2014-78. Du bon Père Rouville et de ses compagnons martyrisés à Privas le 5 août 1794 (3ème & 4ème parties).
(suite de ce qui a été publié > ici et > ici)
3ème partie – Les Soeurs de Saint-Joseph de Vernosc.
Vernosc, où l’abbé Barthélémy Montblanc était venu se réfugier en mai 1794 avait cette particularité que trois Soeurs de Saint-Joseph, malgré la persécution qui s’était abattue sur les congrégations religieuses, avaient continué à y mener la vie commune. Ce sont elles qui avaient recueilli l’ « oncle Barthélémy », tout heureuses de bénéficier du ministère d’un « bon prêtre », car le curé de Vernosc était un jureur.
Il faut ici préciser un point de l’ancien droit ecclésiastique : seules étaient appelées « religieuses » les femmes consacrées qui avaient prononcé des voeux solennels de religion – ordinairement dans un ordre cloîtré.
Les « filles dévotes » qui vivaient en communauté, portaient un habit distinctif, avaient prononcé des voeux dits privés, n’étaient pas astreintes à la clôture mais se dévouaient dans les oeuvres charitables (dispensaires, visites et soins aux malades, aide au clergé paroissial…) et tenaient des écoles rurales ou des orphelinats, étaient appelées « Soeurs ». C’est ce qui permettra à certaines d’entre elles, devant les tribunaux révolutionnaires, de soutenir sans mensonge qu’elles n’étaient pas des « religieuses ».
Les Soeurs de Saint-Joseph de Vernosc appartenaient à cette seconde catégorie de femmes consacrées. Il s’agissait de
– Soeur Sainte-Croix, née Antoinette Vincent, originaire de la paroisse de Burdignes (dans l’actuel département de la Loire, limitrophe de l’Ardèche), âgée de soixante-trois ans, elle était la supérieure de la petite communauté ;
– Soeur Madeleine, née Marie-Anne Sénovert, originaire d’Empurany (dans le nord du Vivarais), âgée d’une quarantaine d’années ;
- Soeur Toussaint, née Madeleine Dumoulin, originaire de Sainte-Sigolène (Velay), âgée de trente-et-un ans.
Selon plusieurs auteurs, il y avait avec ces trois Soeurs une jeune fille, auxquels certains donnent le nom de « pensionnaire » et d’autres celui de « novice » : ni son nom, ni son origine ne nous sont connus, mais, selon un témoin, elle pouvait être âgée d’environ 17 ans.
Comme nous l’avons vu ci-dessus, jusqu’à ce mois de juin 1794, elles avaient continué la vie commune et leurs oeuvres de bienfaisance et d’instruction : raison sans doute pour laquelle on ne les avait pas trop inquiétées jusqu’alors, puisqu’elles étaient utiles à la population.
Le lendemain de l’arrestation de l’abbé Barthélémy Montblanc, c’est-à-dire le mardi de Pentecôte 10 juin 1794, les gendarmes furent envoyés d’Annonay à Vernosc pour se saisir d’elles.
Elles étaient accusées d’avoir refusé le serment civique, continué à vivre en congrégation au mépris de la loi, donné asile à un prêtre réfractaire, permis qu’il célébrât la messe chez elles et favorisé son ministère auprès de la population, caché ses ornements sacerdotaux et facilité son évasion : c’était donc, aux yeux des « patriotes » du plus pur « fanatisme », et cela faisait d’elles de très grandes coupables.
Le samedi de Pentecôte 14 juin, elles furent emmenées à Privas dans la même charette que l’abbé Montblanc.
Les Soeurs de Saint-Joseph au pied de l’échafaud.
4ème partie – Le martyre.
Le lieu de l’incarcération de nos martyrs n’existe plus aujourd’hui : l’emplacement des anciennes prisons de Privas serait sous l’actuel hôtel de ville, à l’angle sud-est, dans la ruelle qui le sépare de la préfecture (ancien hôtel particulier du marquis de Faÿ-Gerlande).
C’étaient des cachots particulièrment insalubres, très humides et mal aérés, où la chaleur de l’été rendait l’atmosphère irrespirable, tandis que la vermine grouillait dans la paille rare qui servait de litière aux prisonniers, à même le sol…
Comme nous l’avons vu précédemment, l’abbé Bac y avait été transféré le 9 juin 1794, rejoint le 14 juin par l’abbé Montblanc et les Soeurs de Saint-Joseph, le 16 juin par l’abbé Gardès, le 9 juillet par l’abbé d’Allemand et enfin le 14 juillet par le Père Rouville.
Interrogés les uns après les autres, dans l’ordre de leur arrivée, par le tribunal révolutionnaire qui siégeait, nous l’avons dit, dans la chapelle profanée du couvent des Récollets, nos héroïques confesseurs avaient tous été condamnés à mort, ce qui, en ces temps de fervent patriotisme, semblait le moyen souverain pour faire régner la liberté, l’égalité et la fraternité. La sentence était normalement exécutoire dans les vingt-quatre heures.
Le problème, car problème il y avait et non des moindres, c’est que le département de l’Ardèche, s’il possédait bien une guillotine, n’avait – bien que la place soit grassement payée – pas de bourreau pour la faire fonctionner !
En outre, l’accusateur public Marcon – un « vrai tigre » selon les contemporains – avait fait lui-même l’objet de dénonciations et avait passé quelques semaines en prison : il avait fallu un décret, signé de Robespierre, Couthon et Collot d’Herbois pour l’en faire sortir. Lorsqu’il reprit ses fonctions, le 8 juillet 1794, Marcon était bien résolu à montrer qu’il n’avait pas faibli dans son zèle révolutionnaire.
Dans leur cachot, soumis à de rudes traitements, nos futurs martyrs priaient, s’encourageaient et se fortifiaient mutuellement pour se préparer à la mort.
Quelques uns purent écrire à leurs proches ou à des paroissiens fidèles : certaines de ces admirables lettres, interceptées par les « patriotes » et ajoutées aux pièces de leurs procès, nous ont été conservées.
Quelques bonnes âmes s’efforçaient d’adoucir leur captivité en leur faisant passer des fruits ; un jeune homme courageux venait, en qualité de barbier, raser et rafraîchir la tonsure des abbés.
Enfin s’approcha la perspective de la consommation de leur martyre : le bourreau, prêté par le département de la Drôme voisine, revenant d’une « tournée » dans le sud de l’Ardèche, fit annoncer qu’il pourrait « opérer » à Privas au matin du 18 thermidor.
A Paris, depuis une semaine déjà, les têtes de Robespierre et des enragés de son entourage avaient elles-mêmes roulées dans le panier de la guillotine : la nouvelle en parvint à Privas le 17 thermidor dans la soirée !
Nos révolutionnaires locaux ne virent pas dans cet évènement l’annonce de la fin de la terreur, puisque les Tallien, les Fouché et les nouveaux maîtres de la convention accusaient Robespierre et ses affidés d’avoir voulu « arrêter le cours majesteux et terrible » de la révolution.
Comme ils s’interrogeaient toutefois de l’opportunité de surseoir à l’exécution, le féroce Marcon emporta néanmoins l’avis des juges en déclarant : « La guillotine est prête ; elle a soif de sang. Force à la loi ! »
Un juge et un greffier se rendirent donc dans les cellules attenantes au tribunal révolutionnaire où on les avait transférés, pour notifier aux cinq prêtres et aux trois Soeurs qu’ils seraient exécutés le lendemain.
Abasourdis devant le calme et la force qui les animaient, les deux agents du tribunal entendirent un vibrant « Deo gratias ! » comme réponse à la lecture de la sentence. L’abbé Montblanc ajouta même : « C’est un vrai bonheur, Messieurs, que vous venez nous annoncer. Nous vous pardonnons de grand coeur, et nous prions Dieu qu’Il vous pardonne de répandre le sang innocent… »
Seule la Soeur Toussaint, d’après certains témoignages, se lamentait et exprimait des sentiments voisins de la révolte devant cette injustice.
Ils passèrent la nuit à psalmodier l’Office des morts et à chanter les pièces de la messe de Requiem, s’exhortèrent à l’ultime sacrifice, puis se donnèrent la sainte absolution.
Lorsque, au matin de ce 5 août 1794, on les fit sortir de leur cachot pour descendre la rue vers « la Placette », les religieuses entonnèrent le chant des litanies, puis les prêtres psalmodièrent le Miserere en ajoutant entre chaque verset : « Parce, Domine ! Parce populo tuo : Pardonnez, Seigneur ! Pardonnez à votre peuple ! »
La population privadoise était bouleversée par ces chants qu’elle n’avait pas entendus depuis longtemps, et par le spectacle de ces martyrs qui se rendaient à la mort comme à une fête.
Les condamnés se rangèrent autour de l’échafaud comme autour d’un autel, continuant leur psalmodie et leurs chants.
Les Soeurs furent exécutées les premières : selon certains témoignages, mais ils ne sont pas unanimes, la Soeur Toussaint fut prise de défaillance, et c’est à demi-inconsciente qu’elle fut liée sur la bascule ; selon d’autres, c’est la jeune « pensionnaire » ou « novice », condamnée avec les Soeurs, qui aurait été la victime de ce moment de faiblesse.
Les prêtres gravirent les marches de l’échafaud avec assurance, l’un après l’autre sans attendre de se faire appeler. Le bon Père Rouville fut le troisième d’entre eux à être guillotiné ; le dernier fut l’abbé Bac qui continua à chanter d’une voix assurée jusqu’au moment-même où le couperet lui trancha la tête.
Le Révérend Père Rouville et ses compagnons arrivant sur « la Placette » de Privas
où ils vont être martyrisés, le 5 août 1794.
Epilogue :
« culte » des martyrs et grâces signalées.
Le bourreau s’appropria les hardes et les effets de nos martyrs et laissa leurs dépouilles totalement nues exposées en tas sur « la Placette ». Les juges durent réquisitionner un tombereau pour les faire enlever avant la fin de la journée et les faire emporter au cimetière, qui se trouvait alors en contrebas de la ville, au lieu-dit Gratenas.
Le fossoyeur, huguenot mais honnête homme, avait reçu l’ordre de les ensevelir dans une fosse commune ; mais en réalité il prépara pour le Révérend Père Rouville une sépulture à part, séparée des autres corps par un muret de pierres sèches, et il refusa de livrer la tête du bon Père aux « patriotes » d’Aubenas qui étaient venus la lui réclamer afin de la promener triomphalement dans leur ville.
Vers la minuit, un habitant de Privas vint avec son neveu pour planter une croix sur la tombe des martyrs : ils témoignèrent par la suite devant leur prêtre que, lorsqu’ils enfoncèrent cette croix dans le sol, ils furent saisis par une merveilleuse odeur d’encens.
Cette même nuit du 5 au 6 août 1794, le fossoyeur eut en songe la vision du Père Rouville, resplendissant de gloire, qui le remercia de n’avoir point voulu livrer sa tête aux profanateurs, et qui lui déclara : « Pour prix de ton courage, dans un an et un jour tu auras ta récompense : tu seras où je suis. Mais auparavant, de protestant tu seras devenu catholique. »
L’homme, en effet, abjura le protestantisme entre les mains d’un prêtre réfractaire dès qu’il put en rencontrer un. Le 6 août de l’année 1795, il rentra chez lui en portant quatre planches, disant à sa fille : « Voici pour mon cercueil, demain. » La jeune fille se récria : « Mais, père, vous n’êtes point malade ! » Il lui rétorqua : « Je mourrai cette nuit, comme le saint me l’a dit ».
Et au matin, la fille trouva sans vie le corps de son père, sur le visage duquel s’était figé un paisible sourire.
Dès les années 1795-1796, la sépulture des martyrs devint un véritable lieu de pèlerinage, malgré les gendarmes envoyés pour disperser les fidèles qui venaient s’y agenouiller en très grand nombre. Jusqu’à la fin de la révolution, les catholiques privadois, sans église, s’y rassemblèrent – parfois jusqu’à trois cent, les jours de dimanche et aux fêtes – pour y réciter les prières de la messe dont ils étaient privés.
Nous avons vu que certains des Judas qui avaient contribué à l’arrestation des martyrs avaient été très rudement châtiés.
La tradition privadoise raconte aussi qu’un impie, qui avait renversé à coups de pieds la croix de bois élevée sur leur tombe, fut frappé de paralysie jusqu’à ce que, faisant pénitence et demandant publiquement pardon, il soit guéri de son mal en invoquant le bon Père Rouville.
Ce qui fut plus remarquable encore fut la conversion des juges et de l’accusateur public Marcon : rentrant en eux-mêmes, après la révolution, ils firent publiquement, et à plusieurs reprises, amende honorable de leurs crimes et menèrent ensuite une vie de pénitence et de réparation. Marcon légua même sa maison du Pouzin pour qu’on y établit une école tenue par les religieuses, et c’est à son emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de ce village.
A Privas, à la suite de la désaffection du cimetière de Gratenas (au milieu du XIXe siècle) et de l’ouverture d’un nouveau cimetière dans le quartier du Vanel, on fit exhumer les ossements du Révérend Père Rouville, qui furent identifiés, mais – malheureusement – on ne prit pas la peine de reconnaître les restes des autres martyrs, qui furent donc perdus.
Sur la nouvelle tombe du Père Rouville, en 1884, une généreuse paroissienne fit édifier une chapelle, dans le pavement de laquelle fut incrustée la croix de pierre qui se dressait à Gratenas sur la tombe du martyr.
A l’intérieur de cette chapelle, de nombreux ex-voto, des fleurs, ainsi qu’un cahier sur lequel les « pélerins » peuvent écrire les intentions qu’ils recommandent à l’intercession du Père Rouville et leurs messages de remerciement, témoignent de la permanence d’une vénération : les fidèles de la région, sans toujours bien connaître aujourd’hui l’histoire du bon Père et de ses compagnons martyrs, placent toujours en lui leur confiance et viennent encore volontiers solliciter sa prière…
Cimetière du Vanel, à Privas : chapelle édifiée sur la tombe du Révérend Père Rouville.
Vous pouvez laisser une réponse.
Ils savent très bien ce qu’il font, car aujourd’hui on commence à reconnaitre les effets de la république universelle et de ceux que préconise le nouvel ordre mondial : la Chouannerie, dans toute la France, avait déjà compris ce que signifiait en réalité la devise « liberté égalité fraternité » !
Je n’avais pas connaissance de cette histoire, tant il y eut de martyrs chrétiens à la révolution.
Près de chez moi, 2000 martyrs de la révolution ont arrosé de leur sang le terrain appelé aujourd’hui le Champ des Martyrs sur lequel une très jolie chapelle a été édifiée et dans laquelle je prie tous les vendredis ou samedis.
Après cela les incultes de la république osent dire qu’assassiner un prêtre dans son église c’était offenser la république!!!!!!! elle qui en a assassiné tellement…
Et on peut y ajouter le génocide vendéen : également mis à mort pour leur foi et leur fidélité au Roi.
Honte à eux !
Et combien il est difficile de dire « pardonne-leur, Seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font », car en fait ils le savent très bien !
Aussi remettons-les entre les mains de Notre-Seigneur de sa tendre Mère et de tous ces martyrs, à commencer par l’Abbé Rouville.