2015-85. Du lion de Saint Jérôme.
30 septembre,
fête de Saint Jérôme.
Saint Jérôme
Thierry Bouts, triptyque du martyre de Saint Erasme (1458)
Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,
Vous n’ignorez sans doute pas à quel point, au Mesnil-Marie, nous avons une grande vénération pour Saint Jérôme (cf. sa présentation par Sa Sainteté le pape Benoît XVI > ici), tant en raison de la radicalité avec laquelle il s’est donné à Dieu dans la vie monastique, de l’ardeur impitoyable qu’il a mise en oeuvre pour dompter son caractère et ses passions, du zèle qu’il a déployé pour la défense de la Vérité, et de la ferveur et de la compétence avec lesquelles il a étudié, commenté et traduit les Saintes Ecritures.
Pour ce qui me concerne très personnellement, je dois ajouter à toutes ces vertus celle d’être presque toujours représenté en compagnie d’un mien parent : un lion (chacun sait en effet qu’un lion n’est jamais qu’un gros chat).
L’iconographie de Saint Jérôme est particulièrement intéressante par le fait qu’elle a consacré, dans les attributs donnés à ce très grand saint, deux confusions historiques :
1) d’une part, Saint Jérôme est représenté soit en tenue de cardinal, soit avec un chapeau de cardinal posé près de lui, et la couleur rouge – couleur des cardinaux – se retrouve souvent prédominante dans ses vêtements (même lorsque il n’est revêtu que d’une espèce de pagne) ;
2) et d’autre part, on retrouve quasi systématiquement un lion à ses côtés.
Saint Jérôme ne fut en réalité jamais cardinal. Il fut pendant un temps le secrétaire du pape Saint Damase 1er, et c’est parce que – par la suite – ce poste de secrétaire fut souvent dévolu à un cardinal que Saint Jérôme s’est trouvé transformé en cardinal par les artistes.
Quant à l’histoire du lion – popularisée par la « Légende dorée » (vous pourrez en lire le texte ci-dessous) – , c’est probablement une confusion entre le nom de Saint Jérôme (en latin Hieronymus) et celui de Saint Gérasime (en latin Gerasimus) qui a finalement fait attribuer au premier une anecdote arrivée au second : Saint Gérasime fut en effet lui aussi un moine vivant en Palestine, quelques années après Saint Jérôme.
Il n’en demeure pas moins que, dans mes études d’histoire de l’art, je porte une attention très spéciale aux représentations du chat… heu non, pardon ! du lion de Saint Jérôme : certaines sont parfois très fantaisistes – voire très drôles – , car les peintres du Moyen-Age et de la Renaissance n’avaient pas toujours vu un lion « pour de vrai », alors ils essayaient de le figurer d’après des descriptions écrites ou à partir de dessins ou de peintures plus ou moins réussis réalisés par des artistes venus avant eux.
Aujourd’hui toutefois, je veux vous présenter un magnifique bronze du XVème siècle qui montre Saint Jérôme avec son lion : cette oeuvre se trouve à Paris, au musée du Louvre (département des objets d’art – période Renaissance).
Ce petit bronze (14 cm sur 20 cm à la base et haut de 25 cm) est attribué à Bartolomeo Bellano (né vers 1437 et mort vers 1497), dit aussi Vellano da Padova, sculpteur et architecte padouan, élève et continuateur de Donatello.
Sur le cliché ci-dessous, prenez le temps d’admirer la délicatesse des détails et l’harmonie de la composition.
Saint Jérôme, assis sur une espèce de chaise curiale, est représenté en costume de cardinal du XVème siècle, enveloppé dans une cappa prélatice dont le chaperon est relevé sur sa tête, on aperçoit même le rochet qui dépasse du drapé de la cappa.
A ses pieds, on voit son chapeau de cardinal avec ses houppes, mais aussi le livre qui symbolise ses travaux sur les Saintes Ecritures.
Le lion, quoique représenté avec la taille d’un chien, est un lion adulte, comme le montre sa crinière ; son regard est planté, avec une expression d’attente confiante, dans le regard de Saint Jérôme qui, les paupières baissées, est concentré sur la patte de l’animal de laquelle il retire délicatement l’écharde qui s’y trouve plantée.
Il y a dans ce bronze une espèce d’intensité touchante : le lourd drapé des vêtements prélatices et la barbe du saint moine de Bethléem faisant mieux ressortir, par contraste, la sollicitude quasi maternelle de Saint Jérôme pour l’animal blessé et l’attitude de gracieuse confiance enfantine du félin appuyé sur ses genoux.
Alors, même si l’anecdote est finalement apocryphe, en raison de l’abondante et remarquable iconographie qu’elle a suscitée, je souhaite une très bonne fête de Saint Jérôme à tous les amis des félins !
Saint Jérôme et le lion – bronze attribué à Bartolomeo Bellano XVème siècle (Louvre)
Saint Jérôme et le lion :
Une fois, vers le soir, alors que Saint Jérôme était assis avec ses frères pour écouter une lecture de piété, tout à coup un lion entra tout boitant dans le monastère.
A sa vue, les frères prirent tous la fuite ; mais Jérôme s’avança au-devant de lui comme il l’eût fait pour un hôte. Le lion montra alors qu’il était blessé au pied, et Jérôme appela les frères en leur ordonnant de laver les pieds du lion et de chercher avec soin la place de la blessure. On découvrit que des ronces lui avaient déchiré la plante des pieds. Toute sorte de soins furent employés et le lion, guéri, s’apprivoisa et resta avec la communauté comme un animal domestique.
Mais Jérôme voyant que ce n’était pas tant pour guérir le pied du lion que pour l’utilité qu’on en pourrait retirer que le Seigneur le leur avait envoyé, de l’avis des frères, il lui confia le soin de mener lui-même au pâturage et d’y garder l’âne qu’on emploie à apporter du bois de la forêt. Ce qui se fit : car l’âne ayant été confié au lion, celui-ci, comme un pasteur habile, servait de compagnon à l’âne qui allait tous les jours aux champs, et il était son défenseur le plus vigilant durant qu’il paissait çà et là. Néanmoins, afin de prendre lui-même sa nourriture et pour que l’âne pût se livrer à son travail d’habitude, tous les jours, à des heures fixes, il revenait avec lui à la maison.
Or, il arriva que, comme l’âne était à paître, le lion s’étant endormi d’un profond sommeil, passèrent des marchands avec des chameaux : ils virent l’âne seul et l’emmenèrent au plus vite.
A son réveil, le lion ne trouvant plus son compagnon, se mit à courir çà et là en rugissant. Enfin, ne le rencontrant pas, il s’en vint tout triste aux portes du monastère, et n’eut pas la hardiesse d’entrer comme il le faisait d’habitude, tant il était honteux.
Les frères le voyant rentrer plus tard que de coutume et sans l’âne, crurent que, poussé par la faim, il avait mangé cette bête, et ils ne voulurent pas lui donner sa pitance accoutumée, en lui disant : « Va manger ce qui t’est resté de l’ânon, va assouvir ta gloutonnerie ».
Cependant comme ils n’étaient pas certains qu’il eût commis cette mauvaise action, ils allèrent aux pâtures voir si, par hasard, ils ne rencontreraient pas un indice prouvant que l’âne était mort, et comme ils ne trouvèrent rien, ils vinrent raconter le tout à Saint Jérôme. D’après les avis du saint, on chargea le lion de remplir la fonction de l’âne ; on alla couper du bois et on le lui mit sur le dos. Le lion supporta cela avec patience : mais un jour qu’il avait rempli sa tâche, il alla dans la campagne et se mit à courir çà et là, dans le désir de savoir ce qui était advenu de son compagnon, quand il vit venir au loin des marchands conduisant des chameaux chargés, et un âne en avant. Car l’usage de ce pays est que quand on va au loin avec des chameaux, ceux-ci afin de pouvoir suivre une route plus directe, soient précédés par un âne qui les conduit au moyen d’une corde attachée à son cou.
Le lion ayant reconnu l’âne, se précipita sur ces gens avec d’affreux rugissements et les mit tous en fuite.
En proie à la colère, frappant avec force la terre de sa queue, il força les chameaux épouvantés d’aller par devant lui à l’étable du monastère, chargés comme ils l’étaient. Quand les frères virent cela, ils en informèrent Saint Jérôme : « Lavez, très chers frères, dit le saint, lavez les pieds de nos hôtes ; donnez-leur à manger et attendez là-dessus la volonté du Seigneur ».
Alors le lion se mit à courir plein de joie dans le monastère comme il le faisait jadis, se prosternant aux pieds de chaque frère. Il paraissait, en folâtrant avec sa queue, demander grâce pour une faute qu’il n’avait pas commise. Saint Jérôme, qui savait ce qui allait arriver, dit aux frères : « Allez, mes frères, préparer ce qu’il faut aux hôtes qui viennent ici ».
Il parlait encore quand un messager annonça qu’à la porte se trouvaient des hôtes qui voulaient voir l’abbé. Celui-ci alla les trouver ; les marchands se jetèrent de suite à ses pieds, lui demandant pardon pour la faute dont ils s’étaient rendus coupables. L’abbé les fit relever avec bonté et leur commanda de reprendre leur bien et de ne pas voler celui des autres. Ils se mirent alors à prier Saint Jérôme d’accepter la moitié de leur huile et de les bénir. Après bien des instances, ils contraignirent le saint à accepter leur offrande. Or, ils promirent de donner aux frères, chaque année, une pareille quantité, d’huile et d’imposer la même obligation à leurs héritiers.
in « Légende dorée », du Bienheureux Jacques de Voragine.
Les funérailles de Saint Jérôme… auxquelles assiste dévotement le lion attristé
(huile sur toile des années 1470-1472, par Lazzaro Bastiani – Galerie de l’Académie, Venise)
Voir aussi le conte « Des Saints et des animaux » > ici
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Une belle histoire.
Merci de ces explications sur mon saint patron !
Ce billet sur Jérôme et son Lion m’a beaucoup plu, d’autant que je ne connaissais pas la Légende dorée…
Le lion est un gros chat et il me passionne tout autant que notre petit félin domestique.
Et Jérôme est un fort beau prénom à porter…
Bien cha(t)micalement.
Béa kimcat
Grand admirateur de Saint Jérôme, découvert bien plus encore indirectement par la lecture de la vie de Sainte Paule, émule de Saint Jérôme, j’ai célébré sa fête avec grande joie et j’ai aimé aussi, bien sûr, la délicate intention de frère chat Lully mentionnant son cousinage avec le ‘lion’ de Saint Jérôme.