2025-99. « La Justice et la Clémence », un tableau de Louis Lagrenée porteur d’un grande leçon morale et politique.
Cinquième dimanche après la Pentecôte.
En complément de la méditation proposée pour le cinquième dimanche après la Pentecôte (cf. > ici), je vous propose en sus de porter votre attention sur un tableau qui est intitulé « La Justice et la Clémence » que l’on doit au pinceau de Louis Lagrenée, dit « Lagrenée l’aîné » (1725-1805), élève de Carl Van Loo et représentant éminent de la peinture française du XVIIIème siècle.
Les leçons de la péricope évangélique chantée lors de la Sainte Messe de ce dimanche (Matth. V 20-24) sont en quelque manière illustrées par l’allégorie présentée ici.
Louis-Jean-François Lagrenée (1725-1805) : allégorie de la Justice et de la Clémence (1765)
[œuvre qui fut commandée pour être un dessus de porte
pour la galerie du château de Choisy, avec un pendant intitulé « La Bonté et la Générosité »:
les deux toiles se trouvent aujourd’hui au château de Fontainebleau]
Le style de Louis Lagrenée dans ce tableau allégorique « la Justice et la Clémence » combine l’élégance du rococo avec la gravité du néoclassicisme : les deux vertus y sont représentées par deux figures féminines, peintes avec une très grande délicatesse, et la composition, qui donne le sentiment d’assister à une scène somme toute naturelle et spontanée, n’en n’est pas moins très étudiée et impressionnante.
A gauche, la Justice, assise à terre, est vue de profil ; la position de sa jambe gauche laisse penser que le sol n’est pas plat, et qu’elle est donc légèrement en hauteur par rapport à la figure allégorique de la Clémence, qui se trouve légèrement en contrebas et qui, inclinée en avant, s’appuie sur elle.
La Justice et la Clémence portent toutes deux une robe blanche : ce sont des vertus. La couleur blanche sied aux vertus comme symbole de leur pureté. Toutes les vertus sont pures.
La Justice toutefois semble moins « pudique » que la Clémence, puisque sa poitrine est à moitié découverte. Un peu comme si elle allait allaiter.
Ce détail n’est pas anodin : la Justice est nourricière ; elle alimente du lait de ses principes purs la société des hommes, car, si la société n’est pas nourrie par la Justice, n’est pas alimentée par ses sains préceptes, elle tombe malade, va vers la mort et se décomposera inéluctablement.
La femme qui dégage son sein pour nourrir son enfant n’est en rien impudique ; elle est généreuse ; elle est glorifiée par ce don de sa propre substance ; son sein découvert manifeste la gloire de sa fécondité.
La robe blanche de la Clémence, elle, ne dévoile rien de son intimité parce qu’il est dans sa nature de ne se manifester qu’avec discrétion et pudeur.
La justice est enveloppée d’un manteau rouge, ou plutôt de couleur pourpre. On peut y voir un double symbolisme : la pourpre royale, parce que la Justice est souveraine, mais aussi la couleur du sang, parce que la justice a le devoir de faire couler le sang parfois.
Le manteau de la Clémence, lui, évoque la couleur de l’or parce qu’elle est royale sous un autre aspect : parce qu’elle procède de la Charité, la plus précieuse des vertus. L’étoffe bleue qui apparaît aussi dans sa vêture, évoque la couleur du ciel : la Clémence porte en elle-même quelque chose qui n’est plus de la terre mais qui dépasse les conceptions uniquement terrrestres pour amener ici-bas un rayon du ciel.
Regardez aussi les chevelures de ces deux vertus.
Celle de la Justice est déliée, laissée dans une apparence naturelle, presque indomptée, seulement retenue – mais sans véritable contrainte – par une sorte de bandeau de la même étoffe que son manteau, comme pour indiquer que rien ne doit s’opposer à la diffusion et au rayonnement de la justice, si ce n’est une forme de modération royale.
Les cheveux de la Clémence, au contraire, sont soigneusement, et même artistiquement tressés, réhaussés d’une parure de perles : ne peut-on y voir le signe que, si l’exercice de la Justice doit être sans entrave et naturel, celui de la Clémence, en revanche, doit être très étudié et proportionné, sagement agencé et présenté.
La Justice ne se dompte pas, tandis qu’il y a dans la Clémence un exercice en lequel une savante discipline contient et maîtrise la nature.
Les attributs de la Justice sont représentés dans le prolongement de son bras droit étendu : la balance pour estimer avec exactitude et peser avec précision les faits et les gestes, et le glaive du châtiment.
La Clémence, de son côté, arbore une branche d’olivier, symbole de paix, mais aussi d’onction et de douceur, puisque de son fruit on extrait l’huile.
La Clémence, qui est en quelque manière aux pieds de la Justice, semble s’élancer vers elle dans une forme de suplication, tandis que la Justice, de son bras gauche, entoure l’épaule de la Clémence et la rapproche d’elle avec humanité. Comment ne pas penser aux paroles du psaume LXXXIV : « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées : la justice et la paix se sont donné un baiser » (verset 11).
Les regards des deux vertus sont profondément plongés l’un dans l’autre, de manière quasi amoureuse, et on y lit un échange qui dépasse toute parole.
La justice, si elle tient toujours son glaive, le fait sans aucune raideur, et derrière la Clémence un petit enfant, couché sur le dos, maîtrise un lion rugissant qu’il assujetit avec un simple ruban de la même étoffe couleur de ciel qui se trouve dans la vêture de la Clémence.
Ce tableau de Louis Lagrenée, sous son apparence un peu précieuse, presque maniérée, est donc riche d’une très haute signification morale ; et lorsqu’on se souvient qu’il a été réalisé pour une demeure royale, on peut même dire qu’il porte une profonde signification politique, celle de rappeler au Souverain, jusque dans l’ornementation de ses palais, que la Justice et la Clémence – étroitement liées – sont deux vertus importantes de la monarchie française, de la monarchie capétienne traditionnelle.
Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.

Vous pouvez laisser une réponse.

Cher Frère, magnifique commentaire de ce beau tableau du XVIII°… et magnifique conclusion rappelant que « la justice et la clémence sont deux vertus importantes de la monarchie capétienne traditionnelle ».
J’ai transmis ce commentaire à un magistrat de ma famille qui m’a dit vouloir s’en inspirer.
BG.