2024-121. Du Bienheureux Bonaventure de Padoue, premier Ermite de Saint Augustin à avoir été créé cardinal au temps du déclenchement du grand schisme d’Occident.

10 juin,
Fête du Bienheureux Bonaventure de Padoue ;
Mémoire de Sainte Marguerite de Wessex, reine d’Ecosse et veuve.

armes de la famille Badoer

Armes de la famille Badoer :
de gueules à trois bandes d’argent avec sur le tout un lion d’or

       Originaire de Hongrie, mais installée dans le nord de la péninsule italienne dès la fin de l’antiquité ou les débuts du Moyen-Age, la famille Badoer (se prononce Badoèr) est du nombre des douze familles patriciennes qui ont fondé l’organisation politique de Venise, en s’affranchissant de la tutelle byzantine à la fin du VIIème siècle (le premier duc, ou « doge », est élu en 697).

   Les Badoer ont donné sept doges à la Sérénissime entre 809 et 942 ; l’un des leurs a été nommé Patriarche de Venise au XVIIème siècle ; et nombre d’entre eux ont exercé de hautes charges dans l’administration, l’armée ou la diplomatie ; ils ont fondé plusieurs églises à Venise, ont possédé d’immenses richesses (on compte aujourd’hui cinq palais qu’ils ont habité dans la cité lacustre, et une villa construite par le fameux architecte Andrea Palladio dans la campagne vénète), contracté de nobles alliances, grâce auxquelles ils ont été seigneurs de nombreux fiefs en Vénétie ou en région padouane. C’est de l’une de ces branches, les Badoer de Peraga (Peraga était un fief sur le territoire de l’actuelle commune de Vigonza dans la province de Padoue) qu’est issu le Bienheureux sur lequel nous allons aujourd’hui porter notre attention : Bonaventure Badoer de Peraga, devenu en religion le Père Bonaventure de Padoue, l’une des gloires de l’Ordre des Ermites de Saint Augustin.

   Né à Padoue le 22 juin 1332, Bonaventure est, nous dit-on, entré jeune au couvent des Ermites de Saint Augustin, à Padoue (couvent placé sous le vocable des Saints Philippe et Jacques) : en fait on possède très peu de détails sur son enfance et son adolescence et nous ne savons pas exactement à quel âge il reçut le saint habit, ni à quelle date il fut ordonné prêtre.
Un de ses frères de sang, de cinq ans son cadet, Bonsembiante Badoer da Peraga (1327-1366), sera lui aussi religieux prêtre des Ermites de Saint Augustin.

Intérieur de l'église conventuelle Saint Philippe et Saint Jacques des Augustins à Padoue

Padoue, intérieur de l’église des Saints Philippe et Jacques,
église conventuelle des Ermites de Saint Augustin (dite « degli Eremitani »),
dans son état actuel

   Des documents conservés montrent qu’en 1358 – donc à l’âge de 36 ans -, son supérieur l’envoie étudier à la Sorbonne dont il est docteur en 1362 : il est à peu près certain qu’il y reste ensuite pour enseigner (environ deux ans). Son frère fut lui aussi diplômé en Sorbonne.
En juin 1364, il est cité dans une bulle du Bienheureux Urbain V comme l’un des neuf maîtres en théologie chargés d’établir un collège et de rédiger les statuts de la nouvelle faculté de théologie de l’Université de Bologne.
On ne sait pas combien de temps il resta à Bologne, mais divers documents nous montrent qu’en 1366, 1368, 1373, 1374 il se trouvait à Padoue.

   Les  deux frères Badoer de Peraga s’étaient liés d’amitié avec Pétrarque (Francesco Petrarca 1304-1374), comme en témoigne le poète dans sa quatorzième lettre, écrite le premier décembre 1366 après la mort de Bonsembiante : «(…) Rare amour des frères, égalité de taille, conformité de personnes, peu de différence pour l’âge, même statut, ordre, profession, génie ! Le même costume, les mêmes manières et les mêmes mœurs, la splendeur de la doctrine dans les deux, et la gloire du magistère dans les deux, en faisaient l’objet de louanges, d’amour, d’admiration de tous (…) »
A la mort de Pétrarque (+ 19 juillet 1374), c’est le Père Bonaventure qui fut choisi pour prononcer son oraison funèbre, à l’occasion de ses funérailles, en présence de nombreux prélats et universitaires.
 

   Autre preuve de sa renommée et de l’estime en laquelle il était tenu au plus haut de la hiérarchie ecclésiastique, non seulement en tant que prédicateur et professeur, mais aussi comme étant capable d’exercer des influences bénéfiques pour la Chrétienté, le 26 octobre 1375, par une bulle du pape Grégoire XI, le Père Bonaventure de Padoue est nommé légat pontifical auprès du roi Louis 1er de Hongrie : à la suite de la conquête de la Roumanie, de la Valachie, de la Bulgarie, de la Serbie et de la Thrace par le sultan Murad Ier, et parce que les appels de l’empereur Jean V Paléologue aux différents rois et princes chrétiens étaient restés sans résultat, le pape Grégoire XI, voulait pousser le roi Louis 1er à entrer en guerre contre l’infidèle.
Malheureusement, la légation du Père Bonaventure de Padoue ne reçut que des promesses qui ne furent suivies d’aucun effet.

   En 1377, les chapitre général de l’Ordre des Augustins fut convoqué à Vérone, réunissant des supérieurs de toute l’Europe : à l’unanimité, le 17 mai 1377,  ils élirent le Père Bonaventure de Padoue comme Prieur général.

tombe de Grégoire XI dans la basilique de Sainte-Françoise Romaine - Rome

Rome, basilique de Sainte Françoise-Romaine :
tombe du pape Grégoire XI

   En ce même mois de mai 1377, la situation du Saint-Siège commence à être à nouveau très compliquée.

   Grégoire XI, qui avait annoncé dès 1372 son intention de s’installer à Rome, a quitté Avignon à la mi-septembre 1376, pour débarquer dans la Ville éternelle le 17 janvier 1377. Mais les problèmes d’indiscipline (c’est un euphémisme) et d’insécurité qui désolaient Rome et les Etats pontificaux, et qui, près de soixante-dix ans plus tôt, avaient contraint Clément V à s’installer dans les terres pontificales de Provence, n’étaient absolument pas résolus.

   En ce mois de mai 1377 donc, Grégoire XI doit fuir Rome et se réfugier à Agnani.
Les mois qui suivent sont agités, riches en rebondissements : Grégoire XI revient à Rome en novembre, mais, se sentant menacé, il envisage de retourner en Avignon.
Une sorte de congrès européen se réunit alors dans une petite cité de Ligurie en présence des mandataires de Rome et de Florence, qui sont en conflit armé : il y a là des représentants de l’empereur, des rois de France, de Hongrie, d’Espagne et de Naples, qui cherchent à établir la paix.
C’est alors qu’on apprend que Grégoire XI est mort dans la nuit du 25 au 26 mars 1378.

   Ce pontife, qui avait d’abord été bénédictin à La Chaise-Dieu, avait souhaité y être inhumé, auprès de son oncle le pape Clément VI, mais la foule romaine s’oppose violemment au transfert de sa dépouille mortelle.
C’est le prélude aux incroyables violences physiques et psychologiques qui vont présider à l’élection de son successeur et au déclenchement du grand schisme d’Occident.

   Grégoire XI avait donné des ordres très précis en vue d’assurer la sérénité du conclave et la liberté de l’élection de son successeur : ils ne furent pas respectés. Pour la première fois de l’histoire, un conclave se tint dans l’antique basilique de Saint-Pierre au Vatican (Grégoire XI avait statué qu’il devrait se tenir hors de Rome dans un lieu à l’abri de toute violence).

   La tension était à son comble, l’agitation régnait partout, certaines demeures de cardinaux virent l’irruption de la populace déchaînée et furent pillées ; les églises elles-mêmes n’étaient plus des lieux sûrs pour les ecclésiastiques français qui appartenaient à la cour pontificale : l’éminent canoniste et évêque du Puy, Gilles de Bellemère, raconte qu’il dut quitter l’habit ecclésiastique pour circuler en ville tellement il craignait qu’on lui fît un mauvais sort !

   Le Sacré-Collège était composé de vingt-trois cardinaux mais seulement seize – en majorité français – se trouvaient à Rome lorsqu’on ferma les portes du conclave le 7 avril.
La foule assiégeait véritablement la basilique, criant et lançant des projectiles contre les fenêtres, en menaçant les éminentissimes de traitements fort peu amènes s’ils n’élisaient pas un pape romain ou au moins italien (« Romano lo volemo, o al manco Italiano !»).
Le lendemain, 8 avril 1378, fut élu Bartolomeo Prignano, évêque de Bari, qui n’était pas présent, n’étant pas cardinal, mais que les électeurs pensaient être un peu philo-français, puisqu’il avait résidé un temps de ce côté des Alpes.

Grandes chroniques de France de Charles V dispute de clercs

Grandes chroniques de France de Charles V : le schisme

   Dès que l’élection fut annoncée, et alors même que l’élu n’avait pas encore donné son consentement et que son nom n’était pas publié, les cardinaux n’eurent que le temps de s’enfuir tandis que la foule envahissait la basilique.

   C’est cette pression, qui avait nui gravement à la liberté de l’élection, ainsi que les irrégularités qui la suivirent, qui amenèrent rapidement quinze des seize cardinaux électeurs (le seizième étant mort) à dénoncer sa validité : à la mi-septembre 1378, Bartolomeo Prignano, qui avait pris le nom d’Urbain VI et qui s’était très rapidement révélé comme un caractériel, violent et jaloux, à l’autorité cassante – et dont le comportement dégénèrera bientôt en celui d’un tyran paranoïaque -, n’a plus aucun cardinal autour de lui. Ils ont tous fui.

   Le 31 octobre, à Fondi, ayant dénoncé l’élection d’Urbain VI comme entachée de nullité, les cardinaux élisent un nouveau pontife, Robert de Genève, qui prend le nom de Clément VII, et qui, Rome étant occupée, ira siéger en Avignon.

   La Chrétienté est divisée, les Ordres religieux sont divisés, les canonistes sont divisés, les princes et les souverains sont divisés…
Les saints eux-mêmes ne seront pas d’accord sur le pontife auquel il convient d’être uni pour rester catholique !

   Urbain VI, nous l’avons dit, n’avait plus de cardinaux : aussi le 18 septembre 1378 célébra-t-il un consistoire au cours duquel il créa vingt-quatre cardinaux, au nombre desquels nous trouvons le Prieur général des Ermites de Saint Augustin, le Père Bonaventure de Padoue, qui reçut le titre de Sainte-Cécile.

   Certaines sources affirment (mais des historiens le contestent) que, en 1387, le cardinal de Sainte-Cécile aurait été envoyé en Lituanie comme légat a latere, pour apporter la bénédiction pontificale au Grand Duc Ladislas II Jagellon, qui, en épousant, en 1386, la princesse Hedwige de Pologne, s’était converti au catholicisme.

chromolithographie XIXe siècle Ladislas II Jagellon et Hedwige de Pologne

Chromolithographie du XIXème siècle représentant le mariage
de Ladislas II Jagellon et Hedwige de Pologne en 1386

   C’est après son retour à Rome, qu’il meurt de mort violente, transpercé par une flèche sur le Pont Saint-Ange, selon la tradition.

   En réalité les circonstances de sa mort font encore débat auprès des historiens : la version la plus communément admise est que son assassinat aurait été perpétré par des hommes à la solde de Francesco I da Carrara, seigneur de Padoue, alors en guerre contre Venise au sujet de la succession du Patriarcat d’Aquilée.
Qu’avait-il avoir dans cette affaire ? Etait-il intervenu ? Ou bien est-ce lié au fait que, padouan de naissance, il appartenait à l’une des principales familles vénitiennes ?
Les anciennes mentions le disent mort pour la défense de la liberté de l’Eglise…
La date de sa mort ne fait pas non plus l’unanimité, toutefois la date du 10 juin 1389 semble la plus vraisemblable.

   Des témoignages nous montrent que, dès avant 1440, il était honoré comme bienheureux, à la date du 10 juin. Ce culte immémorial a été confirmé par le Saint-Siège apostolique en 1988, et le diocèse de Padoue a, depuis, placé sa fête au 5 novembre.

Le Bienheureux Bonaventure de Padoue né Badoer de Peraga cardinal de Sainte-Cécile

Le Bienheureux Bonaventure de Padoue, des Ermites de Saint Augustin,
cardinal du titre de Saint-Cécile

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 11 juin 2024 à 5 h 51 min Abbé Jean-Louis D. écrit:

    Merci, « Maître d’histoire », pour cet enseignement qui explique, à travers le témoignage de la vie du bienheureux Bonaventure de Padoue, le Grand Schisme d’Occident.

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