2014-57. « Vos fils et vos filles prophétiseront ».

L’enseignement du cardinal Pie
à propos
des révélations privées.

Mercredi des Quatre-Temps d’été.

Chers Amis du Refuge Notre-Dame de Compassion,

       La première lecture de la Sainte Messe, en ce mercredi des Quatre-Temps d’été, nous a permis de réentendre le discours de Saint Pierre adressé aux Judéens et aux pèlerins venus à Jérusalem « de toutes les nations qui sont sous le ciel » à l’occasion de la Pentecôte, rassemblés devant le Cénacle attirés par les phénomènes extraordinaires qui avaient accompagné la venue du Saint-Esprit (Act. II, 14-21).
Le Prince des Apôtres cite une prophétie de Joël (Joël II, 28-32) pour expliquer ce qui se passe lors de cette première Pentecôte de l’Eglise.

   Comme il arrive fréquemment que l’on interroge Frère Maximilien-Marie au sujet de telle ou telle « apparition » ou de certaines prétendues « révélations » contemporaines, il m’a semblé bon de livrer ci-dessous un texte important à ce propos, extrait d’une homélie de Monseigneur Louis-Edouard Pie, évêque de Poitiers, homélie dans laquelle il a justement commenté cette prophétie de Joël.
On notera aussi que, quelques jours seulement après qu’elle a été prononcée, cette homélie a été chaleureusement approuvée par le Bienheureux Pie IX : c’est qu’en effet on y trouve exposée toute la sagesse séculaire de la Sainte Eglise en cette matière ; on y trouvera aussi de ce fait des principes de conduite pour les temps actuels ; on y trouvera donc les règles auxquelles nous nous référons toujours au Mesnil-Marie au sujet de tous les phénomènes dits mystiques : ouverture et prudence, et par dessus tout aucune anticipation sur les jugements officiels de la Sainte Eglise

   Je pense que beaucoup de nos amis ou de mes lecteurs sauront tirer profit de ce texte dont l’équilibre spirituel et doctrinal est absolument parfait.

Lully.

frise

Cardinal Edouard Pie

Mgr. Louis-Edouard Pie

L’Eglise et les révélations privées

chapitres 2 & 3 de l’homélie prononcée
le 3 juillet 1876,
à l’occasion du couronnement solennel de Notre-Dame de Lourdes,
en présence du Nonce Apostolique délégué par Sa Sainteté le Pape Pie IX,
en présence de Son Eminence le cardinal archevêque de Paris
et de trente-trois autres archevêques et évêques.
Après avoir lu le texte de cette homélie, Sa Sainteté le Pape Pie IX
adressera personnellement à Monseigneur Pie,
le 27 juillet 1876,
un bref de louange et d’approbation.

       « Et il arrivera que dans les derniers jours, dit le Seigneur, je répandrai de mon Esprit sur toute chair ; et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions. » C’était un oracle de Joël que le prince des Apôtres alléguait ainsi le jour même de la Pentecôte, expliquant par là les merveilles dont la Judée était témoin à cette heure. Les signes miraculeux, nécessaires pour l’établissement de la foi, ne devaient pas se perpétuer aussi nombreux, aussi quotidiens, après que l’Eglise aurait été assez affermie, et assez étendue pour avoir moins besoin de ces secours. Toutefois, le Seigneur gardait toute sa puissance ; chaque siècle devait avoir ses prodiges, et les âges les plus rapprochés de la fin des choses, précisément parce que l’empire du mal y devait prévaloir davantage, verraient renaître et se multiplier les merveilles de l’Eglise naissante.
A la vérité, Joël, dans le texte que nous invoquons, considère au premier plan de sa prophétie les temps qui suivraient la captivité : et erit post haec (1). Après lui, l’apôtre saint Pierre parle d’abord de son propre temps qui, pour la synagogue, était celui des derniers jours : et erit in novissimis diebus (2). Mais le regard prophétique de l’un et de l’autre plonge plus loin ; il vise des jours qui précèderont l’avènement du jour du Seigneur, de ce jour grand et horrible, qu’éclairera la manifestation universelle des choses : antequam veniat dies Domini magnus et horribilis (3), dies Domini magnus et manifestus (4).

   La tradition et les règles posées par l’école (5) nous permettent et, je vais le dire bientôt, nous ordonnent à le comprendre ainsi.

   Car, mes Très Chers Frères, la négation, quoique tardive, a fini par se produire sur ce point. Deux catégories distinctes de contradicteurs ont surgi. De la part des matérialistes et des déistes, cela n’a rien d’étonnant : ils sont conséquents avec leur impiété quand ils rejettent l’apparition de tout symptôme surnaturel quelconque, ancien ou nouveau. Ce qui s’explique plus difficilement, c’est que des chrétiens qui admettent la parole de Dieu, bien mieux, ceux-là surtout qui basent leur croyance sur cette parole librement et individuellement interprétée, aient posé en principe que Dieu s’est interdit de parler dorénavant aux hommes, et que toute vision ou révélation privée est désormais chimère ou mensonge : assertion, disons-le, qui n’a pas tardé d’être combattue chez eux et dans leurs propres ranges par une pullulation sans bornes de voyants et d’illuminés (6).

   Or, mes Très Chers Frères,  l’enseignement authentique de l’Eglise, l’enseignement des docteurs, des conciles et des papes n’a pas été muet sur cette question. Sans doute, le dépôt sacré de la révélation a été clos avec l’ère apostolique. A la différence de l’ancienne loi, sous laquelle le canon des Ecritures demeura ouvert jusqu’aux derniers jours d’Israël, le nôtre est scellé par la prophétie de saint Jean (7), qui d’ailleurs embrasse les destinées de l’Eglise et des sociétés jusqu’à la fin des temps. Mais il ne suit pas de là que la révélation privée ait été exclue de l’économie de la loi nouvelle. La raison toute seule nous enseigne qu’il est toujours libre à Dieu de se mettre en rapport avec sa créature ; et les annales de l’Eglise nous montrent de siècle en siècle de grands fruits de sainteté obtenus, de grandes lumières et de grandes grâces octroyées aux âmes, des consolations et des directions très opportunes offertes au peuple chrétien par la voie de ces communications extraordinaires. « A toutes les époques, dit l’ange de l’école, il y a toujours eu quelques personnes favorisées de lumières surnaturelles, non pour révéler une nouvelle doctrine de foi, mais pour la direction de la conduite humaine » (9).

   Le cinquième concile œcuménique du Latran, en réponse aux diatribes anticipées de l’école luthérienne, dont Mélancthon et les centuriateurs de Magdebourg allaient se faire les porte-voix, a solennellement affirmé et vengé cette permanence de l’inspiration dans l’Eglise ; et il n’a pas fait difficulté de s’appuyer sur l’autorité de l’ancien et du nouveau Testament : « Le Seigneur lui-même, dit-il, s’est engagé à cela par le prophète Amos : ut per Amos prophetam ipse promittit » (10).

   Je vois sourire l’incrédule. Mon frère, ne récusez pas trop légèrement cet oracle. En fait de science politique, vous avez le vôtre, et c’est peut-être Machiavel. Or Machiavel, c’est-à-dire, je veux le reconnaître, l’un des écrivains qui ont porté dans l’étude de l’histoire des sociétés humaines un flair très fin et très exercé, Machiavel a écrit que « jamais il ne s’est produit dans le monde de grands événements qui n’eussent été prédits de quelque manière » (11). Savait-il qu’il traduisait le verset d’Amos auquel la constitution conciliaire du pape Léon X semble avoir fait allusion ? « Quia non facit Dominus verbum, nisi revelaverunt secretum suum ad servos suos prophetas : le Seigneur n’exécute point son dessein – il ne frappe jamais ses grands coups - sans avoir préalablement révélé son secret à ses serviteurs » (12).
Mais, me direz-vous, on peut-être conduit loin par cette doctrine ; et ne voyez-vous pas naître des milliers de visionnaires ?
Assurément, mes Frères, s’il y a des visions vraies, il y en a de fausses ; j’accorde même, étant donnée la disposition des esprits, à certaines époques surtout, qu’une vision vraie devient le signal d’une multitude de visions fausses. Que conclure de là ? qu’il faut mettre en même catégorie ce qui est vrai et ce qui est faux ? C’est ce que le concile nous défend : « Hos aliorum fabulosorum et mendacium gregi connumerari minime volumus » (13) ; et il nous le défend, armé de l’autorité de l’Apôtre, lequel, à côté du principe, établit la règle et le moyen de discernement.
« Donnez-vous bien garde, dit saint Paul, d’éteindre l’esprit et de mépriser de parti pris toute espèce de révélations : Spiritum nolite extinguere ; prophetias nolite spernere (14). Mais soumettez-les à l’épreuve, et retenez ce qui est bon : omnia autem probate ; quod bonum est tenete » (15). Ainsi fait l’Eglise. Elle a appris de saint Jean « qu’il ne faut pas se fier à tout esprit, mais qu’il faut éprouver si les esprits proviennent de Dieu » (16). Et la discipline qu’elle a établie à cet égard, la jurisprudence qu’elle suit, les règles qu’elle s’est tracées, sont en vérité si sages, si méticuleuses, si sévères, qu’elles dépassent les exigences de la critique humaine et de la méthode scientifique la plus rigide. Puis, quand elle a formé sa conviction sur la valeur de la révélation, si elle en autorise la croyance, ainsi que les actes de piété qui s’y rattachent, elle ne fait pourtant de commandement et n’impose d’obligation à personne. En ces matières, dit le pape Benoît XIV, l’Eglise a coutume de procéder par voie de permission, mais non de précepte (17).

   Sans doute celui qui a conscience que Dieu lui a personnellement parlé, doit à Dieu, pour sa part, l’assentiment de sa foi, parce que c’est le devoir de la créature « de ne pas récuser Dieu quand il parle : videte ne recusetis loquentem » (18). Si la communication ainsi faite est destinée à un tiers, c’est pareillement le devoir de celui-ci de croire à Dieu et de lui obéir, sitôt que des preuves suffisantes lui ont été fournies : nul n’a le droit de se soustraire à un ordre qui lui vient du ciel. Mais quant aux autres, quant à l’ensemble de la communauté chrétienne, en règle générale, il n’est prescrit à personne d’accorder son attention et son adhésion positive à ces phénomènes surnaturels (19). Phénomènes ardemment recherchés de toutes les âmes saintement jalouses d’entrevoir dès ici-bas quelque chose de la face du Seigneur ; tandis qu’il est d’autres trempes d’esprit, d’autres tempéraments, d’autres caractères, qui n’aiment point aller au devant de ces manifestations, parce qu’elles sont pour eux un sujet d’ahurissement et d’effroi : stupor apprehendit omnes, et repleti sunt timore dicentes : quia vidimus mirabilia hodie (20).

In « Oeuvres de Monseigneur l’Evêque de Poitiers »,
Tome IX, pp. 332 à 337
Librairie H. Oudin, éditeur – 1881.

St-Esprit & Ste Bible

Notes :
(1) Joël II, 28

(2) Act. II, 17
(3) Joël II, 31
(4) Act. II, 20
(5) L’école = l’école de théologie scolastique
(6) Monseigneur Pie désigne, sous le nom de « chrétiens qui admettent la parole de Dieu… (et) qui basent leur croyance sur cette parole librement et individuellement interprétée », les diverses sectes protestantes qui derrière le fallacieux argument du « sola Scriptura » se sont égarées dans mille formes de pseudo prophétisme et de discours prétendument inspirés…
(7) c’est à dire le livre de l’Apocalypse.
(8) c’est-à-dire Saint Thomas d’Aquin.
(9) St Thomas – Somme théologique 2a 2ae quest. CLXXIV, art. VI – 3.
(10) cf. Latran V, Léon X – constitution « Supernae majestatis praesidio » du 19 déc. 1516 : « (…) D’autre part, si le Seigneur révèle à certains d’entre eux (les fidèles) par une sorte d’inspiration certaines choses qui doivent survenir dans l’Eglise de Dieu, comme il l’a lui-même promis par le prophète Amos et comme le dit Paul, apôtre des prédicateurs : N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties (1 Thess. V, 19-20), Nous ne voulons aucunement que ceux-ci soient tenus pour des fabulateurs et des menteurs, ni rencontrent d’autres obstacles. Au témoignage d’Ambroise, la grâce du Saint-Esprit lui-même est éteinte si l’ardeur de ceux qui commencent à s’exprimer est paralysée par la contradiction : en l’occurrence, l’on fait certainement injure au Saint-Esprit. Et parce qu’il s’agit d’une chose importante, étant donné qu’il ne faut pas croire facilement à tout esprit, mais que, selon le témoignage de l’Apôtre, les esprits doivent être mis à l’épreuve pour s’assurer qu’ils viennent de Dieu (cf. 1 Joan. IV, 1), Nous voulons qu’il soit entendu que désormais, en vertu du droit ordinaire, l’examen de ces supposées inspirations sera réservé à l’examen du Siège apostolique avant qu’elles soient rendues publiques ou prêchées au peuple. »
(11) Cité par Joseph de Maistre in « Soirées de Saint-Pétersbourg », entretien onzième.
(12) Amos III, 7.
(13) « Nous ne voulons aucunement que ceux-ci soient tenus pour des fabulateurs et des menteurs, ni rencontrent d’autres obstacles », voir ci-dessus la note 10.
(14) Littéralement : « N’éteignez point l’Esprit. Ne méprisez pas les prophéties » – 1 Thess. V, 19-20.
(15) Littéralement : « Eprouvez tout ; retenez ce qui est bon » – 1 Thess. V, 21.
(16) 1 Joan. IV, 1.
(17) Benoît XIV « De serv. Dei canoniz. » L.II, c. XXXII, 11, 12.
(18) Hebr. XII, 25.
(19) Suarez « De fide », disput. III, sect. X, n. 7 – Lugo, « De virt. fidei », disput. I, sect. XI, n. 228 – Benoît XIV, « De serv. Dei canoniz. » L. III, c. ultim. 12, 13, 14.
(20) Luc V, 26 : « La stupeur les saisit tous (…) et ils furent remplis de crainte, disant : Nous avons vu des choses étonnantes aujourd’hui ! »

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 13 juin 2014 à 9 h 54 min Abbé Jean-Louis D. écrit:

    Texte très intéressant pour aujourd’hui où se produisent tant et tant de personnes qui disent recevoir des révélations.

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