2018-56. Christianisme et liberté (2ème et 3ème parties).
- Christianisme et liberté -
2ème partie
Nature de la liberté
Pour lire ou relire la 1ère partie > ici.
« Une brève analyse de la notion de liberté nous aidera à pénétrer les ressorts secrets de cette tragédie de l’esclavage.
La liberté de l’homme n’est pas une faculté suspendue dans le vide et qui se suffise à elle-même. Elle dépend d’une nature (je suis né d’une femme et je ne puis m’enfuir hors de l’humanité, disait le Poète) ; elle s’appuie sur une nécessité qu’elle transcende. Quand nous prononçons ces mots : être libre, c’est sur être plutôt que sur libre qu’il faut poser l’accent. Un homme est libre dans la mesure où il est. Avant la « libre pensée » et le « libre amour » il y a la pensée et l’amour tout court. Etre libre, c’est pouvoir épanouir sa nature, et non pas selon une volonté arbitraire, mais en obéissant aux lois éternelles inscrites dans cette nature. La liberté est donc avant tout une obéissance spontanée, consentie, vécue intérieurement.
La grande erreur est de poser le problème de la liberté en termes d’indépendance. L’homme, être relatif (ce qui signifie relié), ne peut pas être indépendant.
Je suis libre de choisir tel ou tel aliment qui me semble répondre davantage à mon goût ou à mon besoin : je ne suis pas libre d’avoir ou de ne pas avoir faim. Je suis libre de voyager ou de me marier, mais, pour exercer cette liberté, il faut que je me sente préalablement attiré par tel pays ou par telle femme.
A la base de toute liberté, il y a donc une attraction, un désir, un lien. Est libre celui qui peut choisir, parmi tous les liens qui le sollicitent, ceux qui répondent à ses aspirations les plus profondes. Et par là, le problème de la liberté débouche sur le problème de l’amour.
Nous n’avons pas le choix entre la dépendance et l’indépendance, mais entre la dépendance vivante qui épanouit et la dépendance morte qui opprime ; autrement dit, nous sommes libres dans l’exacte mesure où nous pouvons aimer les êtres et les choses dont nous dépendons. Nos possibilités de liberté s’identifient à nos possibilités de communion. Dans le même milieu, le même métier, tel homme se sentira libre et tel autre esclave ; le mariage par exemple sera pour nous une délivrance suivant l’accueil que nous ferons au lien conjugal : la femme fidèle, présence vivifiante pour celui qui l’aime, sera pour celui qui ne l’aime pas un « crampon » insupportable. Le saint qui peut tout aimer se sent libre dans tous les milieux et toutes les circonstances ; l’inaffectif, le réfractaire, incapables d’attachement, trouvent partout l’escalvage.
Saint-Exupéry disait qu’un homme vaut par le nombre et la qualité de ses liens : être libre, c’est adhérer intérieurement, spontanément à un ensemble qui nous comprend et qui nous dépasse, c’est soutenir avec cet ensemble des rapports analogues à ceux d’un membre avec l’organisme dont il fait partie.
La liberté ne signifie donc rien par elle-même ; elle vaut ce que vaut l’homme, et la valeur de l’homme se mesure à la densité de son être et à la profondeur de son amour.
Mais qu’est-ce que l’être et l’amour d’un homme, sinon un tissu de relations, c’est-à-dire la présence intime de l’autre au sein du moi ? Il n’y a pas de liberté possible sans une réserve d’attachement et de communion. La liberté matérielle présuppose des réserves matérielles (le prolétaire est précisément celui qui, ne possédant pas ses réserves, ne dispose d’aucune marge d’attente pour choisir son travail ou son employeur) ; de même la liberté spirituelle présuppose des réserves spirituelles : il faut avoir de quoi être libre, il faut disposer de ce champ de possibilités qui créent un enracinement, une culture, une expérience authentique des êtres et des choses.
Si nous examinons les plus hautes manifestations de la liberté, nous trouvons toujours à leur centre, un lien vivant, c’est-à-dire une obéissance inspirée par un amour.
Un homme est libre à l’égard des passions charnelles dans la mesure où il est attaché aux valeurs spirituelles et, comme Gabriel Marcel l’a très bien montré après Platon, il est libre à l’égard des opinions et des supersititions dans la mesure où il est lié par une foi.
De même, un arbre résiste aux influences du vent dans la mesure où il est retenu par ses racines, où il communie à la terre nourricière : son attache constitue le fondement et la garantie de sa liberté.
Ainsi notre liberté est à la fois créée et créatrice par rapport aux liens qui nous rattachent à l’univers : elle s’appuie sur des liens anciens pour nouer des liens nouveaux ».
Le « génie de la liberté » au sommet de la colonne de la place de la Bastille (Paris) :
l’ange porte-lumière (Lucifer) et briseur de chaînes…
- Christianisme et liberté -
3ème partie
Esclavage et rupture des liens.
« Le drame de l’esclavage n’est pas autre chose que le drame de la rupture.
Nous avons cité l’exemple de l’arbre : « libérez-le » de ses racines et vous ferez de ses feuilles mortes le jouet du vent. C’est précisément le sort de tant d’hommes arrachés à leur milieu naturel, à leur tradition et qui, parce qu’ils n’obéissent plus aux réalités profondes, deviennent la proie de conformismes superficiels et stériles.
De quoi sont les esclaves ces êtres qui se croient libres ? Dans quelle prison tombent ces négateurs du nid, sous quel joug s’inclinent ces révoltés contre les grandes lois de la nature ? Quels lumignons, quels feux follets, quels mirages dans le désert poursuivent ces éteigneurs d’étoiles ?
La servitude et le déracinement se répondent : celui qui refuse la sève qui le nourrit se livre tout entier au vent qui l’emporte.
La régression des libertés a pour origine la rupture des liens vitaux, provoquée par l’idolâtrie de la liberté.
On a confondu liberté et indépendance ; on a poursuivi le fantôme d’une liberté abstraite et presque absolue et, dans cette course insensée, on a perdu la liberté concrète et réelle. La liberté séparée de son contexte humain et gonflée comme une baudruche, a éclaté comme une baudruche.
Et chaque lien brisé a enfanté une chaîne. Dans bien des pays et pour beaucoup d’hommes, le mot de liberté n’est plus qu’un masque et une livrée sur des corps et des âmes d’esclaves.
Rien n’est plus éclairant que d’observer, sous ses différents aspects, cette pseudo-libération qui se résout en esclavage, ce refus d’obéissance qui mène tout droit à la servitude.
L’homme s’est de plus en plus dégagé de l’obéissance aux rythmes cosmiques pour devenir l’esclave docile de cadences artificielles mille fois plus rigides. On n’est plus lié au cycle des saisons ni à la marche du soleil, mais on consulte sa montre à chaque instant !
On s’est affranchi des servitudes familiales ; on a brisé, au nom de la liberté, les vieilles communautés naturelles pour tomber sous le joug des puissances anonymes de la finance et de la politique et, à la limite, de l’Etat totalitaire.
On a secoué, au nom de la libre pensée ou du libre amour, les « préjugés » de la tradition et de la morale pour se soumettre au conformisme de la mode et aux influences de l’actualité la plus creuse.
On a tranché les liens religieux comme contraires à la dignité d’une intelligence émancipée – et c’est la superstition qui fleurit sur le tombeau de la foi. Jamais les hommes n’avaient été aussi sceptiques devant les vérités éternelles et aussi crédules en face des mensonges de la publicité. Les amges, les guérisseurs, les stars, les pontifes d’une littérature et d’un art aberrants, sans parler des faux prophètes de la science et de la politique, remplacent le prêtre éliminé par le progrès des lumières…
Solitude et concentration : l’homme se change en grain de sable et la société en désert. Plus de lien et, aprtant, plus de liberté. Les grains de sable sont dociles parce que, bien qu’entassés les uns sur les autres, ils sont seuls. Aussi le vent les soulève et les emporte à son gré. Nous sommes à l’âge des masses et des mouvements de masse. Mais il n’est pas de plus grandiose mouvement de masse qu’une tempête de sable dans le désert.
Les forces qui meuvent les hommes deviennent de plus en plus étrangères à la nature profonde de l’homme. »
A suivre :
4ème et 5ème parties : « Le Christianisme et la liberté » &
« Le Christianisme et les libertés « > ici

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Excellent texte ! Les forces qui meuvent les hommes deviennent de plus en plus étrangères à la nature profonde de l’homme, il s’agit en fait de fabriquer l’homme nouveau, préconisé par les hommes des lumières : en fait un esclave.
Excellent texte, Maître Lully !!!!!.
Que soient nombreux ceux qui comprennent et approuvent cette dernière phrase du texte : « Les forces qui meuvent les hommes deviennent de plus en plus étrangères à la nature profonde de l’homme ».
Ne restons pas cependant négatifs, « toute ame qui s’élève élève le monde!!! »…