2024-175. « Après avoir purifié votre cœur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu ! »
13ème dimanche après la Pentecôte ;
Lectures : épitre Gal. III, 16-22 ; Evangile Luc XVII, 11-19.
Voir aussi la méditation proposée pour ce dimanche (extraite de « Intimité divine ») > ici, ainsi que les explications de notre Bienheureux Père Saint Augustin dans les « Questions sur l’Evangile » > ici.
Carlo Cignani (1628-1719) : Saint Augustin
[musée national, Varsovie]
Sermon CLXXVI
de
notre Bienheureux Père Saint Augustin
sur
la grâce de Dieu
prêché le jour où l’on entendait l’Evangile de
la guérison des dix lépreux
ANALYSE. — Les trois saintes lectures que vous venez d’entendre se rapportent à la même vérité. Elles montrent 1° combien la grâce de Dieu est nécessaire à tous, même aux petits enfants ; 2° combien nous devons avoir confiance en elle, puisqu’elle sanctifie les plus grands pécheurs ; 3° enfin, avec quelle fidélité et quelle reconnaissance nous devons lui attribuer tout le bien qui peut se trouver en nous.
§ 1 – Introduction : Saint Augustin se propose de commenter les trois passages de la Sainte Ecriture que ses fidèles viennent d’entendre et dont il résume la teneur :
Ecoutez attentivement, mes frères, ce que le Seigneur daigne nous enseigner par ces divines lectures ; c’est de Lui que vient la vérité, recevez-la par mon ministère.
La première lecture (1 Tim. I, 15-16) est tirée de l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, dit-il, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. Mais j’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ Jésus montrât en moi toute Sa patience, pour servir de leçon à ceux qui doivent croire en Lui, en vue de la vie éternelle ». Voilà ce que nous a rappelé le texte de l’Apôtre.
Nous avons ensuite chanté un psaume (Ps. XCIV) pour nous exciter les uns les autres ; d’une même voix et d’un même cœur nous y disions : « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous et pleurons en présence du Dieu qui nous a créés » ; nous y disions encore : « Hâtons-nous d’accourir devant Lui pour célébrer Ses louanges, et chantons avec joie des cantiques à Sa gloire ».
Enfin l’Evangile (Luc XVII, 12-19) nous a montré dix lépreux guéris, et l’un d’eux – il était étranger – rendant grâces à son Libérateur.
Etudions ces trois textes, autant que nous le permet le temps dont nous pouvons disposer ; disons quelques mots sur chacun d’eux, évitant, avec la grâce de Dieu, de nous arrêter trop longuement sur l’un au détriment des autres.
§ 2 – Apprendre à rendre grâces – Les motifs de notre action de grâce :
L’Apôtre veut d’abord nous apprendre à rendre grâces.
Or, souvenez-vous que dans la dernière leçon, celle de l’Evangile, le Seigneur Jésus loue le lépreux guéri qui Le remercie, et blâme les ingrats qui conservent dans le cœur la lèpre qu’Il a effacée de leur corps.
Comment donc s’exprime l’Apôtre ? « Une vérité sûre et digne de toute confiance ». Quelle est cette vérité ? « C’est que Jésus-Christ est venu au monde ». Pourquoi ? « Pour sauver les pécheurs ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». Et toi, qu’es-tu ? « Dont je suis le premier ». C’eût été de l’ingratitude envers le Sauveur, de dire : Je ne suis, je n’ai jamais été pécheur. Car il n’est aucun des descendants mortels d’Adam, il n’est aucun homme absolument qui ne soit malade et qui n’ait besoin pour guérir de la grâce du Christ.
§ 3 – Saint Augustin ouvre ici une parenthèse : même les tout petits enfants qui n’ont pas commis de péché personnel ont besoin d’être guéris par le Christ Sauveur.
Que penser des petits enfants, si tous les descendants d’Adam sont malades ? Mais on les porte à l’Eglise ; ils ne peuvent y courir encore sur leurs propres pieds ; ils y courent sur les pieds d’autrui pour y chercher la guérison. L’Eglise notre mère leur prête en quelque sorte les pieds des autres pour marcher, le cœur d’autrui pour croire et, pour confesser la foi, la bouche d’autrui encore. Si la maladie qui les accable vient d’un péché qu’ils n’ont pas commis, n’est-il pas juste que la santé leur soit rendue par une profession de foi faite par d’autres en leur nom ?
Que nul donc ne vienne murmurer à vos oreilles des doctrines étrangères. Tel est l’enseignement auquel l’Eglise s’est toujours attachée, qu’elle a professé toujours ; l’enseignement qu’elle a puisé dans la foi des anciens et qu’elle conserve avec persévérance jusqu’à la fin des siècles.
Dès que le médecin n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui sont malades, l’enfant, s’il n’est pas malade, a-t-il donc besoin du Christ ? Pourquoi, s’il a la santé, ceux qui l’aiment le portent-ils au Médecin ? S’il était vrai qu’au moment où ils courent à Lui entre des bras dévoués, ils n’eussent aucune souillure originelle, pourquoi ne dirait-on pas dans l’Eglise même à ceux qui les présentent : Loin d’ici ces innocents ; ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de Médecin, mais ceux qui sont malades ; le Christ n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (cf. Matt. IX, 12, 13)?
Jamais pourtant l’Eglise n’a tenu ce langage ; elle ne le tiendra jamais. A chacun donc, mes frères, de dire ce qu’il peut en faveur de ces petits qui ne peuvent rien dire. Si l’on a soin de recommander aux évêques de veiller sur le patrimoine des orphelins ; avec combien plus de soin encore ne doit-on pas leur recommander de veiller sur la grâce des petits enfants ? Si pour empêcher les étrangers d’opprimer l’orphelin après la mort de ses parents, l’évêque s’en fait le tuteur, quels cris d’alarmes ne doit-on pas pousser en faveur des petits, lorsqu’on craint que leurs parents mêmes ne les mettent à mort ? Ne doit-on pas répéter avec l’Apôtre : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde » uniquement « pour sauver les pécheurs » ? Quiconque recourt au Christ a sans doute quelque infirmité à guérir ; pourquoi, si l’on n’a rien, courrait-on au Médecin ? Que les parents choisissent donc entre ces deux partis : avouer que le Christ guérit dans leurs enfants la maladie du péché, ou cesser de les lui offrir ; car ce serait conduire au Médecin celui qui est en pleine santé.
Que présentes-tu ? — Quelqu’un à baptiser. — Qui ? — Un enfant. — A qui le présentes-tu ? — Au Christ. — Au Christ qui est venu au monde ? — Oui. — Pourquoi y est-il venu ? — « Pour guérir les pécheurs ». — L’enfant que tu présentes a donc en lui quelque chose à guérir ? Si tu dis oui, cet aveu sert à dissiper son mal ; il le garde, si tu dis non.
§ 4 – Pourquoi Saint Paul a-t-il écrit qu’il est le premier des pécheurs ?
« Pour guérir les pécheurs, dont je suis le premier ». N’y avait-il point de pécheurs avant Paul ? Mais Adam fut sûrement le premier de tous ; la terre était couverte de pécheurs lorsqu’elle en fut purifiée par le déluge, et combien, depuis, se sont multipliés les pécheurs ! Comment dire alors : « Dont je suis le premier » ?
Il est le premier, non en date, mais en énormité. C’est l’énormité de son péché qui lui a fait dire qu’il était le premier des pécheurs. Ne dit-on point, par exemple, qu’un homme est le premier des avocats, pour exprimer, non pas qu’il plaide depuis plus longtemps que les autres, mais qu’il l’emporte sur eux ? Aussi bien, voici comment il dit ailleurs qu’il était le premier des pécheurs : « Je suis le dernier des Apôtres, je suis indigne du nom d’Apôtre, parce que j’ai persécuté l’Eglise de Dieu » (1 Cor. XV, 9). Aucun persécuteur ne fut plus ardent, ni, conséquemment, aucun pécheur plus coupable.
§ 5 – L’exemple de Saint Paul nous est donné pour que nous ne désespérions pas de la miséricorde du Seigneur, pour que nous soyons convaincus qu’Il peut nous guérir, Lui qui a guéri ce grand pécheur pour en faire Son apôtre.
« Cependant, poursuit-il, j’ai obtenu miséricorde ». Pour quel motif ? Il l’expose en ces termes : « Afin que le Christ Jésus montrât en moi toute Sa patience pour l’instruction de ceux qui croiront en Lui, en vue de la vie éternelle ». En d’autres termes : Le Christ voulait pardonner aux pécheurs qui se convertiraient à Lui, fussent-ils Ses ennemis ; or, Il m’a choisi, moi, Son plus ardent adversaire, afin que nul ne désespérât en me voyant guéri par Lui.
N’est-ce pas ce que font les médecins ? Arrivent-ils dans une contrée où ils sont inconnus ? ils choisissent d’abord, pour les guérir, des malades désespérés ; ils veulent ainsi exercer sur eux leur humanité et donner de leur habileté une haute idée ; ils veulent que dans cette contrée chacun puisse dire à son prochain malade : Adresse-toi à ce médecin, aie pleine confiance, il te guérira. Il me guérira ? reprend l’infirme, tu ne sais donc ce que je souffre ? Je connais tes souffrances, car j’en ai enduré de semblables.
— C’est ainsi que Paul dit à chaque malade, fût-il porté au désespoir : Celui qui m’a guéri m’envoie près de toi ; Il m’a dit Lui-même : Cours vers ce désespéré, raconte-lui ce que tu souffrais, de quoi et avec quelle promptitude je t’ai guéri. Je t’ai appelé du haut du ciel ; avec une première parole Je t’ai abattu et renversé ; avec une autre Je t’ai relevé et J’ai fait de toi un élu ; Je t’ai comblé de Mes dons et envoyé prêcher avec une troisième ; avec une quatrième enfin, Je t’ai sauvé et couronné (Act. IX). Va donc, dis aux malades, crie à ces désespérés : « Une vérité sûre et digne de toute confiance, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs ». Que craignez-vous ? Que redoutez-vous ? « Je suis le premier » de ces pécheurs.
Oui, moi qui vous parle, moi que vous voyez plein de santé, pendant que vous êtes malades ; debout, pendant que vous êtes renversés ; pénétré de confiance, pendant que vous vous abandonnez au désespoir : « Si j’ai obtenu miséricorde, c’est que le Christ Jésus voulait montrer en moi toute Sa patience ». Longtemps Il a souffert de mon mal, et c’est ainsi qu’Il m’en a délivré ; tendre Médecin, Il a patiemment supporté ma fureur, enduré mes coups, puis Il m’a accordé le bonheur de souffrir pour Lui. Vraiment « Il a montré en moi toute Sa patience pour l’édification de ceux qui croiront en Lui en vue de la vie éternelle ».
§ 6 – Exhortation à la confiance totale envers le divin Médecin.
Gardez-vous par conséquent de vous désespérer. Etes-vous malades ? Allez à Lui et vous serez guéris. Etes-vous aveugles ? Allez à Lui et vous serez éclairés. Avez-vous la santé ? Rendez-Lui grâces. Vous surtout qui souffrez, courez à Lui pour chercher votre guérison, et dites tous : « Venez, adorons-Le, prosternons-nous devant Lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a créés », qui nous a donné la vie et la santé. S’Il ne nous avait donné que l’existence, et que la santé fût notre œuvre, notre œuvre vaudrait mieux que la Sienne, puisque la santé l’emporte sur la simple existence. Oui donc, si Dieu t’a fait homme et que tu te sois fait bon, tu as fait mieux que Lui.
Ah ! ne t’élève pas au-dessus de Dieu, soumets-toi à Lui, adore-Le, abaisse-toi, bénis Celui qui t’a créé. Nul ne rend l’être, que Celui qui l’a donné ; nul ne refait, que Celui qui a fait. Aussi lit-on dans un autre psaume : « C’est Lui qui nous a faits, ce n’est pas nous » (Ps. XCIC, 3).
§ 7 – La grâce prévenante et toute puissante de Dieu, des dons duquel nous aurons à rendre compte.
Quand Il t’a créé, tu n’avais de ton côté rien à faire ; mais aujourd’hui que tu existes, il en est autrement : il te faut recourir à ce Médecin qui est partout, L’implorer. Et pourtant c’est Lui encore qui excite ton cœur à recourir à Lui, qui t’accorde la grâce de Le supplier. « Car c’est Dieu, est-il dit, qui produit en vous le vouloir et le faire, selon Sa bonne volonté » (Philip. II, 13). Il a fallu en effet, pour t’inspirer bonne volonté, que Sa grâce te prévînt. Crie donc : « Mon Dieu, Sa miséricorde me préviendra » (Ps. LVIII, 11). Oui, c’est Sa miséricorde qui t’a prévenu pour te donner l’être, pour te donner le sentiment, pour te donner l’intelligence, pour te donner la soumission ; elle t’a prévenu en toutes choses : préviens au moins, toi, Sa colère en quelque chose.
Comment ? reprends-tu. Comment ? En publiant que de Dieu te vient ce qu’il y a de bon en toi, et de toi ce qu’il y a de mal. Garde-toi de le mettre de côté pour t’exalter à la vue de ce que tu as de bien ; de t’excuser pour l’accuser à la vue de ce qui est mal en toi c’est le moyen de le bénir réellement.
Rappelle-toi aussi qu’après t’avoir comblé d’abord de tant d’avantages, Il doit venir à toi pour te demander compte de Ses dons et de tes iniquités ; déjà Il considère comment tu as usé de Ses grâces. Mais s’Il t’a prévenu de Ses dons, examine comment à ton tour tu préviendras Sa face quand Il arrivera. Ecoute le Psaume : « Prévenons Sa présence en Le bénissant ».
— « Prévenons Sa présence » : rendons-Le-nous propice avant qu’Il vienne ; apaisons-Le avant qu’Il Se montre. N’y a-t-il pas un prêtre qui puisse t’aider à apaiser ton Dieu ? Et ce prêtre n’est-Il pas en même temps Dieu avec Son Père et homme pour l’amour de toi ? C’est ainsi que tu chanteras avec allégresse des psaumes à Sa gloire, que tu préviendras Sa présence en Le bénissant.
Chante donc : préviens Sa présence par tes aveux, accuse-toi ; tressaille en chantant, loue-Le. Si tu as soin de t’accuser ainsi et de louer Celui qui t’a fait, Celui qui est mort pour toi viendra bientôt et te donnera la vie.
§ 8 – Exhortation finale : se préserver de la lèpre de l’âme et ne pas négliger l’action de grâces à Dieu duquel nous tenons tout.
Attachez-vous à cette doctrine, persévérez-y.
Que nul ne change, ne devienne lépreux ; car un enseignement qui varie, qui n’offre pas toujours le même aspect, est comme la lèpre de l’âme ; et c’est de cette lèpre que le Christ nous guérit.
Peut-être as-tu changé de quelque manière et, après y avoir regardé de plus près, adopté un sentiment meilleur : tu aurais dans ce cas rétabli l’harmonie. Mais ne t’attribue pas ce changement heureux ; ce serait te mettre au nombre des neuf lépreux qui n’ont pas rendu grâces. Un seul vint remercier. Les premiers étaient des juifs, et celui-ci était un étranger ; il représentait les gentils et donna au Christ comme la dîme qui Lui était due.
Il est donc bien vrai que nous sommes redevables au Christ de l’existence, de la vie, de l’intelligence ; si nous sommes hommes, si nous nous conduisons bien, si nous avons l’esprit droit, c’est à Lui encore que nous en sommes redevables. Nous n’avons, de nous, que le péché. Eh ! qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu ? (1 Cor. IV, 7).
O vous donc, vous surtout qui comprenez ce langage, après avoir purifié votre cœur de toute lèpre spirituelle, placez-le haut - sursum cor -, pour le guérir de toute infirmité, et rendez grâces à Dieu !
Melchior Doze (1827-1913) : le lépreux reconnaissant (vers 1863)
[musée de l'Oise, Beauvais]
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