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2023-51. Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

Mercredi de la Passion.

   A huit jours du Jeudi Saint, et parce que la Semaine Sainte est déjà très riche de textes à approfondir, prier et méditer, voici une très belle étude réalisée par l’un des prêtres membres de la Confrérie Royale, qui a été envoyée à tous ses membres en guide de lettre mensuelle à l’occasion du 25 mars 2023.
Vous pouvez compléter cette lecture avec celle de notre publication du 28 mars 2013 (voir > ici) concernant le « Dernier Jeudi Saint de la Monarchie Très Chrétienne ».

Giotto di Bondone le lavement des pieds - Padoue

Giotto di Bondone (1266/67-1337) : le lavement des pieds [chapelle Scrovegni - Padoue]

frise fleurs de lys

Le Mandatum et la Cène royale dans la monarchie française.

       La cérémonie du lavement des pieds ou Mandatum (note 1) du Jeudi saint est sans doute l’une des plus originales que nous offre l’année liturgique, au cœur de ce splendide écrin qu’est le Triduum pascal. Le lavement des pieds constitue matériellement un acte tout à fait anodin et spirituellement un modèle de grande élévation mystique, consistant en l’imitation de Jésus-Christ : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé » (note 2). Il s’agit surtout d’un exemple d’humilité à l’instar des abaissements du Verbe incarné, à la veille de la grande Passion qu’il allait souffrir et offrir pour la rédemption du monde.

   L’exemple vient d’en haut. Depuis le haut Moyen Âge, les grands de la Chrétienté, papes et évêques, empereurs et rois, prirent l’habitude de commémorer le lavement des pieds au cours d’une véritable cérémonie liturgique, en marge de la Messe in Cœna Domini. Le roi de France, fils aîné de l’Église, avait le devoir de se soumettre à cet usage. Le mot « Mandatum » a donné le mot français « mandé », inusité aujourd’hui, et le mot anglais « Maundy », toujours employé pour désigner le Jeudi saint – « Maundy Thursday ». « Maundy » vient aussi du mot « maund » qui désignait une corbeille destinée à recevoir les aumônes. En effet, le jour du Jeudi saint était à la fois consacré au service liturgique humiliant du lavement des pieds, mais aussi à la distribution d’aumônes aux pauvres. Les deux vont de pair et se sont retrouvés unis au cours de la même célébration.

Robert le Pieux et saint Louis : lorsque le roi très chrétien servait les pauvres

   Le roi Robert II le Pieux († 1031) semble avoir été le premier à introduire à la cour le rituel du lavement des pieds (note 3) auquel il se soumettait régulièrement. Le roi acceptait de laver les pieds à douze pauvres vieillards, leur distribuait une aumône, avant de leur offrir un repas et de les servir lui-même à table, en compagnie d’autres princes et grands officiers de la cour (note 4). Nous lisons, dans la Vie de Robert le Pieux composée par le moine et chroniqueur Helgaud de Fleury († 1048), une belle description du rituel accompli par le fils d’Hugues Capet :

« De plus, le jour de la cène du Seigneur, il assemblait avec soin au moins trois cents pauvres, et lui-même, à la troisième heure du jour, servait à genoux, de sa sainte main, des légumes, des poissons, du pain à chacun d’eux, et leur mettait un denier à la main. Ce fait admirable pour ceux qui le virent dans un tel office, ne sera pas cru par ceux qui ne l’ont pas vu. À la sixième heure, il réunissait cent pauvres clercs, leur accordait une ration de pain, de poissons et de vin, gratifiait d’un denier douze d’entre eux, et chantait pendant ce temps, de cœur et de bouche, les psaumes de David ; après cela, cet humble roi préparait la table pour le service de Dieu, déposait ses vêtements, couvrait sa chair d’un cilice, et s’adjoignait le collège des clercs, au nombre de cent soixante, ou plus encore ; il lavait, à l’exemple du Seigneur, les pieds de ces douze pauvres, les essuyait avec ses cheveux, les faisait manger avec lui ; et au mandatum Domini, donnait à chacun d’eux deux sous (note 5) . »

   Ce bel extrait montre que le rituel auquel le roi de France s’appliquait le jour du Jeudi saint ne se limitait pas uniquement au lavement des pieds des douze pauvres. Plusieurs repas successifs, accompagnés de distribution d’aumônes, étaient servis par le roi en personne, à de nombreux indigents (300 pauvres laïques, 100 pauvres clercs et les 12 pauvres du Mandatum). Le lavement des pieds était placé entre le deuxième et le troisième repas.

Saint Louis lavant les pieds des pauvres et des mendiants

Saint Louis, lavant les pieds d’un mendiant.
Enluminure des Grandes Chroniques de France, XIVe siècle.
Paris, BnF, Mss. fr. 2813, f° 265.

   Le grand saint Louis (1214-1270) ne se contenta pas d’imiter son pieux ancêtre. Ses journées étaient consacrées, à côté de ses tâches proprement royales, au service des pauvres : « Les jours de fête, il réunissait deux cents pauvres dans son palais, et les servait lui-même à table (note 6). » Le Jeudi saint, il donnait un exemple solennel devant toute la cour :

« Mais le jeudi saint, autorisé par l’exemple du Sauveur, il ne craignait pas de le faire devant sa cour. En ce saint jour, il lavait les pieds à treize pauvres, et leur donnait quarante deniers. Plus tard, lorsque ses fils étaient près de lui, il leur faisait faire de même. Et ce n’était point, comme nous le voyons encore dans le rituel de cette fête aujourd’hui, une pure cérémonie […]. Un jour un des vieillards, prenant fort au sérieux l’office dont le roi s’acquittait, et voulant profiter de l’occasion, lui fit remarquer que les doigts de ses pieds n’étaient pas propres à l’intérieur, et le pria en toute simplicité de les nettoyer. Ceux qui étaient là s’indignaient contre ce malotru, qui demandait au roi un tel service. Mais le pieux roi, faisant droit à sa requête, fit humblement ce qu’il souhaitait, lava les doigts, les essuya et y joignit le baiser de charité (note 7). »

   On peut s’étonner du fait que treize pauvres au lieu de douze étaient choisis. Dom Guéranger rappelait une tradition puisée dans la vie de saint Grégoire le Grand († 604). « Ce grand Pontife lavait chaque jour les pieds à douze pauvres qu’il admettait ensuite à sa table. Un jour, un treizième pauvre se trouva mêlé avec les autres, sans que personne l’eût vu entrer ; ce personnage était un Ange que Dieu avait envoyé pour témoigner par sa miraculeuse présence combien était agréable au ciel la charité de Grégoire (note 8). »

   Saint Louis fut le modèle par excellence du « roi très chrétien ». Ce titre était un honneur mais représentait surtout de grands devoirs à accomplir pour le monarque français. Ses successeurs ne pouvaient pas se dispenser d’imiter le saint roi dans sa vie de charité envers les pauvres. Le Jeudi saint était pour eux l’occasion de donner un témoignage public de cet esprit de service.

La pratique des Bourbons : un cérémonial élaboré

   Henri IV, fraîchement (re)converti au catholicisme, célébra son premier Jeudi saint, en qualité de roi de France et de Navarre, au palais du Louvre, en 1594. Il sacrifia sans peine à la tradition de ses ancêtres. Voici ce qu’écrivait le chroniqueur Pierre de l’Estoile († 1611) : « Le jeudi absolut, 7 de ce mois, le Roy fist au Louvre la cerimonie accoustumée du lavement des pieds, où M. de Bourges prescha ; alla dans l’hostel Dieu visiter tous les pauvres, et leur donna à chacun l’ausmonne de sa propre main, sans en oublier un seul ; et après les exhorta à l’amour de Dieu et de leurs prochains, et à patience. Chose belle à un roy (note 9). »

   En 1643, Louis XIII mourant confia au petit dauphin, âgé de quatre ans, la tâche de remplir ce si honorable ministère :

   « Sa Majesté n’ayant pu assister le Jeudi-Saint à la cérémonie ordinaire de la cour, parce que sa santé n’est pas entièrement parfaite […], Mgr le Dauphin fut substitué en la place de Sa Majesté et commença par un action d’humilité et piété, telle que celle qui se pratique tous les ans à pareil jour à la cour, de donner de grandes espérances d’une future piété. Plusieurs seigneurs se rendirent hier à Saint-Germain, d’où étant de retour, l’on a su comme avec grâce et douceur ce jeune prince avoit lavé les pieds aux pauvres, auxquels il a fait bailler à chacun certaine quantité de toille et de drap (note 10). »

Eustache le Sueur St Louis lavant les pieds des pauvres musée des Beaux-Arts de Tours

Saint Louis lavant les pieds des pauvres
par Eustache Le Sueur (1616-1655)
Cette toile, conservée au musée des beaux-arts de Tours,
est contemporaine des règnes de Louis XIII et Louis XIV
dont la pratique est décrite ci-dessus et ci-dessous

   Louis XIV continua sans peine la tradition qu’il avait dû si précocement accomplir. Concluant un sermon donné devant la cour, avant la cérémonie du lavement des pieds, en 1665, le prédicateur Guillaume Leboux (1621-1693), alors évêque de Dax, s’adressait en ces termes au jeune souverain de 27 ans :

   « Sire, Votre Majesté peut tirer de tous ces beaux exemples diverses instructions ; mais, en finissant, je ne dois m’arrêter qu’à celle qui lui est nécessaire dans le temps de cette sainte et auguste cérémonie, par laquelle un grand roi va renouveler aux pieds de ses sujets ce que le Seigneur a fait aux pieds de ses Apôtres. Que cette action faite dans l’esprit de la Foi, de la Charité et de la Religion si fortement enracinée dans le cœur de Votre Majesté, dispose saintement ce grand cœur à recevoir le don de cet ami. Qu’elle peut attirer de bénédictions sur sa personne ! Et il n’y a pas lieu de craindre d’avilir par là la majesté du roi ; et je puis dire au plus grand des rois ce qu’un panégyriste disait à un grand empereur : que lorsqu’il s’abaissait devant ses peuples, sa grandeur était en sûreté : Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ. Elle est en sûreté, Sire, cette grandeur royale, qui va paraître couverte des marques de la servitude. Car, après tout, Votre Majesté s’abaissant aux pieds de ses sujets, elle affermit encore par là ce trône de respect et d’amour, qu’il s’est élevé dans leur cœur. Il y a quelque chose de plus : elle s’élève par là un trône de gloire dans le sein de Dieu (note 11). »

   La portée spirituelle du rite du Mandatum accompli par le souverain ne faisait pas de doute. On relèvera surtout, dans ce bref extrait, les belles paroles répétées par Le Boux : « Se ipsum submittens, securus magnitudinis suæ ». En s’humiliant devant son peuple, le prince met sa couronne et la grandeur de sa mission en sûreté. Le lien fort qui unissait le monarque à son peuple était particulièrement mis en exergue le Jeudi saint. Le grand cérémonial imposé par Louis XIV à Versailles sut mettre encore plus en valeur le noble rite au cours duquel le roi était identifié au Christ Maître et Serviteur :

   « Chaque année, le Jeudi saint au matin, le roi faisait célébrer dans la grande salle des gardes de son palais la cérémonie de la Cène royale. Celle-ci se déroulait en trois temps. Le roi commençait par entendre une prédication et le chant du Miserere : désignée par le nom d’absoute, cette première partie était vraisemblablement le reliquat de l’antique cérémonie romaine de la réconciliation des pénitents le jour du Jeudi saint. Pour le lavement des pieds, Louis XIV se mettait à genoux devant treize garçons pauvres dont il lavait, essuyait et embrassait à chacun le pied droit. Enfin, durant la Cène royale proprement dite, il leur servait lui-même à manger, accompagné d’un certain nombre de courtisans soigneusement choisis, sur une table installée dans la même pièce (note 12). »

   Une autre description très précise, remontant aux années 1640, nous est donnée par Guillaume du Peyrat, aumônier de Louis XIII dans son Histoire ecclésiastique de la cour, publiée en 1645. Nous la restituons ici in extenso :

   « Le jeudi, dès six heures du matin, ces treize petits pauvres sont menez à la Fourrière (note 13), où le Barbier du commun de la maison du Roy leur raze les cheveux, & coupe les ongles du pied à chacun, puis on les fait chausser, & on leur baille à desieuner, & les officiers de la Fourrière leur lavent après les iambes & les pieds avec de l’eau tiede, & des herbes odoriferentes, afin que sa Majesté n’en reçoive aucune mauvaise odeur ; cela fait, ils sont habillez d’une petite robe de drap rouge, ayant un chaperon à hache, attaché derrière, avec deux aulnes de toile qui leur pendent depuis le col jusques en bas, où son enveloppez leurs pieds, & sont conduits par leurs pères & mères, ou quelqu’un de leurs parens, en la salle où se doit faire la cérémonie, & assis le long d’un banc, le dos tourné contre la table, où le Roy les doit servir, & le visage vers la chaire, où le grand Aumosnier, ou autre Prélat choisi pour faire ce jour le service divin devant sa Majesté, doit faire l’exortation sur le sujet de cette cérémonie. L’exhortation faite on chante le Miserere, à l’issuë duquel le grand Aumosnier, ou autre Prélat qui a fait l’exhortation, donne l’absolution, puis le Roy s’advance vers les enfans, & prosterné à deux genoux, commence à laver le pied droit au premier, & le baise, & ainsi continuë aux autres. Le grand Aumosnier de France, & en son absence, le premier Aumosnier tient le bassin d’argent doré, & l’un des Aumosniers servans tient le pied de l’enfant que le Roy lave, essuye, & baise après. Si le grand & le premier Aumosniers sont absens, l’un des deux Aumosniers servans qui sont en quartier, tient le bassin, & l’autre les pieds des enfans. Ce lavement estant fait, les enfans sont passés de l’autre costé de la table, où ils sont servis par le Roy, chacun de treize plats de bois, les uns pleins de légumes, les autres de poisson, & d’une petite cruche pleine de vin, sur laquelle on met trois pains, ou eschaudés (note 14), & puis le Roy passe au col à chacun d’eux une bourse de cuir rouge, dans laquelle il y a treize escus, laquelle est présentée à sa Majesté par le Thrésorier des aumosnes. Tous ces mets sont présentez au Roy par les Princes du sang royal, & autres Princes & grands Seigneurs qui se trouvent lors auprès de sa Majesté. Le premier Maistre d’Hostel en l’absence du Grand-Maistre de France (note 15) marchand devant eux avec son baston de premier Maistre d’Hostel en grande cérémonie ; & derrière les enfans y a un Aumosnier servant, qui prend tous les plats, si tost que le Roy les a mis sur la table, & les remet dans des paniers, ou corbeilles qui sont tenües par les pères & mères, ou parens des enfans, ausquels le tout appartient. Cette cérémonie ainsi parachevée, le Roy vient à la Messe avec une grande suite de Princes, Seigneurs, & Officiers de la Cour […] (note 16) »

Versailles chapelle royale - tribune de la musique petite voûte centrale

Chapelle royale du château de Versailles :
peinture à la voûte centrale de la tribune de la musique

   On voit bien, dans cette description, une claire distinction entre le rite du Mandatum, dont les ministres étaient les seuls ecclésiastiques, et le rite de la « Cène royale », auquel participaient les officiers laïques de la Cour. Le 17 avril 1715, le vieux Louis XIV se soumettait toujours, malgré son grand âge, mais fidèle à l’exemple qu’il avait le devoir de donner, à cette fatigante cérémonie. Une description très précise nous est donnée par le Nouveau Mercure galant, dans laquelle nous voyons tout le protocole entourant notamment la Cène royale, avec l’intervention des grands officiers et des princes du sang :

   « Le Jeudy Saint le Roy alla à neuf heures & demie du matin, accompagné de M. le Dauphin (note 17), de M. le Duc d’Orléans (note 18), & de tous les Princes, dans la Salles des Gardes, où l’on avoit dressé une Chaire pour le Prédicateur. Il y trouva 13 petits enfants couverts d’un drap rouge avec un grand linge qui leur pendoit au col, M. le Cardinal de Rohan, Grand Aumônier, en Habits Pontificaux. La Scène [sic] fut prêchée par M. l’Abbé Foissard, dont le Sermon fut très-applaudy, sur tout le compliment qu’il fit à S. M. qui convenoit fort à la cérémonie du jour, & à ce qu’il venoit de prêcher ; ayant prouvé dans les deux parties de son Discours l’abaissement de J. C. combattu par la raison humaine, & la raison humaine confonduë par l’abaissement de J. C. dans cette cérémonie. À la fin du Sermon M. le Cardinal monta en Chaire, ayant la Mitre sur la tête & la Crosse à la main. Les Chantres commencèrent d’entonner l’Antienne Intret. M. le Grand Aumônier ayant dit les Oraisons accoûtumées, donna l’Absoute, & le Roy alla incontinent laver les pieds des Apostres, ayant versé de l’eau dessus, & essuyé avec un linge, il les leur baisa. Cette cérémonie finie, on servit les pauvres dans cet ordre. M. Desgranges, Maistre des Cérémonies, précédé d’un Huissier, suivy de M. le Marquis de Dreux, Grand Maistre des Cérémonies, de 13 Maistres d’Hôtel chacun avec leur Bâton de Commandement, de M. le Marquis de Livry, Premier Maistre d’Hôtel, qui portoit aussi son Bâton, de M. le Duc, grand Maistre de la Maison du Roy, portant un Bâton parsemé de fleurs de lys d’or avec une Couronne d’or au bout. Ils marchoient les premiers, & en passant devant S. M. faisoient une révérence ; ensuite venoit M. le Dauphin, portant un plat de bois sur lequel étoient trois petits pains avec une galette ; M. le Duc d’Orléans portant un plat de même sur lequel estoit une cruche pleine de vin avec une coupe par-dessus, le tout de bois ; M. le Comte de Charollois, M. le Prince de Conty, M. le Prince de Dombes, M. le Comte d’Eu, & M. le Comte de Toulouse portant chacun un plat de poisson, de légumes, de confitures, ou de fruits, suivis du grand Échanson, du grand Pannetier, & des Gentilshommes servans qui faisoient en tout treize qui portoient aussi des plats de bois ornez de fleurs. En arrivant devant S. M. ils faisoient une révérence en luy présentant le plat que le Roy donnoit en même tems aux pauvres. Cette cérémonie commença jusqu’à 13 fois dans le même ordre, parce qu’on sert 13 plats à chaque pauvre qui estoient treize (note 19). Il faut remarquer qu’on alloit prendre ces plats dans une autre Salle assez esloignée, & que M. le Dauphin fit 13 fois le voyage, comme les autres Princes, marchant avec beaucoup de fermeté, & portant son plat avec beaucoup d’adresse, suivi toûjours de Madame de Ventadour sa Gouvernante (note 20). »

   Peu de différences en réalité avec les descriptions faites, sept décennies plus tôt, par du Peyrat, ce qui est le signe d’une continuité inchangée du cérémonial du Mandatum. Néanmoins, la description du Mercure nous fait entrevoir toute la solennité avec laquelle la monarchie a voulu entourer cette cérémonie, en y faisant participer les plus hauts personnages de la famille royale et de la Cour. L’exemple vient en effet d’en haut : en collaborant avec le souverain à ce rituel long et complexe, les acteurs du Mandatum et de la Cène royale manifestaient leur humble soumission au commandement du Seigneur, pleinement uni ici au commandement du Prince. Le souverain allait ensuite assister à la Messe du Jeudi saint à la chapelle. Toute cette journée, comme les autres jours saints, étaient consacrés à la cour à la commémoration des évènements de la Rédemption. La piété du monarque devait servir d’exemple aux princes et aux courtisans, et ce en dépit du relâchement moral et spirituel qui a affecté les élites du royaume de France au cours du XVIIIe siècle. Cet exemple de piété était doublé d’un exemple de charité, avec l’exercice d’une des principales œuvres de miséricorde qu’est l’aumône. La Cène royale représente la munificence du prince envers ses peuples, quand bien même un petit échantillon était seulement admis à bénéficier de ces largesses.

   La Cène royale eut aussi un pendant « féminin ». Ce fut le cas, en 1739, lorsque la reine Marie Leszczynska participa à une « Cène de la Reine » au cours de laquelle les plats étaient apportés par les princesses et les grandes dames de sa Maison (note 21). Auparavant, la reine procédait au lavement des pieds de treize filles pauvres. Ce n’était pas une nouveauté : en 1640, la grande Mademoiselle, nièce de Louis XIII, remplaçait Anne d’Autriche pour le Mandatum. Les deux Cènes étaient deux cérémonies bien distinctes, avec une prédication (un prédicateur), des officiers et des lieux différents (note 22).

   L’ultime cérémonie célébrée par la monarchie française eut lieu en 1830, au palais des Tuileries. « Un grand nombre de fidèles se pressoient pour être témoins de cet acte de piété. Puisse ce grand exemple n’être pas stérile pour eux ! » peut-on lire dans l’Ami de la Religion et du Roi (voir > ici). La révolution qui éclata en juillet suivant et l’avènement de Louis-Philippe sonnèrent le glas de ces usages si nobles et si touchants d’une si antique royauté inséparable de l’autel.

Mathias Balticensis

restitution de la chapelle des Tuileries sous la Restauration

Restitution de la chapelle royale aux Tuileries sous la Restauration
(d’après plusieurs documents d’époque)

Notes :

1 - Ce nom latin est tiré des paroles du Seigneur à ses Apôtres lors de la Cène : « Mandatum novum do vobis », « Je vous donne un commandement nouveau » Jn 13, 34.
2 – Jn 13, 16.
3 - Alexandre Maral, La chapelle royale de Versailles sous Louis XIV, Wavre, Mardaga, 2010 (2e éd.), p. 279.
4 – Abbé N.-J. Cornet, Beautés de l’Église catholique, représentées dans son culte, ses mœurs et ses usages, Liège, H. Dessain, 1857, p. 64.
5 – Mme Amable Testu, Cours d’histoire de France. Lectures tirées des chroniques et des mémoires avec un précis de l’histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à nos jours, Paris, Lavigne, 1836, t. I, p. 188.
6 – H. Wallon, Saint Louis, Tours, Alfred Mame et fils, 1880, p. 40.
7 - Ibid., p. 41-42.
8 – Dom Prosper Guéranger, L’Année liturgique, La Passion et la Semaine sainte, Paris, H. Oudin, 1900, p. 441.
9 – Pierre de L’Estoile, Journal de Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, Paris, Foucault, 1826, t. III, p. 46.
10 – Lettre de Chanu, député de Lyon, au consulat (3 avril 1643), citée in G. Fagniez, « Paris jugé par la province. Extraits de la correspondance adressée au consulat de Lyon par les députés de cette ville à la Cour (1595-1645) », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 23e année (1896), p. 59.
11 - « Deux sermons inédits de Leboux prononcés devant Louis XIV le Jeudi-Saint pour la cérémonie du lavement des pieds », Revue du Clergé Français, 3e année, t. XII (1897), p. 164.
12 - Gérard Sabatier, Margarita Torrione, ¿ Louis XIV espagnol ? Madrid et Versailles, images et modèles, Versailles, CRCV, 2009, p. 227.
13 - La fourrière désigne le lieu où se trouvaient les services du fourrier, officier chargé d’assurer les vivres et le logement de la cour. 
14 – Biscuits de pâte légère ébouillantée.
15 - Officier chargé de la surintendance générale de la Maison du Roi. 
16 – Guillaume du Peyrat, L’histoire ecclésiastique de la cour ou les antiquitez et recherches de la chapelle, et oratoire du roy de France depuis Clovis I jusques à notre temps, Paris, Henry Sara, 1645, p. 774-775.
17 - Futur Louis XV. 
18 – Futur régent du royaume. 
19 – Il faut remarquer que tous ces plats n’étaient pas consommés sur place. Une bonne partie d’entre eux étaient donnés en aumône aux petits pauvres et à leurs familles.
20 - Nouveau Mercure galant, mai 1715, p. 127-133.

2023-50. Nous avons lu et médité, et nous avons aimé : « Chemin de Croix », du Révérend Père Jean-François Thomas s.j.

Temps de la Passion.

   Le petit livre que nous recommandons avec chaleur n’est pas récent, mais on peut dire qu’il est intemporel, pérenne : ce sont des méditations pour les 14 stations du Chemin de la Croix, rédigées par le Révérend Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, que nous n’avons plus à présenter;
Publié en 2017 par les éditions « Via Romana », ce tout petit livre (par sa taille) est toujours disponible en librairie : on le trouve donc très facilement ; on peut aussi le commander sur plusieurs sites de librairies catholiques en ligne.
En outre, au bas de cette page-ci, vous pouvez l’écouter en différé, lu par le Révérend Père Thomas lui-même, enregistré le Vendredi Saint en 2020.

Chemin de Croix - Rd Père Jean-François Thomas sj

- Présentation publiée dans « Correspondance Européenne » du 10 avril 2017 :

    »A l’approche du triduum pascal, le meilleur moyen d’entrer enfin pleinement dans le drame du Salut en s’unissant aux souffrances du Sauveur est bien sûr l’exercice du Chemin de Croix. Reste, et ce n’est pas facile tant les questions sociétales et politiques ont pris le pas, ces dernières années, sur le spirituel, à trouver celui qui touchera l’âme en y éveillant les sentiments de compassion et de contrition nécessaires.
Celui du Père Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, (Chemin de Croix, Via Romana, 2017, 76 pages, 7€), devrait répondre aux attentes les plus exigeantes. Très traditionnel dans sa forme et ses dévotions, il n’a rien toutefois de vieux jeu et sait prendre en compte les besoins spécifiques et les souffrances d’un « monde qui a perdu la tête ».
Aux fautes et péchés de tous les temps, cette via crucis ajoute avec délicatesse ceux de notre époque, les nôtres et ceux de nos contemporains, que nous n’avons pas su écarter du Mal. Le Père Thomas trouve les mots justes qui éclairent à la lumière de la Passion nos drames intimes et collectifs.
Avec des formules simples mais efficaces, il rappelle à chaque ligne qui est Celui qui monte ainsi au Golgotha sous les crachats, les coups, les ricanements d’une foule à laquelle nous nous mêlons trop souvent. Il faut un cœur de pierre pour rester insensible à ses puissantes méditations sur les chutes successives du Seigneur, le rôle de Simon de Cyrène, le dépouillement du Christ dont la nudité sainte répond à la nudité honteuse d’Adam, les clous enfoncés dans Ses mains sacrées et, surtout, la beauté mariale de ces quatorze stations qu’accompagne, forte et debout, la Mère des Douleurs. Voici un texte à lire, méditer, et reprendre, chaque vendredi et pas seulement pendant la Semaine Sainte, afin de garder présent à l’esprit de quel prix incroyable nous avons été rachetés [...]« .

Anne Bernet

- Entretien publié dans le quotidien « Présent » du samedi 11 mars 2017 :

   Le père Jean-François Thomas, jésuite, écrivain, vient de faire paraître un très utile petit livret de méditation sur le chemin de croix :

   — Pourquoi avoir écrit des méditations sur le chemin de croix ? N’en trouve-t-on pas déjà beaucoup ?
— En effet, mais cela ne serait pas une raison pour déposer la plume en se disant qu’il ne faut plus aborder un tel thème de contemplation. Depuis les origines du christianisme, les auteurs spirituels n’ont pas cessé de méditer sur les mêmes mystères. Plus un mystère de la foi est central, plus il sera sujet à méditations. Le croyant a toujours faim et soif de mieux comprendre avec son intelligence et d’entrer davantage en communion avec son âme, afin que sa foi soit ferme et fidèle. Certaines époques ont été riches en méditations du chemin de croix et de la Passion du Christ, notamment ce siècle d’or que fut le Grand Siècle français, le XVIIe siècle. Tous les ordres religieux y consacrèrent une part importante de leur apostolat, plantant la croix dans le cœur des fidèles et ramenant à la vraie foi beaucoup d’hérétiques protestants. Nous ne pouvons nous approcher de cette méditation qu’avec crainte et tremblement, car nous touchons là à la fois à l’aboutissement du mystère d’iniquité auquel nous a conduits le péché originel et à l’achèvement de l’œuvre de la Rédemption.

   — Trouvez-vous que cette dévotion s’accorde toujours à notre temps et convient aux catholiques pratiquants de 2017 ?
— Depuis le début des pèlerinages à Jérusalem sur les traces du Christ, ceci au IIe siècle, vers 160, avec Méliton de Sardes, la dévotion envers Jésus dans sa Passion n’a cessé de se développer. Peu à peu, elle prit sa forme actuelle, mais elle n’est pas apparue subitement ex nihilo. Elle a été intégrée dans la Tradition de l’Eglise et, depuis des siècles, les générations de croyants s’en nourrissent. Les aliments spirituels ne sont jamais périmés. L’expression de la foi ne dépend pas des modes mais de l’efficacité des instruments qui lui sont proposés. Cette dévotion est simple, elle s’adresse à tous nos sens puisque nous nous joignons à la foule qui accompagne le Sauveur vers le Golgotha. Le temps ne peut pas user un tel moyen d’être en communion avec Notre-Seigneur.

   — Quelle est l’origine de cette dévotion ?
— Elle provient de Terre sainte. Mettre ses pas dans ceux du Christ montant au Calvaire était un des moments les plus poignants de la démarche des pèlerins. L’impératrice Hélène avait été la première souveraine à se rendre à Jérusalem en 330, elle ne négligea point le chemin du Calvaire. Lorsqu’en 451 a lieu le concile de Chalcédoine, qui réaffirme la pleine humanité de Jésus en plus de sa divinité, le désir de vénérer la terre où le Christ avait vécu en tant qu’homme s’accrut encore davantage. Les Franciscains, au XIIIe siècle, mirent peu à peu en place le chemin de croix que nous connaissons dans les rues de Jérusalem, Via Dolorosa. Cette dévotion marqua profondément les fidèles et ils voulurent continuer à la mettre en pratique une fois le pèlerinage terminé, d’abord en Italie où les disciples de saint François d’Assise la mirent en place, puis dans toute la chrétienté. Clément XII, en 1731, ratifia le bien de cette dévotion, en autorisant que les stations du chemin de croix puissent également être installées dans des églises ne dépendant pas des Franciscains.

   — Ne fait-on pas mémoire, durant le chemin de croix, d’épisodes transmis par la Tradition mais non rapportés dans les Evangiles ?
— En effet, cinq stations proviennent de la tradition orale : les trois chutes de Jésus, la rencontre avec sa sainte Mère et l’épisode de sainte Véronique essuyant la sainte Face avec un linge. Je ne suis pas certain qu’un souci rigide de ne coller qu’aux épisodes relatés dans les saintes Ecritures soit un apport pour la foi. Les chutes de Jésus n’ont rien d’improbables, car il était chargé d’un poids très lourd et affaibli par les blessures de la flagellation. Il est facile de comprendre aussi que la Sainte Vierge, encore plus que ne l’auraient été toutes les mères du monde, était présente sur la Via Dolorosa puisqu’elle participait de façon mystérieuse à la Passion de son Fils. Quant à Véronique, il s’agit de la femme hémoroïsse, originaire de Panéas et guérie par le Christ dont elle toucha le manteau (évangile selon saint Matthieu, XX). Est-il donc si improbable de croire, à partir de témoignages aussi antiques, que cette femme miraculée ait suivi Jésus, dans une gratitude fidèle, jusqu’au Calvaire ?

   — Quelles sont les grâces spéciales attachées à la récitation du chemin de croix ?
— La plus insigne, souvent ignorée des fidèles, st une indulgence plénière, accordée selon les conditions habituelles : se détacher de tout péché véniel, se confesser, communier, prier aux intentions du souverain pontife. En ce qui concerne le chemin de croix, il faut aussi se déplacer (sauf pour les malades, bien sûr) entre les stations érigées avec une croix d’indulgence au-dessus de la représentation de l’épisode de la Passion. Don extraordinaire de l’Eglise que cette indulgence plénière, qui est donc reçue à chaque fois que le chemin de croix est accompli fidèlement ! A cela s’ajoutent des grâces particulières d’union profonde avec le Seigneur contemplé dans sa Passion : protection contre Satan et ses démons, promesse de la vie éternelle…

   — Nous sommes en carême ; la notion que cette dévotion est particulièrement propre à ce temps liturgique est-elle justifiée ?
— Il est normal que le carême nous invite à une méditation renouvelée de la Passion du Christ. D’où la saine et sainte habitude de faire le chemin de croix, seul ou en groupe, chaque vendredi de ce temps liturgique, et de façon plus solennelle, bien sûr, le vendredi saint, à l’heure où le Sauveur meurt sur la croix. Cependant l’Eglise nous encourage à continuer cette pratique tout au long de l’année, chaque vendredi, pour entrer dans l’intimité du Christ souffrant. Les pèlerinages sont aussi des occasions privilégiées pour suivre le chemin de croix.

   — On pense souvent à la récitation communautaire sous la direction d’un prêtre, mais votre petit volume ne s’adresse-t-il pas plutôt à la récitation privée ?
— Le chemin de croix s’adresse tout à la fois à la prière privée et à la prière publique de l’Eglise. L’essentiel est d’être fidèle à cette pratique, tantôt en assistant à un chemin de croix solennel dirigé par le clergé, tantôt en parcourant seul les stations dans le silence d’un sanctuaire. S’instaure alors le dialogue de l’âme pécheresse avec le Maître de la divine miséricorde offrant sa vie pour le rachat de nos péchés. Ce livret n’a pas d’autre ambition que d’aider ce dialogue intérieur du fidèle prêt à suivre le chemin de croix chaque vendredi de sa vie, car il est juste et bon de se remettre constamment en mémoire l’immense abnégation qui a conduit Notre-Seigneur sur le calvaire, par pur amour.

Propos recueillis par Anne Le Pape

- Dans le bulletin de l’ « Action Familiale et Scolaire » n°252, d’août 2017 :

   Voici une petite brochure pratique qui permet de suivre et donc de méditer les quatorze stations du chemin de croix. Chaque méditation, comme d’habitude, présente le tableau de la scène avec les réflexions que cela provoque en réfléchissant sur l’aspect physique, l’aspect symbolique, notre responsabilité à travers les différents acteurs (des membres fielleux du Sanhédrin à la conclusion que nous fait entrevoir le bon larron par la reconnaissance de ses fautes, aussitôt pardonné par Notre Seigneur). Nous trouvons la leçon à en tirer pour notre vie personnelle et nos résolutions, avec cet espoir que nous distille le Christ qui, tout en souffrant humainement, nous délivre un message divin. Avant de réciter les Pater ou Ave classiques, une prière particulière à chaque station est proposée. Ce petit livret est à recommander à tout chrétien qui cherche à méditer ce chemin de croix qui pourrait être suivi, même sans être devant les tableaux correspondants.

Important :

   Comme nous l’avons écrit supra, ce Chemin de Croix peut être « écouté » et médité en rediffusion sur la chaîne de la paroisse Saint-Nicolas du Chardonnet, où c’est le Révérend Père Thomas lui-même qui le lit, le Vendredi Saint 10 avril 2020 >>>

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2023-48. « Adorons et aimons cette première oblation et volonté de l’âme de Jésus. »

25 mars,
Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie,
& Incarnation du Verbe de Dieu.

Annonciation XVIe siècle - église Saint-Louis en l'île

Annonciation (anonyme rhénan, début du XVIème siècle)
[église Saint-Louis-en-L'Ile, Paris - chapelle des fonts baptismaux : cette Annonciation appartient à un ensemble de huit petits tableaux représentant des scènes de la vie du Christ]

On remarquera la représentation de la Sainte Trinité :
dans le coin supérieur gauche on voit le Père Eternel qui fait un geste d’envoi,
devant Lui se trouve la colombe qui symbolise le Saint-Esprit,
et devant ce dernier le Verbe éternel qui se fait chair,
sous la forme d’un enfant portant la Croix.

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Heb. X, 5-7 :
« En entrant dans le monde [le Christ] dit :
“Vous n’avez pas voulu d’hostie ni d’oblation, mais Vous M’avez formé un corps.
Les holocaustes pour le péché ne vous ont pas plu : alors J’ai dit : Me voici ;
Je viens – c’est écrit de Moi en tête du livre – pour faire, ô Dieu Votre volonté” (Ps. XXXIX) »

       « Nous avons, dans l’Evangile, un entretien céleste entre un ange et la Vierge : mais voici un entretien bien plus céleste et plus digne d’être considéré.
Celui qui parle est le Verbe incarné, et Il parle sitôt qu’Il est incarné.
Ce dont Il parle est Son Incarnation, et la fin et l’usage de ce très haut mystère, et la substitution du Nouveau testament à l’Ancien.
Celui auquel Il parle est le Dieu vivant, le Dieu reconnu en l’Ancien Testament, le Dieu par lequel la foi et le culte de l’ancienne alliance ont été établis, le Dieu auquel les sacrifices étaient offerts, et Lequel n’en voulait plus, pour donner lieu à la nouvelle alliance. Bref, c’est Dieu Son Père, auteur du mystère de l’Incarnation, et qui en ce mystère a donné un corps à Son Fils unique, Le revêtant de la nature humaine : Tu m’as façonné un corps.

   Jésus Lui offre et présente ce Sien corps, destiné, consacré, et déjà marqué à la servitude, à la croix, à la mort. Il Lui offre ce corps en qualité d’hostie pour la gloire de Son Père, et pour le salut du monde, et Il le substitue à toutes les hosties que Dieu Son Père a reçues jusqu’à présent.
Jésus donc qui entre dans le monde, et qui a tant d’offices et de qualités, semble les mettre en oubli, et en Son premier propos avec Dieu Son Père, prend la qualité d’hostie, et Se présente à Lui en cet état : c’est Son premier office envers Dieu Son Père ; c’est Son premier exercice, et Il veut être substitué à toutes les hosties précédentes.

   « Voici, Je viens, pour faire Ta volonté ».
Il connaît et accepte la volonté de Dieu sur Lui.
Il conforme Sa volonté à cette volonté.
Il entre en exercice de Son état d’hostie.

   Ainsi donc Jésus entre au monde, et offre à Dieu Son Père le premier usage de Son être, de Sa vie et de Sa volonté, les prémices de Son cœur et de Ses pensées, les premiers fruits de cet arbre de vie dignement planté dans le paradis de la Vierge ; Sa volonté première en dirigeant toutes Ses volontés et tous les états de Sa vie au monde. Et cette volonté première est si digne et de si grand poids et efficacité, que la lettre aux Hébreux ajoute : « C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés » (Hebr. X, 10). Parole grande et qui nous apprend que cette oblation intérieure et cette volonté primitive de Jésus entrant dans le monde, est l’origine de notre salut, est une sorte de justice originelle que nous avons, non plus en Adam, mais en Jésus, est la nouvelle justice que nous avons dans le nouvel Adam. Justice bien plus excellente que celle que nous devions avoir dans le vieil Adam.

   Et cette volonté mutuelle et réciproque du Père sur Son Fils, Le mettant en état d’hostie, et du Fils vers Son Père S’offrant à Lui en cette qualité, est la source de tous les biens que nous avons à posséder en la terre et au ciel, et est le fondement de l’état du Nouveau Testament : Il abroge le premier régime pour fonder le second.

   Adorons et aimons cette première oblation et volonté de l’âme de Jésus.
En cet exercice et en ce vouloir de Jésus, est enclos sommairement, originellement et divinement le salut et la vie de l’univers.
Et durant tout le cours de notre vie l’Esprit de Jésus dérive et imprime dans nos esprits les effets salutaires de cette oblation primitive, de cette vie intérieure et spirituelle, de cette action et communication de Jésus avec Dieu Son Père.
Et ces effets nous en sont appliqués par la génération que nous avons de Jésus au baptême, et par toutes les actions et institutions de la religion chrétienne qui sont autant de nouveaux liens qui nous lient à Jésus, et nous rendent capables des opérations de Sa grâce, de la participation de Sa vie sainte, et de l’infusion de Son esprit dans nos âmes. »

Pierre, cardinal de Bérulle,
in « Vie de Jésus » - 27.

Vierge du Signe - icône de l'Incarnation

Le type d’icône appelé « Mère de Dieu du Signe »
renvoie à la prophétie d’Isaïe « Dieu Lui-même vous donnera un signe : voici que la Vierge concevra »
et représente donc la Très Sainte Vierge Marie portant en elle le Verbe incarné
figuré non comme un enfant mais comme un homme de petite taille
pour manifester que dès le premier instant de Son Incarnation
le Verbe de Dieu est un homme véritable qui se trouve déjà dans une plénitude et une perfection achevées.

2023-47. Halte devant la Croix que nous allons voiler…

Jeudi de la quatrième semaine de Carême.

Crucifix du Mesnil-Marie

Crucifix de facture populaire (probablement du XVIIème siècle)
dans l’oratoire du Mesnil-Marie

« Si quelqu’un veut être Mon disciple… »

   Avant d’entrer dans le temps liturgique de la Passion, avant que les croix de nos églises et de nos chapelles ne soient recouvertes de voiles violets, il nous est toujours bon, voire nécessaire, de nous placer en face de la Croix.
De nous poser – physiquement – en face d’elle pour la regarder en silence : la regarder avec les yeux du corps ; et la regarder avec les yeux de l’âme.
La regarder en silence pendant plusieurs longues minutes.
La regarder sans laisser notre regard errer vers d’autres objets.
La regarder pour qu’elle s’imprime toujours davantage en notre regard, en notre âme, et en notre vie….

   La Croix nous rappelle l’essentiel de notre foi, l’essentiel de notre vie chrétienne.
Nous le savons bien : mais lorsqu’elle se présente réellement, avec son bois mal équarri et ses échardes qui pénètrent notre chair, avec son poids écrasant et son réalisme qui nous broie au plus intime de l’âme, nous restons – malgré la sincérité de notre foi – toujours un peu pris au dépourvu, toujours un peu tenté de nous soustraire à elle.
Elle ne cesse finalement pas de nous faire peur.
Elle ne cesse pourtant pas de nous donner l’envie, bien naturelle – et même trop naturelle -, de nous soustraire à elle…
 

   La Croix répugne à notre nature.
La Croix dérange tellement nos aspirations au « bien-être », au « confort », au « bonheur » terrestre.
Parce que la vie chrétienne, en définitive, répugne à notre nature.
Parce que la vie chrétienne est un programme qui, en définitive, ne s’accorde pas avec la quête du bonheur terrestre.
La vie chrétienne n’est pas « naturelle ».
La Croix dont elle est le signe, s’oppose aux vues naturelles, aux aspirations naturelles, aux projets naturels.
Il nous faut dépasser la nature.
Il nous faut nous élever au-dessus de la nature.

   Le signe du chrétien, c’est le signe de la Croix.
Même si nous croyons fermement à la résurrection ; même si nous savons que la Croix n’est pas un but ni une fin en soi ; même si nous savons qu’au-delà de la Croix, il y a la gloire et le bonheur éternels.
Le signe du chrétien, c’est le signe de la Croix : un signe surnaturel.
Un signe qui n’a de sens qu’en adoptant des vues surnaturelles, qu’en nous laissant imprégner d’aspirations surnaturelles, qu’en donnant à nos vies des projets surnaturels.

   La Croix a été tracée sur notre front dès avant notre baptême, pour que nous puissions entrer dans l’église où il allait nous être administré ; les onctions qui ont été faites sur nous avec l’huile des catéchumènes et avec le saint chrême ont été faites en forme de Croix ; le prêtre a aussi soufflé sur nous en forme de Croix ; l’eau baptismale qui nous a régénérés a été bénite par le signe de la Croix ; toutes les bénédictions, les sacramentaux et les sacrements que nous avons reçus tout au long de notre vie ont été accomplis avec le signe de la Croix ; en particulier, toutes les absolutions qui nous ont lavés de nos péchés, ont été prononcées alors que le signe de la croix était tracé au dessus de nous ; et lorsque nous nous apprêterons à mourir, si nous avons la grâce de recevoir les derniers sacrements (et il faut prier instamment pour qu’il en soit ainsi), c’est encore et toujours le signe de la Croix réalisé avec l’huile des infirmes qui nous fortifiera pour le grand passage ; enfin, normalement, la Croix sera plantée sur notre tombe et son ombre tutélaire s’étendra sur notre dépouille remise – dans l’attente de la résurrection – à la terre d’où elle a été tirée…

   Il y a le signe visible, tracé avec la main.
Il y a le signe visible des crucifix de nos églises et de nos demeures.
Et il y a la Croix « invisible », qui marque intérieurement notre être.
La Croix est le signe du chrétien, encore bien davantage dans l’ordre spirituel.
Il n’existe pas, il ne peut exister de vie chrétienne véritable qui ne soit marquée par la Croix.
Il ne peut exister de vie chrétienne sans que la Croix n’y soit plantée : bien souvent au point le plus vif et le plus sensible.
Au cœur de notre cœur.
« Si quelqu’un veut être Mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa Croix chaque jour, et qu’il Me suive… »

Jésus est inséparable de Sa Croix.
Celui qui veut trouver Jésus doit se diriger vers Sa Croix : là, il Le trouvera immanquablement, puisqu’Il ne fait qu’un avec elle !

   Celui qui veut aimer Jésus doit aimer Sa Croix : non par une espèce de masochisme spirituel, non parce qu’on aimerait la souffrance pour elle-même, mais parce que c’est par la Croix qu’a été accomplie la rédemption, parce que c’est de la Croix que vient notre sanctification, c’est par la Croix – et par nulle autre voie – que nous pouvons entrer au Ciel…
Comme le disait le Saint Curé d’Ars : « La Croix est l’échelle du Ciel ! »

   Celui qui fuit la Croix, fuit Dieu !
Celui qui n’aime pas la Croix, n’aime pas Dieu !

   Ces paroles scandalisent bon nombre d’hommes aujourd’hui, elles choquent même des personnes qui se prétendent chrétiennes…
Mais peut-on se dire chrétien et ne pas adhérer aux paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ ?

« Si quelqu’un veut être Mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa Croix chaque jour, et qu’il Me suive… »

Crucifix du Mesnil-Marie détail

2023-46. La consécration de la France à Saint Joseph par S.M.T.C. le Roi Henri V, le 19 mars 1871.

19 mars,
Fête de Saint Joseph, époux de la Bienheureuse Vierge Marie.

Trois lys blancs

       Une erreur ne devient pas une vérité par le fait qu’un grand nombre de personnes y croient et la colportent, fut-ce en toute bonne foi. 
La consécration de la France à Saint Joseph par S.M. le Roi Louis XIV le 19 mars 1661 est l’exemple parfait de ces fausses vérités indéfiniment répétées auxquelles de pieuses personnes accordent leur créance.
J’ai moi-même commencé à protester contre cette erreur, il y a plusieurs années, sur le « Forum du Royaume de France » après avoir procédé à un certain nombre de vérifications, en particulier avec l’aide de feu le baron Hervé Pinoteau (on peut retrouver mon intervention 
> ici - sous le pseudonyme “Semper Fidelis”- en 7ème position dans le fil de discussion), plus tard, sur le site UCLF.org, un résumé assez pertinent de la problématique a été publié (cf. > ici), suffisant pour démontrer l’inanité et l’inconsistance de cette « légende urbaine ».

   En revanche, l’un des cofondateurs de la Confrérie Royale, Monsieur l’Abbé Louis de Saint-Taurin, en approfondissant l’affaire a eu l’heur de découvrir que la France a bien été consacrée à Saint Joseph par l’un de ses Souverains, qui n’est pas le Grand Roi, mais l’un de ses descendants et successeurs : Sa Majesté Très Chrétienne le Roi Henri V, Roi de France de jure, contraint à l’exil, et le plus souvent appelé « le comte de Chambord ».
Monsieur l’Abbé de Saint-Taurin en avait rendu compte dans l’une des lettres mensuelles de la Confrérie Royale. Nous reproduisons ci-dessous, à sa suite, l’intégralité de l’article contemporain de l’événement qui fut publié dans la revue 
Le Propagateur de la dévotion à saint Joseph (Périsse, Paris/Tournai, 1872, pp. 185-190).

Statue de Saint Joseph couronnée - sanctuaire Saint Joseph de Bon Espoir Espaly

Statue couronnée de Saint Joseph
Basilique de Saint-Joseph de Bon Espoir, à Espaly-Saint-Marcel (Le Puy-en-Velay)

Reconstitution de la couronne de Charles X

Henri de Bourbon consacre sa Personne, sa Maison et sa Patrie
à Saint Joseph

       « D’après des auteurs graves, parmi lesquels nous citerons le docte et pieux Père Faber, la dévotion à saint Joseph fut apportée de l’Orient dans la Provence par Lazare, Marthe et Marie. La pieuse cité d’Avignon fut le berceau d’où elle se répandit en Europe. Gerson, chancelier de l’Université de Paris, fut suscité pour en être le docteur et le théologien, et saint François de Sales pour l’enseigner et la répandre parmi le peuple. Les Carmélites de France, fidèles aux leçons et aux exemples de sainte Thérèse, contribuèrent efficacement à augmenter la confiance des âmes dévotes et fidèles en ce glorieux patriarche. Les écrivains français de la Compagnie de Jésus fournirent dans des ouvrages pieux et savants, de riches matériaux aux panégyristes du virginal Epoux de Marie.

   De nos jours, c’est de la France catholique qu’est parti ce mouvement providentiel qui entraîne tous les peuples vers saint Joseph, et dont le consolant résultat a été de faire proclamer par l’auguste Pie IX ce glorieux Patriarche Patron de l’Église universelle. Fidèle aux traditions de ses aïeux (c’est à la demande de Louis XIV que la fête de saint Joseph fut chômée en France), le noble chef de la Maison de France a voulu, pour répondre à l’invitation du souverain Pontife, se consacrer d’une manière solennelle au puissant protecteur des Chrétiens.

   Un de nos amis qui a eu le bonheur d’assister à la consécration de Monseigneur le comte de Chambord et de toute sa Maison au glorieux saint Joseph, protecteur de l’Église universelle, nous transmet la relation suivante dont l’importance exceptionnelle n’échappera à aucun de nos lecteurs.

   L’année dernière, pendant la guerre de la France avec l’Allemagne, Monseigneur le comte de Chambord était dans les environs de Genève avec un petit nombre de personnes ; la plupart de ses serviteurs étaient restés à Frohsdorf. Le samedi soir, 18 mars 1871, un serviteur, parti l’avant-veille de Genève, arrivait au château de Frohsdorf, porteur d’un ordre du prince pour son aumônier. Cet ordre adressé au secrétaire intime était exprimé en ces termes : « Faites mes amitiés à M. l’abbé N*** [cf. note en bas de page], dites-lui qu’il serait bon de faire la consécration de la colonie à saint Joseph, le 19 ». — On appelle la colonie, à Frohsdorf, la petite société de serviteurs et d’amis qui entourent le prince et qui forment à l’extrémité de l’Autriche comme un petit coin de terre française.

   Le lendemain à la grand’messe, M. l’aumônier annonça à ses auditeurs que d’après le désir du prince, la colonie serait consacrée solennellement à saint Joseph, après le Salut qui aurait lieu dans l’après-midi. Tout le monde devait s’y trouver, et en effet personne n’y manqua. Le neveu de Monseigneur le comte de Chambord, S.A.R. le comte de Bardi, frère du duc de Parme [et donc beau-frère du roi de France, celui-là ayant épousé la sœur de celui-ci, NDLR], était présent et représentait tous les autres membres de la famille de Bourbon alors absents. Avec lui était son aide de camp, M. le marquis Malaspies, qui représentait l’Italie ; son précepteur, un vénérable religieux franc-comtois, qui représentait la France ; Madame la vicomtesse de Ch***, dame d’honneur de Madame la comtesse de Chambord, était là au nom de son Auguste Maîtresse. Le Prince était représenté par trois de ses secrétaires, son médecin, son aumônier et tous ses autres serviteurs restés au château. Un vénérable religieux rédemptoriste, confesseur de la Princesse depuis la mort du vénérable abbé Trébuquet, se trouvait là au nom de l’Allemagne catholique. De plus il y avait les Frères de Marie, chargés des écoles de garçons à Frohsdorf, les Sœurs de sainte Chrétienne de Metz, avec leurs pensionnaires et une foule de fidèles du village et des villages environnantsLa magnifique chapelle du château, décorée de ses plus beaux ornements, était au grand complet.

   Au moment de la consécration, toute l’assistance, pénétrée de la plus vive émotion, tomba à genoux et s’unit de cœur et d’âme au digne aumônier, qui prononça d’une voix forte et pleine de larmes celte touchante consécration au Bienheureux saint Joseph proclamé par l’Auguste Pie IX, patron de l’Église universelle.

   Après la cérémonie, cette consécration fut envoyée à Mgr le comte de Chambord, qui daigna l’approuver comme ayant parfaitement rendu toute sa pensée. Depuis lors, quelques copies en ont été faites par des personnes qui assistaient à la fête, et c’est une de ces copies, parfaitement conforme à l’original, que nous reproduisons ici :

Consécration à Saint Joseph.

    « Adorable Jésus, Fils unique et bien-aimé du Père avant tous les siècles, devenu dans le temps, par le choix libre de Votre amour, Fils unique et bien-aimé de Marie et Fils adoptif de son virginal époux saint Joseph, permettez que nous profitions de ce moment solennel et mille fois précieux, où entouré de Vos anges, et présent sur cet autel, Vous daignez agréer nos humbles hommages et Vous préparer à nous bénir, pour venir nous placer, comme Vous le fîtes Vous-même, sous la protection spéciale du bienheureux Patriarche votre Tuteur, Votre Guide et Votre Père pendant la première partie de Votre vie mortelle. Déjà bien des fois nous nous sommes donnés à Vous, ô divin Maître. Nous avons eu aussi le bonheur dans diverses circonstances solennelles de nous consacrer spécialement à Votre céleste Mère, en la suppliant de vouloir nous accepter pour enfants.

   Aujourd’hui nous voulons compléter notre œuvre et assurer de plus en plus notre persévérance, le salut de nos âmes en les remettant entre les mains de Votre Père nourricier. Nous sommes heureux de confier à saint Joseph nos destinées temporelles et éternelles en même temps que les intérêts sacrés de notre chère Patrie, de nos augustes Princes, de la sainte Église et de son Chef vénéré. Fidèles à Vos divines inspirations, ô divin Rédempteur, nous cherchons un abri contre les coups de Votre justice dans les bras paternels de Celui qui porta et nourrit Votre Enfance. Puissions-nous, selon la mesure de grâce que nous avons reçue, éprouver pour saint Joseph les sentiments d’amour, de vénération, de tendresse et d’affectueuse confiance que Vous lui manifestâtes si souvent par Vos regards, Vos paroles et Vos divines caresses, qui en faisaient ici-bas le plus heureux des hommes. C’est donc pour répondre aux désirs de Votre Cœur filial que nous allons nous consacrer au Protecteur bien-aimé qui vous tînt lieu de père et que Vous appelâtes de ce nom si doux.

   Déjà l’Auguste Pontife, Votre vicaire, a jugé opportun de placer l’Église sous le puissant patronage du glorieux saint Joseph. Mais ce n’est pas assez pour nous de cette consécration générale, si nous n’y ajoutions de notre côté la consécration personnelle de Nous-même et de tout ce qui nous est cher. Nous allons donc sous Vos auspices, ô Jésus, et sous les auspices de Votre Mère Immaculée, exprimer au bienheureux Patriarche les sentiments et les désirs que Vous nous inspirez Vous-même.

   C’est au nom de tous Vos fidèles serviteurs que nous parlons, au nom des fils de saint Louis et de tous ceux à qui Vous avez fait la grâce de leur servir de cortège, au nom des présents et des absents, au nom des plus élevés comme des plus humbles, au nom des Princes comme des derniers de leurs serviteurs, au nom des Français d’adoption comme des Français de naissance, au nom des jeunes gens et des jeunes filles, des enfants et des vieillards, des prêtres et des séculiers, des âmes consacrées à Dieu dans la vie religieuse et des personnes engagées dans les liens du mariage, au nom des justes et des pécheurs, des parfaits et des imparfaits, au nom de tous, en un mot, car tous nous voulons devenir les clients et les protégés du puissant saint Joseph, comme nous espérons être les vôtres, ô Jésus, et ceux de Votre divine Mère.

   Ô chaste Époux de la Mère de Dieu, Père nourricier de son adorable Fils, gardien, conservateur, confident, imitateur et coopérateur de l’Un et de l’autre ! en vue de vos illustres prérogatives, en vue du pouvoir que Dieu vous a accordé sur la terre et dans le ciel, nous vous consacrons aujourd’hui nos cœurs. Nous voulons qu’après les cœurs de Jésus et de Marie, le vôtre soit l’objet constant de nos respects et de nos hommages.

   Que ne pouvons-nous, ô grand Saint ! enchaîner tous les cœurs à votre trône !mais nous n’avons que les nôtres, nous vous les offrons et nous les soumettons à votre empire. Qu’après l’amour et la gloire de Jésus et de Marie, votre gloire et votre amour soient le principe et le germe de toutes nos pensées, de tous nos désirs, de toutes nos paroles et de toutes nos actions !

   Jamais cœur ne fut plus enflammé que le vôtre du désir de voir régner l’amour de Jésus et de Marie. Allumez-le dans les nôtres et qu’il les possède, qu’il les pénètre, qu’il les embrase, qu’il les consume ! Nous le désirons, nous vous le demandons. Que ce soit dans les ardeurs sacrées de cet amour et du vôtre que nous rendions le dernier soupir, et que les dernières paroles que prononceront nos lèvres expirantes, soient les saints, les doux, les aimables noms de Jésus, Marie, Joseph.

   Ô bienheureux Joseph, Père nourricier de Jésus, digne époux de Marie, Reine des vierges, nous nous consacrons à votre culte et nous nous donnons tout à vous. Soyez notre Père, notre Protecteur et notre Guide dans les voies du salut ; soyez le Sauveur de notre patrie et le puissant Libérateur de l’Église. Obtenez-nous à tous une grande pureté de corps et d’âme et la grâce de faire à votre exemple toutes nos actions pour la plus grande gloire de Dieu, en union à votre cœur très-pur et aux Cœurs sacrés de Jésus et de Marie. Assistez-nous tous les jours et surtout à l’heure de notre mort. Ainsi-soit-il.

Ô bon saint Joseph, protégez-nous, protégez la sainte Église, protégez notre patrie et la famille de nos rois.

Ainsi-soit-il. »

   « Cette consécration, qui avait lieu le 19 mars 1871, a été renouvelée cette année pour la fête de saint Joseph en présence de Leurs Altesses Royales le comte et la comtesse de Chambord et de toute leur suite. La fête n’était pas d’obligation, mais elle fut célébrée avec la pompe des plus grandes solennités et cela sur l’ordre de l’auguste chef de la Maison de France, qui tenait à rendre à saint Joseph toute la gloire que mérite son puissant patronage. Tous les assistants furent édifiés de la piété des Princes qui s’unissaient avec une ferveur touchante aux sentiments exprimés par le ministre de Jésus-Christ, agenouillé devant le saint Tabernacle.

   Nous l’avouons sans détour, cette consécration solennelle au glorieux Patriarche, proclamé solennellement par Pie IX, Patron de l’Église universelle, remplit notre cœur d’espérance. Nous voyons dans ces témoignages de la piété d’un Prince, sur la personne duquel reposent tant d’intérêts sacrés, un gage précieux de régénération et de triomphe pour notre chère France.

   Que les nouveaux barbares mettent toute leur confiance dans leurs engins meurtriers, dans le nombre et la rapidité de leurs coursiers, hi in curribus et in equis, pour nous, éclairés des plus pures lumières de la foi, nous plaçons notre ferme espérance dans le nom du Seigneur : Nos autem in nomine Domini ».

   Note :
L’abbé anonyme est très vraisemblablement M. l’abbé Amédée-Alexandre Curé (1838-1905), ordonné prêtre en 1861 au diocèse de Châlons, précepteur du duc de Parme puis aumônier de la famille royale en exil à Frohsdorf, membre du tiers-ordre dominicain à partir de 1878 et camérier d’honneur du pape (1887). Il succéda comme Grand-Aumônier de France au chanoine Stanislas-Barnabé Trébuquet (1796-1868), prêtre du diocèse de Beauvais, chanoine de Beauvais et de Paris, mort le 28 mars 1868, et dont il composa l’éloge funèbre.

Buste en bronze de SMTC le Roi Henri V - comte de Chambord

Buste en bronze de SMTC le Roi Henri V
dit « le comte de Chambord »

2023-44. De Sainte Gertrude de Nivelles, vierge et abbesse, céleste protectrice des chats.

17 mars,
Fête de Saint Patrick, évêque et confesseur ;
Mémoire de Saint Joseph d’Arimathie ;
Mémoire de Sainte Gertrude de Nivelles (cf. aussi > ici).

Sainte Gertrude de Nivelles - statue dans l'église collégiale

Sainte Gertrude de Nivelles
(statue dans la collégiale de Nivelles)
remarquez le rat à ses pieds…  

       Fille de Saint Pépin de Landen, ancêtre des Carolingiens, et de Sainte Itte (ou Yduberge), princesse d’Aquitaine, Gertrude – désormais Sainte Gertrude de Nivelles – naquit entre le 18 mars 625 et le 16 mars 626.
Son père, maire du palais d’Austrasie jusqu’en 629 puis proche du Roi Dagobert Ier, envisagea, sur la suggestion de ce dernier, de la marier au fils d’un duc d’Austrasie, « poussé par une ambition séculière et afin de sceller une amitié entre les deux familles », précise la Vie de Sainte Gertrude rédigée vers 670. Consultée au sujet de cette promesse d’alliance, la jeune fille refusa catégoriquement ce brillant parti et manifesta  avec une grande fermeté son intention de vouer sa vie à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

   Élevée par sa mère, comme le voulait la coutume, elle la suivit dans sa retraite de veuve après la mort de Pépin, survenue le 21 février 640.
La mère et la fille s’installèrent alors à Nivelles, l’un des domaines familiaux situé en Brabant, pour y mener une vie pieuse.
Encouragée par l’évêque missionnaire Saint Amand de Maastricht, Itte décida, vers 648, de fonder un monastère sur son domaine et d’y prendre elle-même le voile. Des aristocrates austrasiens tentèrent de s’opposer à ce projet, et voulurent encore une fois contraindre Gertrude au mariage.
Pour écarter définitivement les prétendants et couper court aux convoitises dont sa fille faisait l’objet, Itte manifesta publiquement la vocation de cette dernière à la vie religieuse en lui coupant elle-même la chevelure en forme de couronne : ce détail fut remarqué, et il est en effet remarquable, car la couronne c’est la manière dont on pratique la tonsure des moines, et, aux dires de plusieurs historiens, nous avons ici la seule mention d’une telle manière de faire dans toutes les vies de saintes de cette époque. Gertrude, selon la belle expression de Mgr Guérin, « s’estima plus glorieuse que si elle eût porté sur sa tête tous les diadèmes des royaumes et des empires » (Petits Bollandistes, notice sur la vie de Sainte Gertrude au 17 mars).

Sainte Gertrude de Nivelles - détail d'un vitrail de la basilique Notre-Dame de Tongres

Sainte Gertrude de Nivelles
(détail d’un vitrail de la basilique Notre-Dame de Tongres)

   Itte et Gertrude furent assez rapidement rejointes par un nombre assez remarquable de filles (en particulier de la noblesse franque) qui prirent elles aussi le voile : ces moniales prirent le nom de chanoinesses.
Sainte Itte confia à Gertrude la charge abbatiale : « Ainsi, la mère obéit à sa fille, et la fille commanda à sa mère » (Mgr Guérin).
La Bienheureuse Itte rendit son âme à Dieu le 8 mai 652.

   Afin de ne pas être accaparée par la gestion matérielle du monastère et soustraite à la contemplation, Sainte Gertrude « confia le soin des affaires temporelles du dehors à des chanoines, et celles du dedans à quelques une de ses sœurs, et ne se réserva d’autorité que sur le spirituel pour la conduite de ses filles » (ibid.).
Elle s’appliqua avec tellement d’application à la lecture de l’Ecriture Sainte qu’ « elle la savait presque toute par cœur ; et ce qui est plus admirable, elle en pénétrait le sens et les mystères pour les expliquer aux autres. Ce n’est pas difficile à croire, vu les communications intérieures et divines qu’elle recevait du Saint-Esprit durant ses prières » (ibid.)

   Très mortifiée, pratiquant avec assiduité jeûnes et veilles, et multipliant les austérités, Sainte Gertrude fut une grande abbesse, riche de vertus.
En l’an 659, vers le commencement du Carême, elle connut par une révélation que l’heure de la rencontre avec son Epoux céleste était proche : elle se démit alors de sa charge et nomma l’une de ses nièces, âgée de vingt ans, pour lui succéder comme abbesse : Sainte Wilfetrude.
Cette annonce de sa mort fut aussi communiquée à d’autres saintes âmes avec lesquelles elle était liée d’amitié. 

Image de Sainte Gertrude de Nivelles XVI-XVIIIe s

Image de dévotion représentant Sainte Gertrude de Nivelles
gravée par Jérôme Wierix (1553-1619)

   D’après sa Vita, elle demanda elle-même l’extrême-onction et le saint viatique, puis, selon ce qu’elle avait annoncé, elle rendit son âme à Dieu au moment de la Messe capitulaire où le prêtre récitait la secrète (à la fin de l’offertoire). C’était le deuxième dimanche de Carême 17 mars 659, jour de la Saint Patrick. Elle était âgée de 33 ans.
Au moment de sa mort, un parfum céleste envahit sa cellule, et elle apparut à Sainte Modeste, abbesse de Rombach, dans les Vosges.

   Gertrude avait donné des ordres stricts pour ses funérailles. Elle fut donc, selon son désir, ensevelie dans son cilice, sans drap ni suaire, affirmant : « Les ornements superflus des tombeaux ne sont utiles ni aux vivants ni aux morts ! »

   Le culte de Sainte Gertrude commença dès après sa mort ; puis il se diffusa rapidement dans tout le Brabant, puis au-delà.
Deux récits, rédigés l’un vers 691 et l’autre après 783, rapportent les nombreux miracles qui se sont déjà accomplis au contact de ses reliques : guérisons, résurrection d’un enfant mort noyé, extinction d’incendie… etc.
L’abbaye de Nivelles est à l’origine de la ville, qui s’est développée autour d’elle et devint au XIIIème siècle une ville fortifiée.

Châsse contemporaine de Sainte Gertrude de Nivelles

Châsse de Sainte Gertrude de Nivelles
œuvre de Félix Roulin
dans laquelle se trouvent depuis 1982 les reliques de la sainte abbesse :
elle remplace la châsse de 1296 en grande partie détruite en 1940

   Ses reliques furent placées dans une première châsse, carolingienne, dont on sait qu’elle fut portée par l’empereur Henri III du Saint-Empire germanique. En 1296, elles furent transférées dans une magnifique châsse gothique d’or, d’argent et de pierreries, dont on ne peut plus admirer que des restes dans la collégiale, car celle-ci fut en partie détruite par le feu, en mai 1940, lors d’un bombardement.
Les reliques se trouvent toujours dans la collégiale : en 1982, elles ont été déposées dans la nouvelle châsse, œuvre du sculpteur-bronzier Felix Roulin, qui a aussi réalisé la châsse de Sainte Aldegonde, pour Maubeuge.

   Nivelles devint une abbaye noble, peut-être dès le IXème siècle : il fallait quatre quartiers de noblesse du côté paternel et autant du côté maternel pour y être admise comme chanoinesse.
Depuis l’organisation voulue par Sainte Gertrude, c’était devenue une abbaye capitulaire « double », composée d’une quarantaine de chanoinesses et d’une trentaine de chanoines ; ils ne vivaient évidemment pas dans les mêmes bâtiments : les chanoines avaient leurs propres bâtiments claustraux et leur lieu de culte (Saint-Paul), mais pour certaines grandes fêtes ils venaient chanter l’office avec les chanoinesses. L’abbesse était la supérieure des deux communautés.

Reliquaire appelé Chef de Sainte Gertrude

Appelé « Chef de Sainte Gertrude »
ce reliquaire qui renferme, depuis 2006, quelques parcelles d’ossements de Sainte Gertrude de Nivelles,
est l’œuvre du dinandier-ciseleur Marcel Nulens :
il a été réalisé à partir de deux lingots d’or donnés par une nivelloise à la suite de la destruction de la châsse en mai 1940,
afin de donner à Sainte Gertrude un reliquaire plus digne que le coffret de bois dans lequel durent alors être placés les ossements.

   Sainte Gertrude est invoquée comme patronne des voyageurs à partir du XIème siècle. Puis, à partir du XVème siècle, elle est prise pour céleste protectrice par les jardiniers qui l’invoquent contre l’invasion des rongeurs. C’est pourquoi elle est souvent représentée avec sa crosse, entourée de rats ou de souris (qui parfois montent – presque en procession – sur la hampe), et, comme nous l’avons déjà expliqué (cf. > ici), c’est ainsi qu’elle est devenue la sainte patronne des chats, prédateurs naturels des rats, souris, mulots et autres petits nuisibles.

   Comme Sainte Burgondofare (communément dite Sainte Fare) à Faremoutiers, Sainte Aldegonde à Maubeuge ou Sainte Clotsinde à Marchiennes, pour n’en citer que trois parmi un grand nombre d’autres, Sainte Gertrude témoigne de cet engouement des familles aristocratiques franques pour les fondations monastiques qui permit, dès la fin du VIème siècle, un profond enracinement du christianisme et son rayonnement.
Malheureusement supprimé par la grande révolution (1798), le chapitre de Nivelles ne s’est pas relevé : la collégiale, initialement dédiée à Saint Pierre, puis à Sainte Gertrude, est aujourd’hui l’église paroissiale primaire de la ville.

Sainte Gertrude de Nivelles - console sculptée Utrecht

Sainte Gertrude de Nivelles sur une console sculptée
Utrecht

2023-39. « Celui qui est uni à Dieu devient fort de Sa force. »

Troisième dimanche de Carême,
Evangile de l’expulsion du démon muet et enseignement de NSJC sur l’action des démons (Luc.XI, 14-28).

Gargouille 2

Présence de Dieu :

« Je viens à Vous, ô Jésus, pour chercher en Votre Force divine, l’appui de ma faiblesse, de mon infirmité… »

Méditation :

   1 – Dès le premier dimanche de Carême, l’Eglise nous a présenté Jésus en lutte avec le démon, mais tandis qu’elle nous Le montrait alors dans une humble position défensive devant les tentations du malin, elle nous Le fait voir, aujourd’hui, dans une attitude d’attaque et de victoire éclatante.
Voici un pauvre possédé, dit l’Evangile, qui « était muet ». Par un seul acte de Sa force divine, Jésus « chassa le démon, et lorsqu’il fut sorti, le muet parla et le peuple était dans l’admiration ».
Mais l’ennemi, comme pour se venger de la défaite, insinue dans l’esprit des pharisiens la honteuse calomnie : « C’est par le prince des démons qu’Il chasse les démons ». Jésus est accusé d’être un possédé et d’avoir reçu du Malin le pouvoir de délivrer le démoniaque. Mais le Seigneur veut démasquer à fond l’ennemi et avec une logique serrée, Il répond que Satan ne peut Lui donner un pareil pouvoir, puisque ce serait coopérer à la destruction de son royaume. Non, il ne peut en être ainsi : Jésus chasse les démons par « le doigt de Dieu », c’est-à-dire par la vertu divine.
Si Satan est fort et si ses satellites luttent avec lui pour régner sur l’homme, Jésus est plus fort que lui et le vaincra en lui arrachant sa proie. Il est venu précisément pour libérer l’humanité du pouvoir des ténèbres, détruire le royaume de Satan et instaurer celui de Dieu.
Si, de nos jours encore, Dieu permet que le démon travaille à entraîner dans le mal les individus et la société, Jésus, en mourant sur la Croix, a déjà versé la rançon de notre victoire. Ce trésor est à notre disposition : par la vertu et la grâce du Christ, tout chrétien a le pouvoir de vaincre n’importe quelle attaque de l’ennemi. Ne nous laissons donc pas déconcerter devant le triomphe du mal qui n’est que victoire apparente, puisque Jésus est le plus fort, l’unique et suprême vainqueur.

gargouille 1

   2 – Pour faire nôtre la victoire de Jésus sur le mal, notre collaboration est évidemment requise. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus nous en indique divers aspects.
« Tout royaume divisé contre lui-même, se détruit » ; le Seigneur affirme ainsi que l’union est le secret de la victoire. Avant tout, union avec Lui, car sans Lui nous ne pouvons rien faire, mais ensuite, également, union avec le prochain. Si nous voulons travailler pour le triomphe du bien, collaborons avec nos Supérieurs et nos frères, pour ne former qu’un cœur et qu’une âme. Souvent, on pourrait agir avec beaucoup plus d’efficacité dans le domaine du bien si, renonçant à des vues personnelles, on travaillait en parfait accord. Il pourra même être nécessaire, quelquefois, de renoncer à des idées, des plans, des moyens meilleurs en eux-mêmes, mais ne nous laissons pas tromper : l’union est toujours préférable. La division ne mènera jamais à la victoire.
« Qui n’est pas avec Moi est contre Moi » ajoute Jésus. Le christianisme n’admet pas les indifférents. Celui qui ne se rallie pas résolument au Christ, qui ne travaille pas avec Lui pour l’avènement de Son règne, s’oppose à Lui, par le fait même, ainsi qu’à la diffusion du bien ; il est l’ennemi du Christ et partisan du mal. Omettre le bien qu’on pourrait et devrait faire, c’est déjà faire le mal et consentir à son développement.
La première condition de la victoire sur le mal est la collaboration active à l’œuvre du Christ, en union avec les frères. La seconde est la vigilance. Jésus nous avertit que l’ennemi du bien est aux aguets et que même après avoir quitté une âme, il est prêt à y retourner, plus fort qu’auparavant, « avec sept autres esprits plus méchants que lui », lorsqu’il la trouve vide et désarmée contre ses embûches. Le grand moyen pour empêcher l’accès du mal est de veiller dans la prière et remplir son cœur de Dieu, afin qu’il n’y ait plus de place pour l’ennemi. Et il n’y a plus aucune place lorsque l’âme est totalement unie à Dieu par l’acceptation et l’observance de sa parole, de sa volonté.
Jésus répond en effet, à la femme qui loue Sa Mère : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent ». Certes, la Très Sainte Vierge Marie est bienheureuse d’avoir donné le jour au Rédempteur, mais elle l’est bien davantage encore de Lui être parfaitement unie dans l’observance de Sa parole.
Or, cette béatitude n’est pas réservée à Marie, elle est offerte à toute âme de bonne volonté, et constitue la plus grande garantie de la victoire sur le mal, car celui qui est uni à Dieu devient fort de Sa force.

ange en prière

Colloque :

   « Mes regards vont sans cesse vers Vous, ô Seigneur, car c’est Vous qui dégagez mes pieds du piège. Regardez-moi et prenez pitié de moi, car je suis isolé et pauvre. Gardez mon âme et délivrez-moi ; je ne rougirai pas, car j’ai placé mon refuge et ma confiance en Vous » (Ps. XXIV, 15-20).

   « O Trinité éternelle, ô très haute et éternelle Trinité, Vous dressez devant nous le Verbe doux et plein d’amour. O doux et amoureux Verbe, Fils de Dieu, de même que notre nature est faible et capable de tout mal, ainsi la Vôtre est forte et propre à tout bien, parce que Vous l’avez reçue de Votre Père éternel et tout puissant. Vous donc, ô doux Verbe, avez fortifié notre faible nature en Vous unissant à elle. Par cette union, notre nature est fortifiée, car la vertu de Votre Sang enlève notre faiblesse. Et nous sommes aussi fortifiés par Votre doctrine, puisque l’homme qui la suit en vérité, en s’en revêtant parfaitement, devient si fort et si capable de bien que la rebellion de la chair contre l’esprit s’éteint pour ainsi dire et qu’il est à même de vaincre tout mal. Vous donc, ô Verbe éternel, substituez à notre faiblesse la force de la nature divine que Vous avez reçue du Père ; et cette force, Vous nous l’avez donnée par Votre Sang et Votre doctrine.
O doux Sang, Vous fortifiez l’âme, Vous l’illuminez ; en Vous, elle devient angélique, Vous la couvrez tellement du feu de Votre charité qu’elle s’oublie entièrement elle-même et ne peut plus rien voir en dehors de Vous.
O doctrine de vérité, Vous donnez tant de force à l’âme revêtue de Vous-même qu’elle ne défaille jamais, ni sous le poids des adversités, ni sous celui des peines ou des tentations ; chaque lutte est couronnée d’une éclatante victoire. Misérable que je suis de ne Vous avoir point suivie, ô vraie doctrine ; voilà la raison pour laquelle ma faiblesse est telle que la moindre tribulation m’abat » (Sainte Catherine de Sienne).

ange montrant la croix

2023-37. Porter Dieu en soi, à l’école de Saint Grégoire de Nysse.

11 mars,
Fête de Saint Grégoire de Nysse, évêque et confesseur, docteur de l’Eglise.

       On ne connaît pas la date précise de la mort de Saint Grégoire de Nysse, né vers l’an 335 et mort aux alentours de 395. Le martyrologe romain le mentionne à la date du 9 mars tandis que les Grecs le célèbrent le 10 janvier.
La date du 9 mars, qui lui est donc assignée par le martyrologe, étant déjà occupée par la fête de Sainte Françoise Romaine, mais ne voulant pas que celle de ce saint docteur soit réduite à une simple commémoraison, au Mesnil-Marie nous avons résolu de le fêter au premier jour libre après le 9 mars, qui est pour nous le 11.
Le 11 mars arrive toujours pendant le Carême et c’est en définitive une belle occurrence car les enseignements spirituels et ascétiques de Saint Grégoire de Nysse s’accordent parfaitement avec la spiritualité de la sainte quarantaine et sont tout-à-fait idoines à nous stimuler dans les efforts qu’exige de nous ce saint temps.

   Dans les deux catéchèses qu’il lui a consacrées à la fin de l’été 2007, après avoir évoqué les figures des deux autres « Pères cappadociens » (Saint Basile le Grand [cf. > ici], son frère, et Saint Grégoire de Nazianze [cf. > ici]), Sa Sainteté le Pape Benoît XVI a parfaitement mis en valeur les grandes et belles leçons dont nous pouvons aujourd’hui faire notre profit pour le perfectionnement de notre vie chrétienne.

   Ajoutons que bien qu’il ne soit pas cité dans la liste des Docteurs de l’Eglise la plus courante, ce titre lui est décerné par une longue tradition, et qu’il lui est attribué par les très doctes Bollandistes.

St Grégoire de Nysse

Catéchèse de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

à l’occasion de l’audience générale
du mercredi 29 août 2007

Présentation de la vie et de l’œuvre de Saint Grégoire de Nysse

Chers frères et sœurs,

   Dans les dernières catéchèses, j’ai parlé de deux grands docteurs de l’Eglise du IVème siècle, Basile et Grégoire de Nazianze, évêques de Cappadoce, dans l’actuelle Turquie. Aujourd’hui, nous en ajoutons un troisième, le frère de Basile, saint Grégoire de Nysse, qui s’est révélé un homme au caractère réfléchi, avec de grandes capacités de méditation, et d’une vive intelligence, ouverte à la culture de son temps. Il s’est ainsi révélé comme un penseur original et profond dans l’histoire du christianisme.

   Il naquit autour de 335 ; sa formation chrétienne fut suivie en particulier par son frère Basile – qu’il définit comme « père et maître » (Ep. 13, 4 : SC 363, 198) – et par sa sœur Macrine. Il suivit ses études en appréciant particulièrement la philosophie et la rhétorique. Dans un premier temps, il se consacra à l’enseignement et se maria. Ensuite, il se consacra lui aussi entièrement, comme son frère et sa sœur, à la vie ascétique. Plus tard, il fut élu évêque de Nysse, et se démontra un pasteur zélé, ce qui lui valut l’estime de la communauté. Accusé de malversations financières par ses adversaires hérétiques, il dut abandonner le siège épiscopal pendant une brève période, mais il y revint ensuite triomphalement (cf. Ep. 6 : SC 363, 164-170), et il continua à se consacrer à la lutte pour défendre la vraie foi.

   En particulier après la mort de Basile, recueillant presque son héritage spirituel, il coopéra au triomphe de l’orthodoxie. Il participa à divers synodes ; il chercha à résoudre les conflits entre les Eglises ; il participa activement à la réorganisation ecclésiastique et, en tant que « pilier de l’orthodoxie », il fut l’un des acteurs du Concile de Constantinople de 381, qui définit la divinité de l’Esprit Saint. Il reçut diverses charges officielles de la part de l’empereur Théodose, il prononça d’importants discours et homélies funèbres, il se consacra à la rédaction de diverses œuvres théologiques. En 394, il participa encore à un synode qui se déroula à Constantinople. On ne connaît pas la date de sa mort.

   Grégoire explique avec clarté la finalité de ses études, le but suprême auquel il aspire dans son travail de théologien :  ne pas employer sa vie en choses vaines, mais trouver la lumière qui permet de discerner ce qui est vraiment utile (cf. In Ecclesiasten hom. 1 : SC 416, 106-146). Il trouva ce bien suprême dans le christianisme, grâce auquel est possible « l’imitation de la nature divine » (De professione christiana : PG 46, 244C). Avec sa vive intelligence et ses vastes connaissances philosophiques et théologiques, il défendit la foi chrétienne contre les hérétiques, qui niaient la divinité du Fils et de l’Esprit Saint (comme Eunomios et les Macédoniens), ou mettaient en doute la parfaite humanité du Christ (comme Apollinaire). Il commenta l’Ecriture Sainte, s’arrêtant sur la création de l’homme. Cela était pour lui un thème central :  la création. Il voyait dans la créature le reflet du Créateur et trouvait là le chemin vers Dieu. Mais il écrivit également un livre important sur la vie de Moïse, qu’il présente comme un homme en marche vers Dieu : cette montée vers le Mont Sinaï devient pour lui une image de notre ascension dans la vie humaine, vers la vraie vie, vers la rencontre avec Dieu. Il a interprété également la prière du Seigneur, le Notre Père, et les Béatitudes. Dans son « Grand discours catéchétique » (Oratio catechetica magna) – il exposa les lignes fondamentales de la théologie, non pas pour une théologie académique refermée sur elle-même, mais pour offrir aux catéchistes un système de référence dont tenir compte dans leurs instructions, comme un cadre dans lequel s’inscrit ensuite l’interprétation théologique de la foi.

   En outre, Grégoire est célèbre pour sa doctrine spirituelle. Toute sa théologie n’était pas une réflexion académique, mais l’expression d’une vie spirituelle, d’une vie de foi vécue. En tant que grand « père de la mystique », il exposa dans divers traités – comme le De professione christiana et le De perfectione christiana – le chemin que les chrétiens doivent entreprendre pour atteindre la vraie vie, la perfection. Il exalta la virginité consacrée (De virginitate), et en proposa un modèle éminent dans la vie de sa sœur Macrine, qui est toujours restée pour lui un guide, un exemple (cf. Vita Macrinae). Il tint divers discours et homélies, et écrivit de nombreuses lettres.
En commentant la création de l’homme, Grégoire souligne que Dieu, « le meilleur des artistes, forge notre nature de manière à la rendre adaptée au service de la royauté. A travers la supériorité établie de l’âme, et au moyen de la conformation même du corps, il dispose les choses de manière à ce que l’homme soit réellement adapté au pouvoir royal » (De hominis opificio 4 : PG 44, 136B). Mais nous voyons que l’homme, pris dans les mailles des péchés, abuse souvent de la création et n’exerce pas une véritable royauté. C’est pourquoi, afin d’exercer une véritable responsabilité envers les créatures, il doit être pénétré par Dieu et vivre dans sa lumière. En effet, l’homme est un reflet de cette beauté originelle qui est Dieu : « Tout ce que Dieu créa était excellent », écrit le saint évêque. Et il ajoute : « Le récit de la création en témoigne (cf. Gn. I, 31). Parmi les choses  excellentes  se  trouvait  aussi l’homme, orné d’une beauté largement supérieure à toutes les belles choses. En effet, quelle chose pouvait être aussi belle que celui qui est semblable à la beauté pure et incorruptible ?… Reflet et image de la vie éternelle, il était véritablement beau, et même très beau, comme le signe rayonnant de la vie sur son visage » (Homilia in Canticum 12 : PG 44, 1020C).

   L’homme a été honoré par Dieu et placé au dessus de toute autre créature : « Le ciel n’a pas été fait à l’image de Dieu, ni la lune, ni le soleil, ni la beauté des étoiles, ni aucune des choses qui apparaissent dans la création. Seule toi (note : l’âme humaine) tu as été rendue l’image de la nature qui domine toute intelligence, ressemblance de la beauté incorruptible, empreinte de la vraie divinité, réceptacle de la vie bienheureuse, image de la véritable lumière ; et lorsque tu la regardes, tu deviens ce qu’Il est, car à travers le rayon reflété provenant de ta pureté, tu imites Celui qui brille en toi. Aucune des choses qui existe n’est grande au point de pouvoir être comparée à ta grandeur » (Homilia in Canticum 2 : PG 44, 805D). Méditons cet éloge de l’homme. Voyons également à quel point l’homme est dégradé par le péché. Et cherchons à revenir à la grandeur originelle : ce n’est que si Dieu est présent que l’homme arrive à sa véritable grandeur.

   L’homme reconnaît donc en lui-même le reflet de la lumière divine : en purifiant son cœur, il redevient comme il était au début, une image limpide de Dieu, Beauté exemplaire (cf. Oratio catechetica 6 : SC 453, 174). Ainsi, l’homme, en se purifiant, peut voir Dieu, comme les cœurs purs (cf. Matth. V, 8) : « Si, avec un style de vie diligent et attentif, tu effaces les choses laides qui se sont déposées sur ton cœur, alors resplendira en toi la beauté divine… En te contemplant toi-même, tu verras en toi celui qui est le désir de ton cœur et tu seras bienheureux » (De beatitudinibus, 6 : PG 44, 1272AB). Il faut donc laver les choses laides qui se sont déposées sur notre cœur et retrouver en nous-même la lumière de Dieu.

   L’homme a donc comme objectif la contemplation de Dieu. Ce n’est qu’en celle-ci qu’il peut trouver sa réalisation. Pour anticiper, dans une certaine mesure, cet objectif déjà au cours de cette vie, il doit progresser sans cesse vers une vie spirituelle, une vie de dialogue avec Dieu. En d’autres termes – et telle est la leçon la plus importante que saint Grégoire de Nysse nous transmet -,  la  pleine réalisation de l’homme consiste dans la sainteté, dans une vie vécue dans la rencontre avec Dieu, qui devient ainsi lumineuse également pour les autres, et pour le monde. 

Ste Macrine la jeune

Sainte Macrine la jeune
sœur de Saint Basile de Césarée, de Saint Pierre de Sébaste et de Saint Grégoire de Nysse
dont elle fut la grande inspiratrice

Catéchèse de Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

à l’occasion de l’audience générale
du mercredi 5 septembre 2007

Les enseignements spirituels de Saint Grégoire de Nysse

Chers frères et sœurs,

  Je vous propose quelques aspects de la doctrine de saint Grégoire de Nysse, dont nous avons déjà parlé mercredi dernier.
En premier lieu, Grégoire de Nysse manifesta une conception très élevée de la dignité de l’homme. Le but de l’homme, dit le saint Evêque, est celui de devenir semblable à Dieu, et il atteint ce but avant tout à travers l’amour, la connaissance et la pratique des vertus, « rayons lumineux qui descendent de la nature divine » (De Beatitudinibus 6 : PG 44, 1272 C), dans un mouvement perpétuel d’adhésion au bien, comme le coureur qui est tendu en avant. Grégoire utilise, à ce propos, une image efficace, déjà présente dans la Lettre de Paul aux Philippiens : épek-teinómenos (Phil. III, 13), c’est-à-dire « lancé vers l’avant », vers ce qui est plus grand, vers la vérité et l’amour. Cette expression appropriée indique une réalité profonde : la perfection, que nous voulons trouver n’est pas une chose acquise pour toujours ; la perfection est le fait de rester en chemin, c’est une disposition permanente à aller de l’avant, car l’on n’atteint jamais la pleine ressemblance avec Dieu ; nous sommes toujours en chemin (cf. Homilia in Canticum 12 : PG 44, 1025d). L’histoire de chaque âme est celle d’un amour à chaque fois comblé et, dans le même temps, ouvert sur de nouveaux horizons, car Dieu étend sans cesse les possibilités de l’âme, pour la rendre capable de biens toujours plus grands. Dieu lui-même, qui a déposé en nous des germes de bien, et dont part toute initiative de sainteté, « modèle le bloc… En limant et en nettoyant notre esprit, il forme en nous le Christ » (In Psalmos 2, 11 : PG 44, 544B).

   Grégoire se soucie de préciser : « Ce n’est pas, en effet, notre œuvre, et ce n’est pas non plus la victoire d’une force humaine que de devenir semblables à la divinité, mais c’est le résultat de la munificence de Dieu, qui dès sa première origine a fait grâce à notre nature de la ressemblance avec Lui » (De virginitate 12, 2 : SC 119, 408-410). Donc, pour l’âme, « il ne s’agit pas de connaître quelque chose de Dieu, mais d’avoir Dieu en soi » (De beatitudinibus 6 : PG 44, 1269c). Du reste, remarque Grégoire avec acuité, « la divinité est pureté, est affranchissement des passions et disparition de tout mal : si toutes ces choses sont en toi, Dieu est réellement en toi » (De beatitudinibus 6 : PG 44, 1272C).

   Lorsque nous avons Dieu en nous, lorsque l’homme aime Dieu, par cette réciprocité qui est propre à l’amour, il désire ce que Dieu lui-même désire (cf. Homilia in Canticum 9 : PG 44, 956ac), et il coopère donc avec Dieu à modeler en lui l’image divine, si bien que « notre naissance spirituelle est le résultat d’un libre choix, et nous sommes d’une certaine façon les parents de nous-mêmes, en nous créant comme nous voulons être et en nous formant par notre volonté selon le modèle que nous choisissons » (Vita Moysis 2, 3 : SC 1bis, 108). Pour s’élever vers Dieu, l’homme doit se purifier : « La voie qui reconduit au ciel la nature humaine, n’est autre que l’éloignement des maux de ce monde… Devenir semblable à Dieu signifie devenir juste, saint et bon… Si donc, selon l’Ecclésiaste (V, 1), « Dieu est au ciel » et si, selon le prophète (Ps. LXXII, 28), vous « adhérez à Dieu », il s’ensuit nécessairement que vous êtes là où Dieu se trouve, du moment que vous êtes unis à Lui. Etant donné qu’il vous a ordonné, lorsque vous priez, d’appeler Dieu Père, il vous dit de devenir sans aucun doute semblables à votre Père céleste, avec une vie digne de Dieu, comme le Seigneur nous l’ordonne plus clairement ailleurs, en disant : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Matth. V, 48) » – (De oratione dominica 2 : PG 44, 1145ac).

   Sur ce chemin d’ascèse spirituelle, le Christ est le modèle et le maître, qui nous fait voir la belle image de Dieu (cf. De perfectione christiana, PG 46, 272a). Chacun de nous, en se tournant vers Lui, se retrouve être « le peintre de sa propre vie », qui possède la volonté pour exécuter le travail et les vertus comme des couleurs dont se servir (ibid.: PG  46,  272b). Si l’homme est considéré digne du Christ, comment doit-il donc se comporter ? Grégoire répond ainsi : « [Il doit] toujours examiner au plus profond de lui ses pensées, ses paroles et ses actions, pour voir si celles-ci sont tournées vers le Christ ou si elles s’éloignent de lui » (ibid.: PG 46, 284c). Et ce point est important en raison de la valeur qu’il attribue à la parole « chrétien ». Le chrétien est quelqu’un qui porte le nom du Christ, et il doit donc s’assimiler à Lui également dans sa vie. A travers le Baptême, nous chrétiens, assumons une grande responsabilité.

   Mais le Christ – rappelle Grégoire – est présent également dans les pauvres, c’est pourquoi ils ne doivent jamais être offensés : « Ne méprise pas ceux qui gisent étendus, comme si pour cette raison ils ne valaient rien. Considère qui ils sont, et tu découvriras quelle est leur dignité : ils représentent pour nous la Personne du Sauveur. Et il en est ainsi : car le Seigneur, dans sa bonté, leur prêta sa personne elle-même, afin que, à travers celle-ci, s’émeuvent ceux qui sont durs de cœur et ennemis des pauvres » (De pauperibus amandis : PG 46, 460bc). Grégoire, avons-nous dit, parle de montée : montée vers Dieu dans la prière, à travers la pureté du cœur ; mais montée vers Dieu également à travers l’amour pour le prochain. L’amour est l’échelle qui conduit vers Dieu. Par conséquent, Grégoire de Nysse apostrophe avec vivacité chacun de ses auditeurs : « Sois généreux avec ces frères, victimes du malheur. Donne à l’affamé ce que tu ôtes à ton ventre » (ibid.: PG 46, 457c).

   Avec une grande clarté, Grégoire rappelle que nous dépendons tous de Dieu, et c’est pourquoi il s’exclame : « Ne pensez pas que tout vous appartienne ! Il doit également y avoir une part pour les pauvres, les amis de Dieu. En effet, la vérité est que tout vient de Dieu, Père universel, et que nous sommes frères et appartenons à une même race » (cf. ibid.: PG 46, 465b). Il faut alors que le chrétien s’examine, insiste encore Grégoire : « Mais à quoi te sert-il de jeûner et de faire abstinence de la chair, si ensuite avec ta méchanceté tu ne fais rien d’autre que dévorer ton frère ? Quel gain tires-tu, face à Dieu, du fait de ne pas manger ce qui est à toi, si ensuite, agissant injustement, tu arraches des mains du pauvre ce qui lui appartient ? » (ibid.: PG 46, 456a).

   Nous concluons ces catéchèses sur trois grands Pères de Cappadoce en rappelant encore cet aspect important de la doctrine spirituelle de Grégoire de Nysse, qui est la prière.
Pour progresser sur le chemin vers la perfection et accueillir Dieu en soi, porter en soi l’Esprit de Dieu, l’amour de Dieu, l’homme doit se tourner avec confiance vers Lui dans la prière : « A travers la prière nous réussissons à être avec Dieu. Mais celui qui est avec Dieu est loin de l’ennemi. La prière est soutien et défense de la chasteté, frein de la colère, apaisement et domination de l’orgueil. La prière est conservation de la virginité, protection de la fidélité dans le mariage, espérance pour ceux qui veillent, abondance de fruits pour les agriculteurs, sécurité pour les navigateurs » (De oratione dominica 1 : PPG 44, 1124A-B). Le chrétien prie en s’inspirant toujours de la prière du Seigneur : « Si nous voulons donc prier que descende sur nous le Royaume de Dieu, nous lui demandons cela à travers la puissance de la Parole : que je sois éloigné de la corruption, que je sois libéré de la mort, que je sois dégagé des chaînes de l’erreur ; que jamais la mort ne règne sur moi, que la tyrannie du mal n’ait jamais de pouvoir sur moi, que l’adversaire ne domine pas sur moi ni ne me fasse prisonnier à travers le péché, mais que ton Règne vienne sur moi, afin que s’éloignent de moi ou, mieux encore, que disparaissent les passions qui, à présent, me dominent et règnent en maîtres » (ibid., 3 : PG 44, 1156d-1157a).

   Une fois sa vie terrestre terminée, le chrétien pourra ainsi s’adresser avec sérénité à Dieu. Parlant de cela, saint Grégoire pense à la mort de sa sœur Macrine, et écrit qu’à l’heure de sa mort, elle priait Dieu ainsi : « Toi qui as sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, détourne de moi tes yeux, que je respire » (cf. Ps. XXXVIII, 14), et pour que je sois trouvée à tes côtés sans tâche, au moment où je suis dépouillée de mon corps (cf. Col. II, 11), de façon à ce que mon esprit, saint et immaculé (cf. Eph. V, 27), soit accueilli entre tes mains, « devant toi [...] comme un encens » (Ps. CXL, 2) » – (Vita Macrinae 24 : SC 178, 224). Cet enseignement de saint Grégoire demeure toujours valide : non seulement parler de Dieu, mais porter Dieu en soi. Nous le faisons avec l’engagement de la prière et en vivant dans l’esprit de l’amour pour tous nos frères.

Saint Grégoire de Nysse

2023-35. Sainte Françoise Romaine : la vision de l’enfer.

9 mars,
Fête de Saint Françoise Romaine, veuve (cf. > ici et > ici).

Antoniazzo Romano - Sainte Françoise Romaine

Sainte Françoise Romaine
Telle qu’elle est représentée par Antoniazzo Romano sur l’une des fresques du monastère de Tor de’Specchi, à Rome (avant 1468)

       Sainte Françoise Bussa de Leoni (1384-1440), épouse puis veuve de Lorenzo Ponziani, est communément appelée Sainte Françoise Romaine. C’est une mystique de très grande envergure, dont la vie et les phénomènes surnaturels qui la remplissent, considérés comme tout-à-fait véridiques par les saints et les papes des âges de foi, sont de nos jours tenus en suspicion en raison même de leur caractère « merveilleux ». Les critiques modernes (et modernistes) considèrent qu’il y a dans sa biographie trop de choses qui « échappent à la raison et à la science objective » pour qu’elles soient authentiques. Ce même apriori rationaliste est appliqué au contenu des visions dont Sainte Françoise Romaine a été gratifiée.

   Nous sont en effet parvenues quatre-vingt-treize visions qu’elle a dictées elle-même à son confesseur. Parmi celles-ci se trouve ce que l’on appelle habituellement « Le traité de l’enfer », qui fut tenu en haute estime et qualifié de « fort remarquable » par les plus grands saints et pontifes, mais qui dérange par trop les « mentalités modernes » : il est donc préférable à ces dernières d’ignorer ces visions, ou de les dénigrer comme superstitions sans consistance, pour finalement les reléguer dans la catégorie des « imaginations de bonne femme dépendante des représentations populaires de son époque »
Pour nous, au contraire, nous sommes convaincus, avec les grandes figures de la Chrétienté, que ces visions sont dignes de créance, et salutaires pour les fidèles. Tout ce qui y est écrit est bien évidemment absolument opposé aux modes pseudo théologiques actuelles, absolument opposé aux théories professées par un certain nombre de catholiques imprégnés de l’esprit du monde, absolument opposé aux affirmations de très hauts dignitaires de l’Eglise eux-mêmes qui prétendent que tous les hommes – quelle que soit leur croyance, et quelles que soient leurs mœurs – sont sauvés…

    »Le traité de l’enfer » est composé de neuf chapitres, pas très longs. Les trois derniers ont respectivement trait aux Limbes (chap. VIII), au Purgatoire (chap. VIII) et à la gloire des saints dans le Ciel (chap. IX), et nous n’en parlerons pas ici aujourd’hui. En revanche, nous publions ci-dessous le résumé des six chapitres qui traitent directement de l’enfer tel qu’il se trouve en appendice de la biographie de Sainte Françoise Romaine dans le tome troisième des Petits Bollandistes (édition de 1876, vol. III p.317).

Vision de l'enfer Sainte Françoise Romaine - 1

La vision de l’enfer de Sainte Françoise
(ancien monastère des Oblates à Tor de’ Specchi – Rome)
A la mort de leur fondatrice, les Oblates voulurent que les principaux épisodes de la vie et de l’expérience mystique de Sainte Françoise fussent représentés dans leur oratoire : elles commandèrent donc des fresques au peintre Antoniazzo Romano, qui les acheva en 1468.
On y trouve évidemment la représentation de la vision de l’enfer et des descriptions données par Sainte Françoise.

       « [...] Le traité de l’enfer, avons-nous dit, est le plus remarquable des écrits qu’a dictés Sainte Françoise. En voici une idée :

Un jour que la servante de Dieu était très-souffrante, elle s’enferma dans sa cellule pour se livrer à l’exercice de la contemplation. Il était environ quatre heures de l’après-midi. Aussitôt elle fut ravie en extase et l’archange Raphaël, qu’elle ne vit pas alors, vint la prendre pour la conduire à la vision de l’enfer. Arrivée à la porte de ce royaume effroyable, elle lut ces paroles écrites en lettres de feu : « Ce lieu est le lieu de l’enfer, enfer sans espérance, enfer sans intervalle dans les tourments, enfer sans repos ». La porte s’ouvrit et Françoise regarda : elle vit un abîme si profond, si épouvantable, d’où s’échappaient des cris si affreux et des odeurs si insupportables, que depuis elle n’en pouvait parler sans que son sang se glaçât dans ses veines. L’enfer lui apparut divisé en trois régions, l’une supérieure, l’autre inférieure, l’autre intermédiaire. Les tourments étaient plus grave dans la région inférieure que dans les deux autres. Dans la région supérieure sont placés les Juifs qui, à leur opiniâtreté près, vécurent exempts de grands crimes ; ceux des chrétiens qui négligèrent la confession pendant la vie et en furent privés à la mort.

   Au plus profond de l’enfer sont les sodomites et tous ceux qui se sont livrés à des péchés contre nature ; les démons les transpercent avec des broches enflammées. Viennent ensuite les usuriers, qui sont étendus sur des tables d’airain rougi au feu ; les démons leur versent dans la bouche des seaux de métal liquéfié ; aux blasphémateurs, les ministres de la vengeance céleste tirent la langue avec des crocs ; aux traitres et aux hypocrites, ils arrachent sans cesse le cœur, que sans cesse ils remettent en place ; les homicides et les femmes qui font périr leur fruit dans leur sein sont promenés sans fin d’une cuve où il y a du sang en ébullition à une autre cuve où il y a de la glace ; les apostats sont sciés en deux ; les incestueux sont plongés dans des cuves pleines d’ordures puantes ; les enchanteurs, les sorciers, et ceux qui croient à leur art ridicule reçoivent des palets enflammés que les démons leur jettent à la figure. Puis viennent les peines des sept péchés capitaux ; enfin le supplice des voleurs, des enfants dénaturés, des religieux qui violent leurs vœux, des calomniateurs, des vierges folles, des veuves vicieuses, des femmes idolâtres de leur beauté. Nous regrettons de ne pouvoir donner tous ces détails, mais ceux que le sujet intéresserait peuvent lire les Bollandistes.

   Lors de la chute des mauvais anges, un tiers resta dans les airs, un autre tiers resta sur la terre, et le dernier tiers tomba jusque dans l’enfer. Cette différence provient de la différence de la faute commune.

   Lucifer est le monarque des enfers, mais monarque enchaîné et plus malheureux que tous les autres ; il a sous lui trois princes auxquels tous les esprits infernaux divisés en trois corps sont assujétis par la volonté de Dieu. Le premier de ces trois princes est Asmodée ; c’était dans le ciel un chérubin. Il préside aux péchés deshonnêtes. Le deuxième est Mammon ; c’était un trône. Il est le démon de l’argent. Le troisième est Béelzébuth ; il appartenait au chœur des dominations ; il est établi maintenant sur les crimes qu’enfante l’idolâtrie. Ces trois chefs, ainsi que Lucifer, ne sortent jamais de leur prison, seulement, lorsque Dieu le leur permet, ils députent sur la terre des légions de démons subordonnés.
Les démons subordonnés de l’enfer sont classés dans l’abîme suivant l’ordre hiérarchique : chérubins, séraphins, …etc. On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui habitent la terre et les airs, mais ils n’ont point de chef et vivent dans une espèce d’égalité. Ce sont eux qui font du mal aux hommes, et par ce moyen diminuent leur confiance en la Providence, et les font murmurer contre la volonté de Dieu. Les démons qui vivent sur la terre se concertent et s’aident mutuellement à perdre les âmes.
Le seul moyen d’échapper à ce complot infernal serait de se relever promptement de la première chute, et c’est précisément ce qu’on ne fait pas. Rien ne paralyse mieux les efforts des démons et ne leur cause de plus grands supplices que de prononcer le saint nom de Jésus. Lorsque les âmes vivent dans l’habitude du péché mortel, les démons s’installent dans leur cœur ; mais quand elles reçoivent l’absolution, ils délogent au plus vite et se placent à côté d’elle pour les tenter de nouveau ; mais leurs attaques sont moins vives, et plus on se confesse, plus ils perdent de leurs forces [...]. »

Vision de l'enfer Sainte Françoise Romaine - 2

Détail de la fresque de l’enfer à Tor de’ Specchi – Rome

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