2016-83. « Jean de la Croix nous apprendra à mettre notre vie intérieure à l’unisson des épreuves qui nous accablent du dehors. »
24 novembre,
Fête de Saint Jean de la Croix.
Saint Jean de la Croix
(Avila, monastère de l’Incarnation)
A l’occasion de la fête de Saint Jean de la Croix, voici une page remarquable de Gustave Thibon : il s’agit du commencement d’une conférence que le philosophe avait intitulée « Saint Jean de la Croix et le monde moderne ». Le philosophe y fait ressortir, avec sa décapante pertinence accoutumée, à quel point la doctrine spirituelle du « Docteur mystique » nous est nécessaire et salutaire…
« Jean de la Croix nous apprendra à mettre notre vie intérieure à l’unisson des épreuves qui nous accablent du dehors. »
« Ce n’est pas sans une grande confusion intérieure que j’ose parler de Jean de la Croix. Je crains de ne vous apporter que des mots. Est-il possible de commenter un tel message sans le vivre intérieurement ? Je songe avec angoisse aux profondes vérités spirituelles qui nous ont été révélées par les sages, les prophètes et les saints. Tout ce que l’homme pouvait dire de Dieu, il l’a dit : les secrets de l’amour et de la vie éternelle traînent dans des livres que nous avons tous lus. Et ces choses que nous savons tous, nous les vivons si peu… C’est là un scandale dont l’habitude seule nous empêche de mesurer l’étendue.
Que je vous entretienne ce soir de Jean de la Croix, que vos esprits et le mien baignent pendant une heure dans ces certitudes nourricières qui sont l’âme de notre destin, et que nous retournions, vous et moi, avec le même coeur charnel empli des mêmes vanités, voilà bien la meilleure preuve du péché originel et du désordre profond installé dans notre nature.
Celui qui n’a pas médité anxieusement sur ce manque de force attractive des vérités suprêmes, sur cette inertie du verbe divin en nous, ne sait rien de la bassesse et de la malice de l’homme.
Il ne sert de rien d’invoquer ici notre faiblesse – nous savons être forts pour conquérir les choses d’en-bas – , ni notre égoïsme : un être fini ne peut pas être absolument égoïste, et nous nous immolons tous les jours aux objets les plus pauvres et les plus caducs. Quels sacrifices ne fait pas l’avare pour un peu d’or, ou l’ambitieux pour de vains honneurs !
Nous ne sommes lâches que devant Dieu.
Nous ne sommes ni faibles, ni égoïstes, nous sommes idolâtres.
Jean de la Croix est le grand médecin de l’idolâtrie, tout simplement parce qu’il croit en Dieu au sens fort, au sens vivant du mot. Etymologiquement « croire » signifie prêter, confier. Celui qui croit se confie à Dieu.
La doctrine de Jean peut se résumer en deux mots : tout et rien. Dieu est tout et la créature n’est rien. Plus que cela : il faut que la créature ne soit rien pour tout recevoir. Dieu, qui peut tout, ne travaille en quelque sorte qu’à partir du néant. Nous étions néant quand Dieu nous a appelés à la vie naturelle, il faut que nous redevenions néant pour recevoir dans sa plénitude la vie surnaturelle. C’est le sens du mot de Jésus à Nicodème : « Si l’homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu ».
Mais avant de renaître, il faut mourir. Nos échecs, nos lenteurs et nos reculs dans la voie divine procèdent de ce que nous n’avons pas fait le vide en nous, de ce que nous n’avons pas renoncé pour Dieu à tout ce qui n’est pas Dieu. Nous sommes des mendiants aux mains pleines…
« Toute la beauté des créatures est souveraine laideur devant la beauté infinie de Dieu… Toute la grâce, tout le charme des créatures est matière insipide et répugnante en face de la beauté divine… Tout ce que les créatures du monde renferment de bonté n’est que suprême malice en présence de la bonté divine. Dieu seul est bon… Toute la sagesse du monde n’est que pure et souveraine ignorance devant la sagesse de Dieu… Toute la puissance, toute la liberté du monde n’est que servitude, détresse et captivité, vis-à-vis de la liberté et de la domination divines… » « Ne donnez rien aux créatures si vous voulez garder la face de Dieu présente, claire et pure en votre âme… Dieu et les créatures ne se ressemblent pas. »
Il faut choisir. On ne peut pas poursuivre à la fois le néant et l’absolu. Ces créatures qui ne sont rien, il faut que nous les traitions comme rien.
Le rien… Dans ce monde en délire, où tous les appuis naturels nous manquent à la fois, nous sommes mieux placés que jamais pour sonder le vide de tout le créé.
Biens matériels, liberté, sécurité, vie, patrie, êtres chers, tout ce que nous aimons est vertigineusement précaire et menacé, notre coeur de chair saigne par toutes ses fibres, le rien déborde de toutes parts sur le monde… Excellente préparation extérieure à l’enseignement de Jean de la Croix.
Mais à quoi sert que le rien déferle autour de nous, si nous gardons dans nos âmes les racines des affections dont l’objet nous est ravi ?
Jean de la Croix nous apprendra à mettre notre vie intérieure à l’unisson des épreuves qui nous accablent du dehors. »
Gustave Thibon,
« Saint Jean de la Croix et le monde moderne »
in « Ils sculptent en nous le silence » -Ed. François-Xavier de Guibert, 2003, pp. 29-32.
Christ en croix dessiné par Saint Jean de la Croix
Sur Saint Jean de la Croix, voir aussi dans ce blogue :
– Résumé biographique et poème « C’est de nuit » > ici
– Présentation de la vie et de la doctrine spirituelle de St Jean de la Croix par Benoît XVI > ici
- Bande dessinée : « Libérer le vol de l’âme » > ici

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Surtout ne vous arrêtez pas ! continuez !
Punaise ! par vos articles de fond, je crois toucher du doigt (et surtout de l’esprit) le plus grand trésor spirituel, et, à chaque fois, il y en a un qui surgit encore plus délectable. Surtout ne vous arrêtez pas, j’aime ce type de trésor, un million de fois plus attirant que le banal et froid sonnant, voire trébuchant (surtout pour nos âmes).
Tout en Dieu, tout pour Dieu et rien pour nous.
Comment y parvenir ici-bas ?
Il n’y a qu’au Ciel que nous ne serons plus que Dieu en nous et nous en Lui.
Seul les saints ont approché cette perfection divine en se vidant d’eux-mêmes pour se remplir de Dieu.
Merci pour la présentation de la doctrine de Jean qui peut se résumer en deux mots : tout et rien.
Bien cha(t)micalement.
Béa kimcat