2024-46. La légende de la consécration miraculeuse de la Basilique royale de Saint-Denis par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
24 février,
Fête de Saint Mathias, apôtre ;
Anniversaire de la dédicace de la Basilique royale de Saint-Denis.
Le martyre de Saint Denis et de ses compagnons
(manuscrit de la vie de Saint Denis – XIIIe siècle)
A la date du 24 février, Monseigneur Paul Guérin, dans « Les Petits Bollandistes », après avoir cité le martyrologe romain, mentionne cet ajout du martyrologe des Eglises des Gaules :
« A Saint-Denis, en France, la dédicace miraculeuse de l’église abbatiale, faite par Notre-Seigneur Jésus-Christ, prêtre éternel ».
Bien évidemment, cette consécration miraculeuse est aujourd’hui qualifiée de légendaire, au sens de « fantaisiste » et de « sans aucune consistance historique », alors que, vous ne l’ignorez pas, je pense, le mot latin « legenda », d’où vient notre mot français légende, signifie originellement : « choses qui doivent être lues » (sous entendu, parce que cela est authentique).
« Legenda » servait, entre autres, à indiquer au clerc chargé de lire (dans les chapitres canoniaux ou monastères) le commencement des textes résumant la vie des saints pendant l’office divin le jour de leur fête, ou bien les récits plus étendus – lus par exemple au réfectoire – de ces vies où très souvent abondent les miracles, apparitions et autres événements prodigieux accomplis par Dieu, la Très Sainte Vierge, les Anges ou les Saints eux-mêmes.
Or ce sont justement, et a priori, tous les faits miraculeux qui paraissent irrecevables aux incrédules, mécréants, rationalistes et ennemis de la foi de tout poil, pour lesquels tout ce qui n’est pas strictement conforme aux lois de la nature, et à leur scientisme d’esprit positiviste, n’existe pas, ne peut pas exister, et ne peut donc être que le fruit de l’affabulation, du mensonge, de la supercherie ou de l’illusion.
La conséquence en est qu’ils éliminent tout le surnaturel, ou qu’ils n’en parlent que pour s’en moquer (prétextant la naïve crédulité des fidèles et son exploitation par l’Eglise, dont il est évident pour eux qu’elle ne cherchait qu’à asservir les « masses populaires »).
Puis des clercs, influencés par l’esprit du monde, finissent eux-mêmes par en douter, par s’en gausser, ou par envoyer ces récits aux oubliettes.
Ce faisant, ils n’ont même pas l’honnêteté de faire remarquer que ces « légendes » (au sens étymologique) expliquent pourquoi les foules se pressaient en tel endroit, pourquoi les pèlerins y accourraient – parfois de fort loin -, pourquoi la ferveur des fidèles s’y était attachée plus qu’à d’autres lieux.
Sans compter le fait qu’en persiflant ou taisant les dites « légendes », on perd les clefs de lecture et de compréhension d’un grand nombre de détails architecturaux ou artistiques, et même d’événements tout ce qu’il y a de plus historiques, qui n’ont existé que parce que la « légende » était fermement crue, entraînant par exemple des développements de monastères ou d’abbayes, et dans leur rayonnement des croissances économique ou des influences politiques… etc.
Mais je ne veux pas m’éterniser en vains débats sur la réalité historique de ce qui suit : vains parce que, à mes yeux, il bien préférable d’y adhérer avec Saint Fulrad (cf. > ici) ou l’abbé Suger, avec des siècles de foi et des générations de croyants, avec nos Princes et nos Rois qui ont choisi de reposer ici, plutôt que de jouer au « chrétien rationnel » et me trouver en communion d’impiété avec les ennemis du Christ et de l’Eglise.
De toute façon, quoi qu’il en soit de l’authenticité historique factuelle, la réalité spirituelle, elle, est absolument véridique, et elle n’est pas moins historique.
Le Roi Dagobert 1er visitant le chantier de l’abbatiale de Saint-Denis
(miniature des Grandes Chroniques de France – 1471 – Bibliothèque nationale de France)
Bref ! Dans l’état actuel de nos connaissances, nous avons la certitude, documentée, que, au IXème siècle, la dédicace de l’abbatiale de Saint-Denis était célébrée à cette date du 24 février. Les documents écrits actuellement connus (car il ne faut jamais oublier que beaucoup ont disparu) parlant de la consécration de la basilique nécropole royale par Notre-Seigneur Lui-même sont plus tardifs : cela signifie-t-il que cette histoire a été inventée de toutes pièces tardivement ? En toute honnêteté et rigueur, rien n’autorise à l’affirmer.
Le célèbre Roi Dagobert 1er, dont le règne ne se résume pas à une chanson enfantine apparue à la veille de la grande révolution dans un esprit parodique antimonarchique et anticlérical, fit édifier une église abbatiale à la place du lieu de dévotion envers le premier évêque de Paris originellement voulu par Sainte Geneviève.
Les travaux débutèrent autour de l’année 632 et se seraient achevés en 635, raison pour laquelle la consécration de l’abbatiale fut fixée au jour de la fête de Saint Mathias, le 24 février 636.
La « légende » (au sens étymologique) fut insérée, par ordre de Suger, en 1233, dans les Vita et actus beati Dyonisii, version officielle en latin de ce qu’il fallait croire au sujet de Saint Denis et de sa basilique.
Elle explique que, pendant la nuit qui précéda la dédicace solennelle de la nouvelle église, Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même descendit dans la basilique, accompagné par les saints apôtres Pierre et Paul, par les saints Denis, Rustique et Eleuthère, ainsi que par une multitude d’anges, et qu’Il accomplit Lui-même tous les rites de la consécration.
La foule avait été expulsée de l’église la veille au soir (il ne faut pas oublier qu’au Moyen-Age on ne fermait habituellement pas les églises la nuit et que, en de nombreux lieux de pèlerinage, les fidèles dormaient dans l’église : mais, en l’occurrence, les préparatifs de la cérémonie ne pouvaient le permettre). Toutefois un pauvre lépreux, qui craignait de ne pas être admis dans l’église le lendemain, s’était caché dans un recoin sombre : c’est ainsi qu’il fut témoin de cette dédicace nocturne miraculeuse.
Cet homme pauvre et méprisé du fait de sa terrible maladie contempla avec émerveillement les lumières célestes qui illuminèrent la basilique, les ornements pontificaux dont Notre-Seigneur était revêtu, les aspersions et les onctions avec une huile céleste… etc.
Bien sûr, Notre-Seigneur connaissait la présence du pauvre lépreux dans l’église et, s’approchant de lui, Il lui enjoignit d’aller trouver le Roi et les évêques pour les avertir en Son nom qu’il n’était plus nécessaire de procéder à la dédicace de l’église, puisque Lui-même s’en était acquitté.
Le lépreux, saisi de crainte, voulut échapper à cette mission en arguant de sa maladie et de la « vilité » de sa personne. Mais alors le divin Sauveur S’approcha de lui et « prenant ce pauvre infecté par le haut de la tête, lui osta toute ceste peau couverte de lèpre, et la jeta contre la paroy, où elle demeura miraculeusement attachée, représentant le visage et face d’où elle était tirée, le malade demeurant sain et net, et sa peau aussi belle et nette que celle d’un jeune jouvenceau ».
Au matin, celui qui avait été lépreux demanda à être conduit au Roi, car il avait un secret à lui communiquer. D’abord incrédule, Dagobert fut convaincu que le pauvre homme disait vrai à la vue du masque de lèpre ; il interdit donc aux évêques de procéder à une dédicace devenue inutile.
Cette date de la première consécration de l’abbatiale était si importante que, lorsque Saint Fulrad (cf. > ici), dans la seconde moitié du VIIIème siècle, fit reconstruire, plus grande et plus somptueuse l’abbatiale de Saint-Denis, il tint à garder dans le nouvel édifice, certains des murs de l’église précédente, et qu’il voulut que sa dédicace fut célébrée à la même date : le 24 février. C’est donc le 24 février 775, et semble-t-il en présence de Saint Charlemagne, que fut célébrée cette seconde consécration de la basilique reconstruite et considérablement agrandie.
Aux siècles suivants, dans l’ignorance du nom du lépreux, les gens l’appelèrent en latin Peregrinus, c’est-à-dire « l’Étranger », et, à cause du miracle dont il avait bénéficié, la voix populaire le canonisa, faisant de lui Saint Pérégrin.
Cette magnifique « légende » porte en elle-même bien plus qu’un caractère anecdotique : elle marque une fois de plus, et de manière forte, les liens surnaturels extraordinaires et uniques qui unissent la Monarchie franque au catholicisme, et, au-delà de l’Eglise visible de la terre, à l’Ordre divin lui-même.
Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur
Le Christ en majesté
(miniature des Grandes heures de Charles d’Angoulême – fin XVe siècle – Bibliothèque nationale de France)
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Quelle belle légende !