2018-32. Des offices des Ténèbres, les trois derniers jours de la Semaine Sainte.
7ème partie du récit du Maître-Chat Lully
relatant
la Semaine Sainte à La Garde-Freinet :
les offices des Ténèbres
Après leur pèlerinage du mercredi saint auprès des reliques de Sainte Roseline de Villeneuve (cf. > ici), Frère Maximilien-Marie et ses amis se trouvaient au seuil du Triduum Sacré, sommet de toute l’année liturgique, au cours duquel la Sainte Eglise actualise et revit les mystères de notre rédemption.
Au nombre des cérémonies les plus impressionantes des jeudi, vendredi et samedi saints, dans la liturgie latine traditionnelle, se trouvent les offices des Ténèbres.
Ainsi que je l’ai fait pour les saintes messes des lundi, mardi et mercredi saints (cf. > ici), je me contenterai d’un résumé et de la publication de quelques photographies.
Comme pour mes précédentes publications consacrées à cette célébration de la Semaine Sainte selon le rite antérieur aux réformes qui furent menées sous le pontificat de Pie XII, je vous renvoie une fois de plus aux excellentes publications réalisées par Henri Adam de Villiers sur le blogue de la Schola Sainte Cécile, et pour ce qui concerne les offices des Ténèbres à l’étude qu’il en a faite > ici.
Début de l’office des Ténèbres du jeudi saint.
Les offices des Ténèbres ne sont ni plus ni moins que les offices de matines et de laudes, qui sont le plus souvent accolés dans l’usage traditionnel.
Les matines commencent habituellement par le psaume XCIV, appelé invitatoire, suivi d’une hymne, puis, aux offices célébrés selon les rites doubles et semi-doubles elles sont divisées en trois parties, appelées nocturnes (on parle ainsi du premier, du deuxième et du troisième nocturne). Chaque nocturne est composé de trois psaumes avec leurs antiennes, puis de trois lectures (appelées leçons) précédées d’absolutions et de bénédictions et suivies d’un répons. Aux fêtes, les matines s’achèvent par le chant du Te Deum. Aux féries, vigiles et fêtes célébrées selon le rite simple, les matines n’ont qu’un unique nocturne composé de neuf psaumes, d’une absolution, de trois bénédictions et de trois leçons suivies chacune d’un répons.
Les laudes, elles, se composent de cinq psaumes avec leurs antiennes, suivis d’une lecture brève, d’une hymne, du cantique de Zacharie (Benedictus) et de l’oraison conclusive.
Avec leurs 15 psaumes, leurs hymnes, leurs lectures et leurs répons, matines et laudes constituent l’office le plus long du bréviaire.
Originellement, c’était un office célébré vers le milieu de la nuit – usage conservé dans certaines communautés monastiques – de sorte que les laudes s’achevassent au moment où la nuit pâlit.
Toutefois, pendant des siècles et sans que cela ne soit en aucune manière le fait du relâchement ou de la tiédeur, l’usage a finalement prévalu d’anticiper matines et laudes la veille, dans l’après-midi (un décret de la Sacrée Congrégation des Rites établissait qu’on pouvait réciter les matines du jour suivant à partir de 14 h) ou dans la soirée.
Les offices des trois derniers jours de la Semaine Sainte ont conservé la forme la plus primitive de l’office romain et se composent uniquement de psaumes, antiennes et répons : on y omet donc le verset d’introduction l’invitatoire, les hymnes, les absolutions et les bénédictions, et l’on ne dit pas le Gloria Patri à la fin des psaumes.
Extinction du premier des 15 cierges du chandelier des Ténèbres à la fin du premier psaume
« Une cérémonie toute particulière marque le chant des offices des Ténèbres et contribue à conférer à celui-ci un caractère inhabituel : un grand chandelier – appelé triangle ou herse – est placé dans le chœur côté épître et porte 15 cierges de cire jaune. Après la reprise de chacune des antiennes de l’office (il y en a 15), on éteint un à un chacun des cierges, sauf le 15ème, qui symbolise le Christ, peu à peu délaissé par ses disciples (les 12 apôtres, Marie Madeleine & Marie de Cléophas) : à la reprise de l’ultime antienne, celle du cantique de Zacharie Benedictus, ce dernier cierge est placé sur l’autel le temps du chant de l’antienne, puis provisoirement caché derrière l’autel pour les ultimes prières : le Christus factus est, le Miserere et l’oraison finale Respice, de sorte que toute cette fin de l’office est célébrée dans l’obscurité totale (les six cierges de l’autel, qui encadrent la croix, ont été éteints lors des six derniers versets du cantique Benedictus). Une fois l’office terminé, le cierge symbolisant le Christ est replacé, toujours allumé, sur le chandelier de Ténèbres » (citation de l’article d’Henri Adam de Villiers référencé supra).
Le chandelier des Ténèbres, appelé « triangle » ou « herse » avec ses 15 cierges de cire jaune
« L’office des Ténèbres, écrit encore Henri Adam de Villiers, comprend 3 nocturnes et les laudes, comme aux jours de fête. Chaque nocturne comporte 3 psaumes avec antiennes, un verset, 3 leçons suivies chacune par un répons. Au premier nocturne, les leçons de Ténèbres sont tirées des Lamentations du prophète Jérémie, sur une mélodie particulière justement célèbre. Les plus grands compositeurs de musique sacrée d’Occident ont rivalisé pour laisser de très nombreux chefs d’œuvres sur le texte admirable de ces 9 leçons de Jérémie, ainsi que les 27 répons et même certains des psaumes de l’office des Ténèbres (le premier psaume était ainsi chanté en musique à la Cour de Versailles, le dernier de chaque premier nocturne fut mis en musique par Marc-Antoine Charpentier pour la Sainte-Chapelle, nous reviendrons plus loin sur le chant du Miserere final) ainsi que le Benedictus final (il était le plus souvent chanté en musique à la Chapelle royale de Versailles) : le prolixe répertoire musical qui a été composé au cours des siècles pour les 3 offices des Ténèbres est un vrai joyau de toute la culture européenne » (cf. référence supra).
Mais bien évidement, dans le cadre du monastère Saint-Benoît de La Garde-Freinet, ce sont les mélodies grégoriennes traditionnelles et non des compositions des âges baroques qui furent exécutées.
Première leçon du deuxième nocturne du vendredi saint
Lorsque l’office s’achève, 14 des 15 cierges du grand chandelier des Ténèbres ont été progressivement éteints, puis les 6 cierges de l’autel. Le dernier cierge allumé au sommet du triangle est emmené derrière l’autel si bien que l’office s’achève dans l’obscurité totale, comme cela a déjà été dit plus haut.
L’usage veut alors que l’on fasse un véritable vacarme en frappant sa stalle ou son livre : c’est le Tremblement, qui symbolise la confusion de la création à la mort de son Créateur et le tremblement de terre qui se produisit au moment où Notre-Seigneur expira.
« Le tremblement s’étant arrêté, le 15ème chandelier, qui symbolise le Christ lumière du Monde, dont la splendeur de la gloire qui sans s’éteindre fut éclipsée dans sa passion et sa mort, est enfin ramené de derrière l’autel et replacé en haut du chandelier, image de la lumineuse victoire de notre Sauveur sur les ténèbres de la mort par sa résurrection » (citation de l’article référencé supra).
Cette cérémonie accomplie pendant des siècles faisait partie des rites les plus populaires du Triduum Pascal, étant particulièrement propre à marquer les imaginations et à susciter les sentiments qui conviennent à ces jours.
Chant du cantique de Zacharie « Benedictus » au cours duquel les 6 cierges de l’autel vont être progressivement éteints
Si la réforme de 1955 n’a que peu touché aux textes eux-mêmes des offices des Ténèbres, elle ne les a toutefois pas totalement épargnés et l’on trouvera le détail de ces suppressions ou modifications dans l’article d’Henri Adam de Villiers que j’ai déjà largement cité dans ce compte-rendu.
A La Garde-Freinet, nous avons regretté que l’usage antérieur d’anticiper les offices des Ténèbres la veille au soir ne fut pas rétabli mais que la communauté bénédictine, qui récite habituellement les matines à 4 h puis les laudes à 6 h, ait placé les Ténèbres à 5 h du matin : ainsi, au lieu que l’office s’achevât dans l’obscurité – en pleine correspondance logique avec le nom de Ténèbres qui lui est attribué – se terminait-il au moment où la clarté du jour entrait dans l’église !
J’achève ici en faisant mienne la conclusion d’Henri Adam de Villiers, toujours dans l’article sus-cité, ces usages imposés en 1955 ont contribué « à détruire le symbolisme bouleversant de ces offices. Ces modifications vont contribuer à la décadence générale de cet office vénérable, quasiment oublié désormais dans les paroisses. Cette désaffection a entraîné l’oubli de pans entiers de la culture occidentale, par la perte du riche patrimoine musical associé au chant des Ténèbres : leçons, répons & Miserere sont devenues désormais au mieux de simples œuvres de concert ».
Lully.
A suivre :
La cérémonie du Mandatum > ici

Vous pouvez laisser une réponse.
Que de découvertes sur ce blog de Maître-Chat Lully! Toutes intéressantes, instructives.
Merci de cet exposé/photographique qui m’en a appris.
Merci Lully, ton Papa-Moine continue à faire des étincelles !
C’est vrai, j’ai un peu oublié tous ces offices et ça fait du bien de me les remémorer grâce à l’écriture si claire de Frère Maximilien-Marie qui est un grand savant.
On peut toujours écouter de merveilleux enregistrements mais rien ne vaut la « présence » qui existe encore dans certains lieux sacrés comme à Saint-
Eugêne/Sainte Cécile.
Et comment ne pas évoquer « Le siècle de LOUIS XIV » ? Si riche dans de
nombreux domaines, malgré les guerres POUR LA FRANCE.
Grosses caresses Lully.
Reine Claude
Cet office est rempli de symboles.
Il est vrai, je les avais oubliés : il est bien navrant de toujours affaiblir notre culture millénaire.
A Paris, les offices à Saint-Eugène/Sainte Cécile sont effectivement enthousiasmants… et ont suivi exactement ce que dit Frère Maximilien.
Le tremblement fut même effrayant pour les non-prévenus.