2023-120. De Sainte Enimie, Fille de France, vierge et abbesse.
5 octobre,
Fête de Sainte Enimie, Fille de France, vierge et abbesse ;
Mémoire de Saint Apollinaire de Valence, évêque et confesseur ;
Mémoire de Saint Placide, abbé, et de ses compagnons, martyrs ;
Anniversaire de l’assassinat du comte François-Dominique de La Motte (cf. > ici).
Fille de Clotaire II (né en 584, roi de Neustrie de 584 à 613, puis de la totalité du royaume Franc de 613 à 629), Enimie - dans les textes latins médiévaux on la nommera Enimia - (parfois orthographiée Enémie ou encore Ermie), était donc arrière-arrière-petite-fille de Clovis et de Sainte Clotilde. Toutes les biographies anciennes la disent (en toute logique) sœur de Dagobert 1er (né entre 602 et 605), mais elles ne précisent pas si elle était né avant ou après lui, ni si elle était née de la première épouse de Clotaire, Hadeltrude (Adaltrudis), ou de la deuxième, Bertrude (Bertrudis).
Elle semble avoir eu une éducation chrétienne soignée à laquelle, dès son enfance, elle adhéra de toute son âme : on remarqua très tôt son souci pour les pauvres, la charité avec laquelle elle s’attachait à faire l’aumône, sa sollicitude pour les malades et son empressement à les soigner. On raconte aussi qu’elle préférait des vêtements simples aux robes richement brodées et aux bijoux. On peut sans doute voir là un premier indice de sa résolution de n’être qu’à Dieu et à Son service dans la virginité consacrée.
De fait, Enimie s’opposera à la volonté de son père de la donner en mariage à quelque baron de sa cour :
« La noblesse de sa naissance et toutes les belles qualités qui brillaient en elle, la firent bientôt demander en mariage ; ce à quoi ses parents consentirent et voulurent même la contraindre. Les préparatifs étaient déjà faits, et la cérémonie allait avoir lieu. La nuit d’auparavant, la jeune vierge, se voyant sans ressources du côté des hommes, se retira dans ses appartements et se mit à prier Dieu de tout son cœur, de ne pas permettre qu’elle eût un autre époux que Lui-même. Ses vœux furent exaucés. Au moment où on venait la chercher pour la cérémonie, on la trouva toute couverte de lèpre. A cette nouvelle, ses parents et ses amis furent saisis de douleur ; mais, de son côté, elle rendait de ferventes actions de grâces à Dieu, au fond de son cœur, pour la faveur insigne qu’Il venait de lui accorder. on s’empressa de lui essayer tous les remèdes de l’art pour obtenir sa guérison, mais ils furent tous inutiles. Dieu seul pouvait faire disparaître une maladie dont Il était directement l’auteur » (Mgr Paul Guérin, in « les Petits Bollandistes » tome XII, 5 octobre p.61).
Après plusieurs mois dans le cours desquels on essaya donc en vain de la guérir et pendant lesquels elle édifia tout le monde par sa patience, Enimie eut l’apparition d’un ange qui lui dit : « Dieu veut vous rendre votre santé première. Vous la retrouverez en allant vous laver dans la fontaine de Burle, en Gévaudan ».
Ayant informé ses parents de cette vision céleste, ils s’en réjouirent et lui fournirent l’argent et l’escorte pour ce voyage.
Plusieurs semaines étaient nécessaires pour un tel trajet de plus de cent-cinquante lieues. Arrivée aux confins du Gévaudan, Enimie s’informa du lieu où pouvait se trouver cette source de Burle.
La personne à laquelle elle s’adressa d’abord ignorait où se trouvait Burle (en latin Burlatis) mais connaissait les vertus bénéfiques des eaux thermales du bourg de Balneum (aujourd’hui Bagnols-les-Bains) sur le flanc nord du mont Lozère. Mais à Balneum, Enimie – déjà dubitative parce que ce n’était pas ici le nom avec lequel l’ange avait désigné la source vers laquelle il l’envoyait – eut une nouvelle apparition du messager céleste qui lui déclara : « Les eaux de Balneum ne sont point celles qu’il faut ; vous ne devez pas être purifiée dans des bains de ce genre. Dieu vous veut guérir par Sa propre vertu, au moyen d’une eau froide ordinaire. Il vous faut aller un peu plus loin… »
Sainte-Enimie, en Gévaudan : la source de Burle (état actuel)
Après encore sept ou huit lieues de voyage, en bordure du Causse de Sauveterre, Enimie fut correctement renseignée par des bergers qui la guidèrent jusqu’à la source de Burle, aux remarquables eaux turquoises : Enimie, après s’être longuement recueillie, s’y baigna et fut aussitôt guérie.
Le lendemain, elle voulut reprendre le chemin du retour, mais lorsque, avec son escorte, elle atteignit la couronne du Causse, la lèpre réapparut. Pensant que Dieu voulait mettre sa foi et sa patience à l’épreuve, elle retourna à la source et s’y plongea à nouveau : comme la première fois, sa peau et ses chairs furent guéries. Elle rendit donc à Dieu de plus vives et plus longues actions de grâces, et songea à repartir. Comme précédemment, à une certaine distance de la source, son mal reparut… et fut une troisième fois purifié par un nouveau bain dans la bienfaisante fontaine.
« Alors, se tournant vers ceux qui l’avaient accompagnée, elle leur dit : « Le Dieu qui m’a guérie veut évidemment que je Le serve en ces lieux. Je ne puis résister à Sa volonté sainte, et je me sens le courage de m’y conformer. Quant à vous, que je remercie du fond de mon cœur pour tous les soins que vous avez bien voulu me donner durant mes longues épreuves, il vous est permis de reprendre le chemin de la patrie. Cependant si quelques uns d’entre vous voulaient rester avec moi, j’en bénirai Dieu, les traitant désormais, non plus comme des serviteurs et des servantes, mais comme des frères et des sœurs » (Mgr Paul Guérin, ibid.).
Au cœur de ces gorges sauvages où vivaient des populations qui n’avaient pas encore reçu les lumières de l’Evangile, Enimie s’établit à Burlatis, où n’existaient alors que quelques maisons. Ceux de sa suite qui avaient désiré rester auprès d’elle furent organisés en deux communautés voisines : une d’hommes, et une de femmes. Il est évident qu’Enimie avait été accompagnée par des prêtres, ses aumôniers attitrés, qui devinrent les chapelains de ces embryons de communautés religieuses, lesquelles purent bientôt se développer grâce au soutien royal : en effet, ceux qui avaient choisi de retourner à la cour n’avaient pas manqué d’informer le roi et la reine, parents d’Enimie, de sa guérison miraculeuse ainsi que des signes par lesquels Dieu lui avait manifesté Sa volonté.
Clotaire II, puis Dagobert 1er après lui, furent donc les bienfaiteurs de ce qui allait devenir une abbaye, qui reçut également les encouragements et bénédictions de l’évêque de Mende Saint Ilère (ou Ylès).
Certains auteurs pensent qu’une petite communauté de moines avait été établie à Burlatis par Saint Ilère antérieurement à l’arrivée de Sainte Enimie, et que les hommes de la suite de cette dernière qui firent le choix de demeurer auprès d’elle s’y adjoignirent, tandis que la communauté de femmes, elle seule, aurait été fondée par la jeune princesse.
Sainte-Enimie (état actuel), anciennement Burlatis :
le village en bordure du Tarn s’est développé autour de l’abbaye,
dont les bâtiments subsistant dominent le bourg
Enimie, elle, choisit de s’établir à environ un quart de lieu de là, dans une grotte à flanc de falaise, accompagnée de sa seule filleule, prénommée elle aussi Enimie (probablement une jeune fille des environs qui fut convertie grâce à Sainte Enimie et qui demanda le saint baptême).
En ce lieu, appelé depuis l’Ermitage de la Roche, se maintient la tradition d’un pèlerinage, chaque premier dimanche d’octobre. Des chapelles troglodytes superposées ont été aménagées dans ce qui fut l’ermitage de la sainte princesse, devenue abbesse de moniales et de moines.
Sainte-Enimie : l’ermitage de la Roche où vécut Sainte Enimie – vue de l’extérieur
Sainte-Enimie : l’ermitage de la Roche où vécut Sainte Enimie – vue d’une des chapelles à l’intérieur
Encouragée par l’évêque Saint Ilère, Enimie œuvra à l’évangélisation de la contrée. Dans un premier temps ce fut seulement en raison du fait qu’on publiait sa guérison et les signes divins qui avaient présidé à son installation à Burlatis. Puis la renommée de sa charité et de la puissance de son intercession attirèrent de plus en plus de visiteurs, édifiés par ses enseignements et renforcés dans leur foi par les miracles et guérisons opérés par la sainte abbesse.
Parmi ces miracles, celui qui est le plus cité, est celui de la victoire sur le Drac.
Dans les pays de langue d’Oc, comme en provençal, un Drac est une créature malfaisante, souvent une des formes que prend le démon pour nuire à la tranquillité des fidèles et à leur salut : son action peut aller de la seule facétie, pour se moquer des humains ou les déranger pendant leur prière, jusqu’à la rage diabolique, destructrice et haineuse, et jusqu’à l’homicide, car il cherche à entraîner en enfer ceux auxquels il s’en prend.
Le Drac est habituellement associé à l’eau, résidant près des sources ou des rivières ; ainsi va-t-il par exemple essayer de faire perdre l’équilibre au pauvre pécheur qui s’aventure trop près d’une rivière dangereuse, passe près d’un gour profond, ou franchit un gué périlleux, pour qu’il meure sans confession.
A Burlatis, le Drac s’acharna pendant plusieurs semaines à dévaster le chantier de construction du monastère et à troubler la quiétude de la jeune communauté. Il fallut les supplications conjointes de Saint Ilère et de Sainte Enimie pour le faire fuir loin dans les gorges.
Des légendes locales font du spectaculaire Chaos du Pas de Soucy, le vestige de la lutte de Sainte Enimie contre le dragon infernal, sur lequel, à sa prière, une partie de la montagne se serait écroulée.
Ayant été informée par une lumière surnaturelle de la fin de son séjour terrestre, la sainte abbesse Enimie dicta ses dernières volontés à ses moniales : elle annonça en particulier que sa filleule, prénommée elle aussi Enimie comme nous l’avons déjà dit, la suivrait de peu dans la tombe, et elle ordonna que le nom d’Enimie ne fut gravé que sur le cercueil de cette dernière et placé au-dessus du sien.
Elle s’endormit paisiblement dans le Seigneur un 5 octobre. Certains historiens pensent que ce fut en l’an 628, ce qui signifierait qu’Enimie n’avait pas plus d’une trentaine d’années lors de son trépas. Ce fut, de toute façon, avant la mort de Dagobert 1er lui-même (+ 19 janvier 638 ou 639), comme le montre la tradition suivante.
Lorsqu’il apprit la mort de sa sœur, le bon roi Dagobert vint chercher son corps qu’il voulait inhumer à Saint-Denys (c’est aux alentours de l’an 630 que Dagobert fit entreprendre les travaux du petit sanctuaire préexistant au lieu de la sépulture de Saint Denis et de ses compagnons, pour en faire l’abbatiale-nécropole des souverains francs, dont la dédicace fut célébrée le 24 février 636). Comme Enimie l’avait prévu – et préparé -, il emporta le cercueil de la filleule, tandis que les précieux restes de la sainte princesse et abbesse demeurèrent en Gévaudan.
Tableau naïf représentant Sainte Enimie dans une des chapelles de l’ermitage de la Roche
Un 18 janvier, mais l’année n’a pas été retenue – ce fut toutefois antérieurement à l’an 951 -, le tombeau de Sainte Enimie, qui avait été caché (peut-être au moment des raids sarrasins au début du VIIIème siècle), fut retrouvé grâce aux visions surnaturelles dont fut gratifié un saint moine, prénommé Jean.
On avait averti l’évêque de Mende de ces faits, et il vint en personne présider aux travaux de recherches. Il avait aussi convoqué les dignitaires ecclésiastiques de la contrée. Le creusement du lieu désigné par le moine Jean permit de dégager un petit caveau contenant un sarcophage où l’on retrouva le corps de la sainte, qui dégageait « une odeur si suave que tous les assistants croyaient éprouver un avant-goût des célestes douceurs » (Mgr Guérin). Une nuée lumineuse emplit l’église, et lorsqu’elle se dissipa, les cierges du sanctuaire s’allumèrent tout seuls. Plusieurs malades furent guéris.
Des guérisons insignes sont également rapportées à d’autres occasions : les évêques de Mende, en plusieurs occurrences, firent venir la châsse de la sainte princesse dans leur ville épiscopale, où elle répandit des grâces signalées ; en l’an 1036, elle fut même transportée jusqu’au Puy et exposée un temps dans la cathédrale, opérant de véritables prodiges.
Le monastère fondé par Sainte Enimie connut une période de décadence jusqu’à, semble-t-il, être pratiquement dépeuplé vers le milieu du Xème siècle. L’évêque de Mende Etienne décida de « rétablir dans son ancienne splendeur le monastère en l’honneur de la Mère de Dieu, où reposent les restes de la Bienheureuse Énimie ». Pour cela, en l’an 951, il y fit venir les bénédictins de l’abbaye Saint-Chaffre du Monastier (cf. > ici). D’abord simple prieuré bénédictin, ce monastère fut semble-t-il érigé en abbaye au XVème siècle. Les bénédictins y demeurèrent jusqu’à la grande révolution qui vendit bâtiments et terres comme biens nationaux : démolitions successives, incendie… Il n’en subsiste aujourd’hui que l’une des églises, dite chapelle Sainte-Madeleine, ainsi que l’ancien réfectoire.
A également disparu lors de la révolution le voile de Sainte Enimie qui était conservé dans un reliquaire spécial que l’on portait en procession lors des calamités publiques.
Le principal reliquaire contenant des ossements de Sainte Enimie, qui se trouvait alors à l’Ermitage de la Roche, a été volé en 1970 ; on n’a plus aujourd’hui que des parcelles d’ossements renfermés dans de petits reliquaires.
Statue de Sainte Enimie dans l’église paroissiale du village éponyme
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Décidément, si le blog de Maître-Chat Lully n’existait pas, j’ignorerais toujours la vie de Sainte Enimie, pourtant passionnante !
Sainte Enimie, priez pour nous, priez pour la France.
Une belle histoire, sauf à la fin pendant la période révolutionnaire.