2022-23. « Cette Parole divine, aliment privilégié de notre piété, en gage d’une fervente et fructueuse vie spirituelle. »

Voici le texte de la prédication donnée par Monsieur l’Archidiacre du Chapitre de Saint Remi devant les jeunes hommes aspirant au canonicat, à l’occasion du dimanche de la Sexagésime 2022.
Même s’il était particulièrement adapté aux lévites qui assistaient à cette Messe, tous les fidèles y trouveront des aliments substantiels pour leur vie spirituelle et leur préparation au grand et saint carême.

parabole du semeur - gravure de Mathias Merian 1593-1650

La parabole du semeur
gravure de Mathias Merian (1593-1650)

Dimanche de la Sexagésime 20 février 2022

Mes biens chers frères,

« Qui a des oreilles pour entendre, entende ! » La parabole de ce dimanche de la Sexagésime devrait nous interpeller et, comme c’est le but en ce Temps de la Septuagésime, cet Évangile que l’Église offre à notre méditation cherche à nous secouer de notre torpeur et à nous offrir un bon examen de conscience à la veille d’entrer dans la Sainte Quarantaine. Voici la question cruciale sur laquelle nous serons jugés au soir de notre vie : écoutons-nous vraiment la parole de Dieu ou jouons-nous toujours au sourd lorsque nous devrions tendre une oreille attentive ? 

En ce dimanche de la Sexagésime, nous continuons de nous préparer sérieusement au Carême, où nous aurons à faire fructifier de nouveau les dons que le Seigneur nous a donnés depuis le jour de notre Baptême, et que nous avons bien souvent enfouis profondément dans le sol, dans l’attente de la bienheureuse résurrection. Mais si nous voulons porter du fruit, et du fruit qui demeure (cf. Jn 15, 1-8), mes bien chers frères, il nous faudra utiliser une semence vitale, en nous gardant bien de ces pesticides dont le monde empoisonne le terreau fertile de l’âme chrétienne.

Quel est donc ce germe de Vie éternelle ? Notre-Seigneur, pour une fois, prend le soin d’expliquer Lui-même cette parabole à nos intelligences défectueuses et nous répond : « La semence, c’est la parole de Dieu » (Lc 8, 11). Alors mettons-nous à l’écoute du Jardinier de nos âmes, qui plante, arrose, regarde pousser et émonde le temps venu… écoutons ses conseils pour faire de nos âmes, durant le temps quadragésimal, un jardin fertile qui fleurira au beau matin de Pâques.

La question se pose donc à chacun de nous : Que faisons-nous de cette Parole de Dieu qui s’est fait chair, de cette Parole contenue dans nos saints Livres, de cette Parole que l’Église sème, à travers la Liturgie et la voix de ses ministres ? Nos bouches à nous, chanoines et candidats au canonicat, que nous prêtons à l’Épouse mystique du Christ pour chanter tout le long du jour la louange de Dieu en nous unissant aux chœurs célestes, nos bouches cléricales sont-elles purifiées du même feu que le charbon que vint allumer le chérubin (qui signifie « brûlant » en hébreu) sur les lèvres d’Isaïe en vue de devenir le prophète de Dieu, celui qui prête sa voix aux annonces divines ? Épisode fameux dont le prêtre (ou le diacre à la Messe solennelle) s’inspire en récitant la prière du Munda cor pour demander la purification de ses lèvres avant de proclamer le saint Évangile. Ce qui est saint en effet ne réclame-t-il pas des instruments sanctifiés ?

Durant tout le temps que nous passons à la chapelle à redire les Psaumes que Notre-Seigneur a Lui-même priés, plaçons-nous suffisamment notre cœur à l’unisson des états d’âme que dépeignent ces chants sacrés ? Là se situe bien la différence entre « écouter » et « entendre » : l’écoute distraite où le son ne vient que frapper notre oreille (plus ou moins douloureusement selon la qualité de notre chant) ; et l’écoute attentive où notre cœur, comme nous le prions dans la prière Aperi qui précède l’Office, s’unit profondément aux paroles que va prononcer notre langue. Écoutons-nous d’une oreille attentive ou distraite la sainte Parole de Dieu ? Et surtout, la mettons-nous en pratique ensuite ou demeure-t-elle lettre morte ?

La semence est de chétive apparence, d’une taille fort modeste et d’un aspect quelconque, et cependant ! Déposée en terre, fécondée par les pluies et les rayons du soleil, elle germe, croît et se transforme en moissons admirables. Il en est de même pour la sainte Parole de Dieu. Elle ne semble pas être grand’chose de l’extérieur, quelques lettres de notre alphabet, des mots usuels de notre langage… mais elle vient germer dans le champ de nos âmes (1 Cor. 3, 9) pour y faire éclore une abondante moisson de sainteté, à ceux qui savent se rendre attentifs au sens profond qu’elle revêt, je dirais presque comme les sacrements : qu’elle agit ex opere operato, de la toute-puissance de vie qu’elle manifeste, comme nous pouvons l’admirer dans le récit de la Genèse : « Dieu dit et cela fut », ou encore à l’occasion des miracles opérés par Notre-Seigneur.

Ne prétendons pas que nous n’avons pas reçu assez de graines pour les faire fructifier, autrement dit : que Dieu n’a pas été assez généreux avec nous ! Le divin Laboureur jette sur nos âmes, à pleines mains, sa Parole, ses dons et ses grâces. La résistance, l’obstacle vient toujours de notre côté, jamais de Dieu qui se donne « tout à tous ».

Ainsi, pour que la semence puisse porter du fruit en nous, il faut que le terreau de notre âme soit bien disposé. On ne plante pas n’importe quel arbre dans n’importe quelle terre, fût-ce à la Sainte-Catherine où la sagesse populaire prétend que « tout bois prend racine » ! Cela vaut a fortiori pour notre âme. Et le Maître explique qu’il existe quatre variétés de terrains : le chemin battu, le terrain pierreux, le terrain épineux et enfin la bonne terre. « Quelle sorte de terrain êtes-vous ? » pourraient titrer les magazines à la mode friands de sondages !

Une partie de la semence tombe sur le chemin : « elle a été foulée aux pieds et les oiseaux du ciel l’ont mangée » (Lc 8, 5). Ce terrain représente les cœurs endurcis, qui refusent, avec obstination, de prêter l’oreille à la Parole. S’ils doivent l’entendre, ils ne s’en tiendront qu’à la forme et non au fond, par pure curiosité, ou pis : pour la critiquer. Notre monde actuel regorge de ces cœurs endurcis auxquels les portes du Ciel s’ouvriraient si leurs oreilles s’ouvraient elles-mêmes à l’écoute de la révélation divine. Mais ils préfèrent bien plutôt « bâillonner le Bon Dieu » par la maladie du monde qu’est l’indifférence.

Une autre partie de la semence tombe dans un terrain pierreux. Ce terrain représente les chrétiens superficiels, esclaves de leurs passions, se disant chrétiens pour se donner bonne conscience et parce qu’ils assistent à la messe dominicale, mais ne permettant pas à la divine semence de germer dans leur cœur. Ils ne refuseront pas la Parole : ils l’écouteront, mais ce sera seulement par un sentiment religieux fugitif, qui s’évanouira dès la fin du sermon. Qu’en retiennent-ils finalement ? Rien, car une fois confrontés de nouveau aux dures réalités du péché et du mal, ils auront tout oublié et s’accrocheront à leur faiblesse humaine plutôt qu’à la force de Dieu contenue dans son Verbe. Pour Saint François de Sales, le chrétien superficiel est « comme le malade qui se contenterait de regarder la boîte contenant la médecine de sa guérison » : il ne fait qu’écouter la Parole divine, mais ne la met pas en pratique : il l’écrit dans son cahier de citations mais ne la grave pas dans son cœur.

Une troisième partie de la semence tombe parmi les épines. Les épines représentent ceux qui ont écouté la Parole, mais qui l’ont ensuite étouffée au gré de tout ce qui nous retient dans le monde : soucis comme plaisirs. Ils sont disposés à l’écoute, à grandir dans la pratique des vertus, mais ils sont encore trop attachés aux biens de ce monde qui, peu à peu, viennent étouffer les bons désirs et les bonnes dispositions. Ceux-ci auront germé, mais les épines auront eu raison de leur croissance. Cet attachement aux biens de ce monde, nous l’expérimentons chaque jour ! Ne permettons pas à ces épines de finir par étouffer les inspirations de la grâce en nos âmes ! Bien souvent, nous manquons de clairvoyance et de discernement sur ces épines ; parce que, bien souvent, nous pensons que nous sommes à l’abri de leur présence nuisible. Et pourtant ! Combien de fois nous chutons ! C’est pourquoi notre Sauveur a institué le sacrement de pénitence, qui vient arracher une à une les épines qui écorchent notre âme, pour permettre à la semence d’y croître librement sans être étouffée par notre péché.

Enfin, une dernière partie de la semence est jetée sur la bonne terre, qui représente « ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance » (Jn 8, 15). Ce sont les bons chrétiens, dont le cœur est rempli d’amour et de zèle pour la Révélation. Ouverts sans réserve à la Parole divine, celle-ci germe en eux et produit de véritables fruits de sainteté. Comment cela ? Parce qu’ils méditent avec soin la Parole sacrée et parce qu’ils la mettent en pratique chaque jour, par des résolutions fermes et réfléchies ; parce qu’ils n’ont pas mis leur espérance dans les biens d’ici-bas, mais parce qu’ils ont leurs yeux sans cesse fixés vers le Ciel, au cœur des moindres actions quotidiennes, comme au milieu des violentes tempêtes de la vie. Surtout, ils sont résolus à suivre le modèle que nous offre le Verbe de Dieu : Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui ne nous a pas enseigné seulement par ses paroles, mais encore par ses silences et par ses gestes.

À nous particulièrement, prêtres et aspirants au sacerdoce, cette Parole divine doit se révéler l’aliment privilégié de notre piété, en gage d’une fervente et fructueuse vie spirituelle. Comme le relevait une encyclique consacrée au célibat sacerdotal : « Le prêtre doit s’appliquer avant tout à développer avec tout l’amour que la grâce lui inspire son intimité avec le Christ, s’efforçant d’en explorer l’inépuisable et béatifiant mystère ; il doit acquérir un sens toujours plus profond du mystère de l’Église, en dehors duquel son état de vie risquerait de lui apparaître déraisonnable et sans fondement. Une piété sacerdotale, alimentée à la table de la Parole de Dieu et de la sainte Eucharistie, vécue à l’intérieur du cycle annuel de la Liturgie, animée par une dévotion tendre et éclairée envers la Vierge, Mère du Prêtre souverain et éternel, et Reine des Apôtres, le mettra en contact avec les sources d’une authentique vie spirituelle ».

Et méditer sur la richesse de la Parole de Dieu revient à nous interroger sur la pauvreté de nos paroles humaines et sur la valeur de nos conversations : « Nemo secure loquitur, nisi qui libenter tacet, nous enseigne avec bon sens l’Imitation de Jésus-Christ : seuls savent parler ceux qui volontiers se taisent ». C’est en effet le silence qui donne du prix à la parole. Pour le catholique, le silence n’est pas un vide : il est « l’apaisement des bruits de la terre pour discerner les paroles du Ciel », selon la profonde définition qu’en donne le bénédictin Dom Romain Blanquet. Mais la parole aussi vient de Dieu : In principio erat Verbum, et chez le prêtre (et le futur prêtre), elle ne peut et doit être que sacrée, selon la consigne que donnait sainte Thérèse d’Avila à ses filles : « Soit parler à Dieu, soit parler de Dieu ».

Vous, mes bien chers frères, en quel terreau vous reconnaissez-vous ? Votre visage, votre cœur, vos pensées, vos désirs rayonnent-ils de la Parole vivifiante et transformante de Dieu ? Dieu parle à nos cœurs. Ôtons-nous donc les écouteurs du monde et les « boules Quies » de l’orgueil, pour prêter l’oreille au seul Seigneur, chacun selon notre vocation, à l’image de Samuel enfant : « Parlez, Seigneur, car votre serviteur écoute » (1 Sam. 3, 10). Et je répète, avec notre divin Maître, à ceux qui seraient atteints de surdité spirituelle, que nos oreilles sont faites pour entendre ! « Ephata : ouvre-toi ! » commandait le Christ aux oreilles du sourd-muet. C’est ainsi que nous serons cette bonne terre, à l’image de Notre-Dame, jardin fertile de notre Salut. Et nous pourrons chanter avec Elle ce cantique éternel : « Bienheureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu, et qui la gardent dans leur cœur » (Lc 11, 28).

Ainsi soit-il.

Pour faire célébrer des Messes par les chanoines de Saint Remi > ici

Blason Ordre de Saint-Remi

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 26 février 2022 à 14 h 47 min Marie-Agnès L. écrit:

    Je suis toujours subjuguée par les homélies des chanoines G. , tous deux, car ils sont en complémentarité.
    C’est tellement puissant qu’une seule lecture est insuffisante, car en fait elle peut servir de support de méditation pour le carême.
    J’ai encore dans la tête celle du chanoine S. dans la Crypte de Saint-Martin lorsque, ensemble, nous y étions.
    Et lors de ma visite cette semaine au tombeau, j’ai essayé de repasser en fermant les yeux ce moment de grâce.
    Un grand merci, Frère Maximilien, de nous avoir transmis cette homélie.
    Dieu vous garde tous les trois !

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