2015-100. La légende du blason des Rois de France orné des trois fleurs de lys représentée dans les « Heures de Bedford ».
27 novembre.
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Outre la fête liturgique de la manifestation de la médaille de l’Immaculée Conception, dite « médaille miraculeuse », révélée à Sainte Catherine Labouré (27 novembre 1830 – cf. > ici), chaque 27 novembre ramène aussi l’anniversaire du rappel à Dieu de notre premier Roi catholique : Clovis 1er le Grand.
A l’occasion du quinzième centenaire de sa mort, en 2011, j’avais déjà célébré sa mémoire dans les pages de ce blogue (cf. > ici), mais aujourd’hui, en son honneur, à travers les admirables miniatures d’un remarquable manuscrit du premier quart du XVème siècle, je souhaite vous rappeler l’une des plus belles légendes nous rapportant l’origine des fleurs de lys des Rois de France.
Grande miniature de la légende du blason aux trois fleurs de lys donné à Clovis par Sainte Clotilde
(Heures de Bedford, feuillet 288 verso)
Le manuscrit en question est un livre d’heures à l’usage de Paris, pour sa majeure partie enluminé en cette même ville. Comme on ne connaît pas le nom de celui qui a réalisé ces enluminures, on l’a surnommé « le Maître de Bedford ».
L’ouvrage aurait été réalisé en 1415, commandé par Louis de Guyenne, fils de Charles VI ; puis, en 1423, il serait devenu la propriété de Jean de Lancastre, duc de Bedford, lorsque il épousa Anne de Bourgogne, fille de Jean sans peur : c’est de là que lui vient le nom d’ « Heures de Bedford » par lequel il est désigné. Depuis la fin du XVIIIème siècle, il est conservé à la British Library sous la référence Add.Ms 18850.
Les « Heures de Bedford » sont constituées de 289 feuillets contenant 38 grandes miniatures, 3 initiales historiées et environ 1250 illustrations de marge : on y trouve un calendrier, des passages de l’Evangile, des prières à la Vierge, l’office de la Sainte Vierge, les psaumes de la pénitence et des litanies, les heures de la semaine… etc.
Tout à la fin, sur trois pages (verso du feuillet 288 et les deux côtés du feuillet 289), vient la légende du blason des Rois de France ornée des trois fleurs de lys.
Il existe plusieurs explications ou légendes sur l’origine des fleurs de lys : celle qui est rapportée et illustrée ici fait en quelque sorte figure de « version officielle » ; on en trouve des traces antérieurement mais on peut dire qu’elle se trouve définitivement fixée au début du XVème siècle.
Légende du blason aux trois fleurs de lys donné à Clovis par Sainte Clotilde
(Heures de Bedford, feuillet 289 recto)
Légende du blason aux trois fleurs de lys donné à Clovis par Sainte Clotilde
(Heures de Bedford, feuillet 289 verso)
Selon cette légende donc, dans l’ancienne forêt de Crüye (que, depuis le XVIIIème siècle, on appelle désormais forêt de Marly), dans un vallon près d’une source, vivait un saint ermite auquel la Reine Clotilde se plaisait à rendre visite : elle bénéficiait de ses sages conseils spirituels et veillait à sa subsistance.
Dans sa prière, l’ermite fut gratifié d’une vision : il vit un ange, mandaté par Notre-Seigneur, qui lui montrait un écu d’azur orné de trois fleurs de lys d’or et lui enjoignait de faire savoir au Roi Clovis que Dieu voulait qu’il l’adoptât désormais à la place de l’écu aux trois croissants (certains auteurs disent crapauds) qui avait jusqu’alors été le sien.
Le saint moine en informa donc Sainte Clotilde qui parvint ensuite à convaincre Clovis alors qu’il se préparait à guerroyer contre Audoc, chef sarrasin venu d’Allemagne.
La bataille, dans la plaine de Conflans-Sainte-Honorine, fut terrible, mais les guerriers de Clovis galvanisés y firent montre d’un courage et d’une force extraordinaires, si bien que la défaite d’Audoc fut totale et que cela détermina Clovis à adopter définitivement les trois fleurs de lys pour emblème.
A quelque temps de là, définitivement converti, il fut baptisé par Saint Remi.
La victoire fut achevée au lieu dit Mont-joye, qui était tout proche du vallon de l’ermite. C’est à ce fait que la tradition capétienne rapporte le cri de guerre « Montjoie ! » (auquel – au début du XIIIème siècle – fut ajouté le nom de Saint Denys)
Au lieu-dit Mont-joye se trouvait une tour (dont il ne reste que quelques vestiges enfouis), et proche d’elle, à l’emplacement de l’ermitage, fut par la suite fondée l’abbaye de Joyenval (Joye-en-val), en l’honneur du don céleste des trois fleurs de lys.
L’abbaye fut détruite à la révolution et il n’en subsiste aujourd’hui que quelques éléments, à l’intérieur du golf de Joyenval (sur l’actuelle commune de Chambourcy).
Tous ces éléments se retrouvent dans les enluminures des « Heures de Bedford » dont je vous ai ci-dessus montré les trois pages relatant cette légende – et en particulier la grande enluminure du verso du feuillet 288 – mais dont nous allons maintenant admirer les détails.
Voyons en premier lieu (en haut à droite), Dieu, représenté comme un Roi portant couronne, remettant en mains propres à un ange le symbole qu’Il souhaite voir adopter par Clovis.
En s’approchant d’un peu plus près encore on est émerveillé par les détails de cette scène : la main droite de Dieu bénissant l’insigne royal qu’Il confie à l’ange, la couronne fermée – comme celle des empereurs – , et Son attitude légèrement inclinée qui exprime une sollicitude particulière.
Peut-être faut-il que je précise (pour les jeunes chats qui auraient un ventre à la place des yeux, et pour certains humains qui ne seraient pas très instruits des représentations de l’art religieux médiéval) que ce ne sont pas des poissons rouges qui forment un cercle autour du Seigneur Dieu, mais des séraphins : ils forment le plus élevé des neufs chœurs des anges, ils contemplent Dieu face à face et – comme dans la vision du prophète Isaïe (VI, 1-3) – ils ont six ailes dont une paire leur sert à se recouvrir eux-mêmes, par respect pour Dieu dont ils sont les plus proches ; ils sont représentés en rouge parce qu’ils sont ardents plus que des braises (leur nom dérive du verbe hébreu qui signifie brûler).
Dans le registre inférieur, sur la gauche de la page, on aperçoit en arrière-plan l’ermitage, en partie caché par les arbres de la forêt de Crüye.
Devant, se trouve la scène où l’ermite, fléchissant respectueusement un genou devant Sainte Clotilde, lui fait part de sa vision.
Voyez comme il est bien figuré cet ermite : les pieds nus dans ses sandales, le bâton noueux qui lui sert de canne, sa longue chevelure rejetée en arrière et sa grande barbe fleurie !
Sainte Clotilde est montrée comme une souveraine du XVème siècle.
Elle est accompagnée de trois nobles dames, probablement des dames d’atours : leurs robes chatoyantes et riches, ainsi que leurs doubles hennins montrent bien qu’il ne s’agit pas de domestiques ; l’une d’entre elle porte la traîne de son manteau royal, et une autre porte son livre d’heures.
Sainte Clotilde les surpasse en magnificence : sur sa robe particulièrement ample, elle a revêtu un surcot d’hermine avec une large broderie centrale ; sa chevelure est coiffée en macarons, bordés de perles semble-t-il, et elle porte une couronne ouvragée, constellée de pierreries.
Son attitude exprime une sorte de surprise et son visage trahit une certaine inquiétude, un trouble intérieur : « Comment vais-je pouvoir convaincre mon mari de la réalité de ces choses divines, alors qu’il n’est pas encore chrétien ? »
Au-dessus de cette scène on remarque l’ange, en train de retourner vers Dieu. Son expression est toute de sereine confiance pour les suites de la mission dont il a été le messager.
Une complicité féline me porte au passage à vous faire remarquer l’expèce de lynx ou de gros chat sauvage qui est à l’affût dans un repli du terrain proche de l’ermitage…
La partie la plus importante de cette grande enluminure représente ensuite le moment où la Reine Clotilde convainct son royal époux d’adopter l’écu d’azur aux trois fleurs de lys.
La scène se passe à l’intérieur d’un château qui, s’il présente encore certains aspects de la forteresse médiévale (tours, créneaux, échauguettes, barbacane, chemin de ronde, meurtrières, machicoulis et bretêches) par ses toitures d’ardoise aux faîtages dorés, ses délicates mansardes, ses balustrades et fenêtres caractéristiques du gothique flamboyant, son perron orné qui descend vers le jardin intérieur, et par la richesse de l’ornementation des murs intérieurs, montre bien qu’il est une demeure royale davantage ordonnée à l’apparat qu’à la vie de garnison.
Le Roi Clovis, assisté de ses écuyers, est en train de revêtir son armure : l’attitude de celui qui lui présente son écu semble marquer la surprise de n’y plus voir les trois croissants (ou crapauds) qui y figuraient précédemment. Sainte Clotilde est assise, ce qui dénote une certaine forme d’autorité en face de son époux.
Remarquons au passage l’écuyer en train d’ajuster aux pieds de Clovis des éperons dorés. Voyez aussi le petit chien qui a le regard levé vers son maître.
Un gros plan sur le couple royal fait en premier lieu ressortir que Clotilde – tout en présentant elle-même de la main droite l’écu fleurdelysé à Clovis - est en train de lui expliquer ce dont il s’agit : on le voit à son index gauche tendu.
On voit aussi que Clovis, dont le regard est fixé sur le visage de son épouse, est en train d’accepter ces nouveaux symboles sur son écu : cela est manifesté par le fait qu’il le saisit de sa main gauche. L’autre main, posée sur sa hanche, contribue encore à exprimer une forme de confiance, alors que si elle était levée et tournée vers l’écu, un peu inclinée vers l’arrière, elle indiquerait le rejet ou du moins une forme de réticence.
Parmi les autres détails dignes d’intérêt, il faut admirer l’écuyer en train d’assujettir à l’épaule l’armure de son souverain, ainsi que le heaume, surmonté de la couronne, qui est posé sur la table.
La miniature du bas de page, au recto du feuillet 289, illustre la bataille au cours de laquelle Clovis est victorieux d’Audoc : le Roi franc est identifié par une tunique bleu brodée de fleurs de lys, enfilée par dessus l’armure, et non plus seulement par un écu.
Enfin, la miniature de la marge gauche au verso du feuillet 289, représente le baptême de Clovis.
Le Roi est debout dans la cuve baptismale sur le côté gauche de laquelle Saint Remi reçoit d’une colombe divine la Sainte Ampoule (cf. > ici), avec laquelle ensuite – sur le côté droit de la cuve – il lui confère l’onction sainte : onction qui est tout à la fois celle du sacrement et celle du sacre.
On le voit, la « légende » (en latin « legenda » signifie : les choses qu’il faut lire) illustrée dans ces « Heures de Bedford », tout en restant fondamentalement fidèle aux grandes lignes des faits historiques, opère néanmoins quelques confusions ou télescopages (le chef sarrasin venu d’Allemagne, la bataille de Conflans-Sainte-Honorine remplaçant celle de Tolbiac… etc.), mais cela importe peu pour l’homme du XVème siècle qui ne perçoit pas l’histoire comme nous la concevons de nos jours, après plus de deux siècles marqués par le rationalisme et l’hyper-criticisme, mais davantage comme un récit manifestant les interventions de Dieu dans le temps des hommes.
La « légende » est profondément vraie dans la mesure où, plus que le comment détaillé des faits et des événements, elle veut nous en révéler le sens caché et la réalité spirituelle.
Cette « légende » nous est chère, et nous la recevons comme surnaturellement authentique, au-delà de ses inexactitudes, parce qu’elle a été ainsi comprise et vécue par les hommes des générations passés qui regardaient la royauté française – la sainte royauté française – avec les yeux illuminés de l’âme.
Ainsi a-t-elle fait vivre jadis les loyaux serviteurs de nos Rois, successeurs de Clovis ; ainsi nous vivifie-t-elle encore aujourd’hui, en instillant dans nos coeurs l’amour mystique et la dévotion filliale pour la glorieuse royauté qui a fait la France, et sans laquelle la France se défait…
Vous pouvez laisser une réponse.
Merci à vous.
Il faut effectivement lire jusqu’au bout, pour l’interprétation.
Merci encore, frère, je ne connaissais pas cette légende.
Nous la porterons dans notre cœur.