2023-93. Commentaires de notre Bienheureux Père Saint Augustin sur l’Evangile de la guérison de l’aveugle-né.
23 août,
Fête de Saint Sidoine-Restitut, l’aveugle-né de l’Evangile, évêque et confesseur ;
Mémoire de Saint Sidoine Apollinaire, évêque et confesseur,
Mémoire de Saint Philippe Béniti, confesseur ;
Mémoire de la vigile de Saint Barthélémy, apôtre ;
Anniversaire de la mort de François cardinal-duc de Joyeuse (cf. > ici) ;
Anniversaire de la naissance de SMTC le Roi Louis XVI (23 août 1754);
Anniversaire de la mort d’Estelle Faguette, voyante de Pellevoisin (23 août 1929).
Selon la tradition des Eglises des Gaules, ce 23 août est le jour de la fête de Saint Sidoine, appelé aussi Restitut, puisque, en effet, il est cet aveugle-né dont le neuvième chapitre de l’Evangile selon Saint Jean nous raconte la guérison : chassé de Palestine avec Saint Lazare et ses sœurs, Sainte Marthe et Sainte Marie-Magdeleine, et quelques autres proches de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il fut le premier évêque du siège de Saint-Paul-Trois-Châteaux, avant de succéder à Saint-Maximin sur celui d’Aix (en Provence). Nous détaillerons plus tard cette vie qui témoigne des attentions extraordinaires pour cette terre qui deviendra la France, car pour l’heure nous allons, avec notre Bienheureux Père Saint Augustin, approfondir le texte même du saint Evangile qui nous raconte la guérison miraculeuse de Saint Sidoine, et en dégager toutes les leçons spirituelles qui nous y sont données.
Ce passage évangélique est lu au missel romain traditionnel au mercredi de la quatrième semaine de carême, qui était un jour de « scrutin » pour les catéchumènes et marquait donc une étape importante dans leur marche vers l’illumination baptismale lors de la Vigile Pascale.
Nicolas Poussin : la guérison de l’aveugle-né (1650)
[musée du Louvre]
Explications de Saint Augustin
sur
la guérison de l’aveugle-né
(in Traités sur l’Evangile de Saint Jean : XLIV traité)
pour sortir de cet aveuglement de l’âme, il lui faut s’approcher du Fils de Dieu fait homme et croire en lui . à celte condition la vue lui sera donnée; car si Jésus-Christ est venu pour épaissir les ténèbres où vivent ceux qui ne veulent pas ouvrir les yeux à la lumière de la vérité, il est venu aussi pour éclairer ceux qui avouent humblement avoir besoin de lui.
1. L’aveugle-né était la figure du genre humain précipité dans les ténèbres spirituelles par le péché d’Adam :
Dans la leçon que vous venez d’entendre, il a été longuement question de l’aveugle-né, auquel Notre-Seigneur Jésus-Christ a rendu la vue. Si nous voulions expliquer cette leçon dans tous ses détails, et selon qu’elle le mérite, nous arrêtant à chaque verset pour l’examiner de notre mieux, un jour ne nous suffirait pas. En conséquence, j’avertis et je prie votre charité de n’exiger de moi aucune réflexion, relativement aux passages qui n’offrent pas de difficulté, car il serait vraiment trop long de consacrer à tous quelques moments. Je vais donc vous entretenir de ce qu’il y a de mystérieux dans la guérison de cet aveugle. Dans cette étonnante merveille opérée par Notre-Seigneur, il faut remarquer les actions et les paroles, les actions qui ont eu lieu, les paroles, parce qu’elles sont des signes. Si nous réfléchissons au sens caché de ce fait, nous verrons que l’aveugle représente le genre humain, car la cécité a été, chez le premier homme, le résultat du péché, et il nous a communiqué à tous, non-seulement le germe de la mort, mais encore celui de l’iniquité. Puisque l’infidélité est un véritable aveuglement, et qu’on jouit de la vue quand on a la foi, le Christ, au moment de Sa venue sur la terre, a-t-Il trouvé un seul fidèle ? L’Apôtre, qui était de la même nation que les Prophètes, a dit : « Nous avons été autrefois, par notre nature, les enfants de la colère comme le reste des hommes » (Ephès. II, 3). Si nous avons été enfants de colère, nous étions les enfants de la vengeance, de la peine, de la géhenne. Comment l’étions-nous par nature, si ce n’est que, par le péché du premier homme, la corruption est devenue pour nous une seconde nature ? Si la corruption est devenue pour nous une seconde nature, tout homme est né aveugle, quant à son âme. Si, en effet, il voyait, il n’aurait pas besoin qu’on le conduise ; et s’il a besoin qu’on le conduise et qu’on lui rende la vue, il est donc un aveugle-né.
2. Saint Augustin compare l’onction avec la boue avec l’accession au catéchuménat :
Le Sauveur est donc venu, et qu’a-t-Il fait ? Une chose toute mystérieuse et bien digne de remarque : « Il cracha à terre et fit de la boue avec Sa salive », car le Verbe S’est fait chair (Jean I, 14), et Il en frotta les yeux de l’aveugle. Les yeux de cet homme étaient couverts de boue, et il ne voyait pas encore. Le Sauveur l’envoya à la piscine qui porte le nom de Siloé. L’Evangéliste a bien voulu nous indiquer le nom de cette piscine, et nous dire « qu’il signifie l’Envoyé ». Vous savez qui a été envoyé ; s’Il ne l’avait pas été, nul d’entre nous n’eût été délivré du péché. L’aveugle lava donc ses yeux dans cette piscine dont le nom signifie l’Envoyé, et il fut baptisé dans le Christ. Si, en un certain sens, Jésus baptisa en Lui-même l’aveugle-né au moment où Il lui rendait la vue, quand Il frotta ses yeux avec de la boue, Il le fit, sans doute, catéchumène. On peut évidemment exposer et expliquer, de manière et d’autre, le sens profond de cette mystérieuse guérison ; mais que cette interprétation suffise à votre charité ; vous avez entendu une chose difficile à saisir, mais digne de toute votre attention. Demande à un homme : Es-tu chrétien ? S’il est païen ou juif, il te répond : Je ne suis pas chrétien. Si, au contraire, il te dit : Je le suis, tu lui fais une nouvelle question : Es-tu catéchumène ou fidèle ? S’il te répond : Catéchumène, ses yeux ont été frottés, mais non encore lavés. Comment ont-ils été frottés ? Interroge-le, il te répondra ; demande-lui en qui il croit : par cela même qu’il est catéchumène, il te dira : Dans le Christ. Je m’adresse, en ce moment, aux fidèles et aux catéchumènes. Qu’ai-je dit de la salive et de la boue ? Que le Verbe S’est fait chair. Les catéchumènes comprennent aussi cela ; mais il ne leur suffit pas d’avoir eu les yeux frottés ; s’ils veulent voir, qu’ils se hâtent de se laver.
3. La cécité de naissance de cet homme n’était pas la conséquence du péché de ses parents ou de son propre péché :
En raison de certaines difficultés qui se rencontrent dans cette leçon, glissons rapidement sur les paroles du Sauveur et sur tous les passages qu’elle contient, sans nous appesantir sur aucun d’eux. « Jésus, passant, vit un aveugle », non pas un aveugle ordinaire, mais « un aveugle-né ». Et Ses disciples L’interrogèrent : « Maître ». Vous le savez, « Rabbi » veut dire Maître. Ils L’appelaient ainsi, parce qu’ils voulaient s’instruire près de Lui ; ils adressèrent, en effet, au Sauveur une question comme à un maître : « Qui a péché, celui-ci ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni celui-ci, ni son père, ni sa mère n’ont péché », pour qu’il soit né aveugle. Qu’a dit le Christ ? Si personne n’est sans péché, les parents de cet aveugle pouvaient-ils n’en avoir aucun ? L’aveugle lui-même était-il venu au monde exempt du péché originel, et n’y avait-il ajouté aucune faute personnelle ? Parce que ses yeux étaient fermés, se trouvait-il à l’abri de toute concupiscence ? A quelles coupables prévarications se laissent aller les aveugles eux-mêmes ! De quelles fautes s’abstient une âme portée au mal, même quand les yeux du corps lui manquent pour l’entraîner ! Celui-ci ne jouissait pas de la vue, mais il savait penser, et peut-être aussi désirer ce qu’il était incapable de faire à cause de sa cécité ; il était, par conséquent, à même d’être jugé par Celui qui sonde les cœurs pour des péchés purement intérieurs. Si les parents de cet homme ont eu quelque prévarication à se reprocher, il en a eu comme eux ; pourquoi donc le Sauveur dit-Il : « Ni celui-ci, ni ses parents n’ont péché » ? Il répondait sans doute uniquement à la question qu’on Lui adressait, et Il voulait ajouter : « Pour qu’il soit né aveugle ». Car ses parents étaient pécheurs ; mais ce n’était point en conséquence de leurs péchés que leur fils était né aveugle. Cependant si les fautes des parents n’avaient en rien contribué à ce qu’il vînt au monde dans l’état de cécité, pourquoi était-il né aveugle ? Ecoute, le Maître va t’instruire ; Il attend que tu croies pour te donner l’intelligence. Il nous indique la cause pour laquelle cet homme est né aveugle : « Ni celui-ci », dit-Il, « ni ses parents n’ont péché ; mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui ».
4. Saint Augustin commence à s’interroger sur la réponse mystérieuse de Jésus concernant la nuit :
Que lisons-nous ensuite ? « Il faut que Je fasse les œuvres de Celui qui M’a envoyé ». Celui en qui l’aveugle a lavé sa figure a donc été envoyé. Et voyez ce qu’Il a dit : « Il faut que Je fasse les oeuvres de Celui qui M’a envoyé ». Rappelle-toi comment Il rend toute gloire à Celui de qui Il vient. Le Père a un Fils qui vient de Lui, et Lui, Il ne vient de personne. Mais, Seigneur, pourquoi avez-vous dit : « Tandis qu’il fait jour » ? Le voici : « La nuit vient, où personne ne peut agir ». N’y pourriez-vous agir vous-même, Seigneur ? Vous êtes l’auteur de la nuit : serait-elle assez puissante pour Vous empêcher d’agir, quand elle sera venue ? Je pense, Seigneur Jésus, ou plutôt je ne pense pas, mais je crois et j’affirme que Vous étiez là quand Dieu a dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut » (Gen. I, 3). S’Il a fait la lumière par Son Verbe, c’est par Vous qu’Il l’a faite. Voilà pourquoi il est écrit : « Toutes choses ont été faites par Lui, et, sans Lui, rien n’a été fait » (Jean I, 3) ; « Dieu sépara la lumière des ténèbres, et Il appela la lumière jour, et les ténèbres nuit » (Gen. I, 4-5).
5. Jésus est la Lumière du monde, quelle nuit pourrait donc l’empêcher de luire ?
Quelle est cette nuit où personne ne pourra agir quand elle sera venue ? Apprends ce que c’est que le jour, et tu sauras ce que c’est que la nuit. Qui nous dira ce qui est ce pur ? Le Sauveur Lui-même : « Tant que Je suis dans le monde, Je suis la lumière du monde ». Voilà le jour. Que l’aveugle y lave donc ses yeux pour le voir. « Tant que Je suis dans ce monde, Je suis la lumière du monde ». Je ne sais quelle nuit régnera dans le monde, quand le Christ n’y sera plus ; alors personne ne sera à même d’agir. Mes frères, il me reste à le chercher ; supportez-moi patiemment pendant mes investigations. Je le chercherai avec vous, et avec vous je trouverai Celui qui me l’apprendra. Cela est certain ; le Sauveur l’a dit ici expressément et de manière à nous enlever tout doute à cet égard ; Il est Lui-même le jour, ou, en d’autres termes, la lumière du monde. « Tant que Je suis dans ce monde, Je suis la lumière du monde ». Il agit donc. Mais combien de temps est-Il dans ce monde ? Nous nous imaginons, mes frères, qu’Il y était alors, et qu’Il n’y est plus maintenant. S’il en est ainsi, cette nuit redoutable est donc venue immédiatement après l’Ascension de Jésus-Christ ; et si elle est venue immédiatement après l’Ascension du Sauveur, comment les Apôtres ont-ils fait de si grandes choses ? Existait-elle déjà quand le Saint-Esprit est descendu sur tous ceux qui étaient réunis dans le cénacle, pour les remplir de Ses dons et leur communiquer le privilège de parler toutes les langues ? (Act. II, 1-6). Existait-elle déjà quand le boiteux a été guéri à la parole de Pierre, ou, pour mieux dire, à la voix de Celui qui habitait dans la personne de Pierre ? (Act. III, 6-8). Existait-elle déjà quand les malades étaient placés avec leurs lits sur le passage des Apôtres, pour que leur ombre vînt seulement à les toucher ? (Act. IV, 15). Lorsque, pendant Sa vie mortelle, Jésus passait quelque part, Son ombre n’a guéri personne ; mais Il avait dit à Ses disciples : « Vous ferez des œuvres plus grandes que les Miennes » (Jean XIV, 12). Sans doute Il avait dit : «Vous ferez des œuvres plus grandes que les Miennes » ; mais que la chair et le sang ne s’enorgueillissent pas ; qu’ils écoutent ces autres paroles du Sauveur : « Sans Moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean XV, 5) .
6. Suite et fin des questions sur le jour et la nuit :
Qu’est-ce donc ? Que dire de cette nuit ? Quand viendra-t-elle ? Quand personne ne pourra-t-Il plus agir ? Cette nuit sera celle des impies ; elle sera la nuit de ceux auxquels le Seigneur dira : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges ». Elle porte le nom de nuit, et non celui de flamme ou de feu. C’est une nuit, en voici la preuve ; car il est dit d’un certain serviteur : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures » (Matth. XXII, 13). Que l’homme profite donc de la vie pour agir, dans la crainte d’être surpris par cette nuit où personne ne peut agir. C’est à la foi d’agir maintenant par la charité ; et si nous agissons maintenant, nous nous trouvons dans le jour, nous sommes dans le Christ. Ecoute les promesses du Sauveur, et ne t’imagine pas qu’Il soit loin de toi ; Il a dit Lui-même : « Voici que Je suis avec vous ». Combien de temps ? Nous, qui vivons, n’ayons aucune crainte à cet égard ; pour ceux qui viendront après nous, nous serions à même, si cela était nécessaire, de leur donner toute sécurité : « Voilà que Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles » (Matth. XXIII, 20). Le jour qui a ses limites tracées par la révolution du soleil, ne compte qu’un petit nombre d’heures ; mais le jour consacré par la présence du Christ s’étend jusqu’à la consommation des siècles. Lorsqu’aura eu lieu la résurrection des vivants et des morts, le Christ dira à ceux qui seront placés à Sa droite : « Venez, bénis de mon Père ; entrez en possession de Son royaume » ; puis Il adressera ces paroles à ceux qui seront placés à Sa gauche : « Allez au feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges » (Matth. XXV, 34, 41). Alors viendra la nuit où personne ne pourra plus agir, et où chacun recevra selon ses œuvres. Autre est le temps du travail, autre le temps de la rémunération ; car « le Seigneur rendra à tous selon qu’ils auront agi » (Matth. XXVI, 27). Pendant que tu vis, agis si tu veux agir ; car à la vie succédera une nuit qui enveloppera les impies. Elle saisit tout infidèle dès le moment de sa mort, et alors il n’est plus temps pour lui de travailler. Le mauvais riche s’y trouvait plongé, quand il était dévoré de la soif, et demandait qu’avec son doigt le pauvre vînt déposer sur sa langue une goutte d’eau. Il se lamentait, il se tourmentait, il s’avouait coupable, et, toutefois, personne ne lui apportait de soulagement ; de plus, il voulait faire du bien aux autres. « Père Abraham », s’écriait-il, « envoyez Lazare à mes frères, afin qu’il leur dise ce qui se passe ici, et qu’ils ne viennent pas eux-mêmes dans ce lieu de tourments » (Luc XVI, 24-28). Malheureux ! Quand tu vivais, c’était le moment de travailler ; maintenant, tu es plongé dans la nuit où personne ne peut plus agir !
7. Récit du miracle :
« Après qu’Il eut parlé ainsi, Il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, et frotta de cette boue les yeux de l’aveugle ; puis Il lui dit : Va-t’en, et lave-toi dans la piscine de Siloé (mot qui signifie l’Envoyé) ; il y alla donc, s’y lava, et revint ayant recouvré la vue ». Ce passage est tellement clair, qu’il est inutile de nous y arrêter.
8. L’aveugle guéri devient héraut de la grâce :
« Or, les voisins et ceux qui, auparavant, avaient vu qu’il était aveugle, disaient : N’est-ce pas celui-ci qui était assis et qui mendiait ? Les uns disaient : C’est lui ; les autres disaient : Il lui ressemble ». Ses yeux s’étant ouverts, son visage n’était plus le même. « Mais lui disait : C’est bien moi ». Ainsi manifestait-il sa reconnaissance, pour ne pas être condamné comme ingrat. « Ils lui demandaient donc : Comment tes yeux ont ils été ouverts ? Il répondit : Cet homme, qu’on appelle Jésus, a fait de la boue, Il en a frotté mes yeux, en me disant : Va à la piscine de Siloé, et lave-toi. J’y suis allé, je me suis lavé et je vois ». Le voilà devenu le héraut de la grâce ; il évangélise, il rend hommage à Celui qui lui a ouvert les yeux. Cet aveugle reconnaissait son bienfaiteur, et, au même temps, s’endurcissait le cœur des impies, parce qu’ils n’avaient pas dans le cœur ce que l’aveugle avait désormais dans son visage. « Et ils lui dirent : Où est Celui qui t’a ouvert les yeux ? » Il répondit : « Je n’en sais rien ». Il montrait par ces paroles que son âme ressemblait à un homme dont les yeux seraient déjà frottés de boue, mais qui ne verrait pas encore. Mes frères, supposons donc son âme comme déjà frottée de boue. Il prône son bienfaiteur, mais il ne connaît pas Celui qu’il prône.
Eustache Le Sueur : guérison de l’aveugle-né
[Berlin, château de Sans-Souci]
9. Le début de la controverse avec les pharisiens :
« Alors, ils amenèrent aux Pharisiens celui qui avait été aveugle. Or, c’était le jour du sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Les Pharisiens, donc, lui demandèrent à nouveau comment il avait recouvré la vue. Et il leur dit : Il a mis de la boue sur mes yeux, je me suis lavé et je vois. Quelques-uns des Pharisiens disaient donc » – Non pas tous, mais quelques-uns, car il y en avait déjà parmi eux pour avoir le cœur frotté de boue -… Que disaient donc ceux qui n’étaient ni doués de la vue, ni même frottés de boue ? « Cet homme n’est point de Dieu, car Il ne garde pas le sabbat ». C’était bien plutôt Lui qui le gardait, puisqu’Il était sans péché. Etre exempt de péché, n’est-ce pas, en effet, garder spirituellement le sabbat ? Enfin, mes frères, voici la recommandation que Dieu nous fait, en nous imposant l’obligation de garder le sabbat : « Vous ne ferez aucune œuvre servile » (Lév. XXIII, 8). Voilà les paroles prononcées par le Seigneur, au moment où Il promulguait le précepte du sabbat : « Vous ne ferez aucune œuvre servile ». Rappelez-vous les leçons précédentes, et vous saurez ce que c’est qu’une oeuvre servile (Traités sur Saint Jean XX, II,2). Ecoutez le Sauveur Lui-même : « Quiconque commet le péché, est esclave du péché » (Jean VIII, 34). Mais les Pharisiens n’étaient, comme je l’ai dit, ni doués de la vue, ni frottés de boue ; c’est pourquoi ils observaient le sabbat d’une façon toute charnelle, et le violaient spirituellement. « Les autres disaient : Comment un pécheur peut-il faire ces miracles ? » Ceux-ci avaient déjà les yeux du cœur frottés de boue. « Et il y avait division entre eux ». Le jour avait séparé la lumière des ténèbres. «Ils dirent de nouveau à l’aveugle : Et toi, que dis-tu de Celui qui t’a ouvert les yeux ? » Quel est ton sentiment à Son égard ? Qu’en penses-tu ? Qu’en dis-tu ? Ils cherchaient le moyen d’accuser cet homme, pour le chasser de la synagogue ; mais il devait, par là même, être recueilli par le Christ. Quant à lui, il ne cessa de manifester son opinion ; car il dit : « C’est un prophète ». Il avait déjà les yeux de l’âme frottés de boue ; il ne confesse pas encore le Fils de Dieu ; néanmoins, il ne ment pas. Car le Sauveur dit Lui-même, en parlant de Sa propre personne : « Il n’y a de prophète sans honneur que dans son pays » (Matth. XIII, 57).
10. Les pharisiens interrogent les parents de l’aveugle guéri :
« Mais les Juifs ne crurent point de lui qu’il eût été aveugle et qu’il eût recouvré la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent appelé le père et la mère de celui qui avait vu », c’est-à-dire de celui qui avait vu après avoir été aveugle. « Et ils les interrogèrent, disant : Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? Le père et la mère leur répondirent : Nous savons que c’est là notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment voit-il maintenant, ou qui lui a ouvert les yeux, nous l’ignorons. Il a de l’âge. Interrogez-le ; il répondra pour lui-même ». C’est notre fils : s’il était encore enfant, nous pourrions être, à juste titre, forcés de répondre pour lui, parce qu’il serait incapable de parler pour lui-même. Mais il parle depuis longtemps, il voit depuis peu. Nous n’ignorons pas qu’il était aveugle à sa naissance ; nous savons qu’il parle depuis longtemps, nous voyons qu’il jouit maintenant de l’usage de ses yeux ; interrogez-le donc, si vous voulez vous instruire ; pourquoi vouloir nous accuser ? « Son père et sa mère parlèrent ainsi, parce qu’ils craignaient les Juifs ; car les Juifs étaient déjà convenus que si quelqu’un confessait qu’Il était le Christ, on le chasserait de la synagogue ». Ce n’était plus déjà un si grand malheur d’être chassé de la synagogue ; ceux que les Juifs en expulsaient, le Christ les recevait. « C’est pourquoi son père et sa mère dirent : Il a de l’âge, interrogez-le ».
11. Les pharisiens interrogent à nouveau l’aveugle guéri :
« Ils appelèrent donc encore une fois l’homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rends grâces à Dieu ». Qu’est-ce à dire « Rends grâces à Dieu » ? Nie le bienfait que tu as reçu. Evidemment, ce n’est pas là rendre gloire à Dieu ; c’est plutôt Le blasphémer : « Rends gloire à Dieu. Nous savons que cet homme est un pécheur. Il répondit : S’Il est pécheur, je l’ignore ; ce que je sais, c’est que j’étais aveugle, et que maintenant je vois. Ils lui dirent de nouveau : Que t’a-t-Il fait ? Comment a-t-Il ouvert tes yeux ?» Impatienté de l’endurcissement des Juifs, jouissant de sa vue après avoir été aveugle, ne pouvant supporter des aveugles, il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous l’avez entendu ; pourquoi voulez-vous encore l’entendre ? Voulez-vous aussi devenir Ses disciples? » Que veulent dire ces paroles : « Voulez-vous aussi », sinon : Je le suis déjà ? « Voulez-vous aussi ? » Je vous vois, mais ce n’est pas d’un œil d’envie.
12. Mauvaise foi et endurcissement des pharisiens :
« Ils le maudirent donc et lui dirent : « Sois Son disciple si tu veux ». Qu’une pareille malédiction tombe sur nous et sur nos enfants ! C’était une véritable malédiction ; tu le comprendras, si tu fais attention, non à leurs paroles, mais aux dispositions qui les ont dictées. « Pour nous, nous sommes les disciples de Moïse : Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais Celui-ci, nous ne savons d’où Il est ». Plaise à Dieu que vous sachiez que Dieu a parlé à Moïse, car vous sauriez que Celui-ci a été proclamé Dieu par Moïse ! Le Sauveur ne dit-il pas, en effet : « Si vous croyiez Moïse, vous Me croiriez aussi, car c’est de Moi qu’il a écrit » (Jean V, 46). Est-ce ainsi que, pour suivre le serviteur, vous tournez le dos au Maître ? Mais vous ne suivez pas même le serviteur, car il vous conduirait au Maître.
13. Il n’est pas exact de dire que Dieu n’exauce point les pécheurs :
« Cet homme répondit en disant : Certes, c’est une chose étrange que vous ne sachiez pas d’où Il est, Lui qui m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’exauce point les pécheurs ; mais si quelqu’un est serviteur de Dieu, et fait Sa volonté, Il l’exauce ». Il parle comme un homme dont les yeux sont encore frottés de boue, car Dieu exauce aussi les pécheurs ; s’il n’en était pas ainsi, le publicain aurait inutilement dit, en baissant les yeux et en se frappant la poitrine : « Seigneur, ayez pitié de moi, car je suis un pécheur ». Cet homme a, par sa confession, mérité d’être justifié, comme cet aveugle a mérité de recouvrer la vue. « Jamais on n’a entendu qu’aucun ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si Celui-ci n’était pas de Dieu, Il ne pourrait rien faire ». Langage franc, constant, vrai ! Ce qu’a fait le Sauveur, un autre que Dieu aurait-il pu le faire ? Les Apôtres auraient-ils pu accomplir de pareilles œuvres, si le Seigneur n’avait pas été avec eux ?
14. Colère des pharisiens :
« Ils lui répondirent en disant : Tu es né tout entier dans le péché ». Qu’est-ce à dire, « tout entier » ? Avec des yeux fermés. Mais Celui qui ouvre les yeux sauve tout l’homme. Après avoir éclairé son visage, Il lui accordera une place à Sa droite au moment de la résurrection. « Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous fais la leçon ? Et ils le chassèrent ». Ils le choisirent pour leur maître ; afin de savoir, ils l’interrogèrent plusieurs fois, et quand il les eut instruits, ils le mirent à la porte.
15. L’aveugle guéri reçoit la pleine illumination : il ne croit pas seulement au « Fils de l’homme » mais il adore le Fils de Dieu :
J’en ai fait tout à l’heure la remarque, mes frères ; s’il a été expulsé par les Juifs, le Christ l’a reçu ; et c’est précisément parce qu’il a été chassé qu’il est devenu chrétien. « Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé, et l’ayant trouvé, Il lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ?» A ce moment-là, il lavait les yeux de son âme ; il répondit, néanmoins, comme n’étant pas encore lavé : « Quel est-Il, Seigneur, afin que je croie en Lui ?» Et Jésus lui dit : « Tu L’as vu en personne, et c’est Lui qui te parle ». Jésus est l’Envoyé, et l’aveugle lave sa figure à la piscine de Siloé, qui signifie l’Envoyé. La face de son âme était lavée et sa conscience purifiée : alors il reconnut en Lui, non pas seulement le Fils de l’homme, comme il l’avait cru précédemment, mais même déjà le Fils de Dieu, qui S’était revêtu de notre humanité ; aussi Lui dit-il : « Je crois, Seigneur». « Je crois », c’est trop peu ; veux-tu savoir qui il Le croit ? « Et, se prosternant, il L’adora ».
16. Jésus n’est pas lumière pour tous les hommes :
« Et Jésus lui dit ». Nous voici arrivés au plein jour, qui discerne la lumière d’avec les ténèbres. « Je suis venu en ce monde pour le juger, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Qu’est-ce ceci, Seigneur ? Nous sommes fatigués, et vous nous proposez une chose digne de toute attention ; ranimez donc nos forces, afin que nous puissions comprendre ce que Vous nous avez dit : « Vous êtes venu pour que ceux qui ne voient pas voient ». Cela est évident, puisque Vous êtes la lumière, puisque Vous êtes le jour, puisque Vous dissipez les ténèbres ; toute âme le conçoit et le comprend. Mais quel est le sens de ce qui suit : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles » ? La conséquence de Votre venue en ce monde serait-elle que ceux qui voyaient deviennent aveugles ? Ecoute ce qui suit, et peut-être alors comprendras-tu.
17. Jésus discerne et juge entre ceux qui reconnaissent leur cécité et implorent leur guérison et ceux qui s’imaginent voir et sont dans les ténèbres spirituelles :
« Quelques-uns d’entre les Pharisiens s’émurent de ces paroles, et lui dirent : Et nous, sommes-nous aveugles ?» Voici ce qui les jetait dans l’émotion : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles. Jésus leur dit : Si vous étiez aveugles, vous n’auriez point de péché ». Mais la cécité est un péché. « Si vous étiez aveugles », c’est-à-dire, si vous remarquiez que vous l’êtes, si vous l’avouiez, si vous aviez recours au médecin, en un mot, « si vous étiez des aveugles » de cette sorte, « vous n’auriez point de péché », parce que Je suis venu détruire le péché. « Mais maintenant vous dites : Nous voyons, et votre péché demeure ». Pourquoi ? Parce qu’en disant : Nous voyons, vous ne recourez pas au médecin, et vous demeurez dans votre aveuglement. Voilà le sens de ces paroles que nous ne comprenions pas. « Je suis venu afin que ceux qui ne voient pas voient ». De qui s’agit-il ici : « Afin que ceux qui ne voient pas voient » ? De ceux qui avouent ne rien voir, et recourent au médecin pour voir : « Et que ceux qui voient deviennent aveugles ». De qui est-il encore question : « Que ceux qui voient deviennent aveugles » ? De ceux qui croient voir, et qui négligent les soins du médecin, afin de persévérer dans leur cécité. Discerner ces personnes les unes des autres, c’était exercer ce jugement dont parle le Sauveur : « Je suis venu en ce monde pour le jugement ». Par ce jugement, Il distingue ceux qui croient et se reconnaissent aveugles, d’avec les orgueilleux qui s’imaginent jouir de la vue et n’en deviennent que plus aveugles ; c’est comme si un pécheur avouait son aveuglement et Lui disait, en Lui demandant instamment sa guérison : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause d’un peuple impie » (Ps. XLII, 1), de ceux qui disent : « Nous voyons», et qui demeurent dans leur péché. Mais pour le jugement qu’Il exercera à la fin des temps à l’égard des vivants et des morts, Il n’est pas venu l’exercer dans le monde, car, relativement à cela, Il a dit : « Je ne juge personne » (Jean VIII, 15), et, s’Il est venu d’abord, ce n’est point « pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jean III, 17).
Domínikos Theotokópoulos, dit Le Greco : guérison de l’aveugle-né (1570)
[Metropolitan Museum of Art, New York]

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Une bien belle page.
Je savais depuis longtemps que toute ma vie ne me suffirait pas pour comprendre tout le sens des Ecritures, mais je me réconfortais en me redisant qu’aux simples et aux tout-petits le principal serait révélé… et donc « La Petite Sainte Thérèse » (Docteur de l’ Eglise !) est une de mes protectrices dans Le Ciel, elle qui disait : « Si je ne savais pas que Dieu s’occupe de tout, je ne sais pas ce que je deviendrai, mais j’ai une Telle Confiance en Lui, qu’Il ne peut pas m’abandonner « .
Merci pour cet éclairage sur la guérison de l’aveugle né… comme récemment aussi sur tout ce qu’il y a dans la parabole du « Bon Samaritain » !