2024-57. Où, à l’occasion du deuxième anniversaire de Son Altesse Félinissime le Prince Tolbiac, on rappelle comment le chevalier de Mérancourt fut sauvé par les chats de Son Eminence le Cardinal-ministre.

Dimanche de Laetare 10 mars 2024,
Deuxième anniversaire de la naissance de Son Altesse Félinissime le Prince Tolbiac
(on peut revoir la chronique de son premier anniversaire > ici).

vignette Tolbiac et souris - blogue

       Mon papa-moine, à l’occasion de mon deuxième anniversaire, a voulu me parler d’un très important personnage de l’histoire de notre France, pour lequel il a une immense admiration : Armand-Jean du Plessis, cardinal-duc de Richelieu, principal ministre de Sa Majesté le Roi Louis XIII, très grand serviteur de la Couronne, et – à ce titre sans doute – détesté de beaucoup et fort injustement calomnié.

   Son Eminence aimait les chats et fut sans nul doute un précurseur en « félinophilie ». Je n’en fais pas un secret : je tiens pour absolument certain qu’un homme qui aime les chats ne saurait être un mauvais homme. Or le grand cardinal-ministre eut jusqu’à quatorze chats !!!

   Le cardinal de Richelieu passe pour avoir été l’un des premiers à la Cour, sinon le premier, à nous avoir donné autant d’importance. Sans doute avait-il compris combien nous pouvons être, par notre seule présence et nos exemples, de précieux auxiliaires d’une saine politique et gestion de l’Etat.
Il y avait certes un côté pragmatique à la chose : nous autres, chats, si efficaces dans la lutte contre les petits rongeurs, sommes comme les anges gardiens d’une bibliothèque, d’une garde-robe, d’une sacristie, et, bien sûr, des celliers et de vos réserves de nourriture ; sans compter que le judicieux artisan de l’entrée de la France dans la période moderne avait bien compris que nous serions de précieux auxiliaires de la marine royale : sans chats à bord, un navire est en grand danger, parce que les rats, outre les dégâts qu’ils peuvent commettre dans une cambuse, sont également friands du suif avec lequel on graissait les cordages, et qu’ils peuvent ronger le bois dont les vaisseaux étaient faits…

    Bref ! Pour m’inspirer un aussi grand amour que le sien pour le cardinal de Richelieu, mon papa-moine m’a lu une belle histoire, celle de la grâce qui fut accordée au chevalier de Mérancourt, magnifiquement rapportée par un écrivain bien oublié aujourd’hui, Monsieur Sonolet. Pour le cas où vous ne la connaîtriez point déjà, je vous la recopie ci-dessous.

pattes de chat Tolbiac.

Richelieu et ses chats - blogue

 Charles Édouard Delort (1841-1895) : la distraction de Richelieu (avant 1865)
[Detroit Institute of Arts]

       « Mistigri, veux-tu laisser Raton tranquille ? Et toi, Cyrus, je vais t’aider à déranger mes papiers. »
Après avoir consacré plusieurs heures aux affaires de l’Etat, le cardinal de Richelieu se délasse un instant en regardant jouer ses chats favoris. Dans le cabinet de travail aux boiseries sévères, ils sont là, quatre effrontés, qui se poursuivent, se roulent, bondissent sur les meubles, grimpent, sans le moindre respect, sur la table de travail.
C’est tout juste si Blanchette, la mère, a plus de réserve et de dignité. Mais on croirait vraiment qu’il coule du vif-argent sous le pelage soyeux et doux de ses trois petits : Raton, Mistigri et Cyrus. Que de sauts, de cabrioles, de folles gambades ! Et le plus remuant, le plus turbulent, le plus hardi de la bande, c’est ce Mistigri dont les yeux semblent des émeraudes toujours en mouvement et qui vous a des moustaches hérissées et insolentes comme celles d’un jeune mousquetaire.
Le cardinal de Richelieu raffole des chats. Il goûte un véritable plaisir à suivre leurs mouvements gracieux, leurs gestes câlins. A le voir sourire avec bonhomie devant les jeux de Blanchette et de ses petits, on aurait peine à  reconnaître le ministre puissante et redouté dont les terribles édits font trembler la France.

   Ah ! il n’est pas tendre, le grand cardinal. En ce moment, ce sont les duellistes qu’il poursuit tout spécialement de ses rigueurs. Il a prescrit que quiconque croiserait le fer serait immédiatement puni de mort. Déjà, le comte de Montmorency-Bouteville et plusieurs autres seigneurs des premières familles du royaume ont payé de leur tête leur désobéissance.
Justement, un laquais vient d’introduire dans le cabinet de travail le grand juge chargé de poursuivre les coupables : l’impitoyable Laubardemont.
« Quoi de nouveau, monsieur le grand juge ? » demande Richelieu.
- Eminence, répond Laubardemont, un jeune téméraire se permet encore de nous braver. On vient d’arrêter le chevalier de Mérancourt au moment où il provoquait un autre gentilhomme et où il voulait le forcer à se battre en plein Paris.
Le cardinal détourne ses yeux des débats capricieux de ses quatre chats. Sa figure longue et pâle prend une expression de dure et froide résolution.
« Eh bien, fait-il d’une voix sourde, le chevalier de Mérancourt mourra comme les autres. »
Impassible, Laubardemont continue :
« Sa fiancée a supplié qu’on l’introduise auprès de Votre Emincence. Elle veut se jeter à vos pieds et vous demander la grâce du coupable. Suivant vos instructions, je lui ai fait répondre que vous ne pouviez la recevoir.
- Vous avez bien fait, monsieur le grand juge. Quel âge a le chevalier de Mérancourt ?
- Vingt ans.
- Vingt ans ! Et à la veille de se marier. Quelle folie a donc poussé ce malheureux ? N’importe, il faut que la loi s’accomplisse.
Laubardemont tend au ministre un rouleau de parchemin d’où pend un large cachet rouge :

« Eminence, voici la sentence. Il n’y manque que votre signature.
Le cardinal a pris la feuille. Il a trempé sa plume dans l’encrier, mais, au moment de signer, on dirait qu’il se consulte, qu’il hésite. C’est qu’il se sent quelque trouble à envoyer à l’échafaud un enfant de vingt ans. Pour la première fois, peut-être, un éclair de pitié a pénétré dans cette âme de bronze.
« Monsieur le grand juge, dit-il à Laubardemont surpris, voulez-vous me laisser cette sentence ? Avant de signer, je veux réfléchir un peu au cas de ce jeune fou. Revenez dans une demi-heure. Je serai au Conseil du Roi, mais vous trouverez votre parchemin sur cette table. S’il porte ma signature, le chevalier de Mérancourt devra être exécuté dès demain, au petit jour. Dans le cas contraire, vous attendrez mes ordres. »

   Laubardemont s’est retiré. L’inflexible ministre demeure seul, pensif, au fond de son grand fauteuil. Mistigri ronronne sur ses genoux, tout en mordillant de ses petites dents pointues les boutons de son camail rouge. Blanchette fait tranquillement sa toilette sur le tapis et, fatigués de leurs exercices, Raton et Cyrus se sont pelotonnés l’un contre l’autre pour dormir.
Une demi-heure s’écoule. Le cardinal tortille toujours sa plume entre ses doigts maigres. Va-t-il signer ? Va-t-il faire grâce ? A la fin, c’est la raison politique qui l’emporte. D’une main ferme, il appose son nom au bas de la sentence. Puis, après avoir mis 
doucement Mistigri sur le fauteuil, l’allure calme et paisible, il se rend au Conseil du Roi.
Pauvre petit chevalier de Mérancourt !

   Oh ! Mistigri ne reste pas longtemps sur le fauteuil. Il semble plus vif, plus espiègle, plus fou que jamais. Ses petits yeux d’émeraude brillent avec l’air de dire :
« Maintenant que nous sommes seuls, il s’agit de nous en donner. »
A toute vitesse, il court donner l’assaut à Raton et à Cyrus qu’il réveille en sursaut. Puis il s’en prend spécialement au pacifique Raton. Il le charge, le roule, le culbute, lui mordille les oreilles. Fort peu disposé à cette gymnastique, Raton cherche partout un refuge.
Il saute sur le fauteuil, puis sur la table qu’encombrent les papiers du cardinal. Mais, d’un bond, l’acharné Mistigri y rejoint le fuyard. Fatalité ! Dans cet élan impétueux, il renverse l’encrier du cardinal. Et voilà qu’un flot d’encre se répand, noircissant les papiers, mouillant les pattes blanches de Mistigri qui s’arrête tout surpris, mais point du tout affecté de la catastrophe.

   Le lendemain, en arrivant à son cabinet de travail, le cardinal de Richelieu était de fort mauvaise humeur.
Ce n’était pas à cause de l’accident causé par Mistigri, car les laquais l’avaient réparé tant bien que mal, et le sévère ministre ne s’aperçut de rien tout d’abord. Mais il regrettait amèrement sa décision de la veille. Il venait  d’apprendre que le chevalier de Mérancourt était un jeune homme plein de vaillance qui avait déjà fait ses preuves sur le champ de bataille. Et puis il était si jeune !
« Ah ! murmurait-il en caressant Mistigri qui faisait le gros dos sur le bras du fauteuil, je n’aurais pas dû la donner si vite cette signature. Hélas ! pourquoi est-il trop tard ! »
A ce moment même, on annonça M. de Laubardemont.
« Eh bien, monsieur le grand juge, demanda le cardinal avec un accès de tristesse dans la voix, le chevalier de Mérancourt à dû mourir en brave ? »
Une expression de profonde stupéfaction se peignit sur les traits de Laubardemont :
« Mourir ? Mais, Eminence, à l’heure qu’il est le chevalier de Mérancourt est aussi vivant que vous et moi.
- Vivant ! Dieu soit loué ! Mais comment se peut-il ?
- Je me suis conformé aux ordres de Votre Eminence. Voyez vous-même. Il n’y a pas trace de signature sur la sentence. »
Ce disant, le grand juge présenta au cardinal la feuille de parchemin de la veille. Mais ce fut en vain que celui-ci y chercha sa signature. Impossible de la trouver. Elle avait disparu dans une large tache d’encre que
 couvrait tout un coin de la feuille et qui était due à la turbulence maladroite de ce polisson de Mistigri.

   Richelieu resta un moment sans mot dire, intrigué, pris de soupçon.
« Cette tache, se demandait-il, qui l’a faite ? »
Tandis qu’il s’interrogeait de la sorte, il sentit un poids inaccoutumé au bout de son grand cordon du Saint-Esprit. C’était l’irrespectueux Mistigri qui s’y cramponnait de toute la force de ses griffes, en faisant résonner le plus bruyant des ronrons.
Tout de suite, son maître remarqua en lui quelque chose d’anormal :
« Ah ! çà, où as-tu mis tes pattes, Mistigri ? »
Puis, après avoir examiné de plus près les petites pattes tachées de noir :
« Mais c’est de l’encre, ma parole. Ah ! je comprends tout maintenant. »
Sa longue main blanche se plongea, caressante, dans la fourrure soyeuse du petit chat et, d’une voix émue, il murmura :
« Ah ! Mistigri, Mistigri, si tu savais la joie que tu me causes ! »
Se tournant alors vers Laubardemont :
« Monsieur le grand juge, nous nous contenterons d’envoyer quelque temps ce petit Mérancourt dans ses terres. Il pourra s’y marier tout à son aise et y méditer aussi sur les inconvénients qu’il y a à mettre flamberge au vent. »
Il chercha encore sous sa main le poil douillet et fin de Mistigri. Mais déjà celui-ci avait entamé une grande partie autour de la chambre avec Blanchette, Raton et Cyrus. Le cardinal les suivit un instant d’un regard affectueux, puis il conclut avec un bon sourire :
« Et voilà comment un tout petit chat peut sauver la vie d’un gentilhomme. Ah ! monsieur le grand juge, ceci nous prouve que la Providence se sert parfois des plus petits pour apprendre aux grands la clémence. »

Louis Sonolet (1872-1928)

Prédiction d'une grande carrière ecclésiastique

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3 Commentaires Commenter.

  1. le 11 mars 2024 à 18 h 38 min Thizy écrit:

    Merci pour cette belle histoire.
    A lire !

  2. le 10 mars 2024 à 11 h 09 min SB écrit:

    Merci pour ce splendide récit .
    Il n’y a pas de doute, les petits êtres félins sont souvent aimés par des Grands hommes : Donc, le cardinal de Richelieu, mais aussi le Très Saint Père Benoît XVI, et aussi un moine augustinien dans le Vivarais, qui soutient fermement des fidèles de la Sainte Eglise Catholique et les maintient tout aussi fermement dans la sainte doctrine…

    … et j’oubliais de présenter mes vœux de Bel Anniversaire à son Altesse le Prince Tolbiac !!!
    En ce dimanche de Laetare, nul doute que son cher Papa moine lui aura préparé une savoureuse douceur.

    Quant à nous qui ne fêtons pas notre anniversaire, la collecte de la messe de ce jour (10-03-2024 IVème D. de Carême) est d’ une grande actualité : nous avons effectivement un grand besoin du réconfort de la Grâce de Dieu-Tout-Puissant .

  3. le 10 mars 2024 à 6 h 26 min Abbé Jean-Louis D. écrit:

    Merveilleuse histoire qui nous montre l’intervention de la Providence à travers les événements de la vie, et l’ouverture du cœur de ce grand Cardinal.

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