2022-82. Nous avons lu et nous avons aimé : « Elévations sur Sainte Magdeleine », par Pierre cardinal de Bérulle.
22 juillet,
Fête de Sainte Marie-Magdeleine, pénitente (cf. > ici).
Pierre, cardinal de Bérulle (1575-1629)
par Philippe de Champaigne
Le XVIIème siècle en France, ce « grand siècle des âmes » comme l’a si pertinemment nommé l’abbé Brémond, a nourri une extraordinaire dévotion envers Sainte Marie-Magdeleine – « la Magdeleine » comme on l’appelait souvent -, au point que certains auteurs estiment qu’elle constitue la figure spirituelle qui, après la Très Sainte Mère de Dieu, a inspiré le plus de panégyriques, ouvrages de piété et tableaux de dévotion en France au XVIIème siècle.
A cela, le Cardinal de Bérulle n’est pas étranger : il nourrissait une profonde dévotion envers la célèbre pénitente et il sut la communiquer à ses disciples, à ses contemporains et aux ecclésiastiques et fidèles des décennies qui suivront sa mort, à toute l’Ecole française de spiritualité. L’un des derniers ouvrages qu’il publia, en 1627, l’année même où il fut créé cardinal par le pape Urbain VIII, est un ouvrage petit par la taille mais immense par la profondeur spirituelle et le retentissement qu’il aura (cet ouvrage a été très régulièrement réédité jusqu’à nos jours) intitulé « Elévations sur Sainte Magdeleine – Elévation à Jésus-Christ, Notre-Seigneur, sur la conduite de Son Esprit et de Sa grâce envers Sainte Magdeleine, l’une des principales de Sa suite, et l’une des plus signalées en Sa faveur et en Son Evangile ». A peine deux ans plus tard, le 2 octobre 1629, Pierre de Bérulle mourra subitement en célébrant la Sainte Messe, âgé de seulement 54 ans. Il n’y a rien d’exagéré à voir dans les « Elévations sur Sainte Magdeleine », une sorte de testament mystique du grand cardinal français.
Un érudit a présenté cet opuscule en ces termes : « Ces pages sont moins d’un théologien féru d’exégèse que d’un croyant ramassé dans la solitude de son âme et transporté par la contemplation de cet amour inouï qui lie la pécheresse Madeleine au Fils de Dieu. Bérulle scrute l’abîme de ce mystère non pour le réduire au fil de l’analyse des textes, mais pour s’en emplir jusqu’à la saturation extatique. Cette Élévation est peut-être ce qui fut écrit de plus transcendant sur la relation d’amour entre la femme et Dieu. Elle reste, dans les lettres françaises, un exemple sublime de prose poétique et mystique, sur le mode fusionnel de l’identification amoureuse. Madeleine n’est pas un personnage anecdotique, elle a la grandeur d’un symbole de l’âme, incarné dans une figure dont la nécessité ne s’épuisera jamais. (…) Comme le titre d ‘élévation le présuppose, une grande partie de ce texte s’adresse au Christ dans la louange pour ce que sa grâce a réalisé en cette femme par son amour. C’est aussi une sorte de cantique ou de poème, la forme y joue le plus grand rôle. Bérulle suit la tradition qui ne voit qu’une seule femme dans la pécheresse du repas chez le pharisien (mais il croit pouvoir affirmer que si elle était pécheresse, elle n’était pas une prostituée), dans celle dont le Christ avait fait sortir sept démons, dans la sœur de Lazare, dans l’une des femmes qui se tenaient au pied de la croix et naturellement dans celle qui revoit la première le Christ après sa résurrection. Il fait sienne la légende qu’elle ait vécu encore trente ans dans un désert, à la Sainte Beaume, pour connaître à son tour dans sa communion le temps de l’incarnation du Christ : «trente ans d’une vie où vous ne faites que vivre et mourir par amour ». Quoiqu’il ne s’agisse jamais chez Bérulle de « mystique nuptiale », il admire sans réserve et élève cette femme pour l’absolu don de soi où elle répond à l’amour infini du Christ par son amour pur, un amour d’abnégation, sans aucune trace d’amour-propre. N’est-elle pas l’exemple même du mystique, l’objet le plus éminent d’une grâce ineffable ? C’est pourquoi elle est sainte, modèle et intercesseur. La dernière phrase de l’œuvre témoigne et de l’argument et de la beauté un peu maniérée du style : « Celui qui l’a comblée de tant de merveilles, daigne nous rendre dignes de le reconnaître et révérer en elle et de la reconnaître et trouver en lui ; car c’est honorer Jésus que de connaître ses œuvres en cette âme, et la bien connaître que de reconnaître ce qu’elle est à Jésus et ce que Jésus a voulu être en elle. Soyons à elle par nos devoirs, et par ses prières soyons à Jésus pour jamais » (M. Chevallier, cf. « Persée » > ici).
Le cardinal de Bérulle a voulu dédicacer cet opuscule à S.M. la Reine Henriette-Marie de France, épouse de S.M. le Roi Charles 1er d’Angleterre, dont il avait été l’aumônier pendant la première année qui suivi son mariage (13 juin 1625). L’ouvrage est, de fait, la mise par écrit d’un discours qu’il lui avait tenu.
On ne résume pas cet ouvrage qui se savoure à la fois dans la magnificence de la forme et l’extraordinaire richesse spirituelle du fond.
Magdeleine se dépouillant de ses richesses
par Charles le Brun
En 1650, l’abbé Edouard Le Camus, dont la conversion et la vocation avaient été provoquées par les écrits de Bérulle, obtint des Carmélites de la rue d’Enfert (aujourd’hui rue Saint Jacques) la concession d’une chapelle dans leur église conventuelle. Il destinait cette chapelle au cénotaphe du cœur du Cardinal de Bérulle dont il passa commande au sculpteur Jacques Sarazin. Au-dessus de l’autel de cette chapelle fut placé un tableau commandé à Charles Le Brun (réalisé entre 1654 et 1657), dont on voit ci-dessus une photographie.
Toute le décor peint de la chapelle était aussi confié à Le Brun et à ses collaborateurs : il représentait les principaux épisodes de la vie de la sainte. Un vitrail montrait la mort de la Magdeleine, et le décor du plafond comprenait des anges, et peut-être une apothéose de la sainte.
Le sujet de la Magdeleine se dépouillant de ses richesses était plus commun pour les tableaux de dévotion, dans des lieux privés, que pour des tableaux d’autel. Le Brun a donné au sujet une véritable monumentalité et une grande intensité d’expression, avec un coloris tricolore déroutant.
Face à l’autel se dressait le cénotaphe renfermant le cœur de Bérulle, volumineux monument en marbre blanc représentant le cardinal à genoux légèrement penché vers l’avant, et tenant dans une main la barrette qu’il venait respectueusement d’ôter de sa tête. Il semble en mouvement, le visage tendu vers la représentation de la conversion de Marie-Magdeleine figurée sur l’autel : le peintre et le sculpteur ont donc conjugué leurs talents et leurs arts respectifs pour instaurer une espèce de dialogue entre sculpture et peinture, qui matérialise en quelque manière les « Elévations sur Sainte Magdeleine ».
La dédicace du monument, gravée sur le socle, peut se traduire ainsi : « Pierre de Bérulle, prêtre, cardinal, fondateur de la congrégation de l’Oratoire de Jésus en France, et modérateur dans le même pays des Carmélites déchaussées, homme de très noble naissance, de génie élevé, de très haute piété, dont la vie et la mort furent illustres par l’abondance et la plénitude de la sainteté, ne repose pas ici. Mais ici, tant qu’il vécut, en priant, il se prosterna très souvent, fervent dévot de Sainte Marie-Magdeleine, et Dieu miséricordieux devant le placer au ciel, a confié son corps à sa congrégation, son cœur aux vierges de cette maison, et son esprit aux ordres des chérubins et des séraphins qui sont glorifiés en cette assemblée. Ce monument à un si grand homme de si sainte mémoire a été posé par son fils très affectionné dans le Christ, le prêtre Édouard Le Camus, 1657″.
En 1792, tableaux et cénotaphes furent ôtés de la chapelle et, après diverses péripéties, ont fini par être déposés au Louvre. De nos jours, le tableau de Le Brun qui ornait l’autel et le cénotaphe sont tous deux exposés au Louvre-Lens dans une scénographie qui essaie de restituer leur disposition de 1657, mais sans les autres œuvres qui ornaient la chapelle des Carmélites et surtout – hélas ! – sans l’atmosphère sacrée qui les entourait…
Cénotaphe du cœur du cardinal de Bérulle (partie supérieure)
par Jacques Sarazin (Louvre-Lens)

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Merci pour cet article qui nous prépare à la méditation sur l’oeuvre du Christ accomplie en Marie-Magdeleine, et nous engage à nous procurer son ouvrage.