2017-90. Quand nos chouans des hautes terres tenaient la république en échec : la bataille du Clapas.

- 21 novembre 1797 -

Scapulaire Sacré-Coeur

       Ce 21 novembre 2017 a marqué le deux-cent-vingtième anniversaire de ce que les ouvrages d’histoire locale appellent « la bataille du Clapas ».

   Le Clapas est le nom d’un suc volcanique, situé entre le Mont Gerbier de Jonc (au pied duquel sont les sources de la Loire) et la ferme de Bourlatier (localement bien connue parce qu’elle est aujourd’hui un lieu emblématique du tourisme aux confins des Boutières et du plateau). En raison de l’amoncellement des blocs volcaniques qui le composent, se suc peut donner l’impression, de loin, de ruines antiques. C’est d’ailleurs l’explication de son nom : un « clapas », en patois, c’est un gros tas de cailloux.
Au milieu du XVIIe siècle, les seigneurs de Fourchades et Saint-Martial firent construire une grande ferme au pied du Clapas. A moins de 500 mètres de la ferme de Bourlatier, elle fut d’abord appelée « grange neuve de Bourlatier » ; mais bientôt le suc qui la domine lui donna son nom et on ne la connut plus guère que comme la ferme du Clapas.

   Au moment de la grande révolution, François Chanéac, dit « le Grand Chanéac » (cf. > ici) en était le fermier, à la suite de son père.
Les Chanéac en effet, quoique propriétaires aisés de plusieurs domaines, étaient également fermiers du Clapas, propriété seigneuriale.
Cette ferme, située sur le territoire de la paroisse de Saint-Martial, se trouve en même temps aux confins de celle de Saint-Andéol de Fourchades (Bourlatier appartient à Saint-Andéol) et du mandement de Goudoulet : cette situation fait d’elle un point stratégique, idéalement situé, entre plateau vivarois et vallées profondes des hautes Boutières.

Saint-Martial - le suc du Clapas et la ferme du même nom

Saint-Martial : le suc du Clapas et, à son pied, la ferme à laquelle il donne son nom.
Pendant la grande révolution, le Grand Chanéac était fermier du Clapas
qui était l’un des lieux stratégiques de la chouannerie vivaroise.

   Alors que le soulèvement vendéen ne dure qu’un peu plus de 9 mois (de mars à décembre 1793), la résistance du Vivarais à la révolution s’étale sur presque 10 ans : d’août 1790 jusqu’au début de l’année 1800.

   Cette résistance a commencé avec les « Camps de Jalès » (cf. > ici), qui tendaient d’abord à la constitution d’une « armée catholique et royale d’Orient », mais l’échec du soulèvement du comte de Saillans, en juillet 1792 (cf. > ici), entraîne un changement de méthode : de la constitution d’une armée qui devait mener campagne à la manière des troupes régulières on passe à une guérilla, faite de mouvements sporadiques nombreux, rondement menés, accomplis par de petites troupes à géométrie variable conduites par des chefs locaux déterminés, en lien les uns avec les autres. C’est donc à proprement parler une chouannerie, qui bénéficie du soutien actif d’une grande partie de la population, surtout dans les campagnes, mais très spécialement sur le plateau vivarois et dans les hautes Boutières, zones difficiles d’accès.
Cette opposition est motivée par une fervente fidélité à la religion catholique – qui se trouve alors persécutée et dont les biens ont été spoliés -, par le refus de la conscription militaire, par le mécontentement de l’augmentation continue des impôts depuis le début de la révolution, et par l’attachement aux traditions et particularismes locaux contre le nivellement centralisateur jacobin.

   François Chanéac, dit « le Grand Chanéac » (1759-1841), demeure encore dans les mémoires comme l’une des figures les plus populaires parmi les chefs de la chouannerie vivaroise, aux côtés d’une dizaine d’autres meneurs.
Doté d’un charisme particulier, chevauchant sa jument noire à laquelle il a donné le nom symbolique de « la Vendée », il peut très rapidement rassembler sa troupe qui, selon les besoins, peut se composer de quelques dizaines à plusieurs centaines de combattants.
Les révolutionnaires les qualifient de « brigands », car le terme de chouans ne leur sera appliqué qu’au XXème siècle, mais il s’agit bien d’une chouannerie en tout comparable à celles de Bretagne, de Normandie ou du Maine.

   Au cours des années 1795 à 1799, loin de s’essouffler, la chouannerie du plateau vivarois décuple son activité, jusqu’à faire des incursions dans les petites villes des vallées, où les révolutionnaires sont les maîtres, et jusqu’à inspirer des craintes à Paris, car le Directoire reçoit régulièrement des comptes-rendus qui le navrent…

   C’est donc ainsi qu’à l’automne 1797, le Directoire confie au général Boisset la mission d’en finir avec les « brigands » du plateau ardéchois.

Chouans en embuscade

   Joseph-Valérian de Boisset (1750-1824), natif de Montélimar, a commencé sa carrière militaire sous l’Ancien Régime, mais il s’est mis au service de la révolution (et a alors abandonné sa particule). En 1794, il a été promu général de brigade à l’armée du Nord, et après avoir servi dans l’armée de Sambre-et-Meuse puis dans celles des Pyrénées, en 1796 il est nommé commandant des forces armées des départements du Gard et de l’Ardèche.

   Le 19 novembre 1797 (29 brumaire de l’an VI selon le ridicule calendrier révolutionnaire), il quitte Privas à la tête de troupes de lignes et de forces de gendarmerie en direction du Mont Gerbier de Jonc.
Des ordres ont été envoyés aux gardes nationales d’Antraïgues et de Burzet, bourgades où les révolutionnaires sont plus zélés, pour qu’elles le rejoignent.
C’est ainsi que la garde nationale de Burzet, composée d’une trentaine d’hommes, se porte sur place et y arrive avant Boisset et ses troupes.
Avant donc que la jonction ne soit réalisée, les chouans de François Chanéac, embusqués et maîtres du terrain, tombent sur la garde nationale de Burzet et la mettent en déroute ; trois de ses hommes sont tués dans la bagarre. Les « crapauds bleus » (c’est par ce surnom infamant que les gens des hautes Boutières et du Plateau appellent les gardes nationaux) s’enfuient à toutes jambes, poursuivis par les chouans.
Ce combat a lieu dans l’après-midi et la soirée du 21 novembre 1797 (1er frimaire de l’an VI).

   Boisset apprend la nouvelle le lendemain, alors qu’il se trouve à Antraïgues. Il accélère la marche de ses troupes auxquelles il fait mener une véritable battue, le 23 novembre et les jours suivants, aux alentours de Lachamp-Raphaël, des Sagnes, de Bourlatier, du Clapas et du Gerbier.
Il a même installé son QG dans la ferme du Clapas : dans le lieu habituel de la vie du Grand Chanéac et de sa famille (qui ont évidemment pris le maquis).
Mais tout ce déploiement de forces armées n’aboutit à rien : les chouans et la plus grande partie de la population des villages ont tous disparu. On ne retrouve que les trois cadavres des malheureux gardes nationaux de Burzet.

   En cette fin novembre, le brouillard, le vent, le froid se font en outre complices des chouans.
Boisset et ses troupes n’ont nulle envie de s’éterniser dans ces contrées où non seulement les hommes mais la nature elle-même leur sont hostiles. Il se retirent bredouilles.

   Quelques jours plus tard, le général Boisset est réformé : son échec est interprété par certains comme une trahison ; on le soupçonne de connivence avec les contre-révolutionnaires !

   Véritable événement historique, quoique bien oubliée, « la bataille du Clapas est une victoire de la chouannerie et de François Chanéac… », écrit Régis Dallard qui, dans son ouvrage « Le Grand Chanéac, de l’histoire à la mémoire » (Prix Marcel Boulle 2001 – Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, p.94) a établi la réalité de ces faits que les gens du haut pays se racontaient jadis avec fierté à la veillée.

pattes de chatLully.

Mont Gerbier de Jonc un soir d'automne

Le Mont Gerbier de Jonc dans la lumière d’un soir d’automne menaçant.

Scapulaire Sacré-Coeur

Publié dans : Chronique de Lully, Memento, Vexilla Regis |le 23 novembre, 2017 |7 Commentaires »

Vous pouvez laisser une réponse.

7 Commentaires Commenter.

  1. le 21 novembre 2022 à 12 h 02 min Goës écrit:

    Un bel exemple à suivre !
    Il est dommage de ne pas trouver de documents ou livres concernant la résistance de la Chouannerie, pour toutes les régions de France.

  2. le 19 mai 2022 à 16 h 39 min Thizy écrit:

    Belle histoire… et des hommes courageux !
    Merci pour cet éclairage.
    Cordialement.

  3. le 15 mai 2022 à 9 h 36 min Hervé J. V. écrit:

    L’Histoire a complètement oublié qu’il y avait des Chouans dans cette région.
    Merci pour cet éclairage, on en apprend tous les jours !
    Pour Dieu, le Roi et la France

  4. le 15 mai 2022 à 8 h 44 min Goes écrit:

    Les « crapauds bleus » : je fixe cette appellation dans ma mémoire.

  5. le 21 novembre 2021 à 10 h 39 min Jean P. écrit:

    Belle page d’histoire à ajouter aux « Chouans du Velay » de l’ami BOUDON-LASHERMES !

  6. le 21 novembre 2019 à 18 h 24 min OUSSET écrit:

    Ah ! Si on pouvait apprendre l’histoire telle qu’elle nous est dite ici !

  7. le 23 novembre 2017 à 18 h 43 min Hervé N. écrit:

    J’ignorais totalement qu’il y a avait des chouans dans cette région.
    Merci pour cet éclairage, Maître-Chat Lully !
    Hervé

    Réponse :

    Eh bien si !
    Le Vivarais et le Velay ont résisté de manière exemplaire et persévérante à la révolution impie et sacrilège !
    Vous en trouvez de nombreux faits et exemples dans les pages de mon blogue.

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