2023-31. « Jésus prit avec Lui Pierre, Jacques et Jean, et Il les emmena à l’écart sur une haute montagne…»
Samedi des Quatre-Temps de Carême.
L’Evangile de ce jour est le même que celui du deuxième dimanche de Carême : la Transfiguration (cf. Matth. XVII 1-9)
Pietro di Cristoforo Vannucci, dit le Pérugin [il Perugino] (vers 1448-1523)
Transfiguration : fresque du « Collegio del Cambio » 1497-1500, à Pérouse
« Jésus prend avec Lui Pierre, Jacques et Jean,
et Il les emmène à l’écart sur une haute montagne pour prier »
Arrêtons-nous à cette seule phrase : n’allons pas plus loin aujourd’hui.
En effet, que d’enseignements en cette seule phrase !
Que de motifs de réflexion, de méditation, et donc que de richesse spirituelles en ces quelques mots !
1 – « Jésus prend avec Lui » :
Lorsque nous décidons de prendre un temps de prière, lorsque nous entrons dans le temps de la prière, lorsque nous prenons notre chapelet, notre livre de prière (psautier, ouvrage de méditation, bréviaire… etc.) ou que nous nous appliquons à l’oraison, avons-nous conscience que, en réalité, nous répondons à une « invitation », à une « initiative » de Jésus Lui-même ?
Réalisons-nous en vérité que prier, c’est « être avec Jésus », qui nous invite à passer un moment d’intimité avec Lui ?
Comprenons-nous que, lorsque nous entrons dans le mouvement intérieur de la prière ce n’est pas nous-mêmes qui faisons à Dieu l’honneur de bien vouloir Lui accorder un peu de temps, mais que c’est bien Lui, le souverain Seigneur du ciel et de la terre, qui nous fait l’honneur de nous admettre en « audience privée », en entretien particulier, en tête à tête privilégié ?
Nous avons si facilement tendance à penser (même inconsciemment) que, lorsque nous prions, nous sommes en définitive méritants de donner du temps à Dieu. Nous nous comportons pratiquement comme si nous Lui faisions l’aumône d’un peu de notre temps, tellement précieux, ce temps que nous pourrions utiliser de manière tellement plus efficace et tellement plus « rentable » en l’employant à des œuvres terrestres !!!
Il y a une urgence impérative à ce que nous changions notre regard sur notre propre démarche de prière, une urgence impérative à ce que nous convertissions notre mentalité de priant; une urgence impérative à ce que nous soyons intimement et fermement convaincus que nous ne faisons que répondre à un appel gratuit de Dieu, à un choix divin dans lequel nous n’avons aucun mérite : c’est Dieu, et Lui seul, qui nous fait l’immense honneur, l’immense grâce de nous « prendre avec Lui » !
2 – «… et Il les emmène à l’écart » :
Il est absolument impossible d’être avec Jésus, impossible d’être admis dans l’intimité avec Dieu, impossible de prier, si nous ne sommes pas « à l’écart » : cela ne veut pas dire que pour prier nous devions impérativement fuir dans un désert, nous barricader dans un ermitage, ou nous réfugier dans un bunker souterrain et blindé inaccessible à autrui…
Certes, un minimum de tranquillité, dans un espace où le recueillement est favorisé, est bien évidemment souhaitable, mais si l’on n’est « à l’écart » que d’une manière physique et matérielle, emportant avec nous, dans cette solitude qui est seulement extérieure, tout le brouhaha intérieur de nos préoccupations ordinaires et l’agitation de nos soucis, cela ne sert de rien !
C’est le fait d’être intérieurement à l’écart, psychologiquement à l’écart, spirituellement à l’écart, qui importe : pour prier, il convient avant tout et il est nécessaire de mettre de côté les préoccupations et les agitations qui nous distraient de Dieu.
J’ai connu un religieux qui, vivant à Paris, n’avait aucune difficulté à prier dans le métro et dans la rue : même dans le tohu-bohu de la capitale, et même en étant « attentif » à ce qui l’entourait, il demeurait intérieurement « à l’écart » et « retiré » pour rester dans l’union avec Notre-Seigneur.
C’est cela, le recueillement : le rassemblement et l’unification, en soi-même, de toutes ses capacités d’attention à Dieu.
3 – «… sur une haute montagne » :
Il ne suffit pas d’être « à l’écart », il convient aussi de s’élever : il faut se rendre « sur la montagne ».
Là encore il s’agit avant tout d’une attitude intérieure (sinon ceux qui habitent dans les plaines ou dans le fond des vallées ne pourraient jamais prier !!!).
S’élever « sur la haute montagne » pour être avec Jésus, c’est mettre la distance qui convient avec les réalités de la vie ordinaire, non pour les oublier, mais pour les élever avec nous : ainsi il ne nous est pas demandé de faire abstraction totalement des conditions de notre vie habituelle, des soucis réels que nous devons porter (par exemple les malades, les défunts, les personnes en difficultés… etc.), mais de ne pas être immergés – et submergés – par ces soucis, de les dominer par l’attitude surnaturelle, par la foi, par l’espérance et la charité, afin de les élever vers Dieu, de sorte que tout cela soit « exposé » à son rayonnement bienfaisant et pacificateur, de sorte que tout cela soit transcendé et soumis aux rayons de Sa grâce…
Corollaire : quelques suggestions concrètes pour la prière.
- Commencer notre prière en remerciant Dieu de nous admettre en Sa présence ; Lui rendre grâce de nous avoir « invités » à nous présenter devant Lui ; et nous comporter ensuite comme le ferions lorsque, invités par des personnes de qualité, nous agissons avec le maximum d’urbanité et d’attentions pour nous montrer à la hauteur de leur invitation qui nous honore.
- Faire de notre prière non pas un temps routinier durant lequel nous accumulons des répétitions de formules impersonnelles, mais un temps intense d’audience privilégiée avec un très grand, très haut et très puissant « Personnage » qui daigne s’intéresser à nous avec infiniment de délicatesse et de sollicitude…
- Réfléchir à ce que nous ferions et à ce que nous dirions si nous étions admis en audience privée avec l’un des personnages de la terre que nous admirons le plus. Transposons cela au niveau surnaturel : nous ne nous ennuierions pas si nous avions la chance de passer un quart d’heure avec l’un de nos artistes préférés qui voudrait nous donner du temps et nous écouter… alors pourquoi nous ennuierions nous avec Dieu qui est le plus grand de tous les plus grands personnages, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ?
- Lorsque nous prenons temps pour la prière, faisons tout notre possible pour nous « tenir à l’écart » des sollicitations du monde, et pour nous élever sur la montagne sainte : moins que d’éloignement physique – qui n’est pas toujours possible – il s’agit essentiellement d’isolement intérieur et d’élévation intérieure afin d’être « seul à seul » avec le Très Haut qui nous aime, qui nous connaît intimement et qui nous veut du bien, qui veut notre plus grand bien…
- De telles dispositions préalables – qui représentent une véritable ascèse (donc des efforts au départ et des efforts continus ensuite) – sont indispensables pour entrer dans l’intimité de Notre-Seigneur, à l’écart sur le sommet de la montagne, et pour être gratifié de Sa contemplation béatifiante et fortifiante : « Jésus prit avec Lui Pierre, Jacques et Jean, et Il les emmena à l’écart sur une haute montagne, et Il fut transfiguré devant eux… »
Andrea Previtali dit le Cordeliaghi (vers 1480-1528)
La Transfiguration
[Pinacothèque de Brera, Milan]

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