2023-115. « Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie.»
17ème dimanche après la Pentecôte,
(Textes de la Sainte Ecriture lus ce dimanche : Eph.IV, 1-6 & Matth. XXII, 34-46)
Le dix-septième dimanche après la Pentecôte peut, en vérité, être appelé « dimanche du double précepte de la charité », en raison de l’enseignement donné par Notre-Seigneur dans la première partie de la péricope évangélique que, depuis des siècles, la Sainte Eglise notre Mère offre en ce jour à notre méditation.
Insistons sur le fait que notre divin Rédempteur, en proclamant l’indispensable et nécessaire corrélation entre l’amour de Dieu et celui du prochain, met en évidence que l’on doit conserver un équilibre absolu entre les deux aspects de la charité : on ne peut prétendre aimer Dieu, lorsqu’on n’a pas l’amour du prochain (cf. 1 Jean IV, 20) ; mais on ne peut pas davantage prétendre aimer son prochain, et en particulier les nécessiteux, aux dépens de l’amour de Dieu, et donc en particulier aux dépens de toutes les exigences de la foi surnaturelle divinement révélée. Une « charité » qui ne s’occupe que du bien être matériel du prochain n’en est pas une : elle n’est qu’une forme de bienfaisance naturaliste, qui ne répond pas aux exigences de la charité divine.
La philanthropie n’est en définitive qu’une version laïcisée, rabaissée au vulgaire profane – profanée -, du précepte divin. Cela devient dramatique lorsque des chefs spirituels, des ecclésiastiques, se font les propagandistes de ce dévoiement : ils entraînent après eux la société, tant spirituelle que civile, dans cette « nef des fous » qui s’en ira inexorablement au naufrage…
Voilà pourquoi il n’est pas inutile de relire le fameux paragraphe, prophétique en un sens, dans lequel Chesterton dénonce « les vieilles vertus chrétiennes virant à la folie ». A la place du nom Monsieur Blatchford, aujourd’hui bien oublié, il ne sera pas difficile de substituer celui de tel ou tel hiérarque de la Sainte Eglise…
Et je renvoie aussi aux très pertinents commentaires qu’en avait fait le journaliste espagnol Juan-Manuel de Prada que nous avions publié > ici.
Jérôme Bosch (vers 1450 – 1516) : « la nef des fous » (vers 1500) [musée du Louvre]
« Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie.»
« [...] Le monde moderne n’est pas mauvais : à certains égards, il est bien trop bon. Il est rempli de vertus féroces et gâchées. Lorsqu’un dispositif religieux est brisé (comme le fut le christianisme pendant la Réforme), ce ne sont pas seulement les vices qui sont libérés. Les vices sont en effet libérés, et ils errent de par le monde en faisant des ravages ; mais les vertus le sont aussi, et elles errent plus férocement encore en faisant des ravages plus terribles. Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie. Elles ont viré à la folie parce qu’on les a isolées les unes des autres et qu’elles errent indépendamment dans la solitude. Ainsi des scientifiques se passionnent-ils pour la vérité, et leur vérité est impitoyable. Ainsi des « humanitaires » ne se soucient-ils que de la pitié, mais leur pitié (je regrette de le dire) est souvent mensongère. M. Blatchford (note 1), par exemple, s’en prend au christianisme parce qu’une vertu chrétienne le rend fou : la vertu purement mystique et presque irrationnelle de la charité. Il croit en cette idée singulière qu’il sera plus facile de pardonner les péchés en disant qu’il n’y a pas de péchés à pardonner. M. Blatchford n’est pas seulement un chrétien de la première heure, il est le seul parmi les premiers chrétiens qui aurait vraiment dû être dévoré par les lions. Car, en ce qui le concerne, l’accusation païenne est pour le moins exacte : sa pitié signifierait tout simplement l’anarchie. C’est parce qu’il est trop humain qu’il est réellement l’ennemi de la race humaine. A l’extrême opposé, nous pourrions prendre l’âpre réaliste, qui a délibérément tué en lui-même tout le plaisir humain que les hommes tirent d’histoires heureuses ou de la guérison du cœur. Torquemada (note 2) tortura des gens physiquement au nom de la vérité morale. Zola tortura des gens moralement au nom de la vérité physique. Mais du moins y avait-il, à l’époque de Torquemada, un système qui pouvait, jusqu’à un certain point, faire que la justice et la paix se rencontrent. De nos jours, elles ne se saluent même pas… »
Gilbert Keith Chesterton,
in « Orthodoxie », chap.3 « le suicide de la pensée ».
Notes :
1 - Robert Peel Glanville Blatchford (1851 – 1943) était un militant socialiste, journaliste et auteur britannique, connu pour son athéisme, avec lequel Chesterton eut un long différend à propos du christianisme, ce qui donna lieu à un recueil d’articles : « The Blatchford Controversies » (1904).
2 – Inquisiteur général pour l’Espagne, Tomas de Torquemada (1420 – 1498) organisa le Saint Office. Il s’acharna si impitoyablement contre les hérétiques et contre les juifs qu’il est passé à la postérité comme le symbole même du fanatisme.
« La nef des fous », détail
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