2021-15. En raison de nombreuses questions qui nous ont été posées, voici encore quelques précisions concernant le jeûne et l’abstinence.
Dimanche de la Quinquagésime.
Albrecht Dürer : la Sainte Face présentée par deux anges (1517)
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
La publication précédente (cf. > ici) m’a valu de nombreux messages personnels contenant des questions qui me poussent à redire (encore une fois !) un certain nombre de choses que j’ai déjà écrites et publiées, puisque je remarque que beaucoup de fidèles – sans doute par défaut de formation – opèrent des confusions, ou s’adonnent à des interprétations personnelles surprenantes.
Reprenons donc (l’éducation n’est-elle pas l’art de la répétition ?), en essayant d’être le plus clair possible.
1) Qu’est-ce que le jeûne que nous demande l’Eglise ?
Lorsque l’Eglise impose à ses fidèles un jour de jeûne, elle ne leur demande pas une privation totale de nourriture pendant 24 h : elle leur prescrit de ne faire qu’un seul repas, modéré, pendant ce jour là.
Originellement, ce repas n’était pris qu’en fin de journée. Mais, eu égard à la faiblesse humaine, et en particulier pour ceux qui ont une activité physique éprouvante, il a été autorisé de prendre cet unique repas en milieu de journée.
Cela signifie donc que les jours de jeûne il n’y a ni petit-déjeuner ni dîner.
Toutefois, par miséricorde, si l’on ne peut pas tenir jusqu’à l’heure de la rupture du jeûne (c’est l’étymologie du mot déjeuner), une boisson est autorisée le matin, et, si l’on en a vraiment besoin, une collation est permise le soir.
Une collation n’est pas un repas : elle se compose, par exemple, d’un bol de soupe, ou bien d’un fruit, ou encore de deux tranches de pains. Elle n’est pas constituée d’un bol de soupe AVEC deux tranches de pain ET un fruit : c’est l’un ou l’autre, pas les trois, sinon cela constitue un repas frugal !
J’ai connu le cas (je ne l’invente pas, je vous certifie devant Dieu l’authenticité de cette anecdote) d’une religieuse qui disait : « Les vendredis de carême je jeûne au pain et à l’eau »… Effectivement, ces jours-là, elle ne mangeait que du pain. Mais – car il y a un mais – en réalité le matin elle prenait deux tranches de pain avec son café, puis vers 10 h, où elle avait l’habitude de grignoter, elle reprenait une ou deux tranches de pain, au moment du déjeuner elle engloutissait quasi la quantité équivalente à un repas normal en tranches de pain, elle reprenait une tranche ou deux de pain en milieu d’après-midi à l’heure où elle s’accordait d’habitude un petit goûter, et le soir elle engloutissait encore plusieurs tranches de pain à l’heure du dîner. Elle avait conclu ces explications par ces mots que je cite textuellement : « Finalement, le jeûne au pain et à l’eau, ce n’est pas si difficile et je le supporte très bien ! »
Eh bien, je suis désolé ma chère Sœur, mais prendre de la nourriture, même si ce n’est que du pain, à cinq reprises dans la journée, cela ne fait pas un jour de jeûne.
2) Qui est tenu au jeûne ?
La loi de l’Eglise (contenue dans le code de Droit canonique) stipule que l’obligation du jeûne s’adresse à tous les fidèles à partir de leur majorité jusqu’à l’âge de 60 ans.
Le code précise même « jusqu’à la soixantième année commencée » : cela signifie par exemple que moi qui vais fêter mes 59 ans dans quelques mois, à partir du lendemain de ce 59ème anniversaire je ne serai plus obligé au jeûne (je précise néanmoins que, à moins de problèmes de santé graves, je n’ai aucune intention de cesser de jeûner en entrant dans ma soixantième année : Saint Antoine le Grand et Saint Paul ermite, qui ont l’un et l’autre largement dépassé l’âge de 100 ans, ont jeûné jusqu’à leur mort).
Les personnes malades ne sont pas tenues au jeûne.
3) Une personne normalement tenue au jeûne peut-elle en être dispensée ?
Oui, cela peut arriver, pour de justes raisons. L’une d’entre elles est la maladie, comme dit ci-dessus.
Il peut y avoir d’autres motifs, mais on entre alors dans des cas particuliers, et ce sont les supérieurs ecclésiastiques ou le confesseur qui peuvent, avec la grâce du discernement liée à leur fonction, accorder une dispense ou une mitigation, et non l’intéressé lui-même.
Habituellement, une personne qui reçoit la dispense du jeûne voit celui-ci commué en œuvres de charité, de piété ou de pénitence adaptées à son cas.
4) Que peut-on manger au cours du repas autorisé les jours de jeûne ?
Le jeûne est une privation de la quantité de nourriture, il ne porte pas sur les mets eux-mêmes. C’est l’abstinence qui règle la question des aliments interdits.
Ainsi, jeûner ne signifie pas que l’on ne mange que du pain sec : d’ailleurs les pains modernes achetés dans le commerce, même lorsqu’ils sont dits « complets », conviennent assez mal aux jours de jeûne.
L’unique repas autorisé lors d’un jour de jeûne peut donc comprendre, en quantité modérée, plusieurs types d’aliments. En théorie d’ailleurs, s’il existait un jour de jeûne qui ne fût pas en même temps jour d’abstinence, il serait permis de consommer de la viande lors de l’unique repas autorisé !
5) Qu’est-ce que l’abstinence ?
Originellement, l’abstinence est la privation de tous les aliments d’origine animale : viandes, charcuteries, poissons, laitages et fromages, œufs et tous leurs dérivés.
En Occident, au cours des siècles, cette discipline s’est considérablement atténuée pour ne plus être seulement considérée que comme l’interdiction de la viande et de la charcuterie !!!
Précisons encore que l’abstinence n’est pas l’obligation de manger du poisson le vendredi : elle porte sur l’interdiction des mets carnés ! Comme le disait l’un de mes aumôniers lorsque j’étais enfant : « A quoi cela rime-t-il de se priver de steak haché si c’est pour le remplacer par un délicieux plat de poisson accompagné de mayonnaise ? »
A mon avis, il est nécessaire et urgent que les fidèles de l’Eglise latine redécouvrent le sens de l’abstinence et reviennent à la pratique des origines, qui a été conservée dans un certain nombre d’ordres religieux et dans les Eglises d’Orient.
Qu’on se souvienne de la plainte indignée et baignée de larmes de Notre-Dame de la Salette : « En carême, ils vont à la boucherie comme des chiens ! »
6) Qui est tenu à l’abstinence ?
« Sont tenus par la loi de l’abstinence, dit le code de Droit canonique actuellement en vigueur, les fidèles qui ont 14 ans révolus » (canon 1252). Le même canon ajoute aussi que les parents et éducateurs chrétiens ont le devoir d’éveiller au sens de l’abstinence et de la pénitence les enfants qui n’y sont pas encore obligés.
7) Est-ce vrai que « le dimanche, ce n’est pas carême » ?
Combien de fois n’ai-je pas entendu cette phrase assénée de manière péremptoire (et quasi jubilatoire) !
Selon la Tradition antique (je ne parle pas ici des édulcorations modernes qui lui ont ôté toute vigueur), les dimanches de carême – leur nom même le dit – appartiennent bien au carême : à ce titre l’abstinence y est de règle. C’est le jeûne seul qui est suspendu le dimanche.
En revanche, les jours de très grande fête dont la célébration se produit en carême, telles que la Saint-Joseph et l’Annonciation (ou autres fêtes de première classe du calendrier propre), non seulement le jeûne est suspendu mais, toujours selon la Tradition antique, l’abstinence y est aussi partiellement levée, c’est-à-dire que souvent le poisson va y être permis.
Note :
Il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui disent : « Moi, mon carême, je le fais à ma manière : je ne me prive pas de viande, mais je me prive de bonbons » (ou d’autre chose que l’on aime particulièrement : chocolat, cigarettes, alcool, musique, télévision… etc.).
Nous ne nions pas que cela puisse représenter un vrai sacrifice pour ces personnes, mais ce qu’elles font n’est pas conforme à la demande de l’Eglise.
La valeur des sacrifices accomplis réside d’abord dans l’obéissance par amour à ce que l’Eglise nous demande au nom du Seigneur Jésus. Celui qui « fait un tri » dans les préceptes de l’Eglise et choisit de son propre chef ses pénitences, n’obéit pas à l’Eglise mais à lui-même, et en réalité il place ses propres choix au-dessus des demandes de l’Eglise. Il n’accomplit pas la volonté de Dieu exprimée par les préceptes de l’Eglise, mais il accomplit sa propre volonté !
On ne remplace pas le jeûne et l’abstinence demandés à tous les fidèles par ses propres options de privation, mais on doit d’abord se soumettre à la loi commune ; ensuite, en plus, on peut y ajouter le sacrifice des bonbons, du chocolat, de la cigarette et de la télévision : sacrifices qui prendront toute leur valeur en étant un « plus » ajouté aux observances communes, mais qui n’en auront aucune si on les substitue de son propre chef aux préceptes communs du jeûne et de l’abstinence imposés à tous les fidèles.
Evidemment, nous avons bien conscience que toutes ces précisions peuvent sembler à certains des arguties de casuistes rigoristes : et il n’en manque effectivement pas, surtout dans les rangs de ceux qui sont influencés par le modernisme et qui envoient promener règles et préceptes au prétexte que ce qui compte c’est la « liberté des enfants de Dieu dans l’amour ».
Ces règles et usages pleins de sagesse hérités de vingt siècles de Tradition et d’expériences de la Sainte Eglise ne sont pas des fins en elles-mêmes, mais elles sont les parapets qui bordent une route de montagne surplombant des abîmes pour nous empêcher de tomber dans les précipices de nos fantaisies et de nos jugements personnels. Celui qui s’y soumet dans l’esprit de renoncement à lui-même qu’exige de suivre le Christ Notre-Seigneur portant Sa Croix, accomplit de véritables actes d’amour, pratiques et concrets, qui n’ont rien à voir avec les illusoires mouvements de la sentimentalité.
En effet, pour savoir si l’on aime vraiment quelqu’un, il faut se demander ce que l’on est prêt à sacrifier pour lui. Les sacrifices imposés par la discipline quadragésimale reçue de la sainte Tradition sont des preuves tangibles de notre amour pour le divin Sauveur et de notre fidélité à Son service.
Albrecht Dürer : la Mère des Douleurs

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Si l’on aime vraiment quelqu’un il faut se demander ce que l’on est prêt à sacrifier pour lui.Devise qu’il nous faut retenir.
Bon carême.
Le Mesnil est notre refuge. De bons conseils nous y sont prodigués, pour continuer à marcher sur notre route de montagne. Quel reconfort!
Parfait! puisque c’est la loi de l’Eglise.
Bon carême à tous !