Le cantique « Au sang qu’un Dieu va répandre » :
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
En ce saint temps de la Passion, où nous intensifions notre contemplation des souffrances rédemptrices de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je souhaite publier dans ces pages les paroles originelles du si populaire cantique « Au sang qu’un Dieu va répandre ».
Il existe en effet plusieurs adaptations, plus ou moins approchantes, des paroles d’origine de ce cantique.
La version la plus répandue est sans doute celle qui a été publiée par Monseigneur Joseph Besnier dans son fameux « Recueil de cantiques populaires ».
Ainsi que vous le pouvez voir ci-dessus, les paroles y sont dites « d’après Fénelon » ; quant à la musique, c’est celle d’une mélodie tirée d’un opéra de Jean-Baptiste Pergolèse (1710-1736), mélodie qui fut réutilisée pour le générique de la série télévisée pour les enfants « Bonne nuit, les petits » diffusée de 1962 à 1973.
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Ce sont, selon toute vraisemblance, les Sulpiciens, dans le seconde moitié du XVIIIème siècle, qui ont adapté cette mélodie bien profane, alors très à la mode, pour en faire le support des paroles écrites par Fénelon.
Henri Adam de Villiers, maître de chapelle à l’église Saint-Eugène & Sainte-Cécile, à Paris, précise que les paroles françaises qui avaient fait le succès de cette mélodie disaient : « Que ne suis-je la fougère / Où sur la fin du jour, / Se repose ma bergère, / Sous la garde de l’amour ?… » !
Mais revenons au texte lui-même.
A quelle période et pour quelles raisons le texte de Fénelon a-t-il été plus ou moins modifié ? Je ne saurais le dire.
Mais, même si plusieurs motifs, d’ordre religieux aussi bien que politique, font que je me tiens habituellement à une prudente distance de Fénelon, pour cette occurrence on ne peut qu’admirer le style et les sentiments qu’il a exprimés dans ce cantique.
Voici les paroles originelles :
1. Au sang qu’un Dieu va répandre, * * * |
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2. Dans un jardin solitaire Il sent de rudes combats ; Il prie, il craint, il espère, Son cœur veut et ne veux pas. Tantôt la crainte est plus forte, Et tantôt l’amour plus fort : Mais enfin l’amour l’emporte Et lui fait choisir la mort. * * * |
3. Judas, que la fureur guide, L’aborde d’un air soumis ; Il l’embrasse… et ce perfide Le livre à ses ennemis ! Judas, un pécheur t’imite Quand il feint de L’apaiser ; Souvent sa bouche hypocrite Le trahit par un baiser. * * * |
4. On l’abandonne à la rage De cent tigres inhumains ; Sur son aimable visage Les soldats portent leurs mains Vous deviez, Anges fidèles, Témoins de leurs attentats, Ou le mettre sous vos ailes, Ou frapper tous ces ingrats. * * * |
5. Ils le traînent au grand-prêtre, Qui seconde leur fureur, Et ne veut le reconnaître Que pour un blasphémateur. Quand il jugera la terre Ce sauveur aura son tour : Aux éclats de son tonnerre Tu le connaîtras un jour. * * * |
6. Tandis qu’il se sacrifie, Tout conspire à l’outrager : Pierre lui-même l’oublie, Et le traite d’étranger. Mais Jésus perce son âme D’un regard tendre et vainqueur, Et met d’un seul trait de flamme Le repentir dans son cœur. * * * |
7. Chez Pilate on le compare Au dernier des scélérats ; Qu’entends-je ! ô peuple barbare, Tes cris sont pour Barabbas ! Quelle indigne préférence ! Le juste est abandonné ; On condamne l’innocence, Et le crime est pardonné. * * * |
8. On le dépouille, on l’attache, Chacun arme son courroux : Je vois cet Agneau sans tache Tombant presque sous les coups. C’est à nous d’être victimes, Arrêtez, cruels bourreaux ! C’est pour effacer vos crimes Que son sang coule à grands flots. * * * |
9. Une couronne cruelle Perce son auguste front : A ce chef, à ce modèle, Mondains, vous faites affront. Il languit dans les supplices, C’est un homme de douleurs : Vous vivez dans les délices, Vous vous couronnez de fleurs. * * * |
10. Il marche, il monte au Calvaire Chargé d’un infâme bois : De là, comme d’une chaire, Il fait entendre sa voix : « Ciel, dérobe à la vengeance Ceux qui m’osent outrager ! » C’est ainsi, quand on l’offense, Qu’un chrétien doit se venger. * * * |
11. Une troupe mutinée L’insulte et crie à l’envi : S’il changeait sa destinée, Oui, nous croirions tous en lui ! Il peut la changer sans peine Malgré vos nœuds et vos clous : Mais le nœud qui seul l’enchaîne, C’est l’amour qu’il a pour nous. * * * |
12. Ah ! de ce lit de souffrance, Seigneur, ne descendez pas : Suspendez votre puissance, Restez-y jusqu’au trépas. Mais tenez votre promesse, Attirez-nous près de vous ; Pour prix de votre tendresse, Puissions-nous y mourir tous ! |
13. Il expire, et la nature Dans lui pleure son auteur : Il n’est point de créature Qui ne marque sa douleur. Un spectacle si terrible Ne pourra-t-il me toucher ? Et serai-je moins sensible Que n’est le plus dur rocher ? |
Amédée Gastoué (1873-1943), maître de chapelle, professeur de chant grégorien et de chant choral, président de la Société française de musicologie, trouvant que la mélodie de Pergolèse manquait de profondeur religieuse (et pour cause) en composa une nouvelle, plus conforme à la gravité du sujet du cantique de Fénelon.
Lorsqu’il était jeune religieux, notre Frère Maximilien-Marie a d’ailleurs eu un supérieur qui avait fait ses études sacerdotales à Paris avant la seconde guerre mondiale et qui, pour les chemins de Croix des vendredis de Carême, préférait chanter le cantique de Fénelon sur cette mélodie de Gastoué.
Henri Adam de Villiers, déjà cité ci-dessus, a réalisé une harmonisation à quatre voix pour l’air d’Amédée Gastoué (voir > ici), et c’est cette version qui est interprêtée à l’église Saint-Eugène & Sainte-Cécile de Paris, pendant le temps de la Passion.
En voici un enregistrement :
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Je vous encourage à prendre du temps pour intérioriser et pour méditer sur les paroles de ce cantique plus que trois fois centenaire, et même – pourquoi pas ? – à en apprendre par coeur quelques strophes que vous puissiez ainsi chanter, lorsque cela est possible, au cours de vos occupations quotidiennes : Frère Maximilien-Marie fait souvent ainsi lorsqu’il jardine ou qu’il effectue quelque travail manuel, c’est une manière de continuer l’oraison et de garder son âme unie à Notre-Seigneur dans l’accomplissement des tâches ordinaires…
Je vous souhaite toujours plus de ferveur et de générosité pendant cette dernière partie du Carême !
Lully.
Nicolas Poussin : Lamentation sur le Christ mort (1628)

Vous pouvez laisser une réponse.
Je tombe tout à fait par hasard sur votre article fort intéressant sur ce chant, qui me fait découvrir la version Gastoué.
Il me semble qu’il faut aussi mentionner que ce chant, dans la mélodie qui est effectivement initialement profane (comme la quasi totalité des chants d’église populaires, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur qualité, ou n’ajoute à leurs défauts), a surtout été popularisé par la chanteuse libanaise Fairuz (maronite), qui chante le Wa habibi chaque vendredi saint depuis plus de 50 ans (elle en a 80 passés) : par exemple
en 1966 https://www.youtube.com/watch?v=iwF3-9EwsLg
et en 2000 : https://www.youtube.com/watch?v=nzXmlUBGvC8
Vous avez vraiment l’art et la manière de nous « dégoter » de véritables trésors.
Notre religion n’est que BEAUTÉ ; cela nous change du quotidien si fade !
Encore merci !
Bonsoir Maître-Chat !
Un énorme merci pour cet article.
Comme votre précédent interlocuteur, je me suis enrichie ce soir et j’ai trouvé opportun de dire mon chapelet sur cette musique après en avoir lu plusieurs fois le texte puis écouté cette magnifique version de Gastoué en fermant les yeux.
Et, quelle coïncidence, mon fils l’a entendu à Londres à la messe ce matin dans la version de Pergolèse.
Voulez-vous transmettre mes remerciements à Frère Maximilien-Marie, je vous prie.
Amitiés.
Merci, cher Lully, pour cet article.
Je ne connaissais absolument pas cette version ni des paroles ni de l’air. Pourtant l’air et les paroles sont incomparablement supérieurs à la version couramment chantée dans les chapelles de la tradition.
Un trésor que vous avez, cher Maître-Chat, le grand mérite de diffuser.
Mes amitiés au Frère !