2024-154. De Saint Jean Cassien, choisi par Dieu pour apporter en Occident l’illumination du monachisme oriental.
23 juillet,
Fête de Saint Jean Cassien, abbé et confesseur, Père de l’Eglise ;
Mémoire de Saint Apollinaire de Ravenne, évêque et martyr ;
Mémoire de Saint Liboire du Mans, évêque et confesseur.
Saint Jean Cassien
(icône russe, vers 1800)
Les moines byzantins l’appellent « notre père Cassien, choisi par Dieu pour apporter en Occident l’illumination du monachisme oriental ». Mais, malheureusement, aujourd’hui en Occident, en dehors des milieux monastiques sérieux, où ses écrits sont toujours étudiés et médités comme des textes de référence, et en dehors de Marseille, où son tombeau et ses reliques sont vénérés à l’abbaye Saint-Victor qu’il a fondée, Saint Jean Cassien n’est pas assez connu, prié et suivi.
Ce défaut de popularité de Saint Jean Cassien chez les Latins s’explique en partie par les polémiques et controverses sur la grâce qui, à la fin du IVème siècle et au Vème siècle, ont divisé – parfois de manière assez virulente – la Sainte Eglise et – hélas ! – contribué à creuser le fossé entre Rome et Constantinople.
En évoquant la figure de Saint Prosper d’Aquitaine (cf. > ici), nous avons évoqué ces luttes doctrinales, conséquentes aux erreurs répandues par le moine Pélage, que nous ne détaillerons pas davantage ici. Nous dirons seulement que certains disciples de Saint Augustin, tout comme certains disciples de Saint Jean Cassien - lequel, au chapitre XIII de ses conférences, mettait en garde contre certains excès de la doctrine augustinienne, ou plus exactement contre les durcissements de la doctrine du grand Docteur d’Hippone opérés par certains de ses disciples -, par leur manque de nuances et – souvent aussi – d’esprit surnaturel et de charité, n’ont pas toujours œuvré pour quelque chose de constructif ni pour l’apaisement, alors que, cependant, disciples de Saint Augustin et disciples de Saint Jean Cassien (et de Saint Vincent de Lérins) combattaient tous le pélagianisme !
C’est une tendance en effet de beaucoup de disciples, qui, malgré leur bonne volonté, n’ont pas les mêmes envergure, largeur et profondeur de pensée que celui dont ils se réclament, de bien souvent interpréter et diffuser sans les nuances nécessaires les enseignements du maître sur l’autorité duquel ils se fondent : en ce qui concerne ces controverses sur la grâce, cela se reproduira au XVIIème siècle avec les jansénistes qui prétendaient s’appuyer sur Saint Augustin, et sur d’autres sujets on le constate aussi chez certains thomistes dont la raideur et l’étroitesse d’esprit caricaturent, plus qu’ils ne les servent, les enseignements de l’Aquinate.
Châsse du chef de Saint Jean Cassien
(Marseille, abbatiale Saint-Victor)
Saint Jean Cassien, selon l’opinion la plus répandue parce que la plus vraisemblable, naquit vers 360, en Scythie, c’est-à-dire dans la région des bouches du Danube, dans l’actuelle province de Dobrodgea (Roumanie).
Certains toutefois le feraient naître en Provence et d’autres en Arménie.
Il était issu d’une famille chrétienne probablement assez aisée, parce qu’il a reçu une excellente éducation classique et parlait bien le grec et le latin.
Certains savants, remarquant que le nom de Kassianos (latin : Cassianus, et pour nous Cassien) se retrouve assez fréquemment dans l’épigraphie de la région des bouches du Danube, ont suggéré que c’était son nom de baptême, et qu’il y aurait ajouté plus tard celui de Jean, en référence à Saint Jean Chrysostome dont il fut un proche et fervent disciple.
Assoiffé de perfection, vers l’âge de 20 ans, accompagné de Germain, son ami d’enfance et compatriote (qui l’accompagna une grande partie de sa vie), il se rendit en Terre Sainte et entra dans un monastère à Bethléem.
Après avoir vécu la vie monastique palestinienne pendant plusieurs années, désireux de mieux connaître les traditions du monachisme primitif sur les lieux mêmes où il avait éclos et s’était développé, toujours accompagné de Germain, vers 390, il fut autorisé à aller visiter les Pères du Désert en Égypte.
Ils demeurèrent plusieurs années au désert de Scété, fondé par Saint Macaire, allant nu-pieds comme les moines du pays, pauvrement vêtus et vivant du travail de leurs mains. Ils y furent initiés à la vie contemplative et au combat ascétique contre les passions, et ils recueillirent tout l’enseignement de ces Pères du désert, au contact du saint Abbé Moïse, de Saint Paphnuce et d’autres pères renommés : Sérapion, Théonas et Isaac… etc.
Ces longues années d’ascèse et de contemplation furent des années de luttes spirituelles intenses : expérience personnelle précieuse et irremplaçable grâce à laquelle Saint Jean Cassien, divinement inspiré, a développé une doctrine du combat spirituel qu’il sera ensuite capable de synthétiser et de transmettre.
Quelques commentateurs de son œuvre affirment qu’il est le premier a avoir défini les huit passions principales : gourmandise, fornication, cupidité, colère, tristesse, acédie, vaine gloire et fierté.
Saint Jean Chrysostome fustigeant les scandales de la cour impériale devant l’impératrice Eudoxie
(tableau de Joseph Wencker, au musée Crozatier – le Puy-en-Velay)
Mais c’était aussi un temps où, dans l’Eglise d’Alexandrie, les luttes doctrinales autour de l’héritage d’Origène entrainèrent l’expulsion des moines qualifiés d’ « origénistes ».
Cassien, toujours accompagné de son ami Germain, dut quitter l’Egypte et, vers 399, ils vinrent à Constantinople et se placèrent sous la direction spirituelle du grand et saint archevêque Jean Chrysostome.
C’est par ce dernier que Jean Cassien fut ordonné diacre au service de l’Eglise constantinopolitaine (très probablement en 400) : il semblerait qu’il y fut commis à la garde du trésor de la cathédrale.
Fervent disciple et défenseur de Saint Jean Chrysostome, il dut fuir lorsque, en 403, le saint archevêque persécuté fut déposé par un concile impie, et exilé.
Cassien partit alors pour Rome où il alla plaider la cause de Saint Jean Chrysostome auprès du pape Innocent 1er (mais en vain, parce que ledit pontife n’avait pas vraiment de pouvoir sur les affaires de Constantinople, rendues très compliquées par les ingérences impériales).
A partir de ce moment, Saint Jean Cassien ne quittera plus l’Occident : c’était providentiel pour le christianisme occidental, puisque Saint Jean Cassien lui apporta les trésors de la spiritualité du désert.
Il reste à Rome pendant une dizaine d’années, protégé du pape Innocent 1er (+ 12 mars 417) : au cours de ce séjour, il devient ami – et même conseiller – du jeune Léon, futur Saint Léon 1er le Grand (mais qui n’était alors pas encore archidiacre de Rome). Pour certains historiens, c’est à Rome qu’il a été ordonné prêtre, tandis que pour d’autres ce sera seulement à Marseille.
Car, quittant Rome, Jean vint s’établir à Marseille, où, en 414 ou 415, encouragé par l’évêque du lieu, il fonda deux monastères :
- un pour les hommes, au-dessus des grottes où étaient conservées les reliques de Saint Lazare le ressuscité, fondateur de la Chrétienté massaliote, et de Saint Victor, martyr ;
- et un pour les femmes, sous le vocable du Saint-Sauveur.
Marseille, l’abbaye Saint-Victor au XVIIIème siècle
(cette gravure montre des bâtiments aujourd’hui détruits)
En ascète éprouvé et en père plein de sage discernement, Jean Cassien aménagea, pour ses nombreux moines (on rapporte qu’ils furent rapidement 5000 !) et moniales, l’authentique tradition qu’il avait reçue et expérimentée en Orient, tout en tenant compte des conditions propres à la Gaule, de son climat et du caractère de ses habitants.
C’est ce qui l’amena à rédiger plusieurs ouvrages dans un style clair et persuasif :
- « Les Institutions Cénobitiques », en douze livres : les quatre premiers décrivent la manière de vivre des moines d’Egypte, l’austérité de leur mise vestimentaire, de leur nourriture et de leurs exercices ascétiques ; mais Saint Jean Cassien en modère la rigueur pour l’adapter à la vie des moines gaulois, car les austérités extraordinaires des moines orientaux n’étaient pas praticables en Occident. Il traite dans les huit derniers livres des huit passions fondamentales, en indique les remèdes, et explique les vertus à leur opposer.
- « Les Conférences », dans lesquelles il expose, à l’intention des ermites qui vivaient en Provence, et notamment à Lérins, les étapes supérieures du combat pour la pureté du cœur et la contemplation.
Au siècle suivant, Saint Benoît reprendra et citera dans sa Règle les « Institutions », et stipulera que les « Conférences » soient lues dans tous ses monastères (Règle 42,3), et plus tard encore ses écrits constitueront la nourriture spirituelle, entre autres, d’un Saint Thomas d’Aquin et d’un Saint Ignace de Loyola.
Saint Jean Cassien a insisté sur l’origine apostolique de la vie monastique, fondée sur la pratique de l’Eglise telle qu’elle nous est présentée dans les Actes des Apôtres. Il affirme la supériorité théorique de la vie érémitique, mais préfère dissuader quiconque n’est pas convenablement formé pour l’entreprendre.
Sarcophage de Saint Jean Cassien
dans les cryptes de l’abbatiale Saint-Victor à Marseille
Il y a un troisième ouvrage important qui a été rédigé par Saint Jean Cassien, mais il ne traite pas de la vie monastique : c’est le « Traité de l’Incarnation contre Nestorius » (De incarnatione Domini contra Nestorium), ouvrage théologique qui lui a été commandé par l’archidiacre du pape Célestin 1er, Léon, futur pape Saint Léon 1er le Grand, qui, plus tard, se servira de ce traité pour écrire son « Tome à Flavien », qui fut applaudi au concile de Chalcédoine.
Ainsi donc, indirectement, à travers Saint Léon le Grand, c’est Saint Jean Cassien que les Pères du concile de Chalcédoine ont applaudi !
Saint Jean Cassien, dans ce ouvrage rigoureux a analysé toutes les idées de Nestorius, les a démontées l’une après l’autre de manière méthodique, en s’appuyant sur un « dossier patristique » où il a cité toute une série de Pères contemporains ou antérieurs, prouvant au passage sa large et solide culture théologique et patristique.
Saint Jean Cassien s’endormit dans la paix de son Seigneur en 435, selon la date la plus communément reçue, ou bien en 440 ou encore 458, selon d’autres historiens. On a des témoignages montrant que dès 470 il était honoré comme un saint, et ce qui subsiste de ses reliques se trouve principalement à l’abbaye Saint-Victor, ainsi que nous l’écrivions en commençant.
Le Martyrologe des Gaules le mentionne à la date du 23 juillet, tandis que l’Orthodoxie célèbre sa fête le 29 février.
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Moi non plus, je ne connaissais pas Saint Jean Cassien.
Je ne connaissais pas Saint Jean Cassien.