2018-57. Christianisme et liberté (4ème et 5ème parties).

- Christianisme et liberté -
4ème partie

Le Christianisme et la liberté

Pour lire ou relire les 1ère, 2ème et 3ème parties de cette conférence de Gustave Thibon ici puis > ici.

« Le type humain déshumanisé qui s’élabore peu à peu dans le creuset des totalitarismes et des technocraties se situe aux antipodes de l’homme chrétien. Partout, le déclin des libertés accompagne comme une ombre le recul du christianisme. La simple constatation de ce fait suffit à nous montrer que le « chemin de la liberté » s’identifie à la voie tracée par le Christ.

La démonstration est simple. Si, comme nous l’avons dit, toute liberté repose sur un lien vivant et sur un amour, le christianisme nous apporte la suprême liberté parce qu’il nous apporte le suprême amour. En lui, nous trouvons le lien absolu qui délivre. Quel est en effet l’élément, jusque là inconnu dans le monde, qui confère à la révélation chrétienne son originalité irréductible, si ce n’est la reconnaissance du rapport à la fois intime et transcendant qui lie la personne de l’homme à la personne de Dieu ?
Les Anciens avaient conçu tous les modes de retour du particulier à l’universel, du multiple à l’Un : ils n’avaient jamais pressenti ce mystères des noces de l’âme et de Dieu.
Dieu m’a créé, Dieu me connaît et Dieu m’aime électivement ; je suis unique pour cet être unique ; le lien qui nous unit n’a pas d’équivalent. Dieu ne s’est pas incarné, Dieu n’est pas mort pour l’humanité, mais pour chaque homme en particulier (j’ai pensé à toi dans mon agonie, lui fait dire Pascal, j’ai versé telle goutte de sang pour toi…). Dieu nous a aimés le premier, il est descendu jusqu’à nous, et cette quête de la créature par le Créateur qui confère à la personne humaine une valeur infinie est le grand ferment libérateur du christianisme. « Vous avez été achetés d’un grand prix, ne vous rendez pas esclaves des hommes », nous dira l’Apôtre. Mais ici encore, ici surtout, cette libération naît d’un lien et exige une obéissance. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », c’est-à-dire attachez-vous à Dieu, imprégnez-vous de sa plénitude, ne faites qu’un avec lui et, par la vertu de cet attachement au Bien absolu et éternel, vous serez souverainement libres à l’égard des biens relatifs et temporels. C’est le grand paradoxe apparent du christianisme de nous convier à la fois au plus complet épanouissement et à la perte totale de nous-mêmes. Mais ces deux exigences ne font qu’une, car mon moi le plus profond réside dans le Dieu qui m’a créé et, en me perdant en lui, je suis souverainement libre, souverainement moi-même, parce que, alors, ma volonté épouse le jaillissement même de mon être. L’équivalence est rigoureuse : c’est celui qui nous a appelés à la « sainte liberté des enfants de Dieu », qui s’est fait « obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ».

Ce lien vivant et personnel entre l’homme et Dieu fonde le rapport des hommes entre eux, car le second commandement est semblable au premier. Aimer son prochain comme soi-même, c’est respecter avant tout cette liberté qu’il tient de Dieu. Nous arrivons ainsi à la conception évangélique et paulinienne du Corps mystique du Christ dont chaque cellule est unique (le salut est personnel : on mourra seul, dit Pascal) et soutient en même temps des échanges à la fois vierges et intimes avec les autres cellules (personne ne vit pour soi et ne meurt pour soi, dit saint Paul).
C’est l’échange intérieur qui porte sur l’être et non sur l’avoir ; c’est l’épanouissement de la solitude au cœur même de la communion : plus on est lié, plus on est libre ; plus on est aux autres plus on est soi-même.
La comparaison biologique est parfaite : chaque membre d’un organisme vivant s’épanouit d’autant plus librement qu’il est plus intimement lié, dans son être et dans ses fonctions, à l’ensemble du corps, et le cancer, prolifération anarchique, détruit d’abord le libre fonctionnement de l’organe révolté.
La notion chrétienne de prochain, le commandement qui nous enjoint d’aimer l’autre comme nous-même (ce qui signifie l’intériorité absolue de l’échange : je t’aime, non parce que tu me donnes ceci en contrepartie de cela, comme dans l’échange de type égoïste et commercial, mais parce que je suis toi et que tu es moi à travers notre source unique qui est Dieu) constitue le foyer commun et le centre régulateur de toutes les libertés individuelles ».

Véronèse - la foi guidant l'homme vers l'éternité - villa Barbaro à Maser fresque (1560-61)

Paul Véronèse : la foi guidant l’homme mortel vers la divine éternité
(fresque de la villa Barbaro, à Maser)

frise

- Christianisme et liberté -
5ème partie

Le Christianisme et les libertés

« On pourra objecter que cette libération chrétienne n’intéresse que le côté éternel et transcendant de l’être humain : le Royaume du Christ n’est pas de ce monde…
Mais l’homme est un – et c’est un fait historique incontestable que la Révélation métaphysique et religieuse du christianisme a pénétré, malgré la résistance de la matière et du péché, jusque dans les couches de la vie temporelle et a renouvelé les diverses structures sociales. 

Un exposé complet et cohérent ne saurait trouver sa place ici. Mais une constation globale s’impose : à la conception trop souvent pharaonique et totalitaire de la Cité antique, pyramide où chaque pierre n’avait de sens et de but qu’en fonction de la pierre terminale, on a vu se substituer peu à peu, sous l’influence du christianisme, une conception organique où chaque cellule vit de sa vie propre dans son rapport à l’ensemble du corps.
Depuis la Rome impériale jusqu’à nos jours – et en dépit des obstacles que n’ont jamais cessé de lui opposer tant de membres morts du corps de l’Eglise – la diffusion du christianisme a eu pour effet direct ou indirect de développer la liberté des individus et des groupes vivants (familles, communautés) en face des tyrannies exercées par les individus ou les collectivités.

La notion chrétienne de l’égalité des âmes devant Dieu a conduit graduellement à la suppression de l’esclavage ; elle a atténué toutes les formes d’oppression de l’homme par l’homme (rappelons pour mémoire la libération de la femme et la reconnaissance des droits de l’enfant, la formation des communautés locales et professionnelles du moyen âge, la défense des populations indigènes contre les envahisseurs coloniaux et des prolétaires contre les abus du capitalisme) ; elle a brisé les cadres rigides et les cloisons étanches des vieilles castes et favorisé, à tous les degrés de l’échelle sociale, la promotion individuelle.
Il n’est pas une seule liberté humaine (droit de posséder et droit de transmettre, droit d’entreprendre, droit de penser, etc.) que le christianisme n’ait pas stimulé, et cette immense éclosion des libertés – grâces auxquelles l’homme a pu assumer son propre destin (avec tout ce que cela comporte de risques et de chances, d’enrichissement intérieur et de contact avec le réel) – constitue l’âme de cette civilisation occidentale dont le déclin nous emplit aujourd’hui d’une angoisse encore imprégnée d’espérance.
La personne humaine, délivrée par le Christ, a pu déployer ses plus hautes possibilités : nous en voyons les fruits dans l’ordre économique, juridique, politique, culturel. Cette civilisation est indéfiniment créatrice parce qu’elle est fondée sur la liberté. L’esclave ne crée pas : il partage l’inertie de la matière inanimée. L’absence de force créatrice est commune à tous les mouvements totalitaires. Leur puissance est immense : elle est avant tout matérielle comme celle du raz de marée ou de l’avalanche. Elle construit comme on détruit : dans la matière et dans la mort. Une avanlanche peut emporter une forêt, mais non pas faire jaillir de la terre une seule herbe vivante. Camus a dit qu’il faut choisir entre l’efficacité du typhon et celle de la sève. Mais la sève de l’homme vient de Dieu…

Que cet essor du monde occidental procède avant tout de la sève chrétienne et non d’une coïncidence fortuite, deux faits globaux suffisent à l’établir.
Un simple coup d’œil sur la carte nous montre que le maximum de prospérité matérielle et d’épanouissement spirituel coïncide rigoureusement avec la zone d’expansion du christianisme.
La tension, qu’on peut vérifier tout au long de l’histoire, entre les pouvoirs totalitaires et l’Eglise du Christ nous apporte une preuve non moins convaincante de cette option fondamentale en faveur de la liberté.
Exception faite de quelques ententes toujours locales et provisoires entre l’Eglise et certaines puissances temporelles plus ou moins oppressives (lesquelles pouvaient d’ailleurs, étant donné les temps et les lieux, représenter un moindre mal), les tyrans de tout ordre ne s’y sont jamais trompés : depuis Caïphe et les Césars jusqu’aux maîtres de l’Allemagne d’hier et de la Russie d’aujourd’hui, un instinct très sûr leur a fait voir dans le christianisme leur  ennemi le plus intime et le plus dangereux. Et, dans la conjoncture présente face aux totalitarismes qui, tandis qu’ils assassinent la liberté, se parent hypocritement de son nom, alibi pour les tyrans et mirage pour les esclaves, l’Eglise constitue le dernier refuge des libertés menacées. N’est-ce pas elle qui défent pied à pied, contre la poussée envahissante du monstre anonyme, les droits irréductibles de l
a personne, de la famille et du travail ? »

A suivre :
6ème partie : « L’éducation chrétienne de la liberté » > ici

nika

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3 Commentaires Commenter.

  1. le 19 janvier 2021 à 16 h 19 min Goës écrit:

    Voilà pourquoi l’homme des lumières (en fait l’œuvre de Satan) a supprimé les communautés (les corps intermédiaires de métier et autres).

  2. le 30 juillet 2018 à 11 h 39 min Pierre écrit:

    Quelle pertinence dans cette analyse et quelle facilité de lecture. Ah ce Gustave!! quel Ardéchois!

  3. le 28 juillet 2018 à 8 h 11 min Colette D. écrit:

    Merci, cher Frère, de nous donner ce texte magnifique, si plénier !

    Et merci pour toutes vos activités variées qui sont faites pour la gloire du Seigneur.

    CD

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