la voie est moins élevée, de ne pas se scandaliser à cause des faiblesses d’autrui, et, si le devoir lui impose d’avertir quelqu’un, il doit le faire en toute douceur et bonté. Cette douceur est encore un fruit de l’humilité parce que, en corrigeant les autres, il faut toujours veiller sur soi : « tu peux, toi aussi, être tenté ».
« Ne nous lassons pas de faire le bien, en son temps viendra la récolte, si nous ne nous relâchons pas ». Les difficultés de la vie spirituelle ne doivent pas nous décourager, même lorsque nous ne parvenons pas à les vaincre. Dieu ne nous demande pas de réussir, mais de renouveler constamment nos efforts, même si les résultats ne sont pas apparents ; « en son temps », c’est-à-dire quand Dieu voudra et de la manière qu’il Lui plaira, nous récolterons les fruits, à condition cependant « de ne pas nous relâcher ».

Sacristie de la cathédrale Saint-Louis Versailles - résurrection du fils de la veuve de Naïm - Jean Jouvenet (1708)

Jean Jouvenet : résurrection du fils de la veuve de Naïm (1708)
[sacristie de la cathédrale Saint-Louis, Versailles]

   2 – La pensée : « Jésus, notre vie », resplendit plus clairement dans l’Evangile.
Le Maître rencontre le cortège funèbre d’un jeune homme, dont la mère sanglotait à côté du cercueil. « Le Seigneur fut touché de pitié et lui dit : Ne pleure point. Puis Il S’approcha, toucha le cercueil et dit : Jeune homme, Je te l’ordonne, lève-toi ! Et Jésus le rendit à sa mère ».
Jésus est le Sauveur qui a pitié de nos misères et use de Sa toute-puissance divine pour les soulager. Aujourd’hui nous Le voyons opérer un miracle pour consoler une veuve en lui rendant, plein de vie, son fils déjà mort. C’est un trait de la délicatesse de Son amour pour nous ; mais combien d’autres ont jailli de Son Cœur, moins visibles, peut-être, mais non moins chargés d’amour et de vie !
« L’Evangile nous parle de trois morts, ressuscités visiblement – commente Saint Augustin – mais Il a ressuscité des milliers de morts invisibles ». En écrivant ces mots, le Saint devait se souvenir, avec une reconnaissance ineffable, du miracle immensément plus grand que Jésus avait accompli en le faisant ressusciter de la mort du péché.
Saint Augustin, et tant d’autres saints avec lui, sont des ressuscités. Si les saints, qui ont vécu dans l’innocence, répandent un grand charme, ceux qui sont ressuscités du péché nous encouragent plus puissamment dans la lutte. S’il nous est très ardu de vaincre l’orgueil, la sensualité et toutes les autres passions, ce ne fut pas plus aisé pour eux. Eux aussi, ont connu nos tentations, nos luttes, nos chutes ; et s’ils sont ressuscités, pourquoi ne le pourrions-nous pas ?
Il ne s’agit pas toujours, grâce à Dieu, de ressusciter du péché grave ; mais il y a toujours lieu de ressusciter de nos petites infidélités journalières ; si elles ne sont pas réparées, la ferveur de la vie spirituelle s’en trouve peu à peu affaiblie. En ce sens, nous avons besoin de ressusciter chaque jour, mieux, chaque heure ; et cependant, la force nous en manque si souvent. Mais si nous implorons Jésus notre vie, Il nous touchera de Sa grâce, comme jadis Il toucha de la main le cercueil du jeune homme de Naïm ; Il répandra en nous une vigueur nouvelle et nous remettra, pleins de courage, sur le chemin de la perfection.
La résurrection du jeune homme fut obtenue par les larmes de sa mère. Puissent la componction, l’humilité, la confiance, ces larmes de notre cœur, implorer chaque jour notre résurrection.

prière du pécheur pardonné reconnaissant - blogue

Colloque :

   « O Seigneur mon Dieu, j’étais arrivé aux portes de la mort, mais Vous Vous êtes placé entre elles et moi, afin de m’empêcher d’y passer. Souvent aussi, ô mon Sauveur, Vous m’avez retiré de la mort corporelle, lorsque j’étais affligé de maladies graves ou exposé à de nombreux dangers. Vous saviez, ô Seigneur, que si la mort m’avait surpris alors, mon âme aurait été précipitée en enfer et j’aurais été damné pour toujours. Votre miséricorde et Votre grâce m’ont devancé, me sauvant de la mort du corps et de l’âme. Tout cela, et bien d’autres choses encore, Vous l’avez fait pour moi, Seigneur mon Dieu !
Maintenant donc, ô Lumière de mon âme, mon Dieu, Vie qui me donnez la vie, je Vous rends grâces, autant que le peut ma fragilité, moi, pauvre et méprisable, impropre à recevoir Vos bienfaits.
Auparavant, j’étais parmi les pécheurs que Vous avez sauvés. Pour citer aux autres un exemple de Votre très douce miséricorde, je confesserai Vos grands bienfaits. Vous m’avez sauvé du plus profond de l’enfer une fois, deux fois, trois, cent et mille fois. Pour moi, je tendais toujours à l’enfer, et toujours Vous m’en avez retiré, alors que, si Vous l’aviez voulu, Vous auriez pu me damner mille fois, en toute justice.
Mais Vous ne l’avez pas voulu, parce que Vous aimez les âmes. Vous voilez les péchés des hommes, afin qu’ils fassent pénitence, ô Seigneur très miséricordieux en toutes Vos voies.
Votre lumière m’a fait voir et connaître tout cela, Seigneur mon Dieu, et mon âme défaille en considérant la grandeur de Votre miséricorde. Toute ma vie, qui périssait dans ma misère, est ressuscitée dans Votre miséricorde ; j’étais mort tout entier, et Vous m’avez ressuscité.
Que tout ce qui est en moi soit donc à Vous, car je m’offre à Vous sans réserve ! »
(Saint Augustin).

Rd. Père Gabriel de Sainte-Marie-Madeleine ocd
in « Intimité divine »

Divin Cœur de Jésus - vignette - blogue

2024-183. « En me rapprochant du dernier jour, plus est vive, plus est profonde et saisissante la pensée du compte que je dois rendre, pour vous, au Seigneur notre Dieu !»

28 août,
Fête de Saint Augustin d’Hippone, évêque et confesseur, docteur de l’Eglise.

Pinturicchio - 1499 - Gonfalon de Saint Augustin - blogue

Bernardino di Betto, dit Pinturicchio (vers 1452-1513) : Gonfalon de Saint Augustin (1499)
[Galerie nationale de l'Ombrie, Pérouse]

frise

Premier sermon de notre

Bienheureux Père Saint Augustin

pour le jour anniversaire de son sacre

(sermon CCCXXXIX)

La charge pastorale

   En s’adressant à ses fidèles au jour anniversaire de son sacre, Saint Augustin exprime à quel point ce jour l’oblige à réfléchir au poids de la charge pastorale qui pèse sur lui, et il leur demande d’alléger ce fardeau : fardeau terrible qui l’oblige, sous peine de mort éternelle, à les avertir des dangers qui les menacent.
« Ayez soin de vivre saintement pour ne pas vous perdre vous-mêmes », leur dit-il ; ajoutant qu’il ne sert de rien de rechercher en tout ce qui est bon sans s’appliquer à rendre bonne sa vie…

§ 1. La lourde charge du pasteur responsable devant Dieu du salut de ceux qui ont été confiés à son ministère :

   Ce jour me presse, mes frères, de réfléchir avec une attention plus grande au fardeau dont je suis chargé. Quoique je doive m’en occuper et le jour et la nuit, je ne sais comment il se fait qu’en cet anniversaire je sois tout pénétré de cette pensée, sans pouvoir même dissimuler combien elle me travaille.
Et même, plus croissent ou plutôt décroissent pour moi les années en me rapprochant du dernier jour, plus est vive, plus est profonde et saisissante la pensée du compte que je dois rendre, pour vous, au Seigneur notre Dieu.
Telle est, en effet, la différence qui existe entre chacun de vous et nous : vous n’avez presque à rendre compte que de vous seuls, tandis que nous devons, nous, rendre compte et de nous et de vous. Aussi notre fardeau est-il plus lourd.
Il est vrai que, bien porté, il nous prépare une gloire plus grande ; mais s’il est porté d’une manière infidèle, il plonge dans les plus affreux supplices.

   Aujourd’hui donc, qu’ai-je surtout à faire ? Je dois vous intéresser au danger que je cours, afin que vous deveniez ma joie. Mon danger, c’est d’être attentif aux éloges que vous me donnez, sans rien dire de la manière dont vous vivez.

   Ah ! Celui qui me voit parler, qui me voit même penser, sait que je suis moins charmé des louanges populaires, qu’inquiet et tourmenté de la manière dont vivent ceux qui m’applaudissent : je ne veux pas, j’abhorre, je déteste les louanges que me donnent ceux dont la conduite est mauvaise ! C’est peut moi une douleur et non pas un plaisir.
Dirai-je que je ne veux pas non plus des louanges de ceux qui mènent une vie vertueuse ? Ce serait mentir. Dirai-je que j’en veux ? J’aurais peur de convoiter plutôt ce qui est vain que ce qui est solide. Que dire alors ? Que sans les vouloir absolument, je ne les repousse pas absolument non plus. Je n’en veux pas absolument, pour éviter le péril où exposent les louanges humaines, et je ne les repousse pas absolument, pour ne faire pas des ingrats de ceux que j’évangélise.

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§ 2. Malheur au pasteur qui n’avertit pas ses ouailles lorsqu’elles sont sur le chemin de la perdition !

   Quant à la charge qui pèse sur moi, elle est exprimée par ces paroles que vous venez d’entendre du prophète Ezéchiel. C’est peu, en effet, que ce jour en lui-même nous invite à réfléchir à notre fardeau ; il nous a été fait, de plus, une lecture qui nous porte à penser avec grande crainte au devoir dont nous sommes chargé, car nous succombons, si Celui qui nous a imposé ce devoir n’en porte le poids avec nous.

   Voici donc ce que vous venez d’entendre : « Lorsque J’aurai amené l’épée sur une terre, et que cette terre se sera donné une sentinelle pour voir arriver l’épée, en avertir et l’annoncer, si la sentinelle, à l’approche de l’épée, se tait et que, le glaive frappe et mette à mort le pécheur, ce pécheur, sans doute, mourra à cause de son iniquité, mais Je rechercherai son sang dans les mains de la sentinelle ; si, au contraire, la sentinelle a vu accourir le glaive, qu’elle ait sonné de la trompette, qu’elle ait averti, et que le pécheur averti ne se soit pas tenu sur ses gardes, ce pécheur, sans doute encore, mourra à cause de son iniquité, mais la sentinelle a sauvé sa vie. Toi donc, fils de l’homme, Je t’ai établi en sentinelle pour les enfants d’Israël ».

   Ici le Seigneur fait connaître ce qu’il entend par la sentinelle, ce qu’il entend par le glaive, ce qu’il entend par la mort : il n’a point voulu que l’obscurité du texte fût un prétexte pour notre négligence.
« Je t’ai établi en sentinelle. Si je dis au pécheur : Tu mourras de mort, et que tu gardes le silence, et qu’il soit frappé de mort, sa mort, sans doute, sera juste et méritée, néanmoins Je rechercherai son sang dans tes mains. Mais si Je dis au pécheur : tu seras frappé de mort, et qu’il ne se tienne pas sur ses gardes, son iniquité, sans doute, sera cause de sa mort, mais tu auras sauvé ton âme » (Ezéch. XXXIII, 2-9).

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§ 3. L’évêque est dispensateur de la Parole du salut : Saint Augustin supplie ses fidèles à être attentif à ce qu’il leur enseigne – car ce ne sont pas des idées personnelles mais ce que Notre-Seigneur lui ordonne d’enseigner -, et à le mettre en pratique.

   Relevez donc, mes frères, relevez mon fardeau et portez-le avec moi. Vivez bien.
Nous voici tout près de la Nativité du Seigneur ; nous avons à nourrir ceux qui partagent notre pauvreté : étendons jusqu’à eux notre humanité.
Considérez mes paroles comme des mets que je vous présente ; je ne puis vous nourrir tous d’un pain matériel et visible ; je vous donne à manger ce qu’on me donne à moi-même.

   Je suis le serviteur, et non le Père de famille. Je vous présente de ce qui me fait vivre ; je puise dans les trésors du Seigneur, dans les celliers de ce Père de famille qui pour nous S’est fait pauvre, quand Il était riche, afin de nous enrichir par Sa pauvreté (2 Cor. VIII, 9).
Si je vous servais du pain, le pain une fois rompu, vous en emporteriez un morceau, et tant que j’en aie, chacun de vous n’en recevrait que bien peu. Mais ce que je dis maintenant arrive tout entier à tous et à chacun. Vous partagez-vous entre vous les syllabes de mes paroles ? Avez-vous emporté chaque mot de mon discours à mesure qu’il s’est poursuivi ?
Chacun de vous l’a entendu tout entier. Mais aussi c’est à chacun de voir comment il l’a entendu, car je suis, moi, le distributeur et non l’exacteur.

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§ 4. C’est l’enseignement du Saint Evangile, et il est redoutable : le pasteur qui a reçu une charge divine doit lui faire porter du fruit de salut dans l’âme de ses fidèles ; et les fidèles par leur docilité à ses enseignements ou par leur résistance, sont aussi responsables du jugement qui sanctionnera leur pasteur. 

   Si je ne distribuais pas, si je conservais l’argent, l’Evangile me glacerait d’effroi. Je pourrais dire : Qu’ai-je besoin d’ennuyer les hommes, de crier aux pécheurs : Gardez-vous d’agir injustement, agissez de telle manière, cessez d’agir de telle autre ? Qu’ai-je besoin d’être à charge au monde ? J’ai appris comment je dois vivre, je veux tenir compte de ce qui m’a été ordonné, prescrit, enseigné, ai-je besoin de rendre compte d’autrui ?
Mais l’Evangile me glace d’effroi, et nul au monde ne me ferait sortir de mon oisiveté et de ma tranquillité. Est-il rien de meilleur, de plus doux, que de puiser sans bruit extérieur dans les trésors divins ? Voilà ce qui est bon, ce qui est agréable. Mais prêcher, reprendre, corriger, édifier, s’inquiéter pour chacun, quelle charge, quel poids, quel travail ! Qui ne le fuirait ?

   Encore une fois l’Evangile m’épouvante. Un serviteur y paraît, qui dit à son maître : « Je savais que vous êtes un homme fâcheux, que vous moissonnez où vous n’avez pas semé ; j’ai conservé mon argent, je n’ai pas voulu le dépenser, prenez ce qui est à vous ». S’il y manque quelque chose, montrez-le ; s’il n’y manque rien, ne me faites pas de peine.
« Méchant serviteur », reprit le Maître, « c’est d’après ta propre bouche que je te condamnerai ». — Comment cela ? — Dès que tu m’accuses d’avarice, pourquoi as-tu négligé de me faire des profits ? — J’ai craint de perdre en donnant. — Voilà ce que tu dis. N’est-ce pas ainsi qu’on s’écrie souvent : Pourquoi tant corriger ? Ce que tu lui dis devient inutile, il ne t’écoute pas ? — Je n’ai pas voulu donner mon argent dans la crainte de le perdre, dit le serviteur. — « Je l’eusse, en arrivant, repris avec usure » (Luc, XIX, 21-23), ajoute le Maître, car je t’avais constitué distributeur, et non exacteur ; tu devais t’exercer à donner et me laisser le soin de réclamer ensuite.

   Que chacun donc craigne un pareil reproche et songe à la manière dont il reçoit. Si je tremble en donnant, celui qui reçoit doit-il être tranquille ?

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§ 5. Tu ne veux pas de mauvaises choses pour ta vie d’ici-bas, alors pourquoi désires-tu des choses mauvaises pour ta vie spirituelle ? Il y va de ton bonheur éternel.

   Que celui qui était mauvais hier soit bon aujourd’hui. Voilà ce que je vous donne.
Oui, que celui qui était mauvais hier soit bon aujourd’hui. Tel hier était mauvais, il n’est pas mort. S’il était mort, mort en mauvais état, il serait allé d’où l’on ne revient pas. Hier il était mauvais et il vit encore : ah ! qu’il profite de sa vie et ne vive plus mal. Pourquoi vouloir au jour mauvais d’hier ajouter un jour mauvais aujourd’hui ? Tu désires une 
longue vie, et tu ne veux pas qu’elle soit bonne ? En fait même de repas, qui veut d’un mauvais et long dîner ?
Tel est l’aveuglement prodigieux de l’esprit, telle est la surdité de l’homme intérieur, qu’à l’exception de soi-même, on ne veut rien que de bon. Tu voudrais posséder une villa. Je soutiens que tu ne désires pas qu’elle soit mauvaise. Tu désires une épouse ? Tu n’en veux qu’une bonne ; tu ne veux non plus qu’une bonne maison.
Pourquoi poursuivre cette énumération ? Tu ne veux pas d’une mauvaise chaussure, et tu veux d’une vie mauvaise ? Une chaussure mauvaise te fera-t-elle plus de mal qu’une mauvaise vie ? Quand une chaussure mauvaise et trop serrée te gêne, tu t’assois, tu l’ôtes, tu la jettes ou bien tu y remédies, ou bien encore tu en changes, pour ne pas te fouler les doigts du pied ; voilà comment tu te chausses.
Et pourtant ta vie reste mauvaise et te fait perdre ton âme !

   Je vois clairement ce qui t’égare. Une chaussure nuisible produit la douleur, une vie nuisible, le plaisir ; l’une fait souffrir, l’autre fait jouir. Mais ce qui cause un plaisir temporel, produira plus tard une douleur bien plus sensible ; au lieu que ce qui cause pour un temps une douleur salutaire, remplira ensuite d’un plaisir infini, d’une joie délicieuse et abondante, car il est écrit : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie » (Ps. CXXV, 5), et encore : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés » (Matth. V, 5).

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§ 6. Conclusion (dont les experts de l’œuvre de Saint Augustin pensent qu’elle est un ajout postérieur) :

   Plus attentifs donc à ces vérités, songeons à ces autres paroles de l’Ecriture relatives à la débauche et à la volupté : « Un moment elle flatte le palais, on la sent ensuite plus amère  que le fiel » (Prov. V, 3-4). De plus, comme notre vie dans ce monde ressemble à un chemin, mieux vaut pour nous aller du travail au repos que du repos au travail ; mieux vaut aussi nous fatiguer quelque temps sur la route, afin de pouvoir parvenir ensuite heureusement aux éternelles joies de la patrie, avec la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, Lequel vit et règne avec le Père, …etc.

On trouvera le second sermon de Saint Augustin sur la charge pastorale > ici.

Pinturicchio - 1499 - Gonfalon de Saint Augustin - détail

2024-182. De Saint Césaire, archevêque d’Arles, fervent disciple de Saint Augustin, que l’on fête le 27 août.

27 août,
Fête de Saint Césaire d’Arles, évêque et confesseur ;
Vigile de notre Bienheureux Père Saint Augustin ;
Mémoire du troisième jour dans l’octave de Saint Louis ;

Mémoire de Saint Joseph Calasanz, confesseur.

Saint Césaire d'Arles - blogue

Saint Césaire d’Arles (vers 470 – 27 août 542)

       Saint Césaire est né vers l’an 470 au sein d’une famille chrétienne nicéenne de la noblesse gallo-romaine, à Chalon-sur-Saône ou dans les environs, territoire alors occupé par les Burgondes.
Il montra dès son enfance un zèle ardent pour la piété et pour l’aumône, au point de se dépouiller de ses propres vêtements pour les donner aux nécessiteux, et dès l’âge de dix-huit ans, à l’insu de ses parents, il supplia l’évêque de Chalon, Saint Silvestre de l’admettre parmi les clercs de son Eglise : Silvestre, en considération de la haute vertu dont l’adolescent faisait déjà montre, lui donna la tonsure cléricale et l’engagea au service de l’Eglise.
Au bout de deux années (vers 490 donc), au cours desquelles il avait fait l’édification de tous, avide d’une plus grande perfection et de plus importantes austérités, désireux pour cela d’imiter le mode de vie angélique des Pères d’Orient (et ayant également conquis sa propre sœur, Césarie, à l’idéal monastique – cf. la biographie que nous en avons publié > ici), il partit pour le fameux monastère de Lérins, sans que sa mère, qui avait pourtant lancé des serviteurs à sa poursuite afin de l’en empêcher, ne pût arrêter son voyage.

   Reçu par l’abbé Saint Porchaire parmi les moines, il manifesta aussitôt, et de manière persévérante, un tel zèle pour les combats ascétiques ainsi que pour les veilles studieuses consacrées à l’étude des Saintes Ecritures et des écrits des saints Pères – principalement de Saint Augustin -, que ses jeûnes, macérations et veilles prolongées, compromirent sa santé ; Saint Porchaire dut donc l’envoyer se soigner en Arles.

actuelle abbaye de Lérins

Abbaye de Lérins (état actuel)

   La prestigieuse cité, qui avait été résidence impériale sous Saint Constantin 1er le Grand puis élevée au rang de préfecture du prétoire des Gaules, était alors soumise aux Wisigoths depuis 476 (elle passera sous domination ostrogothe en 508, puis franque en 536) : elle restait toutefois une métropole importante, où l’on s’efforçait de sauvegarder l’héritage de la culture classique.
Hébergé dans la demeure d’un noble citoyen, Firmin, et de son épouse Grégoria, on voulut lui faire suivre les cours d’un célèbre rhéteur réfugié d’Afrique, Julien Pomère. Cédant aux instances de ses hôtes, Césaire consentit alors à abandonner quelque peu l’étude de la Bible pour s’adonner à la lecture de Virgile. Mais, une nuit, la vision d’un redoutable serpent, qui lui dévorait le bras qui s’appuyait sur un livre, le persuada de renoncer à l’étude des lettres profanes.

   Remarqué par le vieil évêque de la ville, Saint Eon (Eonius), qui était d’ailleurs l’un de ses lointains cousins, ce dernier obtint de l’abbé Porchaire l’autorisation d’agréger le jeune moine à son clergé et de lui conférer le diaconat puis le sacerdoce (en 499).

   Désormais au service de l’Eglise d’Arles et de ses fidèles, Saint Césaire ne renonça néanmoins jamais au mode de vie ascétique et à la règle de prière qu’il avait reçus à Lérins. Il se distinguait entre tous les autres clercs par son humilité, sa mortification, son amour du culte divin et son détachement de toute affaire mondaine pour se tendre sans relâche vers la contemplation des biens à venir.
Saint Eon le nomma d’ailleurs bientôt supérieur d’un monastère situé un peu en dehors de la ville, sur une île du Rhône, et trois ans après, l’évêque Eone, se voyant malade, le désigna pour  successeur sur le siège métropolitain d’Arles, mais quand il apprit qu’il venait d’être élu évêque, effrayé, il alla se cacher dans un tombeau des Alyscamps. Mais il fut rapidement découvert et forcé de se soumettre à la décision du peuple, que le roi Alaric II venait de ratifier : il avait trente-trois ans (503).

Arles - les Alyscamps - état actuel

Arles : les Alyscamps (état actuel)

   Le nouvel évêque confia le soin des affaires temporelles à des diacres, afin de s’adonner tout entier à la tâche apostolique : Saint Césaire avait soin de dispenser la Parole de Dieu dans des sermons brefs, utilisant une langue facilement accessible et ayant recours à des images de la vie quotidienne, pour enseigner les exigences fondamentales de la vie chrétienne (deux cent trente-huit de ces homélies nous ont été conservées dans des manuscrits, certaines ayant parfois été attribuées à Saint Augustin). Il dénonçait les vices, décrivait avec enthousiasme la beauté de la vertu et des biens promis par Dieu à ceux qui Le suivraient. Il convertissait les uns par ses remontrances, et gagnait les autres à la vie spirituelle par sa douceur et le rayonnement de la grâce de Dieu qu’il montrait en sa propre personne. Tel un habile médecin, il appliquait à chacun de ses fidèles le remède qui lui convenait, et ne manquait pas d’exhorter sans relâche les membres du clergé, évêques compris, à se faire les modèles de conduite évangélique pour le troupeau que Dieu leur avait confié.
Pour empêcher que les fidèles ne bavardassent dans les églises, il fit obligation aux laïcs de chanter les psaumes, les antiennes et les hymnes avec les clercs.

   En ces temps d’invasions, les pauvres étaient nombreux et délaissés, aussi le nouvel évêque organisa-t-il les œuvres de bienfaisance aux frais de l’Eglise, et fit-il construire des hospices et des hôpitaux pour les malades.
Ces activités charitables lui attirèrent toutefois l’hostilité de certains membres du clergé, auxquels il avait reproché leur conduite relâchée. Par l’entremise de son secrétaire, Licuman, ils l’accusèrent auprès du roi Alaric d’être à la solde des Burgondes et de comploter pour leur livrer la cité. Exilé à Bordeaux, en 505, Saint Césaire y arrêta par sa prière un terrible incendie qui ravageait la ville, et il acquit ainsi une si grande renommée qu’Alaric dut reconnaître son innocence et lui permit de regagne son siège épiscopal.
Le saint fut accueilli triomphalement par les fidèles d’Arles et, en signe de la faveur divine qui l’assistait, dès qu’il entra en ville, une pluie bienfaisante vint mettre fin à une longue sécheresse.
Comme on s’apprêtait à lapider Licuman, son calomniateur, Saint Césaire intervint avec magnanimité pour le délivrer.

   Par la suite, ayant acquis la confiance d’Alaric, il obtint du roi la publication d’un code de loi qui garantissait à ses sujets gallo-romains les même droits qu’à ceux de race gothique.

Jose Leonardo (c1605-1656) Alaric II le Balthe

Jose Leonardo (1601-1653) : Alaric II le Balthe

   La compassion de l’homme de Dieu s’étendait sur tous, et en particulier envers les prisonniers et les victimes des invasions. Lors du terrible siège d’Arles par les Francs et les Burgondes coalisés, en 508, il se dépensa sans compter, et fut accusé de trahison et arrêté sous prétexte qu’il venait en aide aux prisonniers ennemis. Mais, à l’occasion d’une sortie, on découvrit la lettre qu’un de ses accusateurs avait écrite aux assiégeants, leur proposant de leur livrer la ville. La perfidie ayant été ainsi dévoilée, le saint fut libéré, et il reprit aussitôt ses activités charitables.

   Les Ostrogoths, qui avaient mis en fuite les assiégeants, occupèrent à leur tour la Provence et amassèrent un grand nombre de captifs francs et burgondes dans les églises d’Arles, sans leur procurer le moindre soin. Saint Césaire leur fit distribuer des vivres, et il se refusait à se nourrir alors que des hommes, fussent-ils barbares ou hérétiques, souffraient de la faim. Il dépouilla même son église, fit vendre les objets précieux, les ornements et « jusqu’aux vases sacrés du temple de Dieu, pour racheter le vrai temple ». Un jour, il rencontra un homme pauvre, qui lui demanda l’aumône pour racheter un captif. Comme l’évêque n’avait pas d’argent, il courut chercher des ornements solennels, et il les lui donna pour les vendre sans retard.

   De nouveau accusé de haute trahison par les Ostrogoths, en 513, Césaire fut convoqué à Ravenne par Théodoric 1er, devant lequel il se présenta le visage serein et rayonnant d’une telle majesté, que le roi, oubliant les accusations, le traita avec de grands égards et lui fit don d’un plat en argent d’une valeur considérable. Le saint le fit aussitôt vendre aux enchères pour racheter les prisonniers d’Orange et de la région de la Durance. Loin d’en être courroucé, Théodoric loua fort cet acte et, dès lors, les nobles et les gens puissants rivalisèrent pour faire connaissance avec l’homme de Dieu et lui prodiguer leurs offrandes.
Il accomplit plusieurs miracles à Ravenne, tels que la résurrection du fils unique d’une pauvre veuve et la délivrance d’un possédé.

   Se rendant alors à Rome, il y fut honoré comme un saint par le clergé, le sénat et le peuple, et le pape Symmaque, de ses propres mains, lui remit le sacré pallium, en signe d’une autorité de vicaire pontifical sur toutes les Eglises des Gaules ; le Pontife lui accorda aussi que désormais tous les diacres de son Eglise auraient le privilège de porter la dalmatique comme les diacres de l’Eglise de Rome.

Ceinture de Saint Césaire

Ceinture de Saint Césaire :
remarquable travail de cuir avec une boucle en ivoire finement sculptée
représentant les soldats postés devant le tombeau du Christ.
On pense qu’elle fut offerte à Saint Césaire par le Roi Théodoric 1er.

   Césaire revint à Arles plus glorieux que s’il avait triomphé à la guerre, et il répandit à profusion ses largesses pour délivrer les prisonniers et pour orner les églises.

   Outre son souci de manifester la miséricorde de Dieu partout où il se trouvait, soit par l’aumône soit par ses miracles, il portait un grand soin à la vie et à l’organisation de l’Eglise dans les nouvelles conditions où elle se trouvait désormais. En 506, il réunit un concile de tous les évêques soumis aux Wisigoths, pour rétablir la discipline ecclésiastique corrompue par le contact avec les occupants ariens.
Comme métropolitain, il présida des synodes locaux des évêques de Provence : à Arles (524), Carpentras (527), Orange (529), Vaison (529) et Marseille (533). Le concile d’Orange mit un terme à la controverse sur la grâce et le libre-arbitre, en sanctionnant la doctrine de saint Augustin, mais il condamna cependant les tenants extrémistes de la doctrines de la prédestination.

   Les fréquentes visites que le saint faisait dans les paroisses lui permirent de constater la grande nécessité de la prédication, jusque-là réservée aux évêques. C’est pourquoi, lors du concile de Vaison, il fit accorder aux prêtres le droit de prêcher et aux diacres celui de lire au peuple les homélies des saints Pères, et il prit également soin de l’enseignement et de la formation des clercs dans les écoles paroissiales. Lorsque son évêché fut réuni aux états francs (536), saint Césaire, trop âgé, ne put assister aux conciles d’Orléans (538 et 541), mais les évêques suffragants d’Arles y témoignèrent de son influence bienfaisante pour toute l’Eglise.

Reliquaire de Saint Césaire dans l'église Saint-Trophime en Arles

Reliquaire de Saint Césaire dans l’église Saint-Trophime en Arles

   De toutes les activités du saint évêque, c’est à la fondation du monastère de moniales Saint-Jean-Baptiste qu’allait pourtant sa prédilection. D’abord installé à l’extérieur de la ville, mais ruiné lors du siège des Francs et des Burgondes en 508, le monastère fut reconstruit (513), puis transféré à l’intérieur de la cité d’Arles. L’évêque désigna comme abbesse sa sœur Césarie, qu’il avait envoyée se former au monastère fondé par Saint Jean Cassien (cf. > ici) à Marseille, et il rédigea pour la communauté, qui devait atteindre près de deux cents religieuses à la fin de sa vie, une Règle, qui fut la première spécialement écrite pour des moniales et qui se répandit par la suite largement en Occident (cette Règle que la Reine Sainte Radegonde – cf. > ici – adopta pour son monastère de la Sainte-Croix à Poitiers). Il y prescrivait notamment à ses filles spirituelles de ne jamais sortir de l’enceinte du monastère, de manière à rester tout entières consacrées à Dieu, et à persévérer sans distractions, dans l’attente de l’Epoux, telles les vierges sages, « leurs lampes allumées et avec une conscience tranquille ».
Il adapta ensuite cette Règle à l’intention d’un monastère de moines qu’il avait également fondé.

 enluminure du Xe siècle - saint Césaire donnant sa Règle aux moniales

Saint Césaire donnant sa règle monastique (enluminure du Xème siècle)

   Après avoir ainsi œuvré pendant de longues années dans la Vigne du Seigneur, Saint Césaire reçut, deux ans avant qu’il n’advint, la révélation du jour de son trépas, et il vit la gloire qui lui était réservée en récompense de ses labeurs.

   Frappé d’une cruelle maladie, qui lui causait de très grandes douleurs, il rédigea son testament, léguant tous ses biens à son Eglise et au monastère des moniales.
Il demanda à ceux qui l’assistaient quand aurait lieu la fête de Saint Augustin, et on lui répondit que ce serait bientôt. Il déclara alors : « J’espère que mon décès ne sera pas éloigné de celui de ce grand docteur dont j’ai toujours chéri la doctrine et suivi les sentiments ».
Il se fit ensuite transporter sur une litière au monastère Saint-Jean, afin d’y exhorter les religieuses à persévérer avec ferveur dans leur vocation angélique et à garder fidèlement ses préceptes et leur donner une ultime bénédiction.
Puis il demanda qu’on le ramenât non pas dans ses appartements mais dans son église métropolitaine où, trois jours après, il rendit paisiblement son âme au Seigneur, en présence de son clergé, à l’heure de prime, le 27 août de l’an 542, à la veille de la fête de Saint Augustin, ainsi qu’il l’avait prédit.

reliquaire de la tunique de Saint Césaire

Reliquaire de la tunique de Saint Césaire en forme de diptyque (1429)
[musée d'art sacré de Pont-Saint-Esprit]

2024-179. La séquence lyonnaise « Plaudamus cum superis » pour l’Assomption de Notre-Dame.

22 août,
Octave de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie (cf. > ici) ;
Mémoire des Saints Timothée, Hippolyte et Symphorien, martyrs.

Philippe de Champaigne - Assomption vers 1629 - musée du Louvre

Philippe de Champaigne -1602-1674) : Assomption de la Vierge Marie (vers 1629)
[tableau réalisé pour l’église du couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques à Paris - musée du Louvre] 

       Après la publication de la prose de l’Assomption « Induant justitiam » du missel parisien, adoptée en de nombreux diocèses de France sous l’Ancien Régime (cf. > ici), un de nos lecteurs – qu’il en soit chaleureusement remercié – a eu la bonté d’attirer notre attention sur le fait que dans le rite lyonnais, il existe aussi une prose propre, différente quant au texte, sauf en ce qui concerne les deux derniers couplets qui sont absolument identiques.

   En revanche, pour l’heure, nous n’en avons trouvé ni la partition musicale ni non plus un quelconque enregistrement.
A l’occasion de l’octave de l’Assomption, et, en quelque manière en symétrie de la prose du missel romain à l’usage des diocèses de France, voici, ci-dessous, le texte et la traduction de cette prose du rite lyonnais :

Plaudamus cum superis :
Arca novis fœderis
Templo sedet gloriae.

Applaudissons avec les anges :
L’Arche de la nouvelle alliance
Repose au temple de la gloire.

Alto regnat solio,
Juncta Mater Filio,
Particeps victoriae.

Sur un trône élevé, la Mère
Règne en union avec son Fils,
Participant à Sa victoire.

Qos est passa pectore,
Quantos natus fœnore,
Dolores remunerat !

Les douleurs qu’elle a endurées
Dans son cœur, combien son Enfant
Les récompense avec usure !

Circumfusa lumine,
Solo minor Numine,
Quot bonis exuberata !

Elle baigne dans la lumière :
A Dieu seul elle est inférieure ;
De biens sans nombre elle est comblée !

Ipsa fit fons gratiae,
Quae fontem justitiae
Sinu suo protulit.

Elle devient source de grâce,
Ayant fait jaillir de son sein
La Source de la sainteté.

Quis per Matrem Filium
Rogavit auxilium,
Et dona non retulit ?

Qui a demandé le secours
Du Fils, passant par la Mère,
Sans repartir chargé de dons ?

Virgo caelo celsior,
Angelisque purior,
Nobis sis propitia.

Vierge élevée plus que les cieux,
Plus pure même que les anges,
Accordez-nous votre faveur.

Regnet in pectoribus,
Regnet in operibus,
Qua dives es, gratia.

Qu’elle règne au fond de nos cœurs,
Qu’elle règne aussi en nos œuvres,
La grâce dont vous êtes riche.

Ad Deum ut adeant,
Per te vota transeant :
Non fas Matrem rejici.

Pour qu’ils parviennent jusqu’à Dieu,
Que nos vœux passent par vos mains :
on ne repousse pas sa Mère !

Amet tuam Galliam ;
Regi det justitiam,
plebi pacem supplici.
Amen.

Qu’Il (Dieu) aime la France qui est vôtre ;
Qu’Il accorde au Roi la justice,
Et la paix au peuple qui prie.
Ainsi soit-il !

L'Assomption

2024-177. « La Sagesse céleste S’est élevée en elle une demeure ».

20 août,
Fête de Saint Bernard de Clairvaux, abbé, confesseur et docteur de l’Eglise (cf. > ici) ;
Mémoire de Saint Philibert, abbé et confesseur ;
Anniversaire de la mort de Saint Pie X (cf. ici).

       Puisque la fête de Saint Bernard, particulièrement réputé pour sa dévotion mariale, se trouve au sixième jour de l’octave de l’Assomption, profitons de cette occurrence pour lire, ou relire, et surtout pour méditer sur ce petit sermon tout à la gloire de la Très Sainte Mère de Dieu.

Filippino Lippi - apparition de la Vierge à Saint Bernard

Filippino Lippi (1457-1504) : apparition de la Vierge à Saint Bernard (1486)
[Florenze, église de la Badia]

Monogramme de la Vierge Marie - vignette blogue

Cinquante-deuxième sermon de Saint Bernard :

De la maison de la sagesse divine, c’est-à-dire de la Vierge Marie.

« La Sagesse s’est bâtie une maison… etc.» (Prov. IX, 1).

   1. Comme le mot sagesse se prend en plusieurs sens, il faut rechercher qu’elle est la sagesse qui s’est bâtie une maison. En effet, il y a la, sagesse de la chair qui est ennemie de Dieu (Rom. VIII, 7), et la sagesse de ce monde qui n’est que folie aux yeux de Dieu (cf. 1 Cor. III, 19). L’une et l’autre, selon l’apôtre saint Jacques, font la sagesse de la terre, la sagesse de la terre « la sagesse animale, diabolique » (Jac. III, 15). C’est suivant cette sagesse que sont sages ceux qui ne le sont que pour faire le mal, et qui ne savent pas faire le bien ; mais ils sont accusés et condamnés dans leur sagesse, selon ce mot de l’Écriture : « Je saisirai les sages dans leurs ruses, Je perdrai la sagesse des sages, et Je rejetterai la science des savants » (1 Cor. I, 19). Il me semble qu’on peut parfaitement et proprement appliquer à ces sages cette parole de Salomon : « Il est encore un mal que j’ai vu sous le soleil, c’est l’homme qui est sage à ses yeux ».
Ni la sagesse de la chair, ni celle du monde, n’édifie, loin de là, elle détruit plutôt la maison, où elle habite. Il y a donc une autre sagesse qui vient d’en haut ; elle est avant tout prodigue, puis elle est pacifique.
Cette Sagesse, c’est le Christ, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Il nous a été donné pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption » (1 Cor. I, 30).

   2. Ainsi cette Sagesse, qui était la sagesse de Dieu et qui était Dieu, venant à nous du sein du Père, S’est édifié une demeure, je veux parler de la Vierge Marie Sa mère, et dans cette demeure Il a taillé sept colonnes.
Qu’est-ce à dire, Il a taillé dans cette maison sept colonnes, si ce n’est qu’Il l’a préparée par la foi et par les œuvres à être une demeure digne de Lui ? Le nombre trois est le nombre de la foi à cause de la Sainte Trinité, et le nombre quatre est celui des mœurs à cause des quatre vertus principales.
Je dis donc que la Sainte Trinité S’est trouvée dans la Bienheureuse Marie, et S’y est trouvée par la présence de Sa majesté, bien qu’elle n’ait reçu que le Fils quand Il S’est uni la nature, humaine : et j’en ai pour garant le témoignage même du messager céleste qui lui découvrit en ces termes le secret de ce mystère : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous », et un peu après : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de Son ombre » (Luc I, 28).
Ainsi vous avez le Seigneur, vous avez la vertu du Très-Haut et vous avez le Saint-Esprit : en d’autres termes, vous avez le Père, le Fils et le Saint- Esprit. D’ailleurs le Père ne va point sans le Fils, non plus que le Fils sans le Père, de même que le Saint-Esprit, qui procède des deux, ne va ni sans l’Un ni sans l’Autre, s’il faut en croire ces paroles du Fils : « Je suis dans le Père et le Père est en Moi ». Et ailleurs : « Quant à Mon Père qui demeure en Moi, c’est Lui qui fait tout » (Joan. XIV, 10).
Il est clair que la foi de la Sainte Trinité se trouvait dans le cœur de la Vierge.

   3. Mais eut-elle aussi les quatre autres colonnes, je veux dire les quatre vertus principales ?
Le sujet mérite que nous nous en assurions.
Voyons donc d’abord si elle eut la vertu de force. Comment cette vertu lui aurait-elle fait défaut quand, rejetant les pompes du siècle et méprisant les voluptés de la chair, elle conçut le projet de vivre pour Dieu seul dans sa virginité  Si je ne me trompe, la Vierge est la femme dont Salomon parle en ces termes : « Qui trouvera une femme forte? Elle est plus précieuse que ce qu’on va chercher au bout du monde » (Prov. XXXI, 10). Telle fut sa force, en effet, qu’elle écrasa la tête du serpent à qui le Seigneur avait dit : « Je mettrai des inimitiés entre la femme et toi, entre sa race et la tienne ; elle t’écrasera la tête » (Gen. III, 15).
Pour ce qui est de la tempérance, de la prudence et de la justice, on voit plus clair que le jour, au langage de l’Ange, et à sa réponse à elle, qu’elle possédait ces vertus. En effet, à ce salut si profond de l’Ange : « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous », au lieu de s’élever dans sa pensée, en s’entendant bénir pour ce privilège unique de la grâce, elle garde le silence, et se demande intérieurement ce que pouvait être ce salut extraordinaire. N’est-ce point la tempérance qui la fait agir en cette circonstance ? Puis, lorsque l’Ange l’instruit des mystères du ciel, elle s’informe de lui, avec soin, de la manière dont elle pourrait concevoir et enfanter un fils, puisqu’elle ne connaissait point d’homme ; évidemment, dans ces questions, éclate sa prudence. Quant à sa justice, elle la prouve lorsqu’elle se déclare la servante du Seigneur. En effet, on trouve la preuve que la confession est le propre des justes dans ces paroles du Psalmiste : « Ainsi les justes confesseront votre nom, et ceux qui ont le cœur droit demeureront en votre présence » (Ps. CXXXIX, 14). Ailleurs, on lit encore, à propos des justes : « Et vous direz, en confessant Ses louanges, les œuvres souverainement bonnes du Seigneur » (Eccli. XXXIX, 21).

   4. Ainsi la Bienheureuse Vierge Marie s’est montrée forte dans ses desseins, tempérante dans son silence, prudente dans ses questions et juste dans sa confession. C’est sur ces quatre colonnes des mœurs et sur les trois de la foi dont j’ai parlé plus haut, que la Sagesse céleste S’est élevée en elle une demeure ; elle remplit si bien son cœur que, de la plénitude de son âme, sa chair fut fécondée et que toute Vierge qu’elle fût, elle enfanta, par une grâce singulière, cette même Sagesse qui S’était revêtue de notre chair, et qu’elle avait commencé par concevoir auparavant dans son âme pleine de pureté.
Et nous aussi, si nous voulons devenir la demeure de cette même Sagesse, il faut que nous Lui élevions également en nous une demeure qui repose sur les sept mêmes colonnes, c’est-à-dire que nous nous préparions à La recevoir par la foi et les mœurs.
Or, dans les vertus morales je crois que la justice toute seule peut suffire, mais à condition qu’elle se trouve entourée et soutenue par les autres vertus. Aussi, pour ne point nous trouver induits en erreur par l’ignorance, il faut que la prudence marche devant ses pas, que la tempérance et la force marchent à ses côtés, la soutiennent et l’empêchent de tomber soit à droite, soit à gauche.

On trouvera un autre sermon de Saint Bernard, sur la prière > ici

Filippino Lippi - apparition de la Vierge à Saint Bernard - détail

2024-175. « Après avoir purifié votre cœur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu ! »

13ème dimanche après la Pentecôte ;
Lectures : épitre Gal. III, 16-22 ; Evangile Luc XVII, 11-19.

   Voir aussi la méditation proposée pour ce dimanche (extraite de « Intimité divine »> ici, ainsi que les explications de notre Bienheureux Père Saint Augustin dans les « Questions sur l’Evangile » > ici.

Carlo Cignani - Saint Augustin musée national Varsovie

Carlo Cignani (1628-1719) : Saint Augustin
[musée national, Varsovie]

vignette augustinienne

Sermon CLXXVI
de
notre Bienheureux Père Saint Augustin
sur
la grâce de Dieu

prêché le jour où l’on entendait l’Evangile de
la guérison des dix lépreux

ANALYSE. — Les trois saintes lectures que vous venez d’entendre  se rapportent à la même vérité. Elles montrent 1° combien la grâce de Dieu est nécessaire à tous, même aux petits enfants ; 2° combien nous devons avoir confiance en elle, puisqu’elle sanctifie les plus grands pécheurs ; 3° enfin, avec quelle fidélité et quelle reconnaissance nous devons lui attribuer tout le bien qui peut se trouver en nous.

§ 1 – Introduction : Saint Augustin se propose de commenter les trois passages de la Sainte Ecriture que ses fidèles viennent d’entendre et dont il résume la teneur :

   Ecoutez attentivement, mes frères, ce que le Seigneur daigne nous enseigner par ces divines lectures ; c’est de Lui que vient la vérité, recevez-la par mon ministère.

   La première lecture (1 Tim. I, 15-16) est tirée de l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, dit-il, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. Mais j’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ Jésus montrât en moi toute Sa patience, pour servir de leçon à ceux qui doivent croire en Lui, en vue de la vie éternelle ». Voilà ce que nous a rappelé le texte de l’Apôtre.
Nous avons ensuite chanté un psaume (Ps. XCIVpour nous exciter les uns les autres ; d’une même voix et d’un même cœur nous y disions : « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous et pleurons en présence du Dieu qui nous a créés » ; nous y disions encore : « Hâtons-nous d’accourir devant Lui pour célébrer Ses louanges, et chantons avec joie des cantiques à Sa gloire ».
Enfin l’Evangile (Luc XVII, 12-19) nous a montré dix lépreux guéris, et l’un d’eux – il était étranger – rendant grâces à son Libérateur.
Etudions ces trois textes, autant que nous le permet le temps dont nous pouvons disposer ; disons quelques mots sur chacun d’eux, évitant, avec la grâce de Dieu, de nous arrêter trop longuement sur l’un au détriment des autres.

§ 2 – Apprendre à rendre grâces – Les motifs de notre action de grâce :

   L’Apôtre veut d’abord nous apprendre à rendre grâces.
Or, souvenez-vous que dans la dernière leçon, celle de l’Evangile, le Seigneur Jésus loue le lépreux guéri qui Le remercie, et blâme les ingrats qui conservent dans le cœur la lèpre qu’Il a effacée de leur corps.
Comment donc s’exprime l’Apôtre ? « Une vérité sûre et digne de toute confiance ». Quelle est cette vérité ? « C’est que Jésus-Christ est venu au monde ». Pourquoi ? « Pour sauver les pécheurs ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». C’eût été de l’ingratitude envers le Sauveur, de dire : Je ne suis, je n’ai jamais été pécheur. Car il n’est aucun des descendants mortels d’Adam, il n’est aucun homme absolument qui ne soit malade et qui n’ait besoin pour guérir de la grâce du Christ.

§ 3 – Saint Augustin ouvre ici une parenthèse  : même les tout petits enfants qui n’ont pas commis de péché personnel ont besoin d’être guéris par le Christ Sauveur.

   Que penser des petits enfants, si tous les descendants d’Adam sont malades ? Mais on les porte à l’Eglise ; ils ne peuvent y courir encore sur leurs propres pieds ; ils y courent sur les pieds d’autrui pour y chercher la guérison. L’Eglise notre mère leur prête en quelque sorte les pieds des autres pour marcher, le cœur d’autrui pour croire et, pour confesser la foi, la bouche d’autrui encore. Si la maladie qui les accable vient d’un péché qu’ils n’ont pas commis, n’est-il pas juste que la santé leur soit rendue par une profession de foi faite par d’autres en leur nom ?
Que nul donc ne vienne murmurer à vos oreilles des doctrines étrangères. Tel est l’enseignement auquel l’Eglise s’est toujours attachée, qu’elle a professé toujours ; l’enseignement qu’elle a puisé dans la foi des anciens et qu’elle conserve avec persévérance jusqu’à la fin des siècles.

   Dès que le médecin n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades, l’enfant, s’il n’est pas malade, a-t-il donc besoin du Christ ? Pourquoi, s’il a la santé, ceux qui l’aiment le portent-ils au Médecin ? S’il était vrai qu’au moment où ils courent à Lui entre des bras dévoués, ils n’eussent aucune souillure originelle, pourquoi ne dirait-on pas dans l’Eglise même à ceux qui les présentent : Loin d’ici ces innocents ; ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de Médecin, mais ceux qui sont malades ; le Christ n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (cf. Matt. IX, 12, 13)?
Jamais pourtant l’Eglise n’a tenu ce langage ; elle ne le tiendra jamais. A chacun donc, mes frères, de dire ce qu’il peut en faveur de ces petits qui ne peuvent rien dire. Si l’on a soin de recommander aux évêques de veiller sur le patrimoine des orphelins ; avec combien plus de soin encore ne doit-on pas leur recommander de veiller sur la grâce des petits enfants ? Si pour empêcher les étrangers d’opprimer l’orphelin après la mort de ses parents, l’évêque s’en fait le tuteur, quels cris d’alarmes ne doit-on pas pousser en faveur des petits, lorsqu’on craint que leurs parents mêmes ne les mettent à mort ? Ne doit-on pas répéter avec l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde » uniquement « pour sauver les pécheurs » ? Quiconque recourt au Christ a sans doute quelque infirmité à guérir ; pourquoi, si l’on n’a rien, courrait-on au Médecin ? Que les parents choisissent donc entre ces deux partis : avouer que le Christ guérit dans leurs enfants la maladie du péché, ou cesser de les lui offrir ; car ce serait conduire au Médecin celui qui est en pleine santé.
Que présentes-tu ? — Quelqu’un à baptiser. — Qui ? — Un enfant. — A qui le présentes-tu ? —  Au Christ. — Au Christ qui est venu au monde ? — Oui. — Pourquoi y est-il venu ? — « Pour guérir les pécheurs ». — L’enfant que tu présentes a donc en lui quelque chose à guérir ? Si tu dis oui, cet aveu sert à dissiper son mal ; il le garde, si tu dis non.

§ 4 – Pourquoi Saint Paul a-t-il écrit qu’il est le premier des pécheurs ?

   « Pour guérir les pécheurs, dont je suis le premier ». N’y avait-il point de pécheurs avant Paul ? Mais Adam fut sûrement le premier de tous ; la terre était couverte de pécheurs lorsqu’elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comment dire alors : « Dont je suis le premier » ?
Il est le premier, non en date, mais en énormité. C’est l’énormité de son péché qui lui a fait dire qu’il était le premier des pécheurs. Ne dit-on point, par exemple, qu’un homme est le premier des avocats, pour exprimer, non pas qu’il plaide depuis plus longtemps que les autres, mais qu’il l’emporte sur eux ? Aussi bien, voici comment il dit ailleurs qu’il était le premier des pécheurs : « Je suis le dernier des Apôtres, je suis indigne du nom d’Apôtre, parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu » (1 Cor. XV, 9). Aucun persécuteur ne fut plus ardent, ni, conséquemment, aucun pécheur plus coupable.

§ 5 – L’exemple de Saint Paul nous est donné pour que nous ne désespérions pas de la miséricorde du Seigneur, pour que nous soyons convaincus qu’Il peut nous guérir, Lui qui a guéri ce grand pécheur pour en faire Son apôtre.

   « Cependant, poursuit-il, j’ai obtenu miséricorde ». Pour quel motif ? Il l’expose en ces termes : « Afin que le Christ Jésus montrât en moi toute Sa patience pour l’instruction de ceux qui croiront en Lui, en vue de la vie éternelle ». En d’autres termes : Le Christ voulait pardonner aux pécheurs qui se convertiraient à Lui, fussent-ils Ses ennemis ; or, Il m’a choisi, moi, Son plus ardent adversaire, afin que nul ne désespérât en me voyant guéri par Lui.
N’est-ce pas ce que font les médecins ? Arrivent-ils dans une contrée où ils sont inconnus ? ils choisissent d’abord, pour les guérir, des malades désespérés ; ils veulent ainsi exercer sur eux leur humanité et donner de leur habileté une haute idée ; ils veulent que dans cette contrée chacun puisse dire à son prochain malade : Adresse-toi à ce médecin, aie pleine confiance, il te guérira. Il me guérira ? reprend l’infirme, tu ne sais donc ce que je souffre ? Je connais tes souffrances, car j’en ai enduré de semblables.
— C’est ainsi que Paul dit à chaque malade, fût-il porté au désespoir : Celui qui m’a guéri m’envoie près de toi ; Il m’a dit Lui-même : Cours vers ce désespéré, raconte-lui ce que tu souffrais, de quoi et avec quelle promptitude je t’ai guéri. Je t’ai appelé du haut du ciel ; avec une première parole Je t’ai abattu et renversé ; avec une autre Je t’ai relevé et J’ai fait de toi un élu ; Je t’ai comblé de Mes dons et envoyé prêcher avec une troisième ; avec une quatrième enfin, Je t’ai sauvé et couronné (Act. IX). Va donc, dis aux malades, crie à ces désespérés : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs ». Que craignez-vous ? Que redoutez-vous ? « Je suis le premier » de ces pécheurs.
Oui, moi qui vous parle, moi que vous voyez plein de santé, pendant que vous êtes malades ; debout, pendant que vous êtes renversés ; pénétré de confiance, pendant que vous vous abandonnez au désespoir : « Si j’ai obtenu miséricorde, c’est que le Christ Jésus voulait montrer en moi toute Sa patience ». Longtemps Il a souffert de mon mal, et c’est ainsi qu’Il m’en a délivré ; tendre Médecin, Il a patiemment supporté ma fureur, enduré mes coups, puis Il m’a accordé le bonheur de souffrir pour Lui. Vraiment « Il a montré en moi toute Sa patience pour l’édification de ceux qui croiront en Lui en vue de la vie éternelle ».

§ 6 – Exhortation à la confiance totale envers le divin Médecin.

   Gardez-vous par conséquent de vous désespérer. Etes-vous malades ? Allez à Lui et vous serez guéris. Etes-vous aveugles ? Allez à Lui et vous serez éclairés. Avez-vous la santé ? Rendez-Lui grâces. Vous surtout qui souffrez, courez à Lui pour chercher votre guérison, et dites tous : « Venez, adorons-Le, prosternons-nous devant Lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a créés », qui nous a donné la vie et la santé. S’Il ne nous avait donné que l’existence, et que la santé fût notre œuvre, notre œuvre vaudrait mieux que la Sienne, puisque la santé l’emporte sur la simple existence. Oui donc, si Dieu t’a fait homme et que tu te sois fait bon, tu as fait mieux que Lui.
Ah ! ne t’élève pas au-dessus de Dieu, soumets-toi à Lui, adore-Le, abaisse-toi, bénis Celui qui t’a créé. Nul ne rend l’être, que Celui qui l’a donné ; nul ne refait, que Celui qui a fait. Aussi lit-on dans un autre psaume : « C’est Lui qui nous a faits, ce n’est pas nous » (Ps. XCIC, 3).

§ 7 – La grâce prévenante et toute puissante de Dieu, des dons duquel nous aurons à rendre compte.

   Quand Il t’a créé, tu n’avais de ton côté rien à faire ; mais aujourd’hui que tu existes, il en est autrement : il te faut recourir à ce Médecin qui est partout, L’implorer. Et pourtant c’est Lui encore qui excite ton cœur à recourir à Lui, qui t’accorde la grâce de Le supplier. « Car c’est Dieu, est-il dit, qui produit en vous le vouloir et le faire, selon Sa bonne volonté » (Philip. II, 13). Il a fallu en effet, pour t’inspirer bonne volonté, que Sa grâce te prévînt. Crie donc : « Mon Dieu, Sa miséricorde me préviendra » (Ps. LVIII, 11). Oui, c’est Sa miséricorde qui t’a prévenu pour te donner l’être, pour te donner le sentiment, pour te donner l’intelligence, pour te donner la soumission ; elle t’a prévenu en toutes choses : préviens au moins, toi, Sa colère en quelque chose.
Comment ? reprends-tu. Comment ? En publiant que de Dieu te vient ce qu’il y a de bon en toi, et de toi ce qu’il y a de mal. Garde-toi de le mettre de côté pour t’exalter à la vue de ce que tu as de bien ; de t’excuser pour l’accuser à la vue de ce qui est mal en toi c’est le moyen de le bénir réellement.

Rappelle-toi aussi qu’après t’avoir comblé d’abord de tant d’avantages, Il doit venir à toi pour te demander compte de Ses dons et de tes iniquités ; déjà Il considère comment tu as usé de Ses grâces. Mais s’Il t’a prévenu de Ses dons, examine comment à ton tour tu préviendras Sa face quand Il arrivera. Ecoute le Psaume : « Prévenons Sa présence en Le bénissant ».
« Prévenons Sa présence » : rendons-Le-nous propice avant qu’Il vienne ; apaisons-Le avant qu’Il Se montre. N’y a-t-il pas un prêtre qui puisse t’aider à apaiser ton Dieu ? Et ce prêtre n’est-Il pas en même temps Dieu avec Son Père et homme pour l’amour de toi ? C’est ainsi que tu chanteras avec allégresse des psaumes à Sa gloire, que tu préviendras Sa présence en Le bénissant.
Chante donc : préviens Sa présence par tes aveux, accuse-toi ; tressaille en chantant, loue-Le. Si tu as soin de t’accuser ainsi et de louer Celui qui t’a fait, Celui qui est mort pour toi viendra bientôt et te donnera la vie.

§ 8 – Exhortation finale : se préserver de la lèpre de l’âme et ne pas négliger l’action de grâces à Dieu duquel nous tenons tout.

   Attachez-vous à cette doctrine, persévérez-y.
Que nul ne change, ne devienne lépreux ; car un enseignement qui varie, qui n’offre pas toujours le même aspect, est comme la lèpre de l’âme ; et c’est de cette lèpre que le Christ nous guérit.
Peut-être as-tu changé de quelque manière et, après y avoir regardé de plus près, adopté un sentiment meilleur : tu aurais dans ce cas rétabli l’harmonie. Mais ne t’attribue pas ce changement heureux ; ce serait te mettre au nombre des neuf lépreux qui n’ont pas rendu grâces. Un seul vint remercier. Les premiers étaient des juifs, et celui-ci était un étranger ; il représentait les gentils et donna au Christ comme la dîme qui Lui était due.

Il est donc bien vrai que nous sommes redevables au Christ de l’existence, de la vie, de l’intelligence ; si nous sommes hommes, si nous nous conduisons bien, si nous avons l’esprit droit, c’est à Lui encore que nous en sommes redevables. Nous n’avons, de nous, que le péché. Eh ! qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu ? (1 Cor. IV, 7).
O vous donc, vous surtout qui comprenez ce langage, après avoir purifié votre cœur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut - sursum cor -, pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu !

Doze jean-Marie Melchior - le lépreux reconnaissant - musée de l'oise Beauvais

Melchior Doze (1827-1913) : le lépreux reconnaissant (vers 1863)
[musée de l'Oise, Beauvais]

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