2021-55. Le martyre de Sainte Ursule, probable dernière toile du Caravage.
21 octobre,
Fête de Sainte Ursule et de ses compagnes, vierges et martyres ;
Et aussi fête de Sainte Céline, veuve, mère de Saint Remi (cf. > ici),
Mémoire de Saint Hilarion de Gaza, abbé et confesseur ;
Mémoire du Bienheureux Charles de Habsbourg, empereur et roi, confesseur ;
Anniversaire de Sa Majesté la Reine Marie-Marguerite (21 octobre 1983).
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Au Mesnil-Marie, nous nourrissons une dévotion très intense pour Sainte Ursule, dont la vie et le martyre ont joui d’une immense popularité dans tout l’Occident aux siècles de foi, et dont l’exemple a inspiré de magnifiques œuvres d’éducation (on pense ici tout particulièrement aux diverses congrégations d’Ursulines qui ont vu le jour à partir du XVe siècle).
En outre, le fait que, en ces temps de rationalisme dévastateur et d’impiété, l’histoire de Sainte Ursule soit reléguée au rang de légende ajoute indubitablement à notre zèle pour la faire connaître et vénérer !
Sainte Ursule a inspiré un très grand nombre d’artistes.
Parmi les chefs d’œuvre qui la représentent se trouve « le martyre de Sainte Ursule » de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage, qui est très probablement – pour ne pas dire d’une manière quasi certaine dans l’état actuel de nos connaissances – la dernière toile du maître : elle fut achevée dans la première quinzaine du mois de juin 1610, et le 18 juillet suivant, Le Caravage mourut à Porto Ercole dans sa trente-neuvième année.
Naples, palais Zevallos Stigliano, présentation du tableau du Caravage :
Le martyre de Sainte Ursule (1610)
En octobre 1609, Le Caravage arrive à Naples : c’est son deuxième séjour. Le premier avait été en 1606-1607 après qu’il a dû fuir Rome où il a été condamné à la peine capitale par contumace pour un homicide.
Depuis, le peintre mauvais garçon s’est rendu entre autres à Malte et en Sicile, où il a réalisé plusieurs chefs d’œuvre.
Mais il espère toujours pouvoir rentrer à Rome, et il a pour cela fait implorer sa grâce auprès du Souverain Pontife.
Le cardinal Scipion Borghèse, son protecteur, lui fait savoir au début de juillet 1610 que le Pape est disposé à le gracier s’il demande pardon : c’est la raison qui amènera Le Caravage à quitter Naples pour retourner dans les Etats Pontificaux et c’est alors que la mort viendra le surprendre à Porto Ercole, comme nous l’avons déjà dit, dans des circonstances qui ne sont pas encore toutes élucidées.
C’est au cours de ce second séjour napolitain que Caravage peint ses dernières toiles, dont « le martyre de Sainte Ursule » est considéré par un très grand nombre d’historiens de l’art et d’experts comme la toute dernière.
Dès son arrivée à Naples, pris dans une énième bagarre, le peintre a été grièvement blessé par plusieurs hommes qui l’ont attaqué – était-ce un guet-apens ? – et laissé pour mort : la nouvelle de son trépas remontera même jusqu’à Rome.
Il a pourtant survécu et il peint encore.
»Le martyre de Sainte Ursule » est une commande du prince génois Marc’Antonio Doria, éminent mécène et collectionneur.
C’est une toile d’importance : 1,70 m sur 1,40 m.
Des documents du chargé d’affaires du Prince Doria, bien conservés, permettent de savoir que Le Caravage lui a remis la toile alors que les vernis n’étaient pas complètement secs, et que, pour hâter le séchage et l’expédition, cet homme a exposé l’ œuvre au soleil.
C’était bien la dernière des choses à faire !
Par la suite, cela aura des conséquences sur les couleurs et la conservation du tableau, qui arrive à Gènes par la mer le 18 juin 1610, un mois avant la mort de son auteur.
L’accueil des Génois ne sera pas enthousiaste, loin s’en faut.
Le tableau restera à Gènes jusqu’en 1832 puis, en raison des péripéties consécutives aux diverses successions, on va le retrouver dans les collections de divers membres de la famille Doria en d’autres de leurs palais jusqu’en 1973, date à laquelle il est acheté par la filiale napolitaine de la Banque Commerciale d’Italie.
C’est ce qui a occasionné le retour de l’œuvre à Naples, où elle est actuellement conservée et exposée au palais Zevallos Stigliano, via Toledo.
Le martyre de Sainte Ursule (1610)
dernier chef d’œuvre du Caravage, version restaurée
Le tableau dépeint le moment culminant du martyre de Sainte Ursule, celui où, ayant repoussé les avances du roi des Huns et déjà transpercée de la flèche qui est en train de causer sa mort, elle va s’effondrer et rendre le dernier soupir. Ce tableau est donc comme un instantané pris sur le vif.
Alors que l’iconographie habituelle représente le plus souvent Sainte Ursule entourée de ses compagnes, ou bien s’organise en « cycles » où l’on peut voir se succéder les tableaux de son départ, des étapes de son pèlerinage, de son arrivée à Cologne et de l’attaque des pèlerins par l’armée des Huns (ce qui donne aux artistes l’occasion de peindre des scènes épiques), conformément à son habitude, Le Caravage concentre l’action sur un petit nombre de personnages, jusqu’à donner un caractère presque intimiste de cette scène de violence et de mort.
La restauration du tableau a d’ailleurs fait apparaître, outre les couleurs d’origine, une main ouverte, entre le roi des Huns et la jeune martyre, qui semble repousser le spectateur pour laisser seuls les protagonistes du drame.
Le martyre de Sainte Ursule – Le Caravage
Cette photographie du tableau a été prise avant restauration :
la main tendue du personnage de l’arrière-plan n’y apparaît pas !
(comparer avec la version restaurée reproduite supra)
Au premier plan, sur notre gauche, nous voyons le roi des Huns, revêtu d’une cuirasse aux reflets d’argent rehaussée d’ornements d’or sur une tunique pourpre, dont la main droite vient de relâcher la corde de son arc. La flèche qu’il a lancée est déjà fichée dans la poitrine de la sainte. Cette dernière est déjà d’une lividité mortelle : elle contemple sa blessure de laquelle le sang se répand, et dont le rouge se confond avec le rouge vif de son manteau.
Remarquez l’expression de l’œil et de la bouche du roi des Huns : on y lit presque une sorte de regret du geste qu’il vient d’accomplir.
Le visage et la position de Sainte Ursule, s’ils expriment une forme de douleur, manifestent, au-delà de cette souffrance, une espèce de contemplation sereine qui contraste avec l’agitation qu’on lit sur les visages qui l’entourent.
L’attitude des personnages secondaires peut également retenir notre attention : celui qui est au premier plan à droite, revêtu d’une armure et casqué, donne donc l’impression d’être un soldat Hun, pourtant il semble soutenir ou retenir la chute de la martyre. On ne voit pas l’expression de son visage, mais la manière dont il se penche légèrement manifeste comme une curiosité pour la blessure et pour le sang qui s’en échappe.
En revanche, les deux hommes de l’arrière-plan pourraient être des hommes de la suite de Sainte Ursule et de ses compagnes : le peu que l’on voit de leur habillement montre que ce ne sont pas des soldats. L’expression de leurs visages est faite d’agitation, de protestation, d’indignation.
Nous avons déjà mentionné la main droite de l’homme qui se trouve sur le côté droit de Sainte Ursule (donc à gauche pour nous) : spontanément, on imaginerait, du fait de la place de son avant bras et de sa main, qu’il a essayé de s’interposer pour empêcher le roi Hun d’atteindre la sainte, mais la disposition même de cette main, qui n’est pas dirigée en opposition à la personne ou à l’arc du roi, mais ouverte en direction du spectateur comme nous l’avons dit, appelle une autre interprétation : celle que nous avons explicité ci-dessus.
Quant à l’homme, cou tendu et bouche ouverte, dont le visage se trouve juste à l’arrière du cou de Sainte Ursule, on s’accorde pour dire qu’il s’agit d’un autoportrait du Caravage.
Son ultime autoportrait.
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Sans cette démonstration colorée de ce tableau du Caravage, un profane n’aurait pu entrer dans le drame de ce martyre de Sainte Ursule. Merci pour cette explication.