2016-76. Dans une révolution, ce n’est pas la vertu qui se venge, c’est le vice qui essaime (Gustave Thibon).
20 octobre,
Fête de Saint Jean de Kenty,
Au couvent de la Trinité des Monts, à Rome, la fête de « Mater admirabilis » (cf. > ici et ici).
Voici la suite des très pertinentes et judicieuses réflexions (cf. la première partie > ici) de Gustave Thibon dans le chapitre « Biologie des révolutions » de son ouvrage « Diagnostics » (Librairie de Médicis – 1942).
Le Tintoret : « le meurtre d’Abel » (1551-52 – Venise, gallerie de l’Académie)
Dans une révolution, ce n’est pas la vertu qui se venge,
c’est le vice qui essaime.
« La fonction normale des révolutions (j’allais dire leur fonction idéale, car, ici-bas, ce qui est réel n’est presque jamais normal !) consiste donc à purger et à assainir un ordre politique plus ou moins caduc et corrompu. Mais leurs résultats concrets et pratiques trahissent misérablement cette finalité supérieure. Il est historiquement acquis que les crises révolutionnaires (lesquelles devraient, en soi, provoquer dans la Cité une réaction salutaire, point de départ d’une nouvelle harmonie) finissent généralement très mal et cèdent la place en mourant à un régime plus impur que le régime qu’elles ont tué (…).
La fièvre révolutionnaire peut conduire à une santé plus parfaite. Mais à condition d’en guérir, – et d’en guérir complètement ! Or, les sociétés actuelles guérissent mal des révolutions : après la crise d’anarchie aiguë et le retour à une santé apparente, elles demeurent imprégnées du virus révolutionnaire ; l’infection s’installe en elle à l’état chronique et leur dernier état est pire que le premier. Ainsi pour la Révolution française. De Maistre voyait en elle avec raison un châtiment purificateur infligé par Dieu à des pouvoirs légitimes, mais dégénérés et pervertis. La crise passée, l’ancien régime devait se réveiller, rajeuni et fortifié. Seulement, cette saine ordination du mal a fait long feu. Après cent cinquante ans [note 1], les miasmes de 1789 continuent à corrompre le monde : la crise, grosse d’une résurrection, n’a enfanté que plus de marasme…
Cet avortement, au fond, n’a rien que de très logique. Les fruits des révolutions n’étonnent pas celui qui connaît la racine des révolutions. Voici un régime politique sain dans ses principes, mais corrompu dans ses représentants au pouvoir. En vertu même de la séparation des castes et de la rigueur de l’ordre établi, cette corruption reste en grande partie localisée dans les classes dirigeantes : elle est pour le peuple une source d’oppression plutôt que d’infection. Une révolution semble nécessaire pour assainir le régime. Fort bien. Mais ne raisonnons pas dans l’éther. Quelle fibre secrète les meneurs révolutionnaires devront-ils toucher et exploiter dans la conscience des peuples pour déclencher leur révolte destructrice ? La haine généreuse de la pourriture des gouvernants, la soif de la sainte justice sociale ? Allons donc ! Les hommes capables de détruire avec pureté sont rares comme le diamant.
L’éternel levain des révolutions, c’est la soif, chez l’opprimé, de partager la corruption de l’oppresseur, de goûter à ce fruit véreux que son envie et son ignorance nimbent de délices.
La qualité des mobiles révolutionnaires se reconnaît d’ailleurs aux résultats des révolutions (a fructibus eorum… [note 2]) : celles-ci ne réussissent qu’à propager dans l’ensemble du corps social, qu’à généraliser une corruption primitivement limitée en haut par les solides cloisons de la hiérarchie et de la discipline.
Amour, justice, vertu, – ces grandes choses n’existent pas ici dans leur densité, leur profondeur et leur réalisme ; elles servent surtout de pavillon et de masque. Dans une révolution, ce n’est pas la vertu qui se venge, c’est le vice qui essaime. Le résultat le plus clair de ces « colères sacrées des peuples », c’est la multiplication des convives au festin de la corruption. »
Gustave Thibon,
in « Diagnostics » (éd. de 1942 pp. 109-111).
à suivre > ici
[Note 1] : Il faut se souvenir que ces lignes ont été publiées en 1942.
[Note 2] : « A fructibus eorum cognoscetis eos » = Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ; règle de discernement donnée par Notre-Seigneur Jésus-Christ en Matth. VII, 16.

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