2019-69. Des reliques des Saints Abdon et Sennen, et de leur arrivée à Arles-sur-Tech.
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Dans ma première publication consacrée aux Saints Abdon et Sennen (cf. > ici), je vous annonçais une deuxième partie relative à l’histoire de leurs reliques.
Il est en effet important de la connaître, pour ensuite aborder et bien comprendre une troisième partie qui traitera de « la sainte tombe » et de son eau miraculeuse.
En conclusion de ma première partie, je vous disais donc que le sous-diacre Quirinus, ayant soustrait les corps des martyrs à la profanation après qu’ils étaient restés exposés à l’extérieur de l’amphithéâtre pendant trois jours, les avait ensevelis dans sa maison ; mais lui-même ayant été pris et martyrisé quelques années plus tard, la tombe des Saints Abdon et Sennen demeura oubliée…
Et il en fut ainsi pendant près de trois-quart de siècle.
La « Légende dorée », que nous avons précédemment citée, dit simplement que « du temps de Constantin, ces martyrs révélèrent où étaient leurs corps que les chrétiens transférèrent dans le cimetière de Pontien » ; en cela elle ne fait que résumer les Actes de ces martyrs, qui ne précisent pas de quelle manière les Saints Abdon et Sennen se manifestèrent ni à qui.
La catacombe de Pontien est située à Rome dans l’actuel quartier du Janicule, et après le transfert des saints corps de nos deux martyrs, elle fut parfois appelée « Catacombe des Saints Abdon et Sennen ». Le Pape Saint Damase y fit aménager une basilique souterraine pour le culte de ces saints martyrs.
Il faut aussi signaler ici qu’il y a dans cette catacombe une source pure et abondante qui alimente un baptistère.
Une fresque, dont je n’ai pu trouver qu’une reproduction sous forme de gravure, et non une photographie, représente Notre-Seigneur Jésus-Christ en buste, sur une nuée, qui, d’une main, place une couronne sur la tête d’Abdon et de l’autre une couronne sur celle de Sennen.
Les deux martyrs sont habillés à l’orientale, avec sur la tête le « pileus », c’est-à-dire une espèce de bonnet phrygien par lequel l’art paléochrétien identifie les Perses et les peuples avoisinants.
A droite et à gauche, sont représentés deux autres saints, Milix et Bicentius (Vincent), dans l’attitude de la prière. Chacun des personnages est identifiable grâce au nom inscrit verticalement à côté de lui.
Catacombe de Pontien : fresque représentant les Saints Abdon et Sennen couronnés par le Christ Sauveur
Toutefois au début du IXème siècle, la catacombe de Pontien et la basilique souterraine des Saints Abdon et Sennen étaient dans un état de vétusté dangereux, et les reliques des saints martyrs ne s’y trouvaient plus en sécurité.
Pascal 1er, pape de janvier 817 à février 824, fit donc transférer les saints corps dans la basilique de Saint-Marc, sur l’actuelle place de Venise, dans le centre historique de Rome.
C’est probablement à l’occasion de cette translation que l’abbaye de Fulda, en Germanie, l’église Saint-Médard de Soissons, et quelques autres sanctuaires ou abbayes, obtinrent quelques reliques des Saints Abdon et Sennen.
Au temps de Saint Charlemagne, dans la vallée du Tech – fleuve côtier qui descend des hauteurs pyrénéennes vers la plaine du Roussillon -, un moine bénédictin, du nom de Castellanus, vint d’outre-Pyrénées pour établir un ermitage sur une éminence où subsistaient des ruines de bâtiments antiques.
Les disciples affluèrent, attirés par la réputation de sainteté de Castellanus, et l’ermitage devint une abbaye bénédictine, qui dut même essaimer en raison de l’afflux des vocations. Comme bien souvent, une bourgade se développa autour de l’abbaye : ainsi naquit la petite ville aujourd’hui nommée Arles-sur-Tech.
Arles-sur-Tech : au centre du bourg, l’abbatiale Sainte-Marie (état actuel)
Après un siècle de prospérité, vers le milieu du IXème siècle, un raid de Normands qui avaient pillé les Baléares, accosta en Roussillon, y semant ruines et désolation. Remontant la vallée du Tech, ils parvinrent jusqu’à l’abbaye Sainte-Marie d’Arles qu’ils dévastèrent pendant trois jours, y massacrant ceux des moines qui n’avaient pu s’enfuir.
Les décennies qui suivirent furent difficiles, comme d’ailleurs en beaucoup d’endroits : les chroniques du temps, un peu partout en Europe, parlent de phénomènes effrayants dans le ciel, de tremblements de terre, d’incendies, de grêles dévastatrices, de bandes d’animaux sauvages quittant les forêts pour s’en prendre aux populations… etc.
Le Vallespir (ainsi nomme-t-on ce pays qui s’étend autour du Tech) ne fut pas épargné par les malheurs du temps, et les récits nous parlent de créatures effrayantes, que les gens appelèrent simiots (le « t » final se prononce), qui terrorisaient et décimaient la population, en particulier dévorant les enfants.
Moines et paysans multipliaient les jeûnes, les pénitences, les processions de supplication et les prières pour obtenir la cessation de ces fléaux.
Nous étions sous le pontificat de Jean XIII – pape d’octobre 965 à septembre 972 – et l’abbé de Sainte-Marie d’Arles, un homme d’une grande foi et ferveur qui avait pour nom Arnulfe, décida de se rendre à Rome pour y implorer le secours des saints apôtres et des martyrs, mais aussi dans l’espoir d’obtenir des reliques de saints dont l’intercession serait ensuite une protection surnaturelle pour ces contrées, et leur obtiendrait le retour à la paix avec la bénédiction de Dieu.
De part et d’autre de l’arc sculpté qui surmonte la porte de la façade principale de l’abbaye Sainte-Marie d’Arles,
on voit des créatures monstrueuses et cruelles dont on dit qu’elles sont la réprésentation des simiots
qui terrorisaient le pays avant le voyage de l’abbé Arnulfe à Rome.
Sculpture sur la façade de l’abbatiale :
simiot en train de dévorer un enfant
Arnulfe arriva à Rome au moment du grand carême. Il assista aux cérémonies solennelles, conformes à la liturgie grégorienne, qui se développaient quotidiennement, en présence du Souverain Pontife en personne, dans les églises stationnales.
Le lundi de la troisième semaine de carême, jour où la station se fait à la basilique Saint-Marc, la ferveur silencieuse d’Arnulfe fut remarquée de beaucoup et impressionna le pape Jean XIII lui-même qui le fit quérir et l’interrogea.
Arnulfe expliqua donc au Souverain Pontife la triste situation de son abbaye et du Vallespir.
Emu, le pape lui promis de lui accorder des reliques de saints (à l’exception de celles des Saints Pierre et Paul, Etienne et Laurent, s’empressa-t-il de préciser !).
L’abbé Arnulfe sollicita un délai pendant lequel il prierait le Ciel de lui faire savoir quelles reliques saintes il lui serait plus convenable de demander.
Au cours de la nuit qu’il passa en prière, Arnulfe reçut une vision, par laquelle il comprit qu’il devait demander au Souverain Pontife les reliques des deux martyrs persans qui reposaient dans la crypte de la basilique Saint-Marc, ce à quoi le pape consentit.
Jean XIII fit donc procéder à l’ouverture du tombeau des Saints Abdon et Sennen et il y fit prélever une part importante de leurs ossements sacrés qui furent remis à l’abbé Arnulfe.
Les chroniques rapportent qu’au moment de l’ouverture du tombeau, une suave odeur en sortit, qui émerveilla tous les participants à cette cérémonie, et que plusieurs malades furent alors guéris.
Retable des Saints Abdon et Sennen à Arles-sur-Tech,
panneau de l’extrémité gauche du registre inférieur :
ouverture du tombeau des Saints Abdon et Sennen et prélèvement d’une partie des ossements des martyrs
remis à l’abbé Arnulfe.
Avant de quitter la Ville Eternelle, Arnulfe se rendit aussi à la catacombe de Pontien, où les saints corps avaient reposé pendant plus de cinq siècles. A la vue de l’eau pure et abondante qui sourdait dans le baptistère proche de l’ancienne basilique des Saints Abdon et Sennen, il fut inspiré pour en prélever une part afin de l’emporter avec lui.
Ayant reçu une dernière bénédiction de Jean XIII, Arnulfe reprit la route de son abbaye.
Par précaution, car il craignait que son précieux chargement n’excitât quelque convoitise, il résolut de cacher les reliques des saints à l’intérieur d’un tonneau compartimenté qu’il fit confectionner spécialement : les saintes reliques se trouvaient au centre, dans un compartiment bien étanchéifié, mais aux extrémités duquel se trouvaient des compartiments remplis d’un côté par de l’eau et de l’autre par du vin, afin de faire croire qu’il n’y avait là que des provisions pour son voyage.
Retable des Saints Abdon et Sennen à Arles-sur-Tech,
panneau du centre gauche du registre inférieur :
Arnulfe quitte Rome avec les reliques dissimulées dans des tonneaux compartimentés ;
il emporte aussi avec lui de l’eau prise dans le baptistère de la catacombe de Pontien.
Le voyage de retour vers la Catalogne fut plein de péripéties.
Avant son embarquement à Gênes, par exemple, alors qu’une possédée s’était mise à vociférer au passage de l’abbé et de son précieux baril, Arnulfe expulsa le démon en faisant boire à cette femme un peu du vin de ce tonneau qui se trouvait sanctifié par la proximité des saintes reliques qui y étaient cachées.
En cours de voyage, une violente tempête menaça de faire sombrer le navire, mais Arnulfe se mit à invoquer à haute voix les Saints Abdon et Sennen avec une immense ferveur, bientôt imité par l’équipage : l’on vit alors apparaître deux jeunes hommes d’une grande beauté aux deux extrémités du bâteau, l’empêchant de sombrer.
Ayant posé le pied sur la terre catalane, Arnulfe, sollicité par deux enfants aveugles qui mendiaient, les guérit en leur faisant boire un peu de vin de son tonneau.
Pour la dernière partie de son chemin, pour gravir les sentiers escarpés du Vallespir, il loua les services d’un muletier. On rapporte qu’à l’approche des villages, les cloches se mettaient à sonner sans qu’aucune main humaine n’en tirât les cordes, ce qui fit que le muletier craignit quelque diablerie…
Enfin, alors que du sentier escarpé où ils cheminaient ils apercevaient déjà au loin les toits de l’abbaye Sainte-Marie d’Arles, la mule fit un faux-pas et dégringola dans le ravin avec son précieux chargement. Un moment Arnulfe craignit que les précieuses reliques ne fussent à jamais perdues. Cependant, le muletier et lui-même aperçurent, au fond du ravin, la mule qui se relevait, parfaitement saine et son chargement entièrement sauf, qui reprenait d’elle-même le chemin d’Arles, comme si de rien n’était, en suivant le lit du Tech, si bien qu’elle arriva aux portes de l’abbaye avant eux, tandis que des mains invisibles en faisaient sonner les cloches à toute volée !
Retable des Saints Abdon et Sennen à Arles-sur-Tech,
panneau du centre droit du registre inférieur :
le miracle de la mule tombée dans le ravin avec les précieuses reliques.
Retable des Saints Abdon et Sennen à Arles-sur-Tech,
panneau de l’extrémité droite du registre inférieur :
devant l’abbatiale Sainte-Marie dont les cloches sonnent à toute volée mues par des mains invisibles,
Arnulfe retire les saintes reliques de leur cachette.
Selon certains, avant que des reliquaires adéquats ne fussent réalisés, Arnulfe aurait déposé les ossements des Saints Abdon et Sennen dans un sarcophage antique (du IVe ou Ve siècle) en marbre, alors vide.
Pour d’autres, c’est seulement l’eau rapportée de la catacombe de Pontien qu’Arnulfe aurait versée dans ce sarcophage.
En fait, ces deux propositions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Il est en effet certain, puisque plusieurs témoignages relevés au cours des siècles le signalent, que de petits ossements des Saints ont été présents dans le sarcophage, et qu’aujourd’hui encore il y a toujours une trentaine de petits ossements dans ce sarcophage que l’on appelle communément « la sainte tombe ».
Le sarcophage antique dans lequel furent originellement déposées les reliques des Saints Abdon et Sennen
et aujourd’hui dénommé « la sainte tombe », visible à l’extérier de l’abbatiale Sainte-Marie.
A partir de l’arrivée des saintes reliques des bienheureux martyrs Abdon et Sennen, les simiots disparurent et ne terrorisèrent plus le pays qui recouvra peu à peu tranquillité et prospérité.
La dévotion aux deux frères martyrs se développa, attira des pèlerins, suscita des vocations pour l’abbaye, si bien qu’aux XIe et XIIe siècles l’église abbatiale dut être rebâtie, plus grande : c’est – à peu de choses près – l’édifice actuel.
Abbatiale Sainte-Marie d’Arles
la grand nef dans son état actuel
On peut voir dans l’église Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech, d’assez vastes cavités pratiquées en hauteur dans les gros piliers de la nef, qui ont servi, à certaines époques, pour enfermer les reliquaires des Saints Abdon et Sennen.
Elles ont gardé leur décoration d’origine, et on y voit, en particulier, la représentation des simiots que leur arrivée a fait disparaître à jamais.
L’un des « placards » aménagés dans l’un des gros piliers de la nef
pour conserver en toute sécurité les reliquaires des Saints Abdon et Sennen
Enfin, en 1647, pour la chapelle des Saints Abdon et Sennen, qui se trouve dans le bas-côté droit de l’abbatiale, fut réalisé le grand et somptueux retable avec ses douze tableaux en demi-reliefs illustrant les principaux épisodes du martyre des deux martyrs Persans et de la translation de leurs reliques que j’ai moi-même photographiés au début du mois d’avril 2019, à l’occasion de mon pèlerinage à Arles-sur-Tech, et que je vous ai présentés dans ces deux articles.
Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur.
A suivre : La sainte tombe d’Arles-sur-Tech et son eau miraculeuse : « l’eau des saints ».
Les Saints Abdon et Sennen,
enluminure originale d’une artiste catalane contemporaine,
qui m’a été offerte par le Cercle Légitimiste du Roussillon Hyacinthe Rigaud,
à l’occasion de mon pèlerinage à Arles-sur-Tech,
et qui se trouve depuis lors dans l’oratoire du Mesnil-Marie.
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Toujours le surnaturel, incompréhensible pour certains.
Très intéressant! j’ai pu ainsi connaître ces deux martyrs et cet homme admirable de foi et de piété qu’était Arnulfe.
Merci, cher frère, de nourrir notre notre dévotion et de combler nos ignorances.