2022-42. Conte traditionnel russe : les trois arbres.
Rembrandt : Les Trois Arbres (Rijksmuseum, Amsterdam)
Il était une fois sur une montagne, trois petits arbres qui discutaient de ce qu’ils feraient lorsqu’ils seraient grands.
Le premier petit arbre, émerveillé par les étoiles brillant au firmament des nuits, disait :
« Moi, quand je serai grand, je voudrais qu’on me transforme en un coffre à trésor splendidement orné, et qu’on me remplisse de pièces d’or et de toutes les plus belles pierreries du monde ».
Le deuxième petit arbre qui aimait à regarder scintiller sous la lune les eaux claires de la rivière dévalant les pentes, et dont on lui avait rapporté qu’elle allait au loin se jeter dans les vagues d’écume de la mer, déclarait :
« Je voudrais qu’on me transforme en un magnifique vaisseau ! Alors, commandé par un vaillant capitaine, je serai invincible pour affronter tous les océans du monde ».
Le troisième petit arbre, qui se plaisait à regarder les sommets aux alentours qui semblaient toucher le ciel, et les villages qu’on apercevait dans les vallées et desquels montaient jusqu’à eux les échos de la vie des hommes avec ses inquiétudes et ses joies, ses peines et ses espérances, ses bonheurs et ses deuils… , rêvait :
« Moi, quand je serai grand, je voudrais être encore plus grand que grand, et tellement grand que, chaque fois que l’on me regardera, on soit obligé de lever très haut les yeux et, de la sorte, obligé de penser à Dieu ».
Le temps s’écoula longtemps au grand sablier de la montagne, au murmure des sources, au clapotis des ruisseaux.
Les printemps succédèrent aux hivers, puis laissèrent la place aux étés.
Les trois petits arbres avaient changé, pris de la force, de la stature, des troncs vigoureux, des branches et des branchages.
Un matin d’automne des voix résonnèrent sur le sentier. Les oiseaux firent silence.
Les arbres se mirent à trembler de toutes leurs feuilles.
Trois bûcherons s’approchèrent des arbres.
Le premier bûcheron, regardant le premier arbre, le déclara parfait et, à grands coups de hache, le fit tomber sur le sentier.
Le deuxième bûcheron, voyant le deuxième arbre, le trouva vigoureux et, à grands coups de hache, le coucha sur le sol boueux.
Le troisième bûcheron se chargea du troisième arbre et, à grands coups de hache, il le fit culbuter dans la clairière dévastée.
Les trois arbres abattus furent ensuite trainés sur le flanc de la montagne.
Chacun sous son écorce imaginait la suite de son destin.
Le premier arbre allait enfin pouvoir vivre le rêve de sa vie : il se retrouverait bientôt dans la bonne odeur de colle et de copeaux de bois de l’atelier d’un ébéniste de renom…
Mais il fut emmené à l’humble menuiserie d’un village où personne ne commandait de coffre orné auquel confier de riche trésor, mais seulement des mangeoires pour les animaux.
Après deux jours et deux nuits de voyage, le deuxième arbre pensa qu’allait enfin se retrouver sur les galets gris du chantier naval. Les cris aigus des mouettes lui tournaient déjà la tête.
Il ne pouvait pas encore se douter de la mauvaise surprise qui l’attendait : pas un seul armateur n’avait passé commande pour un grand vaisseau ; seul un pêcheur avait commandé une modeste barque de pêche.
Quand au troisième arbre qui n’était plus que désespoir, on le débita en grosses poutres mal équarries qu’on mit à sécher le long d’un mur chez un charpentier.
Beaucoup de mois, beaucoup d’années passèrent sur les rêves détruits des trois arbres.
Beaucoup d’insectes dans leur bois, beaucoup d’araignées, beaucoup de poussières, beaucoup de désespérance…
Les arbres avaient fini par oublier leurs rêves.
Ils avaient cicatrisé.
Ils s’étaient installés dans les torpeurs de l’habitude.
Ils n’attendaient plus rien…
Le premier arbre devenu mangeoire ne sentait même plus la caresse des animaux tirant sur le foin.
Mais une nuit d’hiver la douce lumière d’une étoile plus éclatante que les autres se posa sur lui.
Un homme jeune au maintien doux et modeste et une toute jeune femme vinrent s’abriter dans l’étable.
Au milieu de la nuit, la jeune femme mit au monde un bébé que l’homme emmaillota et coucha dans la mangeoire.
Alors le premier arbre comprit que son rêve se réalisait.
Encore bien des coups de vent, des jours de pluie, des hivers glacés passèrent sur les rives du lac où le deuxième arbre, devenu petite barque de pêcheur, vieillissait lentement dans une mauvaise odeur de poisson.
Jusqu’à ce soir d’été où un groupe d’hommes voulut traverser le lac : ils embarquèrent.
Soudain, alors qu’ils se trouvaient au milieu du lac, une tempête se leva telle qu’on n’en avait jamais vu.
L’homme qui dormait à l’avant et vers lequel tous les autres crièrent affolés, se leva dans la barque, étendit les bras et calma la tempête.
Ainsi le second arbre comprit que son rêve se réalisait.
Peu de temps après cet événement, la ville se mit à résonner d’une étrange rumeur : les gens étaient énervés, on entendait des cris étouffés de femmes inquiètes et des cris de haine, des martèlements de chaussures de soldats…
L’air était rempli de violence, de mauvaise vengeance, d’injustice.
Des hommes vinrent près du hangar pour y tirer de sa torpeur le troisième arbre transformé en poutres.
Ils assemblèrent ces poutres en forme de croix, et, sur cette croix, ils clouèrent le Fils de l’Homme.
Le troisième arbre sut alors que son rêve se réalisait, puisque désormais chaque fois qu’on le regarderait, on penserait à Dieu.
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Un conte plein d’espérance pour nos misérables vies.
Merci beaucoup pour votre blog, Frère.
Merveilleux, sublime et divin !
Quel beau conte ! Merci Frère pour ce partage.
Merveilleux…
JUSTE SUBLIME !!!
Grand merci à vous.
Quel beau conte ! intemporel …puis « vint la Plénitude des temps » et tout s’est mis en place …
C’est magnifique !
Merci, Frère.
Un très beau conte .