2023-172. De la poésie de cour à l’hymnographie sacrée la plus sublime : Saint Venance Fortunat.
14 décembre,
Fête de Saint Venance Fortunat, hymnographe, évêque et confesseur ;
Mémoire du 7ème jour dans l’Octave de l’Immaculée Conception ;
Mémoire de la férie de l’Avent ;
Anniversaire de la mort de Sœur Marie de la Croix, née Mélanie Calvat (cf. > ici).
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Bien que je passe toujours la plus grande partie de mes journées dehors, celles-ci sont néanmoins plus courtes… et aussi plus froides : la neige et la glace ne sont pas très agréables pour mes coussinets princiers, dont je dois prendre grand soin, en particulier parce que, par ailleurs, je m’exerce aux arts de la calligraphie et de l’enluminure, comme on les pratiquait dans les ateliers monastiques du beau Moyen-Age.
Ce sont des disciplines passionnantes, que je vous recommande, parce qu’en sus de l’apprentissage d’un savoir-faire et de la production d’œuvres qui ne sont finalement pas si déshonnêtes parfois, elles contribuent à l’acquisition d’une grande maîtrise de ses gestes et, bien plus encore, elles sont très spécialement propices à la méditation et à la contemplation intérieure.
En outre, ces quelques lignes introductives, vous l’allez voir, s’accordent parfaitement avec la suite de mon propos puisque je désire vous parler d’un grand saint de France du VIème siècle, remarquable pour sa culture classique et la beauté de ses textes, lié aussi au développement monastique auquel on assista sous les règnes des Princes Mérovingiens ; et vous savez que les monastères devinrent des foyers de transmission et de développement de la culture, grâce tout spécialement à leurs ateliers d’écriture et à leurs bibliothèques.
Je vous ai écrit « un grand saint de France du VIème siècle », quoique, à la vérité, il ne naquit ni d’une ancienne famille gallo-romaine ni d’une famille franque, ni non plus sur le territoire de ce qui était en train de devenir le saint royaume de France ; mais cet « italien » (qu’on me pardonne cet horrible anachronisme), va acquérir toute sa plénitude humaine et spirituelle en venant dans ce qu’il convenait encore pour un peu de temps d’appeler « les Gaules » et en devenir l’un des évêques les plus représentatifs de cette époque sur l’un des sièges épiscopaux les plus prestigieux, celui de Poitiers, et, pour ceux qui pratiquent la liturgie latine traditionnelle, son œuvre demeure vivante et source de vie spirituelle : je veux parler de Saint Venance Fortunat.
Né en 530 à Duplavilis (actuelle Valdobbiadene) près de Trévise, en Vénétie, Venantius Honorius Clementianus Fortunatus, était issu d’une famille latine et chrétienne, disposant vraisemblablement d’un statut relativement aisé puisque le jeune homme alla étudier à Ravenne, alors capitale de l’Italie byzantine.
Quelles études ? La grammaire, le droit, l’éloquence et surtout la rhétorique et la poésie, qui devinrent ses domaines d’excellence et lui firent une très belle place parmi ses contemporains.
Il approchait de la trentaine lorsqu’il fut atteint par une maladie des yeux qui fit craindre à tous qu’il ne perdît totalement la vue.
Venance se recommanda avec ferveur au Ciel, très spécialement à l’intercession du grand « apôtre des Gaules » et thaumaturge : Saint Martin de Tours, auquel une dévotion plus personnelle l’attachait.
Dans une église où il priait devant l’autel du saint évêque, pris par un mouvement surnaturel de confiance en remarquant la lampe qui brûlait devant l’image sainte, il y préleva de l’huile et s’en frotta les yeux. Il fut guérit !
Cette grâce signalée ne pouvait qu’accroître la dévotion qu’il portait à Saint Martin, et il décida que, dès que cela lui serait possible, il se rendrait en pèlerinage d’action de grâces à son tombeau.
Il est très vraisemblable de penser que le départ de Venance Fortunat d’Italie se produisit en 565 (trois ans avant l’invasion des Lombards, qui advint en 568) : il était donc alors âgé de 35 ans.
Certains auteurs modernes ont prétendu qu’il avait déjà reçu les Ordres sacrés, mais cette affirmation est des plus fantaisistes et ne s’accorde point avec la tradition.
Ayant fait ses adieux à sa famille, notre pèlerin prit la route du nord.
Mais pas la plus courte : au lieu de se diriger vers la Provence, il décida de passer par la Norique et la Rhétie (c’est-à-dire l’Autriche et le Tyrol actuels), puis de traverser la Bavière et, en franchissant le Rhin, de gagner enfin cette Gaule qui est en train de devenir la Francia.
Au printemps 566, il vient d’arriver à Metz où la ville célèbre le mariage de son Roi : Sigebert 1er, petit-fils de Clovis, souverain d’Austrasie, qui convolait avec une princesse wisigothe d’Espagne qui fera parler d’elle : Brunehaut.
Les jeunes mariés s’entichent du poète qu’ils retiennent à la cour, où il est adulé par la haute société franque. Quand on compare Brunehaut à Vénus et Sigebert à Achille, cela ne reste pas sans contrepartie, pourrait-on dire avec un brin de causticité, puisque notre poète se retrouve merveilleusement à l’abri de tous besoins, et que la faveur des souverains lui servira à l’avenir de recommandation appréciable…
Bref ! Au printemps 568, Venance Fortunat se trouve encore à Metz, quand il semble prendre conscience que Saint Martin n’avait pas mis autant de temps pour le guérir qu’il n’en met pour l’aller remercier.
Sigebert consent donc à le laisser poursuivre son pèlerinage, en lui attribuant un officier qui devait pourvoir à ses besoins et à sa sécurité.
A Tours, Venance se lia d’amitié avec l’évêque : Saint Euphrône (+ 4 août 573), qu’il considèrera désormais comme un père spirituel.
Tout comme le Roi Sigebert 1er, qui avait pour elle une très haute estime et une grande vénération (elle avait été l’une des épouses de son père Clotaire 1er) et qui lui avait remis une lettre de recommandation pour Sainte Radegonde, Saint Euphrône, lui aussi, engagea le pèlerin à se rendre à Poitiers, qui n’était qu’à une trentaine de lieues.
En ce début d’été 568, Venance Fortunat a appris avec consternation l’invasion des Lombards en Italie : tout y est à feu et à sang.
Il sait désormais qu’il ne reverra ni sa patrie ni sa famille…
En revanche, il vient de se découvrir une nouvelle patrie : le Poitou ; et une nouvelle famille : l’abbaye Sainte-Croix (en rigueur elle ne s’appelle pas encore ainsi lors de leur rencontre), fondée par la sainte Reine et moniale Radegonde.
« Depuis plus de dix ans elle vivait dans son monastère de Sainte-Croix d’où le parfum de ses vertus, la renommée de son savoir, la délicatesse de son esprit attiraient vers elle les regards du monde » (Mgr. Paul Guérin, in « Les Petits Bollandistes » tome XIV p.297). Tout de suite, Venance l’admira. « De son côté, la grande Sainte découvrit dans Fortunat l’alliance si rare d’une piété éclairée qui allait à la sienne, et d’un génie élevé qui ne lui plaisait pas moins. Une douce et pieuse sympathie lia donc bientôt ces deux âmes que le ciel destinait à ne plus être séparées que par la mort » (ibid.).
Cédant aux instances de la sainte Reine, et de l’abbesse Agnès, Venance Fortunat, sans qu’il eût à se faire trop de violence, s’établit à Poitiers.
Ses compétences en droit et son éloquence furent une aide précieuse aux moniales pour défendre leurs droits en plus d’une occurrence. Mais surtout, progressant dans les sciences théologique et scripturaire, grâce aux précieux manuscrits qui étaient recopiés à l’abbaye, et profitant de l’émulation spirituelle qui lui était en quelque sorte imposée par l’amitié de Radegonde, le poète mondain devint un homme de haute spiritualité.
En 576, âgé de 46 ans, il fut admis dans le clergé du diocèse de Poitiers et ordonné prêtre.
Tout naturellement il fut nommé aumônier de l’abbaye.
Un événement, survenu en 569, avait déjà contribué à mettre en lumière, en effet, que, dans l’aura de Sainte Radegonde, le poète de cour était devenu un chantre inspiré des plus hautes réalités sacrées : ce fut la susception (mot spécifique au langage liturgique pour signifier la réception) à Poitiers d’une relique du bois de la Croix que, grâce à l’appui de Sigebert 1er et de plusieurs influents prélats des Eglises des Gaules, Sainte Radegonde obtint de l’Empereur d’Orient Justin II.
Les hymnes composées par Venance Fortunat pour les processions d’arrivée de la très précieuse relique dans la ville, portée par Saint Euphrône de Tours, et leur réception à l’abbaye fondée par Radegonde (c’est alors qu’elle prend le vocable de la Sainte Croix) sont du nombre des plus sublimes de tout l’hymnaire de la liturgie latine, qui, depuis lors, les a insérées dans ses offices les plus dramatiquement importants de l’année : matines, laudes et vêpres de la Semaine Sainte, ainsi qu’à la Messe des Présanctifiés du Vendredi Saint.
Tous les plus grands noms du clergé des Gaules avait applaudi avec une intense émotion spirituelle à la découverte des hymnes religieuses du poète : Saint Euphrône de Tours, bien sûr, ainsi que son futur successeur, Saint Grégoire, mais aussi Saint Germain de Paris, Saint Félix de Nantes, Saint Avit de Clermont et beaucoup d’autres…
Sainte Radegonde rendit son âme à Dieu le 13 août 587, âgée d’environ 67 ans.
Ce fut Saint Grégoire de Tours qui vint célébrer ses funérailles : il avait succédé à Saint Euphrône en 573, et il était lui aussi devenu un ami proche de Venance Fortunat, en même temps qu’un lecteur admiratif de ses œuvres.
En 597, alors qu’il est dans sa soixante-huitième année, Venance est élu, à la quasi unanimité, pour succéder à l’évêque de Poitiers qui vient de décéder : « Dès ce moment, il s’appliqua avec le zèle et l’activité de la jeunesse aux grands devoirs d’un pasteur accompli » (Mgr. Paul Guérin, in « Les Petits Bollandistes » tome XIX p. 299).
C’est dans cette partie de sa vie qu’il rédigea « une explication du Symbole et celle du Pater en forme d’homélies au peuple qu’il devait nourrir de la Parole de Dieu. Ces ouvrages nous sont restés et témoignent avec beaucoup d’autres, que cette belle imagination qui avait si souvent et sur tant de sujets inspiré son langage poétique, n’en était pas moins empreinte des grandes et solennelles pensées qui rendent les choses de la foi sous des traits capables de la faire aimer » (ibid.).
Saint Venance Fortunat, outre ses compositions poétiques, profanes ou religieuses, a également été un hagiographe : il a rédigé les vies en prose de Saint Germain de Paris, Saint Médard de Noyon, Saint Remi de Reims, Saint Aubin d’Angers, Saint Marcel, et, bien évidemment, de Sainte Radegonde.
Les historiens ne s’accordent pas sur l’année de sa mort : certains le font mourir en l’an 600 (70 ans), et d’autres en 601 (71 ans), mais aujourd’hui, dans l’état actuel de nos connaissances, le plus grand nombre des historiens incline plutôt pour l’année 609 (79 ans).
En revanche, semblable hésitation n’existe pas pour ce qui concerne le jour, parce que le diocèse de Poitiers a toujours célébré sa fête à la date du 14 décembre, qui semble bien être celle de son trépas – son dies natalis : jour de naissance (sous entendu dans la vie éternelle) – puisqu’on ne fait par ailleurs aucune mention de translation solennelle (le jour des translations devenant assez fréquemment un jour de fête liturgique).
Il fut inhumé dans l’abside de la basilique de Saint-Hilaire.
J’ignore, mes chers Amis, si vous connaissiez déjà la vie de Saint Venance Fortunat, mais je souhaiterais qu’elle soit pour vous une source d’émerveillement et de joie spirituelle, autant qu’elle le fut pour moi lorsque je l’ai découverte. J’ai eu grand plaisir à l’enluminer de mes modestes compositions, et, si je vous laisse maintenant, c’est parce que je veux aller rechercher, pour la pouvoir chanter dans une dizaine de jours, l’hymne qu’il composa en l’honneur de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ…

Vous pouvez laisser une réponse.
Je ne connaissais pas Saint Venance Fortunat.
Je ne connaissais Saint Fortunat que par des lectures où son nom apparaissait, mais point sa vie elle-même. Je suis très heureux de la découvrir en ce blog.
Merci, cher frère.