2014-72. La « ferme Philip » à Sainte-Eulalie.

Mardi 22 juillet 2014,
fête de Sainte Marie-Magdeleine (cf. > ici).

Sainte-Eulalie, ferme Philip vue générale

A Sainte-Eulalie, la « ferme Philip », telle que les visiteurs la découvrent en arrivant.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

Avec quelques membres de deux associations amies, dans l’après-midi de ce dernier dimanche 20 juillet (et alors qu’il pleuvait à verse sur nos hautes Boutières), notre Frère Maximilien-Marie est allé visiter la ferme Philip, à Sainte-Eulalie, paroisse voisine de la nôtre. 

Située à quelques centaines de mètres seulement du Mont Gerbier de Joncs, la ferme Philip est une chaumière construite au début du XVIe siècle : c’est l’une des rares à avoir conservé son toît en genêts, identique à celui des origines ; et comme elle est demeurée quasi « en l’état », elle constitue un spécimen précieux de l’architecture traditionnelle de notre massif du Mézenc-Gerbier.

Léon Charreyre a 82 ans (il est né en 1932), et c’est lui notre guide pour la visite : un vieil homme délicieux, qui – avec un accent et des intonations indescriptibles – nous explique ce qu’était la vie d’autrefois dans ces petites fermes des hauts plateaux.
Son propos est émaillé de souvenirs personnels – sans fioritures et sans fausse simplicité -, de réflexions profondes dans lesquelles transparaît une vraie sagesse de vie, de pointes d’humour – et son rire sonne clair comme celui d’un enfant – , et de savoureuses expressions patoisantes. Léon Charreyre est un « monument », un véritable « monument historique » comme quelqu’un l’a fait remarquer plaisamment à Frère Maximilien-Marie : l’un des derniers témoins d’un mode de vie (j’aurais presque envie d’écrire : d’une civilisation) qui a été emporté par le torrent débordé des décennies folles de l’après seconde guerre mondiale, alors qu’il avait subsité – quasi inchangé – depuis des siècles et des siècles…

Léon Chareyre, guide de la ferme Philip

Léon Charreyre, notre guide de la ferme Philip.

Les toitures des chaumières du massif du Mézenc-Gerbier peuvent être réalisées avec deux types de matériau : soit la paille de seigle, soit les branches de genêts.
Dans l’un comme dans l’autre cas, ce sont des toitures dont la durée de vie n’excède pas trente ans, et qui demandent une vigilance et un entretien quasi permanents.

La ferme Philip est couverte de genêts. Léon est l’un des derniers « piqueurs de genêts », ainsi nomme-t-on ceux qui réalisent ces toitures selon un savoir-faire qui remonte à la nuit des temps.

Sainte-Eulalie ferme Philip toiture en genêts vue du côté nord

Ferme Philip : la toiture en genêts vue du côté nord.
Pour être efficace on voit que :
- ce type de toiture doit avoir une pente assez forte ;
- du côté le plus froid, la maison est en réalité enterrée dans la pente à laquelle est est adossée.

Sainte-Eulalie ferme Philip toiture vue de l'intérieur

Ferme Philip : la toiture vue de l’intérieur.
La charpente est en bois de pin ; elle n’est pas assemblée par des clous mais tout est chevillé.

Sainte-Eulalie ferme Philip démonstration de la manière dont on confectionne une toiture de genêts

Ferme Philip : sur un chassis reproduisant une partie de charpente, Léon nous montre
comment on entrelace les branches de genêts afin de réaliser une toiture.

« C’est comme un tricot, nous dit-il : une maille à l’endroit, une maille à l’envers… »

Toutefois, comme je l’écrivais ci-dessus, ce n’est pas seulement par sa toiture que la ferme Philip est digne d’intérêt : l’intérieur en est également resté quasi inchangé, permettant de comprendre de visu ce qu’étaient les conditions de vie dans ce milieu naturel, certes particulièrement beau et grandiose à la belle saison, mais aussi très rude et austère pendant l’hiver, lequel dure ici environ six mois, quand ce n’est pas huit !
Ainsi, dans ces maisons traditionnelles, tout est calculé en fonction de ces longs hivers froids…
… où la couche de neige peut atteindre trois à quatre mètres,
… où la burle peut former des congères de quinze mètres et plus,
… où hommes et bêtes, pour survivre, doivent pratiquement cohabiter pendant des mois !

Hommes et bêtes entrent dans la ferme par l’arcas : c’est un porche, fermé par une lourde porte, qui est en proéminence sur la façade et forme comme un sas.
Dans l’arcas se trouve habituellement le bachas.
Parfois creusé dans une grande pierre, mais aussi dans un gros tronc d’arbre, comme c’est le cas à la ferme Philip, le bachas est l’unique point d’eau de la maison : une source proche a été canalisée et y fait couler continûment – ainsi elle ne gèle pas – une eau claire et fraîche. Le bachas est à la fois abreuvoir pour le bétail et bassin où l’on prend l’eau pour les besoins domestiques.
C’est aussi souvent dans l’arcas, compartimentée par une cloison de pierre ou de planches, que se situe la soue à cochons.

Sainte-Eulalie ferme Philip intérieur de l'arcas

Ferme Philip : à l’intérieur de l’arcas le bachas, creusé dans un tronc ;
ici il est alimenté par l’une des nombreuses sources de la Loire.

Séparé de l’étable par une simple cloison de bois, pour que la chaleur du bétail profite aux humains, le carré est la pièce de vie : tout à la fois cuisine et « salle à manger », chambre et atelier…
A la ferme Philip, cette pièce de vie, éclairée par une unique petite fenêtre, n’excède pas douze mètres carrés dans lesquels pouvaient demeurer, selon l’importance des familles et les circonstances, six à dix personnes.
L’un des côtés de la pièce est entièrement pris par la cheminée qui constitue comme une sorte d’alcove voûtée. En son centre, au-dessus du foyer, par une crémaillère, est suspendue la marmite de fonte, qu’on appelle une oule

Sainte-Eulalie ferme Philip la cheminée

Comme vous le voyez, le feu était à même le sol et il n’y avait pas de plaque de cheminée : une grande lauze en tient lieu. Vous pouvez aussi apercevoir le trépied, qui est utilisé en particulier pour poser la poêle.
Sur la photo ci-dessus vous apercevez aussi, à gauche, la bouche du four, dont les pierres sont noircies. Le four n’a pas une cheminée à part, les flammes qui s’en échappent lorsqu’on l’allume, ainsi que la fumée, sortent par cette bouche et s’élèvent sous la voûte de la cheminée. C’est particulièrement visible sur ce cliché puisque, dimanche dernier, Léon avait allumé le four :

Sainte Eulalie ferme Philip Léon allume le four

Le conduit de cheminée n’est pas au centre de la voûte, mais sur le côté, à l’aplomb du mur extérieur, afin de ne pas être trop près du toit de genêt. Le carré d’habitation (ou au minimum l’entourage du conduit de cheminée) est souvent couvert en lauzes afin de limiter les risques d’incendie.
A la ferme Philip, comme dans beaucoup d’autres fermes du massif, il existe une petite fenêtre – qu’on appelle un fenestrou – qui donne un peu de clarté : lorsque la couche de neige extérieure est si épaisse qu’elle obstrue totalement la fenêtre de la pièce, ce fenestrou, pratiqué à quelque quatre mètres de hauteur – permet néanmoins d’entrevoir un peu de jour…

Sainte-Eulalie ferme Philip fenestrou dans la cheminée

Les pierres de la cheminée sont couvertes d’une suie noire et luisante, produite par la fumée des genêts, car il n’est rien de tel qu’une bonne brassée de genêts secs pour allumer ou ranimer un feu.

La cheminée n’a pas un manteau en pierre : c’est une grosse poutre qui en fait office ; sur cette poutre est fixée une corniche qui forme étagère ; aujourd’hui y sont présentés quelques paniers et une sculpture au couteau reproduisant une charette.
Pendant l’hiver, où l’on ne peut pas travailler dehors, on confectionne des paniers, des outils en bois (fourches et râteaux à foin), des sabots… etc. Les hommes « de la montagne » sont habiles au couteau – dont ils ne se servent pas seulement dans les rixes ! – et sont capables de sculpter des jouets, des bâtons, et pour certains des Crucifix ou des statuettes.

Sainte-Eulalie ferme Philip paniers et sculptures au couteau sur le manteau de la cheminée

Au plafond de la pièce sont suspendus les saucissons et les jambons, et de petites claies sur lesquelles on garde – à l’abri des rongeurs – les fromages et quelques autres denrées.

Le centre de la pièce est occupé par le pétrin qui sert aussi de table.
Sur le côté opposé à la cheminée, adossés à la cloison de l’étable, sont les lits clos ; à la ferme Philip il y en a deux, celui des parents (qu’on voit sur la photo) et celui des enfants (qui est à gauche de l’horloge). Dans les lits clos, on ne dort pas complètement allongé mais presque assis. Les enfants peuvent être trois, mis tête-bêche, dans leur lit clos, tandis qu’au plafond de celui des parents on peut suspendre un berceau…
L’espace qu’on aperçoit sous le lit est destiné à ranger les sabots ou les bottes.

A droite du lit des parents est l’armoire ; celle-ci est sculptée et porte une date : 1849. C’est une armoire de mariage ; entendez par là qu’elle a été réalisée et offerte à des jeunes époux à l’occasion de leurs noces. Là sont rangés les vêtements et le linge de toute la famille.

Sainte-Eulalie ferme Philip lits clos et horloge

Sur le cliché suivant nous retrouvons l’armoire, accolée au vaisselier. Tout à droite, on aperçoit la porte de la cave, voûtée et enterrée, dans laquelle sont gardés les légumes pour l’hiver (choux, carottes, raves, et surtout pommes de terre) et le tonneau de vin.

Sainte-Eulalie ferme Philip vaisselier et armoire

Enfin, l’ameublement de la pièce est complété par une vitrine de dévotion, accrochée à l’une des poutres. Les hauts plateaux vivarois étaient majoritairement catholiques ; la foi y était généralement profonde ; la pratique religieuse quasi unanime.
Dans les familles, la prière du soir récitée en commun achevait la journée. Cette modeste vitrine, dans laquelle on trouve les statues du Sacré-Coeur, de la Madone et de Saint Joseph, aux côtés d’un Crucifix de la bonne mort, est ornée de grosses fleurs en papier, ce qui constitue un vrai luxe dans ce décor austère. Devant elle, se sont agenouillées plusieurs générations :

Sainte-Eulalie ferme Philip vitrine de dévotion

Ainsi donc, chers Amis, grâce aux photos prises par Frère Maximilien-Marie, vous avez pu comme je l’ai pu moi-même, « visiter » virtuellement la ferme Philip.
Mais si vous venez dans notre région, ne manquez pas d’aller la visiter « pour de vrai », car il y a plein d’autres choses à découvrir : je ne pouvais pas tout dire ici, vous le comprenez bien, et puis, surtout, je ne pouvais pas remplacer Léon et son discret rayonnement de vie bien remplie et de sagesse… Un type d’homme dont on espère que la race ne va pas totalement disparaître !

Lully

pattes de chat - frise

La ferme Philip, à Sainte-Eulalie (07510), peut se visiter depuis le 14 juillet jusqu’au 31 août, du lundi au vendredi : de 15 h à 18 h, ou bien sur rendez-vous (téléphoner au 04 75 38 80 00).

la ferme Philip à Sainte-Eulalie

Publié dans : Chronique de Lully |le 22 juillet, 2014 |6 Commentaires »

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6 Commentaires Commenter.

  1. le 30 juillet 2016 à 8 h 56 min Suzanne-Cécile écrit:

    Je ne savais pas qu’on pouvait la visiter. Je ne l’ai vue que « de dos », son toit touchant la route, mais j’étais fascinée. On appelait ce genre de ferme une « pailhise » je crois, (l’orthographe est à vérifier)
    Merci pour cet excellent article et je le partage.

  2. le 10 mai 2016 à 8 h 08 min Cypripedium écrit:

    J’ai pu découvrir cet homme fabuleux lors d’une randonnée aux abords du Mont Gerbier de Jonc.
    Il était là, dans une landes de genêts, avec son chien et son esprit créatif, loin des marchands du temple du Mont Gerbier. Il coupait avec douceur les genêts qui couvriront les toits traditionnels. Il explique avec gentillesse et dignité les us et coutumes de sa région. Son franc parler envoute avec modération l’interlocuteur.
    Loin de toutes contraintes matérielles, il vous parle de la pluie et du beau temps, de son patrimoine faunistique, géologique, et surtout humain. Des évolutions positives et négatives de la contrée.
    Merci à vous, Léon, de m’avoir fait revivre un moment de tranquillité et de sincérité vrai.
    Amicalement.
    Un ancien guide de haute montagne

  3. le 27 juillet 2014 à 20 h 26 min Gilbert R. écrit:

    Ce moment très particulier passé sur place en compagnie d’un monument historique vivant est évoqué avec beaucoup de sensibilité tant dans le texte et les photos de ce reportage remarquable de sensibilité dont je félicite vivement l’auteur.

    à bientôt

    Gilbert

  4. le 26 juillet 2014 à 8 h 06 min Rachel écrit:

    Quel trésor ! Merci pour ce beau reportage sur Léon et la Ferme Philip au toit en genêts et aux beautés et à la rudesse de cette région du Vivarais.

  5. le 24 juillet 2014 à 6 h 05 min Jean-Pascal P. écrit:

    Formidable !

    Que dire de plus, sinon un peu de nostalgie.

  6. le 23 juillet 2014 à 6 h 25 min Jean P. écrit:

    EXCELLENT

    TRES BON

    TOUT AU SUPERLATIF

    MERCI

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